«LES BRÛLOTS ANGLAIS EN RADE DE L'ÎLE D'AIX (1809)» DE JULES SILVESTRE ;
DOCUMENTS JUSTIFICATIFS [1]



DOCUMENTS JUSTIFICATIFS [1].

Carnet des signaux et mouvements de l'escadre Allemand.

Nous avons extrait du Carnet des signaux et mouvements de l'escadre Allemand, du 10 au 17 avril 1809, qui porte la signature du capitaine de frégate Pesron, adjudant de l'escadre, les indications qui suivent, en nous permettant d'y joindre quelques remarques propres à préciser les faits.

[Le 10 avril.]

10 avril, midi. L'escadre est sur deux lignes parallèles et endentées N. ¼ N. E. et S. ¼ S. O., flanquée par une estacade de 900 toises (1752 m.), établie à 3 encablures en avant des lignes des vaisseaux ; les vaisseaux ont leurs mâts de perroquet dépassés et leurs mâts de hune recalés. On a reconnu que l'ennemi, au mouillage en rade des Basques, compte 12 vaisseaux, 6 frégates, 9 corvettes, 5 cutters, et 32 voiles marchandes ou brûlots. La côte signale un convoi au large : l'accroissement progressif des forces de l'ennemi en bâtiments légers et en transports annonce sans équivoque un projet d'attaque de sa part, et c'est le moment que choisit notre amiral pour réduire nos vaisseaux à l'état de pontons...

[Le 11.]

Le 11, le convoi signalé la veille ayant rallié l'escadre anglaise, on y compte alors 12 vaisseaux, 7 frégates, 7 corvettes-bricks, 4 cutters, 46 transports ou brûlots. De plus, 4 grosses frégates, qui se sont laissées dériver avec le flot, sont venues mouiller à une portée et demie de canon de l'estacade, dans le N. O. Ce sont l'Imperieuse, l'Aigle, l'Unicorn, et la Pallas. Trois chasse-marées-fusées, Whiting, King George et Nimrod sont à l'ancre au milieu du groupe des frégates.

À quatre heures et demie du soir, Allemand fait signaler «Liberté de manœuvre» à nos frégates, les autorisant par ce signal à caler leurs mâts de perroquet et à rentrer en dedans des lignes des vaisseaux, si cela devenait nécessaire, comme le portait leurs instructions.

À huit heures du soir, on aperçut des feux hissés par les 4 frégates ennemies rapprochées de l'estacade : c'était un signal, auquel il fut répondu, de la rade des Basques, par deux coups de canon. C'était le moment même où se devait faire la relève des divisions de flottille à l'estacade et où, conséquemment, nos vaisseaux étaient démunis de presque toutes leurs embarcations, réparties en cinq divisions, les commandants, capitaines de frégate et lieutenants de vaisseau détachés pour des rondes fixées chaque jour. Au signal parti de la rade des Basques des brûlots se dirigèrent vers l'estacade, favorisés par le flot et une forte brise de N. O. Des catamarans et quatre bâtiments, sous voiles et enflammés, s'y arrêtèrent. Le temps était couvert.

À neuf heures, un de ces bâtiments fit explosion — horrible explosion, dit le carnet de Pesron — sur l'estacade. À la lueur qui éclaira l'espace, on aperçut alors un grand nombre de bâtiments, se portant à pleines voiles sur nos vaisseaux, poussés par le vent et le plus violent courant de l'année. Ordre fut donné d'envoyer les chaloupes et canots pour détourner ces brûlots ; mais la force du vent et de nouvelles explosions ayant rompu l'estacade en plusieurs points, libre passage se trouva ouvert aux brûlots, qui se succédèrent avec une incroyable rapidité, quelques-uns arrêtés cependant en travers et s'y consumant sur place.

Le premier, le Régulus fut accroché par une de ces masses incendiaires ; il dut pour se dégager couper son câble de tribord et, le flot le saisissant, il allait aborder l'Océan, son matelot de bâbord, quand celui-ci, que menaçait deux brûlots sous son beaupré, coupa son câble de N. O. et put parer l'abordage en venant à l'appel du câble de S. E. Dans cette nouvelle position, le vaisseau-amiral vit un brûlot en travers de la bouteille de tribord ; il fut repoussé, mais rangeant le bord, il s'accrocha successivement aux grands porte-haubans, à ceux de misaine, puis sous le bossoir de tribord ; enfin de courageux canonniers et matelots se mirent en dehors pour couper ce qui retenait le brûlot et parvinrent à le décrocher. C'est à ce moment que l'Océan alla s'échouer sur des vases molles. Dans l'obscurité profonde, il semblait à l'amiral que les autres vaisseaux faisaient les mêmes manœuvres pour éviter d'être incendiés ; on crut d'abord que le Cassard, le Régulus et la frégate l'Indienne étaient en feu, car on apercevait, en effet, des vaisseaux et une frégate en proie à l'incendie.

Impossible d'échanger aucuns signaux de nuit, dans l'ignorance absolue de la position des unités de l'escadre et au milieu des feux et des coups de canon tirés de toutes parts, les uns par les batteries enflammées des brûlots, les autres par nos bâtiments visant à couler ceux de ces brûlots qui les menaçaient. Et point d'embarcations pour essayer d'entrer en communication.

Un peu avant le jour on distinguait vingt-six navires en flammes, indépendamment de ceux dont les explosions avaient rompu l'estacade. Dans le nombre se reconnaissaient un vaisseau, cinq grosses frégates et plusieurs autres bâtiments de fort tonnage. À l'aube on eut la satisfaction de voir qu'aucun de nos bâtiments n'avait péri dans l'odieuse attaque des Anglais ; mais le Cassard et le Foudroyant, seuls, étaient à flot, l'Océan, le Jemmapes, le Régulus, le Calcutta, la Ville-de-Varsovie, le Tonnerre, le Tourville, l'Aquilon, le Patriote, l'Hortense, la Pallas, et l'Indienne étaient échoués. La frégate l'Elbe, entrée en rivière, était mouillée au Port-des-Barques.

[Le 12.]

Le 12, à cinq heures du matin, on voit nos vaisseaux dispersés et échoués comme il vient d'être dit. Le Cassard et le Foudroyant sont seuls à flot et mouillés à environ neuf encablures dans le S. de l'île d'Aix. Le Calcutta signale qu'il est échoué sur un fond très dur et qu'on craint beaucoup qu'il ne soit perdu. L'amiral se contente de répondre par le pavillon d'attention. Les vaisseaux ennemis sont toujours au mouillage en rade des Basques ; trois corvettes sont mouillées dans le N. de l'île d'Aix, six frégates et deux corvettes louvoyant dans la passe, entre cette île et la longe de Boyard.

À cinq heures un quart, l'ennemi se mit en mouvement pour entrer dans nos rades. Alors l'amiral Allemand, craignant que le Cassard et le Foudroyant ne fussent coupés au mouillage, ordonna de leur signaler «liberté de manœuvre», et à cinq heures vingt il appela à l'ordre un officier de chaque vaisseau pour connaître la situation de chacun ; entre autres ordres, il prescrivit d'élonger des ancres à jet et des grelins pour se tirer des échouages : comme il eût dû le prévoir, il lui fut répondu que ces apparaux n'existaient plus à bord, qu'il en avait disposé pour l'estacade et que le port ne les avait pas remplacés. Avant d'appeler ainsi des officiers de l'escadre, l'amiral avait eu la pensée de se rendre, de sa personne, le long de chacun de ses vaisseaux pour reconnaître l'état des choses ; il avait accosté d'abord le Tonnerre, puis le Calcutta, mais les mouvements de l'ennemi l'inquiétant, il était revenu à bord de l'Océan.

À neuf heures, le Tonnerre signala que les pompes étaient insuffisantes pour franchir. On lui répondit par le simple signal d'attention. Le vaisseau était crevé, la cale s'était remplie, le commandant demandait à couper ses mâts. Laissé libre d'agir selon les nécessités, il n'abattit que le grand mât.

Toute la matinée se passa, à bord des vaisseaux échoués, à travailler à se remettre à flot : l'Océan, le Régulus, le Jemmapes, le Tourville et le Patriote y réussirent et purent se placer plus en dedans, mais l'Aquilon, la Ville-de-Varsovie, le Calcutta et le Tonnerre n'y parvinrent pas.

À midi vingt, le Cassard et le Foudroyant ayant signalé que le pilote croit pouvoir rentrer dans le port, l'amiral répond son continuel «liberté de manœuvre».

À une heure de l'après-midi, deux frégates ennemies (dont l'Impérieuse, que montait Cochrane), une bombarde et deux corvettes entrent dans la rade de l'île d'Aix, et prennent position dans le S. S. E. de Boyard. Prudemment les Anglais préparent l'attaque de nos vaisseau échoués et désemparés. À deux heures, le Calcutta et l'Aquilon renouvellent le signal d'échouage sur un fond très dur, avec la crainte d'une perte totale. Il leur est répondu par le signal d'attention, et à l'Aquilon, qui demande le secours de chaloupes, l'amiral fait savoir qu'il n'en existe aucune dans l'escadre, ni ancres à jet, ni grelins. Même réponse au Régulus. Il existait cependant quelques embarcations, qui avaient rallié, mais l'amiral les avait appelées à l'Océan.

Dès midi et demi le Foudroyant et le Cassard ont mis sous voiles et fait route pour entrer en rivière ; mais ne tardent pas à se mettre au plein de nouveau.

Les quatre vaisseaux couchés sur les rochers des Palles sont ainsi abandonnés par l'amiral, et l'ennemi, qui est venu mouiller très près d'eux, ouvre le feu à une heure et demie, les battant par la hanche. La position des nôtres est telle qu'ils ne peuvent riposter que par leurs pièces de retraite ; le Calcutta, seul, peut se servir de ses canons de chasse. Les batteries de l'île d'Aix et celles d'Oléron tirent pour soutenir nos vaisseaux, mais leurs boulets n'atteignent pas l'ennemi, qui s'est placé à une distance de 15 à 1800 toises. Ainsi assurés de n'être point touchés, les Anglais renforcent l'attaque : à deux heures arrive un nouveau vaisseau, le Valiant, et peu après cinq frégates — Indefatigable, Aigle, Emerald, Union et Pallas, — convoyant de nouveaux brûlots.

À trois heures un quart, l'équipage du Calcutta ayant abandonné le vaisseau, les Anglais s'en emparent et y mettent le feu à cinq heures. À ce moment, deux autres vaisseaux ennemis — Revenge et Theseus — et quelques bricks de guerre vinrent se joindre à ceux qui battaient nos épaves sur les Palles.

À quatre heures et demie, le commandant de l'Aquilon demanda des secours pour aider à l'évacuation du vaisseau, jugé perdu : «liberté de manœuvre» répondit l'amiral ; — on put lui envoyer des embarcations, qui prirent une partie de l'équipage, et à cinq heures le vaisseau amena son pavillon. Presque au même instant le Tonnerre, ayant fait les mêmes demandes, obtint la même réponse et, l'équipage ayant été embarqué dans les canots, on vit peu après le feu mis à bord.

À cinq heures trois quarts, un quatrième vaisseau et plusieurs bâtiments de transport anglais appareillèrent de la rade des Basques et firent route pour le mouillage de l'île d'Aix ; ils furent suivis par deux autres vaisseaux et quelques corvettes. Malgré le feu soutenu des soutiens de l'île d'Aix et d'Oléron, ils entrèrent et vinrent mouiller en dedans.

À sept heures du soir, les quatre vaisseaux anglais et trois frégates mirent sous voiles et rallièrent le gros de leur escadre en rade des Basques. À sept heures et demie, le brick Eneas vint s'échouer à côte S. E. de l'île d'Aix. C'était une machine infernale, dont nous aurons à parler et qui constituait une entreprise plus abominable encore.

Le Tonnerre et le Calcutta avaient fait explosion entre six heures et demie et sept heures.

La nuit de 12 au 13 se passa en manœuvres contre les brûlots lancés contre ce qui subsistait encore de notre flotte. À trois heures et demie du matin, l'incendie était allumé par l'ennemi à bord de l'Aquilon et de la Ville-de-Varsovie.

[Le 13.]

Le 13, à cinq heures du matin, on comptait au mouillage, près Boyard, quatre vaisseaux anglais — Revenge, Valiant, Theseus et un autre ; — six frégates — Impérieuse, Emerald, etc. ; — quelques corvettes et des transports. De notre côté, l'Océan restait échoué dans l'O. ¼ N. O. de Fouras et au S. ¼ S. E. de l'île d'Aix, présentant la poupe au N. O. ; le Foudroyant était à deux encablures du vaisseau-amiral dans la direction du bossoir de tribord, le Régulus à une encablure sous le bossoir de bâbord, le Patriote à trois encablures tribord, par le travers de l'Océan, vers l'avant, et la frégate l'Indienne par le travers bâbord, près de la côte de Fouras. Les autres bâtiments étaient plus avant dans la Charente.

À neuf heures et quelques minutes, six canonnières mâtées en bricks, une bombarde à trois mâts, un cutter et une goélette-bombarde ennemis appareillèrent de la rade de l'île d'Aix, vinrent s'embosser à portée de canon derrière l'Océan et commencèrent à tirer à dix heures. Le vaisseau riposta de ses canons de retraite des trois batteries ; le Régulus et l'Indienne joignirent aux feux de l'amiral ceux de leurs pièces de retraite, les seules dont ils pussent se servir. Après six heures de canonnade, nos coups bien dirigés forcèrent une canonnière ennemie à s'éloigner et, peu après, les autres assaillants se virent obligés de reculer devant notre tir et retournèrent au mouillage des Palles, en ayant soin de se placer hors de portée des forts des îles d'Aix, d'Oléron et Madame.

Comme on avait tout lieu de penser que les cinq bâtiments marchands qui accompagnaient la division mouillée sur les Palles n'étaient autre chose que des brûlots destinés à agir contre nos vaisseaux dans une nouvelle attaque de nuit et à la faveur du flot et d'une forte brise d'O. N. O. qui régnait alors, l'amiral ordonna l'armement d'une flottille composée de tous les canots de l'escadre, bien armés, sous le commandement du capitaine de frégate Marchand. Formée en trois sections, la flottille devait se porter au-devant de l'ennemi, s'il approchait, enlever les brûlots et, même, donner l'abordage aux bombardes si les canonnières qui les protégeaient en étaient assez écartées. Cette éventualité ne se réalisa pas.

[Le 14.]

Le 14. — Le Patriote est parvenu à entrer en rivière la nuit précédente. L'Océan est encore échoué, ainsi que les autres ; des forces anglaises (2 frégates, 1 bombarde à trois mâts, 14 bricks et 2 goélettes) sont mouillées en rade de l'île d'Aix, entre les Palles, la tête du Boyard et l'île d'Oléron ; le reste est en rade des Basques. Entre midi et midi et demi, deux frégates s'en détachent pour rejoindre le groupe ancré près des Palles.

À trois heures, le vaisseau-amiral réussit à se tirer des vases, et à trois heures et demie, il jette l'ancre en pleine rivière, au Port-des Barques, où s'était rendu, dans la nuit, la frégate l'Hortense.

À quatre heures, la bombarde et trois canonnières ennemies de la rade de l'île d'Aix viennent prendre position derrière le Régulus et le Foudroyant toujours échoués et leur lancent des bombes jusqu'à huit heures du soir. L'amiral se rend à bord de ces deux vaisseaux et commande lui-même la flottille de canots armés, qui croise toute la nuit du 14 au 15 entre l'ennemi et les bâtiments échoués.

[Le 15.]

Le 15 avril, le vaisseau-amiral l'Océan est au Port-des-Barques ; le Patriote, le Jemmapes, les frégates Pallas, Hortense et Elbe sont plus avant dans la rivière, près du Vergeroux ; le Régulus, le Foudroyant, le Cassard, le Tourville restent échoués à la côte de Fouras. Le Jemmapes et les trois frégates ont profité de la marée, à trois heures et demie après-midi, pour entrer. À cinq heures le Cassard est entré en rivière pour aller mouiller par le travers du fort Lupin. Dans la journée, des embarcations du port sont arrivées à l'escadre, ainsi que plusieurs allèges, apportant des câbles et des ancres.

Les forces de l'ennemi en dedans de la rade de l'île d'Aix consistent en six frégates, six canonnières, un cutter, un goélette, une bombarde à trois mâts et quelques bâtiments marchands armés en bricks. Le gros de la flotte est toujours en rade des Basques.

[Le 16.]

Le 16, à neuf heures du matin, la frégate l'Indienne, demeurée sur les vases de Fouras, coupe sa mâture. À neuf heures et demie le feu est mis à bord. Dans la matinée, deux des canonnières ennemies quittent la division mouillée près des Palles et rallient la flotte en rade des Basques.

Les vaisseaux Océan, Jemmapes, Cassard, Patriote, et les frégates Pallas, Hortense et Elbe sont mouillés en rivière ; les vaisseaux Foudroyant, Tourville et Régulus n'ont pas se relever de l'échouage.

Pendant la nuit du 16 au 17, la flotte anglaise a fait quelques mouvements et le 17, au point du jour, seize bâtiments ennemis sont près des Palles ; à neuf heures trois quarts un brick et un cutter s'en détachent et font route pour la rade des Basques. À onze heures et demie on voit les Anglais incendier l'épave du Jean-Bart, naufragé antérieurement à l'événement du 11.

[Le 17.]

Le 17, à midi, on compte quatorze bâtiments anglais — frégates, canonnières, bombardes, etc., — mouillés près des Palles.

À une heure, l'amiral monte à bord des vaisseaux encore échoués pour aviser aux moyens de les remettre à flot et de les faire entrer en rivière.

À quatre heures et demie, le Tourville est paré, met à la voile et donne en rivière ; il va mouiller un peu plus bas que le canal de Charras. À six heures un quart, le Foudroyant peut appareiller pour se mettre dans le chenal, mais il s'échoué de nouveau sur La Mouclière, qui amortissent le coup.

[Le 18.]

Le 18, à onze heures trois quarts du matin, l'amiral se rend à bord du Régulus pour faire disposer les apparaux nécessaires pour tirer ce vaisseau de la côte.


Là s'arrête le carnet des «signaux et mouvements fait dans les journées du 10 au 17 avril 1809», établi par la majorité de l'escadre et dont la copie a été remise au rapporteur près le Conseil de guerre, certifiée conforme par le capitaine de frégate Pesron, adjudant de l'escadre. Cette pièce a été cotée sous le nº 50 au dossier de l'affaire.

Ce document, sommaire et très incomplet, demande à être éclairé par d'autres éléments, puisés aux journaux de bord, rapports, procès-verbaux, etc., et aux débats du Conseil de guerre.

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Mort du capitaine de vaisseau Maingon, commandant l'Aquilon.

Il avait amené son pavillon et le vaisseau avait été amariné par les embarcations de la frégate anglaise l'Impérieuse, commandée par Cochrane, et par un or deux bricks. On mit le feu au vaisseau et les prisonniers furent conduits à bord de l'Impérieuse.

Maingon était très affecté de n'avoir sauvé aucun de ses effets ; Cochrane lui offrit de le conduire lui-même, par son propre canot, à bord du vaisseau, qui n'était pas assez embrasé pour qu'on ne pût essayer de sauver les malles du commandant. Ils y allèrent effectivement tous deux ; mais, en revenant, un boulet parti d'un des vaisseaux enflammés atteignit le canot de Cochrane, et des éclats de bois blessèrent au ventre Maingon, qui ne survécut que quelques heures. Cochrane lui fit rendre les honneurs militaires et promit de renvoyer sa croix de la Légion d'honneur. (1)

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Procès-verbal constatant la perte du vaisseau de S. M. le Calcutta.

«Aujourd'hui, 13 avril 1809, nous, capitaine de vaisseau commandant celui de S. M., le Calcutta, officiers et maîtres chargés, nous sommes réunis extraordinairement, à Rochefort, à l'effet de faire connaître les causes et circonstances qui ont occasionné la perte du vaisseau qui nous était confié.

«Le 11 avril, vers les six heures du soir, les vents de la partie du N. N. O., bon frais, le Calcutta, mouillé à la tète de la première ligne d'embossage de l'escadre de S. M. en rade de l'île d'Aix, les mâts de perroquet dépassés, les mâts de hune calés et les basses vergues hissées, aperçut une frégate anglaise qui vint mouiller à portée et demie de canon en dehors de l'estacade ; aussitôt on se disposa pour le combat et à neuf heures, la nuit très obscure, les vents de la même partie, nous entendîmes à peu de distance du vaisseau l'explosion d'un artifice. Immédiatement nous découvrîmes plusieurs brûlots dirigés sur l'armée ; vers les dix heures et demie, trois de ces brûlots, par la direction des courants, allaient infailliblement tomber sur nous lorsque nous parvînmes, par le feu de notre artillerie, à en couler un et à éviter les deux autres en coupant notre câble de N. O. Vers les onze heures, plusieurs se dirigeant encore sur le vaisseau, nous armâmes nos embarcations afin de les détourner, et n'ayant pu y parvenir par la rapidité des courants, nous fûmes contraints de couper le câble de S. E., ce qui nous fit abattre sur bâbord ; le peu de voilure que nous pûmes orienter ne nous permit pas d'éviter suffisamment pour courir sur l'entrée de la rivière ; nous fûmes donc contraints, pour éviter d'aborder l'armée qui se trouvait alors sans ordre, entourée par trente-cinq brûlots, d'échouer vers minuit sur la pointe sud des Palles, où nous laissâmes tomber l'ancre de bâbord afin d'attendre la pleine mer. A une heure, la marée étale, nous appareillâmes pour chercher à rentre dans le fond de la baie, mais les vents variables de la partie du N. au N. E. nous portèrent davantage sur le haut-fond des Palles, où il ne restait que onze pieds d'eau à basse mer. Le reste de la nuit nous travaillâmes à alléger le vaisseau en défonçant nos pièces à eau et jetant à la mer le lest volant. A six heures du matin, le général fit signal qu'il laissait chaque commandant des vaisseaux de l'escadre libre de sa manœuvre pour la sûreté de son vaisseau. A dix heures nous portâmes une ancre à jet dans le N. N. O. avec le plus grand espoir de retirer le vaisseau à la marée suivante ; mais malheureusement, au moment où nous avions commencé à virer sur cette ancre, deux frégates anglaises et deux bombardes vinrent mouiller dans l'O. N. O., à une demi-portée de canon, qui nous criblèrent du feu de toute leur artillerie. Malgré la position désavantageuse du Calcutta et l'infériorité de son équipage, dont le nombre ne s'élevait qu'à deux cent trente environ, nous ripostâmes avec toute la valeur qui caractérise de braves marins entièrement dévoués à leur maître, l'Empereur et Roi. Vers trois heures, deux autres vaisseaux ennemis vinrent se placer dans le N. O., à la même distance, et dirigèrent la plus grande partie de leur feu sur le Calcutta. L'avantage de notre batterie barbette a préservé l'équipage des effets dangereux d'un feu aussi nourri et le nombre des blessés ne s'est élevé qu'à douze. Vers quatre heures enfin, malgré toute la résistance que nous opposâmes à un ennemi aussi supérieur, après avoir reconnu toute l'impossibilité de sauver le vaisseau, nous décidâmes de abandonner ; ce mouvement fut exécuté après y avoir mis le feu, et le commandant se rendit à bord du V. A. Allemand, qui le renvoya ainsi que tout son équipage aux ordres du préfet maritime à Rochefort.

«En foi de quoi nous avons dressé le présent, à Rochefort les jour, mois et an que dessus.

Signé : de Belloy, lieutenant de vaisseau ; Sergent, premier lieutenant en pied ; Quesnel, aspirant ; Ganne, enseigne de vaisseau ; Treguilli, enseigne de vaisseau ; Conaug, capitaine d'armes ; Mauchy, maître d'équipage ; Bourdin, enseigne de vaisseau ; Jacques Bouron, pilote ; Laubert, agent comptable; Ch. Guyon, maître-voilier ; Rehault, aspirant ; Nantial, aspirant ; Bouffier, aspirant ; Dumolin, maître-charpentier ; Maquet, aspirant ; Charlon, 2e chef de timonerie, faisant fonctions de chef ; Rebour, aspirant.

«Vu par le commandant : LAFON.»

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Rapport extrait du journal du capitaine de vaisseau Proteau, commandant
la frégate l'
Indienne sur les événements du 11 au 16 avril 1809.

[Le 11 avril.]

«Le 11, les vents au N. O., grand frais, le temps à grains et à la pluie, il y eut à cinq heures du soir un mouvement dans les frégates, bâtiments légers et transports de l'ennemi. Je relevais la frégate la plus près au N. O. à portée et demie de canon de l'estacade ; elle était accompagnée de deux chasse-marées, d'un 3e bâtiment très ras d'eau, à un seul mât de l'avant. Les autres frégates et bricks me parurent se relever sur un ligne N. E. et S. O., la frégate la plus au N. E. débordant la pointe N. de l'île d'Aix.

«L'amiral signala, à cinq heures et demie, la manœuvre indépendante aux frégates. Je calai les mâts de perroquet. Il signala en même temps à une division de canots de se porter à des heures indiquées à l'estacade. La frégate encore évitée de jusant, le travers au vent, le cap au S. O., je fis frapper par tribord un grelin très fort me servir d'embossure. Il fut embraqué afin de me tenir ainsi entraversé, présentant mon feu de tribord à ce qui paraîtrait à l'estacade. La force de la mer et du vent détruisirent cette disposition, d'autant meilleure que j'étais favorablement évité pour ne point tomber sur l'armée, en cas que je fusse contraint d'appareiller. L'ancre de N. O. consentit à l'effort du grelin. Je restai évité debout au vent.

«J'étais dans cette position, à trois encablures et demie de mon escadre, l'amiral dans dans mes eaux, lorsque nous distinguâmes, à neuf heures et demie, sous notre bossoir de tribord, un corps flottant à l'estacade. L'explosion s'en fit tout à coup et vomit quantité de fusées artificielles, grenades et obus, qui éclatèrent en l'air, sans nous faire le moindre mal, et cependant nous n'en étions qu'à une demie-encablure. A neuf heures quarante, l'officier du gaillard d'avant m'averti que deux autres brûlots étaient encore retenus sous notre beaupré par l'estacade. Ils sautèrent et firent encore un plus grand et plus horrible effet que le premier. La frégate fut couverte d'une pluie de feu. Cette explosion m'éclaira plusieurs bricks et trois-mâts qui venaient en ralingue, en abordant l'estacade.

«Je ne fis encore aucun mouvement pour ma retraite, dans la détermination de tenir ferme jusqu'à la dernière extrémité. Le vent et le flot me firent prendre un mauvais évitage, qui me portait rapidement sur l'escadre qu'il m'était difficile d'aborder.

«A neuf heures trois quarts, des brûlots enflammés et sous voiles forcent l'estacade, se dirigent tribord et bâbord sur la frégate ; l'estacade tire sur eux, les boulets me passent dans les mâts. Je file alors le câble de N. O., je viens à l'appel du S. E. Cette manœuvre ne me met pas à l'abri des brûlots qui se croisent sous mon beaupré. Au moment d'en être abordé, je coupe le câble du S. E. En abattant sur tribord, j'envoyai de bâbord plusieurs volées aux brûlots. J'allais aborder le Varsovie, je l'évite ; je range le Foudroyant, passe à poupe du Tonnerre, en carguant mes huniers pour prendre mouillage en dedans des lignes, dans les eaux du général dont je ne voulais pas m'éloigner. Comme je faisais cette manœuvre, je fus obligé de faire une nouvelle arrivée pour éviter un brûlot qui avait traversé les lignes. Je vis l'Océan abordé d'un brûlot, plusieurs vaisseaux sur le point de l'être et appareillant, le vaisseau l'Océan lui-même hissant son grand foc. Je mis la route au S. E. sous le grand foc et le petit hunier cargué. Comme je faisais du sillage et que je voulais observer l'amiral, je revins plusieurs fois en travers pour ne pas m'en écarter. La rade fut couverte de vingt-cinq brûlots de toute grandeur, lançant des pétards, des fusées incendiaires, tirant des coups de canon et de caronade. Un à trois mâts, de la force d'une grande frégate, n'offrant à la vue qu'un brasier ardent jusqu'à sa flottaison venait sur moi, porté par le courant et le vent. J'avais placé un officier à la sonde, l'enseigne de vaisseau Aubriette ; il m'avertit de trois brasses et demie. Je laisserai arriver, la frégate s'arrêta ; le brûlot m'approchant toujours, je conservai de la voile pour franchir ; les vases étaient si molles qu'elle y flottait et qu'elle ne pouvait plus dessouiller sans allégir. Je fis jeter partie de la batterie à la mer. Cette opération fut longue et difficile. La frégate-brûlot n'était plus de mon arrière qu'à la portée du pistolet. En allégissant je m'en écartai de trois encablures. Elle me rangea par tribord et je parai. Je n'avais pas la liberté de mon gouvernail, les vases empêchaient son action ; de sorte que pour aller de l'avant par l'impulsion du vent, je ne pus pour cela arriver. Il était alors minuit.

«Trois brûlots lancés alors par le passage d'Enet, dans le N. de l'île d'Aix, m'éclairèrent sur ma position. J'avais cette petit île par la hanche de bâbord et je me trouvai échoué sur les vases de la pointe de l'Aiguille. Un de ces brûlots consuma sur Enet. Un second vint sur moi ; je disposai des espars et une embarcation pour le détourner ; il me passa à dix toises de l'arrière ; le troisième fut arrêta sur les récifs de l'Aiguille.

«Étant à la fin du flot, je me mis en mesure d'assurer la gîte de la frégate du côté de terre. Je mis sur bâbord ce que j'avais de canons ; je calai mes mâts d'hunes, disposai mes basses vergues pour béquiller s'il en était nécessaire. La frégate étant bien en souille, je fis haler la batterie en dedans, sur la ligne longitudinale, pour ne point fatiguer. Je m'occupai de m'allégir en pompant l'eau des pièces afin d'être à même, à la marée suivante, de me déséchouer.

[Le 12.]

«Le 12 au matin je vis, à mon grand étonnement et satisfaction, que toute l'escadre avait heureusement échappé à un incendie qui paraissait inévitable. Des brûlots avaient été entraînés par la marée jusqu'à la fontaine Lupin ; les autres brûlaient encore sur les vases de Fouras, du Port-des-Barques et des Palles. Telle était la position des différents bâtiments :

«La Pallas sur les vases du Port-des-Barques, l'Elbe et l'Hortense sur les Fontenelles. Les vaisseaux le Tourville, le Patriote et le Tonnerre, sur une même ligne, sur les Palles. Le vaisseau le Calcutta sur l'extrémité des Palles, près du Jean-Bart, avec les vaisseaux le Régulus et le Jemmapes. Le Varsovie et l'Aquilon étaient échoués sur Charenton. L'Océan à l'O. de nous, à demi-lieue sur le bord du chenal. Le Foudroyant et le Cassard seuls à flot sur la rade de l'île d'Aix.

«Dépourvu de grelins, d'aussières et d'une de nos ancres à jet, sans chaloupe pour porter dans le S. O., par derrière, une ancre de bossoir afin de me retirer par cette partie que je remarquai, de basse mer, être la plus plate et dont je m'assurai encore par la sonde, je me servis du seul grelin et de l'ancre à jet qui me restaient, dont j'augmentai les touées par des guinderesses et autres funins de rechange, que je prolongeai et que j'embraquai. Au coup de pleine mer je fis virer de force sur le grelin ; j'entraînai l'ancre à jet.

«Le vent avait considérablement tombé, de sorte que la marée ne rapporta pas autant que la veille où elle fut visiblement refoulée. Je ne pus sortir de ma souille.

«A midi, une forte frégate anglaise, un brick, une bombarde à trois mâts entrèrent en rade de l'île d'Aix. Ils furent bientôt suivis d'autres frégates et bricks. La bombarde et la grosse frégate dirigèrent leur feu sur le Calcutta, le Varsovie et l'Aquilon ; les autres bâtiments prirent embossure au fur et à mesure qu'ils arrivaient, de manière à tenir ces vaisseaux dans des positions désavantageuses. Sur les deux heures, ces bâtiments légers furent soutenus par trois vaisseaux qui vinrent plus en dedans. Le Calcutta riposta quelque temps ; le Varsovie et l'Aquilon, n'étant pas favorablement échoués, ne purent le faire. Ils étaient écrasés par le feu de l'ennemi. A quatre heures nous vîmes le vaisseau le Calcutta amener ; l'Aquilon demanda à évacuer. Nous vîmes, à cinq heures, des canots anglais communiquer avec lui et le Varsovie.

«N'ayant pu réussir à la marée, faute d'être suffisamment allégi, j'envoyai un officier à Fouras, M. Aubriette, prendre toutes les allèges qu'il trouverait. L'officier d'artillerie. M. Gard, fut au fort de l'Aiguille demander à ce que j'y entreposasse mes poudres. Ma demande fut refusée. Comme j'avais vidé tout ce qu'il était possible de l'avant, que les pièces d'artilleries, au nombre de quatorze, halées dans cette partie, ne pouvaient mettre en différence, ayant encore tout l'arrière plein de biscuit, de légumes, de vin de campagne, de farines et autres objets, je jetai partie de mes poudres à la mer. Je pompai le vin ; je tirai le lest en fer placé sous la soute aux poudres sur le talon. Je débarquai quelques effets dans deux petites embarcations qui me vinrent de Fouras, et que je ne revis plus depuis quoique j'en eusse sollicité officiellement le renvoi de M. le syndic et de toutes celles qu'il pourrait m'expédier.

«Cette mesure m'était impérieusement commandée, d'abord par ma position, la détermination qu'annonçait l'ennemi de poursuivre son succès (la destruction de l'escadre par ses bombardes et brûlots) et, conséquemment, pour le salut de la frégate de S. M., dont j'étais résolu de faire le sacrifice à l'honneur du pavillon plutôt que d'en laisser l'avantage à l'ennemi. Le général avait rendu la manœuvre indépendante aux capitaines pour le salut de leur bâtiments.

«A six heures, je vis le vaisseau le Tonnerre, qui, démâté de ses mâts depuis le matin, les pompes n'ayant pu franchir, prendre feu, le pavillon français battant sur poupe. A sept heures et demie, il sauta. Le vaisseau le Calcutta, auquel les Anglais mirent le feu, sauta à neuf heures.

«Dans l'après-midi je m'occupai à faire empeneller mon ancre à jet d'un canon de huit. Je parai une trouée de cent cinquante brasses dans la même direction pour la marée de la nuit. J'eus la chance malheureuse de voir les vents passer à l'O. et au S. O.

[Le 13.]

«Le 13, à deux heures du matin, à mer étale, je réussis à culer d'une demi-longueur de frégate, mais en même temps la devant évita plus à terre. Des ajuts manquèrent et contrarièrent mon mouvement. Le jusant vint, et je n'obtins que ce petit avantage. A trois heures l'ennemi mit le feu à l'Aquilon et au Varsovie. Dans les premiers moments, je les crus brûlots. Je présume même qu'ils eurent cette destination par l'ennemi, car ils me semblèrent approcher l'Océan, qui tira sur eux plusieurs coups de canon. J'avais moi-même quatre canons placés en retraite pour repousser toute attaque.

«J'écrivis, au jour, ma position à l'amiral ; je réclamai des secours d'amarres et d'une chaloupe. J'avais lieu d'espérer qu'on avait reçu du port de Rochefort tous ceux qui pouvaient contribuer à assurer le sort de l'escadre. Le mien ne dépendait que d'un seul objet de ma demande. L'officier me rapporta qu'il était de toute impossibilité de me l'accorder, qu'on en attendait, que s'ils arrivaient ils me seraient immédiatement expédiés.

«Dans cette cruelle alternative, je me concentrai dans mes propres ressources. Je m'occupai de la construction d'un raz qui, en cas de calme, pût à la remorque de mes canots porter mon ancre de bossoir et mon câble dans la direction où je la voulais placer. C'était le dernier expédient qui me restait pour soutenir l'effet de mon ancre à jet.

«Dès prime flot, six bricks-canonniers de fort calibre, une bombarde à trois mâts, une goélette et deux cutters lançant des obus incendiaires s'approchèrent des vaisseaux l'Océan, le Regulus et de la frégate l'Indienne. Ces vaisseaux et cette frégate ne pouvait opposer que leurs canons de retraite. A dix heures commença l'action : l'Océan et l'Indienne furent vivement canonnés jusqu'à trois heures et demie ; à quatre heures, l'Océan et le Régulus reçurent des bombes. Pendant l'engagement, j'envoyai demander des munitions au général, dans la crainte d'en manquer. Le vaisseau le Régulus m'envoya cent gargousses de dix-huit et autant de boulets. J'étais résolu de combattre tant que je ne verrais pas le sort de ma frégate inévitablement exposé. A une heure il vint un sous-adjudant du général Gourdon me communiquer un ordre qui annonçait l'intention de l'amiral de demeurer dans la position où il était, de s'entraverser à l'ennemi, ainsi que les autres vaisseaux.

«A trois heures, au flot, continuant toujours un feu de retraite bien nourri sur l'ennemi, je fis virer sous le sien, afin de me mettre à flot et de présenter mon travers. J'avais encore quatorze canons en batterie, l'empenelure de l'ancre à jet ne put étaler l'effort du vent de S. O. qui soufflait bon frais, et je restai dans la même situation, ayant un peu chassé.

«Cette marée perdue, j'envoyai vers l'amiral, à cinq heures, un officier, M. Cot-Dordan, porteur d'une lettre dans laquelle j'entrais dans les détails de l'action de la journée que plusieurs boulets m'avaient donné à bord dans le gréement et la mâture. Le ton de misaine et la vergue furent coupés, ma poupe fut criblée ; deux hommes furent légèrement blessés et contusionnés, un contre-maître eut la cuisse emportée d'un boulet, on l'amputa sur-le-champ. Je mandais au général que je conservais toujours l'espérance de sauver mon bâtiment si on pouvait m'expédier dans la nuit une chaloupe et des amarres.

«Le vaisseau l'Océan ne put s'entraverser et continua de chenaler ; il rentra d'une demi-portée de canon. La flottille se retira sur l'île d'Aix, après avoir été très maltraitée. Deux bricks qui étaient sous le feu de la frégate furent près de trois quarts d'heure à se rétablir sans rien riposter, quoi qu'on continuât de tirer et que les boulets les dépassassent.

«Dans ma position, je me trouvais le bâtiment le plus éloigné et le plus isolé de l'escadre. N'ayant aucun secours à en espérer, réduit à mes propres moyens de défense, je donnai des ordres pour que l'équipage fit le quart sous les armes, réparti à divers quartiers de la frégate afin d'éviter toute surprise. Toute la nuit le vent souffla avec violence du S. O.

[Le 14.]

«Le 14, le vent par grains et à la pluie, nous vîmes, au jour, que le vaisseau l'Océan avait réussi à monter encore de quelques encablures en rivière, dans la marée de la nuit. La frégate fut violemment poussée par le vent ; elle fatigua beaucoup par la levée de la grosse mer ; cependant elle ne faisait pas d'eau. Je mouillai une ancre de bossoir au risque de me crever sur elle ; j'étais entre cette crainte et le danger des récifs, si elle allait plus avant.

«La frégate, en s'approchant de la côte, trouva un fond de vase plus dure ; elle inclina beaucoup au jusant, mais sans danger. Je fis dépasser le grand mât de hune, amener les basses vergues pour les mettre en béquilles, s'il y avait lieu ; je gardai le petit mât de hune et sa vergue, celui de perroquet de fouge et sa vergue en cas de chances qui se présentassent encore de me mettre en rivière.

«J'employai le temps à envoyer à terre ce que je pourrais des agrès et des voiles ; je fis bastinguer avec une partie du cordage l'arrière du mât d'artimon pour mieux garantir l'équipage d'une nouvelle attaque et je pris toutes les dispositions d'une résistance opiniâtre.

«L'officier, M. Cot-Dordan, que j'avais envoyé la veille à bord du général, ne put rejoindre la frégate que la matin en raison du mauvais temps de la nuit. Il me rapporta que le général ne pouvait disposer d'aucun secours des bâtiments en présence ; cependant il donna ensuite l'ordre pour que le vaisseau le Patriote, le plus avancé en rivière, m'envoyât sa chaloupe. L'officier y fut, y prit six barils de poudre. Il eut l'assurance du capitaine qu'il me l'enverrait dès qu'elle serait à bord. M. Cot-Dordan la rencontra, fit part à l'officier qui y était de corvée, de l'ordre, mais il persista à retourner à son bord de venir à l'Indienne.

«L'escadrille, mouillée au nombre de deux frégates, deux bombardes, onze bricks, une goélette et un cutter en rade de l'île d'Aix, ne firent aucun mouvement au flot. A une heure elle fut renforcée par un bâtiment à trois mâts, que je crois bombarde, et un cutter.

«Réunissant des objets d'armement sur la pointe de l'Aiguille, je voulus assurer ma position. Conséquemment, je pris des dispositions pour avoir une batterie à terre. Je rendis l'officier d'artillerie, M. Gard, porteur de ma demande au commandant de Fouras pour me donner des pièces de position, moi-même je pris des mesures pour en mettre à terre, mais faute de machines pour les traîner et, de plus, la qualité du fond, je fus obligé de renoncer à ce dessein. A deux heures, M. Gard traîna sur le terrain deux pièces de campagne, à l'extrémité de la pointe de l'Aiguille, en avant du camp que j'établis à terre, où je mis une garde et partie de l'équipage. Il était fort abattu par les veilles, les travaux continuels et la terreur de la nuit du 11 au 12. J'avais conservé près de moi la portion d'élite capable de seconder mes efforts et ceux de mon état-major.

«Le vaisseau l'Océan, à cette marée, monta pour ainsi dire jusqu'à Lupin ; le Foudroyant et le Régulus ne purent dessouiller. La chaloupe du Patriote ne me vint pas.

«A quatre heures d'après-midi, une bombarde et cinq bricks s'avancèrent pour combattre le Régulus et l'Indienne. Dès qu'ils furent à portée, je fis tirer ; mais voyant que les boulets ne faisaient qu'expirer à leurs bords et qu'ils ne ripostaient pas, je cessai le feu ; la bombarde lança jusqu'à sept heures des bombes sur le Régulus et le Foudroyant. Ces bâtiments gardèrent leur position toute la nuit ; celle-ci fut mauvaise et venteuse du N. O. J'avais la moitié la plus dévouée de l'équipage à bord, l'autre moitié à terre ; tout était disposé à l'embrasement de la frégate s'il y avait urgence et après avoir épuisé tous les moyens de résistance. Les canonnières et la bombarde ne tentèrent et ne purent rien tenter ; elles appareillèrent à six heures du matin et allèrent prendre leur mouillage à l'entrée de la Seudre (?) (2)

[Le 15.]

«Le 15, à dix heures du matin, à marée basse, je descendis au camp pour voir cette position, jusqu'à quel point elle pouvait me mettre à l'abri d'un coup de main ; je m'assurai que rien n'était plus facile à la grande armée du large de faire filer par le N. de l'île d'Aix, sur cette partie, des péniches armées, et que ce mouvement concerté avec l'escadrille, exécuté de jour ou de nuit, mettrait la frégate dans un danger imminent, ainsi que la retraite d'une partie de l'équipage et le salut de l'autre. Les deux pièces de campagne étaient dans le plus mauvais état, le moindre tir les mettait hors de service ; il n'y avait que des boulets ronds, pas un paquet de mitraille ; le bivouac serait en cas d'attaque obligé de se replier sur Fouras ; le fort de l'Aiguille ne pouvait me protéger de son feu ; dans le moment nécessiteux je me trouverais embarrassé pour l'évacuation et l'embrasement de la frégate qui ne serait plus en ma faculté. A une heure, j'écrivis à l'amiral et au préfet ; j'entrai avec l'un et l'autre dans les détails de ma situation, des secours qu'il était encore temps de me donner ; j'espérais toujours. L'aspirant Lafosse fut porteur de ces deux lettres.

«A deux heures, le vent ayant molli, je raidis mon grelin. J'envoyai un officier, M. Laroque, à bord du Régulus, près duquel je voyais plusieurs embarcations et chaloupes, lui en demander une pour trois quarts d'heure. Ce vaisseau ne put se prêter à ma demande ; au fur et à mesure que la mer montait la frégate se relevait de sa forte inclinaison. Je l'aidai en jetant à la mer six canons de dix-huit que j'avais encore à bord. J'avais craint, un instant, que l'eau n'entrât par les sabords, j'eus bientôt la satisfaction de la voir entièrement droite. Mon contentement fut au comble lorsque je le vis flotter et s'agiter dans sa souille, le gouvernail prendre un peu de liberté ; elle cula de quatre-vingts brasses sur le grelin que je faisais virer avec force, elle arriva même de quelques degrés : je me croyais déjà la fortune favorable et sur le point de sauver ma frégate. J'envoyai de suite mes canots sur une touline pour la faire abattre ; je ne crus pas devoir hésiter dans mes mesures ; je me débarrassai de quelques caronades de trente-six et canons de dix-huit qui me restaient. Je n'étais pas encore au bout de ma touée, on virait toujours avec force et on traînait les quatre canons que je conservais pour la défense sur l'avant afin de mettre la frégate sans différence. L'espérance donna une singulière activité à tout ce travail, qui fut exécuté en un clin d'œil ; mais, soit l'inégalité du fond de ce platin qui s'étendait de quatre à cinq encablures jusqu'au chenal, soit sa mobilité que arrêtait le talon de la frégate quand son avant flottait, une fois rendue à long pic de l'ancre à jet, qui cette fois tint bon, elle ne put arriver davantage de ce qu'elle avait fait. Je demeurai avec la seule consolation de l'avoir tirée d'un fond dur.

«Sur les six heures du soir, il arriva deux péniches de la grande flotte à l'escadrille ; la frégate qui commandait fit des signaux, il y eut des mouvements de bord à bord ; tous ces bâtiments avaient des embarcations à la mer ; j'en vis plusieurs venir dans les débris de l'Aquilon et du Varsovie, dont elles étaient cachées. Je distinguai une embarcation raz d'eau, semblablement mâtée au catamaran qui fut dirigé contre l'estacade dans la nuit du 11 au 12 ; je crus voir des dispositions de brûlots ; je le signalai au général qui ne répondit pas à mon signal quoiqu'il demeurât longtemps arboré. Le temps obscur et brumeux et le déclin du jour pourraient être un obstacle à l'apercevoir : tout annonçait du mauvais temps. A neuf heures du soir, le vent commença à souffler avec force du S. O. ; des grains encore plus forts, au intervalle, accompagnés de pluie abondante, continuèrent.

[Le 16.]

«Le 16, toute la nuit, l'équipage fut sur pied, d'une grande vigilance jusqu'au jour. A la basse mer la frégate demeura droite et se fit une souille ; dès qu'elle commença à monter. Je fis ouvrir les robinets pour introduire l'eau dans la cale afin de l'asseoir dans sa souille. Cette précaution n'empêcha pas la violence du vent et la levée d'une mer affreuse de la dessouiller ; rien ne pu l'arrêter, elle fut de nouveau chassée sur le fond dur et de roches. En chassant, elle évita, le cap au N. N. O., élongeant la côte de la pointe de l'Aiguille, son flanc porté sur les roches de l'extrémité de la péninsule : je craignais emplir par les sabords à mi-jusant ; je fis établir les faux sabords. On pompait l'eau que j'avais fait introduire et celle qui s'y introduisait, mais on ne put franchir à deux pompes ; cependant la mer perdait déjà, la mâture menaçait de sa chute prochaine, elle arrachait les porte-haubans, les chaînes forçaient ; elle avait dépassé l'angle de 45° avec la verticale. La mâture craqua bientôt ; les marins réunis sur le côté étaient en danger d'être écrasés. Les baux, dans la cale, écartaient de cinq à six pouces de leurs serres, les courbes rompaient dans l'entrepont, les épontilles et les hiloires de la cale se déplaçaient et consentaient. Dans cette extrémité, je fis couper les haubans de misaine et du grand mât pour aider à la chute afin de ne point compromettre l'existence de l'équipage.

«Dans un tel état de détresse, ouï et vérifié les rapports des avaries, avant de donner mes derniers ordres j'ai cru devoir réunir le conseil des officiers et les premiers maîtres pour avoir leur opinion individuelle sur notre situation. Ils se sont tous réunis à leur même opinion, que la frégate était perdue sans ressources, que sa position sans défense en exigeait l'abandon. Sur cette déclaration, je leur ai ouvert mon avis que tant que j'aurais eu en l'espoir de sauver mon bâtiment et que notre courage eût pu le sauver et l'utiliser encore, je ne l'eusse jamais quitté qu'en cédant à la loi impérieuse de la force et de la nécessité, et alors j'y eusse mis le feu pour en tirer le mérite à l'ennemi, qui en possession de l'endroit où nous naufragions ne manquerait pas de l'y mettre lui-même, que ce serait une tache à l'honneur du pavillon et à notre conduite persévérante dans l'adversité, dont nous venions d'éprouver le comble ; que je regardais encore comme un triomphe sur les contrariétés sans nombre que j'avais essuyées la faculté de disposer du sort de la frégate : je m'arrêtai donc au parti de l'embraser. Tous me confirmèrent dans cette résolution. Je donnai les ordres ; il n'avait pas de temps à perdre pour évacuer. Le mauvais temps semblait redoubler. A neuf heures et demie du matin, j'arborai mon grand pavillon que j'appuyai d'un coup de canon. Le reste de mes poudres noyé, les canons que j'avais encore déchargés, je donnai l'ordre au maître canonnier, au maître charpentier et au contre-maître de la cale, que je gardai seuls à bord avec moi, de mettre le feu aux bûchers, en commençant par la cale et remontant dans l'entrepont ; il était alors dix heures. Je les fis aussitôt retirer du bord. J'y demeurai seul quelques minutes, attendant de voir sortir les flammes par les panneaux avant de descendre. La frégate acheva de consumer à deux heures. L'équipage en armes bordait la haie sur le rivage. J'envoyai ensuite chercher le syndic de Fouras pour lui remettre l'état des effets d'armement mis à terre afin qu'il en prît charge. Cet état lui fut remis par l'agent comptable, signé de moi. Les embarcations ne purent être sauvées, la tempête les brisa sur les rochers. A quatre heures et demie, je partis avec l'équipage pour Rochefort, laissant une arrière-garde pour l'enlèvement des effets. A neuf heures, je rendis compte moi-même à M. le Préfet et au chef militaire de mon arrivée et de l'événement qui en avait été cause. L'équipage fut caserné et j'eus l'ordre de le faire partir le 18 pour le Port-des-Barques ; j'eus celui de demeurer à Rochefort aux ordres de M. le V. A., préfet.

«Rochefort, le 17 avril 1809.

Signé : G. M. PROTEAU.»

«Nous, lieutenant, enseignes de vaisseau, officier d'artillerie, agent comptable, et chirurgien en chef composant l'état-major de la frégate l'Indienne, et premier maîtres, certifions la vérité et authenticité des faits contenus au présent rapport et avons signé :

«J. Laroque, Leclainche, V. Vincent, Dessoignes, J. R. Gard, B. Dozot, Laruffle, agent comptable ; Desparens, maître canonnier; Menard, maître charpentier ; pour le maître voilier Léguel ; Ménard-Bénard, capitaine d'armes ; Allain ; le pilote ne sachant signer a fait sa croix.»

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Extrait du Journal des événements qui se sont passés à bord du vaisseau le Tourville,
pendant les journées des 11, 12, 13, 14, 15, 16 et 17 avril 1809.

«Du 11 au 12 avril.

«Du 11 au 12 avril, grand frais de N. N. O., temps mauvais ; à la nuit, envoyé le grand canot et la chaloupe au bivouac, le nombre des bâtiments ennemis ayant beaucoup augmenté ; à huit heures et demie un brûlot envoyé par l'ennemi à fait son explosion sur l'estacade. Aussitôt l'amiral a fait le signal d'envoyer les canots et chaloupes pour détourner les brûlots ; à une heure trois quarts nous en avons aperçu plusieurs qui se dirigeaient sur nous en passant sur l'estacade (3) ; à neuf heures la frégate la Pallas a appareillé pour éviter une frégate-brûlot qui tombait sur elle ; la Pallas nous a abordé en cassant le tangon ; alors j'ai fait couper le câble de tribord pour éviter d'être incendié ; parmi la grande quantité de ces brûlots il y avait deux vaisseaux, six frégates et le restant de grands bâtiments ; toute l'armée en était entourée. A neuf heures et demie, le Régulus était accroché par un brûlot et tombait avec lui sur nous ; pour les éviter, j'ai fait couper le câble de bâbord et nous avons appareillé sous le petit foc et largué d'autres voiles en abattant sur bâbord ; nous gouvernions pour éviter les brûlots qui nous entouraient de tous côtés. A dix heures et demie nous touchions ; le vaisseau-amiral a été abordé et accroché par un brûlot qui, après beaucoup d'efforts, a été éloigné et nous a passé très près. M. Calloche, le capitaine de frégate du Tourville, et plusieurs officiers se sont mis dans nos canots et ont fait tout ce qui a été possible pour détourner tous ceux qui nous entouraient, ainsi que les autres vaisseaux ; leurs efforts et leur zèle ont été inutiles, le vent, les courants et ces brûlots étant trop forts. J'ai fait défoncer les barils de poudre pour les noyer plus promptement par une manche que j'ai fait passer par les soutes, dans le cas où le feu serait à bord. A onze heures, les brûlots étaient éloignés et dépassés de nos vaisseaux. A la mer haute, sondé et trouvé fond à vingt pieds ; nous avons fait élonger une ancre à jet dans la mer pour nous retirer du danger. A trois heures trois quarts sondé de nouveau : dix-sept pieds et demi des deux bords ; il y avait quinze brûlots enflammés qui ne nous inquiétaient plus ; à cinq heures et demie, élongé de nouveau un grelin, pour nous mettre à flot ; à six heures et demie, un pilote nous est arrivé ; nous avons vidé des pièces ; à onze heures, le grand mât du Tonnerre a été coupé ; à la même heure les vaisseaux qui donnaient de la bande ont dressé ; à onze heures et demie, trouvé fond à 16 pieds devant et derrière. Continuant toujours à vider nos pièces, le pilote nous disant qu'il doutait que le vaisseau sorte de cette place, nous avons élongé une grande ancre pour avoir plus de force.

«Du 12 au 13.

«A une heure et demie, plusieurs frégates ennemies sont venues mouiller près les vaisseaux la Ville-de-Varsovie, le Calcutta et l'Aquilon, qui étaient échoués, donnant une forte bande et présentant la poupe à l'ennemi qui les a canonnés ; à cette dite heure, nous avons sondé et trouvé AR. 19 pieds, AV. 20 pieds ; nous avons appareillé sans pouvoir changer de place ; nous avons jeté à la mer boulets et canons de dix-huit ; nous avons envoyé à bord de la Ville-de-Varsovie, d'après l'ordre du général, nos embarcations ; peu après un vaisseau ennemi a donné du renfort aux frégates ; à trois heures et demie, le Calcutta a amené ; à quatre heures et demie, la Ville-de-Varsovie en a fait autant et, à cinq heures, l'Aquilon. A cinq heures il a paru de la fumée à bord du Calcutta et à cinq heures trois quarts l'explosion s'est faite ; à la même heure nous nous sommes aperçus que le Tonnerre et le Patriote évacuaient leurs équipages ; ayant trouvé convenable de nous débarrasser des hommes inutiles dans le combat et à la manœuvre, j'ai fait mettre à terre les mousses, novices et hommes faibles et j'ai gardé à bord les maîtres, matelots, les homme forts et la garnison, ces hommes étant suffisants pour combattre et pour manœuvrer, ainsi que pour écarter les brûlots, s'il en arrivait ; il en paraissait alors plusieurs placés au vent. Au soir, nous avons reçu l'ordre de l'amiral de lui envoyer nos embarcations ; je lui en ai expédié trois. A la même heure, le feu a paru à bord du Tonnerre et l'explosion s'est faite à sept heures ; le pilote côtier, voyant l'impossibilité de sauver le vaisseau, est parti sans me rien dire. A la marée de nuit, nous avons viré sur les amarres élongées pour mettre le vaisseau à flot, sans pouvoir réussir. A deux heures et demie on m'a prévenu qu'il y avait près de nous et au vent deux brûlots et qu'il y en avait aussi plusieurs à la voile : j'ai vu l'amiral tirer plusieurs coups de canon dessus. Alors voyant qu'il était inutile de prétendre détourner des bâtiments de cette force avec deux embarcations et ne pouvant aussi en éloigner le vaisseau, étant pleinement échoué et craignant d'être accroché et que la confusion empêche d'évacuer, je fis débarquer tout le monde et moi le dernier, avec la résolution de revenir de suite si le vaisseau était préservé, le vent alors gros frais de N., le temps à grains, et deux heures après nous étions à bord, de retour avec le même pilote, qui s'est trouvé sur la jetée du Port-des-Barques, et qui me dit qu'il croyait mettre le vaisseau à flot à cause de la force du vent qui gonflait l'eau. Nous avons travaillé à lever l'ancre et à en élonger d'autres. A dix heures et demie, plusieurs bombardes et autres bâtiments se sont approchés de l'Océan et du Tourville pour nous combattre : l'amiral a vivement riposté et nous les avons aussi canonnés.

«Du 13 au 14.

«Le temps étant le même, bon frais, l'ennemi tirant toujours sur nous et sur notre amiral, à quatre heures il s'est éloigné. A minuit et demie, le temps couvert, bonne brise du N. O., nous avons mis sous voiles. A deux heures et demie nous étions parés ; mais le pilote nous a échoué de nouveau de l'autre côté du chenal près Fouras, à côté de la carcasse d'un brûlot. A six heures, nous étions de quinze pouces dans la vase ; l'amiral a mis sous voiles et nous avons travaillé pour nous mettre à flot, sans réussir. A trois heures et demie, l'ennemi a lancé des brûlots sur le Foudroyant, le Jemmapes et le Régulus : ces vaisseaux ont tiré des coups de canon dessus. A deux heures et demie, le Jemmapes a monté la rivière ; à six heures du matin, nous avons pris quatre-vingt-quinze hommes du vaisseau le Régulus, continuant à nous alléger en vidant l'eau et en jetant la drome à la mer, le vent nous contrariant beaucoup pour élonger les touées.

«Du 15 au 16.

«Mêmes temps et vent ; travaillant toujours à nous mettre dans le chenal et toujours contrariés par le vent. A quatre heures, le Cassard est entré en rivière, le vent alors extrêmement fort ; dans la nuit il a beaucoup diminué. Il nous est arrivé un officier de port. Nous avons été à flot à la marée du matin. Au jour, l'ennemi a mis le feu au Jean-Bart. Dans la matinée, guindé les mâts de hunes et les basses vergues.

«Du 16 au 17.

«Petite brise de O. S. O. A la marée, nous étions à flot : nous avons appareillé en coupant le câble et le grelin. A quatre heures et demie, nous étions sous voiles et faisons route pour la rivière. A cinq heures et demie, nous avons mouillé à la pointe du Vergeroux, avec une ancre de bossoir. Le Foudroyant a aussi paré et a mouillé un peu plus bas que le Port-des-Barques.

«A bord du Tourville, en rivière de Rochefort, le 18 avril 1809.

Signé : LACAILLE.

«Vu par nous, vice-amiral,

Signé : ALLEMAND.»

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Procès-verbal de la perte du vaisseau le Tonnerre, commandé par
M. Clément de la Roncière, capitaine de vaisseau.

«Le 11 avril, à cinq heures et demie du soir, les vents au O. N. O., variables, l'horizon chargé, plusieurs frégates ennemies paraissaient remorquer des bâtiments de différents grandeurs ; l'une vint mouiller à l'accore de Boyard, dans la partie du N. A sept heures et demie, l'amiral signala le bivouac à l'estacade aux 5e et 4e divisions des bateaux. A huit heures, ordre aux susdites divisions de crocher et détourner les brûlots. Vers neuf heures un quart, l'explosion du premier eut lieu et fut suivie de plusieurs autres qui se dirigèrent sur le centre des deux lignes de l'escadre. L'Océan, abattant sur tribord pour les éviter, menaçait d'aborder le Tonnerre. Ce dernier, empresse d'imiter sa manœuvre sous le premier rapport et d'en prévenir l'effet quant au second, coupa son câble du N. O.

«Le Patriote, également embarrassé, tomba en grand, dans son évolution, en travers sur le second. Pour dégager l'un et l'autre d'eux-mêmes et d'un brûlot enflammé qui n'en était qu'à longueur d'espare, le câble du S. E. fut filé par le bout pendant qu'on coupait les manœuvres dormantes et courantes. Il en résulta la perte du bout-dehors de beaupré, de la civadière, vergue et voile ; l'instant d'après l'escadre était entourée de bâtiments en feu. L'Océan, en manœuvrant pour éviter ceux qui le menaçaient, aborda en hanche le vaisseau le Tonnerre et le força par cela même à abattre sur tribord : la dérive qui s'en suivit nécessairement fit échouer le vaisseau sur les Palles, le cap au Sud. La chaloupe ni nos embarcations n'étaient de retour de l'expédition de l'estacade, ce qui privait du moyen de se louer au vent, qui jetait d'autant plus dans le sens contraire que la lame grossissait.

«Il fut essayé, au moyen des voiles restantes, d'abattre sur bâbord, pour s'élever au N. E. Nous allégeâmes en même temps de trente-cinq tonneaux d'eau pour tâcher de nous dégager avant la pleine mer ; ce moyen devint inutile, le vent avait d'ailleurs pris du Nord.

«Vers une heure du matin, plein mer, nous avions vingt pieds et demi d'eau, fond de roche. A une heure et demie, les coups de talon furent très fréquents et très violents. L'ordre fut donné d'alléger des batteries ; ce qui emporta beaucoup de temps parce qu'on fut obligé de jeter les canons par les premier sabords de la sainte-barbe, ne pouvant réussir par ceux de retraite. A quatre heures et demie, le mât de perroquet de fougue fut calé ; à cinq heures, les basses vergues amenées et mises en béquilles. A sept heures et demie, il restait sept pieds et demi d'eau à côté du vaisseau, tout à fait à la bande sur tribord. La chaloupe était arrivée ; elle servit à porter une ancre à jet à la longueur de deux grelins dans le N. E., ensuite une ancre de bossoir à une forte encablure dans la même partie : tout fut mis en œuvre comme disposition préparatoire pour pouvoir se haler à la mer haute. Le lest en fer, volant, celui du puits, les boulets, mitrailles, dromes, affûts, ainsi que le reste des canons, furent jetés à la mer. A huit heures, l'eau marqua aux pompes et fit des progrès rapides ; à neuf heures, elle gagnait sensiblement et le signal en fut fait.

«A onze heures et demie, le vaisseaux ne se relevant pas, le grand mât fut coupé. Le vaisseau ne commença à se redresser qu'à dix-sept pieds de montant, ce qui donna un peu de répit aux escouades de la pompe. Le câble et le grelin avaient été préalablement raidis pendant la crue de l'eau et jusqu'à l'étale de la marée, avec toute la force imaginable, sans qu'on pût haler le vaisseau d'un pied. Pendant ce temps, les bâtiments ennemis s'emparaient successivement des vaisseaux le Calcutta, la Ville-de-Varsovie et l'Aquilon. A trois heures, le vaisseau le Tonnerre retomba à la bande, mais sur bâbord. Dès ce moment l'eau augmenta, à désespérer ; cependant on redoublait de courage lorsqu'une des pièces des pompes-à-chapelet cassa ; alors nous n'eûmes plus de moyens d'étaler. A trois heures trois quarts le signal en fut fait à l'amiral.

«A cinq heures et demie, nous demandâmes d'abandonner le vaisseau et de sauver l'équipage. Le général répondit par le signe exprimant qu'on distinguait le signal ; alors, les chaloupes et canots mirent successivement les hommes de l'équipage sur la pointe de roches au N. O. de l'île Madame. A six heures et demie, j'ordonnai d'établir les feux nécessaires pour brûler le vaisseau. Les feux bien établis, l'équipage sauvé entièrement, l'ordre fut donné d'y mettre le feu; alors, embarquant le dernier, je débordai.

«Rochefort, le 14 avril 1809.

«Le capitaine de vaisseau, commandant le 8e bataillon,

«CLÉMENT.

«Vu par le V. A. : ALLEMAND.»

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Rapport du vice-amiral Allemand à Sa Majesté impériale et Royale.

«Sire,

«Le 10 mars, à six heures du matin, je reçus de votre ministre de le marine l'ordre que Votre Majesté me faisait donner de quitter Toulon et de me rendre, sous le plus bref délai, prendre le commandement de votre escadre mouillage en rade de l'île d'Aix.

«A une heure, j'étais en poste ; je courus jour et nuit, et j'arrivai le 15 à Rochefort. Le 16, je reçus le brevet de vice-amiral dont Votre Majesté daigna m'honorer, et le 17, je pris le commandement de votre escadre et y arborai mon pavillon. Ce même jour, treize vaisseaux, six frégates, cinq corvettes et six bâtiments de transport ennemis mouillaient dans la rade des Basques.

«Le 21, je plaçai votre escadre sur deux lignes d'embossage, endentées, très serrées entre elles, et près de l'île d'Aix, mes frégates à l'avant-garde.

«Le 22, l'ennemi reçut de nouveaux bâtiments. Il n'était pas présumable, Sire, que cette escadre, qui était partis des ports d'Angleterre pour courir après celle de Votre Majesté, eût des besoins qui nécessitassent l'envoi d'autant de bâtiments. Je conjecturai que l'ennemi rassemblait des troupes pour attaquer l'île d'Aix, et des brûlots pour incendier votre escadre. Je pris donc des dispositions de défense. J'en donnai avis à votre ministre ; je lui fis part de mes projets et de la demande que je faisais, au port, d'ancres, de grelins et de bois-flottants, pour former une estacade à quatre cents toises au dehors de ma première ligné, afin d'arrêter ou au moins de diminuer l'effet des catamarans et des machines infernales, qui, sans eux, eussent fait leur explosion sur quelques-uns de vos vaisseaux, et pour aussi les détourner je m'occupai à créer une flottille de soixante-treize embarcations.

«Les onze chaloupes des vaisseaux devaient porter chacune un canon et caronade de trente-six, et quatre pierriers.

«Dix-neuf grands canots armaient chacun une caronade de trente-six et quatre pierriers ; les quarante-trois autres montaient chacun quatre espingoles. Je fis mes demandes de matières au port ; le 31, je les renouvelai avec instances ; je demandai deux bombardes qu'on ne put me fournir.

«Le 1er avril, j'employai ce qui me restait d'ancres et de grelins dans l'escadre à former une estacade de trois cents toises de longueur ; je destinai quatre cent dix-neuf hommes de garnison de l'escadre pour renforcer celle de l'île d'Aix, et j'invitai M. le préfet du cinquième arrondissement maritime d'y envoyer cinquante canonniers.

«Le 3, il m'arriva du bois et des ferrures pour l'installation en guerre de ma flottille ; je fis mettre la main à l'œuvre, et la plus grande activité régna bientôt à tous les bords. L'ennemi reçut une augmentation de brûlots et de transports.

«Le 5, j'augmentai les rondes de nuit de deux lieutenants, d'une de capitaines de frégate, d'une de capitaines de vaisseau, et d'une de majors.

«Le 8, mon estacade était terminée. Je comptai soixante bâtiments ennemis au mouillage ; je donnai l'ordre de déverguer les voiles inutiles, de caler les mâts de hune, de retirer les gréements et ramasser dans la cale ce qui pourrait accroître l'incendie ou offrir des points d'accrochement aux brûlots.

«Je plaçai votre armée dans une second position plus directe aux courants, pour qu'elle présentât moins de force à leur envoi.

«Ma flottille était organisée en cinq divisions ; tous ceux qui y étaient employés avaient reçu des instructions par écrit sur la manière dont ils devaient agir dans tous les cas supposables : les capitaines avaient des ordres sur la manière de s'embosser en raison des différents vents et courants.

«Votre ministre était informé de toutes ces mesures ; je ne pouvais rien de plus : votre armée était dans une position formidable pour tirer, de quelque côté que l'ennemi se présentât, avec un feu bien nourri et bien concentré.

«Nous sommes tous convaincus, Sire, que dans cette superbe position, vingt-cinq vaisseaux n'auraient pas réussi à forcer notre armée.

«Le 10, je reçus quatre ancres-à-jet du port : l'ennemi réunissait soixante-douze bâtiments. Il avait envoyé précédemment aux courants des barils de goudron enflammés, pour connaître leur direction sur l'escadre de Votre Majesté.

«Le 11, les vents au N. O., grand frais, des frégates ennemies approchèrent à environ quinze cents toises dans le lit du vent, dans le centre de votre escadre. Je donnai l'ordre aux 4e et 5e divisions de ma flottille d'aller à l'estacade.

«A six heures du soir, j'envoyai prévenir le général de brigade Brouard, commandant l'île d'Aix, que d'après les manœuvres de l'ennemi je présumais qu'il entreprendrait une attaque dans la nuit. Je l'engageai à être en mesure. Tous les bâtiments de Votre Majesté furent établis en branle-bas de combat.

«A neuf heures, la nuit très obscure, les frégates ennemies mirent des feux, tirèrent quelques coups de canon, et parurent servir de jalons à la direction de leurs brûlots ; je donnai l'ordre au reste de ma flottille d'aller les détourner. Peu après, une machine infernale fit explosion à l'estacade, lançant des grenades et des fusées incendiaires dans diverses directions. La détonation fut très forte. Un instant après, trente-trois gros bâtiments de transport, frégates et vaisseaux de ligne parurent sous toutes voiles, enflammés dans toutes leurs parties, forçant l'estacade, se dirigeant sur nos vaisseaux, faisant feu de leur artillerie, lançant des grenades, des fusées incendiaires, des boulets et tous les projectiles imaginables. Rien, Sire, ne pouvait arrêter ces masses, conduites par un vent très fort. Nous faisons sur elles un feu bien soutenu, mais sans succès apparent. Votre vaisseaux le Régulus fut accroché par son avant, ses focs furent en un instant dévorés par les flammes ; le feu gagnait, le capitaine ne pouvait entreprendre de se dégager qu'en coupant son câble ; il se fit abattre sur l'Océan, qui avait deux brûlots enflammés en travers sous son beaupré. Je coupai aussi mon câble ; les autres se trouvèrent bientôt dans la même position et firent la même manœuvre. Nous n'avions pas d'ennemis à combattre, Sire, mais une destruction générale et incendiaire à éviter. Je venais d'éviter une frégate et un vaisseau tout en feu, je ne pus réussir contre un grand transport ; il m'accrocha par l'arrière, on parvint à le dégager ; il me reprit par le travers et fut encore éloigné ; il s'accrocha au bossoir, les flammes sillonnaient à gros flocons le long de votre vaisseau l'Océan ; il n'y avait de salut pour personne ; la consternation était générale ; il m'était difficile de me faire entendre.

«Je me portai sur l'avant, suivi par MM. Pesron, capitaine de frégate, et Gaspard Dupuije, mes adjudants, et par le capitaine de frégate Lissilour. J'appelai à mon aide les braves de l'Océan, rien que des braves. Ce mot si puissant sur l'esprit des Français fut entendu, il ranima le courage : on coupait ; la chaleur ne permettait guère d'approcher. Enfin, Sire, des braves se dévouèrent, deux perdirent la vie dans les flammes, d'autres furent grièvement blessés par des brûlures, d'autres tombèrent à la mer et périrent ; mais votre vaisseau l'Océan fut encore une fois sauvé. Le jeune enseigne de vaisseau Allary vint, dans un canot du vaisseau le Tonnerre, crocher audacieusement ce brûlot ; il contribua à nous aider et sauva une vingtaine d'hommes de ceux tombés à la mer par-dessus la civadière.

«Chacun, dans l'armée, s'occupait à parer son vaisseau et son équipage d'un incendie certain ; la mer était en feu. Au jour, j'eus la satisfaction de compter tous mes vaisseaux et mes frégates ; mais ils étaient échoués sur les vases.

«L'escadre ennemie mit sous voiles et manœuvra pour entrer ; quel dut être l'étonnement des Anglais en nous voyant tout préservés d'une destruction qu'ils regardaient comme évidente, ce qui devait leur avoir coûté énormément, même dans l'emploi des brûlots qui étaient tous doublés en cuivre. C'est par stupéfaction sans doute que l'amiral Gambier n'osa pas entrer pour nous canonner. S'il avait profité de cette circonstance, Votre Majesté perdait son escadre, qui, échouée, ne pouvait présenter que quelques canons de l'arrière au feu du travers de l'ennemi. Ce ne fut que vers les trois heures après-midi qu'il envoya deux vaisseaux, quelques frégates et bombardes. Ceux à qui il restait des ancres en élongèrent sous leur feu, et trois frégates et sept de nos vaisseaux parvinrent à se mettre à flot : le Calcutta, l'Aquilon, le Varsovie et le Tonnerre ne purent y réussir, les trois premiers furent forcés d'amener après avoir soutenu deux heures de combat, ne pouvant que riposter rarement de deux canons de retraite ; le dernier était crevé, il évacua son équipage et se brûla lui-même. Je fis sauver beaucoup de monde de leurs bords, et le 12 l'ennemi les incendia.

«Le 13, les sept vaisseaux et quatre frégates restant étaient échoués plus en dedans ; il n'y avait pas d'eau pour aller plus loin ; votre vaisseau l'Océan était le plus au large. L'ennemi eut la hardiesse de placer dans mon arrière six canonnières, deux bombardes, une goélette et un cutter, lançant des fusées incendiaires. L'action commença à dix heures du matin ; je ripostai de mes six canons de retraite avec un tel succès qu'à quatre heures et demie l'ennemi lâcha pied et se retira ; je perdis quelques hommes, mais je dus faire du mal à l'ennemi. Dans ces six heures et demie mes six pièces ont tiré mille quarante coups, la majeure partie portant : il est vrai, Sire, qu'elles étaient servies par des hommes de choix*.

«Le 14, je fis élonger l'ancre qui me restait pour entrer l'Océan ; il n'y avait pas à compter sur la réussite en raison de son éloignement de la rivière et de son grand tirant d'eau ; mes manœuvres ont été couronnées de succès. Je suis entré au Port-des-Barques en lui conservant la moitié de sa batterie de douze et toutes celles de trente-six et de vingt-quatre.

«L'ennemi envoya les mêmes forces que la veille canonner et bombarder les bâtiments restant en dehors ; je me rendis à leurs bords dans l'action ; je donnai des ordres partout. Je rassemblai les canots armés qui me restaient et je fus bivouaquer toute la nuit entre l'ennemi et les vaisseaux de Votre Majesté pour crocher et éloigner moi-même les brûlots qu'on leur enverrait ; il ventait horriblement, la pluie tombait par torrents. A minuit, l'ennemi mit des feux, tira quelques coups de canon. J'étais résolu à périr ou à sauver le reste de votre escadre ; je n'avais d'autres moyens à employer que de m'opposer moi-même aux brûlots avec mes canots. A une heure du matin, les vents passèrent au S. O. et l'ennemi s'en tint à ses dispositions.

«Ma bonne constitution ne put résister au dernier coup de fatigue morale et physique ; je revins à mon bord avec une fièvre violente qui n'a cédé qu'au repos que j'ai été forcé de prendre. Le 15, les vaisseaux le Cassard, le Tourville, le Jemmapes entrèrent en rivière ; il ne restait que le Foudroyant et le Régulus dehors. Je me rendis à bord du premier : il fut mis à flot ; je le quitta lorsqu'il fut à la voile, faisant route pour entrer en rivière. J'allais à bord du Régulus, et j'eus le chagrin de voir, un moment après, le pilote du Foudroyant l'échouer hors du chenal, cependant assez en dedans pour être protégé par les batteries de l'île Madame.

«Le 17, j'entrepris de faire flotter le Régulus à l'aide de bâtiments placés le long de son bord : je ne pus y parvenir ; la mer ne monta pas assez et il a fallu la marée de pleine lune.

«Le 20, deux bombardes, quatre canonnières et une corvette, lançant des fusées incendiaires, se placèrent derrière ce vaisseau ; le pavillon de l'amiral Gambier était arboré sur une goélette, il n'a pas voulu sans doute se donner le honteux plaisir de lancer lui-même quelques fusées, en se tenant plus honteusement encore hors de la portée de canon, dans cinq heures de bombardement. Le Régulus a peu souffert. A sept heures et demie l'amiral a fait route pour rejoindre son escadre.

«Daignez, Sire, me rendre la justice de compter sur mon zèle pour votre service ; croyez que personne n'aurait empêché ce qui est arrivé à votre escadre. Il est étonnant même qu'avec des moyens aussi considérables de destruction, elle n'ait pas été la proie des flammes. J'ose espérer, Sire, que Votre Majesté me fournira l'occasion de me venger un jour d'une conduite aussi lâche de la part de ses ennemis, qui, hors de l'atteinte de notre feu, envisageaient d'un œil barbare l'horreur de notre destruction que, certes, ils ont cru bien certaine.

«Je serai peut-être assez heureux, un jour, de les attaquer plus honorablement ; je prie Votre Majesté de me permettre de leur faire subir le même supplice. Ce serait user de représailles en les laissant à leurs bords et en y mettant le feu.

«J'ai fourni des hommes et des munitions aux forts qui défendent l'entrée de la rivière. Je la ferme par une estacade en câbles et en chaînes pour qu'elle ne soit pas forcée. Ce serait se faire illusion que de croire que l'ennemi, à qui il reste autant de moyens, s'en tienne à l'horrible action qu'il vient de commettre.

«Si les mesures que votre ministre vient d'ordonner sont promptement exécutées, sous deux mois Votre Majesté aura en rade une escadre de sept à huit vaisseaux, trois frégates, sans que l'on puisse craindre pareil événement pour l'avenir.

ALLEMAND.»

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Copie du rapport du vice-amiral Allemand à Sa Majesté impériale et Royale,
annotée par
M. Lucas, capitaine de vaisseau, commandant le Régulus,
de l'escadre de l'île d'Aix.

«Sire,

«Le 10 mars, à six heures du matin, je reçus de votre ministre de le marine l'ordre que Votre Majesté me faisait donner de quitter Toulon et de me rendre, sous le plus bref délai, prendre le commandement de votre escadre mouillage en rade de l'île d'Aix.

«A une heure, j'étais en poste ; je courus jour et nuit, et j'arrivai le 15 à Rochefort. Le 16, je reçus le brevet de vice-amiral dont Votre Majesté daigna m'honorer, et le 17, je pris le commandement de votre escadre et y arborai mon pavillon. Ce même jour, treize vaisseaux, six frégates, cinq corvettes et six bâtiments de transport ennemis mouillaient dans la rade des Basques.

«Le 21, je plaçai votre escadre sur deux lignes d'embossage, endentées, très serrées entre elles, et près de l'île d'Aix, mes frégates à l'avant-garde*. (* Lucas : Tellement serrées et endentées qu'il était impossible qu'un brûlot passât sans accrocher un vaisseau français ; cependant nous n'étions menacés que par des brûlots. Les frégates étaient placées à l'avant-garde, c'est-à-dire de manière à empêcher les vaisseaux de tirer vers l'estacade, sur l'ennemi qui serait venu la forcer.)

«Le 22, l'ennemi reçut de nouveaux bâtiments. Il n'était pas présumable, Sire, que cette escadre, qui était partis des ports d'Angleterre pour courir après celle de Votre Majesté, eût des besoins qui nécessitassent l'envoi d'autant de bâtiments. Je conjecturai que l'ennemi rassemblait des troupes pour attaquer l'île d'Aix, et des brûlots pour incendier votre escadre*. (* Lucas : Pourquoi ne s'amarra-t-on pas pour se garantir des brûlots, puisque l'ennemi n'a jamais eu assez de vaisseaux pour nous attaquer de vive force ? — Voir, à la suite, les «Avertissements de journaux anglais».) Je pris donc des dispositions de défense. J'en donnai avis à votre ministre ; je lui fis part de mes projets et de la demande que je faisais, au port, d'ancres, de grelins et de bois-flottants, pour former une estacade à quatre cents toises au dehors de ma première ligné, afin d'arrêter ou au moins de diminuer l'effet des catamarans et des machines infernales, qui, sans eux, eussent fait leur explosion sur quelques-uns de vos vaisseaux, et pour aussi les détourner je m'occupai à créer une flottille de soixante-treize embarcations*. (* Lucas : Une flottille de soixante-treize embarcations, dont une moitié ne pouvait que compromette l'autre, car on avait admis dans cette flottille jusques aux plus mauvais canots des vaisseaux et frégates, plusieurs à quatre et six avirons... Quelle ressource contre des péniches de trente et trente-quatre avirons !)

«Les onze chaloupes des vaisseaux devaient porter chacune un canon et caronade de trente-six, et quatre pierriers*. (* Lucas : Les chaloupes devaient porter chacun un canon et une caronade de 36, c'est-à-dire être mises hors d'état de naviguer pour les surcharger d'un calibre que ces embarcations ne sont pas faites pour porter.)

«Dix-neuf grands canots armaient chacun une caronade de trente-six et quatre pierriers ; les quarante-trois autres montaient chacun quatre espingoles*. (* Lucas : Les grands canots, qui avaient une caronade sur l'avant, ne naviguaient plus et remplissaient pour peu que la mer fût grosse.) Je fis mes demandes de matières au port ; le 31, je les renouvelai avec instances ; je demandai deux bombardes qu'on ne put me fournir*. (* Lucas : Je ne vois pas ce qu'on eût fait de ces deux bombardes, qui n'auraient pu servir au plus que contre des vaisseaux échoués, car les bombes sont de nul effet par la difficulté de les ajuster sur des bâtiments à la voile, et ceux à l'ancre sont toujours maîtres d'appareiller.)

«Le 1er avril, j'employai ce qui me restait d'ancres et de grelins dans l'escadre à former une estacade de trois cents toises de longueur* (* Lucas : Voilà, monsieur l'Amiral, l'une des fautes auxquelles vous devez la perte d'une partie de votre escadre ; car c'est parce que vous aviez enlevé à plusieurs vaisseaux leurs ancres et leurs grelins qu'il ne leur en restait plus pour se relever de la côte où vous les avez abandonnés et où ils ont été détruits par l'ennemi.) ; je destinai quatre cent dix-neuf hommes de garnison de l'escadre pour renforcer celle de l'île d'Aix*, (* Lucas : Les quatre cent dix-neuf hommes destinés à remplacer la garnison de l'île d'Aix n'y ont pas été envoyés, quoiqu'on en ait eu le temps ; mais vous étiez tellement occupé de vous-même, monsieur l'Amiral, lors de l'événement des brûlots, que vous n'avez pas plus pensé à faire le signal de les débarquer qu'à celui de faire le branle-bas de combat.), et j'invitai M. le préfet du cinquième arrondissement maritime d'y envoyer cinquante canonniers.

«Le 3, il m'arriva du bois et des ferrures pour l'installation en guerre de ma flottille ; je fis mettre la main à l'œuvre, et la plus grande activité régna bientôt à tous les bords*. (* Lucas : Je fis mettre la main à l'œuvre, c'est-à-dire qu'on détruisit tout ce qui était fait dans les chaloupes pour les armer en guerre, selon leur capacité ; et qu'on n'eut pas le temps d'exécuter le projet de monsieur l'Amiral, qui, contre le gré de tous les capitaines, fit couper et hacher les caissons et pièces principales de nos embarcations pour y installer un calibre qu'elles ne pouvaient pas porter.) L'ennemi reçut une augmentation de brûlots et de transports.

«Le 5, j'augmentai les rondes de nuit de deux lieutenants, d'une de capitaines de frégate, d'une de capitaines de vaisseau, et d'une de majors*. (* Lucas : C'est pour la première fois, sans doute, qu'un général se soit permis d'ordonner aux capitaines, dont les vaisseaux, que Sa Majesté leur a confiés, sont à l'instant d'être attaqués par une escadre ennemie, mouillé à portée et demie de canon, d'abandonner leurs vaisseaux, la nuit, pour aller parcourir la rade, risquer d'être enlevés par des péniches et de ne pas se trouver à leurs bords pour sauver leurs bâtiments des entreprises de l'ennemi. C'est ce qui a failli m'arriver le soir des brûlots : j'étais nommé de ronde ; un peu plus tard, j'allais déborder du vaisseau ; la force du vent réunie à celle du flot, qui ne permettait pas aux embarcations de gagner, n'eût pas tardé à me jeter sous le vent de l'escadre et j'eusse alors été témoin de la destruction du vaisseau le Régulus, sans pouvoir ordonner les manœuvres par lesquelles j'ai sauvé ce vaisseau à Sa Majesté.)

«Le 8, mon estacade était terminée. Je comptai soixante bâtiments ennemis au mouillage ; je donnai l'ordre de déverguer les voiles inutiles, de caler les mâts de hune, de retirer les gréements et ramasser dans la cale ce qui pourrait accroître l'incendie ou offrir des points d'accrochement aux brûlots*. (* Lucas : C'est vrai, Monsieur l'Amiral, vous fîtes déverguer plusieurs voiles, dépasser les mâts de perroquet et caler les mâts de hune. Vous ne voulûtes pas même laisser à vos vaisseaux le moyen de se soustraire aux brûlots en mettant à la voile, ce qui pouvait se faire avec avantage, surtout les vaisseaux de la première ligne qui pouvait courir un bord au Sud-Ouest (car les vents étaient alors Nord-Ouest) et revenir à l'autre bord, reprendre leur mouillage à l'île d'Aix en passant au vent des brûlots qui couraient vent arrière et que le flot entraînait sous le vent. Après avoir privé votre escadre de ses ancres, de ses grelins, de ses mâts et de ses voiles, il ne vous restait plus qu'à lui ôter sa dernière ressource, celle de ses embarcations, et nous ne tarderons pas à voir que vous n'y avez plus manqué. Je demande à tout marin si un vaisseau qui a ses mâts de hune calés et ses mâts de perroquet dépasses, offre moins de points d'accrochement aux brûlots lorsqu'ils sont guindés ; quel a donc pu être le but de cette mesure, qui n'a pu que paralyser les mouvements de l'armée ?)

«Je plaçai votre armée dans une second position plus directe aux courants, pour qu'elle présentât moins de force à leur envoi*. (* Lucas : Votre escadre faisait exactement l'entrée de la rivière, à prendre de la pointe Sud de l'île d'Aix à celle du Nord-Ouest des Palles ; elle était par conséquent entièrement exposée à la direction des courants qui devaient entraîner les brûlots en rivière. Certes, M. l'amiral Gambier n'eût pas mieux placé lui-même l'escadre de Sa Majesté Impériale et Royale pour pouvoir la détruire avec plus de réussite, car, comme l'envoi des brûlots ne pouvait avoir lieu qu'avec des vents de Nord-Ouest, les vaisseaux eussent encore pu les éviter en filant à volonté l'un des deux câbles pour s'effacer en tombant à l'appel de l'autre, s'ils eussent été affourchés Nord-Est et Sud-Ouest, c'est-à-dire perpendiculairement à la direction des courants et des brûlots. Vous fîtes précisément le contraire, en affourchant votre escadre Sud-Est et Nord-Ouest, ce que vous vous gardez bien de dire dans votre rapport à Sa Majesté. Il est résulté, de cette faute, que tout marin aura peine à concevoir, que les vaisseaux, qui étaient évités debout au vent et affourchés dans sa direction, avaient une ancre qui venait de l'avant et une de l'arrière, en passant par-dessous le bâtiment. Dans cette situation critique, il ne restait aucune ressource aux vaisseaux de Sa Majesté, puisque, filant leur câble du Nord-Ouest, ils ne faisaient que culer sans pouvoir s'effacer ; il était impossible à ces vaisseaux de se soustraire aux brûlots qui venaient sur eux vent arrière avec toutes voiles, vent et marée, et ils n'avaient d'autres manœuvres à faire que de couper leurs câbles et de se jeter à la côte.)

«Ma flottille était organisée en cinq divisions ; tous ceux qui y étaient employés avaient reçu des instructions par écrit sur la manière dont ils devaient agir dans tous les cas supposables : les capitaines avaient des ordres sur la manière de s'embosser en raison des différents vents et courants*. (* Lucas : Les capitaines avaient des ordres sur la manière de s'embosser en raison des différents vents et courants. Vous rappelez-vous, Monsieur l'Amiral, que votre expérience s'est encore trouvée en défaut et que je vous observai, au dernier comité, que, pour me conformer à vos ordres, j'avais, ainsi que l'Océan et tous les autres vaisseaux de l'escadre, frappé mon grelin d'embossage de bâbord sur le câble du Sud-Est ou de bâbord, sur le grelin d'embossage de tribord sur le câble de Nord-Ouest ou de tribord, mais que cette disposition pouvait devenir funeste dans bien des circonstances et compromettre le salut de l'escadre qui ne pourrait pas s'entraverser pour prêter côté à l'ennemi, si on eût été attaqué de jusant, car, dans cette situation, les câbles se croissaient sous le taille-mer, et il en était de même des grelins. Je vous observai enfin qu'il y avait des dispositions où chacun des grelins pouvait être frappé, suivant le cas, sur l'un ou l'autre câble. Vous me demandâtes alors comment je ferais : je vous le dis ; vous m'approuvâtes, vous me dîtes même que vous ordonneriez ce moyen à toute votre escadre. Mais vous n'en fîtes rien et si tous les brûlots qui nous ont attaqués eussent été des vaisseaux de guerre, l'escadre de Sa Majesté était perdue, car elle n'aurait pu parvenir à se former sur la ligne d'embossage du Nord-Ouest qui venait de l'avant et même un peu de bâbord, car les vaisseaux avaient le cap au Nord-Nord-Ouest.)

«Votre ministre était informé de toutes ces mesures ; je ne pouvais rien de plus : votre armée était dans une position formidable pour tirer, de quelque côté que l'ennemi se présentât, avec un feu bien nourri et bien concentré*. (* Lucas : Ce qui prouvait l'escadre ne pouvait pas tirer, de quelque côté que l'ennemi se présentât, c'est que, le 5 avril, lorsqu'une frégate anglaise vint nous observer à portée de canon, les vaisseaux le Cassard, le Régulus et l'Océan voulurent s'entraverser pour lui présenter le côté, ce qu'ils ne purent faire qu'en portant des aussières l'un sur l'autre, car leurs grelins d'embossage ne purent par leur servir, et après être parvenus à s'entraverser on se trouvait tellement masqué l'un par l'autre que le Régulus ne put tirer que des trois pièces de l'arrière. Il masquait entièrement l'Océan. C'eût été bien pis si l'ennemi était venu nous attaquer en rangeant les Palles.)

«Nous sommes tous convaincus, Sire, que dans cette superbe position, vingt-cinq vaisseaux n'auraient pas réussi à forcer notre armée*. (* Lucas : Pour moi, j'étais d'autant moins convaincu que notre ligne était superbe et que dans cette situation nous eussions pu résister à vingt-cinq vaisseaux, que tout marin doit savoir qu'à moins de s'embosser avec des câbles, des vaisseaux de guerre ne tiendront jamais avec un grelin sur la rade de l'île d'Aix, en travers, au vent et à la marée, surtout si les marées sont fortes et qu'il vente bon frais.)

«Le 10, je reçus quatre ancres-à-jet du port : l'ennemi réunissait soixante-douze bâtiments. Il avait envoyé précédemment aux courants des barils de goudron enflammés, pour connaître leur direction sur l'escadre de Votre Majesté*. (* Lucas : L'ennemi dut être satisfait de son épreuve et de notre position, car ses barils de goudron enflammés se dirigèrent droit au milieu de l'escadre. Quel espoir pour des brûlots !)

«Le 11, les vents au N. O., grand frais, des frégates ennemies approchèrent à environ quinze cents toises dans le lit du vent, dans le centre de votre escadre. Je donnai l'ordre aux 4e et 5e divisions de ma flottille d'aller à l'estacade*. (* Lucas : Cet ordre fut effectivement donné a six heures, mais on y joignit le signal qu'il ne serait exécuté qu'à huit heures, c'est-à-dire lorsqu'il y aurait grand flot. On a bien peine à croire que des embarcations chargées de ferraille et du poids d'un armement outré puissent gagner contre un grand vent, une grosse mer et la force de la marée ! Ne devait-on pas penser d'avance qu'elles iraient en dérive et qu'alors les vaisseaux seraient privés de leurs secours, sans qu'elles puissent protéger la rade, où elles auraient pu se rendre si on les avait envoyées lorsqu'on en fit le signal, c'est-à-dire avec en restant de jusant.)

«A six heures du soir, j'envoyai prévenir le général de brigade Brouard, commandant l'île d'Aix, que d'après les manœuvres de l'ennemi je présumais qu'il entreprendrait une attaque dans la nuit. Je l'engageai à être en mesure. Tous les bâtiments de Votre Majesté furent établis en branle-bas de combat*. (* Lucas : Les capitaines eurent cette précaution, car le signal de se préparer au combat ne fut pas fait.)

«A neuf heures, la nuit très obscure, les frégates ennemies mirent des feux, tirèrent quelques coups de canon, et parurent servir de jalons à la direction de leurs brûlots ; je donnai l'ordre au reste de ma flottille d'aller les détourner. Peu après, une machine infernale fit explosion à l'estacade, lançant des grenades et des fusées incendiaires dans diverses directions. La détonation fut très forte. Un instant après, trente-trois gros bâtiments de transport, frégates et vaisseaux de ligne parurent sous toutes voiles, enflammés dans toutes leurs parties, forçant l'estacade, se dirigeant sur nos vaisseaux, faisant feu de leur artillerie, lançant des grenades, des fusées incendiaires, des boulets et tous les projectiles imaginables. Rien, Sire, ne pouvait arrêter ces masses, conduites par un vent très fort. Nous faisons sur elles un feu bien soutenu, mais sans succès apparent. Votre vaisseaux le Régulus fut accroché par son avant, ses focs furent en un instant dévorés par les flammes ; le feu gagnait, le capitaine ne pouvait entreprendre de se dégager qu'en coupant son câble ; il se fit abattre sur l'Océan, qui avait deux brûlots enflammés en travers sous son beaupré*. (* Lucas : Le Régulus n'abattit pas sur l'Océan, qui avait coupé ses câbles le premier et qu'on ne voyait plus lorsque le Régulus fut forcé de couper les siens. L'Océan aborda des vaisseaux qui furent par là forcés de couper leurs câbles, et il en résulta une partie du désordre. Le Régulus n'aborda personne.) Je coupai aussi mon câble ; les autres se trouvèrent bientôt dans la même position et firent la même manœuvre. Nous n'avions pas d'ennemis à combattre, Sire, mais une destruction générale et incendiaire à éviter. Je venais d'éviter une frégate et un vaisseau tout en feu, je ne pus réussir contre un grand transport ; il m'accrocha par l'arrière, on parvint à le dégager ; il me reprit par le travers et fut encore éloigné ; il s'accrocha au bossoir, les flammes sillonnaient à gros flocons le long de votre vaisseau l'Océan*. (* Lucas : S'il n'est à la connaissance de personne que l'Océan ait été abordé de l'avant par deux brûlots, il est au moins connu de toute l'escadre qu'il a été abordé par derrière par un petit brûlot qu'il renvoya ensuite par l'avant, ce qui prouve évidemment qu'on avait eu de bonne heure la précaution de leur tourner le c...) ; il n'y avait de salut pour personne ; la consternation était générale ; il m'était difficile de me faire entendre*. (* Lucas : Vous convenez donc, monsieur l'amiral, que la consternation était générale à votre bord ? Très bien ! Les brûlots n'ont produit cet effet à bord du Régulus, et la consternation à bord de ce vaisseau n'a eu lieu, comme à bord de tous les autres vaisseaux, que par la funeste influence de l'évacuation du vaisseau l'Océan, qui devait être brûlé le 12 au soir, ainsi que vous l'écrivez à M. le préfet maritime, pour le préparer à cet événement. Le débarquement de vos effets, dans lequel vous égarâtes vos diamants ; l'évacuation de votre détachement, et les embarcations de l'escadre dont vous privâtes tous les vaisseaux pour les retenir, sans nul emploi, le long de votre bord, menaçant de faire feu celles qui s'écarteraient ; votre canot armé, dans lequel M. l'aspirant de première classe Duperré gardait une mèche dans une marmotte, prêt à incendier l'Océan, qui n'était menacé, ainsi que plusieurs, que par des bricks et deux bombardes, que le Régulus à repoussés seul avec tant de succès : voilà, monsieur l'Amiral, ce qui a démoralisé les équipages.)

«Je me portai sur l'avant, suivi par MM. Pesron, capitaine de frégate, et Gaspard Dupuije, mes adjudants, et par le capitaine de frégate Lissilour. J'appelai à mon aide les braves de l'Océan, rien que des braves. Ce mot si puissant sur l'esprit des Français fut entendu, il ranima le courage : on coupait ; la chaleur ne permettait guère d'approcher. Enfin, Sire, des braves se dévouèrent, deux perdirent la vie dans les flammes, d'autres furent grièvement blessés par des brûlures, d'autres tombèrent à la mer et périrent ; mais votre vaisseau l'Océan fut encore une fois sauvé. Le jeune enseigne de vaisseau Allary vint, dans un canot du vaisseau le Tonnerre, crocher audacieusement ce brûlot ; il contribua à nous aider et sauva une vingtaine d'hommes de ceux tombés à la mer par-dessus la civadière*. (* Lucas : Si j'eusse appelé à moi les braves du Régulus, l'équipage fût accouru à ma voix : mais personne n'abandonna son poste de combat : les hommes de la manœuvre seulement travaillèrent, avec autant d'ordre que d'usage, à me séparer du brûlot. Aussi dans cet événement je n'ai eu qu'un seul homme de blessé.)

«Chacun, dans l'armée, s'occupait à parer son vaisseau et son équipage d'un incendie certain ; la mer était en feu*. (* Lucas : Très peu de vaisseaux ont été accrochés pas des brûlots ; excepté le Régulus et l'Océan, je n'en connais pas d'autres.) Au jour, j'eus la satisfaction de compter tous mes vaisseaux et mes frégates ; mais ils étaient échoués sur les vases*. (* Lucas : Pardon, monsieur l'amiral, vous étiez seul sur la vase ; tous les autres étaient échoués sur le bout des Palles ou sur celui de l'île Madame excepté le Foudroyant et le Cassard, qui étaient restés en bon état au mouillage de l'île d'Aix, et auxquels je vous demandai de me joindre lorsque je fus à flot, ce que vous me refusâtes. Le Jemmapes eût pu s'y joindre également, et vous-même, monsieur l'amiral, car l'Océan flottait dans la rivière, et à plus forte raison pour retourner en rade, où nous eussions sans doute évité la honte de voir deux petits vaisseaux anglais, dont un a jeté une partie de sa batterie à l'eau pour se retirer, venir détruire sous nos yeux quatre de nos vaisseaux échoués, à l'entrée de l'un des ports de Sa Majesté... excepté une division de bâtiments légers à laquelle se joignirent les deux petits vaisseaux.)

«L'escadre ennemie mit sous voiles et manœuvra pour entrer* ; (* Lucas : L'escadre anglaise n'a jamais manœuvré pour entrer en rade, et elle ne pouvait pas le faire ; la division qui est venue mouiller dans le S.-O. des Palles a passé hors de portée de canon de l'île d'Aix et il est certain qu'elle ne serait pas venue si nous avions eu quelques vaisseaux embossés en rade.) ; quel dut être l'étonnement des Anglais en nous voyant tout préservés d'une destruction qu'ils regardaient comme évidente, ce qui devait leur avoir coûté énormément, même dans l'emploi des brûlots qui étaient tous doublés en cuivre. C'est par stupéfaction sans doute que l'amiral Gambier n'osa pas entrer pour nous canonner. S'il avait profité de cette circonstance, Votre Majesté perdait son escadre, qui, échouée, ne pouvait présenter que quelques canons de l'arrière au feu du travers de l'ennemi. Ce ne fut que vers les trois heures après-midi qu'il envoya deux vaisseaux, quelques frégates et bombardes. Ceux à qui il restait des ancres en élongèrent sous leur feu, et trois frégates et sept de nos vaisseaux parvinrent à se mettre à flot : le Calcutta, l'Aquilon, le Varsovie et le Tonnerre ne purent y réussir, les trois premiers furent forcés d'amener après avoir soutenu deux heures de combat, ne pouvant que riposter rarement de deux canons de retraite ; le dernier était crevé, il évacua son équipage et se brûla lui-même. Je fis sauver beaucoup de monde de leurs bords, et le 12 l'ennemi les incendia.

«Le 13, les sept vaisseaux et quatre frégates restant étaient échoués plus en dedans ; il n'y avait pas d'eau pour aller plus loin ; votre vaisseau l'Océan était le plus au large. L'ennemi eut la hardiesse de placer dans mon arrière six canonnières, deux bombardes, une goélette et un cutter, lançant des fusées incendiaires. L'action commença à dix heures du matin ; je ripostai de mes six canons de retraite avec un tel succès qu'à quatre heures et demie l'ennemi lâcha pied et se retira ; je perdis quelques hommes, mais je dus faire du mal à l'ennemi. Dans ces six heures et demie mes six pièces ont tiré mille quarante coups, la majeure partie portant : il est vrai, Sire, qu'elles étaient servies par des hommes de choix*. (* Lucas : Mille quarante coups avec six pièces font un peu plus de cent soixante-treize coups par pièce ; six heures et quart font trois cent soixante-quinze minutes ; cent soixante-quinze coups en trois cent soixante-quinze minutes font un coup en deux minutes dix secondes ; c'est bien tirer, surtout avec des pièces de retraite.)

«Le 14, je fis élonger l'ancre qui me restait pour entrer l'Océan ; il n'y avait pas à compter sur la réussite en raison de son éloignement de la rivière et de son grand tirant d'eau ; mes manœuvres ont été couronnées de succès. Je suis entré au Port-des-Barques en lui conservant la moitié de sa batterie de douze et toutes celles de trente-six et de vingt-quatre.

«L'ennemi envoya les mêmes forces que la veille canonner et bombarder les bâtiments restant en dehors ; je me rendis à leurs bords dans l'action ; je donnai des ordres partout. Je rassemblai les canots armés qui me restaient et je fus bivouaquer toute la nuit entre l'ennemi et les vaisseaux de Votre Majesté pour crocher et éloigner moi-même les brûlots qu'on leur enverrait ; il ventait horriblement, la pluie tombait par torrents. A minuit, l'ennemi mit des feux, tira quelques coups de canon. J'étais résolu à périr ou à sauver le reste de votre escadre ; je n'avais d'autres moyens à employer que de m'opposer moi-même aux brûlots avec mes canots. A une heure du matin, les vents passèrent au S. O. et l'ennemi s'en tint à ses dispositions.

«Ma bonne constitution ne put résister au dernier coup de fatigue morale et physique ; je revins à mon bord avec une fièvre violente qui n'a cédé qu'au repos que j'ai été forcé de prendre. Le 15, les vaisseaux le Cassard, le Tourville, le Jemmapes entrèrent en rivière ; il ne restait que le Foudroyant et le Régulus dehors. Je me rendis à bord du premier : il fut mis à flot ; je le quitta lorsqu'il fut à la voile, faisant route pour entrer en rivière. J'allais à bord du Régulus, et j'eus le chagrin de voir, un moment après, le pilote du Foudroyant l'échouer hors du chenal, cependant assez en dedans pour être protégé par les batteries de l'île Madame.

«Le 17, j'entrepris de faire flotter le Régulus à l'aide de bâtiments placés le long de son bord : je ne pus y parvenir ; la mer ne monta pas assez et il a fallu la marée de pleine lune.

«Le 20, deux bombardes, quatre canonnières et une corvette, lançant des fusées incendiaires, se placèrent derrière ce vaisseau ; le pavillon de l'amiral Gambier était arboré sur une goélette, il n'a pas voulu sans doute se donner le honteux plaisir de lancer lui-même quelques fusées, en se tenant plus honteusement encore hors de la portée de canon, dans cinq heures de bombardement. Le Régulus a peu souffert. A sept heures et demie l'amiral a fait route pour rejoindre son escadre.

«Daignez, Sire, me rendre la justice de compter sur mon zèle pour votre service ; croyez que personne n'aurait empêché ce qui est arrivé à votre escadre. Il est étonnant même qu'avec des moyens aussi considérables de destruction, elle n'ait pas été la proie des flammes. J'ose espérer, Sire, que Votre Majesté me fournira l'occasion de me venger un jour d'une conduite aussi lâche de la part de ses ennemis, qui, hors de l'atteinte de notre feu, envisageaient d'un œil barbare l'horreur de notre destruction que, certes, ils ont cru bien certaine.

«Je serai peut-être assez heureux, un jour, de les attaquer plus honorablement ; je prie Votre Majesté de me permettre de leur faire subir le même supplice. Ce serait user de représailles en les laissant à leurs bords et en y mettant le feu.

«J'ai fourni des hommes et des munitions aux forts qui défendent l'entrée de la rivière. Je la ferme par une estacade en câbles et en chaînes pour qu'elle ne soit pas forcée. Ce serait se faire illusion que de croire que l'ennemi, à qui il reste autant de moyens, s'en tienne à l'horrible action qu'il vient de commettre.

«Si les mesures que votre ministre vient d'ordonner sont promptement exécutées, sous deux mois Votre Majesté aura en rade une escadre de sept à huit vaisseaux, trois frégates, sans que l'on puisse craindre pareil événement pour l'avenir.

ALLEMAND.»

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Avertissements des journaux anglais contre l'incendie
projeté des vaisseaux français mouillés à l'île d'Aix.
(4)

Il ne faut pas croire que le ministre Decrès ignorait les projets d'incendie de l'ennemi. Voici, par exemple, des renseignements qu'on trouve dans le Moniteur :

«Londres, 28 mars. On équipe actuellement à Sheerness, douze gros bâtiments de transport, doublés en cuivre, pour être employés comme brûlots.

»Le colonel Congrève a fait voile mercredi de Portsmouth, à bord de la bombarde l'Ætna, avec plusieurs officiers et soldats d'artillerie de la marine. Elle a à bord une grande quantité de fusées de l'invention du colonel, et les marins s'étaient exercés à les lancer. L'Ætna va joindre notre escadre à la hauteur de Rochefort et il n'y a pas de doute qu'on ne veuille faire une tentative contre la flotte de l'ennemi dans la rade des Basques.»

Voici un autre article que le Moniteur n'a publié que le 23 avril, en même temps que le rapport du V. A. Allemand, rapport qui porte la date du 12 :

«Londres, le 6 avril. On annonce une attaque pour essayer de détruire l'escadre française dans la rade des Basques. Le colonel Congrève est parti avec des brûlots d'une invention nouvelle et se promet d'incendier les vaisseaux ennemis. Les esprits sont ici bien partagés sur une telle expédition. N'avons-nous pas à craindre les plus justes représailles et l'emploi de moyens pareils ? Vivons-nous dans un siècle où une nation puisse cacher à l'autre de pareilles découvertes et se servir d'un moyen de destruction qui ne soit pas bientôt imité et surpassé par ceux qui en ont souffert ? Les Français sont-ils moins avancés que nous dans les secrets de la mécanique et de la chimie ? Ils ont, dans plusieurs circonstances, hautement refusé l'emploi de moyens semblables ; ils montrent constamment de l'horreur pour de telles compositions et pour les machines que nous-mêmes nous sommes forcés de nommer infernales ; faut-il les forcer à y recourir par tous les motifs de la plus légitime vengeance ? On ne change impunément ni les lois de la guerre, ni celles du droit des gens, ni celles de l'humanité. Quelle gloire avons-nous d'user de brûlots quand nous pouvons combattre avec nos vaisseaux si souvent victorieux ? Ainsi, nos plus belles flottes, si l'ennemi usait de représailles, pourraient être à leur tour la proie de quelques perfides incendiaires ? ainsi les forteresses véritables de l'Angleterre peuvent dans quelques heures s'engloutir dans les mers ? Voilà ce que de telles opérations nous annoncent, voilà ce que le colonel Congrève et notre ministère veulent apprendre à un ennemi dont nous avons tant à craindre la haine, le courage et le génie.»

Que ce soit philanthropie, crainte de représailles ou opposition ministérielle, toujours est-il qu'il y avait en Angleterre un parti opposé à l'usage des brûlots, dont on se servait peu ou pas depuis l'ouverture de la guerre.

Le Moniteur fait suivre le rapport de l'amiral Allemand des réflexions suivantes :


«Voilà donc les moyens qu'un ennemi si supérieur en nombre n'a pas rougi d'employer ! Il n'a pas combattu, mais il a lancé des machines infernales ! Il se proclamera vainqueur et il n'aura été qu'incendiaire !

«De tout temps on connut l'usage des brûlots, mais la lâcheté attachée à leur emploi les avait fait proscrire par toutes les nations ; ils n'entraient point dans le système des guerres maritimes et si, dans le XVIIe siècle, quelques aventuriers s'en servirent, ces hommes étaient désavoués d'avance par leur gouvernement et une mort infâme les attendait s'ils étaient pris.

«Il était bien digne du gouvernement actuel de l'Angleterre de reproduire les brûlots, d'y ajouter des machines infernales, de multiplier avec une fureur inconnue tous les moyens qu'une exécration unanime avait rejetés ; de dépenser enfin des sommes énormes pour une opération flétrissante et dont le résultat a été si inférieur à ses horribles espérances.»

Le Moniteur, qui enregistre ces lieux-communs sur les brûlots et leur usage, ne dit pas :

Que depuis longtemps le ministre de la marine avait des rapports du V. A. Allemand, qui le prévenait que l'armée anglais avait des brûlots ;

Que, de l'île d'Aix, on comptait tous les jours leur nombre ; qu'on voyait très facilement les Anglais en garnir les vergues, de grappins, d'obus, etc. ;

Qu'on lui avait envoyé un procès-verbal d'interrogatoire subi à La Rochelle et dans lequel on voyait le nombre et l'espèce des brûlots, etc. ;

Que, deux fois, le commandant en chef avait demandé avec instance à faire rentrer les vaisseaux en rivière pour les soustraire à l'incendie projeté. (5)

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[Notes de bas de page.]

1.  D'après une lettre de M. Quérangal, le 24 avril 1809.

2.  [Note de l'éditeur.  On présume que l'auteur a inséré un point d'interrogation ici — «...allèrent prendre leur mouillage à l'entrée de la Seudre (?)» — pour indiquer que Proteau avait fait une erreur involontaire ; c'est-à-dire la phrase correcte est «...allèrent prendre leur mouillage à l'entrée de la Charente.»]

3.  [Note de l'éditeur.  Ici, «à une heure trois quarts nous en avons aperçu plusieurs qui se dirigeaient sur nous en passant sur l'estacade», il faut lire «à huit heures trois quarts nous en avons aperçu plusieurs qui se dirigeaient sur nous en passant sur l'estacade». Ceci dit, et en passant, la chronologie de Lacaille n'est pas d'accord avec les autres journaux de bord ou procès-verbaux ; son montre paraît avoir été retard de trente minutes environ.]

4.  [Note de l'éditeur.  Ici, à la difference le reste de cette transcription, j'ai fait trois changements du texte original : de «Sheeness» à «Sheerness» ; et de «Œtna» à «Ætna».]

5.  Correspondance du V. A. Allemand avec le ministre de la Marine ; note du manuscrit de Potestas.


«Les Brûlots anglais en rade de l'île d'Aix» :
Index et Carte ; Lexique ; Documents justificatifs [2]

[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]