«DEUX VICTIMES DES SEPTEMBRISEURS [LES BIENHEUREUX FRÈRES LA ROCHEFOUCAULD]» DE
LOUIS AUDIAT ; CHAPITRE 2


CHAPITRE 2. — Enfance. — Légende. — Jean de La Rochefoucauld, menuisier à Touvre. — Le cardinal de La Rochefoucauld. — Les La Rochefoucauld Saint-Ilpize. — Études à Navarre. — Augustin-Alexis Taillet, futur vicaire général de Saintes. — Pierre-Louis, licencié en théologie. — Prieur de Nanteuil. — Chapelain de Saint-Laurent. — Son frère aîne, François Joseph, nommé évêque de Beauvais le 1er juin 1772 ; il reçoit les bulles apostoliques le 22 juin et puis sacré le 12 juillet. — Pierre-Louis, vicaire général et chanoine de Beauvais, le 10 septembre 1775. — Abbé de Vauluisant. — Notes de bas de page.


Rien sur l'enfance de Pierre-Louis de La Rochefoucauld, rien sur sa jeunesse. Ce temps-là dut se passer pour lui comme pour bien d'autres, entre les caresses maternelles et les émotions de l'étude. Les événements les plus remarquables de cette période de la vie sont la joie d'un premier succès à l'école, l'ennui d'une punition infligée. Un baiser refusé, une récompense obtenue, voilà les graves incidents qui marquent à jamais une époque. Ce fut ainsi sans doute pour le futur prélat.

Il y a pourtant une légende. Elle ne mériterait pas les honneurs d'une mention, encore moins d'une réfutation, si elle n'avait été recueillie et accueillie par une société savante qui lui a donné la publicité. Voici ce qu'on lit à la page 3 du Recueil des actes de la commission des arts et monuments de la Charente-Inférieure, tome II, n° I :

«1782, Le vingt mars Mger Pierre-Louis de La Rochefoucault nommé évêque de Saintes... est arrivé au château du Doüet.»

Ce texte est extrait du Journal de Claude-Furcy-André Legrix, chanoine de Saintes de 1781 à 1791, mort en mai 1818 doyen du chapitre de La Rochelle, et vicaire général du diocèse. Une note au bas de la page ajoute :

«De l'ancienne et illustre maison de La Rochefoucauld, mais d'une branche peu accommodée des biens de la fortune. Leur père exerçait la profession de menuisier dans une localité de l'Angoumois dont un ayeul de la famille Deval était seigneur. Un jour M. Deval trouva deux petits paysants jouant avec ses enfants ; frappé de leur air distingué et de leur physionomie intelligente, il se fit conduire chez leur père et découvrit les titres de leur noble origine ; il s'intéressa à eux, et les recommanda au vieux duc de La Rochefoucauld qui prit soin de leur avenir (1).»

Pourtant le conte le plus absurde a presque toujours quelque chose de vrai. On lit dans l'ouvrage d'Alexandre Sorel (2) : «Nous avons vu, au château de Merlemont, près de Beauvais, des fauteuils qui sont l'œuvre de l'infortuné prélat.» Les inventeurs et propagateurs de la légende peuvent triompher. Voici un historien consciencieux qui affirme nettement. Mais lisons tout : «L'évêque de Beauvais se distinguait par un caractère fort doux, et séjourner presque toujours à Beauvais, où il avait su se conseiller l'affection de tout le monde. Il était d'une nature si pacifique que, quand ses loisirs le lui permettaient, il ne dédaignait pas de faire quelque ouvrage en tapisserie. Nous avons vu des fauteuils, œuvre de l'infortuné prélat.» On sait, du reste, que Jean-Jacques Rousseau avait mis à la mode le travail manuel. Émile était menuisier, et Louis XVI, serrurier. Ne serait-ce pas cette tapisserie pour fauteuils qui aura fait croire au fabriquant de meubles ? De là à l'établi de père qui scie des planches, la pente est facile. C'est ainsi que se construisent les mythes, et que se fabriquent les histoires.

Et ici encore on plagiait. En effet, on a raconté le même fait d'un autre La Rochefoucauld de cette même époque, qui a joué rôle considérable à l'Assemblée nationale de 1789. C'est le cardinal Dominique de La Rochefoucauld, archevêque de Rouen, mort exilé à Munster en 1800, âgé de 89 ans. Picot, dans la Biographie Michaud, a le premier mis l'anecdote en circulation ; on sait si depuis elle a fait son chemin. «Dominique de La Rochefoucauld, dit-il, né en 1713 à Saint-Elpis, diocèse de Mende (?), était d'une branche pauvre et ignorée que découvrit M. de Choiseuil, évêque de Mende (3), en faisant la visite de son diocèse. Le prélat instruisit de sa découverte l'archevêque de Bourges, M. Frédéric-Jérôme de La Rochefoucauld. L'archevêque se fit un devoir de tirer de l'obscurité une portion de sa famille ; il appela auprès de lui le jeune Dominique, et se chargea de diriger ses études. Il l'envoya au séminaire de Saint-Sulpice et le prit ensuite pour son grand vicaire (4).»

Le récit est le même. Au lieu de Dominique la commission des arts a mis Pierre-Louis ; de l'évêque de Mende, le seigneur Deval ; de l'Auvergne, l'Angoumois ; de l'archevêque de Bourges, le vieux duc ; et d'une branche pauvre et ignorée, une branche peu accommodée des biens de la fortune. Un pas de plus, et messire Jean de La Rochefoucauld, seigneur de Maumont, Magnac, Le Vivier, chevalier du Mont-Carmel, est devenu menuisier à Touvre (5).

J'ai démontré que cette tradition ne s'applique pas à Mgr de Saintes. Concerne-t-elle l'archevêque de Rouen ? Pas davantage. Dominique n'était pas plus «d'une branche pauvre et ignorée» que Pierre-Louis n'était fils d'un menuisier. Il venait des La Rochefoucauld, seigneurs de Langheac et de Saint-Ilpize en Auvergne, rameau des La Rochefoucauld-Barbezieux, branche elle-même issue des premiers La Rochefoucauld.

Dominique, sacré archevêque d'Albi le 20 juin 1747, prieur de La Charité-sur-Loire, au diocèse de Nevers, abbé général de Cluny après la mort du cardinal de La Rochefoucauld en 1757, archevêque de Rouen en 1759, nommé le 23 février 1777, par le roi, pour un chapeau de cardinal, commandeur de l'ordre du Saint-Esprit en 1780, était le second enfant de Jean-Antoine de La Rochefoucauld, comte de Saint-Ilpize.

C'est lui qui protégea ses jeunes parents les La Rochefoucauld-Maumont, comme lui-même avait été patronné par le cardinal Frédéric-Jérôme de La Rochefoucauld, archevêque de Bourges, «primat d'Aquitaine, commander de l'ordre du Saint-Esprit, ambassadeur extraordinaire de sa majesté auprès de notre saint Père le pape», grand aumônier de France, abbé général de Cluny, président de l'assemblée du clergé de France en 1742, 1750, 1755.

Pierre-Louis fit ses études théologiques à Navarre. Il avait 23 ans. Il y rencontra pour compagnon Augustin-Alexis Taillet, prêtre du diocèse de Rouen, qui devint son vicaire général et son biographe. Entre les deux étudiants naquit une amitié solide que la mort seule put briser (6). Taillet suivit plus tard La Rochefoucauld à Saintes, où nous le retrouverons. Ce fut l'alter ego du prélat. Gai, affable, Taillet s'y fit aimer. Le 23 mai 1785, quand il s'agit d'envoyer à Bordeaux avec l'évêque un délégué du clergé du second ordre pour nommer les deux députés de la province ecclésiastique de Bordeaux à l'assemblée générale du clergé de France, ce fut «vénérable et discrète personne Augustin-Alexis Taillet, prêtre du diocèse de Rouen, docteur en théologie, de la maison et société de Sorbonne, vicaire général du diocèse au dit Saintes, et archidiacre d'Aunis au même diocèse», qu'on choisit (7).

Taillet, pendant que Pierre-Louis assistait aux séances de l'assemblée nationale, était son représentant à Saintes, et digne de l'être. Il resta à son poste tant qu'il fut possible ; quand on l'eut mis hors du palais épiscopal avec les meubles de son évêque, et que sa mission fut terminée en Saintonge, il passa en Espagne. C'est retiré à Bilbao, qu'il écrivait son mémoire sur l'Église de Saintes depuis 1789 jusqu'à la fin de 1796. Ce mémoire fut présenté, au nom de l'auteur, au pape Pie VI en 1797. Après 25 ans de recherches, nous avons fini, grâce à une obligeante communication, par pouvoir lire l'original autographe de cet important document.

Taillet écrivit aussi, au commencement de 1793, à Orense en Galice, un opuscule, reproduit par l'abbé Aimé Guillon (8), sous ce titre : «Les prêtres français ont-ils pu sans blesser leur conscience, sortir de France ? Ou leur fuite est-elle une faute qu'on ait le droit de leur reprocher ?» réponse à un parti très nombreux de catholiques qui, en France et à l'étranger, faisaient un crime aux ecclésiastiques de ne s'être pas laissé déporter à Rochefort ou traîner à la guillotine. Taillet y soutient ces cinq propositions que le clergé de France a été tellement persécuté qu'il a pu partir sans s'exposer au moindre blâme ; qu'il à dû partir ; qu'il a été forcé de partir ; qu'il n'aurait pu se dispenser de partir sans offenser Dieu, sans s'exposer au blâme ; qu'en partant il a obéi au précepte de Jésus-Christ est suivi l'exemple du Dieu-homme ; enfin qu'il a agi comme agissaient les apôtres, les premiers évêques et les prêtres, dans les temps de persécution. C'était le développement d'un autre petit ouvrage : Exposé des faits de la révolution française en ce qui touche le clergé, où il avait démontré jusqu'à l'évidence que les prêtres, tourmentés cruellement et constamment, avaient pu s'éloigner d'une terre qui les repoussait ; que les pasteurs, quoique disposés à donner leur vie pour leur troupeau, avaient dû abandonner des brebis révoltées qui les emprisonnaient et les égorgeaient, sans profit pour le salut des âmes, au grand détriment de la religion.

Taillet avait encore écrit d'autres mémoires «que nous nous félicitons de posséder», dit Guillon (9), en particulier un sur cette question : «La loi de Dieu de prêter le serment d'égalité-liberté», vérité qui y avait été péremptoirement développée et victorieusement prouvée.

Taillet, que Guillon appelle «le savant et judicieux grand vicaire de l'évêque-martyr de Saintes, le pieux abbé Taillet», revint en France (10). L'abbé Guillon dit en 1826 qu'il le voyait souvent. Né à Rouen, en 1744, il est mort à Paris, en janvier 1828. C'est à Rouen que l'abbé Nicolas-Prosper de Montalembert (11) lui expédia une partie de ses livres qui étaient à Bois-Charmant, chez Faure. Le reste avait été saisi par la nation.

À la fin des ses études, Pierre-Louis fut reçu licencié en théologie. Ces grades, alors fort recherchés, étaient la condition nécessaire pour obtenir des bénéfices. On se fait difficilement une idée du nombre de clercs qui, chaque année, à Saintes notamment, notifiaient pendant le carême, époque fixée, leurs noms et prénoms aux différents collateurs avec diplômes à l'appui. Il arrivait de là que de fort petites paroisses, comptant à peine quatre cents communiants, comme on disait alors, avaient pour pasteur un docteur en théologie. L'épreuve de la licence durait deux ans ; on était obligé d'assister à toutes les soutenances, d'y disputer à son rang et de soutenir trois thèses, une de cinq heures appelée mineure, sur les sacrements, une seconde de douze heures, la sorbonnique, sur la scolastique, et une troisième, la majeure ordinaire, de huit heures du matin à six heures du soir sur la positive. Le candidat jugé digne du grade recevait des mains du chancelier de l'université le degré de licence et la bénédiction apostolique.

Licencié en théologie de la faculté de Paris, le jeune La Rochefoucauld se fit recevoir de la maison et société de Navarre. C'était, comme la maison et société de Sorbonne, Socii Sorbonici, une association distincte et peu nombreuse qui n'admettait que des prêtres séculiers après des épreuves spéciales. Les membres juraient de ne passer jamais dans aucune autre agrégation. Les deux La Rochefoucauld paraissent avoir aimé les lettres. Celui de Beauvais fut même un des trois prélats choisis, selon l'antique usage, pour être conservateur des privilèges apostoliques de l'université de Paris.

Une fois gradué, Pierre-Louis fut nommé prieur de Notre-Dame de Nanteuil-le-Haudoin (12). Le bénéfice, valant plus de 2000 livres, était à la collation de l'abbé de Cluny, c'est-à-dire de Dominique de La Rochefoucauld, qui était administrateur de tout l'ordre. En outre, Dominique le fit chapelain titulaire de la chapelle de Notre-Dame en l'église paroissiale de Saint-Laurent à Rouen, bénéfice qui ne valait guère que 40 livres.

Bientôt son frère, Francois-Joseph, élève de Saint-Sulpice, licencié en théologie (1762-1763) et archidiacre du Vexin au diocèse de Rouen, fut, sur la démission en sa faveur d'Étienne-René Potier, cardinal de Gesvres depuis 1756, et évêque de Beauvais dès 1728, nommé par Louis XV. Préconisé par Clément XIV, dans le consistoire du 1er juin 1772, il reçut ses bulles le 22, fut sacré par le cardinal de Gesvres le 12 juillet, prêta serment au roi le 16 et entra dans sa ville épiscopale le 29 septembre suivant (13). Il fit Pierre-Louis son vicaire général.

D'autre part, leur sœur aînée Marie-Charlotte, nommée par le roi, en 1768, abbesse du Paraclet, au diocèse de Troyes, avait auprès d'elle, Louise, une de ses sœurs, qui ne la quitta qu'à la mort (14). Ainsi vivait cette famille toujours tendrement unie. La nécessité pouvait les éloigner parfois ; les séparer, jamais. Une touchante lettre de Mme de Corlieu, petite-nièce de l'évêque de Saintes, filleule de l'évêque de Beauvais (15), nous raconte un trait de cet attachement : qu'elle a bien voulu nous confirmer de vive voix. «Les deux évêques allèrent un jour voir leur sœur au Vivier, ma tante de Corlieu. De là, ils vinrent faire une visite à ma mère, qui était grosse de moi. L'évêque de Beauvais s'offrit pour tenir son enfant sur les fonts de baptême, disant que si c'était un garçon, il se chargerait de son avenir. Il n'arriva qu'une fille. Il s'en chargea également et m'emmena en 1785 à l'âge de trente mois aux Ursulines de Clermont, près de Beauvais. Pauvre saint martyr ! Comme il venait me voir souvent en m'apportant toujours quelque chose !»

Vicaire général de Beauvais, Pierre-Louis y devint bientôt chanoine et chantre de Saint-Pierre (10 septembre 1775), à la place de François-Honoré Regnard, décédé le 5 (16).

Comme grand-vicaire de Beauvais, Pierre-Louis seconda son frère dans l'administration de son diocèse. Dès le printemps de 1773, François-Joseph commençait ses visites pastorales. En 1776 il publia un mandement contre les funestes tendances de la philosophie ; la même année, il ordonna que désormais les cimetières fussent établis à une certaine distance des habitations. Il permit l'année suivante aux chanoines de porter la soutane violette et aux dignitaires du chapitre la soutane rouge. En 1779, le feu ravagea plusieurs points du diocèse ; il fonda en faveur des incendiés une caisse de secours. À Bresles, où était située la maison de campagne des évêques de Beauvais, il rebâtit à ses frais plusieurs habitations que les flammes avaient dévorées.

En 1775, l'évêque de Beauvais se rendit à Reims ; il y assista le 11 juin au sacre de Louis XVI. En sa qualité de pair de France, il porta et présenta au roi le manteau royal et remplit les diverses fonctions de sa charge (17). C'était encore, de concert avec l'évêque-duc de Laon, d'aller chercher le monarque au palais archiépiscopal, le lever sur son lit et l'amener à l'église ; puis durant la cérémonie, de se tenir aux côtés du roi pendant qu'il recevait l'onction, l'aider à se lever de son fauteuil et de demander à l'assemblée si elle lui serait soumise comme à son souverain. Il est à croire que le grand vicaire accompagna son évêque dans cette circonstance.

En 1776, Pierre-Louis de La Rochefoucauld fut nommé par le roi abbé de Sainte-Croix à Bordeaux, monastère fondé, dit-on, en 650, par Clovis II, et dont le revenu était d'environ 18000 livres. Il figure encore avec le titre d'abbé de Sainte-Croix, sous le nom de La Rochefoucauld-Magnac, dans l'Almanach royal de 1790.

En 1779, le général de l'ordre de Cîteaux lui donna l'abbaye de Notre-Dame de Vauluisant au diocèse de Sens (18).

Pierre-Louis, du reste, avait gagné ces distinctions et ces faveurs. En effet, la province de Rouen, dont le tour était venu de désigner un agent général du clergé à l'assemblée en 1775, l'avait nomme (19).

Les agents généraux du clergé étaient deux ecclésiastiques du second ordre, choisis pour avoir soin des affaires du clergé d'une session à l'autre. Cette mission toute de confiance et importante, accordée en pleine assemblée, prouve quel état on faisait de Pierre-Louis de La Rochefoucauld.

Coïncidence étrange, le futur massacré des Carmes était élu en même temps que Louis-François de Jarente de Sénas d'Orgeval, vicaire général de Toulouse, qui donna à la France l'exemple de la défection, et fut l'un des quatre prélats qui jurèrent la Constitution civil du clergé. Il faut dire aussi qu'il succédait en cette charge à Jacques-Joseph-François de Vogué, vicaire général de Châlons-sur-Saône, et à Jean-Marie du Lau, né, comme lui, dans le diocèse de Périgueux, le 30 octobre 1738, au château de La Coste, élève comme lui de Navarre, sacré archevêque d'Arles le 1er octobre 1775, et mort avec lui dans la funeste journée du 2 septembre 1792. Et pour les remplacer, ils eurent Thomas-Pierre-Antoine de Boisgelin, vicaire général d'Aix, assassiné à l'Abbaye, le 4 septembre 1792 ; mais aussi Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, abbé de Saint-Denis de Reims, qui fut sacré évêque d'Autun le 4 janvier 1789 et se démit en 1791.

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[Notes de bas de page.]

1.  Ce passage, dont j'ai scrupuleusement respecté le français vieillot et l'orthographe archaïque, n'est qu'un défi jeté à l'histoire. Les actes authentiques que j'ai cités suffisent amplement à en démontrer les erreurs grossières. À qui fera-t-on croire qu'un gentilhomme portant un des plus grands noms de nos annales, allié aux plus illustres familles, chevalier de l'ordre du Mont-Carmel et de Saint-Lazare de Jérusalem, possédant cinq or six seigneuries à la naissance de son dernier enfant, ait eu besoin, pour élever sa famille, de raboter des planches à l'intention des paysans de Saint-Cybard-le-Peyrat ou de Blanzaguet ? Comment admettre que les La Rochefoucauld, les Montalembert, les Galard de Béarn, qui signent au baptême de ses enfants, aient laissé leur parent, leur allié, leur ami, dans la misère ? Comment les fils aînés qui, au moment où leur jeune frère trottait, déguenillé, inculte, dans les chemins de l'Angoumois, à la recherche de quelque puissant protecteur, étaient, eux, magnifiquement pourvus, faisaient de riches mariages, achetaient des propriétés, comment laissaient-ils au seigneur Deval l'honneur de tirer de l'indigence leur frère cadet, et souffraient-ils que leur père revêtu des insignes de l'ordres de Saint-Lazare, façonnât armoires et châlits pour ses appartements, châssis de fenêtres pour son logis ? Comment enfin, puisqu'un espace de huit ans séparait les deux futurs évêques, pouvaient-ils, «ces deux petits paysants», l'un âgé d'une dizaine d'années, l'autre de dix-huit ans, ayant sans doute déjà commencé ses études ecclésiastiques et portant peut-être le petit collet, jouer ensemble en vrais gamins ? Et pendant ce temps, que devenaient les autres ? François-Jean-Charles qui, précisément à cette date de 1753, capitaine des grenadiers royaux, épousait la belle sœur d'un maréchal de France et vice-roi de Saint-Domingue, s'était donc permis d'apprendre à lire et de faire son chemin avant d'être protégé des Deval, marchands d'Angoulême et seigneurs de Touvre par engagement ?

Pour ces Deval, voir le docteur Claude Gigon, Le Château de Touvre, Nouvelle édition publiée par Paul de Fleury (Angoulême, Roussaud, 1882). Un était archiprêtre de Saint-Jean, à Angoulême, et prêta, avec les autres curés de la ville, serment à la constitution civile du clergé.

Pour plus amples détails une réfutation avec preuves à l'appui de cette ridicule invention, voir la Revue d'Aunis, Saintonge et Poitou, août et septembre 1869, sous ce titre : Messire Jean de La Rochefoucauld, chevalier, seigneur de Maumont, Magnac, Chétarniac, Barros, etc., chevalier du Mont-Carmel et de Saint-Lazare de Jérusalem..., menuisier à Touvre, ou Bulletin religieux du diocèse de La Rochelle du 25 juillet 1868.

2.  Alexandre Sorel, Le couvent des Carmes pendant la Terreur (Paris, Didien, 1863 ; p. 60).

3.  Gabriel-Florent de Choiseul-Beaupré, né en 1685, fut abbé de Notre-Dame de Tironneau dans le diocèse du Mans, de Sainte-Colombe dans le diocèse de Sens, aumônier du roi, évêque de Saint-Papoul en mai 1714 et de Mende en 1723 ; il mourut le 7 juillet 1767.

4.  L'abbé François-Xavier de Feller, Dictionnaire historique,... (Reiger, Augsburg, 1781-1784 ; p. 193), et L'ami de la religion du 31 mars 1824, raconte la même histoire, et aussi la Biographie Didot, etc.

5.  J'ai entendu narrer le fait autrement. Le duc de La Rochefoucauld, qui voyageait en poste, entendit à un relais un gamin crier à son camarade : «Eh ! La Rochefoucauld !» Le duc étonné appela l'enfant. «Comment t'appelles-tu ? — La Rochefoucauld. — Tu es de la ville de La Rochefoucauld ? — Non. — Comment s'appelle ton père ? — La Rochefoucauld.» Le duc de plus en plus intrigué se fait conduire chez lui ; et là, en effet, il reconnaît un membre de sa famille. Le reste se devine.

6.  Une note d'un contemporain, le vicomte de Bremond du Masgelier, nous raconte que Taillet, un des quatre docteurs de Sorbonne chargés de la direction spirituelle de l'école militaire, s'était, à la suppression de ces quatre aumôniers, attaché à Pierre-Louis de La Rochefoucauld, alors agent général du clergé. Nous avons suivi la version de l'abbé Guillon, ami particulier de Taillet. Les deux jeunes prêtres, d'ailleurs, avaient pu se connaître lorsqu'ils étudiaient la théologie.

7.  Les électeurs étaient : Pierre-Louis de La Rochefoucauld, doyen du chapitre ; Pierre-Léonard Delaage, vicaire général ; Félix-Marie Déguillon, chanoine, vicaire général et grand archidiacre de Saintonge ; La Mothe de Luchet, vicaire général ; François-Marie-Hilaire d'Hérisson, abbé de Masdion, chanoine ; Jean-Mathieu Delord, chanoine et vicaire général ; Jean-Pierre Croizier, vicaire général de Valence et de Saintes, chanoine théologal et maître-école ; Louis-Augustin Hardy, vicaire général et principal du collège ; Charles Pichon, curé de Sainte-Colombe ; tous députés du clergé du diocèse de Saintes, et Paul-Paroche Dufresne, chanoine et syndic du clergé du Saintonge. L'acte est passé le 30 mars 1785 par-devant Bigot, notaire, en présence de Jean-François-Joseph Bigot et de Jean Dumon, praticiens.

8.  L'abbé Guillon, Les Martyrs de la foi pendant la révolution française,... (Paris, Mathiot, 1821 ; tome I, p. 510).

9.  L'abbé Guillon, Les Martyrs de la foi... (tome I, p. 540).

10. Au mois de septembre 1800, J. Brumault de Beauregard, plus tard évêque d'Orléans, qui revenait de la déportation de Cayenne, vit l'abbé Taillet en Portugal ; dans ses Mémoires (Poitiers, Saurin, 1842 ; tome II, p. 571), il dit : «Nous trouvâmes à Lisbonne d'anciens amis d'études, de Sorbonne et de séminaire, et parmi eux l'abbé Taillet, vicaire général de Saintes ; nous pleurâmes sur mon frère, son ami, et sur leur ami commun, le bon évêque de Saintes. M. de Montagnac, évêque de Tarbes, mêla ses larmes aux nôtres.»

11. Nicolas-Prosper de Montalembert fut ancien chevau-léger de la garde du roi, puis supérieur des séminaires de Luçon et de La Rochelle ; il mourut à Saintes en 1848.

12. En Picardie à 20 kilomètres de Senlis au diocèse de Meaux, Nanteuil, aujourd'hui chef-lieu de canton du département de l'Oise, avait une très remarquable église priorale du XIIIè siècle, et un château construit par François 1er [régné de 1515 à 1547], entièrement démoli pendant la Révolution.

13. Francois-Joseph avait été installé, le 6 septembre 1759, comme prieur de Lanville, diocèse d'Angoulême, prieuré qui était dans sa famille depuis 1531.

14. On trouve encore près de là, dans le diocèse d'Evreux, une La Rochefoucauld, abbesse de Saint-Sauveur de 1743 à 1789.

15. Louis-Françoise-Joséphine de Corlieu de Labaudie, une des six filles de Joseph — neveu d'Antoine, qui épousa Hippolyte de La Rochefoucauld, sœur des évêques — et de Jeanne de Salignac de Fénelon, épousa en 1821 son cousin issue de germain, François-Charles de Corlieu, né à Troyes le 18 juillet 1787, vérificateur des douanes jusqu'a sa démission en 1830. De ce mariage sont issues Mme. Cardonne et Blanche-Louise-Edmée de Corlieu, née à Nantes le 22 décembre 1823, décédée à Saintes le 6 avril 1890, veuve de Henri-Léopold Potier de Pommeroy, laissant Gabrielle de Pommeroy, marquise de Saint-Légier de La Sauzaye.

16. Voici l'acte de prise de possession transcrit sur les registres du chapitre de Beauvais (registre de 1773 à 1776), signé du doyen Lancry de Pronleroy ; nous le devons à l'obligeance de M. Millière, curé de la cathédrale de Beauvais :

«Die dominica 10 septembris, capitulo post primam congregato, preside domino decano.

Magister Petrus-Ludovicus de La Rochefoucauld-Bayers, diœcesis Petrocoriensis presbyter, sacræ facultatis Parisiensis licentiatus theologus, hujus diœcesis vicarius generalis, nec non cleri gallicani negotiorum procurator, petiit ut, virtute litterarum provisoriarum ipsi a D.D. episcopo Belvacensi concessarum de cantoria et canonicatu vacantibus per obitum magistri Francisi-Honorati-Antonii Reynard, presbyteri in jure baccalaurei, illorumque ultimi atque immediate possessoris pacifici, in possessionem dictorum cantoriæ et canonicatus, servatis servandis, poneretur.

Lectis litteris provisionum, basptismati, tonsuræ clericalis, presbyteratus ordinis, nec non instrumento testimoniali de subscripto formulario, D. decanus de hoc rogatus illum posuit et induxit in possessionem dictorum, canonicatus per installationem in altis sedibus a dextra parte chori, et cantoriæ per installationem in altis sedibus a sinistra parte, præstito prius ab ipso juramento solito, emissa fidei professione, solutis juribus ordinariis ; juxta actum cujus tenor est in registro provisionum.

DE LANCHY DE PRONLEROY. DEBLOIS, can. sec.»

17. L'évêque-comte de Beauvais était le quatrième des pairs ecclésiastiques ; son titre ne paraît pas remonter au delà de 1189. Les cinq autres pairs ecclésiastiques étaient, dans l'ordre hiérarchique, l'archevêque-duc de Reims, les évêques-ducs de Laon et de Langres et les évêques-comtes de Châlons et de Noyon ; les six pairs laïcs étaient les ducs de Normandie, de Bourgogne et de Guienne, les comtes de Flandre, de Champagne et de Toulouse.

18. L'abbaye cistercienne de Vauluisant, fondée en 1127, se trouve à Courgenay, près de Sens, dans le département de l'Yonne. Le prédécesseur de Pierre-Louis comme abbé de Vauluisant était le futur archevêque d'Aix¹, avec qu'il devait signer l'Exposition des principes sur la Constitution du clergé en 1790. [¹ Jean de Dieu-Raymond de Boisgelin de Cucé, naquit à Rennes le 27 février 1732, reçut sa licencié en théologie de la université de Paris ; ordonna en 1755, vicaire général de Pontoise et de Rouen, puis évêque de Lavaur en 1765 et archevêque d'Aix en 1771, il fut président de l'Assemblée nationale durant novembre 1789 et le véritable auteur de la susnommée exposition ; il s'exila en Angleterre en 1792, rentra en France après la Terreur (du septembre 1792 au juillet 1794), signa le Concordat du 16 juillet 1801, fut nommé archevêque de Tours en 1802 et créa cardinal en 1803 ; élut membre de l'Académie française en 1776, il mourut à Angevilliers, près de Tours, le 17 janvier 1804.]

19. Acte passé le 5 avril devant Le Gingois, notaire à Rouen.



«Deux victimes des Septembriseurs» :
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[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]