«DEUX VICTIMES DES SEPTEMBRISEURS [LES BIENHEUREUX FRÈRES LA ROCHEFOUCAULD]» DE
LOUIS AUDIAT ; CHAPITRE 17


CHAPITRE 17. — Proclamation du département pour inviter les prêtres à jurer. — Les réfractaires sont remplacés. — Nouveaux professeurs au collège. — Nombre et noms des prêtres jureurs, — des fidèles. — La municipalité constate le refus de serment de l'évêque. — Il est déclaré démissionnaire. — Notes de bas de page.


Les administrateurs voulaient résolument faire exécuter la loi. Un peu vexés de voir que la seule édiction du décret ne suffisait pas pour amener en foule les prêtres au serment, ils les invitèrent et les pressèrent. Une Proclamation du Directoire du département de la Charente Inférieure, relative au serment à prêter par les fonctionnaires publics, fut imprimée par Toussaints, jadis imprimeur du clergé et franc-maçon comme Fauchay, secrétaire de l'évêché, envoyée à tous les districts, à toutes les municipalités, lue et affichée partout :

«L'Assemblée nationale par son décret du 27 novembre dernier, sanctionné le 26 décembre suivant, a ordonné que les évêques, les ci-devant archevêques, curés et autres ecclésiastiques fonctionnaires publics prêteraient le serment dont la formule leur a été prescrite.

«Par son décret du 4 janvier dernier, sanctionné le 9 suivant, l'Assemblée nationale a ordonné que le serment serait prêté purement et simplement, sans qu'on pût se permettre aucunes sortes de préambules, d'explications ou de restrictions.

«Le directoire du département est très persuadé que tous les fonctionnaires publics s'empresseront de donner des preuves de leur déférence et de leur soumission à la loi. Peut-il y avoir, au sein de l'empire, des citoyens assez ennemis de l'ordre et de leur devoir pour méconnaître des lois que la nation a droit sans doute de s'imposer à elle-même ?

«Si l'aveuglement qui naît ou de l'intérêt personnel ou des inductions étrangères avait conduit quelques fonctionnaires publics à manquer à ce devoir sacré, la peine est prononcée contre eux par la loi ; ils sont réputés avoir renoncé à leur office ; et il sera pourvu à leur remplacement.

«Cette peine est encourue de droit par le seul refus de prestation du serment ; mais l'intérêt de la religion, le respect que nous lui devons, exigent qu'il n'y ait aucun intervalle dans l'exercice du culte et des cérémonies religieuses, et ne permettent point par conséquent aux fonctionnaires actuels d'abandonner leur emploi jusqu'au moment où ils seront remplacés de fait.

«L'article VII du décret du dit jour, 27 novembre, qui prohibe aux ecclésiastiques qui n'auraient pas fait le serment de s'immiscer en aucunes fonctions publiques, ne s'entend que de ceux qui tenteraient de le faire au moment où ils seraient remplacés ; cette interprétation, si juste et si naturelle, vient d'être confirmée par l'Assemblée nationale elle-même.

«Par ces considérations, le directoire du département rappelle à tous les fonctionnaires publics qui auraient négligé ou refusé de prêter le serment décrété par l'Assemblée nationale, et dans les délais déterminés, qu'ils ne peuvent abandonner leurs fonctions jusqu'à leur remplacement, auquel il va être incessamment procédé ; et, s'il en est besoin, il leur enjoint de s'y maintenir jusqu'à cette époque, à peine de demeurer garans et responsables de tous événements qui pourraient résulter de l'abandon de leur place.

«Délibéré et arrêté en directoire, le 29 janvier 1791.

«BRÉARD, vice-président. RABOTEAU. RIQUET. DURET, ESCHASSERIAUX. CHESNIER. JH. JOUNEAU. RUAMPS. GARNIER, procureur général sindic. EMOND, secrétaire

Le 13 février, Jean Bonifleau, curé de Saint-Eutrope, et Jacques Martineau, vicaire, celui dont «la résistance anti-civique» avait tant scandalisé Bourignon, prêtent serment ; et le Journal patriotique du district de Saintes, 20 février 1791, donne cette nouvelle en ces termes : «M. le curé de Saint-Eutrope les Saintes à prêté le serment civil ; et il a été imité par son vicaire le sieur Martineau. Oh ! (1

Dans le même numéro on lit : «La majorité des ecclésiastiques de ce district (Montlieu) a prêté le serment civique.»

Le dimanche, 20 février, c'est Benjamin-Henri Chassériau du Chiron, curé de Saint-Michel, qui plus tard épousa une protestante (2) ; Louis-Eutrope Doussin, curé de Saint-Vivien, dont il a été question ; Pierre Tessandier, professeur de seconde, et Jean-Baptiste Forget, professeur de sixième au collège. Le 3 avril, un des quatre curés de Saint-Pallais, Louis-Joseph Racapé, qui devint plus tard avocat à Saintes, jura aussi. Puis, le 1er mai, à Saint-Eutrope, Anselme Meusnier, prêtre récollet ; le 2, à Saint-Pallais, Jean-Placide Vallette, aussi récollet ; le 25 décembre, Joachim Martin, vicaire de la paroisse principale de Saint-Pierre. C'est tout pour l'année 1791 à Saintes ; et c'est peu. On récompensa les dociles ; on persécuta les réfractaires. Les professeurs eurent l'honneur de commencer. Sauf trois, ils n'avaient pas, il faut l'avouer, montré beaucoup de condescendance aux désirs de l'autorité. Pouvaient-ils, avec cet esprit d'indiscipline, rester encore en fonctions ? Le 8 février, sur l'ordre du directoire du district, le collège municipal nomma pour former le bureau d'administration : Robert de Rochecouste, maire, président ; Claude-Antoine Gout, officier municipal ; Étienne Boisnard, procureur de la commune ; André-Antoine Bernard, président du tribunal du district ; Lafaye, aîné ; Jean-Jacques Héard, avocat en parlement ; Delaage, receveur des tailles de la ville, et Jérôme-René Landreau, juge. Ce bureau demanda l'avis du district. Et, le 22 février, le district répondait «qu'il serait impolitique de laisser plus longtemps confiée aux soins de professeurs réfractaires une jeunesse dont ils ne peuvent qu'enflammer l'esprit en sens inverse de la Constitution» ; qu'il était «temps que les jeunes citoyens sortissent des entraves d'une institution servile, qui, assortie aux mœurs d'un régime fondé sur des moyens arbitraires et oppressifs, n'est plus faite pour les jours de la raison et de la liberté.» Il renvoyait, du reste, à la municipalité pour le choix à faire, qui ne devait pas être borné aux seuls ecclésiastiques, mais «s'étendre indistinctement à tous les autres citoyens sans autre distinction que celles du mérite et des vertus (3).»

Le 4 mars, le conseil municipal fixe le jour de l'élection au 14. Ce jour, le bureau d'administration, uni au conseil municipal et au directoire du département, 39 personnes en tout, sous la présidence de Bréard, vice-président, nomma principal par 26 voix, Pierre Dalidet, prêtre du diocèse, ci-devant religieux récollet, qui, après les plus grands écarts, fut converti par Mathieu Messeix, ancien bénédictin de Saint-Jean d'Angély, curé de Saint-Eutrope, et mourut repentant ; sous-principal et professeur d'humanités par 33 voix, Charles-François Jupin, prêtre, dont on a un discours (4). Létourneau garda la première chaire de philosophie ; Tessandier eut la deuxième par 35 bulletins. Le rédacteur du Journal patriotique de Saintes, François-Marie Bourignon, ci-devant Bourguignon, lieutenant colonel de la garde nationale, fut élu par 20 suffrages professeur de rhétorique (5). Forget, prêtre, professeur de sixième, fut élevé par 35 suffrages à la chaire de seconde. Au troisième scrutin, on choisit, au ballottage avec Phelippot, François Jobit, sous-diacre, par 32 voix, pour régent de troisième ; le diacre François-Pallade Guérin pour régent de quatrième ; Jean-Fabien Phelippot pour la sixième. La cinquième eut le sous-diacre Dom Dulac (6), ancien religieux de chœur chez les Trappistes de Septfonts. Ces nouveaux élus prêtèrent serment, le 20 mars, à Saint-Pierre, sauf Jobit qui, absent, jura le 10 avril. Peu après, Auguste Gaudin de Montendre, prêtre, plus tard juge de paix à Montendre (7), remplaça Forget devenu sous-principal (8), et jura le 22 mai à Saint-Pierre. Benjamin Maublanc (9), Sébastien Duchaine, Joseph Martinaud et Philippe Collet furent nommés professeurs de philosophie, de logique, de quatrième et de cinquième, à la place de Létourneau, Tessandier, Guérin et Dulac, tous quatre dans les ordres. L'acte de prestation de leur serment, 27 novembre, est signé de Robinet, évêque, Chassériau et Guérin, vicaires épiscopaux (10).

Il est bien difficile de faire le dénombrement de ceux qui prêtèrent le serment civique. «Le nombre des prévaricateurs, dit l'abbe Taillet, a été très grand parmi les curés et vicaires du diocèse de Saintes ; peu de diocèses ont offert le scandale de tant de chutes.» Et il calcule que sur près de cinq cent cinquante curés, trois cent cinquante ont juré, et la moitié au moins des cent vicaires : quelques-uns de bonne foi ; d'autres pour ne pas abandonner leurs paroissiens, par timidité, faiblesse, crainte de la misère, entraînement ; d'autres, par ressentiment de quelque injustice, vrai ou fausse, par vanité, ambition ; quelques-uns, par perversité. Il y a des degrés dans la chute. Ceux-ci s'arrêtèrent au serment que plus tard ils rétractèrent ; ceux-là allèrent jusqu'à l'intrusion, l'apostasie, le mariage, etc., la persécution de leurs frères.

«J'aimerais mieux, dit l'abbé Taillet, cacher leurs fautes et les ensevelir dans un profond silence ; mais ce ne sont point des fautes secrètes que je révèle ; ce sont des actions publiques, éclatantes que je censure. Les lois de la véridique histoire obligent à dire le mal comme le bien ; et puisque j'ai nommé plusieurs d'entre les bons pour engager à les imiter, pourquoi ne nommerais-je pas, quoique avec répugnance, quelques-uns des méchants pour éviter à d'autres la tentation de leur ressembler ?» — et, parmi les plus compromis, il cite comme un modèle de fanatisme révolutionnaire un sieur Dubois, curé intrus de Pons. On le citait jusqu'à trente ans pour un exemple de douceur, de modestie, de piété. La révolution est venue ; elle a paru lui avoir donné une toute autre âme : il est devenu dur, impie, violent jusqu'à persécuter ; et frappé d'une maladie qui l'a emporté toute jeune encore, il a conservé jusqu'au dernier soupir son fougueux attachement à la Constitution civile du clergé, et a demandé en mourant pour toute grâce qu'on écrivît sur sa tombe : «Dubois, 1er curé constitutionnel de Pons».

«Je nommerai pour modèles d'un patriotisme plus ardent, ou plutôt d'une fureur sans bornes, un sieur Deschamps, intrus de Dompierre, le panégyriste de Mirabeau, qui a été dans son canton le fléau des curés fidèles, et qui, plus d'une fois, a pris contre eux des mesure qui tendoient à les faire assassiner ; un sieur Faye de la ville de Rochefort (11), qui a soulevé le peuple contre son seigneur lequel étoit en même temps son bienfaiteur et son créancier, l'a forcé à s'enfuir et, après son départ, a aidé à spolier son château ; qui, fier de cet exploit, a été s'emparer à main armée de la cure de Royan et y a épanché tout son fiel contre les nobles et les prêtres, surtout contre l'estimable pasteur qu'il avoit dépouillé et dont la présence et les vertus le fatiguoient ; c'est encor lui qui, au moment de la déportation, lorsqu'une multitude de prêtres étoit réunie à Royan pour s'embarquer, fit courir le bruit qu'ils venoient pour l'égorger, demanda une garde de sûreté, fit sonner le tocsin au milieu de la nuit, et excita un mouvement fâcheux qui pouvoit aller loin. Il s'est marié depuis avec une de ses paroissiennes [Mlle Dubois, fille d'un chirurgien], et vit aussi méprisé des protestants que des catholiques ; et un sieur Gasse (12) qui, perdu de réputation et chassé du séminaire, a été ordonné par l'intrus et fait en très peu de temps sous-diacre, diacre, prêtre et curé. Son emportement contre les gens de bien alloit jusqu'à la rage ; on le voyoit souvent avec une épée nue ou dans sa maison ou au-dehors, surtout dans les cabarets, crier qu'ils périroient par sa main, vomir contre eux des injures, des imprécations, des jurements jusque dans le lieu saint, jusqu'au moment des redoutables mystères. Il est à peu près le plus jeune des intrus du pays qu'il habite, et il en est très certainement le plus féroce.» Puis, Léonard, curé de Marennes, qui «a vu avec une joye indicible la destruction de l'Église catholique. Il s'est agité tant qu'il a pu pour multiplier les jureurs, pour faire adopter la Constitution civile du clergé et pour consolider le schisme. Partisan forcené de Mirabeau, il a osé placer sur l'autel le buste de ce scélérat, à côté de la croix de Jésus-Christ et lui faire partager l'encens avec le Dieu trois fois saint (13).» Puis Doussin (14), curé de La Tremblade, «depuis longtemps hardi dans ses opinions, qui a vu sans s'effrayer les triomphes de l'irréligion et y a pris part, tout deux ennemis de l'autorité épiscopale, tous deux ayant secoué, avant la révolution, les bienséances et les gênes de leur état, tous deux ont eu le lamentable avantage d'attirer dans le schisme les filles de Saint-Vincent, et les infecter du poison contagieux de l'erreur.»

«Je citerai le père Billard, récollet, apostat octogénaire, qui n'étant attaché à aucune paroisse, alloit, comme une espèce de missionnaire, prêcher de toutes parts le bonheur de la liberté nouvelle ; engageoit le peuple des villes et les paysans à tuer les seigneurs, les nobles, tous les aristocrates et surtout les prêtres réfractaires ; qui chaque jour exhaloit sa rage avec une violence que la glace des années n'avoit point refroidie. On a écrit de France qu'il étoit mort en désespéré ; seroit-il improbable que celui qui, pendant plus de soixante ans, avoit vécu en athée, fût mort comme un démon ?» L'historien nomme encore Duc, Métadier, Vanderquand, Guimberteau, Berny et Jacques Roux, dont nous avons parlé, et les vicaires épiscopaux de Robinet qu'on trouvera au chapitre 21.

Les religieux ont aussi fourni leur contingent au parjure et au schisme. Parmi les communautés d'hommes, étaient les religieux Mendiants dont tout annonçait en Saintonge l'extinction inévitable et prochaine. «Ils y avoient un certain nombre de maisons, mais peu ou point de sujets. Les Récollets avoient dix maisons et n'avoient pas trente religieux. Il y avoit une douzaine de Cordeliers répandus dans cinq maisons ; huit ou dix Jacobins dans trois maisons, trois Capucins, deux Augustins, deux Carmes. Encore, si ce petit nombre eût été bon, mais, grand Dieu ! qu'ils ont fourni d'apostats et d'intrus !... Combien d'entre eux se sont fait un jeu de violer des vœux prononcés depuis 20, 30, 40, 50 ans ! Combien ont cumulé l'apostasie, le parjure et l'intrusion ! Nous comptons parmi les prévaricateurs deux Capucins, trois Jacobins, un Cordelier et une vingtaine de Récollets. Rendons justice aux religieux qui demeuroient à Saintes. Les Jacobins et les Cordeliers n'y ont point juré, et sur cinq Récollets trois sont restés fidèles ; parmi lesquels doit être particulièrement cité un P. Gabriel, ex-provincial, qui a toujours respecté ses devoirs et son habit. On l'a vexé, tourmenté ; une fois on l'a chassé violemment de la ville ; mais on ne l'a point fait tomber. Il a passé son exil en Espagne emportant les regrets, l'estime et la confiance de tous les bons catholiques de Saintes. Certes, c'est un grand mérite d'être resté constamment vertueux parmi des confrères si gangrenés.»

Dans le diocèse de Saintes étaient encore trois maisons de Bénédictins, l'une à Saint-Jean d'Angély, l'autre à Bassac, la troisième à Saintes. Cette dernière, établie à Saint-Eutrope, était de la congrégation de Cluny, qui venait d'être sécularisée quelques moments avant la Révolution. Des quatre religieux un seul jura.

«Les Bénédictins de Saint-Jean d'Angély, au nombre de 12 ou 13, s'étoient séparés la plupart avant le serment et avoient passé dans leurs diocèses respectifs. Un seul jura, «Dom Le Maire, plus que septuagénaire, qui depuis longtemps méprisoit son état et dont la tête étoit affaiblie ; mais aussi nous sçavons positivement que le curé très respectable de cette ville, Dom Déforis, a été déporte en Espagne avec trois de ses vicaires relligieux qui, comme lui, avoient refusé le serment et qu'il y est mort à Burgos.»

Bassac avait dix religieux ; un seul jura, puis apostasia, Meisseix, curé de Saint-Nicolas ; le prieur Dom François de Sainte-Marie passa en Espagna. Il y a avait encore une communauté de Bernardins à La Frenade, composée de deux religieux ; l'un a juré et fut intrus.

Des douze chanoines réguliers de la congrégation de Chancelade, à 3 lieues de Saintes, aucun n'a voulu faire le serment ; et les anciens et les jeunes se sont disputés à qui montrerait le plus de courage. Tous ou presque tous partirent pour l'exil ; l'un d'entre eux, M. Monmor, très jeune prêtre, fut aumônier du prince de Condé.

Les cinq frères de La Charité à Saintes jurèrent tous. Par contre, aucun des sept directeurs du séminaire. Cinq furent déportés en Espagne. Nous avons parlé du collège.

Fait à noter ! ce sont les femmes qui montrèrent le plus de fermeté. Des quatre-vingt-deux Bénédictines (cinquante-six dames de chœur, vingt-six sœurs converses), pas une n'a voulu profiter de la liberté offerte de quitter le couvent. Il fallut les faire sortir de force, au nom de la liberté, puisqu'elles préféraient rester dans leur cloître. «La vénérable abbesse, Mme de Parabère, qui avait gouverné cette maison durent 40 ans et qui demandait à Dieu, pour toute grâce, de ne jamais rentrer dans le siècle, expira, pleine de joie et de confiance, la veille du jour où il lui eût fallu sortit.» Même conduite chez les trente filles de Mme de Lestonnac, les Notre-Dame (vingt-et-une dames, neuf converses), dont la supérieure était Mme Dangibeaud, «pleine de mérites, de modestie et de foi». Il y eut une défection chez les dix-huit Carmélites (15 dames, trois converses) ; «encore la coupable n'étoit-elle plus des leurs ; elle avoit donné précédemment dans des écarts qui l'avoit fait exiler et renfermer ; elle vivoit parmi les Carmélites ; mais elle n'étoit plus carmélite celle qui a pu se résoudre à jeter de côté son habit et ses vœux, à adopter promptement les passions et les vices du monde, et à contracter tout de suite des liens impurs dont les libertines même ont rougi.»

Une des vingt-huit religieuses de Sainte-Claire (dix-neuf dames, neuf converses) donna le même scandale. Les onze Hospitalières (deux converses) ont suivi l'exemple de fermeté que leur donnait leur supérieure Mme de Maureuil. Les six sœurs de la Charité — il y en avait trois autres à Saujon et trois à Tesson — «ont été vraiment sublimes. On leur faisoit beaucoup de mal ; elles s'en vengeoient en faisant beaucoup de bien. Les pauvres mêmes s'élevoient contre elles ; elles redoubloient de soins pour les pauvres. Plus d'une fois les magistrats vendus à la Révolution sont venus dans leur église faire des scènes de violence et d'irréligion ; jamais ils n'ont pu déconcerter leur piété, ni entamer leur orthodoxie. Les choses ont été portées si loin que plusieurs centaines de gardes nationaux ont investi et attaqué, la nuit, ces vierges modèles de toutes les vertus dans leur maison, asile de la pudeur ; mais Dieu prit leur défense, et leurs nombreux agresseurs tout armés, saisis d'une terreur panique, ont été dissipés en un instant (15).»

Les sœurs de la Sagesse, qui avaient deux hôpitaux dans le diocèse, ne montrèrent pas moins d'énergie que les filles de Saint-Vincent de Paul, et souffrirent la persécution sans se relâcher ni dans leur piété, ni dans les bonnes œuvres. «Je me rappelle avec consolation avoir vu à Saintes la supérieure de l'hôpital de l'île d'Oleron ; elle faisoit vingt lieues pour se confesser à un prêtre catholique au risque d'être fréquemment insultée sur la route dans un âge encore jeune.» Seules leurs deux maisons de Marennes et de La Tremblade ont contristé leur congrégation, ayant été égarées et conduites en erreur par les curés de deux paroisses. Quelques Bénédictines de Cognac, retirées dans leurs familles, eurent le tort de montrer une frivolité indigne de leur état. Enfin une hospitalière de Saint-Jean d'Angély, «ignorante et inconsidérée», s'est laissée séduire par les menaces de la Révolution. En somme, malgré deux ou trois apostasies et quelques fautes, les communautés de femmes ont parfaitement prouvé par leur conduite «la fausseté de l'insolente assertion des philosophes qui osoient prédire que, si l'on ouvroit la porte des cloîtres, on en verroit sortir sur-le-champ toutes les victimes qu'ils recéloient.»

En face de ces lâchetés l'historien doit citer les beaux exemples de courage et d'héroïsme ; Augustin Taillet n'y manque pas. En premier lieu il rend hommage à ces «deux-cent-cinquante pasteurs ou vicaires qui n'ont jamais adoré l'idole, ou, s'ils l'ont adorée un instant, sont revenus presque aussitôt aux autels du vrai Dieu, avec un courage très louable et au milieu de dangers dont le moindre étoit la misère», et à ces «confesseurs, qui ont été renfermés dans des prisons et pendant plusieurs mois pour n'avoir pas trahi leur ministère ; tels que MM. Glâtron, curé des Essarts, De Pain (16), archiprêtre, Terrien, curé de Saint-Germain (17).»

«M. Arsonneau, vicaire de Saintes (18), qui, traîné à l'hôtel de ville par une soldatesque effrénée, pour avoir célébré un mariage selon les loix de l'Église, y a été enfermé plusieurs jours, a presque vu dresser sous ses yeux une potence à laquelle on avoit le projet de l'attacher, a entendu les cris de ceux qui le maudissoient, et qui étoient altérés de son sang, et a conservé le calme qui ne peut venir que d'une conscience pure.

«Le diocèse s'honorera de ces pasteurs charitables qui, chassés de leur maison, dépouillés de tout, se sont retirés dans quelque cabane à portée de leurs paroissiens pour les visiter, les consoler, les fortifier, qui, gênés et surveillés sans cesse, avoient encore le secret de sauver leurs brebis au milieu des hurlements des loups, et n'ont quitté leur poste qu'à la dernière extrémité ; tels ont été les curés fidèles de Saintes et en particulier M. Bonnerot, curé de Saint-Maur (19), qui, désigné par les méchants comme une victime qu'il falloit promptement immoler, ne put s'évader de la ville, qu'à la faveur des ténèbres, sous l'habit grossier d'un charretier ; tel un M. Ferret, curé de la ville de Pons (20), qu'une populace furieuse assiégea dans sa maison, et alla déterrer dans un grenier ; il s'y étoit caché et enveloppé dans des tapisseries, que des soldats yvres piquoient de la pointe de leurs épées ; mais par un bonheur inconcevable, il ne fut point blessé, et fut porté dans la rue et étendu sur le pavé, par des paroissiens ingrats, que sa présence tourmentoit, que son courage déconcertoit. Il s'honorera d'un M. Rollet (21), qui, quoiqu'entouré d'espions, alloit sans cesse de tous côtés, confessant et donnant la communion ; il avoit avec une très chétive santé un zèle infatigable, et il a été pendant plus d'un an une des principales ressources de toutes les familles catholiques de Saintes.

«Il s'honorera d'un M. Gaildreau, curé de Belluire, qui, arraché le matin de la maison d'un de ses paroissiens, qui lui avoit donné azile, fut conduit, le long d'un grand chemin, pendant plusieurs lieues, par une troupe de soldats et de paysans, qui le chargeoient d'injures et d'imprécations. A pied, les mains liées, il fut obligé de les suivre presque toute la journée, et tandis qu'ils s'arrêtoient dans des cabarets, ils le laissoient en dehors, exposé à la pluye la plus violente ; puis sortant avec une fureur que le vin avoit augmentée, ils redoubloient leurs hurlements et leurs menaces ; vingt fois ils se mirent en devoir de le pendre ou de l'égorger ; il ne doutait point que sa dernière heure ne fût venue. Enfin, soit que la compassion de quelques-uns eût arrêté la rage des autres, soit que la longueur du chemin les eût lassés, soit que l'yvresse eût affaibli leurs bras et leur tête, ils laissèrent échapper leur proye en la maudissant ; et le digne curé mourant de faim, excédé de fatigue, arriva le soir à Saintes, priant Dieu de pardonner aux autheurs et aux acteurs d'une scène aussi atroce (22).

«Il s'honorera d'un M. Cazey, ancien curé (23), qui, lorsque l'évêque intrus vint pour lui faire visite dans une maison de campagne, près de la ville de Saintes, appercevant de loin la soutane violette, ouvrit sa fenêtre, et prenant le ton de l'indignation, cria à cet usurpateur de s'éloigner, qu'il ne vouloit pas le voir. Le schismatique insista et le pria d'ouvrir : «Nolite recipere eum in domum nec ave ei dixeritis.» Ce fut toute la réponse du pasteur orthodoxe. Le sieur Robinet le conjura, au nom de leur ancienne amitié, de permettre qu'il s'entretînt avec lui : «Je fus votre ami, reprit M. Cazey, je ne le suis plus. «Qui dicit ei ave communicat operibus ejus malignis» ; et la porte resta fermée ; l'intrus reprit tristement le chemin de la ville, repassant dans son esprit l'amère leçon qu'il venoit de recevoir. Il est à remarquer que ce respectable curé avoit rejetté l'épiscopat constitutionnel qui lui avoit été offert, et que, pour bien manifester la pureté de ses sentiments, il avoit écrit aussitôt à Mgr de La Rochelle pour lui renouveller la promesse d'obéissance que tout prêtre, au moment de l'ordination, fait à son légitime évêque.

«Il s'honorera d'un P. Pichon, ex-jésuite, plus qu'octogénaire, qui resté en France, y a subi deux fois une prison bien plus dure que l'exil, et a montré que la vieillesse, qui affaiblit le corps, n'affaiblit point le courage, ni la foi. Deux de ses frères, prêtres comme lui, et imitateurs de sa vertu, partageoient sa détention ; tous trois ont donné l'exemple d'une patience que les privations, les angoisses et les dangers ne déconcertoient point ; le second des trois y a succombé (24).

«Il s'honorera d'un P. Réveillaud (25), aussi ex-jésuite, octogénaire, qui est part pour l'exil, avec un courage fait pour en inspirer à tous ; qui deux ans après, forcé encore de s'exposer aux dangers de la mer, et aux fatigues de la terre, témoignoit de la joye de consacrer aux souffrances les restes d'une vie qui avoit été fort utile ; qui, conduit à Orense, y a employé le peu de force que laisse un si grand âge, à donner une retraite ecclésiastique et l'a donné avec ce ton apostolique, cette onction patriarchale qui ranime les âmes, puis s'est endormi dans le Seigneur, regretté de tous les prêtres dont il était doyen, regretté du saint évêque d'Orense, dont il a reçu la bénédiction avant de mourir.

«Il s'honorera de la contenance évangélique avec laquelle tant de prêtres condamnés à la déportation, ont quitté leur patrie, insultés, maltraités, maudits, volés à leur départ et rendant bénédiction pour malédiction et louant Dieu d'être réduits à la mendicité, faisant des vœux pour cette patrie même qui les chassoit avec tant de cruauté.

«Enfin et surtout il s'honorera de ceux qui ont subi les rigueurs de la réclusion, ou qui ont été entassés dans des vaisseaux comme dans d'horribles cachots, et qui ont succombé à l'infection et à la misère ; s'ils n'ont pas résisté jusqu'au sang ils ont eu une espèce d'agonie plus effrayante, plus douloureuse, leur mort, et par ses causes, et par ses circonstances peut et doit être appelée un véritable martyre.»

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C'était bien quelque chose que ces curés qui prêtaient le serment ; ce n'était pas assez. Le chef du diocèse, député à l'Assemblée nationale, dont l'exemple eut entraîné tant d'ecclésiastiques, paraissait ignorer l'existence du décret qu'il avait vu discuter et qu'il avait repoussé de son vote. À Saintes, on s'inquiétait de son silence, ou plutôt on tenait à constater son refus. Le 2 février, jour où jadis l'échevinage inscrivait scrupuleusement sur ses registres le récit de la fête de la chandeleur à laquelle il avait assisté, le conseil municipal s'informe si l'évêque de Saintes a envoyé son serment. Il constate qu'il n'y a rien sur les registres (26).

Cela suffisait pour une séance. Dans l'après-midi, le maire somme encore le greffier Senné, de lui présenter son registre des prestations de serment. Nouveau désappointement. Les conseillers municipaux n'y trouvent ni l'évêque, ni ses vicaires généraux, ni les supérieur et directeurs du séminaire. Le registre est encore vierge de ces noms ; les feuillets blancs sont immaculés, et l'office de greffier des assermentés va devenir une sinécure (27).

Il était bien constaté que l'évêque de Saintes n'avait pas mis beaucoup d'empressement à jurer. Son confrère de La Rochelle, Charles de Coucy, n'avait pas fait preuve de plus de zèle. Ces deux prélats étaient donc réputés démissionnaires ; et le siège de Saintes vacant, celui de La Rochelle demeurant supprimé, il fallait combler le vide ; il fallait vite donner un pasteur à tant d'âmes qui soupiraient après lui, et remplacer ce prêtre qui restait obstinément fidèle à sa conscience. L'article 4 du titre II du décret du 12 juillet 1790 disait : «Sur la première nouvelle que le procureur général syndic du département recevra de la vacance du siège épiscopal, par mort, démission ou autrement, il en donnera avis aux procureurs-syndics des districts, à l'effet par eux de convoquer les électeurs qui auront procédé à la dernière nomination des membres de l'assemblée administrative ; et en même temps il indiquera le jour où devra se faire l'élection de l'évêque, lequel sera, au plus tard, le troisième dimanche après la lettre s'avis qu'il écrira.» En conséquence l'assemblée électorale, c'était la seconde, fut convoquée aussitôt.

Une des plus malheureuses inspirations de l'Assemblée nationale avait été la Constitution civile du clergé. On le vit, mais trop tard, par les embarras qu'elle lui causa à elle-même, à la Législative et à la Convention. Or, le décret du 12 juillet 1790, qui établissait un évêché par département, avait aussi décidé que les titulaires des bénéfices seraient nommés par le peuple. Le titre II disait :

«A compter du jour de la publication du présent décret, on ne connaîtra qu'une seule manière de pourvoir aux évêchés et aux cures, c'est à savoir, la forme des élections [l'article 1].

«Toutes les élections se feront par la voie du scrutin et à la pluralité absolue des suffrages [l'article 2].

«L'élection des évêque se fera dans la forme prescrite et par le corps électoral indiqué, dans le décret du 22 décembre 1789, pour la nomination des membres de l'assemblée de département [l'article 3].»

Sans doute on avait voulu ainsi prévenir l'abus du favoritisme, et éviter ces nominations scandaleuses dont le clergé souffrait le premier. N'avait-on pas vu le huguenot Sully posséder trois abbayes (28) ; des femmes même être titulaires de bénéfices ecclésiastiques, et l'influence d'une maîtresse disposer des évêchés ? Mais était-ce bien le remède au mal ? Oui, le peuple entier, exerçant solennellement la plénitude de ses droits, s'était montré sage dans ses choix, pratique dans ses vœux, modéré dans ses doléances. Le vote parut un spécifique absolu. On avait élu les maires ; on élira les curés. On avait élu les administrateurs du département ; on élira les évêques. Mais le prêtre n'est pas un fonctionnaire : car il ne reçoit pas ses pouvoirs de l'état. L'état n'a aucune prise sur les âmes. Elles échappent à ses ordres et à ses agents. Quand il essaie de s'imposer aux consciences, il devient tyrannique ; alors, le martyre est prêt.

Au point de vue même du droit des gens, il y avait contrat synallagmatique. Les circonscriptions diocésaines, les règles d'institution canonique et d'élection, avaient été faites du consentement des deux pouvoirs, spirituel et temporel. Une des parties contractantes brisait donc ses engagements. Enfin, on avait agi avec tant d'imprévoyance et de précipitation qu'on n'avait pas remarqué une conséquence monstrueuse de la loi. Tout le monde avait le droit de choisir les curés. Dans le protestantisme chaque église nomme son ministre ; mais on n'appelle pas les catholiques au scrutin (29). Ici tout citoyen actif, c'est-à-dire ayant la qualité de français, l'âge de 25 ans, un an de domicile, une contribution directe équivalent à trois journées de travail et n'étant point domestique, participait à la nomination de l'évêque et du curé, qu'il fût du reste impie, athée, calviniste, juif ou mahométan, pourvu qu'il se soumît à la formalité dérisoire d'assister à la messe le jour de l'élection [voir l'article 6].

Donc, tous les protestants de la Saintonge furent convoqués pour désigner celui qui devait commander aux âmes catholiques et pour implicitement déclarer que La Rochefoucauld en était bel et bien indigne.

Dès le 21 février 1791, on prépare la cérémonie de l'élection ; la municipalité fait transporter à la cathédrale des bancs, tables et chaises nécessaires aux électeurs. Le même jour, ordre est publié d'abattre toutes les armoires. La vue en pourrait blesser le prélat démocratique qu'on va faire. On appose aussi les scellés à l'évêché, au séminaire. Tout sera prêt au jour fixé.

_____________________________________

[Notes de bas de page.]

1.  Il est fâcheux que lui, amateur de poésie, ne donne pas les couplets qui coururent alors sur les prêtres jureurs, et qu'on fredonnait sur l'air du roi Dagobert¹ :

Et toi, Bonifleau,
Et toi, Gastumeau,
Et toi, Dalidet,
Faites votre paquet...

[¹ À proprement parler, sur l'air de sonnerie de chasse Fanfare du cerf du XVIIIème siècle.]

2.  L'abbé Taillet, L'Église de Saintes depuis 1789 jusqu'à la fin de 1796, dit : «A la tête de ces étranges apôtres fut placé un curé de la ville de Saintes, un sieur Chasseriaux, ancien oratorien du diocèse de La Rochelle, qui depuis longtemps appeloit par ses vœux l'exécution de la Constitution civile du clergé. Il avoit calculé que son changement d'état feroit une forte augmentation dans sa fortune ; il répétoit souvent et avec une joye vive qu'il alloit être premier vicaire de l'évêque, et qu'au lieu de 25 louis, il en auroit plus de 100. Il étoit pourtant un de ces curés intrépides qui avoient protesté et signé qu'ils mourroient plutôt que de jurer ; plus d'une fois il avoit dit à ses paroissiens qu'on ne pouvoit jurer sans se damner ; mais les 100 louis ont radouci la sévérité de sa théologie. Il n'a plus trouvé qu'il y eût si grand mal à jurer : il a même fini par trouver que c'étoit un grand mal de ne point jurer, et il est devenu jureur, intrus, clubiste, persécuteur ; puis il a remis ses lettres de prêtrise ; puis il s'est marié.»

3.  Délibération du directoire du district sur les professeurs du collège.

«Le directoire assemblé, qui a pris communication de l'extrait de délibération des administrateurs du collège de Saintes, tendant à avoir l'avis de l'administration du directoire sur le choix à faire de nouveaux sujets pour remplacer les professeurs qui ont négligé de prêter le serment décrété par l'Assemblée nationale du 27 novembre dernier ;

«Ouï le procureur syndic ;

«Estime que la nécessité du remplacement des professeurs réfractaires à la loi du 26 décembre sur le décret du 27 novembre, est d'autant plus urgente qu'il serait impolitique de laisser plus longtemps confiée a leurs soins une jeunesse dont ils ne peuvent qu'enflammer l'esprit en sens inverse de la Constitution, sinon par des conseils du moins par une manifestation de principes contraires au nouvel ordre de choses ; qu'on ne saurait en ces circonstances appeler trop promptement à remplir les fonctions délicates de l'éducation nationale, des citoyens dont le talent et le civisme seront le garant de leurs soins à faire germer dans le cœur de leurs élèves l'amour de la patrie et de leurs devoirs, et à les pénétrer du sentiment de leurs droits ; qu'enfin il est temps que les jeunes citoyens sortent des entraves d'une institution servile, qui, assortie aux mœurs d'un régime fondé sur des moyens arbitraires et oppressifs et sur les préjugés, n'est plus faite pour les jours de la raison et de la liberté.

«En conséquence, est d'avis qu'il soit pourvu sans délai au remplacement des professeurs qui, à raison de leur résistance à loi du 26 décembre dernier, sur le décret du 27 novembre, ne peuvent plus continuer des fonctions dont cette même loi les exclut ; qu'à cet effet et en conformité de l'article 10 du titre 1er du décret des 23 et 28 octobre dernier, sanctionné le 5 novembre, la municipalité de Saintes soit entendue sur le choix à faire des personnes que leurs talents et leurs vertus doivent rendre dignes d'être préposées à un soin aussi précieux et aussi intéressant que celui de l'enseignement public, lequel choix sera provisoire, déterminé sur les renseignements et sur l'avis du directoire du district par l'administration du département.

«Le directoire pense au reste que ce choix d'après les principes de la Constitution ne peut ni ne doit être borné aux seules personnes qui, dans ce moment, exercent des fonctions ecclésiastiques ; mais qu'il doit s'étendre indistinctement à tous les citoyens, sans autre distinction que celle du mérite et des vertus.

«La séance est levée à midi.

«DUBOIS. ESCHASSERIAUX. ARDOUIN. DUGUÉ. GODET, secrétaire.»

4.  Charles-François Jupin, Discours par le citoyen Jupin, professeur de langues anciennes, à l'occasion de la plantation d'un arbre de la liberté dans la cour de l'école centrale à Saintes, à la suite duquel est Discours en vers sur la fondation de la république par le citoyen Vanderquand an VII, 2 pluviôse (Saintes, Mareschal, 1799).

5.  François-Marie Bourignon écrivit, le 27 mars, une lettre de démission à son régiment : «Les tracasseries et l'injustice des méchants ne m'ont jamais découragé... ... Mais pour prouver que l'amour de la patrie, bien plus que l'amour des épaulettes, m'a constamment retenu dans la garde nationale, je vous prie très instamment de vouloir bien m'admettre au rang de simple grenadier. Le pompon rouge sera pour moi une décoration bien précieuse. Je ne vous quitterai pas, je suivrai vos traces, et ça ira.»

6.  Pierre-Honoré Dulac, né à Saintes le 2 mai 1757, fils de Pierre Delacoste-Dulac, employé dans les fermes du roi, et de Marie-Eustelle Fleuret, que le certificat de la municipalité de Dompierre-sur-Loire, dont dépendait l'abbaye de Septfonts (Allier), nomme, on ne sait pourquoi, Zacharie Fleurette. Il s'était fait trappiste à Septfonts, où il était qualifié bibliothécaire du couvent dans l'inventaire du 28 mai 1790. Il revint à Saintes, où il ne resta que trois mois, professeur au collège. Le 22 juin 1791, il signa à Saint-André de Dolus «desservant», et le 12 septembre «curé». Le 24 janvier 1794, «le citoyen Pierre Dulac, sans-culottes et sergent dans la garde nationale de la commune des Sans-Culottes, île de la Liberté, ci-devant Dolus, île d'Oleron», épousa sa servante, jadis marchande de sardines, «la citoyenne Marguerite Guinot, majeure, âgée de 34 ans ; née au lieu de Trillou, commune de la Montagne, ci-devant Saint-Trojan» ; il signa «Dulac Sans-Culottes». Le 8 décembre 1794, il eut un fils qu'il nomma Guillaume-Cyprès ; il était alors qualifié marchand.

7.  Voir Louis Audiat, Un Faux en gentilhommerie. Le dernier marquis de Montandre (Paris, Bureaux de la revue, 1895) ou Louis Audiat, La Surprise de Taillebourg et de Montandre, 1593-1603 (Pons, Texier, 1881).¹ [¹ Plus d'habitude Montendre]

8.  Jean-Baptiste Forget, nommé principal du collège de Poitiers, ne put entrer en fonctions ; il devint préfet des études au collège Sainte-Barbe à Paris, et y mourut in 1811. Charlotte-Polydore Forget, né à Saintes le 14 juillet 1800, de Jean-Baptiste Forget et de Henriette-Charlotte Lacheurié, qui mourut en lui donnant le jour, fut un professeur fort remarquable à la faculté de médecine de Strasbourg, où il mourut en 1858. ; Marie-Charlotte Lacheurié, née à Saintes le 1er novembre 1765, fille de François, commis au bureau des classes de la marine, eut pour parrain et marraine, Michel-Louis Desmier de Saint-Simon et Marie-Anne-Charlotte de Saint-Simon

L'abbé Taillet, L'Église de Saintes depuis 1789 jusqu'à la fin de 1796, dit : «Le plus coupable des trois professeurs qui jurèrent est M. Forget qui s'est attaché à l'évêque intrus et est devenu supérieur du séminaire constitutionnel, plus l'un des vicaires de la cathédrale ; il a été l'un des premiers de ce clergé impur qui ait bravé l'opinion publique et abjuré le célibat... Forget, jeune professeur du collège de Saintes, de mœurs suspectes avant le schisme, de mœurs scandaleuses après le schisme, placé à la tête du jeune clergé constitutionnel, en qualité de supérieur du séminaire, il a montré à ses élèves jusqu'où pouvait s'étendre la liberté révolutionnaire. Il a abjuré son sacerdoce et sa foi, et même toute pudeur naturelle, et il vit publiquement dans les liens infâmes d'une qu'il qualifie de mariage, mais que les fidèles regardent comme un affreux concubinage.»

9.  Benjamin Maublanc, de Saint-Maixent, après avoir «combattu la contre-révolution dans la Vendée en qualité de capitaine commandant», fit à 23 ans imprimer un livre, à savoir : «Principes de morale, par Benjamin Maublanc, citoyen françois et professeur de philosophie» (Saint-Jean d'Angély, Josserand, 1793).

10. Au mois d'août 1791, sur le prospectus du collège (le prix de la pension est de 424 livres), nous trouvons : Jupin, principal ; Forget, sous-principal ; Bourignon en rhétorique ; Gaudin en seconde ; Jobit en troisième ; Maublanc, professeur suppléant de 4è ; Collet de 5è ; Philippot est toujours en 6è.

11. Pierre-Jean Faye, curé de Saint-Martin de l'Eguille depuis 1788, prêta serment ; le 9 septembre 1791, il remplaça à Royan Jean-Tiburce Delon, chanceladais, né en 1746, qui fut déporté en Espagne à Orduna, et devint en juin 1803 curé d'Arvert, où il mourut le 27 avril 1814, et où il eut pour prédécesseur Germain Ranson et pour successeur François Chenuau.

12. Pour François-Jean-Baptiste Gasse, voir note 6 au chapitre 3.

13. Louis-Marie-Henri-Joseph Léonard, né à Chevanceaux en 1749, était fils de Jean-Joseph Léonard, indentant du comte de Sainte-Maure, seigneur de Chaux, et neveu de Mandé Léonard, prieur-curé de Challaux de 1746 à 1786; il fut nommé, en 1784, par l'abbesse de Saintes, curé de Saint-Pierre de Sales en Marennes. Il prêta, puis rétracta le serment de liberté-égalité, et fut élu président du club, honneur qu'il mérita par sa violence. Pourtant, cela ne le préserva pas de la persécution : il fut déporté sur le ponton les Deux Associés, mouillé en rade de l'île d'Aix, et il y mourut le 15 août 1794. En 1888, l'archiprêtre de Marennes, Pierre Bonnin, lui a dédié une cloche, comme «confesseur de la foi», et pour rappeler «son attachement inébranlable à la foi catholique». Est-ce une ironie ?

14. Pour Louis-Eutrope Doussin, voir note 2 au chapitre 11.

15. L'abbé Taillet, L'Église de Saintes depuis 1789 jusqu'à la fin de 1796, dit : «C'est ici le lieu de raconter une anecdote particulière qui prouve l'acharnement des méchants contres ces saintes filles et le caractère ferme et chrétien de la sœur Durand, leur supérieure. Celle-ci fut accusée par deux calomniateurs, dont un mourut subitement peu de jours après, d'avoir faire des enrôlements pour Coblentz ; c'étoit alors le crime le plus impardonnable, le véritable crime de lèse-nation. L'un des témoins étoit valet de meunier, l'autre à peu près de la même classe ; ce fut sur de pareils témoignages qu'on arrêta cette sœur sexagénaire, et on la mit dans la maison publique. Le geôlier qui la logeoit crut avoir un ange chez lui : mais des monstres qui entourèrent la maison poussèrent dans les ténèbres des hurlements de rage, et tandis que la sœur prioit avec tranquillité le Dieu qui sonde les cœurs et qui protège les innocents, l'un d'eux tira dans les ténèbres de la chambre un coup de fusil dont l'édifiante prisonnière pensa être atteinte ; celui qui fit le coup s'en vanta et fut applaudi ; mais la sœur, toujours renfermée, attendit assez longtemps son jugement. Peu s'en fallut qu'on ne l'envoyât à Orléans pour être une de ces victimes dont l'assassinat déjà prémédité. La perversité a pourtant ses bornes ; on rendit la liberté à la sœur Durand dont détention ne put refroidir ni le zèle ni la charité.»

16. Sans doute Pierre Depain, né à Saintes, qui fut enfermé, passa en Espagne, puis fut aumônier de l'hospice de Saintes où il est mourut le 18 février 1820, âgé de 68 ans. Il y avait encore : Élie-Gabriel Pain, Dominicain, curé d'Antezan, deux fois mis en prison, qui mourut aux Notre-Dame¹ en 1796 ; Pierre Pain, curé de Mornac, qui jura ; et un autre Pierre Pain, curé de Tanzac depuis 1773, homme excellent, déporté, qui devint curé de Mornac en 1803. [Dès 1792, l'Abbaye Royale Notre-Dame de Saintes — soit l'Abbaye-aux-Dames — devenait prison... et s'achèvent donc huit siècles de vie monastique.]

17. Jean-Michel Terrien, né à Mortiers, fils d'un chirurgien, fut curé de Saint-Germain de Lusignan après juillet 1785 jusqu'en avril 1792 ; il signa ses actes en 1791 «prêtre de l'Église catholique, apostolique et romaine». Il fut déporté ; au retour de l'exil, il fut nommé curé de Mortiers, où il mourut en 1834.

18. André-Henri-Charles Arsonneau, né dans le diocèse de Saintes en 1756, nommé prieur de Sainte-Radegonde en 1782, fut curé de Courant après la Révolution.

19. Thomas-Joseph Bonnerot, né à Landrecies (Nord), bachelier de Sorbonne, diacre du diocèse de Cambrai, vint à Saintes en 1766 comme professeur de physique¹ au collège. Il fut prieur commanditaire de Saint-Pierre de Montendre, bénéfice qu'il résigna le 18 janvier 1781 à Sigisbert de Rupt, sous-principal. Il fut nommé curé de Saint-Maur par l'évêque de Saintes, à la mort de Jean-Baptiste Faure, le 5 octobre 1783 et prit possession le 9. Après le rétablissement du culte (1801-1802), il fut vicaire général de La Rochelle, et mourut à Saintes, pensionné du gouvernement, le 2 décembre 1832, âgé de 88 ans. Il est l'auteur d'un manuscrit important, à savoir : un pouillé du diocèse de Saintes en 1789. [¹ Pas forcement la physique actuellement.]

20. Guillaume Ferret, né à Saint-André de Dolus en l'île d'Oléron, le 12 janvier 1759, vicaire de Marennes (1774-1781), desservant de Saint-Bonnet en 1781, puis de Saint-Genis, fut nommé vicaire perpétuel de Saint-Martin de Pons en 1784. L'abbé Taillet dans son attestation (Bilbao, 30 novembre 1792), contresignée par le chanoine Rollet, nous le montre «bonis operibus semper intentum, alucro abhorrentem, pauperes foventem quamquam foret ipse pauperrimus ; ipsum repulisse sacramentum civicum, e sede sua ejectum fuisse media inter pericula medios inter ictus, nec potuisse nisi per summam vim ab ovibus suis eripi et separari, tandemque ingravescente persecutione, coactum exulare, ad hispanieam regionem appulisse, nudum opibus, virtutibus divitem...» ; voir Archives historiques de la Saintonge de l'Aunis (IX, 382). L'abbé Taillet, L'Église de Saintes depuis 1789 jusqu'à la fin de 1796, ajoute : «La ville de Pons étoit on ne peut mieux partagée en pasteurs, au moment de la Révolution. Outre M. Ferret, elle avoit MM. Barraud et Monnoir, tous deux vrais ministres du Seigneur, tous deux sont restés en France. Le premier, retiré dans le diocèse de Bordeaux, à l'ombre d'un déguisement, a parcouru les villes et les campagnes ; et dans le temps de la plus affreuse tyrannie, ayant toujours la guillotine sur la tête, a sauvé des âmes. Nous souhaitons qu'il n'ait pas succombé. Le second, deux fois emprisonné mais toujours ferme et inébranlable, a refusé le premier acte de soumission et le second, montrant à toute la Saintonge qu'un prêtre catholique doit toujours être un fidèle et courageux royaliste.» Monnoir, vicaire de Saint-Maur à Saintes, fut curé de l'hôpital de Pons ; il fut enfermé aux Notre-Dame à Saintes. Il signait pendant la persécution «prêtre, exerçant le culte catholique».

21. Pour Jean-Louis-Simon Rollet, chanoine de Saint-Georges de Rexe, et secrétaire de Pierre-Louis de La Rochefoucauld, voir note 3 au chapitre 10.

22. Romain Gaildreau, né en 1749, curé de Belluire en 1786, se cacha longtemps, puis fut forcé de s'expatrier en Espagne ; il fut nommé curé de Saint-Just de Luzac en 1803.

23. Daniel Cazey [ou Casey], licencié en théologie, prieur de Saint-Blaise en la paroisse de Saint-Grégoire d'Ardenne en 1781, official du diocèse, résigna sa cure de Bords, le 16 juin 1783, devant le notaire Bigot ; voir note 19 au chapitre 5.

24. Pour les Pichon, voir note 37 au chapitre 6.

25. D. Réveillaud, nommé par l'évêque de Saintes, en 1730, chapelain de Chagras dans l'église de Gimeux ; il était frère de Joseph Réveillaud, conseiller au présidial de Saintes, et de Marie-Anne Réveillaud, femme de Louis de Luchet de La Mothe.

26. «L'an 1791, le 2e du mois de février, environ sur les dix heures du matin, nous, Robert de Rochecouste, maire de la ville de Saintes, nous étant rendu à l'hôtel commun de la ville, où s'est trouvé le sieur Pierre-Côme Senné, secrétaire greffier du dit hôtel de ville, auquel nous avons demandé s'il était de sa connaissance que M. Louis-Pierre de La Rochefoucauld, évêque du diocèse, actuellement à Paris où il réside en qualité de député de la province à l'Assemblée nationale depuis le mois d'avril 1789, eût fait notifier au greffe de cette municipalité un extrait de la prestation du serment qu'il était tenu de faire à l'Assemblée nationale dans la huitaine qui a suivi la sanction du décret du 27 novembre dernier, sanctionné par le roi, le 26 décembre suivant ; sur quoi le dit sieur Senné nous ayant ouvert son registre, sur lequel sont établis les différentes actes faits à son greffe, que nous avons parcouru avec lui, nous n'y avons trouvé aucunes déclarations faites à la requête de mon dit sieur l'évêque de Saintes qui justifie et fasse mention qu'il a exécuté en aucune façon ce qui est prescrit par l'article IV du décret sus-mentionné du 27 novembre dernier ; de quoi nous avons cru devoir dresser le présent procès-verbal de n'être tenu en aucune demeure ; duquel nous sommons le dit M. Senné, greffier, de délivrer incessamment une expédition et de la remettre à M. le procureur général du département de la Charente-Inférieure.

«Fait, clos et arrêté à l'hôtel commun de la dite ville de Saintes, le jour, an et heure sus dits, en présence de MM. Gout, Lesacques, Canolle, Néron, Maréchal et Boisnard, procureur de la commune, qui ont signé avec nous.»

27. «Advenant le même sus dit jour, 2 du mois de février 1791, à l'hôtel commun de la dite ville de Saintes, environ les deux heures après midi, nous, Robert de Rochecouste, maire de la dite ville, avons sommé M. Pierre-Côme Senné, greffier secrétaire du dit hôtel, de nous déclarer si les vicaires de M. de La Rochefoucauld, évêque de Saintes, et les supérieurs et directeurs du séminaire de la dite ville lui ont fait quelques déclaration tendant à annoncer ou prouver qu'ils étaient dans l'intention de prêter le serment ordonné par le décret de l'Assemblée nationale du 27 novembre 1790, sanctionné par le roi, le 26 décembre suivant ; à quoi il nous a répondu, après avoir mis en évidence les registres, qu'aucuns des vicaires, supérieurs et directeurs du séminaire, résidant dans la présente ville et même dans le présent diocèse, ne lui ont manifesté en aucune façon vouloir se conformer et exécuter ce qui est prescrit pour la disposition du sus dit décret ; de quoi nous avons dressé le présent procès-verbal pour n'être tenu en aucune demeure, duquel nous enjoignons au dit sieur Serré de délivrer expédition en forme le plus tôt possible à M. le procureur général syndic du département de la Charente-Inférieure, pour nous conformer à ce qui nous est prescrit par le sus dit décret.

«Fait, clos et arrêté, le jour, an et heure sus dits, à l'hôtel commun de la dite ville, en présence de MM. Gout, Lesac, Canole, Néron, Maréchal et Boisnard, procureur de la commune, qui ont signé avec nous.»

28. [Note de l'éditeur.  Maximilien de Béthune, naquit en 1559, nomma duc de Sully en 1606, fut principal ministre d'Henri IV (règné de 1589 à 1610) ; au cours de sa longue carrière, ce véritable Pooh-Bah fut conseiller d'etat, conseiller des finances, gouverneur de la Bastille, gouverneur de Poitou, grand maître de artillerie, grand voyer, maréchal de France, surintendant des batiments et surintendant des finances ; il mourut en 1642.]

29. Ici l'injustice était particulièrement choquante. En effet, la loi qui spoliait les Catholiques laissait leurs biens aux églises protestantes et tout en accordant aux Protestants, la libre et exclusive élection de leurs pasteurs, leur permettait en même temps de prendre part à l'élection des évêques et des curés.



«Deux victimes des Septembriseurs» :
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[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]