JACQUES-AMÉDÉÉ LE PAIRE

PETITE HISTOIRE POPULAIRE DE LAGNY-SUR-MARNE

LAGNY, ÉMILE COLIN ET Cie, 1906


PRÉFACE

Depuis longtemps on nous a demandé d'écrire un abrégé de l'histoire de Lagny.

Un député de Seine-et-Marne, par lettre, nous demandait ce travail en 1892, et il insistait en disant que l'enseignement de l'histoire locale dans les écoles serait un excellent point du départ pour apprendre aux enfants l'histoire de France.

C'est aussi notre avis.

Nous avions espéré qu'un de nos concitoyens, un Laniaque, entreprendrait cette tâche qui lui aurait été facilitée par les nombreux documents publiés dans notre livre les
ANNALES DE LAGNY.

Il n'en a rien été ; et nous nous sommes décidé à écrire ce petit livre qui, nous l'espérons, sera accueilli par nos compatriotes avec la même faveur, la même bienveillance, que l'a été, en 1881, notre livre, les ANNALES DU PAYS DE LAGNY.

Dans ce livre nous ne donnons aucunes références, on les trouvera toutes dans les ANNALES DU PAYS DE LAGNY et dans le PETIT JOURNAL DE LAGNY.

JACQUES-AMÉDÉE LE PAIRE.


TABLE DES MATIÈRES PAR ORDRE CHRONOLOGIQUE

Chapitre 1 : de 605 à 1063

Marne. — Lagny. — Gaulois. — Gallo-Romains. — Franks — Donation de Lagny. — Monastères. — Bathilde. — Saint Fursy. — Etymologie. — Aspect du pays. — Monastère. — Fontaine. — Vertu de la fontaine. — Règles des religieux. — Mort de saint Fursy. — Mort de Bathilde. — Saint Emilien — Saint Eloque. — Saint Mombole. — Donation de Lagny. — Monastères aux chefs militaires. — Parlement. — Diplôme de Karle le Chauve. — Confirmation de donation. — Northmans. — Prise de Lagny. — Restitution de Lagny. — Hugues Capet. — Royauté et féodalité. — Lagny, fief de Champagne. — Reconstruction du monastère. — Assemblée d'évêques. — Mort d'Herbert II. — Abbé vassal et comte. — Droit d'élection. — Herbert, abbé. — Eglise du monastère. — Confirmation de Donation. — Saint Clou. — Mal des Ardents. — Roger, abbé. — Gibuin, abbé. — Raoul Ier, abbé.

Chapitre 2 : de 1063 à 1154

Thibauld Ier. — Foires. — Foires de Champagne et de Brie. — Halles. — Tonlieu. — Revenus. — Ouverture de la foire. — Officiers des foires. — Changeurs. — Marchandises. — Foires, lieux de plaisir. — Voies de communication. — Monnaies. — Mesures. — Foires au moyen âge. — Thibauld Ier, mort de abbé. — Galon, abbé. — Arnoul, abbé. — Écoles. — Droit d'élection. — Saint Thibauld. — Godefroy, abbé. — Pape Pascal II. — Bataille de Lagny. — Bataille de Pomponne. — Raoul II, abbé. — Evrin. — Mal des Ardents. — Abbaye, lieu de dépôt. — Pape Innocent II. — Église Saint-Paul. — Maisons, rue des Marchés. — Concile de Lagny. — Famine. — Incendie, 1148. — Godefroy II, abbé. — Thibauld II, mort de. — Durée de la foire. — Hugues Fart. — Droit de boutique. — Bulles d'Adrien IV.

Chapitre 3 : de 1154 à 1234

Comté de Lagny. — Doyenné de Lagny. — Comté, étendue du. — Incendie, 1157. — Mouvement communal. — Lutte entre le comte et l'abbé. — Lampe de Henri. — Hugues Ier, abbé. — Hugues II, abbé. — Écoles. — Garin, abbé. — Josselin, abbé. — Humbert, abbé. — Milon de Leigni. — Godefroy de Lagny. — Troisième croisade. — Jean Britel, abbé. — Propriété. — Bulle d'Innocent III. — Garnier de Lagny. — Lèpre. — Marais de Lesches. — Blanche de Navarre, régente. — Conditions du roi. — Réparation faite par Blanche. — Mesures Juifs. — Eglise Saint. — Pierre. — Aide à Blanche. — Bouvines. — Église Saint-Fursy. — Abbaye. — Jean Fart, abbé. — AOdon, abbé. — Hugues III, abbé. — Vassaux. — Etuves. — Thibauld IV. — Godefroy, abbé. — Bulle de Grégoire IX. — Martin, abbé. — Foire. — Roi de Navarre.

Chapitre 4 : de 1234 à 1316

Templiers. — Guillaume. — Droit de laissez-aller. — Pierre Ier, abbé. — Thibauld V. — Odon II, abbé. — Siennois. — Privilège singulier. — Croisés. — Fonctionnaires. — Jean le Tonelier. — Fête. — Pierre de Lagny. — Raoul III, abbé. — Rentes sur les foires. — Conflit de justice. — Jean III, abbé. — Convention avec les marchands. — Foire de Nîmes. — Mariage de Jeanne. — Jean-Baptiste, abbé. — Droits d'entrée. — Fortifications. — Recettes et dépenses. — Foires. — Libéralités de Philippe. — Maires. — Echevins. — Rainald, abbé. — Lettre de Philippe. — États généraux. — Baudouin de Lagny. — Assemblée à Lagny. — Templiers. — Hospitaliers. — Fraudes. — Exécution. — Fourches patibulaires. — Pilori. — Philippe IV à Lagny. — Procès. — Justice des foires. — Huche de la foire. — Ordonnance sur les monnaies. — Serfs. — Pierre d'Orgemont.

Chapitre 5 : de 1316 à 1441

Clémence de Hongrie. — Conflit de justice. — Gardes des foires. — Jean de Caurelles. — Cheval, procès. — Simon, abbé. — Esprits. — Adam, abbé. — Décadence des foires. — Guerre de Cent Ans. — Gabelle. — Grenier à sel. — Cimetière Saint-Vincent de l'Aître. — Jean IV, abbé. — Calamités. — Jacques Bonhomme. — Prise de Lagny, 1358. — Jehannin, changeur. — Pierre de la Crique. — Arbalétriers. — Maison Forte. — Charles IV. — Pierre de la Crique. — Baux divers. — Fossé de la Forêt. — Navigation. — Revenus. — Marchés. — Foire de Bécherel. — Mortalité. — Insubordination. — Aides. — Banvin. — Pondage. — Jean sans Peur. — Maison-Dieu. — Pierre III, abbé. — Église Saint-Pierre.

Chapitre 6 : de 1411 à 1432

Guerre civile, 1411. — Jean de Lagny. — Guerre civile, 1412. — Avantages aux changeurs. — Disette. — Henri V. — Bailli de Champagne. — Manigot Lambert, abbé. — Guillaume de Conty, abbé. — Imposition. — Voyers. — Jeanne d'Arc. — Lagny au roi. — Ambroise de Loré. — Jean Foucault. — Prévôté de Paris. — Retraite du roi. — Combats. — Retour de Jeanne. — Franquet d'Arras. — Jeanne prisonnière. — Blocus. — Premier siège, 1430. — Lettre aux Laniaques.

Chapitre 7 : de 1432 à 1465

Second siège, 1432. — Grêle. — Troisième siège, 1432. — Bataille de la porte Vacheresse. — Ravitaillement de Lagny. — Levée du siège. — Blocus de Paris. — Serment des curés. — Calamités, 1433. — Notre-Dame des Aydans. — Prise de Paris, 1435. — Désolation. — Droits. — Philippe Charpentier, abbé. — Cabale. — Sentences. — Archers. — Faulx Visages.

Chapitre 8 : de 1465 à 1589

Ligue du bien public. — Police des rues. — Louis XI. — Procès Daniel. — Arbalétriers. — Jean V, abbé. — Officiers élus. — Batellerie. — Artisans. — Hiver de 1481. — Halle à Paris. — Abbés commendataires. — Urbain de Fiesque, abbé. — Église Saint-Laurent. — Règlement de justice. — Pierre IV, abbé. — Auger de Brie, abbé. — Lettres de maîtrise. — René de Brie, abbé. — Robert Gobin. — Guillaume de Castelneau, abbé. — Cartulaire. — Église Saint-Paul. — Revenus de l'abbaye. — Jérôme de Louviers, abbé. — Peste. — Gelée. — Invasion de Charles-Quint. — Montgommeri Jacques. — Sac de 1544. — Foires. — Fixation de revenus. — Fêtes de village. — Jeux floraux. — François de Vailly, abbé. — Odet de Coligny. — Jacques du Broullat, abbé. — Sac de 1567. — Les Montgommeri. — Combien vaut l'orge. — Fontaine. — Fuite du roi. — Récit de Janvier. — Montévrin, capitaine de. — Église Saint-Pierre. — Ponts. — Pierre Rouillé, abbé. — Polonais. — René Rouillé, abbé. — Epidémie. — Peste et famine. — Armes de la ville et de l'abbé.

Chapitre 9 : de 1589 à 1653

Ligue. — Siège de Paris. — Soumission de Lagny. — Cousinet. — Saint-Paul. — Farnèse. — Henri et Farnèse. — Prise de Lagny, 1590. — Prospérité. — Lagny pris et repris. — Démantèlement. — Convois de blé. — Mort de Farnèse. — Lagny ville neutre. — Désolation du pays. — Coutume de Meaux. — Voies de communication. — Camille de Neuville, abbé. — Banlieue. — Trésor de l'abbaye. — Grande cherté. — Foires, marchés. — Congrégation de Saint-Maur. — Mission. — Cartulaire. — Fronde. — Curés. — Fronde. — Charles de Lorraine. — Epidémie. — Turenne, Prêtres de la Mission.

Chapitre 10 : de 1653 à 1789

Charles le Tellier, abbé. — Bénédictines de Laval. — Inondations. — Paul de Lagny. — Grenier à sel. — Père P. — Pierre Petit. — Hospice général. — Ecusson de la ville. — Garnison. — Denis Fournier. — Église Saint-Pierre. — Église Saint-Sauveur. — Effets de la foudre. — Sages-femmes. — Fiefs. — Joseph de la Trémoille, abbé. — Châtellenie royale. — Mesurage. — Église Saint-Laurent. — Arquebusiers. — Alain de Gontaut, abbé. — Pont. — Paul de Beauvilliers, abbé. — Décadence. — Christophe de Beaumont. — Fossés. — Don gratuit. — Dom Chaugy. — Subdélégué. — Bailliage. — Gouverneurs. — Corps municipal. — Assemblées municipales. — Louis de la Marthonie, abbé. — Voitures publiques. — Droits d'octroi. — Milice. — Places. — Abreuvoir. — Mesurage. — Prédications. — Arbalète. — Réjouissances. — Gréen de Saint-Marsault, abbé. — Milice. — Revenus. — Le Prince. — Ramard. — Dauphin. — Munitions. — Don patriotique. — Revenus et charges. — Paroisses. — Saint-Venant, fief. — Parmentier. — Paix 1783. — Roue, supplice. — Police. — Procureur du roi. — Voitures. — Changeur. — Élections. — Municipalités. — Guillaume Coutans. — Arrondissement. — Louis XVI. — Intempéries. — Rosière.

Chapitre 11 : de 1789 à 1824

14 Juillet 1789. — Approvisionnement. — 4 Août 1789. — Ramard. — Jacques le Paire. — Désordre général. — Divisions du pays. — Revenus de l'abbaye. — Disette. — Belle Fédération. — Tribunal de simple police. — Mesurage et pondage. — Recette des droits d'octroi. — Pont. — Voitures. — Gendarmerie. — Bannières. — Juge de paix. — Laval. — Serment des prêtres. — Paroisse. — Abbaye. — Émigrés. — Mendicité. — Gréen de Saint-Marsault, mort. — Perception. — Désordre. — Proclamation de la Constitution. — Contributions. — Foire. — Huppin de Chelles. — Agitation. — Répartition. — Rouget de l'Isle. — Garde nationale. — Patrie en danger. — . —10 Août. — Déchéance du roi. — Adresse de Chaumette. — Poste. — Églises. — Delambre. — Assignats. — Enrôlés volontaires. — Martin Noël. — République. — Métal enlevé. — Delmer, legs. — Religieux réfugiés. — Piques. — Mort de Louis XVI. — Amis de la Constitution. — Club. — État des chàteaux forts. — Cloches. — Réquisitions. — Raison, déesse. — Madame Vien. — Baudouin, curé. — Mention, registre municipal. — Peur. — Jacobin. — Bruits alarmants. — Dénonciations. — Arrestation. — Condamnations à mort. — Brigands. — Égalité-sur-Marne. — Loups. — Cloche. — Réouverture du marché. — Maximum de la viande. — Fête du Malheur. — Prisons. — Débàcle de 1795. — Rétablissement du culte. — Club fermé. — 18 vendémiaire. — Nos soldats. — Constitution de l'an III. — Banqueroute. — Fursy Vernois. — Constitution de l'an VIII. — Chauffeurs. — Quatre Te Deum. — Carnetin. — Système métrique. — Empire. — Invasion. — Réjouissances. — Buste du roi. — Écoles. — Talochon. — Duc de Berry. — Comte de Chambord. — Conspirateurs.

Chapitre 12 : de 1824 à 1906

Charles X. — Louis-Philippe. — Choléra. — Suzanne Champion. — Halle. — Collet. — Bateaux à vapeur. — Mativet le Paire, legs. — Marie le Paire, legs. — Anne le Paire, legs. — Pré-Long. — Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. — Canal. — Saint-Denis-du-Port. — Deuxième République. — Corps francs. — Lenormand, legs. — Ligne de l'Est. — Orphéon. — Frères. — Pont de pierre. — Télégraphe. — Usine à gaz. — Canal. — Napoléon III. — Pont de fer. — Prospérité. — Souterrains. — Bibliothèque. — Raymond, legs. — Association polytechnique. — Chemin de fer de Mortcerf. — Guerre de 1870. — Souscription. — Troisième République. — Chirac. — Mobiles parisiens. — Désertion. — Bonnet. — Conseil improvisé. — Francs-tireurs. — Convoi de poudre. — Conscrits. — Timbres-poste. — Sac de dépêches. — Ponts. — Allemands. — Ivestissement de Paris. — Guillaume. — Journalistes. — Larmes de J. Favre. — Régnier. — Boyer. — Internés. — Commission municipale. — Ambulances. — Cimetière des Etoisies. — Spéculateurs. — Messagers. — Prison. — Coup de main de Coupvray. — Prisonniers. — Capitulation de Métz. — Jugement sur Bazaine. — Soldats allemands. — Journalistes. — Population. — Otages Tête de ligne. — Gare. — Mercandiers. — Ponts. — Blessés. — Ambulances. — Sœurs. — Guillaume, mobile. — Sac de maisons. — Braconniers. — Église, caserne. — Prisonniers. — Capitulation de Paris. — Canons. — Guerre civile. — Paris en feu. — Conseillers fugitifs. — Journal de Lagny. — Bethéder, legs. — Répartition d'un milliard. — Evacuation. — Sépultures. — Protestations. — Loquin-Boivin, legs. — Coudray-Davesne, legs. — Démolition de la fontaine Saint-Fursy.


LISTE DES ABBÉS DE L'ABBAYE SAINT-PIERRE DE LAGNY

1° Saint Fursy, v.650 — mort v.660 ; 2° Saint Émilien, mort v.661 ; 3° Saint Éloque, v.662 ; 4° Saint Mombole, v.663 ; 5° Herbert, v.990 — 1033 ; 6° Roger, 1033 — v.1048 ; 7° Gibuin ? ; 8° Raoul II, ? ; 9° Galon ? ; 10° Arnoul, v.1094 — 1106 ; 11° Godefroid, 1107 — 1126 ; 12° Raoul II, 1126 — 1148 ; 13° Godefroid II, 1148 — 1162 ; 14° Hugues Ier, 1162 — 1163 ; 15° Hugues II, 1163 — 1171 ; 16° Garin, 1171 — ? ; 17° Josselin, ? — 1184 ; 18° Humbert, 1188 — 1189 ; 19° Jean Ier Britel, 1195 — 1215 ; 20° Jean II Fart, 1215 — 1215 ; 21° Odon Ier, 1215 — 1218 ; 22° Hugues III, 1218 — 1219 ; 23° Aubert, 1219 — 1223 ; 24° Godefroid III, 1223 — 1232 ; 25° Martin, 1232 — 1238 ; 26° Guillaume Ier, 1238 — v.1247 ; 27° Pierre Ier, v.1247 — v.1258 ; 28° Odon II, v.1258 — 1270 ; 29° Raoul III, 1270 — 1277 ; 30° Jean III, 1277 — 1285 ; 31° Jean—Baptiste, 1285 — 1301 ; 32° Rainald, 1301 — 1302 ; 33° Déodat, v.1305 — v.1323 ; 34° Jean IV de Caurelles, v.1323 — v.1330 ; 35° Simon, v.1330 — 1337 ; 36° Adam, 1337 — v.1352 ; 37° Jean, v.1352 — 1385 ; 38° Pierre II, 1385 — v.1410 ; 39° Pierre III de Bray, v.1410 — 1423 ; 40° Manigot Lambert, 1423 — 1423 ; 41° Guillaume II de Conty, 1423 — 1443 ; 42° Philippe Charpentier, 1443 — v.1470 ; 43° Jean VI, v.1470 — 1485. Abbés commendataires : 44° Urbain de Fiesque, 1485 — v.1494 ; 45° Pierre IV, v.1494 — 1501 ; 46° Auger de Brie. 1501 — 1504 ; 47° René Ier de Brie, 1504 — 1512 ; 48° Guillaume III de Castelnau-Clermont-Lodève, 1512 — 1520 ; 49° Jérôme de Louviers, 1520 — 1526 ; 50° Jacques Aubry, 1526 — 1550 ; 51° Odet de Coligny, cardinal de Châtillon, 1559, François de Vailly, 1558 — 1564 ; 52° Jacques du Broullat, 1564 — 1561 ; 53° Pierre V Rouillé, 1510 — 1516 ; 54° René II Rouillé, 1516 — 1608 ; 55° Nicolas de Neuville de Villeroi, 1608 — 1616 ; 56° Camille de Neuville de Villeroi, 1616 — 1653 ; 51° Charles-Maurice Le Tellier, 1653 — 1695 ; 58° Joseph-Emmanuel de la Trémoille, 1695 — 1721 ; 59° Alain de Gontaut, 1721 — 1732 ; 60° Paul-Louis de Beauvilliers, 1732 — 1773 ; 61° Jean-Louis de la Marthonie de Caussade. 1773 — 1799 ; 62° Marie-Joseph Gréen de Saint-Marsault, 1779 — 1789.


LISTE DES COMTES DE CHAMPAGNE ET DE BRIE

Herbert Ier, 923 — 943 ; Robert, 943 — 968; Herbert II, 968 — 993; Étienne Ier, 993 — 1019 ; Eudes Ier, 1019 — 1031 ; Étienne II, 1037 — 1048 ; Eudes II, 1048 — 1063 ; Thibauld Ier, 1063 — 1089 Eudes III, 1090 ; Hugues, 1093 — 1125 ; Thibauld II, 1125 — 1152 ; Henri Ier, le Libéral, 1152 — 1181 ; Henri II, 1181 — 1197 ; Thibaud III, 1197 — 1201 ; Thibauld IV, le Chansonnier, 1201 — 1253 ; Thibauid V, 1253 — 1270 ; Henri III, 1270 — 1271. En 1274, Jeanne de Navarre, fille de Henri III, épouse Philippe le Bel, et, par ce mariage, la Champagne et la Brie sont réunies à la Couronne.



[LISTE DES SOUVERAINS ET/OU CHEFS D'ÉTATS]

Les Mérovingiens : Clovis Ier, 482 — 511 ; Childebert Ier, 511 — 558 ; Clotarie Ier, 558 — 562 ; Charibert, 562 — 566 ; Siegbert, 562 — 575 ; Chilpéric I, 566 — 584 ; Clotaire II, 584 — 628 ; Dagobert Ier, 628 — 637 ; Clovis II, 637 — 655 ; Clothaire III, 655 — 668 ; Childéric II, 668 — 674 ; Dagobert II, 674 — 678 ; Thierry III, 674 — 691 ; Clovis III, 691 — 695 ; Childebert II, 695 — 711 ; Dagobert III ; 711 — 716 ; Chilperic II, 716 — 721 ; Thierry IV, 721 — 737 ; (Interrègne), 737 — 742 ; Childéric III, 743 — 751. Les Carolingiens : (maire du palais) Pepin Ier, l'aîné, 628 — 639 ; (maire du palais) Pepin II, 687 — 714 ; (maire du palais) Charles Martel, 714 — 741 ; (maire du palais) Carloman, 741 — 747 ; (maire du palais) Pepin III, le bref, 747 — 751 ; Pepin III, le bref, 751 — 768 ; Carloman, 768 — 771 ; Charlemagne, 768 — 814 ; Louis Ier, le piéux, 814 — 840 ; (co-souverains) Lothair Ier, Louis II et Charles le chauve, 840 — 843 ; Charles II, le chauve, 843 — 877 ; Louis II, le bègue, 877 — 879 ; Louis III, 879 — 882 ; (corégent) Carloman, 882 — 884 ; Charles III, le gros, 884 — 888 ; Eudes, le comte de Paris, 888 — 898 ; Charles III, le simple, 898 — 922 ; Robert, 922 — 923 ; Rudolf, le duc de Bourgogne, 923 — 936 ; Louis IV, d'outremer, 936 — 954 ; Lothaire, 954 — 986 ; Louis V, le fainéant, 986 — 987. Les Capétiens : Hugues Capet, 987 — 996 ; Robert II, le pieux, 996 — 1031 ; Henri Ier, 1031 — 1060 ; Philippe Ier, 1060 — 1108 ; Louis VI, le gros, 1108 — 1137 ; Louis VII, le jeune, 1137 — 1180 ; Philippe II, auguste, 1180 — 1223 ; Louis VIII, le lion, 1223 — 1226 ; Louis IX, saint Louis, 1226 — 1270 ; Philippe III, le hardi, 1270 — 1285 ; Philippe IV, le bel, 1285 — 1314 ; Louis X, le hutin, 1314 — 1316 ; Jean I, 1316 — 1316 ; Philippe V, le long, 1316 — 1322 ; Charles IV, le bel, 1322 — 1328. Les Valois : Philippe VI, 1328 — 1350 ; Jean II, le bon, 1350 — 1364 ; Charles V, le sage, 1364 — 1380 ; Charles VI, le fol, 1380 — 1422 ; Charles VII, le victorieux, 1422 — 1461 ; Louis XI 1423, 1461 — 1483 ; Charles VIII, 1483 — 1498 ; Louis XII, 1498 — 1515 ; François Ier, 1515 — 1547 ; Henri II, 1547 — 1515 ; François II, 1559 — 1560 ; (régente) Catherine de Médicis, 1560 — 1563 ; Charles IX, 1563 — 1574 ; Henri III, 1574 — 1589. Les Bourbons : Henri IV, le grand, 1589 — 1610 ; (régente) Marie de Médicis, 1610 — 1617 ; Louis XIII, 1610 — 1643 ; (régente) Anne d'Autriche, 1643 — 1651 ; Louis XIV, le grand, 1643 — 1715 ; (regent) Philippe d'Orléans, 1714 — 1723 ; Louis XV, le bien-aimé, 1715 — 1774 ; Louis XVI, 1774 — 1792 ; Louis XVII, 1793 — 1795. Première République : (premier consul) Napoléon Bonaparte, 1799 — 1804. Premier Empire : (empereur) Napoléon Ier, 1804 — 1814. Les Bourbons : Louis XVIII, 1814 — 1824 ; Charles X, 1824 — 1830 ; Louis-Philippe Ier, 1830 — 1848. Deuxième République : (président) Charles-Louis Napoléon Bonaparte, 1848 — 1852. Deuxième Empire : (empereur) Napoléon III, 1852 — 1871. Troisième République.



CHAPITRE 1 : DE 605 À 1063.

La Marne. — La Marne prend sa source dans le nord-est de la Gaule, au pied des hauts plateaux qui séparent le bassin de la Seine du bassin de la Meuse : elle coule de l'est à l'ouest et vient se jeter dans la Seine à une demi-journée de marche de l'île où s'éleva Lutèce (Paris).

Deux jours de marche avant son embouchure dans la Seine, la Marne, après avoir couvert de vastes plaines, longtemps des marécages, s'engageait dans une vallée assez resserrée qui, s'élargissant graduellement, laissait un seul point d'un accès facile pour la traversée de la rivière.

Lagny. — Là s'éleva Lagny ; d'abord lieu de passage fréquenté par les nomades qui allaient d'une rive à l'autre, puis par les pêcheurs et les chasseurs qui, attirés par les marais, y placèrent leurs barques et y construisirent quelques huttes pour y remiser leurs engins de chasse et de pêche.

L'amas des huttes devint peu à peu plus considérable, les habitants s'y fixèrent et y formèrent une bourgade.

Lagny est placé dans la région désignée par les géologues sous le nom de bassin de Paris. L'aspect de la vallée était alors triste et sévère : au nord, à l'est et au sud, une forêt de chênes et de hêtres couvrait les plateaux et le versant des collines; à l'ouest, la rivière, sans lit déterminé, cherchant, pendant l'hiver, son cours au milieu des roseaux ; et, pendant l'été, des flaques d'eau stagnante et quelques filets d'eau disparaissant sous les arbres et les arbustes du marais.

Le sol toujours ombragé et les vapeurs continuelles de la rivière refroidissaient singulièrement la température.

Les Gaulois. — Les habitants étaient les Gaulois, Gals ou Celtes, peuple aborigène, c'est-à-dire un peuple dont le commencement est plus vieux que l'histoire. Les historiens en font le portrait suivant : ces hommes étaient de haute taille, leur peau blanche, l'œil bleu, les cheveux et la barbe d'un blond ardent. Ils étaient affables et hospitaliers ; en temps de paix leur occupation principale était la chasse, puis ils se rendaient à leurs assemblées où ils donnaient toute carrière à leur verve infatigable, ils s'enflammaient facilement et au milieu du tumulte et des interruptions, il n'était pas facile de maintenir la parole à l'orateur.

En tout, ils recherchaient le bruit et l'éclat ; les tissus aux couleurs voyantes, les anneaux et les bracelets, presque toujours en or, étaient leur parure préférée.

À ces traits, il est difficile de ne pas reconnaître, dans le Français de nos jours, le Gaulois du temps d'Annibal et de Vercingétorix.

Les femmes étaient grandes, et, au dire d'Athénée, «les plus belles parmi les femmes barbares.»

L'habit ordinaire des Gaulois était la saie, — la blouse d'aujourd'hui, - la tunique ouverte par devant et descendant à moitié des cuisses, et la braie qui était la culotte longue.

Les armes étaient la lance, la massue, le javelot, l'arc, les flèches, les épieux durcis au feu, des sabres en cuivre mal trempés ; les boucliers étaient, comme leurs barques, en osier recouvert d'un cuir de bœuf.

La religion fut d'abord un fétichisme grossier : ils adoraient les pierres, les lacs, les vents ; plus tard avec les Druides, ils crurent à la création du monde et à l'immortalité de l'âme.

La grande solennité avait lieu dans une clairière, au milieu des forêts. Un Druide, en grande cérémonie, allait avec une serpe d'or couper le gui sacré sur un chêne antique.

Suivant la croyance générale, le gui guérissait tous les maux.

Les Gallo-Romains. — Après la conquête romaine, la nation fut divisée en deux classes, libre et esclave, et l'administration romaine succéda à celle des Druides. Cet état dura jusqu'à l'invasion franke, de 52 ans avant Jésus-Christ à 485 après Jésus-Christ. Ce fut l'époque où le christianisme pénétra dans la Gaule.

Les Franks. — Parmi les barbares qui se ruèrent sur l'empire romain, les Franks étaient les plus braves et les plus féroces ; ils occupèrent d'abord le nord de la Gaule et s'avancèrent peu à peu en chassant les autres tribus germaines établies à l'est et au midi.

Sous la conduite de Chlodowig Ier (Clovis), les Franks s'emparèrent de tout le pays entre le Rhin et la Loire.

Les historiens s'accordent à nous dire que ces barbares à la haute stature, à l'œil bleu aux reflets métalliques, à la lèvre et au menton ombragés de quelques poils rudes, aux cheveux blonds teints en rouge, au corps demi-nu, à la tête couverte de queues de cheval ou de têtes de loup et de sanglier, aux pieds chaussés de bottines de peau crue et saignante, n'avaient d'autre occupation que la chasse et le brigandage. Ils ne connaissaient pas la pitié et égorgeaient les prisonniers dont ils ne pouvaient tirer produit.

À ces traits, si l'on joint le mensonge, la perfidie, la dépravation des mœurs, on comprendra comment, après quelques années de conquête, a pu disparaître complètement toute trace de la civilisation avancée de la Gaule.

Les Franks portaient une saie très courte et sans manches, faite d'une peau d'animal, le poil en dehors ; un bonnet de pelleterie. Leurs armes défensives étaient un bouclier triangulaire, quelques-uns avaient des casques et des cuirasses; leurs armes offensives étaient la francisque, arme à deux tranchants, la pique au fer court et pointu, la framée, et des javelots qu'ils avaient l'habitude d'empoisonner.

Les Franks étaient gouvernés par des rois qui ne pouvaient être pris au dehors de la famille royale, mais leur élection devait être sanctionnée par la nation en armes.

La royauté était donc à la fois héréditaire et nationale.

Le nom de Frank ne veut pas dire libre; selon les différents dialectes germaniques, il répond au mot latin ferox, dont il a tous les sens favorables et défavorables, fier, intrépide, orgueilleux, cruel.

Donation de Lagny. — Lagny, situé sur la rivière de Marne, au comté de Meaux, aurait été donné vers 632 par le roi Dagobert Ier à l'abbaye de Saint-Denis qu'il venait de fonder, ce fait est mentionné dans une charte donnée par Karle le Simple à Attigny, le 28 mai 917.

Nous voyons ici, pour la première fois, le nom de Lagny prononcé dans l'histoire.

Les chroniques de Saint-Denis placent cette donation en l'an 635, et disent que les rois de France possédaient Lagny en vertu d'un échange avec le duc Bobon.

Les monastères. — Après la prise de possession violente des Franks, après des siècles d'excès de toutes sortes, un sentiment de lassitude se manifesta. Sous l'influence toujours croissante des évêques et avec l'appui des grands du royaume, quelques hommes amis de l'étude cherchèrent et trouvèrent des asiles, où dans le calme et loin du bruit du monde, ils pouvaient suivre leur paisible vocation. Dans ce siècle de barbarie où les églises offraient la seule retraite assurée, il était naturel que ces hommes songeassent à mettre leur tranquillité à l'abri de la croix.

Bathilde. — Vers cette époque, 650, une jeune esclave, enlevée par des pirates saxons, avait été vendue à un des seigneurs de la Cour, Erkinoald, maire du palais. Son éducation soignée fit bientôt reconnaître en elle de brillantes qualités, et le roi de Neustrie, Chlodowig II, touché par son mérite et sa beauté, l'éleva de la servitude au rang de souveraine.

L'éclat de sa nouvelle fortune n'influa en rien sur le cœur de Bathilde. Fidèle à son esprit de piété, elle favorisa toutes les fondations religieuses, et, agissant sur la volonté du roi, elle le décida à attirer près de lui les hommes célèbres par leur sainteté et leurs lumières.

Saint Fursy. — De ce nombre était saint Fursy qui vivait alors en Irlande, où, grâce aux libéralités de Sigebert, un des rois de ce pays, il était devenu un puissant propagateur de la foi.

Suivant Desmay, saint Fursy descendait d'une famille de rois d'Écosse. Sa naissance fut entourée de prodiges, il fit un grand nombre de miracles et Dieu le favorisa de plusieurs visions et révélations. Mais une chose incontestable, c'est sa profonde érudition, la sainteté de sa vie, son mépris des richesses et des grandeurs, l'ardeur de sa foi et son amour pour la retraite et la solitude.

Saint Fursy fut reçu par le roi avec honneur et respect, mais bientôt fatigué du bruit de la Cour, il demanda au roi un lieu où il pourrait se retirer et établir des religieux.

Notre saint vint à Lagny : il trouva «la situation de ce lieu fort agréable et fort propre à son dessein, parce que l'air y est assez pur et tempéré, et que, d'ailleurs, le terroir y est fertile et propre à fournir toutes les provisions nécessaires à cause de la commodité de la rivière» et il demanda aussi la permission d'établir son monastère en cet endroit.

Étymologie. — Quelle est l'étymologie du nom Lagny ? Une explication simple est celle qui consiste à dire que Latinius, Gallo-Romain, ancien habitant de ce lieu, lui a laissé son nom; d'où pour la ville est venu ce nom de Latiniacum, Laniacum, et pour les habitants le nom Latiniaques ou Laniaques que nous adoptons.

Bullet, dans son Dictionnaire celtique (1), donne du nom de Lagny l'étymologie suivante : laith, lat, eau ; din, tin, élevé ; ac, habitation. Habitation où il y a de l'eau sur un lieu élevé. Cette étymologie très vraisemblable est peut-être la vraie.

Aspect du pays. — En ce temps, ces lieux étaient en grande partie couverts de forêts et la description suivante qui nous est donnée par Arnoul, abbé de Lagny en 1096, convient à une époque beaucoup moins reculée : «Une épaisse forêt couvrait ce lieu par le haut, et, dans le bas, il était embelli par des prairies et par la Marne, et enfin par des vignes sur les autres côtés.» Il est à peu près certain que, du temps de saint Fursy, cette épaisse forêt couvrait les pentes, depuis plantées en vignes, et descendait jusqu'à la prairie.

Le monastère. — Les églises. — Quand le roi eut permis à saint Fursy de bâtir le monastère et qu'il lui eut donné les fonds nécessaires pour achever cet ouvrage, notre saint fit construire trois chapelles. La première fut dédiée au saint Sauveur. La seconde fut dédiée à saint Pierre (elle fut l'église du monastère). La troisième fut dédiée au nom de saint Fursy, quelque temps après la mort du saint.

La fontaine. — Jehan Mielot, aumônier de Philippe, duc de Bourgogne, dans une vie de saint Fursy, s'exprime ainsi au sujet de la fameuse fontaine que notre saint fit jaillir, près de son abbaye: «Si advint qu'il fichat son bas ton en terre seiche assez loings d'eau, en costé (de) l'abbie qu'il avait faite. Et incontinent en sailly une fontaine moult belle et moult delectable qui oncques puis (depuis) ne failli, ne jamais ne fouldra. Geste fontaine a plus aidé et ayde encore souvent aux malades... Il advint un jour qu'il était à Lagny, qu'il vit deux foursenez venir à luy, desquels il eut pitié. Si fist le signe de la croix sur eux et leur rendit, Notre Seigneur Dieu, leurs sens par la prière.»

Saint Fursy était d'une faible santé, et, après une vision où un ange lui était apparu, il avait souvent recours à l'eau froide pour calmer ses douleurs.

Aussi partout où il habita et où il établit des églises, on a toujours trouvé de belles fontaines près desquelles il opéra plusieurs miracles.

D'après cette version, le besoin de soulager une maladie personnelle fut l'origine occasionnelle de la fontaine de Lagny et des autres fontaines dues à saint Fursy.

Desmay ajoute que cette eau a reçu de Dieu la vertu de guérir les malades lorsqu'ils s'en lavent avec une entière confiance aux mérites du saint.

La dévotion envers saint Fursy était autrefois très vive et se manifestait pendant la neuvaine du 16 janvier. À Lagny les malades ne manquaient pas de boire de l'eau de notre fontaine que bénissait auparavant le trésorier de l'abbaye.

«De semblables récits peuvent nous faire sourire, nous qui les lisons dans de vieux livres écrits pour des hommes d'un autre âge, mais, au IVe siècle, quand ces légendes passaient de bouche en bouche, comme l'expression vivante et poétique des sentiments et de la foi populaire, on devenait pensif et l'on pleurait en les écoutant raconter.»

Dans le monastère «la piété et la dévotion était portée à son plus haut degré, les pauvres étaient nourris et reçus charitablement et l'hospitalité était exercée envers les pèlerins et les étrangers.»

Saint Fursy donna d'abord à ses religieux la règle de saint Colomban, puis bientôt après celle de saint Benoît qui prescrivait, outre la prière, le travail manuel, l'étude et l'instruction de la jeunesse. Les moines étaient astreints aux trois vœux : de pauvreté, de chasteté et d'obéissance. Un abbé, choisi parmi les religieux et élu par leur libre suffrage, avait l'administration de la communauté. Il y eut d'abord, dans le monastère, un prêtre pris dans le sein de la société, mais peu à peu, tous les religieux furent admis au sacerdoce. Tout fondateur était abbé de droit, ainsi saint Fursy fut le premier abbé de Lagny. La piété était si exemplaire dans le monastère que «les grands du royaume y faisoient des dons et présents considérables dans le désir d'avoir part aux prières de ces saints religieux.»

Plusieurs religieux, ses compatriotes, étaient venus à Lagny retrouver saint Fursy ; parmi eux était saint Emilien, à qui notre saint confia en son absence la direction du monastère.

Pendant ce voyage saint Fursy tomba malade à Mez-crolles-en-Ponthieu et mourut le neuvième jour de l'année 660 suivant Desmay, et 664 ou 665, suivant d'autres auteurs. Il fut inhumé à Péronne dans l'église du Mont-des-Cygnes.

On a longtemps conservé à Lagny la chasuble, l'étole et le manipule de saint Fursy ; on possédait aussi les chapes portées par les deux choristes. Ces dernières reliques furent profanées et brûlées par les Calvinistes en 1564.

On donne pour attributs à saint Fursy, une couronne à ses pieds, un ange, deux bœufs accroupis et parfois une fontaine jaillissante.

Mort de Bathilde. — La reine Bathilde s'était retirée au monastère de Chelles où elle prit le voile ; elle y mourut vers 685 et fut enterrée dans l'église Sainte-Croix qu'elle avait fondée.

Nous devons, avec l'humanité tout entière, à l'illustre esclave couronnée qui a sa place parmi les fondateurs de Lagny, encore un autre tribut de reconnaissance, puisqu'elle fut la première souveraine qui abolit l'esclavage dans ses Etats.

Saint Emilien. — Saint Emilien, deuxième abbé, acheva la construction du monastère et survécut peu à saint Fursy.

Saint Eloque. — Saint Eloque, troisième abbé, succéda à saint Emilien, mais un désaccord survenu entre les moines et lui l'obligea à quitter le monastère.

Saint Mombole. — Saint Mombole, quatrième abbé, tint à l'observation religieuse de la règle et comme son prédécesseur se retira devant la résistance des religieux.

De graves dissentiments éclatèrent alors parmi les moines et rendirent impossible l'élection d'un abbé.

L'histoire de la ville et du monastère depuis cette époque jusqu'au XIe siècle est pleine d'incertitudes.

Donation de Lagny. — Le 30 octobre 688-689, le roi Thierry III, par un acte fait à Compiègne donna le village de Lagny à l'abbaye de Saint-Denis.

Monastère aux chefs militaires. — Karle le Martel, vers 730, s'empara d'un grand nombre d'abbayes qu'il distribua à ses compagnons d'armes à titre de récompense de leurs services.

Les soldats, investis de ces domaines à titre de viagers, devinrent les défenseurs des monastères dont ils possédaient les biens. Il est permis de supposer que tel fut le sort de notre abbaye pendant deux cent quarante ans.

Sous la double protection de la croix et de l'épée, la ville qui s'élevait autour du monastère put jouir d'une sécurité relativement considérable, et comme les autres villes en ce temps-là, elle dut recevoir une administration qui rappelait l'ancien régime municipal.

Parlement. — L'empereur Ludwig le Débonnaire tint en 835, à Lagny un parlement (plaid) où il ordonna la réparation des églises ruinées pendant les guerres. Quelques écrivains pensent que ce parlement fut tenu à Attigny (Attiniacum).

Diplôme de Karle le Chauve. — Malgré l'obscurité qui enveloppe l'abbaye et la ville, nous savons cependant que la vie monastique s'y maintint toujours. On conserve encore la moitié d'un diplôme, dans lequel Karle le Chauve, en 845, confirmait l'échange de quelques biens entre l'abbé de Saint-Maur-des-Fossés et le monastère de Lagny.

Confirmation de donation. — Karle le Chauve, vers 904, confirme aux religieux de Saint-Denis la possession de Lagny.

Il ressort de ces deux actes que l'abbaye existait en 845 et qu'elle ne devait plus exister en 904 puisque, en cette année, la terre de Lagny avait été donnée à l'abbé de Saint-Denis. De là il résulte pour nous la conviction que l'abbaye fut détruite au printemps de 862, lorsque les Northmans remontèrent la Marne pour la première fois, et que Karle le Simple, après la destruction de l'abbaye et la dispersion des moines, put en disposer librement.

Les Northmans. — Sous le règne de Karle le Grand, des hommes du nord, Northmans ou Normands, montés sur des barques frêles et légères, suivant les côtes, étaient venus s'abattre sur les rivages de France. Pénétrant par les rivières dans l'intérieur du pays, ils ravageaient tout, et chargés de butin, ils s'éloignaient pour revenir de nouveau.

Ils avaient établi sur la Marne une station, d'où, en 862, ils remontèrent la rivière, saccagèrent Lagny, et ravagèrent les rives jusqu'à Meaux qu'ils pillèrent.

Prise de Lagny. — Suivant Dom Chaugy (2), les Northmans ne prirent pas Lagny avant 910, conduits par Rollon, ils le ruinèrent de fond en comble, passèrent au fil de l'épée tous les religieux qui s'y trouvèrent, ainsi qu'un grand nombre de bourgeois de la ville qui demeura déserte par la fuite du reste de ses habitants.

Les religieux échappés au massacre se réfugièrent dans le diocèse de Lyon, tandis que les autres habitants de la ville, implorant la protection des seigneurs et sacrifiant leur liberté à leur sécurité, allèrent aider à bâtir les châteaux forts de leurs nouveaux maîtres.

Il est difficile d'expliquer comment Lagny fut respecté jusqu'en 910 par les Northmans, quand en 862 et 888, Meaux avait été pillé et incendié. Il faut supposer qu'à ces deux époques les religieux payèrent une rançon considérable ; somme qu'en 910, ils ne purent trouver encore une fois, mais tout cela est peu probable.

Pendant quatre-vingts ans, l'abbaye et la ville restèrent dans un entier oubli.

Restitution de Lagny. — Par un acte donné à Attigny, le 28 mai 917, le roi Karle le Simple restitue à l'abbaye de Saint-Denis, le village de Lagny, dans le comté de Meaux.

Hugues Capet. — Hugues Capet prit, en 989, le nom de roi, la plupart des seigneurs ne s'en inquiétèrent point, leur puissance n'en était pas atteinte... Il se fit reconnaître par ses propres vassaux qui n'avaient qu'à gagner à l'élévation de leur suzerain ; peu à peu, les principaux feudataires, séduits par ses concessions et ses promesses, avouèrent également le titre supérieur qu'il s'était donné ; ce fut là toute la révolution capétienne.

Royauté et féodalité. — Depuis la mort de Charlemagne, la féodalité avait conquis la société : en se faisant appeler roi, un de ses principaux membres s'en déclara le chef ; il acquérait par là une dignité plutôt qu'un pouvoir. La république féodale n'était menacée que dans l'avenir, et, à coup sûr, elle ne s'en doutait pas.

Nous allons bientôt voir s'engager la longue lutte entre la royauté et la féodalité, lutte qui finira, sous Louis XIII et Louis XIV, par le triomphe complet de la royauté.

À cette époque, le mélange des races était achevé, la noblesse franke décimée dans vingt batailles avait vu ses vides en grande partie remplis par de nobles familles gauloises. En disparaissant les Franks imposèrent leur nom à la vieille Gaule ; avec Hugues Capet notre ancienne patrie a cessé d'être la Gaule, elle est devenue la France.

Lagny dans le fief de Champagne. — Dans la division de la France féodale, Lagny situé sur la rive gauche de la Marne, se trouva compris dans le vaste fief de Champagne.

Reconstruction du monastère. — Herbert II, comte de Champagne, passa par Lagny en se rendant à Paris. À la vue de cet amas de débris, de cette abbaye autrefois si célèbre et dont il ne restait debout que quelques pans de murailles, Herbert se sentit vivement impressionné et résolut de relever ces ruines. Il s'adressa à Hugues Capet qui approuva ses desseins, l'aida de ses libéralités et fit rendre à l'abbaye les biens dont elle avait été dépouillée.

Le roi restitua à l'abbaye toutes les dépendances qui avaient été réunies au comté de Paris, et y ajouta les terres de Droiselles, Ducy et Ognes près Nanteuil-le-Haudoin.

Des bénédictins de Saint-Maur et de Cluny vinrent habiter le monastère réédifié vers 980, mais l'église ne fut terminée qu'en 1017.

Herbert permit à l'abbé de Lagny de porter les armes de Champagne ; de plus il choisit Lagny pour lieu de sa sépulture et de celle de sa famille.

Assemblée d'évêques. — On a dit sans aucune certitude qu'il fut tenu à Lagny, dans l'église Saint-Paul, une assemblée d'évêques vers la fin du Xe siècle. Nous doutons fort de l'exactitude de ce fait, il nous semble difficile que cette église, détruite par les Northmans eût alors pu être reconstruite.

Mort d'Herbert II. — Herbert II mourut le 20 janvier 993 et il fut inhumé dans l'église abbatiale de Lagny. Son tombeau placé dans la grande nef, à gauche, sous une arcade pratiquée dans le mur, fut retrouvé au commencement du XVIIIe siècle. Mabillon rapporte qu'en sa présence les restes du comte et la pierre tombale furent transportés dans le nouveau chœur. Dom Chaugy ajoute que ce tombeau fut placé vis-à-vis celui du comte Thibauld. L'épitaphe en partie effacée est donnée dans les Annales du Pays de Lagny (3).

L'abbé vassal et comte. — En recevant des terres du comte Herbert, l'abbé de Lagny devint son vassal et prit rang dans la grande hiérarchie féodale. Il reçut le titre de comte. Comme tel il avait droit à l'investiture, à l'aide et à la protection de son suzerain, mais de son côté, il devait, à genoux, les deux mains entre celles de son seigneur, lui jurer d'être son homme, c'est-à-dire d'employer son bras et ses armes à le servir et de payer sa rançon, s'il était fait prisonnier.

Le comte, de son côté, avait sur et envers ses vassaux tous les droits et les devoirs des suzerains. Ainsi l'abbé, comte de Lagny, fut à la fois vassal du comte de Champagne et suzerain de ses vassaux de Lagny et autres lieux. Il eut, dans son fief, ses juges, sa police, ses collecteurs d'impôts, son trésorier. Longtemps, l'abbé de Lagny fut à peu près indépendant dans son comté. Grâce à ses fonctions spirituelles et à la bienveillance des comtes de Champagne, l'abbé fut dégagé de bonne heure de tout service militaire personnel, si même il y fut jamais astreint, et de toutes les charges onéreuses de vasselage ; puis, enhardi par l'appui du Saint-Siège, il dénia la suprématie de l'évêque de Paris et prétendit relever de Rome directement.

Depuis la reconstitution de l'abbaye jusqu'au XVIIIe siècle, les comtes de Champagne s'arrogèrent le droit de nommer les abbés. Ainsi en 1124, Thibauld II nomma abbé de Lagny Raoul II, moine de Saint-Nicolas-aux-Bois, qui fut le douzième abbé de Lagny.

Droit d'election. — Les moines recouvrèrent, au XIIIe siècle, le droit d'élire leur abbé, mais ils devaient faire une demande d'élection, demande qui leur était toujours accordée. Pendant les vacances, entre deux élections, le comte conservait l'admnistration des biens de l'abbaye.

Herbert abbé. — Vers l'an 1000, Lagny reçut un nouvel abbé, Herbert, cinquième abbé, d'origine juive, mais chrétien dès l'enfance. Cet abbé, artiste et lettré, attira sur l'abbaye les bienfaits du roi Robert dont il avait été le condisciple.

Église du monastère. — L'église du monastère, achevée en 1017, fut dédiée deux ans après, par Leothéric, archevêque de Sens. Cette cérémonie fut faite avec la plus grande pompe, en présence du roi Robert, du comte de Champagne Étienne, de l'archevêque de Reims, des évêques de Soissons et de Térouenne.

Confirmation de donations. — Sur la demande du comte Étienne, le roi Robert confirma les donations précédemment faites à l'abbaye de Lagny et autorisa toutes les donations nouvelles.

Le saint Clou. — Robert le Pieux fit présent à l'abbaye d'un grand nombre de reliques parmi lesquelles se trouvaient quelques ossements des Saints-Innocents, une épine de la couronne de notre Sauveur et la pointe d'un clou dont Il fut attaché à la croix.

Ce clou, objet de la vénération des Laniaques, fut placé dans les armes de la ville, d'où elle reçut quelquefois le sur-nom de Lagny-le-Clou.

Le roi vint lui-même avec ses reliques, nu-pieds, accompagné du duc de Bourgogne, les porta en procession par la ville, le dimanche de la Passion. Cette procession fut renouvelée tous les ans, jusqu'au jour où les calvinistes brûlèrent ces reliques, et même encore quelques années après.

Ces reliques avec leurs châsses ou reliquaires d'or ou d'argent, les croix, les vases sacrés en métal précieux, donnèrent au trésor de l'abbaye une valeur considérable.

Mal des Ardents. — Une famine horrible sévit dans le pays en 1033. Dom Chaugy dit que «le setier de bled valait quinze sols, prix extraordinaire pour ce temps-là.» À la farine, on mêlait de la terre, on égorgeait les voyageurs et l'on alla jusqu'à mettre en vente de la chair humaine. L'abbé épuisa le trésor, fit vendre les vases sacrés pour soulager la misère publique, mais ce ne fut là qu'un faible adoucissement à tant de maux. On vit alors paraître l'affreuse et contagieuse maladie, nommée mal des Ardents, dont on a attribué la cause au manque et à la mauvaise qualité de la nourriture. Le malade, en proie à une soif inextinguible, sentait tous ses membres dévorés par un feu intérieur, son corps se couvrait de plaies qui dégénéraient en ulcères incurables et il succombait après une longue et terrible agonie.

Cette redoutable maladie dura trois ans ; un tiers de la population avait succombé et l'abbé Herbert lui-même fut, en 1033, emporté par la contagion.

Roger, sixième abbé. — Roger, sixième abbé, succède à Herbert. À l'occasion de son avènement, Imbert, évêque de Paris, céda à l'abbaye les églises Saint-Germain de Gouvernes et Saint-Remy de Montevrin. Le roi de France Henri Ier assista à cet acte de cession et y souscrivit en apposant cette marque : X, au lieu de son nom.

L'abbé Roger mourut le 13 février de l'an... (la date manque dans le manuscrit de Dom Chaugy).

Gibuin. — Raoul Ier. — Gibuin, septième abbé, est à peu près inconnu et l'on ignore à quelle époque Rodolphe ou Raoul, huitième abbé, lui succéda. Raoul Ier assistait au concile tenu à Paris en 1050 (hérésie de Scot).

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[Notes de bas de page.]

1.  [L'Abbé Jean-Baptiste Bullet (1679-1775), Mémoires sur la langue celtique... Tome Ier. — (Tome II-III contenant la première-deuxième partie du Dictionnaire celtique), Besançon, C.-J. Daclin, 1754-1760 (3 tomes en 2 vol.)]

2.  [Dom de Chaugy, Mémoire pour servir à l'histoire de l'abbaye royale de Saint-Pierre de Lagny. — Manuscrit circa 1828 du docteur Gatien Bonnet, Bibliothèque municipale de Lagny.]

3.  [Jacques-Amédée Le Paire, Annales du Pays de Lagny, depuis les temps les plus reculés jusqu'au 20 septembre 1792, Lagny, Paquier, 1880 ; Complément des Annales du pays de Lagny, Lagny, Colin, 1903.]


CHAPITRE 2 : DE 1063 À 1154.

Thibauld Ier. — Lagny doit beaucoup au comte de Champagne Thibauld Ier ; en outre des biens dont il enrichit le monastère, Thibauld établit dans la ville deux foires franches, l'une à la Saint-Pierre (13 jours) et l'autre à la fête des Saints-Innocents (10 jours).

Les Foires. — Thibauld réglementa sans doute les foires de Lagny, mais il n'en fut pas certainement le fondateur. Les foires datent des commencements du christianisme et les solennités religieuses où affluaient les fidèles en furent certainement l'occasion.

Le jour où la multitude de pèlerins se trouvait réunie en même lieu, ce lieu devait être pourvu de tous les objets nécessaires à la vie et les marchands devaient y apporter leurs produits. Cette habitude de se rencontrer, ce grand concours de vendeurs et d'acheteurs, prit le nom de foire. Les foires devinrent pour les seigneurs des lieux où elles se tenaient la source de grands bénéfices.

Jean de Flagy attribue l'institution des foires à Pépin le Bref, et d'autre part, dans un manuscrit conservé à la bibliothèque de Turin, on lit : «Le fil à saint Bertin qui les foires cria (créa) et establi chelle de Toies, de Bar et de Lagny.»

Saint Bertin, second abbé de Sothieu, fut le fondateur de Saint-Omer.

Ces foires, qui eurent des interruptions prolongées, furent en pleine activité et parfaitement regularisées à partir du XIIe siècle.

Les foires de Champagne et de Brie, c'est-à-dire les deux de Troyes, les deux de Provins, celle de Bar et celle de Lagny, — les foires par excellence, — étaient au moyen âge renommées dans tout le monde commerçant ; elles furent à diverses époques confirmées avec leurs droits, par des papes, des rois, des comtes de Champagne et de Brie et par des arrêts du Parlement de Paris.

Devenues bientôt les plus importantes du royaume, elles étaient, par leur position, un centre commun pour les marchands d'Italie, d'Espagne, des Pays-Bas, d'Allemagne et d'Angleterre.

Ces six foires espacées dans l'année formaient un marché continuel ; quand l'une fermait, l'autre allait ouvrir. Elles ouvraient de deux mois en deux mois, et duraient au delà de six semaines. Elles avaient des privilèges spéciaux qui leur donnaient avantage sur les autres foires et une organisation particulière qu'elles reçurent vers le XIIIe siècle. Une protection gratuite, sous le nom de Condent de foires, fut d'abord assurée aux marchands, tant pour leur personne que pour leurs marchandises ; ensuite, l'obligation fut imposée aux marchands des villes formant l'association appelée Hanse de Londres, de se trouver aux foires de Champagne, et défense leur fut faite, sous peine de saisie, d'aller ailleurs vendre leurs marchandises. En quittant les villes de foires, ces marchands recevaient des lettres de foires qui leur assuraient la jouissance des privilèges des foires de Champagne.

La protection des comtes les suivait même au delà des limites de Champagne.

Les Italiens trouvaient encore dans le pape un protecteur toujours écouté, grâce à une menace d'excommunication.

Le roi, de son côté, assurait la protection et le respect dus aux étrangers. Tous les marchands de l'Europe commerciale et même de l'Orient étaient représentés à nos foires. Ils adoptaient certains quartiers et, d'après un titre de 1188, un des quartiers de Lagny était appelé Vicus Angliæ, le quartier d'Angleterre.

La ruelle d'Angleterre y existait encore, il y a cinquante ans (1). «Il y avait cinq halles qui portaient le nom de la ville qui les occupait : les halles d'Ypres, de Douai, de Chalons, de Lyon et de Malines. Celles d'Ypres étaient les plus grandes, parce que les marchands étaient associés à dix-sept villes de Flandre. Ils étaient obligés d'avertir quelques semaines avant les foires s'ils s'y trouveraient en grand nombre, afin qu'on pût louer à d'autres les boutiques et les appartements qu'ils ne devaient pas occuper.»

Au mois d'avril 1294, treize marchands d'Ypres prirent à loyer, pour six foires consécutives, les halles dites halles d'Ypres, moyennant une somme annuelle de soixante-dix livres tournois (au pouvoir de 7.000 francs de notre monnaie), avec cette condition que si la plus grande partie des dix-sept villes s'abstenait de venir aux foires, les locataires ne seraient pas tenus d'en payer le loyer.

Les marchands de Lyon, en outre de leur halle, occupaient une petite place située près de l'ancienne porte du Vivier, traversée de nos jours par la rue Saint-Denis.

Les foires devaient se tenir sur le comté de Lagny et les officiers de l'abbé avaient soin d'occuper l'extrémité du pont, afin d'empêcher les marchands d'étaler leurs marchandises en dehors des limites de la foire.

Tout délinquant était condamné à une amende pour la première fois et, en cas de récidive, à la confiscation des marchandises.

Tonlieu. — Chaque corps d'état, chaque rue affectée à une industrie ou à un commerce spécial, payait en commun à l'abbé une somme fixe, et, en outre, chaque vendeur et acheteur payait une taxe en proportion de la qualité et du poids de la marchandise. «Ainsi celui qui vendait un millier de harengs payait deux deniers et celui qui l'achetait en payait autant.» Cela s'appelait tonlieu. Nous avons donné les coutumes (droit de vente) du tonlieu dans les Annales du Pays de Lagny.

Revenus. — La plupart des revenus des foires étaient donnés à ferme, moyennant une somme fixe, ainsi que nous l'apprend la pièce suivante : «Ce sont aucunes fermes qui estoient de profit à l'abbaye de Lagny, de foires de Champagne et de Brie à Lagny-sur-Marne, premièrement :

La draperie 410 livres
Le poids aux Provençaux 160 livres
Le poids aux Lombards 130 livres
Les marchands de Reims 38 livres
La rue Vacheresse 80 livres
La rue des Arcis 34 livres
La rue Saint-Laurent 51 livres
La rue d'Arnestal 21 livres
La Lombarderie (droit payé par les changeurs lombards) 30 livres
Les cordouans (cuirs) de Montpellier et de Marseille 60 livres
Les cordouans de Limoges et de Toulouse 44 livres
Le tonlieu de la fontaine Saint-Fursy 25 livres
La pelleterie de Marseille 100 sols
La pelleterie devant le poids aux Provençaux 100 sols
Le change 80 livres
Les étaux au change 32 livres
L'argentier 8 livres
Ceux de l'arrêt (*) 24 livres
Ceux de Dinant qui vendent pots et pelles 8 livres
Les Luçois (de Luques) 120 livres
Les tapissiers 100 sols
Le tonlieu des poissons de mer et d'eau douce 40 livres
Le tonlieu des bêtes chevalines 50 livres
Le tonlieu des flossaies (couvertures) 10 livres
La friperie 22 livres
Le tonlieu des animaux de la boucherie 650 livres
Le détail et le tonlieu des chausses 14 livres
Le tonlieu des toiles 10 livres
Les feutriers de Paris 100 sols
Ceux d'apiniaux (baladins) et autres menues trueucs (revenus accidentels) 70 livres
L'arnestal après hart (étal au poisson et surtout au saumon et le droit de le pendre) 12 livres
Les essues (droit de sortie) 90 livres
Le pertuisage 100 sols
Le tonlieu du cuir à poil 20 livres
Le tonlieu des claux, le vendredi 100 sols
Les orfèvres 4 livres
Les halles d'Ypres 60 livres
Les halles de Douai 50 livres
Les halles de Châlons 80 livres
Les halles de Malines 30 livres
Les halles de Lyon 60 livres
Le poids commun 80 livres
Le grand marché 1200 livres
Le marché au pilori 400 livres
Le marché à la laine 280 livres
Le louage de plusieurs maisons durant la foire 160 livres
* On appelait ville d'arrêt ou de saisie, celle où les marchands forains avaient le droit d'arrêter
les dêbiteurs à qui ils avaient vendu leurs marchandises, ou les marchandises elles-mêmes,
lorsqu'ils n'en avaient pas reçu le prix.

«Sans les autres profits de plusieurs autres choses et émoluments des dites foires que l'église tient et qui ont valu en foire, l'an 1212, 4.000 francs (IIII mille francs) et plus, qui est 10.000 francs la dite année.»

Ce revenu était, au XIIIe siècle, la dot d'une fille de France, et ce fut précisément cette somme qu'Isabelle, fille de saint Louis, reçut en dot lors de son mariage avec Thibauld V.

En considérant que le pouvoir de l'argent était alors quintuple de ce qu'il est de nos jours, on reconnaît que cette somme avait la valeur d'un million de notre monnaie. Dom Chaugy dit que les foires de Lagny rapportaient annuellement à l'abbaye de 14.000 à 15.000 livres, et Opoix, dans son Histoire de Provins (2), dit que, en 1296, la foire de Lagny rapporta 1.813 livres, 7 sous, 8 deniers.

D'après ces chiffres, on voit quelle était l'importance des foires de Lagny et quel énorme mouvement d'argent devait s'y faire ; aussi la foire de Lagny fut-elle prise, au XIIIe siècle et peut-être auparavant, comme terme de paiement.

Ainsi nous voyons Renaud, comte de Gueldre, acheter des chevaux à des marchands italiens pour le prix de 1.040 livres et s'engager à payer cette somme à la prochaine foire de Lagny.

L'ouverture de la foire, fixée d'abord au jour de la fête des Saints-Innocents, fut ensuite reculée ; au XIIe siècle elle s'ouvrait le 2 janvier et se prolongeait jusqu'au lundi avant la mi-carême ; elle durait donc de sept à onze semaines, suivant que Pâques tombait en mars ou en avril.

Un manuscrit du XIIIe siècle dit : «La foire de Laingny est tenue le lendemain de l'an reneuf», c'est-à-dire, suivant l'année des clercs, le lendemain de Noël ; mais le Cartulaire de Lagny dit, d'autre part, que les cordonniers devaient payer, pour droit d'étalage, 12 deniers tournois, «le deuxième jour de janvier, qui est le jour que commencent les foires de Champaigne et Brye, audit Laigny.»

L'ouverture de chaque foire était annoncée par un crieur, et au moment de la clôture, ce crieur parcourait les rues en disant : Haré! ce qui veut dire emballez. L'accès des maisons occupées par les marchands devait toujours être libre. Tout étalage devant ces maisons était interdit.

Officiers des foires. — Les officiers chargés de la surveillance et de la police des foires étaient : les gardes des foires, le chancelier, les clercs des foires, les baillis, les prévôts et les sergents.

Les gardes-foires formaient un tribunal jugeant en premier ressort : il y avait appel des gardes de foires aux grands-jours de Troyes ou au Parlement de Paris.

À Lagny, la justice ne leur appartenait pas, elle était réservée à l'abbé qui, pendant le cours des foires, avait une juridiction universelle dans la ville et qui, de par le pape, avait droit d'excommunier les perturbateurs. Son bailli était juge sans appel de tous les différends, même criminels, qui naissaient pendant la durée des foires.

Les gardes-foires nommaient, conjointement avec le chancelier, les sergents et les notaires des foires ; ils choisissaient aussi les changeurs ; ils faisaient visiter par leurs agents les halles et les magasins avant l'ouverture de chaque foire et ils en ordonnaient les réparations nécessaires ; ils délivraient les lettres de foires, scellées du sceau des foires, et en assuraient l'exécution.

La principale obligation des gardes est celle de la présence et de la résidence en la ville pendant les foires. Ils devaient rester en la ville jusqu'à la fin des plaidoiries entre les contestants, sous peine de privation de gages.

Tout dommage causé par leur faute ou leur négligence était à leur charge.

Les gardes recevaient leurs gages des comtes de Champagne à qui les abbés donnaient, pour la garde de leur foire, 300 livres, qui en 1223 furent réduites à 100 livres par Thibauld IV.

Ils avaient un hôtel, mais ils vivaient aux frais du comte de Champagne.

Le chancelier, après les gardes des foires, occupait le premier rang. Ses fonctions étaient la garde et l'apposition du sceau des foires. L'apposition du sceau fut un des revenus des comtes de Champagne, puis des rois de France ; ce revenu, en 1285, à la foire de Lagny s'éleva à 39 livres, 19 sous, et 8 deniers.

Les clercs étaient des personnages marquants, tenant quelquefois l'office des gardes. Parmi ces clercs, nous voyons figurer Pierre d'Orgemont de Lagny.

La cire pour sceller les lettres de foires était payée et au delà par un droit levé sur les contractants et les plaideurs. Sur ce revenu de la cire, le roi donnait des émoluments. Au mois de juin 1317, Philippe V approuve la concession faite par Louis X, à Pierre d'Orgemont, de la moitié des émoluments de la cire dont on se sert pour sceller les actes aux foires de Champagne et de Brie.

Les baillis qui, dans le principe, avaient partagé avec les gardes la direction des foires, rentrèrent bien vite dans leurs anciennes attributions.

Les prévôts, sous la direction des gardes, s'occupaient aussi de la police. Les sergents, enfin, étaient les exécuteurs des ordres de tous ces supérieurs. Les notaires des foires étaient nommés par les gardes à qui ils étaient soumis. Les changeurs ou banquiers, appelés aussi cambistes, remplissaient des fonctions d'une importance considérable.

Ils jugeaient les monnaies, les changeaient, payaient les lettres de change. Ils devaient avoir une table sur laquelle étaient étalées leurs pièces de monnaie.

Il y avait ordinairement six tables de changeurs, mais on les multipliait suivant l'importance des foires.

Pour les six tables, les changeurs payaient, chaque année, à l'abbé 7 livres de cens, lors de la nativité de saint Jean-Baptiste.

Les Cahorsins, que l'on croit avoir été des Italiens établis à Cahors, furent aussi des changeurs, mais ils furent exclus des foires de Champagne en 1263 à cause de fautes graves commises par eux. Les Italiens et surtout les Lombards étaient, parmi les étrangers, les principaux changeurs et banquiers; ils payaient à l'abbé de Lagny un droit important, connu sous le nom de Lombarderie. Il y avait encore une autre classe de changeurs, les Juifs, qui s'enrichissaient par l'usure à côté des Italiens qui se livraient à des opérations plus licites. Exclus de la terre Saint-Pierre (3), ils furent cantonnés sur la rive droite de la Marne, au territoire de Thorigny ; la rue qu'ils habitaient portait encore en 1880 le nom de rue de la Juiverie.

L'intérêt ne pouvait aux foires de Champagne dépasser quinze pour cent.

Marchandises. — Les marchandises principales d'exploitation au XIIIe et au XIVe siècle furent les cordouans, les tapis, les toiles et surtout les draps. Pendant la durée de la foire, trois jours étaient spécialement consacrés à la vente des draps.

Dans un manuscrit du XIIIe siècle, on lit : «La foire de Lagny est livrée le lendemain de l'an reneuf.» Et plus bas : «La foire de Lagny ne doit pas d'entrée», et enfin : «Saint-Denis, Paris et Ligny (Lagny) n'ont pas de moison (grandeur de la chaîne sur la trame) et se vendent par aunes.»

Les marchandises d'importation étaient les étoffes de luxe, le drap d'or et les tissus de soie apportés par des Italiens.

Les Lucquois apportaient diverses espèces de drap, du fil d'or, de la peau d'or, des pelleteries, de la soie et de la bourre de soie ; les gens de Dinant, dans les Pays-Bas, dont les ouvrages en cuivre ont reçu le nom de dinanderie, y apportaient leur chaudronnerie, des pots et des pelles ; les marchands du nord, des draps, des tapis, du chanvre filé et en bourre, des toiles de lin et de chanvre et des salaisons ; ceux du Midi, des cuirs, de la cordonnerie, des pelleteries et des épices ; les feutres et les joyaux venaient de Paris.

Parmi les autres marchandises étaient les métaux, le bois, le charbon, les bestiaux.

L'endroit où l'on vendait les animaux était appelé cours aux bêtes, cours aux chepaux.

En outre des grains et graines, de la farine, des confitures, de la bière dite cervoise, on vendait du vin du pays de Beaune, d'Auxerre et d'Auvergne.

Les fromages de Brie, dont la renommée toujours grandissante va devenir universelle, se vendaient déjà aux foires de Champagne.

Des serfs et des esclaves étaient vendus aux foires de Champagne. Ce commerce, d'abord prohibé, fut ensuite toléré.

Les Juifs achetaient des serfs, et les revendaient aux musulmans d'Espagne et d'Afrique. Plus tard, au contraire, les musulmans, pris par les croisés, furent vendus comme esclaves sur nos foires.

Foires, lieux de plaisir. — Les foires offraient à tous distraction et plaisir ; les bateleurs s'y donnaient rendez-vous, les ribaudes y affluaient et les fabliaux nous les montrent enlevant aux marchands imprudents l'argent qu'ils venaient de gagner (4).

Jehan de Flagy, dans les aventures d'Hervis (5), dit : Hervis reçut de Thierry, son père, prévôt de Metz, l'ordre de se rendre à la foire de Lagny ; Thierry lui donna 16000 marcs d'argent et d'or fin pour acheter des fourrures et des draps de Flandre et surtout lui recommanda d'être sage. Arrivé à Lagny, Hervis, loin d'être sage, mène folle vie et fait folle dépense ; il aime à acheter un cheval arabe, un faucon, des petits chiens de chasse et des lévriers de prix, puis il enlève Béatrix, fille du roi de Chypre.

Enfin Hervis revient, sans argent et sans draps de Flandre, à Metz où il est rudement reçu par son père.

Comme la foire ouvrait le jour de la fête des Saints-Innocents, il faut joindre à la foule déjà si considérable des acheteurs et des vendeurs, l'affluence des pèlerins accourus de toutes parts et encore grossie par les malades, les infirmes et les mendiants.

Voies de communication. — Les routes étaient alors mal entretenues ; aussi, quand cela était possible, on faisait les transports par la voie d'eau ; de là deux désignations pour les marchands, les mercatores et les mercatores aquæ.

Monnaies. — Les monnaies étaient la monnaie tournois, la monnaie parisis, le sterling, le besan, la monnaie poitevine ou lapite, la poujoise, l'estévenant, toutes frappées en dehors de la Champagne et de la Brie.

Les monnaies frappées en Champagne et en Brie étaient la monnaie provinoise, les monnaies de Troyes, Meaux, Châlons-sur-Marne, Reims, Sens et Langres.

Mesures. — Les mesures des solides étaient le muid, le setier, la mine, le bichet, le boisseau, le quartier, le boisselet, le picotin, la jointée et la doigtée.

La corde était la mesure du bois.

Les mesures des liquides étaient le tonneau, la queue, la demi-queue appelée muid.

Toute marchandise vendue au poids devait être pesée dans un lieu désigné : toute contravention à ce sujet était punie de deux amendes, l'une pour le comte de Champagne, l'autre pour l'abbé.

L'abbé possédait seul, au XIIIe siècle, la propriété du poids et du droit de pesage.

Ce droit ne lui fut contesté que plus tard.

Lagny possédait trois poids : le poids commun, poids du pays, le poids aux Provençaux et le poids aux Lombards.

Le tarif des tonlieux de Lagny indique les mesures suivantes : le marc, la livre et l'once, la balance, la pierre, le poson et la demi-balance.

Les mesures de longueur étaient la toise, le pied et le pouce. La mesure des draps et des étoffes était l'aune.

Au Moyen Âge, les foires étaient de toute nécessité. En ce temps où le commerce n'avait aucun agent intermédiaire, où la banque était à l'état d'enfance, où les opérations de change étaient presque inconnues, il fallait avoir un jour et un endroit déterminés pour la rencontre du vendeur et de l'acheteur.

En dehors des commerçants étrangers, les habitants des campagnes et des villes voisines venaient à la foire faire les provisions de l'année et y dépenser un argent économisé depuis longtemps pour cet objet.

De nos jours, où les intermédiaires pullulent, où l'on trouve toujours et partout ce dont on a besoin, les foires n'ont plus de raison d'être, mais au XIIe siècle, elles furent un grand bienfait, remplacé aujourd'hui par un état meilleur.

La foire de Lagny ne peut donner, de nos jours, aucune idée de ce qu'elle fut autrefois. Elle n'est plus maintenant qu'un faible marché aux bestiaux, un concours de saltimbanques, visité par un petit nombre de cultivateurs et de gens désœuvrés ; elle n'est plus qu'un souvenir, le souvenir lointain d'une prospérité à jamais évanouie. Les halles et les rues occupées par les marchands étrangers ont en grande partie disparu.

Des grandes halles d'Ypres, de Douai, de Châlons, de Lyon et de Malines, il reste encore les maisons à pignon sur rue, à toits aigus surmontés de grandes girouettes, situées sur la place de la Fontaine ; la vieille halle au blé avec ses pans de bois fut démolie vers 1838.

Enfin il reste encore la rue du Poids-aux-Lombards et la rue de Lyon qui, suivant nous, a été par altération nommée la rue des Lions.

Le comte Thibauld étant mort vers la fin de 1088, l'abbé Raoul voulut que le bienfaiteur de Lagny reposât dans son monastère, et il en fit la demande. Dom Chaugy dit que Raoul obtint la plus grande partie du corps de Thibauld, et que l'on croit que ce sont ces ossements que l'on trouva dans une boîte d'argent, sur le tombeau de Thibauld, lorsqu'on le changea de place, vers le commencement du XVIIe siècle.

Galon, neuvième abbé. — La fin de l'abbé Raoul est aussi inconnue que la date de son avènement.

Son successeur fut Galon, neuvième abbé.

Arnoul, dixième abbé. — Arnoul, de la famille des comtes de Champagne, avait succédé à Galon vers 1094. Son génie n'était pas inférieur à sa naissance. Arnoul a écrit la vie de saint Fursy. On lui attribue les deux hymnes de saint Fursy, données par Bollandus, ainsi qu'un recueil de sentences en vers, tirées des Proverbes de Salomon.

Les écoles. — En ce temps Anselme, qui devint, en 1112, abbé de Gembloux, gouvernait les écoles du monastère qui plus tard devinrent célèbres.

L'évêque de Paris, Guillaume de Monfort, prétendit réformer lui-même l'abbaye de Lagny, mais Arnoul résista, s'adressa au pape qui déclara le monastère de Lagny placé sous la protection immédiate du Saint-Siège.

Ces débats démontrèrent cependant que des désordres s'étaient introduits dans le monastère.

Droit d'élection. — Le droit d'élire leur abbé fut alors rendu aux religieux, par le pape, à condition que l'élection serait faite d'un consentement unanime avec l'autorisation du comte.

Pour preuve de cette liberté, le pape voulut que le monastère payât, tous les ans, une once d'or au palais de Latran.

René Chopin dit que nos abbés avaient le titre de comtes et de ducs et étaient appelés dynastæ, c'est-à-dire princes.

Saint Thibauld. — Arnoul après avoir réformé son monastère mourut en 1106.

Arnoul eut pour frère saint Thibauld qui dans un temps malheureux vint au monde (comme une fleur au milieu des épines). Ce saint homme, qui aimait à vivre parmi les artisans, mourut en 1066. Un paysan ayant prétendu que saint Thibauld lui était apparu au bois Fagi (bois de hêtres), Arnoul se décida à bâtir une église en ce lieu ; les reliques du saint, déposées jusqu'alors dans le monastère de Lagny, y furent transportées, ce qui amena une foule de pèlerins et nécessita la fondation d'une petite communauté devenue le prieuré de Saint-Thibauld. Telle fut l'origine du village de Saint-Thibauld.

Godefroy, onzième abbé. — Godefroy succéda à Arnoul, comme abbé. Au dire de dom Chaugy, cet abbé paraît avoir préféré «la graisse de la terre à la rosée du ciel». Il obtint du pape le droit d'excommunier les malfaiteurs. Les abbés et religieux de Lagny étaient alors constitués seigneurs de Lagny, non seulement dans la ville, mais dans toute la seigneurie, avec haute, moyenne et basse justice.

Pascal II. — Le pape Pascal II, au sortir du monastère de Saint-Denis en 1107, vint visiter l'abbaye de Lagny où il logea, mais il n'y eut pas d'assemblées.

Bataille de Lagny. — En 1107, le roi de France Louis le Gros était en guerre avec Thibauld qui devint comte de Champagne en 1135 sous le nom de Thibauld II. Louis vint présenter la bataille entre Torcy et Gouvernes, le roi l'emporta et mit en fuite son adversaire. Une partie des vaincus, abandonnés par leur chef affolé, arrivèrent en désordre jusqu'au château de Lagny où les vainqueurs furent obligés de s'arrêter. Les autres fugitifs furent en grande partie pris par les vainqueurs à qui, pour prix de la liberté, ils durent payer une bonne rançon. Aussi, nous dit Suger (6), «cette victoire devint-elle fameuse dans toute la terre.»

Thibauld se réconcilia avec le roi, mais quatre ans après, en 1111, les hostilités recommencèrent.

Bataille de Pomponne. — Louis tenta d'enlever Lagny. Thibauld vint à sa rencontre et la bataille s'engagea près de Pomponne. Mis encore une fois en déroute, Thibauld et une partie des siens se réfugièrent sur un pont élevé sur la Marne. Une grande partie des fugitifs ne purent trouver place dans cette forteresse improvisée et se jetèrent dans la rivière qu'ils espéraient traverser à la nage et se noyèrent. Un plus grand nombre encore tombèrent dans la Marne, poussés par les leurs et les soldats du roi. La plupart des roturiers, armés à la légère, purent gagner l'autre rive, mais les chevaliers furent arrêtés par le poids de leur lourde cotte de mailles.

«Les comtes, qui commandaient en second dans l'armée de Louis, s'amusaient à leur laisser faire deux fois le plongeon, puis on les tirait de l'eau après le premier plongeon et avant le troisième, en leur donnant le surnom moqueur de rebaptisés.» Malgré tout Louis ne put enlever Lagny et il se retira avec son armée par la prairie de Pomponne.

Raoul II, douzième abbé. — À Godefroy, mort en 1124, succéda Raoul II, moine de Saint-Nicolas-au-Bois, qui fut le douzième abbé.

Raoul fut un bon administrateur ; il devint seigneur de Dammard, où il posséda trois moulins, il acquit les moulins de Condé et en fit bâtir quatre nouveaux à Chessy. Il acheta aussi le droit de criage : c'est à-dire le droit de faire publier des ordonnances et règlements de police à son de trompe et de tambour. Cette charge était alors importante et l'acte en fut passé sur l'autel en présence de hauts personnages.

Évrin. — Un prêtre de la famille des seigneurs de Montévrin, mort en 1077, avait légué tous ses biens au monastère, sous la condition d'avoir sa sépulture auprès de ses ancêtres dans l'église de l'abbaye. Il y fut inhumé.

Lorsque l'ancienne nef fut démolie, on transporta ce tombeau dans le nouveau chœur, près de celui du comte Herbert.

Nous en donnons l'épitaphe dans les Annales du Pays de Lagny.

Ce tombeau, aujourd'hui détruit, appartenait au style romain. L'épitaphe est, de nos jours, placée dans le bas côté droit de l'église Saint-Pierre, au-dessous de l'épitaphe de Guillaume d'Orgemont. Elle a malheureusement été brisée en deux parties, en 1862, lors de cette nouvelle translation.

Mal des Ardents. — En 1127, on vit reparaître l'affreuse maladie des Ardents. Dom Chaugy rapporte que le peuple épouvanté se porta en foule à l'autel de la Vierge pour implorer son intercession, et que la contagion cessa immédiatement. De ce jour, la chapelle reçut le nom de Chapelle des Ardents.

L'Abbaye, lieu de dépôt. — Louis le Gros, dit Suger, pour éviter aux églises pauvres l'obligation de mettre en gage leurs objets sacrés, dans les mauvaises années, leur fit certaines libéralités. Lagny était l'un des endroits où les églises nécessiteuses venaient engager leurs croix, leurs calices et leurs ornements sacrés.

Suger, en employant le mot forteresse dans son récit, veut sans doute parler du monastère qui était fortifié et qui, par cela même, inspirait confiance à ceux qui y venaient déposer leurs objets. La ville ne fut fortifiée que beaucoup plus tard.

L'abbé Raoul reçut du pape le droit d'officier pontificalement avec la crosse et la mitre, ce qui, en ce temps, était un privilège bien rare parmi les abbés.

Nous voyons alors un mouvement de résistance, d'aspiration à l'indépendance, qui, sous le nom de mouvement communal, va bientôt envahir une partie de la France.

Des conflits s'élevèrent entre la ville, les bourgeois et l'abbé, mais l'intervention du pape coupa court à ces différends.

Innocent II. — Innocent II était à Paris le 20 avril 1131 ; de là il se rendit à Lagny avant d'aller à Rouen, où il était arrivé le 9 mai.

Dans une bulle datée de Lagny, le 6 mai 1131, le pape défend de construire aucune hôtellerie devant l'église Sainte-Marie (7) et interdit de célébrer, le jour de la fête de la Purification, aucune messe avant la procession solennelle des religieux.

Église Saint-Paul. — Vers 1132, l'église Saint-Paul, détruite par les Northmans, avait déjà été relevée de ses ruines. On croit que cette église fut d'abord une grande chapelle où les comtes de Champagne et de Brie venaient remplir leurs devoirs de dévotion. Plus tard ils la cédèrent aux religieux qui l'utilisèrent pour certaines cérémonies claustrales, pour les processions et les instructions du personnel du monastère ; enfin elle devint la chapelle particulière des abbés dont le logis n'en était pas éloigné.

Maisons, rue des Marchés. — Vers cette année 1132, s'élevèrent toutes les maisons qui bordent la rue actuelle «des Marchés», depuis la porte d'entrée du monastère jusqu'à l'emplacement de l'église Saint-Paul. Les religieux, après la construction de la première maison, furent inquiétés à ce sujet et on leur contesta le droit de bâtir en ce lieu. D'où venait cette difficulté ? Le Cartulaire est muet à ce sujet, mais le pape intervint et approuva l'édification de la maison et de toutes les autres que l'abbé construirait au même endroit.

Concile de Lagny. — Le concile, qui se tint à Lagny en 1142, sous la présidence d'Yves, légat du pape, fut le point de départ d'une guerre entre le roi de France et le comte de Champagne. Cette guerre dura trois ans, fut désastreuse pour Thibauld et est restée célèbre par l'incendie de Vitry-en-Perthois, où Louis fit périr dans les flammes treize cents personnes qui s'y étaient réfugiées.

Famine. — Notre pays eut à souffrir d'une horrible famine en 1146. L'abbé, après avoir épuisé ses revenus ordinaires, n'hésita pas à engager le fonds.

Après le départ de Louis pour la croisade, Henri le Libéral, fils de Thibauld, s'occupa de l'administration du royaume avec Suger, l'un des principaux régents. Quelquefois Lagny fut leur lieu de réunion.

Incendie. — Un incendie réduisit le monastère en cendres en 1148. L'église seule fut épargnée. L'abbé Raoul mourut au moment où il s'occupait de réédifier le monastère.

Godefroy II, treizième abbé. — Godefroy II, présenté par saint Bernard, succéda à Raoul comme treizième abbé.

Mort de Thibauld II. — Thibauld II fit relever le monastère à ses frais ; il en avait à peine terminé les travaux, qu'il dirigeait en personne, lorsqu'il mourut à Lagny vers le commencement de janvier 1152. Il fut enterré avec pompe et magnificence dans l'église de l'abbaye. On lui éleva un tombeau de porphyre exhaussé sur quatre pilastres de marbre, garnis de lames d'argent.

Ce tombeau fut ouvert en 1686 et l'on trouva, placée dessus, une boîte d'argent contenant des ossements que l'on croit être ceux de Thibauld Ier.

Le comte Henri, fils de Thibauld II, par reconnaissance, réduisit son droit au gîte et à la nourriture gratuits quand il logeait dans le monastère, puis fonda l'anniversaire de son père moyennant une rente de vingt muids de vin qu'il abandonna aux moines sur les cent muids qui lui étaient dus annuellement. Cet anniversaire se célébrait encore au XVIIe siècle. Tous les curés du comté de Lagny devaient y assister en habit de cérémonie et étaient invités au repas offert ensuite par la communauté.

Durée de la foire. — Vers cette époque Henri avait fixé la durée de la foire, prolongée depuis quelques années jusqu'au dimanche des Rameaux, et avait défendu aux marchands et changeurs d'y séjourner plus de dix jours ; mais sur la demande de l'abbé, il leva cette défense.

Hugues Fart. — Les abbés, suivant une coutume constante et ancienne, avaient établi dans l'abbaye une école où les sciences étaient enseignées publiquement, tant aux religieux qu'aux séculiers, et cela, au dire de Dom Chaugy, autant pour l'avantage du public que pour l'honneur de la maison. En ce temps, un homme célèbre par son savoir, Hugues Fart, occupa la chaire de l'école avec destination.

Droit de boutique. — Godefroy vendit à plusieurs bourgeois le droit de louer boutique, moyennant une redevance qui serait continuée par leurs héritiers.

Bulles d'Adrien IV. — Mal vu du roi, en hostilité avec le duc de Vermandois, qui était venu rançonner ses vassaux et ravager les terres de l'abbaye, l'abbé porta ses plaintes devant le pape Adrien IV. Celui-ci ne ménagea pas son appui à Geoffroy et, par quatre bulles successives, il confirma dans ses biens, pourvut à la sécurité des marchands forains, défendit à l'évêque de Paris de prélever sur l'abbaye de Lagny aucune redevance inusitée et enfin déclara que l'élection de l'abbé appartenait à la seule communauté.

Les Laniaques, sujets spirituels de l'évêque de Paris et sujets séculiers des comtes de Champagne, étaient obligés, pour les différends ecclésiastiques, de se rendre à Paris, sur la terre du roi. De là certains dangers pour les biens et les personnes des Laniaques. Sur la plainte de l'abbé, le pape, par une bulle de mai 1154, ordonna que les archidiacres, dont la personne était toujours respectée, vinssent à Lagny y exercer leurs droits suivant l'usage.

Par cette même bulle, le pape exemptait du droit de circade (vente épiscopale) et de synode, les églises du monastère de Lagny, placées sur le diocèse de Paris, à l'exception des paroisses de Goupernes, Montéprin et Chessy.

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[Notes de bas de page.]

1.  En détruisant la ruelle d'Angleterre, sans donner son nom à la voie qui l'a remplacée, la municipalité de la ville a bien fâcheusement déchiré une page de notre histoire.

2.  [Christophe-Armand Opoix (1745-1840), L'Ancien Provins, Provins, Lebeau, 1818 ; Histoire et description de Provins, Provins, Lebeau, 1823, et 1846 (2ème édition).]

3.  Il faut dire terre Saint-Pierre, bras Saint-Pierre, et église Saint-Pierre. Quelquefois on a écrit par erreur Père au lieu de Pierre.

4.  Les gens de mauvaise vie habitaient l'impasse des Ribaux, qui, par une étrange altération, est devenue, de nos jours, l'impasse des Rimbaults.

5.  [Suger (?1081-1151), Œuvres complètes (en latin), Paris, Renouard, 1867.]

6.  [Jean de Flagy fut poète français du XIIIe siècle. Cf., Jean-Charles Herbin, Hervis de Mes. Chanson de geste anonyme (début du XIIIème siècle). Édition d'après le manuscrit Paris B.N. fr. 19160. Avec introduction, notes, variantes de tous les témoins, Genève, Droz, 1992.]

7.  L'église et le monastère étaient voués à la sainte Vierge.


CHAPITRE 3 : DE 1154 À 1234.

Le comté de Lagny. — À cette époque (1154), notre petit État a pris définitivement la forme du gouvernement qu'il conserva pendant toute la durée du Moyen Âge, sauf deux modifications introduites, l'une vers le milieu du XIIe siècle, par l'établissement d'une commune, et l'autre au temps de Philippe le Bel, par la nomination du maire et des échevins.

Cette forme est celle d'une oligarchie théocratique, où le pouvoir législatif appartient aux religieux qui, assemblés en chapitre, délibèrent sur toutes les questions et choisissent un abbé à qui ils délèguent le pouvoir exécutif.

Au-dessous de cet abbé, est un prieur, nommé aussi à l'élection et qui doit remplacer l'abbé en cas d'absence, de maladie, ou pendant la vacance qui suit la mort de l'abbé.

L'abbé a son garde des sceaux, son trésorier, sa police et sa justice.

Le garde des sceaux apposait le sceau du monastère sur les lettres et actes formulés au nom de l'abbé et leur donnait ainsi un caractère authentique.

Les Archives nationales conservent deux sceaux de l'abbaye de Saint-Pierre de Lagny, l'un du XIIe siècle, sans date, et l'autre de 1336 (
1).

Les actes et les contrats étaient reçus par un ou plusieurs tabellions.

Les recettes perçues par les sergents étaient remises au trésorier de l'abbaye.

La police des bacs, du pont, de la rivière, des rues et des marchés était faite par des sergents de police qui veillaient aussi à la sécurité des habitants.

La justice était rendue à la prévôté et au bailliage. Le prévôt était subordonné au bailli, et l'on en appelait au bailli des sentences du prévôt. Enfin on en appelait aux grands-jours de Troyes des sentences prononcées par les prévôts ou baillis seigneuriaux.

Le procureur de l'abbaye requérait devant les deux justices des condamnations contre les délinquants et les criminels.

Enfin, au dernier degré de cette hiérarchie, se tenait l'exécuteur des hautes-œuvres.

Les droits de justice de l'abbé furent respectés même après la réunion, à la couronne, de la Champagne et de la Brie.

Vers 1183, eut lieu à Lagny un tournoi où les chevaliers français et étrangers furent invités. Ce jeu militaire où tout, selon les lois du bon roi René, était fait en l'honneur des dames, fut des plus brillants. On possède de longues listes de chevaliers qui prirent part au tournoi de Lagny ; les chevaliers y sont groupés par nation et parmi eux est cité le comte de Soissons, Raoul de Mesles.

Doyenné de Lagny. — Le doyenné de Lagny faisait, en 1206, partie de l'archidiaconé de Brie qui comprenait la partie du diocèse placée entre la Marne et la Seine.

Le doyenné renfermait les paroisses suivantes qui avaient différents collateurs. Le collateur était celui qui avait le droit de conférer le bénéfice, cure ou prieuré, sauf l'institution canonique donnée par l'évêque quand il n'était pas lui-même collateur.

1º À la collation de l'archevêque de Paris: Serris , Ferrières, Bussy-Saint-Georges, Bussy-Saint-Martin, Croissy, Collégien, Lognes, Champs, Villiers, Bry, Combault et sa chapelle, la Queue, Amboille, la chapelle de Torcy, la chapelle de Footel (Malnoue), dite de Saint-Jean.

2º À la collation de l'abbé de Lagny : Chessy, Montévrin, Chanteloup (le champ du loup), Conches, Gouvernes, Saint-Laurent, Saint-Denis du Port (le Port), Saint-Paul, Saint-Fursy, Saint-Sauveur, la chapelle de l'Aître.

3º À la collation du prieur de Saint-Thibauld : Saint-Thibauld, la chapelle de Saint-Germain des Noyers.

4º À la collation du prieur de Gournay : Noisiel, Pontault, Boissy, Berchères, la chapelle de Gournay.

5º À la collation de l'abbé de Saint-Martin-des-Champs : Noisy-le-Grand, Champigny.

6º À la collation de l'abbé de Saint-Denis : Villeneuve-lès-Lagny ou Saint-Denis.

7º À la collation de l'abbé de Sainte-Geneviève : Jossigny.

8º À la collation de l'abbé de Saint-Maur-des-Fossés : Bry.

9º À la collation de l'abbesse de Footel : Beaubourg.

10º À la collation de l'abbé de Montéty : Chenevières.

Le doyenné de Lagny conserva cette étendue jusqu'au 15 janvier 1789 et canoniquement jusqu'au Concordat, époque où il fut détaché du diocèse de Paris pour être réuni à celui de Meaux et où il reçut de profondes modifications.

Au Moyen Âge, nous ne voyons jamais que le doyen de Lagny ait siégé dans cette ville, et comme la résidence au doyenné n'était pas obligatoire, il est à peu près certain qu'il ne venait que rarement à Lagny, où les conflits continuels, entre l'abbé et l'évêque de Paris, l'auraient mis dans une situation difficile.

Pour le doyenné de Lagny, il était dû à l'évêque de Paris un droit de tonlieu par les prieurés de Gournay, de Chenevières, de Chessy, de Saint-Thibauld, de Villeneuve-lès-Lagny, et par les abbayes de Lagny et de Footel.

Au XIVe siècle, l'abbaye de Lagny était astreinte à la visite épiscopale qui donnait à l'évêque droit à un repas. Ce repas pouvait être payé en argent par une somme déterminée fixée à 12 livres, en juin 1384.

Le Comté. — Dans notre cartulaire on trouve une déclaration sans date, faite vers 1405, indiquant l'étendue du comté de Lagny, étendue que nous ne verrons pas varier. Le circuit du comté comprend les territoires de Lagny, Chessy, Montévrin, Chanteloup, Conches, Gouvernes, Saint-Thibauld-des-Vignes et Saint-Germain-des-Noyers où les religieux ont toute justice, moyenne et basse. Le circuit a six lieues environ (2).

Au long du circuit «sont cinq places où soullait (avait coutume) y avoir treize moulins, îles, gords et pêcheries» dépendantes de la justice de Lagny : la place des moulins de Dammard ; des moulins de Vitail dit la Gourdayne (3) ; des moulins de Relief dit Pont-Hardy ; du moulin de Huppigny. En ce temps il ne subsistait plus que treize moulins, tous placés à la Gourdayne.

Appartenaient encore à la terre, seigneurie et justice de Lagny, les bois de Maulny, du Breuil et du Châtaignier et de dame Agnès contenant environ trois cents arpents ; l'hôtel et la ferme de Violennes avec les terres de Conches, contenant de cent vingt à cent quarante arpents ; et les places de la grande et de la petite Maille, des terres et prés sur lesquels il y avait maisons et d'autres ayant appartenu au prieur de Conches.

La seigneurie de Lagny avait encore avec la justice haute, moyenne et basse, l'hôtel de Platry avec ses dépendances, tous les marais de Lesches et le village de Varennes avec ses terres et prés.

La déclaration que nous reproduisons ici est postérieure à 1263, puisque les marais de Lesches, qui y figurent parmi les possessions de l'abbé, ne lui furent donnés qu'en 1263.

Incendie. — La ville fut brûlée en 1157 ; l'incendie gagna le monastère qui fut grandement endommagé. L'abbé reçut de grands secours pour réparer ce désastre.

Mouvement communal. — Le grand mouvement communal agitait alors le nord et l'est de la France, c'était le réveil de l'esprit de liberté qui se produisait partout où la population était assez nombreuse pour lutter contre l'oppression féodale.

Les habitants des villes se réunissaient dans la grande église ou sur la place du Marché, et prêtaient le serment de se soutenir les uns les autres. Ce serment donna naissance à la commune, et ceux qui étaient liés de cette manière prirent le nom de jurés.

Les jurés nommaient un gouvernement à l'élection et les échevins, qui dirigeaient la lutte contre les seigneurs, assemblaient les bourgeois au son de la cloche.

La rivalité entre le suzerain et le vassal envenima souvent le conflit.

Ainsi à Lagny, notre comte de Champagne accorde une commune à ses vassaux, et l'abbé prétend que le comte a empiété sur ses droits.

Lagny possédait une commune avant 1156, mais, en cette même année, elle cessa d'exister. Sur ce point le texte des Annales de Lagny est formel : «MCLVI, Hic desiit communia.»

Nous supposons que l'abbé eut alors l'avantage dans sa lutte contre le comte et qu'il parvint à supprimer la commune.

Lutte entre le comte et l'abbé. — La lutte, loin de cesser par ce fait, s'envenima encore davantage.

La commune accordée aux Laniaques devait leur donner le droit d'élire en toute liberté des échevins choisis par eux-mêmes ; le mayeur (maire), administrateur de la cité ; de lever des taxes fixes, d'avoir un sceau, une cloche de convocation, une prison et une tour, garantie de leurs droits. Cette tour ou beffroi, dont étaient si fières les cités affranchies du moyen âge, fut le prétexte pris par Henri pour continuer la lutte contre l'abbé.

Henri demandait la construction d'une tour qui serait la garantie des franchises communales quand la commune serait reconstituée, et l'abbé prétendait que cette tour serait pour le comte qui s'y serait cantonné militairement un moyen d'opprimer les habitants.

Peut-être bien Henri ne voulait-il avoir là qu'un poste militaire, à cause de la position de Lagny sur la Marne, à proximité de Paris.

Henri, exaspéré de la résistance de l'abbé, lui retira les biens qu'il lui avait donnés et abandonna le comté de Lagny au pillage de ses soldats.

Henri, menacé de l'interdit par le pape, céda, renonça à la construction de la tour et rendit à l'abbé tous ses biens.

On peut s'étonner que les Laniaques ne soient pas intervenus dans la lutte, à cause du grand intérêt qui, pour eux, était en jeu. Mais cela se comprend quand on considère combien fut douce l'administration des abbés, quoique toujours elle ne fût pas à l'abri du reproche. En effet, jusqu'aux guerres de religion, on ne trouve dans notre histoire aucun de ces actes violents si fréquents au moyen âge qui soulevaient l'émotion populaire et amenaient l'effusion du sang.

Lampe de Henri. — Le comte Henri donna à l'abbaye vingt sols de rente pour l'entretien d'une lampe, perpétuellement allumée sur le tombeau de son père. Cette lampe brûlait encore à la fin du XVIIe siècle et tout porte à croire qu'elle brûla jusqu'en 1790.

Des plaintes s'étaient élevées contre l'abbé Godefroy qui menait une vie plus séculière que monastique ; on l'accusait d'avoir dissipé les secours en argent qu'il avait reçus pour les réparations de la ville et du monastère après l'incendie de 1159. Le pape Adrien IV, écoutant ces plaintes, déposa, en 1162, cet abbé qui, selon Dom Chaugy, avait plus de réputation que de vertu.

Hugues Ier, quatorzième abbé. — Hugues Ier, qui succéda à Godefroy, ne resta qu'un an sur son siège et eut une fin tragique. Il venait à cheval pour réprimander un criminel, lorsque ce misérable lui décocha une flèche qui, pénétrant par l'œil jusqu'au cerveau, le tua sur le coup.

Hugues II, quinzième abbé. — Hugues II succéda à Hugues Ier comme quinzième abbé. Il était fils naturel de Thibauld II et frère de Henri, alors comte de Champagne.

À l'occasion de la nomination de son frère, Henri fit de grandes libéralités à l'abbaye et par un acte, daté de Lagny en 1163, lui donna les marais de Lesches. Il fonda un anniversaire solennel pour son père et déclara annexer à la mense (revenu) conventuelle les vingt muids de vin donnés pour le service annuel de son père, aussi bien que l'argent dû par chaque bourgeois pour le droit appelé vin du comte.

Écoles. — Il ordonna que la direction des écoles, régies par Dumont, fût dévolue à l'abbé, avec la faculté d'en nommer le régent, dont le mandat ne devait pas durer plus d'une année.

Hugues II fut un sévère observateur de la règle qui avait été altérée par son prédécesseur et il y ramena les religieux. Il mourut, en 1176, emportant les regrets de la ville et du monastère, à qui il laissa la terre de Plâtry pour célébrer son anniversaire.

Dom Chaugy le qualifie de grand abbé et dit qu'il a écrit quelques lettres, lesquelles sans doute ont été perdues.

Garin, seizième abbé. —Garin, successeur de Hugues II comme seizième abbé, fut un homme faible et de talents ordinaires. Il y eut de son temps (1175) en l'église de l'abbaye, une grande cérémonie en l'honneur de saint Thibauld.

La ville et le monastère eurent, en 1176, à souffrir d'un orage épouvantable ; les moindres grains de grêle étaient plus gros que le poing.

Josselin, dix-septième abbé. — Garin s'étant démis, Josselin lui succéda comme dix-septième abbé.

Les droits et biens de l'abbaye sont amplement décrits et confirmés dans un bref du pape Alexandre III, en date de 1179. Il y est fait mention de Torcy, Thorigny, Lesches, Vanves, Conches, Violaines, Charbonnières, Corbins, Courtalin, Saint-Denis-du-Port, des bois de Breuil et de Chigny, des chapelles de Saint-Laurent et de Saint-Vincent de l'Aître, du moulin de Bécherel et du droit de pêche dans la Marne, depuis la pointe de l'île jusqu'à l'autre bout.

Le 8 août 1184, un incendie plus terrible que les précédents consuma le monastère et la plus grande partie de la ville.

L'abbé, déjà fort vieux, reçut de cet événement une telle commotion qu'il en perdit la raison.

Marie, régente de Champagne, passa à Lagny où elle signa un acte en 1189.

Humbert, dix-huitième abbé. — Humbert, profès de Saint-Denis, succéda à Josselin comme dix-huitième abbé.

Il se produisit alors une vacance de six ans jusqu'à la nomination de Jean Britel. Pendant cette vacance, la régente Marie vint encore à Lagny où elle signa un acte en date de 1192.

À cette époque, un quartier de la ville s'appelait le quartier des Anglais ; en effet, Jean Britel fit un échange contre une maison située dans le quartier anglais, in parte villæ qui dicitur Anglia.

Milon de Leigni. — En ce temps, la Champagne et la Brie produisirent plusieurs écrivains ; de quelques-uns les œuvres sont perdues et le nom seul est arrivé jusqu'à nous ; de ce nombre est Milon de Lagny, le bon Milon, dont les richesses étaient le bien du pauvre et qui dépensa, tant la misère était grande en ce temps, toute sa fortune à secourir les malheureux (4).

De quelques autres, les poèmes sont restés et encore aujourd'hui on en apprécie la gracieuse naïveté.

Le plus célèbre d'entre eux est Chrestiens de Troyes, qui vécut de 1157 à 1191, et écrivit plusieurs poèmes dont s'inspirèrent bien souvent les écrivains des trois siècles qui suivent.

Godefroi de Lagny. — Chrestiens avait pour ami un clerc de Lagny, du nom de Godefroi de la Mer, et qui, lui aussi, était poète. L'année de sa mort arrivée en 1191, Chrestiens avait composé un poème intitulé : le Chevalier de la Charrette, qu'il n'avait pas eu le temps de terminer. En mourant, il confia son manuscrit à son ami et le chargea d'achever son œuvre. Godefroi termina cet ouvrage dont la renommée fut grande au XIIe siècle et le dédia à la comtesse Marie, femme de Henri le Libéral.

Le héros de ce poème est Lancelot du Lac, dont la valeur, la constance et les infortunes ont fait le type des chevaliers de la Table-Ronde.

Voici le jugement que M. Tarbé porte sur Godefroi de Lagny, dans sa publication des Poètes de Champagne antérieurs au XVe siècle (5) : «Il fut digne de Chrestiens du commencement à la fin, le style est le même, la pensée conserve sa finesse, son élégance, le drame sa marche aisée et directe. Il fut à la hauteur de Chrestiens et leurs noms sont inséparables ; la gloire de Chrestiens éclaire de ses reflets le nom de Godefroi de Lagny.»

Voilà comment la littérature acquitte sa dette envers un de ses enfants, mais nous, Laniaques, qu'avons-nous fait pour la mémoire de l'aimable poète dont le talent a jeté quelque éclat sur notre ville? Pas une inscription, aucun nom de rue qui rappelle son souvenir ! Combien parmi nous connaissent son nom ? Son poème n'est même pas à la bibliothèque de la ville ! Et pourtant son livre fut longtemps le charme du château et de la maison bourgeoise, le sujet et l'attrait des veillées de nos villages ; pendant plusieurs générations il avait ému doucement le cœur de nos jeunes gens et ramené le sourire sur les lèvres de nos vieillards.

Nous avons oublié vite ces douces jouissances, et dans notre égoïsme, nous n'avons gardé de souvenir que pour ceux qui, avec le deuil et les larmes, nous apportèrent la ruine de la cité.

Godefroi était clerc, il nous l'apprend lui-même dans un des derniers vers du Chevalier de la Charette :

Godefroi de Lagny, li clers
A parfiné la Charette.     

De Godefroi de Lagny nous ne savons autre chose.

Troisième croisade. — Notre comte, Henri II, partit pour la troisième croisade et fut nommé généralissime de l'armée en 1101, en attendant l'arrivée des rois de France et d'Angleterre.

Malheureusement nous n'avons le nom d'aucun des Laniaques qui suivirent Henri, ils nous sont aussi inconnus que les noms de ceux qui avaient, en 1066, pris part à la conquête de l'Angleterre, sous la conduite de Eudes II, comte de Champagne.

Jean Britel, dix-neuvième abbé. — Après une vacance de six ans, en 1195, Jean Britel fut élu comme dix-neuvième abbé. Jean, doué de talents hors ligne, porta à un haut degré la prospérité de la ville et du monastère.

La propriété. — Pour donner une idée de ce qu'était la propriété à cette époque, nous citons l'exemple suivant : un bourgeois légua quatre ou cinq maisons avec une place et une portion de rue, de plus la juridiction, le cens, le préage, minage et enfin un droit particulier sur chaque voleur qu'on arrêtait sur son petit domaine.

Bulle d'Innocent III. — Le pape Innocent III confirma par une bulle les biens et droits de notre abbé.

Cette bulle nous apprend que l'abbaye succédait à tous les biens des étrangers morts intestats et sans héritiers ; qu'il prenait chez chaque boucher, moyennant un denier, deux livres de viande tous les dimanches, mardis et mercredis de l'année, ainsi qu'aux quatre grandes fêtes de Pâques, Pentecôte, Toussaint et Noël ; qu'il pouvait faire pêcher dans la rivière de Marne, aux douves de Pomponne, depuis le 1er mars jusqu'au 15 avril, et tous les dimanches de l'année, depuis le coucher du soleil jusqu'au mardi suivant, après le soleil couché.

Le dépositaire de l'abbaye devait donner, chaque fois qu'il pêchait, au mayeur (maire) de Pomponne et aux pêcheurs, trois pains de communauté et une pinte de vin ; le cellerier donnait dix harengs, les pêcheurs faisaient présent au dépositaire d'un beau poisson.

Le moulin de Relief, situé près du pont Hardy, devint alors, en 1198, la propriété complète de l'abbaye.

Notre comte Thibauld, frère de Henri II, par une charte donnée à Lagny en 1198, approuva la donation d'une rente de dix-huit muids de vin faite par Aubert de Lagny à Garnier de Lagny, son sergent.

Garnier de Lagny. — Ce Garnier de Lagny était destiné à de hautes fonctions ; il devint chambrier et ambassadeur de nos comtes. La fonction de chambrier correspondait à celle d'un ministre des finances de nos jours.

Garnier fut envoyé en Orient en 1207, pour négocier le mariage d'Alix, fille de Henri II, avec Hugues 1er roi de Chypre. Il mena à bien cette négociation.

Malgré l'importance de ses fonctions, Garnier n'était pas admis au conseil quand il s'agissait d'exercer l'autorité législative. Ce droit appartenait exclusivement aux grands possesseurs de fiefs. Garnier était mort en 1240.

La lèpre. — Les croisés avaient rapporté d'Orient l'épouvantable maladie de la lèpre, ce mal qui, dans l'antiquité, fut appelé le fils aîné de la mort.

À l'aspect d'un lépreux, les populations étaient saisies de dégoût et d'effroi ; tous fuyaient ; le malheureux abandonné devait revêtir la robe noire et porter au cou une clochette pour signaler sa présence aux vivants dont il ne semblait plus faire partie.

Toute communication avec les autres hommes lui était interdite, il était relégué loin des lieux habités.

Mais où l'humanité fuyait épouvantée, la religion vint apporter son dévouement et ses consolations. Des serviteurs de Dieu, dont la charité égalait le courage, fondèrent des asiles où, sous le même toit, ils donnèrent aux lépreux et leurs soins et leurs encouragements.

Une de ces léproseries ou maladreries fut établie à Pomponne ; elle avait des revenus considérables à Lagny, à Saint-Mesme et à Fontenay-en-Parisis.

Lagny, Pomponne, Montévrin, Chessy, Chanteloup, Conches, Gouvernes, Saint-Thibauld avaient le droit d'y envoyer leurs malades.

Notre jeune comte Thibauld III fit au mois de février 1200 un séjour à Lagny où il confirma, par un acte en date de cette ville, la donation des marais de Lesches. Il mourut le 24 mai 1201.

Blanche de Navarre, veuve de Thibauld III et grosse d'un fils, prit alors la régence de la Champagne.

Conditions du roi. — Pour s'assurer la protection du roi Philippe-Auguste, elle dut accepter de dures conditions.

Les habitants de Bray, Montereau, Lagny et Meaux furent obligés, par serment, de garantir l'exécution des trois premières conditions imposées à Blanche et même de s'engager à s'unir au roi dans le cas où elle violerait ses engagements : 1º Blanche fera le serment de ne pas se remarier sans le consentement du roi ; 2º elle lui livrera sa fille et l'enfant qu'elle porte dans son sein ; 3º elle lui remettra les châteaux de Bray-sur-Seine et de Montereaufaut-Yonne.

Blanche avait fait détruire par le prévôt de Meaux, pour cause de grave délit, la maison de Haton, seigneur de Bray-sur-Marne.

L'abbé prétendit que Blanche avait, en cela, porté atteinte à son droit de justice et obtint d'elle une curieuse réparation où il est dit que: Blanche fit publiquement amende de l'audace de cette violation devant le chapitre de l'abbé, en présence du couvent et d'une foule d'autres personnes, tant chevaliers que bourgeois et servants, et comme marque de cet amendement, elle passa son anneau au doigt du seigneur Jean, abbé du lieu. De plus, il est dit que Jean conserve cet anneau de crainte que, dans la suite, les futurs comtes de Troyes ne commettent semblable attentat sur la terre de l'abbaye, et il fait savoir que la comtesse Marie fit longtemps auparavant une semblable réparation pour une injure faite à l'abbé de Lagny.

Mesures. — Blanche, étant à Lagny au mois d'avril 1204, donna un acte daté de cette ville.

Cet acte indique les mesures de contenance employées au XIIIe siècle, le degré et la préférence qu'on accordait, sur les bois, aux terres de culture. À Lagny, la perche était de dix-neuf pieds et l'arpent contenait cent perches.

Les Juifs. — Blanche se plaignit alors du départ des juifs qui quittaient ses états pour se fixer sur les terres du roi. Celui-ci ordonna aux juifs de rentrer en Champagne et il est probable que Thorigny, situé sur la limite des deux états, reçut un grand nombre de familles juives.

Le commerce des juifs était pour les souverains la source d'un gros revenu.

Le juif, que le seigneur pouvait vendre à son bon plaisir, ne songeait pas à faire un commerce régulier ; il était l'agent de tous les trafics clandestins, l'usurier impitoyable qui apportait la ruine au château et à la chaumière. Aussi quand le roi frappait les juifs d'une de ces taxes effroyables qui semblaient impossibles à payer, toute la population applaudissait. Mais, chose plus effrayante encore, il n'y paraissait guère ; ils étaient toujours aussi riches et l'on pouvait recommencer l'année suivante.

Que de ruines il fallait pour tant de richesses !

Tenus en dehors de la société, les juifs avaient leurs puits, leurs fours et leurs marchés. Ils devaient porter un chapeau pointu et saint Louis ajouta à ce stigmate une roue en drap jaune cousue sur leurs surcots.

Église Saint-Pierre. — L'église Saint-Pierre, endommagée par l'incendie de 1184, fut reconstruite et reportée vers l'Occident. La dédicace en fut faite par Eudes de Sully, évêque de Paris, le 27 août 1206.

L'abbé Lebœuf dit que de son temps (6), vers 1740, on voyait encore les restes de cette église qui fut la troisième en ce lieu, «exposée aux injures de l'air, devant l'entrée de celle d'aujourd'hui, dont le vestibule est aussi de l'ancien édifice.»

Aide à Blanche. — Blanche fit, au mois d'août 1209, plusieurs séjours à Lagny. Pour assurer à son fils l'appui du roi, elle s'engagea à laisser, jusqu'à sa majorité, ce jeune prince sous la garde de Philippe et à payer à celui-ci 1.500 livres (150.000 francs de nos jours).

Pour acquitter cette dette, une imposition fut établie et les bourgeois de Lagny consentirent au mois de mars 1209 à donner, à titre d'aide, à la régente 1.000 livres (100.000 francs de nos jours).

Foires. — Les foires ayant diminué de moitié, l'abbé réduisit à six le nombre des cambistes, puis, il en augmenta le nombre quand les foires furent revenues à leur ancienne prospérité.

Blanche s'engagea, en 1213, par un nouveau traité avec le roi, à ne faire, sans le consentement de celui-ci, aucun travail de fortification à Lagny avant la majorité de Thibauld IV.

Pour l'exécution de ce traité, Blanche promit le serment de ses principaux vassaux, dont ceux de Lagny.

Bouvines. — Thibauld, quoique mineur, suivit le roi, en 1214, à la tête de la noblesse et des milices communales de Champagne et de Brie contre la grande coalition qui menaçait d'envahir la France. Le sang de nos ancêtres coula à grands flots à la journée de Bouvines, mais la joie fut immense à l'annonce de la victoire et Blanche donna un fief au messager qui lui apporta cette grande nouvelle.

Saint-Fursy. — L'église Saint-Fursy fut rebâtie au commencement du XIIIe siècle ; en effet le style du chœur, tel qu'il était en 1790, indiquait un monument contemporain de Notre-Dame de Paris.

La construction de la nef paraissait plus récente ; quant à la tour qui menaçait ruine du côté de la place, elle était tellement délabrée qu'on ne pouvait juger de l'époque de la fondation.

Le portail encore subsistant aujourd'hui appartient au commencement du XVIe siècle.

On lit dans le pouillé du XVe siècle que cette église avait deux curés ; l'un se plaçait à droite, l'autre à gauche, et ils exerçaient sans doute les fonctions curiales tour à tour (7).

Jean Britel, qui porta à un si haut degré la prospérité de la ville et de l'abbaye, succomba en 1215, après une administration de vingt-huit ans. Il mourut, suivant l'expression de Dom Chaugy, «plein de jours et de mérite».

L'abbaye. — Dans l'origine, le monastère devait occuper, à peu de chose près, l'espace compris de nos jours entre la rue Saint-Denis, la petite rue de Laval, la place de l'Hôtel-de-Ville, dont la plus grande partie lui appartenait, et la rue des Marchés.

Quand Lagny reçut ses fortifications, le jardin du monastère tout entier fut compris dans l'enceinte des murailles ; mais, pendant la guerre de Cent Ans, la ville eut fort à souffrir et les fortifications furent reportées en arrière, dans le jardin du monastère, qu'elles coupèrent en deux parties.

L'abbé Lebœuf dit que la ville fut diminuée de plus de moitié, et, pour preuve de ce fait, il ajoute qu'au temps de Charles VII les religieux possédaient un enclos de douze arpents, entre les vieux et les nouveaux fossés.

C'est sur l'emplacement de ces seconds fossés que se trouve aujourd'hui la rue du Calvaire qui fut auparavant, à ce que rapporte la tradition, la rue du Pont-aux-Moines.

On y remarque encore les amorces d'un pont démoli qui, par-dessus les fossés, reliait entre eux les deux jardins de l'abbaye (8).

Toute la partie voisine des rues fut bâtie de bonne heure et à peu près aliénée.

Le monastère, dont l'emplacement a sans doute peu varié, était situé au nord-ouest de l'église. Ce bâtiment était semblable à tous les monastères du temps : une cour entourée d'un portique ou cloître, sur lequel s'ouvraient les cellules des religieux.

L'enceinte, suivant l'usage du temps, était entourée de murailles et mâchicoulis avec créneaux, de façon à mettre les moines à l'abri de toute surprise. Le monastère possédait un fort, dont la porte existe encore. Ce n'est pas une «porte monastique,» mais une entrée militaire, comme il convenait aux comtes féodaux, ayant les trois justices dans leur domaine, c'est une ogive sous laquelle sont encore les rainures des herses, des supports, des arcs-doubleaux et des voûtes d'arête du XIIIe siècle. La présence de cet attirail de guerre au niveau du pavé de la place trahit à elle seule les bouleversements de l'ancien sol. On voit, dans les constructions que la pensée improvise, des fossés, des murs, des enceintes, un donjon, au lieu de cet amas de maisons dans lequel s'enclave cette robuste porte qui conduit à l'Hôtel de Ville.

Une autre porte fortifiée, donnant accès sur la route de Paris à Meaux, devait exister du côté nord. Des fûts de colonne en pierre dure avec chapiteaux d'architecture romane, encore bien conservés et enclavés dans les maisons du côté nord de la rue Saint-Denis, nous indiquent qu'une construction importante exista en cet endroit.

L'abbaye, qui était bien de mainmorte (inaliénable) de par la loi ecclésiastique, devint, de par la loi féodale, un petit Etat avec sa justice, ses soldats et son administration.

L'abbé, agriculteur, avait son exploitation vinicole et agricole ; manufacturier, ses fabriques de toile, ses moulins à drap et à farine ; instituteur, ses écoles gratuites, littéraires et professionnelles.

«Les couvents devinrent des espèces de forteresses où la civilisation se mit à l'abri sous la bannière de quelques saints ; la culture de la haute intelligence s'y conserva avec la vérité philosophique qui renaquit de la vérité religieuse. La vérité poli tique ou la liberté trouva un interprète et un complice dans l'indépendance du moine qui recherchait tout, disait tout et ne craignait rien.»

Les moines de Lagny ne furent pas inactifs dans ce grand mouvement intellectuel qui relia le présent à la chaîne du passé. Parmi eux, nous citons Arnoul, Anselme, Godefroi, Jean Fart et plus tard ces savants bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, hôtes passagers qui ne faisaient dans chaque monastère qu'un séjour temporaire.

Jean Fart, vingtième abbé. — Le savant professeur Jean Fart avait succédé à Jean Britel en 1215 comme vingtième abbé. Il mourut après quelques mois de siège.

Odon, vingt-unième abbé. — Odon lui succéda comme vingt-unième abbé.

La renommée du fromage de Brie était bien établie en ce temps, puisque Blanche envoya, en 1217, à Philippe, dont elle se ménageait toujours l'appui, un cadeau de deux cents fromages.

Hugues III, vingt-deuxième abbé. — Hugues III succéda à Odon, en 1219, comme vingt-deuxième abbé. Il ne vécut qu'un an.

Aubert, vingt-troisième abbé. — Aubert succéda à Hugues III comme vingt-troisième abbé.

Vassaux. — Nous avons donné, dans les Annales du Pays de Lagny, les noms de vassaux du comte de Champagne dans le pays de Lagny et les noms des vassaux de Lagny possédant des fiefs en dehors.

Etuves. — Le fréquent usage des bains s'était conservé ou plutôt avait été rétabli en ce temps dans les villes, à cause sans doute des maladies rapportées d'Orient par les Croisés. Certains quartiers étaient affectés à ces établissements : une des rues de notre ville conserve encore le nom de rue des Etuves.

Thibauld IV. — Thibauld IV fit, le 1er décembre 1223, de grandes libéralités à l'abbaye. Il abandonna son droit de gîte à Lagny, moyennant la somme de cent livres, au lieu de mille livres que lui devait l'abbaye quand il n'avait pas exercé ce droit ; il prit à sa charge des dépenses de la garde de la foire ; il exempta de toutes exactions, de taille, d'ost, de chevauchée, de tonlieu et de coutumes, toutes les personnes attachées au service du monastère, dont le nombre, tant dans la ville que dans les terres du comté, était de vingt-sept, décomposé de la manière suivante : cinq officiers de la ville au choix des religieux ; trois pour la cuisine et un quatrième pour servir à table ; deux pour la boulangerie; deux pour le jardin ; deux pour la sonnerie de l'église ; un charpentier ; un maçon ; un barbier ; pour les terres du comté, deux mayeurs (maires) à Chessy ; deux à Montévrin ; un à Conches ; un à Gouvernes ; un à Chanteloup ; un à Saint-Thibauld et un à Dammard.

Dans le même mois, l'abbé Aubert, obligé de faire un emprunt de 515 livres, obtint la caution du comte Thibauld.

Une de nos rues porte encore le nom de rue Aubert.

Godefroy, vingt-quatrième abbé. — Godefroy succéda à Aubert comme vingt-quatrième abbé. Il eut les mêmes besoins d'argent et obtint aussi la caution du comte Thibauld. Il fit deux emprunts à des citoyens et marchands de Sienne, attirés à Lagny par des foires ; le premier, en janvier 1224, de trois mille livres parisis à Palmeno Donati et à ses associés, le second, en janvier 1225, de trois mille livres parisis à Bonencotre Rügeri et à ses associés. Il est à remarquer que ces emprunts étaient faits dans le temps où la foire des Saints-Innocents attirait à Lagny les marchands de tous pays.

Les donations faites à l'abbaye furent nombreuses ; quand elles étaient faites par des arrière-vassaux, le suzerain en donnait ou refusait la confirmation.

Bulle de Grégoire IX. — Grégoire IX confirma la foire établie à Lagny le jour de la fête des Saints-Innocents. Il déclara vouloir que cette foire eût lieu à perpétuité, et que les allants et venants fussent à l'abri de toute vexation, tant pour leur personne que pour leurs marchandises. Il finit en disant : «Si quelqu'un ose tenter d'enfreindre cette patente, il encourra, qu'il le sache, l'indignation de Dieu tout-puissant et de ses saints apôtres Pierre et Paul. Donné à Anagni, le 5 des ides d'août (9 août 1321), quatrième année de notre pontificat.»

L'abbé Godefroy, tombé en langueur, mourut en 1232.

Martin, vingt-cinquième abbé. — Martin, moine de Saint-Martin-des-Champs, homme d'une grande réputation, succéda à Godefroy comme vingt-cinquième abbé.

L'autorisation de faire cette élection n'avait pas été demandée à Thibauld qui refusa l'investiture et demanda réparation de cette atteinte à ses droits. L'abbé Martin, au nom de l'abbaye, fit la réparation exigée par notre comte.

Les moines avaient, depuis 1151, recouvré le droit d'élire eux-mêmes leur abbé, mais ils étaient tenus d'en faire la demande qui ne leur était jamais refusée.

L'abbaye payait au comte de Champagne un droit de garde comme prix de sa protection. Nous ne savons quel était le chiffre de cette redevance qui, pour les abbayes bénédictines, variait de 20 à 300 livres.

La Foire. — Le comte Thibauld avait voulu transporter ailleurs la foire de Lagny ; mais les habitants et l'abbé trouvèrent protection et justice auprès du roi saint Louis.

Thibauld, pour justifier son projet, prétendit que les foires étaient alors peu fréquentées ; mais en conseil du roi il fut reconnu que cette assertion était inexacte, et il fut décidé que la foire de Lagny se tiendrait toujours au même lieu.

Un certain nombre de vassaux de Thibauld, mécontents de son administration, se révoltèrent contre lui. Sentant le danger, Thibauld convoqua à Montéclair, pour le 28 août 1233, tous ses sujets fidèles.

Notre abbé fut au nombre de ceux-ci, et il donna l'ordre aux hommes de l'abbaye de se trouver en armes à Montéclair (près d'Andelot, Haute-Marne) le 28 août, avec des vivres pour un mois.

Le roi de Navarre. — Thibauld triompha de la coalition des barons et, au même moment, sa fortune grandissait encore : du chef de Blanche, sa mère, il héritait, en 1234, du trône de Navarre (9).

_____________________________________

[Notes de bas de page.]

1.  Voir la description de ces sceaux dans les Annales du pays de Lagny.

2.  Voir, dans les Annales du pays de Lagny, le tracé du circuit.

3.  Par altération la Gourdine.

4.  La municipalité de Lagny, mue par un sentiment des plus louables, donna, en ces dernières années, le nom de Milon de Lagny à une de ses rues nouvelles.

5.  [Prosper Tarbé (1809-1871), Le roman du Chevalier de la Charrette par Chrétien de Troyes et Godefroy de Laigny dans Collection des poètes de Champagne antérieurs au XVIe siècle, t. VII, Reims, Régnier, 1849.]

6.  [Cf., Abbé Jean Lebœuf (1687-1760), L'histoire de la Ville et de tout le Diocèse de Paris, Paris, Prault, 1755-1758.]

7.  Voir les Annales du pays de Lagny.

8.  La rue du Calvaire a disparu en ces derniers temps. Quelque conseiller municipal, indifférent à l'histoire de la ville, auru voulu donner la mesure de sa ferveur républicaine en imposant à cette rue le nom de Paul-Bert, étranger à la ville, mais homme en vue de la troisième République.

9.  D'où la rue de Pampelune, capitale de la Navarre.


CHAPITRE 4 : DE 1234 À 1316.

Les Templiers. — L'ordre des Templiers, ainsi nommés parce qu'ils avaient possédé, à Jérusalem, une maison située près de la place où fut le Temple de Salomon, était un ordre à la fois religieux et militaire, fondé pour protéger les pèlerins qui allaient visiter les lieux saints. En 1187, après la chute du royaume de Jérusalem, ils rentrèrent en Europe où, grâce à des donations continuelles, ils eurent des maisons sur tous les points du continent. En 1134, les chevaliers du Temple achetèrent une maison et une place à Lagny dans la rue Bretonne, maintenant disparue, vraisemblablement la rue du Temple de nos jours. Cette maison était située devant la porte de l'Église Saint-Fursy. Le temple de Lagny paraît avoir été une dépendance de la Commanderie de Choisy.

La grande réputation de l'abbé Martin lui valut l'honneur d'être élu abbé de Saint-Vaast d'Arras. Il quitta Lagny en 1238 pour se rendre à Arras.

Guillaume, vingt-sixième abbé. — Guillaume succèda à Martin comme vingt-sixième abbé.

Cet abbé fut du nombre de ceux qui assistèrent à la cérémonie de la translation de la couronne d'épines de Notre-Seigneur, dans la Sainte-Chapelle.

Réunis à l'abbaye Saint-Antoine de Paris, un concours immense d'abbés et de prélats, revêtus de leurs habits pontificaux, tête et pieds nus à l'exemple du roi, se rendirent de l'abbaye Saint-Antoine à la Sainte-Chapelle où fut déposée la couronne d'épines.

Droit de laissez-aller. — L'abbé fit en 1241, d'accord avec les marchands une taxe pour les droits à payer pendant les foires. Cette taxe variait suivant le lieu de provenance des marchandises, selon qu'elles étaient données, vendues ou consommées par les marchands, qui devaient justifier leurs déclarations dans la quinzaine qui suivait la foire.

C'était un droit de laissez-aller commode pour les marchands.

Les difficultés entre l'abbé et les marchands venus aux foires se jugeaient par devant le comte de Champagne. Aussi, nous voyons que l'abbé étant, en 1245, en difficulté avec des marchands de Plaisance, venus au nombre de trente et plus, ceux-ci constituèrent quatre procureurs pour les représenter devant Thibauld.

Pierre Ier, vingt-septième abbé. — Pierre Ier succéda à Guillaume comme vingt-septième abbé.

Pierre donna à perpétuité, à l'abbé de Ruricourt, les moulins de Hupigny et l'étang situé près du prieuré de Pomponne, pour la somme de cinquante sols par an et sous la condition de ne jamais en disposer.

Ces moulins étaient sans doute placés sur le lit principal de la rivière ; sur les bords du Pré-Long, dans les basses eaux, on peut encore en apercevoir la digue.

L'administration de Pierre fut heureuse, il acquit le moulin de Relief, le moulin Vinay à Gouvernes et une terre à Violaines.

Le comte Thibauld lui vint souvent en aide et déclara qu'il recevait les cent livres dues pour la garde des foires, non comme le prix d'une dette, mais bien comme un don gratuit.

Thibauld V. — Notre comte Thibauld IV, dit le Chansonnier, mourut le 14 juillet 1253. Philippe V, son fils, lui succéda et épousa, le 16 août 1255, Isabelle, fille de saint Louis.

Parmi ceux qui rendirent hommage à Thibauld V était Jean de Reims, dit Borjois, qui avait un comptoir de changeur dans toutes les foires de Champagne, en outre de celui qu'il avait à la foire de Lagny.

Thibauld V fit plusieurs séjours à Lagny ; il y donna deux actes, en 1257 et 1258. Le second de ces actes est rédigé en français.

Odon II, vingt-huitième abbé. — L'abbé Pierre étant mort, Odon II lui succéda comme vingt-huitième abbé.

Les Templiers voulurent se soustraire à la juridiction de l'abbé, mais ils durent céder devant la décision du Souverain Pontife.

Les paroissiens de Saint-Fursy s'étant aussi assemblés pour organiser une quête destinée à la réparation de leur église sans la permission de l'abbé, Odon leur dénia ce droit, et l'évêque de Paris donna raison à Odon.

Les Siennois. — Le pape, irrité contre les Siennois, les avait excommuniés et avait fait publier cette sentence en France, en Italie et en Allemagne. Odon reçut copie de cette sentence, avec ordre de la faire publier pendant la foire, où se trouvaient des marchands de Sienne, ce qui fut exécuté. Mais l'envoyé du pape, mal satisfait, prétendit que l'abbé aurait dû en outre chasser les Siennois, et pour cette faute lui appliqua la censure ainsi qu'à ses principaux religieux.

Odon réclama auprès du pape qui lui rendit justice et mit la cause à néant.

Privilège singulier. — En 1264, le pape Urbain IV accorda aux religieux de Lagny un privilège singulier et exceptionnel, il leur donna pouvoir de succéder aux biens de leurs parents en dehors des fiefs et de disposer de ces biens à leur volonté, comme s'ils fussent restés dans le monde.

Les Croisés. — Les Croisés laniaques prétendirent qu'en vertu des indulgences que le pape leur avait accordées, ils étaient, eux et leur famille, dispensés de se soumettre à la juridiction temporelle de l'abbé ; mais le pape décida que les croisés, assimilés aux autres religieux, devaient comparaître devant le bailli de Lagny.

Les Fonctionnaires. — Lambert de Lagny, clerc non tonsuré, fut l'administrateur spécial des domaines de Thibauld V, à Paris. En 1263 et 1265, il faisait à Paris des acquisitions au nom de Thibauld. Parmi les fonctionnaires de Thibauld, nous trouvons encore Simon de Lagny, qui fut notaire en 1260 et 1290.

Thibauld était à Lagny où il signait, le 20 décembre 1268, un acte daté de cette ville. Thibauld, dont la piété était égale à celle de saint Louis, voulut partir avec le roi pour la dernière croisade. Pour recueillir les fonds nécessaires à cette expédition, il nomma des collecteurs au nombre desquels se trouva Jean-le-Tonelier, moine et ancien trésorier de l'abbaye.

Fête. — À l'occasion de cette seconde croisade de saint Louis, il y eut une grande fête à Lagny à l'occasion de laquelle il fut acheté, d'après un compte de 1229, plusieurs chevaux à Provins.

Pierre de Lagny. — Le 29 mai 1270, mourut Pierre de Lagny, chanoine, prêtre et vicaire perpétuel de Saint-Germain-l'Auxerrois. Pierre laissa à l'église Notre-Dame de Paris une bible en quatre volumes, un missel en trois volumes, et dix livres parisis pour la célébration des matines. Ces livres manuscrits avaient alors une grande valeur et cette donation était importante.

Odon mourut la même année que Thibauld V, en 1270.

Raoul III, vingt-neuvième abbé. — Raoul III succéda à Odon comme vingt-neuvième abbé. Les croisades venaient de finir. Alors les grandes relations commencèrent, la féodalité fut vivement attaquée et le pouvoir royal augmenta tous les jours.

Rentes sur les foires. — À cette époque, les rentes sur les foires se vendaient comme de nos jours on vend une obligation sur une entreprise quelconque.

Ainsi, en novembre 1271, Marie, veuve de Jean, vidame de Trilbardou, vendait dix livres tournois de rente sur la foire de Lagny. Les comtes de Champagne vendaient aussi des rentes sur les revenus de la foire de Lagny.

Conflit de justice. — Un grave conflit éclata en 1274, entre l'abbé et le bailli de Meaux: celui-ci s'était emparé de la justice de Lagny et avait emprisonné plusieurs bourgeois de l'abbaye, mais l'abbé obtint la remise provisoire de son droit de justice et la liberté de ses bourgeois, en prenant l'engagement de comparaître aux grands-jours de Troyes, qui devaient se tenir le 30 juillet suivant. Nous ne savons quelle avait été l'origine et quelle fut la fin de ce conflit, mais il est évident que le pouvoir de l'abbé était déjà vivement attaqué : nos comtes tendaient à cette centralisation du pouvoir qui sera l'œuvre des rois de France, œuvre qui leur sera facilitée grandement par l'extinction de la famille de Champagne et la réunion de cette province à la Couronne.

Henri III, qui avait succédé à son frère Thibauld V, fut un prince tranquille ; il mourut le 22 juillet 1274, laissant deux enfants, Thibauld et Jeanne. Son fils Thibauld, âgé de deux ans, survécut peu à son père. Jeanne, unique héritière de la Champagne et de la Navarre, était alors âgée d'un an. Sa mère, Blanche, effrayée des difficultés qui allaient assiéger sa régence, s'adresse au roi Philippe III le Hardi qui lui accorde sa protection, dont une des conditions fut une promesse de mariage entre le fils du roi et la riche héritière de la Champagne et de la Navarre.

La vénération du peuple pour saint Louis était grande en notre pays ; tous croyaient que même après sa mort, le saint roi avait conservé la puissance de soulager le peuple ; les malades se rendaient en foule au tombeau de saint Louis où, croyait-on, se produisirent plusieurs guérisons.

Jean III, trentième abbé. — Raoul III, étant mort en 1277, Jean III lui succéda comme trentième abbé.

Convention avec les marchands. — Cette année, les marchands de Flandre vinrent en petit nombre à la foire de Lagny et les marchands d'Ypres, qui s'y trouvaient presque seuls, refusèrent de payer la location entière de la halle dont ils n'avaient occupé qu'une partie. Leur réclamation fut admise et l'on convint pour l'avenir que ces halles, situées au clos de Saint-Pierre, payeraient 70 livres pour chaque foire, si le plus grand nombre des marchands des 17 villes s'y trouvait ; que le loyer serait moindre, si le plus grand nombre manquait; mais que les marchands d'Ypres devaient avertir l'abbé, au moins huit jours à l'avance, dans le cas où la plus grande partie de leurs associés ne devaient pas venir, afin qu'il pût louer ces halles à d'autres marchands.

Les marchands lombards et toscans, au nombre de 23, tinrent conseil à Lagny, le 19 février 1277.

La foire de Nîmes. — Philippe le Hardi voulut transporter à Nîmes, sur ses états, la foire de Montpellier, alors dans la dépendance d'un roi de Majorque. Il promit aux marchands italiens les privilèges attachés aux foires de Champagne. Falcone Caccia, citoyen de Florence, capitaine des sociétés lombardes et toscanes, fut, par une charte notariée datée de Lagny, le 2 mars 1277, autorisé à traiter avec le roi. Le traité fut conclu par Caccia, au commencement de 1278. Furent présents et consentants, les consuls de Rome, Gênes, Venise, Plaisance, Lucques, Bologne, Pistoie, Asti, Albe, Florence, Sienne et Milan.

Mariage de Jeanne. — Le 16 août 1284, Jeanne, qui n'avait pas douze ans, épousa Philippe le Bel, âgé de seize ans.

Dès lors, le comté de Champagne et de Brie, devenu simple province, fut réuni au royaume de France.

Jean-Baptiste, trente et unième abbé. — Jean III mourut en 1285, et Jean-Baptiste lui succéda comme trente et unième abbé.

Droits d'entrée. — La foire de Lagny dut-elle jamais des droits d'entrée ? Nous l'ignorons, mais elle n'en devait plus à cette époque. En effet une pièce, datée de 1285, indiquant la date de l'ouverture des foires de Champagne, porte: «En chascune de ces VI foires a VII jours d'entrée et X jors de foires et XV jors de droit paiement (manière d'acquitter les droits) mès la foire de Laigni ne doit pas d'entrée.» Un autre manuscrit porte encore : «Mais la foire de Laigni ne doit pas d'entrée.»

Les fortifications. — C'est à cette époque que Lagny dut recevoir ses premières fortifications, mais nous ne savons rien de certain à ce sujet.

Le roi de France, alors maître de la Champagne et de la Brie, ne craignait plus de voir s'élever à Lagny une forteresse qui commandait le cours de la Marne ; au contraire, son intérêt était de dominer cette rivière, et c'est lui, sans doute, qui éleva ses premières fortifications. L'existence de deux enceintes successives n'est pas douteuse en effet dans le cartulaire de Lagny, et dans une pièce où le revenu des différentes choses est détaillé nous lisons: «Quiconque vend vin à détail, en et devant la ville de Laigny et de l'ancienne fermeture d'icelle, etc.»

La première enceinte contenait la partie de l'ancien jardin de l'abbaye, comprise entre les rues appelées, de nos jours, petite rue de Laval, — située sur l'emplacement des premiers fossés — et la rue du Calvaire — sur l'emplacement des seconds fossés.

Il est difficile de savoir quelles étaient les limites de cette première enceinte ; la seule indication que nous trouvions est la suivante donnée par l'abbé Lebœuf : «Ce fut dans cette guerre — la guerre de Cent Ans — que les faubourgs furent démolis, et c'est aussi l'époque de la diminution de la ville de plus de moitié.»

«Cette ancienne étendue de Lagny, dont on a parlé plus haut, se manifeste encore par les douze arpents que les religieux de l'abbaye avaient alors entre les nouveaux et les anciens fossés.»

Mais cette contenance de douze arpents ne suffit pas à combler la différence, et, pour rendre la seconde enceinte à peu près égale à la première, il faut supposer que les fossés des fortifications, partant de la Marne, suivaient, vers le midi, la direction de la petite rue de Laval, arrivaient au chemin creux du bois de Chigny ; que de là, elles prenaient la direction du couchant, occupant l'emplacement du chemin du bois de Chigny et de la rue du Tillet, et qu'enfin, tournant vers le nord, elles venaient tomber à l'angle du faubourg des Pauvrettes et, de là, regagner la Marne.

La seconde enceinte fut élevée indubitablement en 1430, par Ambroise de Loré et Jean Foucaut, après que le commandement de la ville leur eût été remis par Charles VII.

La première enceinte, alors grandement endommagée par les sièges successifs des Navarrais et des Anglais, fut abandonnée par ce double motif qu'elle nécessitait un nombre trop considérable de défenseurs, et parce que la présence de l'ennemi ne laissait pas le temps d'entreprendre un travail de réparation aussi considérable.

Les fossés de cette seconde enceinte étaient sur l'emplacement occupé aujourd'hui par la rue du Port (
1), la rue du Calvaire, la place de Laval, les boulevards de Laval, Charpentier, Fursy-Vernois, la rue Jacques-Le-Paire, la grande route, la rue Saint-Sauveur et la place Marchande.

Il n'y a aucun doute à cet égard ; en outre de quelques vestiges que l'on voit encore, la ville possède, de ces fortifications, un plan d'une grande clarté.

La construction des murailles laissait à désirer, elle se ressentait de la hâte avec laquelle elle avait été faite. Plusieurs fois même, entre deux sièges, on n'eut pas le temps de relever les murailles renversées, et l'on réédifiait sur l'ancien mur qui servait de fondation. La construction en était faite avec la pierre du pays non taillée et noyée dans un mortier de sable jaune et de chaux.

La hauteur des murs était d'environ dix mètres : l'épaisseur, en bas, était de trois mètres, au milieu, de deux mètres, et au sommet, d'un mètre, ce qui permettait aux soldats de circuler librement en observant l'ennemi.

La profondeur du fossé était d'environ cinq mètres et sa largeur égale à la hauteur des murailles. Nous ne certifions pas l'exactitude rigoureuse de ces dimensions, mais d'après ce que nous avons vu et appris, elles ne doivent guère s'écarter de la vérité.

La ville était en outre défendue par dix tourelles, placées aux angles des murailles, et les cinq portes de la ville étaient protégées par des ouvrages de guerre.

La porte du Pont était flanquée de deux petites tourelles : au levant, la ville était défendue par la porte du Vivier et les fortifications du monastère ; au midi, par la porte Saint-Laurent et quatre tourelles ; au couchant, sur les deux tiers de la longueur des murailles, par la porte Vacheresse et par deux tourelles. L'autre tiers, au couchant, ainsi que le nord, protégé par la Marne, était encore défendu par quatre tours, en dehors des deux tourelles de la porte du Pont. La Marne enveloppait alors à peu près le quart de l'enceinte de la ville. Après avoir côtoyé la partie nord de la ville, dans la direction du levant au couchant, un de ses bras, en arrivant à la place Marchande, tournait brusquement vers le sud et suivait cette direction jusqu'à la tour qui se trouvait à peu près dans l'axe de la route nationale actuelle, au point où elle bifurque pour s'en aller vers le nord, au pont de pierre, et vers le sud, à la route de Melun. En cet endroit, le bras reprenait son cours vers le couchant et traversait les prairies situées au nord de la chapelle Saint-Vincent-de-l'Aître ou du cimetière abandonné en 1870. Ce bras formait plusieurs îles dans la prairie dite le Pré-Long ; on voit encore de nos jours la place de ces anciens lits et l'extrémité du Pré-Long est encore désignée sous le nom d'Île d'Amour.

Depuis un siècle environ, toutes ces îles, situées au couchant de la ville, ont disparu. Après le démantèlement de Lagny, le cours du bras qui protégeait la partie des fortifications situées au couchant fut rectifié; ses eaux furent rejetées dans le lit principal et insensiblement son lit se trouva comblé.

Deux petites gravures, grossièrement faites après la prise de Lagny par le prince de Parme, en 1590, donnent une idée assez exacte des fortifications en ce temps-là.

Recettes et dépenses. Dans son compte de recettes et dépenses de la terre de Champagne et de Brie, du 15 janvier 1285 au 15 juillet de la même année, nous trouvons: 1º que notre abbé avait payé dix livres pour inobservation de certains règlements ; 2º qu'il était, malgré ses privilèges, soumis à la taille ; 3º que les maîtres des foires avaient versé certaines sommes dont une partie provenait des forfaits et amendes aux foires de Lagny; 4º qu'il fut payé aux maîtres des foires pour leurs dépens aux foires de Lagny, et leurs allées et venues pendant trente-quatre jours, soixante-quatre livres, quatre sous, quatre deniers. La foire, en 1284, dura donc trente-quatre jours ; 5º qu'un envoyé de Lagny aux prévôts de Ronnay, Troyes, Bar-sur-Aube, la Ferté (sur Aube sans doute) avait reçu vingt sols pour ce voyage. Ainsi pour ce voyage d'environ quatre-vingt-dix lieues et le retour à Lagny, cet envoyé n'avait dépensé pour lui et son cheval que vingt sols dont le pouvoir au XIIIe siècle était égal à cent francs de nos jours ; 6º que le comte de Champagne, alors roi de France, achetait des marchandises à ses foires de Champagne et les faisait transporter à Paris ; 7º que le comte de Champagne donnait à Lagny, tant en fiefs qu'en aumônes, quatre-vingt-quatre livres ; 8º que le comte de Champagne avait donné vingt-cinq livres à l'abbaye de Champbenoît, près Provins, pour payer la rente de 1284, due à des habitants de Lagny en mai 1285 ; 9º que le roi avait acheté deux draps d'or qu'il fit offrir à la reine Jeanne, lorsque celle-ci vint à Lagny, ville de son ancien comté.

Les foires. — Les foires de Lagny étaient toujours en progrès, et vers la fin du XIIIe siècle, elles atteignirent leur plus haut degré de prospérité.

Les marchands milanais réclamèrent en 1288, à Philippe le Bel, la liberté des voyages et des transactions commerciales dans son royaume. Cette réclamation aboutit à un traité qui fut conclu à Lagny, en présence d'un des gardes de foires, entre les représentants des deux parties.

Philippe était à Lagny le 2 février 1290, où il donna des lettres patentes datées de cette ville.

D'après Opoix, dans son histoire de Provins, le produit de la foire de Lagny en 1296 fut de dix-huit cent dix-neuf livres sept sous huit deniers. Ce produit de dix-huit cent dix-neuf livres avait alors un pouvoir égal à environ un million cent treize mille francs de nos jours. Bourquelot, dans son livre des foires de Champagne et de Brie, dit que ce produit fut, en 1296, de dix huit cent treize livres, sept sous, six deniers.

Le commerce de Lagny était alors considérable ; non seulement nos marchands avaient une halle à Paris, mais encore leur place était marquée à la célèbre foire de Saint-Denis, la foire du Lendit.

L'auteur du «Lendit rimé» dit :

Por ce que je mes-asene (ne manque à rien)
N'oubli pas Meaus ne Laigny.                     

Libéralités de Philippe. — Un officier du roi ayant, en 1293, saisi les biens des servants du couvent, Philippe ordonna de rendre et de délivrer ce qui avait été pris sans droit et contre toute justice. De plus, le roi, par un acte de 1297, reconnut et confirma les privilèges accordés par Thibault IV aux serviteurs de l'abbaye. Enfin il donna à l'abbaye une maison à Paris, près de la porte du Temple, pour servir de refuge aux religieuses pendant les temps de guerre.

Maires. — Échevins. — Philippe accorda aux habitants une faveur d'une bien plus haute importance, il leur donna le droit d'avoir un maire et des échevins, et revêtit ces magistrats de l'autorité nécessaire à la liberté et à la dignité de leurs fonctions.

Nous ne voyons pas que l'abbé ait formulé la moindre réclamation contre une institution qui nécessairement limitait sa puissance.

Le maire, magistrat populaire, prêtait serment devant le juge royal de la ville, il n'avait pas la présidence de l'assemblée générale des habitants qui appartenait au lieutenant général en l'absence du gouverneur.

Les notables ou électeurs, nommés membres actifs, c'est-à-dire tout citoyen payant un impôt quelconque, même le plus modique, choisissaient parmi eux le maire et les échevins, conseillers du maire ; celui-ci présidait le conseil de la ville ; les échevins avaient voix délibérative comme administrateurs et comme juges.

Le maire était le premier parmi ses pairs, il ne pouvait rien ordonner en son nom, il n'avait même pas le droit d'ouvrir les lettres en dehors de la présence de ses collègues assemblés.

La durée, les attributions de ces fonctions subirent, suivant les temps, de profondes modifications (2).

Après la canonisation de saint Louis, tous les grands dignitaires du royaume, ecclésiastiques et séculiers, furent convoqués à Saint-Denis.

Notre abbé alla prendre son rang parmi ces hauts dignitaires et tous accompagnèrent le corps du saint roi, qui, transporté à la Sainte-Chapelle, fut ensuite rapporté à Saint-Denis.

Jean-Baptiste, homme d'une grande vertu, mourut en 1301.

Rainald, trente-deuxième abbé. — Rainald lui succéda comme trente-deuxième abbé.

Lettre de Philippe. — Le bailli de Troyes avait fait arrêter sur le territoire de Lagny deux justiciables de notre abbé, accusés de meurtre ; celui-ci se plaignit au roi qui ordonna au bailli de livrer les deux prisonniers à l'abbé, par une lettre donnée à Paris le samedi, après la fête de Noël 1301.

Philippe, accompagné de la reine, était à Lagny le 25 février 1302 ; il y coucha.

États généraux. — Le pape Boniface VII, irrité contre Philippe, avait mis le royaume en interdit.

Le roi prit alors un parti décisif, chercha un appui dans l'opinion publique et convoqua des États généraux. L'assemblée se tint à Notre-Dame, le 10 avril 1302. Ce fut la première réunion des États généraux.

Par un vote unanime, l'assemblée proclama l'indépendance de la Couronne et en appela au futur concile de l'anathème lancé par le pape contre le roi.

Cet acte d'appel fut publié par tout le royaume et notre abbé fut un des premiers à envoyer son adhésion.

Rainald mourut en 1302 ; on ne sait pas exactement la date de l'avènement de son successeur Déodat, trente-troisième abbé ; mais en 1306, il occupait le siège de Lagny.

Baudouin de Lagny. — Le 11 juillet 1302, les Français furent complètement battus à Courtray par les Flamands ; parmi les seigneurs français qui périrent en cette bataille se trouvait Baudouin de Lagny. Nous saluons la mémoire de ce vaillant enfant de Lagny, mort pour la France, au champ d'honneur.

Assemblée à Lagny. — Philippe convoqua à Lagny la noblesse de Champagne pour les trois semaines de Pâques, 19 avril 1304.

Dans cette assemblée fut arrêté le plan de la campagne projetée en Flandre et furent fixés les subsides pour l'armée du roi.

La subvention pour Lagny et la chancellerie fut fixée (tant pour les feux comme pour les personnes singulières à huit cent dix livres (81.000 francs de nos jours).

Les Templiers. — Tous les Templiers de France furent arrêtés le 13 octobre 1307. Ils étaient accusés de crimes infâmes, qui, au milieu des supplices, furent niés par les uns, avoués par les autres.

Ce procès, longtemps une des énigmes de l'Histoire, a été expliqué et peut être bien jugé de nos jours. Quelques chevaliers étaient coupables, il est vrai, mais tous ne l'étaient pas.

Le roi pouvait réformer l'ordre et sévir contre les membres indignes, mais les Templiers étaient riches et puissants, leur richesse tentait la cupidité de Philippe et leur influence portait ombrage à son pouvoir ; de là le procès et la condamnation des Templiers.

Le pape Clément V abolit, en 1312, l'ordre des Templiers. Leurs biens immenses furent confisqués et donnés en très grande partie à un autre ordre religieux et militaire, les Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem.

Les Hospitaliers. — C'est ainsi que la maison du Temple de Lagny passa entre les mains des Hospitaliers.

Nous avons donné, dans les Annales du Pays de Lagny, un état des biens des Hospitaliers, dressé en 1366.

La Commanderie de Lagny rapportait, en 1766 et 1771, dix-neuf mille six cent soixante-quatorze livres. En 1779, la maison du Temple était détruite, l'emplacement en était vendu et les cens et rentes seigneuriales étaient, à la fin du siècle dernier, réduits à si peu de chose qu'ils ne sont nommés que pour mémoire dans le compte de la Commanderie.

Fraudes. — Ce siècle ne brillait pas par la probité.

Sur le trône le roi altérait les monnaies et dans les foires et marchés les marchands vendaient à faux poids ou trompaient sur la quantité de la marchandise vendue, surtout sur les épiceries et principalement sur les confitures.

Une plainte du Prévôt de Paris, envoyée aux gardes des foires de Lagny, fut publiée en cette ville «à cry solennel» mais ne réprima pas les abus.

Des marchands vinrent se plaindre devant le Parlement de Paris, ils apportèrent les confitures qu'ils avaient achetées à Lagny et démontrèrent visiblement les «grans fraudes et barras» dont ils étaient victimes.

Sur cette plainte le roi, par une ordonnance du 1er février 1312, enjoignit aux gardes des foires de veiller à ce que nouvelles fraudes ne pussent se produire, et ordonna que si une fraude se produisait, le vendeur fût contraint, sur la requête de l'acheteur, de décompter le poids manquant, ou à réparer en argent le dommage causé, si la marchandise avait été payée.

Enfin le roi avertissait les gardes des foires que s'ils manquaient à ce devoir, il les ferait remplacer par ses gens.

Exécution. — Une exécution criminelle avait eu lieu à Lagny en 1319, conformément aux anciens usages.

Le prévôt de Meaux prétendit que le bourreau, pour exercer son office, devait être reçu par les juges royaux et que le bailli de Lagny, en employant un bourreau non reconnu, avait porté atteinte aux privilèges du roi. Pour punir ce délit prétendu, il fit saisir le temporel de l'abbaye. Mais Louis, premier prince du sang, qui protégea toujours notre abbaye, intervint et fit donner mainlevée de cette saisie.

Les Fourches. — Les fourches patibulaires étaient à l'ouest de la ville et le lieu des exécutions conserve encore son ancien nom : la Justice.

Les fourches patibulaires étaient un gibet auquel on suspendait la cadavre des suppliciés qui devait être mangé par les bêtes, desséché ou dispersé par les vents. Ce gibet était une pièce de bois soutenue par deux piliers et, dans le principe, par deux grandes fourches, d'où est venu le nom de fourches patibulaires donné au gibet.

Les hauts justiciers, — seigneurs ayant droit de haute justice, — seuls avaient le droit de fourches patibulaires ; le nombre des piliers du gibet indiquait le rang du haut justicier dans la hiérarchie féodale ; le simple justicier n'avait droit qu'à deux piliers ; le châtelain à trois; le baron et le vicomte à quatre ; l'abbé de Lagny, comme tous les comtes, pouvait en avoir six et le roi, comme souverain, un nombre illimité.

La suspension aux fourches était une aggravation de la peine de mort, et avait pour but de porter la crainte et la terreur dans les esprits disposés au mal.

Le pilori. — Les hauts justiciers avaient également le droit d'élever un pilori, qui se trouvait toujours à l'intérieur des villes. À Lagny, le pilori était élevé sur la place publique, nommée aujourd'hui place du Marché-au-Blé : c'était un poteau dont le sommet portait l'écusson de l'abbé et, au milieu, des chaînes et un collier de fer pour retenir les membres et le cou du condamné.

La peine du pilori, d'abord infamante et afflictive, puisque le condamné recevait un certain nombre de coups de fouet, devint ensuite une simple exposition qui notait d'infamie les condamnés et spécialement les coupables de faux, bigamie, escroquerie, fraude au jeu, banqueroute et même vol de fruits dans les champs.

Philippe IV à Lagny. — Le roi rencontra à Lagny, le 29 octobre 1314, Guillaume, comte de Hainaut, avec qui il signa un traité d'alliance.

Le même mois et sans doute pendant le même séjour à Lagny, le roi, par une ordonnance, accordait des privilèges aux religieux de Royal-Lieu, près de Compiègne.

Dans le cours de la même année, le roi donna à Nicolas de Lagny et à plusieurs autres une mission pour veiller à l'exécution d'une ordonnance par laquelle le prix des grains était fixé. Par cette ordonnance, il était enjoint aux particuliers de porter au marché l'excédent de l'approvisionnement de leur maison.

Le roi, qui pourvoyait ainsi à l'existence de son peuple, en empêchant l'agiotage des grains, n'était pas un souverain vulgaire. À ces sages mesures on reconnaît le législateur qui donna aux parlements une force publique et distingua en eux deux existences, l'une permanente et toute judiciaire, l'autre politique et momentanée. Philippe mourut le 9 novembre 1314.

Procès. — L'abbé était dans l'habitude de donner aux gardes, après les foires, quelques bourses de soie et une coupe de vermeil. En 1314, les gardes prétendirent que l'abbé ne leur faisait là aucun présent, mais s'acquittait seulement d'une dette légitime. Sur le refus de l'abbé d'admettre cette prétention, ils saisirent une partie du revenu des foires.

Condamnés par arrêt du Parlement et malgré les ordonnances des rois Philippe le Long, Charles le Bel et Philippe de Valois, les gardes résistèrent et prolongèrent cette lutte pendant plus de vingt ans.

Justice des foires. — En 1315, le prévôt de Paris condamna à l'amende des marchands de Toulouse qui avaient vendu leurs marchandises hors des limites de la foire et il condamna encore, en 1319, un marchand de Rhodes et un autre de Toulouse qui avaient été surpris à vendre des cordouans au bout du pont. Ainsi le roi, sur ses États à Thorigny, faisait la police des foires de Champagne ; il nous semble voir dans ces faits un empiétement de la part du roi sur les droits de notre abbé.

La huche de la foire. — Dans une ordonnance de Louis X le Hutin, en date du 9 juillet 1315, il est dit que Estienne de Fenil, bourgeois de Lagny, sera un des deux receveurs aux foires de Champagne ; que les receveurs mettront en écrit le nom de ceux de qui ils recevront, et combien et pourquoi ; qu'il y aura une huche où sera mis tout l'argent reçu ; que la huche aura deux clefs, gardées par chacun des receveurs, et que, à l'arrivée du chef de la foire, la huche sera ouverte et que le contenu en sera remis au receveur de Champagne.

Ordonnance sur les monnaies. — Vers les fêtes de Noël 1315, Louis rendait à Lagny la fameuse ordonnance par laquelle il prescrivait aux prélats et aux barons l'aloi, le poids, et la marque de leurs monnaies. La variété des monnaies, leur valeur différente suivant les seigneuries, étaient alors une gêne insupportable pour le commerce.

Louis avait eu la pensée d'enlever aux seigneurs ce droit de battre la monnaie ; mais l'aristocratie féodale, quoique déjà affaiblie, n'avait pas encore assez perdu de sa puissance pour se laisser dépouiller sans combat de cet ancien privilège, et Louis préféra éviter une lutte dangereuse pour la royauté.

Les serfs. — Louis affranchit tous les serfs de la Couronne par des lettres célèbres où il est dit : «Selon le droit de nature, chacun doit être franc et dans le royaume de France, la chose doit en vérité s'accorder avec le nom.»

La royauté donnait là un bel exemple qui peu à peu fut suivi par les seigneurs.

Il restait alors peu de serfs dans notre pays, ils avaient été affranchis vers le temps de Philippe-Auguste et de saint Louis, moyennant certaines redevances (3).

Les serfs pouvaient se racheter ; ainsi, en 1205, Guyard Charnel et Adeline, sa femme, serfs de l'abbé de Lagny, sur la terre de Condé, rachetèrent leur servitude pour la somme de onze livres, à condition qu'ils continueraient de rendre un hommage personnel à l'abbaye et qu'ils offriraient, tous les ans, le jour de la Sainte-Madeleine, une certaine quantité de belle cire au prieur de Condé, dans sa chapelle.

Tout pénible que fût l'état du serf, il était infiniment plus doux que celui de l'esclave. Le serf pouvait posséder et, à moins d'un acte contraire à la loi, on ne pouvait l'enlever à sa famille.

Quand le vainqueur cessa de tuer le vaincu pour en faire son esclave, l'humanité remporta une première et bien grande victoire ; plus tard, lorsque l'esclave cessa d'être vendu comme marchandise et fût attaché, lui et sa famille, au sol dont il semblait faire partie, le servage fut un autre bienfait.

Pierre d'Orgemont. — Louis X mourut en 1316. Par un article de son testament, il ordonna que les biens dont avait été dépouillé injustement Pierre d'Orgemont, bourgeois de Lagny et clerc des foires, fussent restitués à ce bourgeois.

Pierre d'Orgemont fut la tige d'une famille illustre qui, pendant près de trois cents ans, occupa les plus hauts emplois du royaume (4).

Pierre d'Orgemont, seigneur de Méry-sur-Oise et de Chantilly, fut conseiller au Parlement, puis maître des requêtes en 1372, il fut créé premier président du Parlement de Paris, et le dimanche 20 novembre 1373, il fut élu chancelier de France, par voye de scrutin, en présence du roi Charles V, tenant son grand conseil au Louvre.

Il fut nommé l'un des exécuteurs du testament de Charles V en 1374.

En 1377, Charles V l'avait chargé d'écrire l'histoire de son règne ; on ignora longtemps si ce travail avait été fait, mais, depuis quelques années, il a été démontré que Pierre d'Orgemont est l'auteur des grandes chroniques de France, depuis l'avènement du roi Jean à la Couronne jusqu'en 1375 et très probablement jusqu'en 1380. Par ce nouveau titre, la gloire du chancelier brilla encore d'un plus vif éclat.

Pierre mourut le 3 juin 1389 et fut enterré dans une chapelle qu'il avait fondée en l'église Sainte-Catherine du Val-des-Écoliers.

Comme hauts justiciers, les seigneurs d'Orgemont avaient leurs fourches patibulaires ; ce gibet était sans doute placé dans la prairie de Saint-Thibauld, où un canton est encore appelé de nos jours le Gibet d'Orgemont.

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[Notes de bas de page.]

1.  La Rue du port : aujourd'hui disparue et appelée rue Delambre, savant tout il fait étranger à Lagny. N'eut-il pas été plus patriotique de conserver le nom de rue du Port à cette voie par où ont passé tous les matériaux avec lesquels furent construits la ville et les églises ?

2.  Ibid.

3.  Ibid.

4.  Ibid. — La ville de Lagny, fière de cet homme illustre, a donné le nom de d'Orgemont à l'une de ses rues. [Voir aussi, peut-être, Léon Mirot (1870-1946), Une grande famille parlementaire aux XIVe et XVe siècles. Les d'Orgemont,..., Paris, Champion, 1913.]


CHAPITRE 5 : DE 1316 À 1411.

Clémence de Hongrie. — Après la mort de Louis X, en 1316, Clémence de Hongrie, sa veuve, passa en 1318 à Lagny pour retourner dans son pays. Au moment de son arrivée, on conduisait au supplice un jeune homme de la ville, condamné pour vol. À la vue de la reine, la population se porta en foule au-devant d'elle, implorant sa pitié en faveur du condamné. Une jeune fille éplorée vint se jeter aux genoux de la reine, la suppliant de lui rendre ce malheureux à qui elle était fiancée. Clémence touchée de cette douleur, lui fit remettre le coupable et obtint du roi Philippe V, son beau-frère, des lettres de grâce pour le condamné. Ces lettres portaient, pour condition, que le condamné gracié épouserait sa fiancée.

Conflit de justice. — Les conflits entre l'abbé et les baillis et prévôts de Meaux étaient incessants. Le fils du prévôt de Lagny avait, en 1322, commis un meurtre que son père avait négligé de poursuivre. Le bailli fit arrêter le coupable, mais le prévôt de Meaux, prétendant que ce cas appartenait à la justice du roi, voulut s'emparer du meurtrier.

L'abbé résista et l'affaire fut portée devant le Parlement en présence du roi Charles IV le Bel.

Il fut jugé que l'abbé ayant droit de haute et basse justice, le coupable devait lui être remis : ce qui fut fait. Le bailli rendit son jugement et le meurtrier fut exécuté.

Gardes des foires. — Nous donnons un exemple de l'étendue du pouvoir des gardes des foires. Deux particuliers avaient, pendant la foire de 1323, fait quelques dépenses dans plusieurs hôtelleries, sans payer leur écot, et avaient même emprunté de l'argent qu'ils n'avaient pas rendu. Sur la plainte des individus lésés, les délinquants furent incarcérés et leurs biens mis en vente, même sept arpents de pré qu'ils possédaient à Chessy.

Jean de Caurelles, trente-quatrième abbé. — Déodat étant mort, Jean de Caurelles lui succéda comme trente-quatrième abbé.

Jean obtint en 1324 du roi une des tours de la porte du Temple afin d'y établir une chapelle pour le service de la maison que les religieux possédaient en cet endroit.

Par une ordonnance rendue à Paris en février 1329, l'abbaye fut mise sous la garde d'un sergent du Châtelet, nommé par le roi.

Un maréchal avait vendu à l'abbé, pour le prix de cent cinq livres, un cheval qu'il avait déclaré bon et exempt de vices. Des experts reconnurent que le cheval était faible de jambes, ferré frauduleusement, et, en outre, qu'il était poussif. La cause, portée d'abord devant le prévôt de Paris, fut ensuite évoquée au Parlement. Par un arrêt en date du 20 février 1327, le Parlement condamna le maréchal à reprendre le cheval et à rendre cent livres à l'abbé de Lagny.

Simon, trente-cinquième abbé. — Jean mourut vers 1330, et eut pour successeur Simon, trente-cinquième abbé.

En 1328, fut fondé, sur le territoire de Pomponne, près du pont de Lagny, le couvent des Augustins, dont les bâtiments, encore debout aujourd'hui, ont été convertis en écuries.

Au XIVe siècle la croyance aux esprits n'était pas moins vive que de nos jours, où l'on s'occupe tant de somnambulisme, d'esprits frappeurs, de médiums ; on croyait au retour de l'âme des défunts venant réclamer des prières pour être délivrée des tourments du Purgatoire.

Dans une audience que lui accorda le roi au château de Vincennes, en mai 1336, Simon obtint des libéralités importantes.

Ces libéralités étaient devenues nécessaires, à cause de la diminution des foires.

Adam, trente-sixième abbé. — Simon étant mort le 28 juin 1337, Adam lui succéda comme trente-sixième abbé.

Cet abbé, homme éclairé, jouissait d'une réputation qui lui donna accès à la cour du roi Philippe VI.

La décadence de notre foire était très sensible, puisque, en 1340, le produit en tomba à 300 livres.

En 1342, le comte de Montjay émit la prétention d'exercer tous droits de justice sur la Marne, mais il abandonna vite cette prétention et reconnut à tout jamais, à l'abbé de Lagny, le droit de justice sur la rivière.

La guerre de Cent Ans. — Nous arrivons à la guerre de Cent Ans qui fut la cause de si terribles malheurs pour notre ville. Elle lui donna, il est vrai, une haute illustration militaire, mais cette gloire fut chèrement payée par la ruine de sa prospérité commerciale et la perte d'une grande partie de la population.

La gabelle. — Les nécessités de la guerre obligèrent Philippe VI à rétablir plusieurs impôts et entre autres celui de la gabelle — impôt sur le sel — ce qui fit plaisamment appeler le roi de France par son compétiteur anglais l'auteur de la loi salique.

Le roi en acquit «l'indignation et male grâce des grands comme des petits et de tout le peuple».

Lagny devint le siège d'un grenier à sel qui, placé d'abord dans la rue appelée de nos jours rue d'Orgemont, puis dans la rue des Étuves où quatre rues se croisent, fut transféré plus tard dans la rue Vacheresse, à l'angle de la rue Saint-Sauveur ; il fut définitivement démoli en 1835.

La juridiction du grenier à sel de Lagny, dont nous ne connaissons pas la limite au XIVe siècle, s'étendait sous Louis XIV, du nord au sud, des environs de Dammartin à ceux de Tournan, et de l'est à l'ouest, de Clichy à Jaolines, et de Bry-sur-Marne jusqu'aux environs de Vaudoy.

Au désastre de la bataille de Crécy, vint se joindre la grande peste de 1348 qui dura deux ans.

Les vivants pouvaient à peine ensevelir tous les morts et les cimetières étaient insuffisants à recevoir les cadavres.

L'abbé se décida à fermer les cimetières autour des églises et à faire transporter les corps en dehors de la ville, à l'ouest, dans un lieu où s'élevait une chapelle sous le vocable de Saint-Vincent, martyr. Cette chapelle datait au moins du siècle précédent ; c'était un bénéfice auquel nommait l'abbé de Lagny et qui avait seize livres de revenu. La rue qui conduisait à ce cimetière s'appelle encore la rue de l'Aître.

Ce nouveau cimetière fut réuni à la paroisse Saint-Sauveur.

À Lagny la population fut tellement frappée par la Contagion, que beaucoup de maisons restèrent désertes et tombèrent bientôt en ruines faute d'habitants.

L'abbé Adam assistait à Paris, en 1350, aux funérailles de Philippe VI, mais nous ignorons la date de sa mort.

Jean IV, trente-septième abbé. — Nous ne connaissons pas mieux la date de l'avènement de Jean IV, comme trente-septième abbé, mais nous savons qu'en 1357, il promettait obéissance à l'évêque de Paris.

Le roi Jean II voulut faire un règlement pour les ouvriers de drap plein et de drap rayé de Normandie, il envoya pour «s'enquérir et s'informer des commissaires dans les villes de fabrication les plus renommées, entre autres à Lagny.»

Aux autres calamités était venue se joindre la guerre civile ; la misère qui s'abattit sur tout le pays fut telle à Lagny, qu'en 1357, les habitants de Montévrin, Chessy, Gouvernes, Conches et Chanteloup, furent frappés de contributions pour la ville.

Cette contribution donnait aux villages imposés le droit de refuge dans la ville en cas d'invasion.

Le roi Jean était alors captif des Anglais, le Dauphin n'avait que vingt ans et par suite de la jeunesse du Dauphin le désordre régnait partout. Un grand nombre de seigneurs, enhardis par la faiblesse du gouvernement, se livrèrent sur les paysans aux plus odieux excès, puis enfin les mercenaires du Dauphin et du roi de Navarre, par un redoublement de violence et de cruauté, portèrent chez le paysan l'exaspération et la soif de la vengeance.

Jacques Bonhomme. — Jacques Bonhomme, nom donné au paysan à cause de sa jaquette de toile, était devenu une véritable bête de chasse, à qui on ne laissait ni trêve ni repos, sa femme et sa fille ne lui appartenaient plus, son foyer était à celui qui avait la force de s'en emparer : tant de misères l'exaspéra !

Les Jacques se levèrent en masse, sans autre but que de prendre une revanche éclatante : le paysan, comme le sanglier sur ses fins, fit tête au chasseur et fut terrible.

Le règne des Jacques fut court, il dura six semaines, mais cet espace de temps fut bien rempli : le pillage, l'incendie, le viol, le meurtre furent son œuvre de tous les instants, et l'histoire épouvantée a pu dire que les excès de Jacques Bonhomme firent pâlir ceux de ses impitoyables bourreaux. Devenu, de par la force, seigneur à son tour, il eut à lui les chiens, les chevaux, la cave et la table de son seigneur : il eut aussi la châtelaine ; parfois il aimait à briser sur la pierre la tête de quelque enfant noble ou bien encore à se donner comme spectacle l'incendie d'un manoir féodal.

Réunis en bande autour de Creil et de Clermont en Beauvoisis, les Jacques franchirent l'Oise et se dirigèrent vers la Marne, qu'ils passèrent à Lagny. Continuant leur marche sur Melun, ils ne purent emporter cette place et se replièrent sur Meaux où leurs bandes furent en grande partie massacrées. Plus de sept mille Jacques restèrent sur place.

La Brie tout entière fut mise à feu et à sang. Lagny tomba en leur pouvoir et, nous dit dom Chaugy : «ils y commirent des cruautés inouïes.»

La reine Jeanne vint à Lagny en 1358, elle espérait y négocier un traité entre le régent et les Parisiens, mais cette tentative échoua.

Prise de Lagny. — Les troupes de Charles le Mauvais, roi de Navarre, grossies d'un corps anglais, s'emparèrent de Lagny «après l'apparicion» (épiphanie), le mardi 8 janvier 1358.

Après avoir tué plusieurs gentilshommes, en avoir pris plusieurs autres qu'ils emmenèrent avec leurs effets dans le fort de La Ferté, ils pillèrent la ville, et avant de partir, la livrèrent aux flammes.

Pour comble de maux, des brigands milanais arrivèrent et «gastèrent ladite ville par telle manière que tous les habitants s'en partirent et demeura toute gastée».

La facilité avec laquelle Lagny était pris donne à penser que les fortifications avaient alors bien peu d'importance.

Jehannin, changeur. — En ce temps de misère et de désolation, les espèces d'or et d'argent étaient si rares que la Monnaie de Paris faillit tomber en chômage. Pour éviter une pareille extrémité le Régent accorda à quatre changeurs désignés un surachat et quelques autres avantages, pour toute quantité de six mille marcs de billon qu'ils apporteraient. Parmi les quatre changeurs désignés, se trouvait Jehannin, changeur à Lagny.

Prise de Lagny. — Au printemps de 1360, Édouard, roi d'Angleterre, s'avança sur Paris ; un détachement de son armée marcha sur Lagny qui fut enlevé par surprise, pillé et saccagé. Rien ne fut épargné, ni la ville ni l'abbaye.

Pierre de la Crique. — À leur départ, les Anglais avaient laissé, comme gouverneur de Lagny, un marin nommé Pierre de la Crique, dit Criquet.

Cet homme avare, fier et cruel s'empara de tous les biens de la ville et de l'abbaye, et réduisit les habitants à une misère d'autant plus insupportable, qu'en cette année (1360), les grains, les vins et les fruits ayant manqué, tout était d'une extrême cherté. Cette disette causa des maladies et une grande mortalité.

L'abbaye était alors si pauvre qu'elle n'avait pu payer au roi son droit de sauvegarde et que, en 1364, elle devait, pour arrérages, la somme de huit cents livres parisis.

Les arbalétriers. — Pendant la guerre contre les Anglais, les arbalétriers de Lagny avaient rendu au roi de grands services et s'étaient particulièrement distingués aux sièges d'Étampes, de Nogent et de Marolles. Charles V, dans des lettres patentes datées du bois de Vincennes, en juillet 1367, déclare qu'en considération des bons services qu'ils lui ont rendus, à lui et à ses prédécesseurs, il exempte seize arbalétriers de Lagny «de toutes aides, impositions, tailles, subsides, exactions et autres impositions quelconques, existant en la ville de Lagny».

La Maison Forte. — Pierre de la Crique, l'ancien gouverneur qui avait si fort maltraité les Laniaques, avait fait sa soumission au roi. Celui-ci, par lettres du 24 mai 1372, le nomma capitaine de la ville et de la Maison Forte de Lagny.

Les exigences de la guerre, le besoin de surveiller le cours de la Marne, avaient nécessité la construction d'une forteresse sur le bord de la rivière. Cette forteresse, située à l'ouest de la ville, occupait l'emplacement de la dernière maison de la rue nommée aujourd'hui rue Jacques-Le-Paire, à l'angle nord de cette rue et de la Marne.

Placée en dehors de l'enceinte de la ville et protégée par des fossés profonds, elle renforçait singulièrement les fortifications qui, pour cette raison, pendant la guerre de Cent Ans et surtout pendant l'occupation de Paris par les Anglais, furent presque toujours attaquées par le côté sud, le moins bien défendu.

L'une des rues qui conduisaient à la Maison Forte conserve encore le nom de rue du Château-Fort.

La construction de l'église Saint-Pierre entreprise par Pierre de la Crique, les légendes qui se sont formées autour de son nom, nous démontrent qu'il n'était pas un homme ordinaire (
1).

Charles V était à Lagny au mois de septembre 1374.

Charles IV. — Lagny reçut, en 1398, la visite de Charles IV, empereur d'Allemagne. Le roi, à cheval, accompagna la litière de l'empereur et tous deux, avec les frères du roi, allèrent à Lagny où ils couchèrent.

Pierre de la Crique. — La seconde administration de Pierre de la Crique fut aussi paternelle et réparatrice que la première avait été dure et ruineuse.

Désarmé par la douceur et pénétré d'admiration pour les vertus de l'abbé, Pierre voulut réparer tout le mal qu'il avait fait autrefois.

Il devint l'ami des religieux et des habitants, et voulut de plus construire une nouvelle église dont il jeta les fondements et qui «aurait été une des plus belles du royaume, si l'ouvrage avait pu être conduit à sa perfection».

Le roi, dont l'abbé Jean avait gagné l'estime, s'engagea à contribuer pour une certaine somme à la construction de cet édifice, mais la mort, qui le surprit en 1381, l'empêcha de réaliser sa promesse.

De même que le roi, l'abbé s'était engagé à participer à l'édification de la nouvelle église, mais il survécut peu à Charles V.

Pierre II succéda à Jean comme trente-huitième abbé.

Le roi Charles VI vint à Lagny, pour la première fois après son avènement, le 6 juillet 1381 ; il y donna huit livres, comme offrande à l'abbaye de Lagny.

Baux divers. — La diminution des foires, les dépenses extraordinaires nécessitées pour la construction de l'église, avaient épuisé le trésor du monastère. L'abbé se décida à donner à bail plusieurs sources de revenu, il augmenta les impôts sur différents objets de consommation, et exigea rigoureusement les droits de pontonnage (péage du pont) et de pallage (droit d'attacher les bateaux).

Il afferma pour neuf ans le tonlieu de la boucherie, des cuirs, peau et poil des bêtes à pieds fourchus, pour la somme de soixante livres tournois.

En 1385, trois des moulins de Chessy n'existaient plus et l'abbé donna à rentes le dernier de ces moulins.

Fossé de la Forêt. — Il donna à bail le fossé de la Forêt qui, au dire de dom Chaugy, s'étendait depuis la rue du Vivier jusqu'au Prélong. Ainsi, en 1620, la ville était encore coupée par un fossé qui, à la porte du Vivier, recevait les eaux du rû de Saint-Laurent et allait sans doute tomber dans les fossés de la Maison Forte.

Le rû de Saint-Laurent coupait en deux le jardin du monastère et on le traversait sur un pont qui disparut sous les décombres, lors de la construction de la seconde enceinte de la ville. Avec la terre du nouveau fossé, dans lequel on dirigea le rû de Saint-Laurent, on combla l'ancien lit du rû; et, sous ces décombres, le pont des moines disparut.

En 1777, les religieux le retrouvèrent et le firent figurer sur un plan des fossés et remparts de la ville, au faubourg du Vivier, entre le jardin potager et l'enclos-verger de l'abbaye. Ce plan indique la direction de l'ancien rû qui longeait, du côté est, l'emplacement de la rue du Calvaire.

La navigation. — La navigation de la Marne était devenue à peu près impossible par suite de la construction de moulins et autres ouvrages élevés par les seigneurs riverains et l'approvisionnement de Paris était menacé de ne plus pouvoir se faire par cette rivière.

Le roi ordonna de débarrasser le lit de la rivière, moyennant indemnité de dix pour cent aux seigneurs lésés, et envoya trois cents compagnons qui, en une seule nuit, rompirent ou abattirent tous les obstacles à la navigation.

Revenus. — Le Cartulaire de Lagny donne une pièce intéressante où sont indiqués le revenu de plusieurs denrées de première nécessité, les rentes et coutumes (impôt dû à un passage) du pallage et du pontonnage, les droits à payer sur les ventes de biens, sur les appels en justice, etc. (2).

Toutes ces redevances étaient soigneusement exigées, et les condamnations contre les réfractaires furent nombreuses.

Nous y remarquons que certaines franchises étaient accordées aux Laniaques ; ainsi ils étaient exempts des droits de pallage et de pontonnage, ce qui donnait à leurs voituriers par eau et par terre un avantage sur leurs concurrents du dehors.

Marchés. — Des trois marchés du Moyen Âge, celui du vendredi est resté comme alors le plus considérable ; celui du mercredi a peu d'importance aujourd'hui ; enfin celui du lundi a été reporté au dimanche et a une importance encore moins grande que celui du mercredi.

Il nous semble que rien plus que ces détails ne donne une idée de ce qu'était notre petite cité au moyen âge ; en les relisant, nous voyons, par la pensée, ces marchands à leur étalage et au marché, le pont avec son receveur, le sergent de justice recherchant les délits, le procureur fiscal recouvrant ses droits de lods et de ventes, ou enfin requérant une condamnation devant le bailli, le prévôt ou le maire.

Le Cartulaire nous donne également les revenus et coutumes du pontonnage, dont étaient exempts la terre de Saint-Pierre, les châteaux de Tournan et de Montjay, les dix-sept villes de la Hanse et les Lombards.

Les différentes paroisses du dehors pouvaient payer ces droits par abonnement et nous avons le détail du droit dont les denrées de ces paroisses étaient frappées (3).

Nous remarquons que partout un avantage était fait aux ouvriers et aux gens à gages : ainsi où le marchand et le bourgeois payaient, à Noël, un pain et, à Pâques, trois œufs, l'ouvrier payait seulement trois deniers.

Le pontonnage était affermé, au 30 juin 1390, et nous possédons un bail par lequel le pontonnage est loué pour six années, pour le prix de quarante sols tournois par an, payable en quatre termes égaux : Pâques, Saint-Jean, Saint-Rémy, chef d'octobre et Noël.

Les droits de pontonnage et de pallage furent rigoureusement payés, et il y eut peu de contestations à ce sujet.

Foire de Bécherel. — Au XIVe siècle, le jour de la Décollation de saint Jean-Baptiste, il se tenait une foire, aux champs de Bécherel, sous Montévrin, où les religieux prélevaient sur chaque cabaretier un droit de quatre pintes de vin.

Mortalité. — En 1399, il y eut par toute la France une grande mortalité, et comme une merveilleuse comète était apparue au ciel, on pensa que c'était là le présage de grands malheurs. Dom Chaugy dit: «Ce mal se déclarait par des apostumes puantes contre lesquelles tous les remèdes humains étaient inutiles ; la plus grande mortalité tombait sur les femmes enceintes dont aucune ne releva dans tous les lieux où régna cette contagion.»

Insubordination. — Les Laniaques avaient, en 1401, demandé, pour la commodité de la circulation, à percer le rempart sous un fort situé entre la porte du Vivier et la porte Saint-Laurent. Ils voulaient établir là une porte, vis-à-vis de la rue du Port. Sur le refus de l'abbé, une trentaine d'habitants armés de pioches, bêches et pelles, s'en allèrent abattre la muraille et combler le fossé. Le procureur fiscal les somma de se retirer et fit comparaître le chef de ce petit complot devant le bailli qui le condamna à tout réparer à ses frais et à une amende considérable.

Aides. — Il est probable que Lagny fut, vers 1401, le siège d'une élection, dans un temps où l'étendue de chaque élection ne devait pas dépasser cinq ou six lieues. Ce tribunal était chargé de la répartition de l'impôt.

Lagny fut compris dans la généralité de Paris et dans la subdivision de cette généralité, il fit partie de l'Élection de Paris. Dans cette nouvelle division, Lagny devint le siège d'une direction des Aides.

Banvin. — Parmi les privilèges des religieux de Lagny était celui du banvin. Ils échappaient ainsi pendant quinze jours aux aides, ou impôt levé sur les boissons, qui, à la différence de la taille, payée seulement par le Tiers état, devait être payé par toutes les classes de la société.

Voici quel était ce privilège : depuis la veille de Pâques, du moment où l'on entonnait le Gloria in excelsis dans l'église de l'abbaye, et pendant les quinze jours suivants, finissant le dimanche appelé dans la ville le Dimanche des blanches nappes, au moment où l'on entonnait le Misericordia, les religieux, comme seigneurs de la ville, pouvaient seuls et en toute franchise, vendre en détail le vin et autres boissons du cru de leurs héritages.

La vente du vin et autres boissons, pendant cette quinzaine, était interdite aux cabaretiers et les particuliers ne pouvaient en acheter que chez les religieux et dans le lieu où le banvin était établi.

Toute contravention était punie de la confiscation, au profit des religieux, du vin, tonneaux, pots, cruches et bouteilles des délinquants et d'une amende de soixante sols.

En 1401, le receveur des aides réclama le droit ordinaire, les religieux refusèrent de payer, et l'élection de Paris donna raison aux religieux et confirma la franchise du ban.

Dans des lettres d'avril 1403, Charles VI qualifie Jehan de Lagny d'avocat général au Parlement de Paris.

Le pondage. — Le pondage ou droit de pesage était un gros revenu pour l'abbaye. «Il y avait, dans la cour de l'abbaye, une espèce de vieux portail où étaient suspendues diverses balances, dans lesquelles on devait apporter toutes les denrées qui devaient être pesées, comme suif, cire, laine, coton, épiceries. Et les vendeurs payaient chacun deux deniers par cent pesant hors des foires et pendant les foires, ils en donnaient chacun quatre, ce qui produisait quelquefois jusqu'à cent pistoles par an.»

L'habitude de peser les marchandises chez les marchands devint la cause d'une perte si considérable pour l'abbaye que l'abbé fit défendre par le crieur public à tous les marchands, sous peine d'amende, d'avoir chez eux de gros poids et de grandes balances.

Jean sans Peur. — Pendant la démence de Charles VI, Jean sans Peur, duc de Bourgogne, s'avança sur Paris ; il était devant cette ville le 1er septembre 1405 avec une armée considérable. Et ses gens «par force entrèrent dedans Lagny, et se logèrent entre Paris et Pontoise et tout destruisoient».

En 1406, les plaideurs, par ordonnance du roi, eurent la faculté de se pourvoir à leur choix devant les baillis de Meaux ou de Lagny. Par là le pouvoir de l'abbé baissait sensiblement.

Jean sans Peur revint à Paris en 1409, à la tête d'une armée composée d'étrangers. Cette armée traita la contrée en pays conquis et frappa de contributions la ville et l'abbaye. Pendant que Jean, maître de Paris, d'où s'étaient enfuis la reine et les princes, était allé faire une levée d'armes, la reine revint à Paris avec une armée.

Mais le bruit se répand tout à coup que Jean s'avance sur Paris, à la tête d'une armée considérable de mercenaires ; en effet il passe par Lagny qui est encore une fois saccagé et il abandonne à ses troupes, en guise de solde, le pillage du pays.

Après la paix de 1409, Jean revint à Lagny où il avait rassemblé ses troupes pour les conduire en Flandre.

La Maison-Dieu. — L'évêque de Paris, Gérard de Montaigu, prétendit s'arroger la régie des biens temporels de l'Hôtel-Dieu de Lagny.

L'abbé résista et l'évêque abandonna sa prétention.

D'autres évêques, malgré les abbés, réussirent plus tard à faire admettre leurs prétentions.

L'Hôtel-Dieu était très ancien ; il y avait même toujours eu dans l'abbaye, depuis saint Fursy, un asile pour les malades, mais aucun acte n'indique la fondation de la Maison-Dieu, en dehors du monastère.

Un concordat entre l'abbaye et la Maison-Dieu semble indiquer que la Maison-Dieu avait déjà changé de place et que les hospices n'étaient pas complètement francs de tous droits.

L'abbé Lebœuf dit que notre Hôtel-Dieu est ancien, ainsi que l'indique le portail de la chapelle qui donnait sur la rue et était du XIIIe siècle au plus tard. Les deux battants de la porte étaient séparés par une statue représentant le Sauveur tenant un livre, de même qu'il y en avait autrefois à l'Hôtel-Dieu de Paris. Cette maison était gouvernée, en 1361, par un prêtre, deux frères et deux sœurs. L'abbé Lebœuf donna aussi l'état des biens de cette maison.

Sous Jean le Bon, la Maison-Dieu avait été reconstituée par les Bénédictins et les Laniaques réunis.

Pierre III, trente-neuvième abbé. — Ce fut vers ce temps (1411) que Pierre III dut succéder à Pierre II, comme trente-neuvième abbé.

Ces deux abbés, que dom Chaugy a confondus en un seul sous le nom de Pierre de Bray, furent des hommes distingués qui administrèrent avec habileté la ville et l'abbaye et qui, à cette époque désolée, trouvèrent des ressources pour aider Pierre de la Crique dans la construction de l'église.

Comme l'abbé et le gouverneur portaient tous deux le nom de Pierre, «ils disaient agréablement à ceux qui paraissaient étonnés de la grandeur de l'édifice commencé, qu'il ne fallait que deux pierres pour achever ce vaste édifice» et dom Chaugy ajoute : «mais, malheureusement, la meilleure pierre manqua» (la dernière).

Les murs et les piliers du chœur en étaient aux secondes croisées, lorsque Pierre de la Crique mourut. L'œuvre ne fut jamais poussé plus loin : on couvrit l'église et on l'appropria tant bien que mal aux besoins du culte.

Pierre de la Crique fut enterré dans l'ancienne nef auprès de son épouse. Leurs tombes furent transportées plus tard devant la chapelle de Notre-Dame des Ardents, proche la balustrade.

L'église Saint-Pierre. — Quand Pierre de la Crique eut fourni l'argent nécessaire pour commencer les travaux, notre ville donna l'exemple d'un de ces grands mouvements de foi qui surmontent tous les obstacles. Chacun prit part à l'œuvre suivant ses forces et ses aptitudes : les uns furent terrassiers ou manœuvres, les autres charpentiers ou maçons ; les plus habiles taillaient la pierre et dégrossissaient quelques sculptures ; les travaux les plus délicats seulement furent laissés à des artistes étrangers.

La pierre de taille manquait aux environs : on alla à quinze ou vingt lieues, vers le nord, sans doute à Ocquerre ou à Varinfroy ; on transporta la pierre sur des bateaux et, par l'Ourcq et la Marne, elle fut apportée et débarquée au port Saint-Denis du Port.

Pour se rendre compte de la grandeur de l'effort, il faut se souvenir que ce fut au milieu de la guerre de Cent Ans, après les désastres de Crécy et de Poitiers, que cette gigantesque construction fut entreprise.

L'œuvre ne fut pas menée à sa fin ; par ce qui est fait et par le peu de temps qu'on y consacra, on peut dire que la population enfanta un miracle.

L'église Saint-Pierre fut l'œuvre de la population tout entière, mais nous ignorons le nom de l'architecte, du maître de l'œuvre, sans doute un Bénédictin.

L'église appartient au style ogival qui, depuis le XIIIe siècle, était devenu d'un usage général ; à ce style aux formes sveltes et effilées, aux piliers longs, élancés, souvent formés d'un faisceau de colonnettes, aux ouvertures hautes, étroites et aux arcs pointus.

Au moment de la mort de Pierre de la Crique, les fondements de l'église étaient jetés ; ceux de la nef même existent encore sous le sol, quoiqu'on ait été obligé de les déraser pour ne pas gêner la circulation. Le sanctuaire était monté jusqu'aux secondes croisées, les piliers, que l'on peut voir dans les combles de l'église et qui devaient supporter la toiture, bien que n'ayant pas atteint toute leur hauteur, dépassent de soixante centimètres environ la clef de voûte actuelle.

Cette grande hauteur des piliers, les colonnettes tronquées qui s'élèvent entre les ogives et au-dessus du triforium actuel, nous démontrent à n'en pas douter que l'église, dans le plan primitif, devait avoir deux triforiums ou galeries à jour et une rangée de fenêtres entre le second triforium et la voûte, en tout trois rangées de fenêtres autour de la grande nef.

L'église, si ce plan avait été réalisé, n'aurait été, depuis la première galerie jusqu'à la naissance de la voûte, qu'une immense verrière, dont les colonnettes et les triforiums auraient semblé être les meneaux.

Les contreforts qui devaient arc-bouter la seconde galerie ont leurs amorces sur les piliers extérieurs, placés vis-à-vis des quatorze piliers de la grande nef et du transept qui devaient recevoir ces arcs-boutants. Des renforts en saillie sur chacun de ces derniers piliers et dont le cul-de-lampe descend à mi-hauteur de la première galerie, indiquent la place où les arcs-boutants devaient contre-bouter les retombées de la voûte.

Les quatre piliers du transept, dont les deux de l'occident n'existent pas, devaient porter la flèche de l'église.

L'église de Lagny, telle que nous la voyons, n'est que le chœur d'un vaste édifice inachevé, dont la hauteur devait être de quarante-deux mètres environ sous la voûte du chœur ; la largeur, en dedans œuvre, de trente-sept mètres, et la longueur, en dedans œuvre, de cent six mètres ; c'est-à-dire que le portail et les tours de l'église devaient dépasser, vers l'occident, l'angle sud-ouest du passage qui conduit dans la cour de l'abbaye.

Vue de l'extérieur, l'église n'a aucune apparence ; elle est complètement engagée, de nos jours, à droite dans les bâtiments du presbytère, et à gauche dans ceux de la gendarmerie ; les jardins de ces habitations contournent le monument (4).

L'église placée, en 1791, sous le vocable de saint Fursy, fut classée au nombre des monuments historiques de France par décret du 12 juillet 1886.

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[Notes de bas de page.]

1.  Une de nos rues porte encore le nom de Pierre de la Crique.

2.  Voir les Annales du Pays de Lagny.

3.  Ibid.

4.  Ibid.


CHAPITRE 6 : DE 1411 À 1432.

Guerre civile. — En 1411, la Brie, occupée par les Armagnacs, fut livrée à toutes les horreurs des guerres de ce temps. Lagny eut d'autant plus à souffrir que l'importance du passage de la Marne nécessita longtemps la présence d'un nombre considérable de soldats. Les religieux ne furent pas plus épargnés que les habitants.

Jean sans Peur, effrayé des dispositions hostiles de la Cour contre lui, abandonna Paris précipitamment et vint à Lagny, en 1413, d'où il partit secrètement pour les Flandres.

Profitant du désastre d'Azincourt, 15 octobre 1415, Jean voulut rentrer dans Paris. Il se présenta devant Meaux dont les portes lui furent fermées, par ordre du roi, et s'en alla à Lagny où «il se logea dedans la ville, et ses gens sur le plat pays qui, de ce, fut moult travaillé». Une autre armée rassemblée par les capitaines de Jean, et forte de «vingt mille chevaux ou plus», vint rejoindre Jean à Lagny.

Le dimanche 15 décembre 1415, Jean envoya de Lagny à Paris des ambassadeurs qui réclamèrent, pour lui, le droit d'entrer à Paris avec une escorte de sûreté. Le roi donna à Jean le droit d'entrer dans Paris, mais sans escorte.

Le vendredi avant l'Épiphanie, les ambassadeurs du roi vinrent à Lagny faire à Jean commandement de se retirer, de renvoyer ses gens, sous peine «d'être réputé pour traître». Jean fit enfermer et garder ces ambassadeurs qui ne furent admis en sa présence que plusieurs jours plus tard.

Le jour de l'Épiphanie au soir, Madame, veuve du Dauphin, fut conduite à Lagny et rendue au duc de Bourgogne, son père.

Les ambassadeurs du roi, retenus par Jean, quittèrent enfin Lagny le vendredi 17 janvier.

Le duc de Bretagne, mécontent du comte d'Armagnac, envoya son maître d'hôtel avec les ambassadeurs de Jean qui retournaient à Lagny «quoy faire, on ne scavait» ; sans doute négocier avec Jean.

Le connétable d'Armagnac songea à attaquer Jean ; il s'avança en personne sur Lagny et dans plusieurs escarmouches où l'armée royale eut toujours l'avantage, le connétable fit un nombre considérable de prisonniers.

Parmi ceux-ci étaient les sires de Château-Villain, du Mesnil et de Mailly que le comte d'Armagnac, après la retraite de Jean, fit pendre sur le pont de Lagny, avec six autres gentilshommes.

Cette conduite habile et résolue opposée aux hésitations de Jean, éloignèrent de celui-ci la faveur populaire qui se tourna tout entière vers son ennemi.

Jean de Lagny. — Jean devint la fable de Paris, la raillerie s'attacha à son nom : Jean, l'effroi de ses ennemis, le terrible Jean sans Peur n'en était plus que Jean le Long, Jean de Lagny qui n'a pas hâte. Ce surnom était une dérision, une raillerie lancée contre cette devise du duc de Bourgogne : «Moult me tarde».

D'après dom Chaugy, le surnom donné à Jean sans Peur fut l'origine du dicton du pays : «Les gens de Lagny n'ont pas hâte.»

Ce dicton, comme on le voit, avait été mis en usage par des gens ignorant le séjour de Jean à Lagny et l'histoire de leur pays, ils ont pris Jean pour Gens ; du reste, rien n'indique que les Laniaques se fussent jamais fait remarquer par leur passivité, leur indolence ou leur indifférence ; au contraire tous les faits historiques indiquent en eux des hommes d'action et de résolution.

Depuis longtemps ce dicton : «les gens de Lagny,» n'est plus en usage et nous n'en avons eu connaissance que par le manuscrit de dom Chaugy.

Jean essaya de la menace, il fit dire à Paris qu'il ne souffrirait pas qu'on l'appelât Jean de Lagny, puis, désespérant d'entrer dans Paris, il résolut de gagner l'Artois. Avant son départ de Lagny qu'il occupait depuis dix semaines, il abandonna, le 5 février 1415, le pillage de la ville à ses soldats mécontents et leur enjoignit ensuite de décamper.

Cette retraite ne s'effectua pas sans de grandes pertes pour Jean ; les mercenaires du roi poursuivirent ses gens, et, vers le pont à Vaire, en «férirent et occirent» un grand nombre.

La misère fut grande à Lagny pendant l'occupation des Bourguignons.

Guerre civile. — En 1412 Paris fut, par trahison, livré au duc de Bourgogne ; les Armagnacs surpris furent massacrés en grand nombre ; ceux qui échappèrent allèrent se placer sur les rivières à Lagny, Meaux et Corbeil et empêchèrent ainsi les vivres d'arriver à Paris.

Les Parisiens, affamés, devinrent furieux et massacrèrent tous les Armagnacs restés dans Paris ; ceux-ci, usant de représailles, massacrèrent à Lagny et dans les autres villes en leur pouvoir, tous les partisans de Jean sans Peur.

Les Armagnacs abandonnèrent Lagny pour se réorganiser sous les ordres du Dauphin, sous le nom de parti dauphinois. La guerre civile recommença alors avec toutes ses fureurs. Les Armagnacs partis de Meaux vinrent jusque sous les murs de Paris, et se retirèrent avec quantité de bétail et de paysans qui furent enlevés comme prisonniers. À cette nouvelle, les Parisiens se mirent à la poursuite de leurs ennemis, délivrèrent presque tous les prisonniers et poussèrent leur course jusqu'à Lagny où ils apprirent que l'ennemi avait sur eux une avance de trois lieues ; alors ils retournèrent à Paris.

Les dauphinois qui occupaient Meaux s'étaient emparés de Lagny en 1418, «par faute de guet» ; ils saccagèrent tout, mais quelques soldats de la garnison avaient pu se sauver «en forte tour», d'où ils envoyèrent demander du secours au duc de Bourgogne.

Celui-ci envoya en toute hâte le seigneur de l'Isle-Adam qui, avec l'aide des soldats enfermés dans la tour, rentra dans la ville, tua la plus grande partie des dauphinois, mit une forte garnison dans la ville et retourna à Paris.

Le roi allait partir au secours de la ville de Rouen, assiégée depuis sept mois par le roi d'Angleterre, lorsqu'à son passage à Lagny, il apprit que, faute de vivres, Rouen avait capitulé le 19 janvier 1418.

Alors on vit arriver à Lagny une députation, ayant à sa tête le premier président du Parlement, qui exposa au roi qu'après un désastre tel que la chute de Rouen, il était prudent pour lui de rentrer à Paris. Jean sans Peur répondit que le roi ne s'écarterait pas de Paris et y rentrerait aussitôt que la ville serait approvisionnée.

Pour empêcher que les ateliers de la Monnaie ne tombassent en chômage, Charles VI, par lettres datées de Lagny, 19 janvier 1419, accorda un avantage aux changeurs et marchands qui apportaient de l'argent à la Monnaie ; il leur promettait dix sols de crue par marc.

Pontoise avait été enlevé par les Anglais en 1419, pour ainsi dire en présence du roi et de Jean, alors campés à Saint-Denis avec des forces considérables. Devant la colère du peuple, devenu furieux à cette nouvelle, le roi et le duc partirent le lendemain sans prendre le temps de dîner et, passant par Charenton, s'en vinrent à Lagny.

Disette. — Les ravages de la guerre causèrent à Lagny une disette extraordinaire ; dans le mois de mars, le setier de froment valut jusqu'à douze livres d'or ; le setier de pois et de fèves autant ; l'avoine, huit livres ; le millier de foin, vingt livres.

Le menu peuple mangea du pain de noix, on obligea les meuniers à recevoir le blé au poids et à rendre la farine de même ; le bois était tellement cher qu'on brûla les arbres fruitiers ; quelques ménagères brûlèrent jusqu'aux solives de leurs maisons.

Le gibier et la volaille manquaient et la grosse viande était à un prix exorbitant.

En 1419, Jean sans Peur fut assassiné sur le pont de Montereau par Tanneguy-Duchâtel.

Famine. — La guerre civile, le froid excessif de l'hiver 1420-1421, le manque de grains réduisirent le peuple à la dernière extrémité.

À Lagny, «la pinte de vin, qui se vendait ordinairement deux deniers, en coûta jusqu'à seize ; le pain et tout le reste coûtait encore plus à proportion. La misère fut si horrible pendant tout l'hiver que quantité de pauvres, pressés par la faim, se nourrirent d'herbes et de trognons de choux, sans pain et sans sel. On en vit plusieurs suivre des écorcheurs de chiens à la campagne, pour manger la chair et les tripes de ces animaux.»

Le roi Charles VII était à Lagny le 12 octobre 1421 ; par des lettres de ce jour, datées de cette ville, il ordonnait la fabrication et fixait la valeur de diverses sortes de monnaies.

Henry V. — Le roi d'Angleterre, Henry V, vint à Lagny où il établit sa résidence, et fit loger ses troupes dans les villages voisins ; là, il fit «charpenter et habiller engins et instruments nécessaires à mettre siège, pour mener à Meaux en Brie».

Henry V partit «de Laigny, luy et tout ost», au nombre environ de vingt mille combattants.

Meaux résista vaillamment et ne succomba qu'après un siège de plus de dix-huit mois.

Ce siège fut désastreux pour Lagny et les environs, car l'armée anglaise consomma avant leur maturité tous les grains, foins et fruits du pays. Après la prise de Meaux, les deux rois de France et d'Angleterre vinrent avec leur cour séjourner au château de Vincennes. L'approvisionnement royal rendit les vivres encore plus rares dans le voisinage, de sorte que Lagny eut à souffrir de la disette pendant près de quatre années.

Le bailli de Champagne. — La guerre se ralluma avec une nouvelle fureur en 1422, Lagny tenait pour Charles VII. Les Laniaques, dans l'impossibilité de se faire rendre justice à Paris, alors occupé par les Anglais, s'adressèrent au roi qui leur donna pour juge le grand bailli de Champagne, dont le siège était à Meaux. Mais par suite de l'occupation de Meaux par les Anglais, ce bailli résidait alors à Provins et, pour éviter à ses sujets un aussi long voyage, le roi, d'accord avec les religieux, institua à Lagny un tribunal où le bailli vint rendre la justice.

Le roi, par un acte, reconnaissait le droit de justice des religieux, et déclarait que l'institution de ce tribunal n'était que passagère et ne pouvait engager l'avenir.

Ce tribunal ne fonctionna pas longtemps, car Lagny tomba bientôt sous le joug anglais.

En cette année (1423), Lagny perdit Pierre de Bray, dont on vante justement le savoir, la probité et la bonne administration, au milieu de si douloureuses épreuves.

Manigot Lambert, quarantième abbé. — Manigot Lambert, son successeur comme quarantième abbé, ne fit que passer.

Guillaume de Conty, quarante et unième abbé. — Le 13 novembre de la même année, fut élu comme quarante et unième abbé Guillaume de Conty, moine de Corbie.

Grâce à l'abondance des récoltes, cet abbé put reprendre les travaux de l'église, déjà plusieurs fois interrompus.

Les Laniaques n'avaient, au Moyen Âge, ni le droit de s'imposer, ni celui de s'assembler sans la permission de l'abbé. Ils devaient faire une demande, dans laquelle l'objet de la réunion était exposé ; quand l'abbé jugeait la demande raisonnable et sous la condition de ne pas s'occuper d'autre chose, il leur était permis de s'assembler en présence du clerc du monastère.

Le 17 février 1428, les habitants demandèrent à se réunir pour établir une imposition : une partie des murs de la ville était tombée dans les fossés, et il fallait de l'argent pour exécuter de suite cette urgente réparation. Les habitants demandèrent à payer en argent : cette proposition fut acceptée par l'abbé, qui les autorisa à faire la répartition entre eux, «au plus justement et raisonnablement que faire se pourra, le fort portant le foible, présent son clerc et cueillie en sa présence».

L'année suivante (1437), une nouvelle autorisation de s'imposer fut accordée aux habitants. Cette imposition devait s'appliquer à la réparation des fontaines et de leurs conduits.

Les voyers. — L'administration de notre abbé fut des plus remarquables. Il établit, en 1429, des voyers et maçons jurés qui, sous sa protection et avec sa garantie, avaient l'inspection des rues de la ville, des chemins et chaussées, dans toute l'étendue du comté.

Ils surveillaient toutes les constructions en voie d'exécution, et faisaient des rapports sur tout ce qui concernait leurs attributions. Nul ne pouvait construire sur les rues de la ville sans avoir reçu son alignement et les voyers et maçons eux-mêmes ne pouvaient donner un alignement sans appeler le procureur de l'église.

La fortune de la guerre s'était tournée contre la France ; le roi de France était rejeté au delà de la Loire ; tout semblait perdu lorsque Jeanne d'Arc apparut.

Nous venons de prononcer un nom qui fait tressaillir tout Français digne de son pays ; mais nous, Laniaques, à l'admiration et à la reconnaissance pour celle que l'on a appelée l'âme de la patrie, nous devons joindre un autre sentiment. Souvenons-nous que c'est à Lagny qu'eut lieu l'exécution de Franquet d'Arras ; que cette exécution fut réclamée par le cri populaire contre le vœu de Jeanne ; que cette exécution fut une des causes qui motivèrent la condamnation de la Pucelle et qu'enfin, «ce reproche, parmi ceux que l'on faisait à Jeanne, était le seul raisonnable, s'il eût été fondé».

Jeanne d'Arc, fille d'un laboureur, était née en 1412 à Domrémy, village enclavé dans le diocèse de Toul. Elle reçut l'éducation des filles de sa condition ; elle apprit à coudre et à filer, mais ne sut jamais ni lire ni écrire. La religion lui fut enseignée par sa mère dans sa simplicité la plus primitive et la plus naïve.

Elle conduisait un troupeau, était la meilleure fille du village, aimait son église, le son des cloches, les légendes du pays et de la foi.

Nourrie dans l'horreur du nom anglais, son esprit s'exalta au récit des maux de la France, racontés par quelques malheureux fugitifs. Aux yeux de la jeune inspirée, la France ne pouvait périr ; la France, sa belle et religieuse patrie, «ce pays de la gloire» d'où étaient partis les libérateurs de la Terre Sainte ; la France, cette reine des nations, tant aimée de Dieu, où reposaient les cendres de saint Louis. Jadis, dans un jour d'épouvante, Dieu n'avait-il pas envoyé sainte Geneviève, une bergère comme elle, pour sauver son peuple et arrêter le bras d'Attila ?

Jeanne rêva le triomphe de son roi.

Dans son exaltation, elle eut des visions où, affirma-t-elle, des saints lui avaient annoncé qu'elle était l'envoyée de Dieu pour chasser les Anglais.

Jeanne, accompagnée de son frère Pierre, quitta les vêtements de son sexe et vint, à travers mille dangers, trouver le roi, dans sa petite Cour de Chinon.

Accueillie par le roi avec défiance, elle réussit difficilement à le convaincre de sa mission divine, mais l'enthousiasme qu'elle sut inspirer aux troupes, la délivrance d'Orléans, la campagne de la Loire, la victoire de Patay, la prise des capitaines anglais Suffolk et Talbot, enfin sa marche triomphale sur Reims à travers un pays occupé par l'ennemi, changèrent la défiance en une admiration et une confiance générales.

En quittant Reims, le roi demanda aux habitants de nouvelles aides pour aller faire le siège de Lagny, Meaux, Pontoise et autres lieux.

Charles n'eut pas besoin de faire le siège de Lagny ; le jour même de l'arrivée du roi à Saint-Denis, 29 août 1429, le prieur de l'abbaye de Lagny, Artus de Saint-Méry, vint remettre cette ville sous l'obéissance du roi. Le roi envoya à Lagny, comme gouverneur, Ambroise de Loré, qui fut reçu par les habitants à «grande joye», et ceux-ci prêtèrent leur serment de fidélité au roi.

Ambroise de Loré. — Ambroise de Loré fut un des plus hardis et des plus vaillants capitaines de son temps ; son nom glorieux se trouve lié à l'histoire de Lagny.

Jean Foucault. — Ce vaillant soldat avait sous ses ordres un autre guerrier qui n'était ni moins entreprenant ni moins audacieux, le capitaine Jean Foucault de Saint-Germain.

L'importance de Lagny, clef de la Marne, l'une des principales voies d'approvisionnement de Paris, alors occupé par les Anglais, nécessitait le choix de semblables capitaines.

Prévôté de Paris. — En ce temps, Charles VII, considérant que Lagny était la seule bonne ville qu'il eût pour lui aux environs de Paris, résolut, sous toutes réserves des droits de l'abbaye, d'y transporter la prévôté de Paris pour y remplir les mêmes fonctions qu'au Châtelet.

Le prévôt pria l'abbé de lui prêter «aide et terre» pour exercer son office et, sur le consentement de celui-ci, il installa son siège à Lagny.

Mais il n'y resta pas longtemps et se retira avec le roi, après l'abandon du siège de Paris.

Retraite du roi. —  À la suite de l'assaut de la porte Saint-Honoré où Jeanne fut blessée, le 8 septembre 1429, le roi désespérant de prendre Paris résolut de se retirer. Il partit le 12 avec son armée et vint coucher à Lagny qu'il quitta le lendemain.

Jeanne, blessée, arriva à Lagny, moins abattue par sa blessure que par le chagrin que lui causait la retraite du roi.

Elle ne comprenait rien aux artifices de la politique et ne voulait qu'une chose, «bouter jusqu'au dernier les Anglais hors de toute la France».

Combats. — Après la retraite du roi et dans le même mois, les Anglais et les Bourguignons vinrent en force devant Lagny et se préparèrent à en faire le siège. La ville était mal fermée et dépourvue de vivres, aussi Ambroise de Loré et Jean Foucault, convaincus de la faiblesse de la place et n'espérant aucun secours, se décidèrent-ils à l'offensive. «Ils saillirent aux champs, eux et leurs gens, en belle ordonnance, contre les Anglais et les Bourguignons et leur tindrent si grandes et si fortes escarmouches, par trois jours et trois nuits, que lesdits Anglais et Bourguignons n'approchèrent oncques des barrières, plus près que du trait d'une arbaleste.»

On perdit des hommes des deux côtés, mais cette belle résistance et la valeur des soldats de la ville forcèrent l'ennemi à la retraite.

Au mois d'octobre 1429, Ambroise de Loré et Jean Foucault partirent de Lagny avec cinq cents combattants environ et vinrent loger à Louvre en Parisis. Ils attendaient un corps anglais qui, d'après les avis qu'ils avaient reçus, devait passer entre Paris et Pontoise.

Les Anglais ne parurent pas et les Français retournaient à Louvre, lorsqu'ils rencontrèrent un détachement de cent soixante à deux cents hommes, commandé par le capitaine anglais Ferrières.

Tous les Anglais furent tués ou pris ; Ferrières fut du nombre des prisonniers.

Le lendemain les Français s'avancèrent sur Paris, jusqu'aux portes Saint-Denis et Saint-Antoine et, de là, revinrent à Lagny.

Après ce succès, nos deux capitaines formèrent l'audacieux projet d'enlever Rouen par surprise ; mais l'entreprise échoua à cause de l'obscurité des nuits qui gêna la marche des troupes.

Au mois d'octobre, d'après Godefroy, ou au mois de décembre, d'après Jean Chartier, Ambroise de Loré quitta Lagny pour aller défendre le château de Saint-Célerin, près d'Alençon. Il laissa le commandement de Lagny à Jean Foucault, Kennedy et à Geoffroy de Saint-Aubin.

Retour de Jeanne. — Vers le milieu d'avril 1430, la Pucelle, mécontente de l'inaction du roi, s'en vint à Lagny, «pour ce que ceux de la place faisaient bonne guerre aux Anglais de Paris et ailleurs».

Un fait d'armes glorieux se passa près de Lagny en ce même mois d'avril 1430.

Nous ignorons la date exacte de cette action.

Jeanne était-elle alors à Lagny ? Nous ne savons, mais cela est vraisemblable.

Paris était tellement resserré par les courses continuelles des Laniaques que le muid de blé y valut quarante livres tournois.

Au mois d'avril, après Pâques, 16 avril, les Français fortifièrent un château près de Lagny. Les Anglais, informés de ce fait, vinrent pour les déloger, mais les Français avertis à temps les reçurent si bien, qu'ils en tuèrent ou firent prisonniers huit cents environ. Il résulta de là que «ceux de Paris furent en telle nécessité de vivres, que le muy de bled valoit quarante livres tournois».

Jeanne séjourna deux mois environ à Lagny, pendant ce temps elle fit l'expédition suivante : de Lagny, elle alla à Senlis, puis à Borenglise, château près de Compiègne, à Compiègne, Pont-l'Évêque, Compiègne, Soissons, Compiègne, Lagny ; c'est sans doute au retour de cette expédition qu'elle rencontra Franquet d'Arras.

Après avoir fait ses dévotions en l'église Saint-Pierre, devant l'autel de la Vierge, Jeanne montée sur son cheval, enveloppée de sa huque (casaque) de drap d'or vermeil, entourée d'une troupe d'élite, descendait le plus souvent, aux acclamations de la population tout entière, la voie qui, par le pont sur la Marne, se dirigeait vers Paris.

Malheur alors aux convois ennemis et aux Anglais qui tenaient la campagne.

La foi du peuple en Jeanne était si vive, qu'il lui accordait volontiers un pouvoir surnaturel. Un jour le bruit se répandit dans la ville que Jeanne venait d'accomplir un grand prodige.

On racontait que la Pucelle, par ses prières, venait de ressusciter un enfant qui était sans vie depuis trois jours.

Le corps de cet enfant avait été porté devant l'autel de Notre-Dame, où les jeunes filles de la ville se mirent en prières, suppliant la Vierge de lui rendre la vie.

Sur leur demande, Jeanne vint avec elles prier Dieu et Notre-Dame et alors l'enfant donna signe de vie, «bâilla trois fois, fut baptisé, et tantost mourut»; et fut enterré en terre sainte. Le peuple crut que Jeanne avait ressuscité l'enfant.

Ces faits si simples furent dans la suite tournés contre elle.

Franquet d'Arras. — Dans les premiers jours de mai, un des plus redoutés chefs de bande, Franquet d'Arras, aussi brave que cruel, s'était approché de Lagny avec trois cents combattants anglais et bourguignons, dévastant et terrifiant le pays.

Jeanne, à la tête d'une troupe à peu près égale, marcha à sa rencontre et le joignit dans la plaine de Vaires, au moment où il s'en retournait avec son butin. Jeanne «l'assaillit moult courageusement et vigoureusement», mais Franquet qui avait de bons archers, en véritable homme de guerre, ordonna à ses soldats de mettre pied à terre et de se retrancher derrière des haies, si bien que le premier et le second assaut de la Pucelle furent repoussés. Mais, sur l'avis de Jeanne qui tenait Franquet en respect, Foucault, Kennedy, Geoffroy de Saint-Aubin et le capitaine Barrée arrivèrent à la tête de la garnison de Lagny avec «couleuvrines, arbalètes et autres habillements de guerre» et recommencèrent l'attaque. Les Bourguignons, après avoir «moult endommagé leurs ennemis, furent tous vaincus et déconfits et la plus grande partie mise à l'épée». Franquet fut fait prisonnier et conduit à Lagny.

La voix populaire réclamait l'exécution de Franquet comme «meurtrier, larron et traistre», et les baillis de Senlis et de Lagny demandèrent qu'il leur fût livré.

Mais Jeanne avait d'autres projets : un brave Parisien, possesseur à Lagny d'une hôtellerie, déjà célèbre à cette époque et ayant pour enseigne : Hôtel de l'Ours, s'était compromis pour le service du roi et par suite avait été jeté en prison ; Jeanne voulait l'échanger contre Franquet d'Arras.

Pendant ce temps, le possesseur de l'hôtel étant venu à mourir, Franquet fut de nouveau réclamé par les juges.

Jeanne le leur abandonna alors en disant : «Puisque mon homme est mort, faites de lui (Franquet) ce que debvez faire par justice.»

Le procès eut son cours, et dura quinze jours. Franquet fut condamné et décapité.

À la nouvelle de cette exécution, la rage fut sans bornes dans le parti anglais, on répandit le bruit que Jeanne avait promis à Franquet la vie sauve, qu'elle avait violé son serment et on alla même jusqu'à dire qu'elle avait tué Franquet de sa propre main.

Philippe, duc de Bourgogne, avait résolu de s'emparer de Compiègne. À cette nouvelle, Jeanne quitta Lagny et se jeta dans la place. Dans une sortie qu'elle fit le 24 mai 1430, Jeanne fut faite prisonnière.

Dans le camp français, ce fut un deuil général, tandis que les Anglais se félicitaient avec autant de joie que si toute la France était à eux et le duc de Bedford fit chanter un Te Deum, en grande solennité.

Jeanne fut livrée aux Anglais. Elle parut devant ses juges le 21 février 1430, et ils déclarèrent à l'unanimité qu'elle devait être livrée au bras séculier pour être brûlée vive.

Le supplice eut lieu à Rouen sur la place du Vieux-Marché.

Jeanne avait alors dix-neuf ans. Ses cendres furent, par ordre du cardinal de Winchester, oncle du roi d'Angleterre, jetées dans la Seine (
1). Compiègne, assiégé depuis six mois, en était réduit aux dernières extrémités, lorsque Flavy, gouverneur de la place, fit prévenir le commandant de Lagny de sa situation désespérée. Celui-ci, avec l'élite de la garnison, partit de Lagny pour rejoindre un corps de troupes du roi qui marchait sur Compiègne. Les Anglais et les Bourguignons mis en déroute abandonnèrent le siège en laissant dans leur camp les munitions et la belle artillerie du duc de Bourgogne.

Blocus. — Aussitôt que le départ du commandant de Lagny avait été connu des Anglais, leur armée s'était rapprochée de cette ville, pour en fermer l'entrée à son hardi gouverneur.

Bedford vint camper devant Lagny ; il n'en fit pas le siège en règle, mais se contenta d'en former le blocus, espérant rester, grâce à la faiblesse de la garnison, paisible possesseur du cours de la Marne, la seule voie qui eût alors pu approvisionner sa nombreuse armée de Paris.

La garnison de Lagny, malgré le blocus, fatiguait l'ennemi par des sorties et des courses continuelles. Un détachement vint, le 18 août 1430, sous la conduite de Jean Foucault, jusqu'à la porte Saint-Antoine, enleva un grand troupeau de bestiaux, vaches et bœufs et s'en retourna par le gué de Saint-Maur. Les Anglais s'élancèrent à leur poursuite, perdirent, près du gué de Saint-Maur qu'ils ne connaissaient pas, quantité de leurs gens et atteignirent enfin Foucault et sa petite troupe. Il y eut des morts des deux côtés, mais les Anglais eurent le dessus, ils recouvrèrent tous les prisonniers et les bestiaux et prirent le capitaine Jean Foucault.

La garnison de Lagny, privée de ses deux commandants, n'en continua pas moins ses courses ; la population semblait avoir pris goût à cette vie d'aventures et de dangers.

Le Journal d'un bourgeois de Paris (2), qui voudrait rejeter sur les nôtres tout l'odieux d'une guerre, où, de chaque côté, les excès étaient les mêmes, dit :

«En septembre 1430, il n'y avait pas de semaine que quelques larrons de Lagny dont personne ne s'inquiétait, ne prissent à quelques portes de Paris ou bien près, hommes, femmes, enfants, bétail sans nombre, dont ils avaient grande finance et toujours or et argent ; et ceux qui ne pouvaient payer leurs rançons estoient accouplés à cordes et jetés dans la rivière de Marne, ou pendus par les gorges, ou en vieilles caves liés, sans jamais leur donner à manger.»

Premier siège. — John, duc de Bedford, régent pour le roi d'Angleterre, après s'être emparé de Gournay et du fort de Montjay, vint le 18 mars 1430 s'installer devant Lagny.

La ville était alors commandée par le vaillant Jean Foucault qui avait recouvré sa liberté, soit par un échange, soit en payant rançon; par Geoffroy de Saint-Aubin et par Huçon Kennedy, capitaine écossais d'une grande habileté. Lagny se défendit courageusement ; après plusieurs assauts vaillamment repoussés, les Anglais furent obligés de lever le siège.

Cet échec porta un coup sensible au prestige anglais. Le bruit se répandit dans Paris, que tous leurs exploits à Lagny s'étaient réduits à tuer un coq ; et l'on ajoutait, par surcroît de raillerie, qu'ils étaient revenus pour se confesser et faire leurs Pâques.

Le Journal d'un bourgeois de Paris dit que les Anglais donnèrent plusieurs fois de grands assauts, mais qu'il n'y eut pas d'honneur pour eux, «car ceste mâle œuvre se faisait la septmaine peineuse (semaine sainte) ; mais ceux de dedans se défendirent si bien, que, pour certain, fut jetté en la ville quatre cents et douze pierres de canon en un jour, qui ne firent oncques mal à personne qu'à un seul coq qui en fut tué, dont fut grand merveille et que bel fut à ceux du régent et de Paris de laisser leur siège et s'en venir, et s'en vinrent la veille de Pâques qui fut ceste an le premier jour d'avril mil quatre cent trente et un, et disait-on par moquerie qu'ils étaient ainsi revenus pour eux confesser et ordonner à Pâques, en leurs paroisses.»

On voit à l'Hôtel de Ville plusieurs de ces boulets en pierre, retrouvés dans le curage de la rivière.

Lettre aux Laniaques. — La vaillante conduite des Laniaques, les pertes que leur ville avait éprouvées par suite du siège furent signalées à l'attention du roi.

Charles VII, par lettres de Chinon, en date de mars 1431, accorda aux Laniaques certains privilèges exceptionnels, à cause de leur victoire sur les Anglais.

Charles, considérant la «grant et vertueuse résistance» des Laniaques pendant le siège longuement tenu par les Anglais, siège qui a été levé «à lonneur de nous et de ceulx de la dicte ville et à la grant honte et confusion des dits ennemis», considérant les charges, pertes et dommages supportés par eux pendant le siège, et voulant reconnaître leur loyauté et belle conduite afin qu'ils en aient joie et s'en ressentent dans l'avenir et que «les autres à l'exemplaire deulx se efforcent de ainsi faire» :

«Par ces présentes, quittons, exemptons et affranchissons, notre vie durant, les Laniaques de toutes tailles, aides, subsides, quatrièmes et huitièmes de vin, impositions et subventions quelconques qui sont et seront mises à l'avenir en notre royaume à la seule exception de la gabelle, et des droits de prise pour nous, la reine et les princes ayant droit de prise ; leur donnons la coupe de six arpents de bois de haute futaie, à prendre en notre forêt de Crécy, au lieu le plus aisé et le plus profitable pour eux, si ce n'est dans la touffe de Crèvecœur, pour être employé à la réparation de la ville, de ses ponts et de ses maisons démolis ; leur octroyons encore qu'ils soient, pendant dix ans entiers, marchands et dispensateurs du sel du grenier de la ville, leur donnons le droit de gabelle de ce sel, pendant les trois premières années, pour faire les réparations nécessaires aux fortifications de la ville.»

Ces lettres, où la bravoure des Laniaques était donnée à toute la France comme un exemple à imiter, et le souvenir de Jeanne, leur amie et leur guide dans les batailles, de Jeanne, brûlée vive à Rouen, dont ils avaient la mort à venger, exaltèrent jusqu'à l'héroïsme le patriotisme des Laniaques. Jusqu'à l'expulsion des Anglais, la lutte autour de notre ville sera incessante et l'on peut affirmer sans exagération que les murs de Lagny furent un des principaux écueils contre lesquels vint se briser la puissance anglaise.

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[Notes de bas de page.]

1.  La ville s'est honorée en donnant à une de ses nouvelles rues le nom de rue Jeanne-d'Arc.

2.  [Cf., Jacques Mégret, Journal d'un bourgeois de Paris de 1405 à 1449. Texte français moderne de Jacques Mégret, Paris, Montsouris, 1944.]


CHAPITRE 7 : DE 1432 À 1465.

Le 1er mai 1432, l'Isle-Adam vint avec six cents combattants mettre le siège devant Lagny. Avec l'aide de quelques traîtres qu'il avait gagnés dans la ville, il espérait enlever la place en brusquant un assaut, mais ce complot fut découvert. Les traîtres arrêtés furent mis à mort et les assaillants, vivement repoussés, se retirèrent avec perte.

Second siège. — Dès le mois de mars 1432, le duc de Bedford avait préparé une expédition pour enlever Lagny dont les garnisons étaient un continuel sujet d'alarme et une gêne insupportable pour l'approvisionnement de Paris.

L'armée anglaise, forte de douze cents hommes environ, avec «foisons de chars, charrettes et autres instruments de guerre,» commandée par les meilleurs capitaines anglais, vint mettre le siège devant Lagny, après avoir enlevé Gournay et Montjay.

Arrivé devant Lagny, le capitaine anglais d'Arondel «fit asseoir une grande bombarde contre l'arche du pont-levis de la ville, laquelle du premier coup qu'elle jeta, rompit l'arche de telle manière que ceux de dedans ne pouvaient bonnement venir à leur boulevert, qui était à l'autre bout du pont qui passe par-dessus l'eau».

Ce boulevert était une fortification placée à l'entrée du pont, pour en défendre l'accès, ce que, de nos jours, on appelle une tête de pont.

D'Arondel assaillit aussitôt le boulevert et après quelques pertes l'emporta, malgré la vigoureuse résistance des assiégés qui étaient en petit nombre.

Quelques jours après, les chefs anglais résolurent de donner l'assaut à la ville, en plusieurs endroits et au même moment.

D'Arondel resta au camp pour parer aux événements et les autres capitaines se dirigèrent vers les positions qui leur avaient été assignées. En ce moment, Jean de Luxembourg, bâtard de Saint-Pol, qui portait un soleil «en sa devise et en son étendard», dit à haute voix «qu'il faisait vœu à Dieu que si le soleil entrait dans la ville il y entrerait aussi».

L'assaut, vaillamment donné, fut bien et vigoureusement reçu : les assaillants fort maltraités perdirent quatre ou cinq de leurs étendards et canons qui furent tirés à force de bras dedans la ville par les deux bouts, desquels furent la bannière de l'Isle-Adam, maréchal, et l'étendard du soleil appartenant à Jean, bâtard de Saint-Pol, qui avait «voué d'entrer dans icelle ville» et qui fut retrouvé parmi les morts.

Les Anglais se retirèrent «à grand'honte et confusion», la désertion se mit parmi leurs soldats et les capitaines, obligés à la retraite, retournèrent à Paris, auprès de Bedford.

Grêle. — À la fin de juin, une grêle terrible ravagea nos contrées et particulièrement le pays de Lagny et Meaux. Les grêlons avaient «seize pouces de tour, d'autres étaient gros comme bille à biller».

Troisième grand siège. — L'affront que les meilleurs généraux de l'Angleterre venaient de recevoir devant Lagny fut des plus sensibles au duc de Bedford. Il résolut à tout prix de se rendre maître de cette place ; il rassembla un nombre prodigieux de machines de guerre et vint investir Lagny, à la tête d'environ six mille combattants.

Bedford avait sous ses ordres l'Isle-Adam, maréchal, le bâtard d'Aunay, seigneur d'Orville, Philibert de Vaudray, le seigneur d'Aumont et plusieurs autres «de bon et noble état».

Le camp anglais fut fortifié de façon à ne redouter aucune attaque, et la ville fut investie de tous côtés ; «et avait fait faire, le dit duc de Betheford, ung pont sur la dite rivière de Marne, ung pont au-dessus de la dite ville de Laigny et là, en droit d'une isle ; au bout d'icellui pont, du costé devers la France, avoit ung fort boulevert ; et à l'autre bout, en la Brye, avoit foit faire ung grand parc fossoyé entour, plus grant que la dite ville de Lagny. Et fust là devant le dit duc de Betheford et son ost par l'espace de cinq ou six moys.»

Ce grand parc entouré de fossés occupait le plateau situé au levant de la ville. Il avait l'avantage d'être d'un accès facile pour les convois de vivres et de munitions arrivant de Paris, mais par contre il avait le grand inconvénient de laisser libre tout le côté du couchant, celui de la prairie, le seul côté plat de la ville.

Les événements qui vont suivre démontrent que si Bedford avait placé son camp sur les hauteurs de Saint-Thibauld, le ravitaillement de la ville devenait très dangereux sinon impossible, parce que tout corps de secours venant par la prairie devait faire une marche de flanc devant l'ennemi.

Lagny, défendu par huit cents à mille combattants, était commandé, peut-être, par Ambroise de Loré, mais plus vraisemblablement par Jean Foucault.

À l'approche de l'armée anglaise, les populations saisies d'effroi désertèrent la Brie et refluèrent vers la Champagne ; l'affluence des fuyards avec leurs femmes et leurs enfants était si grande que le conseil de la ville de Troyes fit fermer les portes de la ville, mais ordonna de distribuer aux fugitifs «du pain et du vin pour leur argent».

Au mois de mai, le conseil de Troyes décida d'envoyer des secours à Lagny, leva divers impôts pour solder les gens qui se rendraient au siège et expédia en toute diligence des hommes et des munitions sous les ordres du bailli. Dans les premiers jours de juillet, Lagny recevait de Troyes de la poudre et d'autres munitions. La ville n'était donc pas complètement investie aux premiers jours de juillet.

La place fut foudroyée par l'artillerie et les portes et murailles furent, en bien des endroits, abattues et démolies. À diverses reprises, sommés de se rendre, les assiégés, malgré «de grandes tribulations et meschefs», ne voulurent rien entendre et repoussèrent avec vigueur tous les assauts donnés à la place.

L'espérance d'un secours prochain soutenait leur courage. Ils avaient maintenu libre pour eux le passage de la rivière par un pont de bateaux dont l'accès sur chaque rive était défendu par un boulevert gardé par une petite garnison.

Comme les Anglais avaient aussi leur pont, les hostilités se poursuivaient sur les deux rives à la fois.

Cependant la position des assiégés devenait critique : les murailles étaient en ruines et les vivres commençaient à manquer ; dans la ville, on était «oppressé tout de famine comme d'autres mésaises».

Le roi, informé de l'extrémité où se trouvait la ville, rassembla six à huit cents combattants qui marchèrent au secours de Lagny sous les ordres des maréchaux de Boussac, des Raiz, du bâtard d'Orléans (Dunois), de Gaucourt, de Rodrigues de Villadrando, des deux Saintrailles, de la Hire, tous «gens de grand façon, vaillants hommes de guerre».

La petite armée alla d'Orléans à Melun où elle passa la Seine et s'avança vers Lagny, à travers la Brie, se grossissant de toutes les garnisons fidèles au roi. D'un autre côté, le conseil de la ville de Troyes, pressé par le roi qui lui demandait de nouveaux secours, avait décidé, le 12 juillet, d'envoyer à Lagny des armes, des grains et des munitions de guerre.

Il fit acheter à Châlons et aux environs des grains qui, à cause du peu de sûreté des routes, devaient être conduits à Lagny, par la Marne. «Le 17 partent de Troyes pour se rendre au secours des assiégés, douze bons arbalétriers et dix-huit bons couleuvreurs que les sixains ont équipés. On envoie avec eux six grosses arbalètes d'acier et des traits en grande quantité.»

«Chaque homme de guerre est payé 60 sous pour quinze jours, et chaque voiturier reçoit quatre livres.»

Le nombre des coulevrines, envoyées le 17 juillet par la ville de Troyes à Lagny, était de quarante-huit.

En arrivant devant Lagny, l'armée royale était forte de onze mille hommes, dont six mille étaient commandés par les différents chefs français et cinq mille routiers par Villadrando.

Il était temps ; les vivres étaient complètement épuisés et des négociations étaient entamées pour rendre la place. Faire lever le siège de Lagny n'était pas chose facile, «il s'agissait d'affronter dans son camp, défendu par dix mille hommes, le duc de Bedford, c'est-à-dire la science militaire personnifiée, l'homme dont le génie seul prolongeait la durée de la puissance anglaise sur le continent».

À la nouvelle du secours qui arrivait aux assiégés, Bedford fit en toute hâte arriver des renforts et envoya un défi aux commandants de l'armée française, leur demandant leur jour et leur heure pour la bataille. Ceux-ci répondirent qu'ils combattraient «à leur bel avantage et quand bon leur sembleroit». En effet leur intention n'était pas de livrer bataille, mais de ravitailler la place et ensuite de faire lever le siège sans combat.

Les Français s'avancèrent en bon ordre «sur une petite rivière qui est à environ un quart de lieue de la ville», le rû de Gondoire.

Bedford envoya contre eux quelques détachements, il en résulta de légères escarmouches tant à pied qu'à cheval.

La journée se passa ainsi sans que Bedford sortît de son camp retranché. La nuit venue, les Français campèrent près du champ de bataille, le long d'un petit bois non loin de Gouvernes.

À la suite des reconnaissances qu'ils venaient de faire, les Français, pendant la nuit, arrêtèrent le plan suivant : deux corps où se trouveraient placées «la cavalerie et toutes les nobles bannières» devaient simuler l'attaque des hauteurs, depuis Saint-Thibauld jusqu'au bois de Chigny, tandis que Saintrailles l'aîné et Rodrigue de Villadrando avec ses routiers et le gros de l'armée, contournant les coteaux de Saint-Thibauld, devaient, après avoir franchi le rû de Gondoire, s'avancer par la prairie et jeter dans la ville un convoi de vivres et un renfort à la garnison. Le lendemain ce plan est mis à exécution.

Aussitôt que Bedford a compris ce mouvement, il forme trois corps pour la défense de chaque point menacé, se porte lui-même avec ses cavaliers contre la cavalerie française et envoie contre Saintrailles et Villadrando, Villiers de l'Isle-Adam et l'enfant de Warwick. La bataille s'en- gage sur toute la ligne, mais le principal effort est dans la prairie sur le rû de Gondoire.

Là le combat fut une mêlée opiniâtre.

Longtemps on vit les deux partis gagner, perdre, ressaisir la rive opposée, et cela tous deux à la fois, ondoyant l'un sur l'autre, reculant ici, avançant là. Enfin l'effort des routiers l'emporta ; les Anglais culbutés et dispersés leur abandonnèrent la possession de la prairie, «où Rodrigue refit bien vite sa bataille pour courir aux lignes des assiégeants et les traverser.»

Mais pendant ce temps, les gardiens anglais des lignes de siège n'étaient pas restés inactifs ; prenant l'offensive contre les assiégés, ils venaient de s'emparer d'une redoute établie devant la porte par laquelle devait passer Villadrando. Cette porte, placée près de la rivière, à l'occident de la ville, ne pouvait être que la porte Vacheresse.

Les Anglais plantèrent même sur la redoute conquise la bannière de Bedford, signal de victoire, qui devait produire un grand effet sur les deux armées ; «mais guère n'y demeura». En effet les assiégés, ayant repris haleine, revinrent à la charge et attaquèrent de front les Anglais, pendant que les Français de l'armée de secours «vindrent hastivement par derrière», si bien que, pressés des deux côtés, les Anglais eurent «trop à faire».

Aussitôt la redoute reprise et l'ennemi mis en fuite, le terrain fut déblayé et le convoi commença à entrer dans la ville.

De la hauteur où il se trouvait placé, Bedford a vu la déroute des siens ; il s'élance, rallie les fuyards, entraîne avec lui tous les gardiens des retranchements et arrive avec ce renfort, «lorsque la plupart des charrettes accumulées à la tête du pont-levis attendaient l'une après l'autre et prenaient péniblement leur passage. Faire volteface, conduire la moitié de son monde à la rencontre de l'ennemi, jeter l'autre moitié dans un bastion en terre que venaient d'abandonner les assiégeants, tels furent les mouvements que Rodrigue conçut et exécuta avec une merveilleuse diligence.»

À ce moment, la bataille fut plus acharnée et plus meurtrière que jamais : au milieu de la poussière, à travers les ouvrages du siège, se tenant de part et d'autre, main à main, la pointe de l'épée sous la gorge, les combattants ne pouvaient se reconnaître ; le désordre fut à son comble, «car bien souvent on ne savoit qui estoit ung ne qui estoit autre, tant estoient mêlez les François et les Anglois, les ungz parmi les autres.» Mais la bastille en terre, abandonnée par l'ennemi, servait aux Français de guide, d'appui et d'ambulance ; les blessés s'y réfugiaient et, au même instant, il en sortait, pour les remplacer, un nombre égal de combattants, frais et bien disposés à la bataille. «Faute d'une semblable ressource, les Anglais s'épuisèrent sans gagner un pouce de terrain.»

En ce dimanche 10 août, fête de Saint-Laurent, au moment de la bataille, il s'éleva une chaleur telle qu'on n'en avait «grand temps avant ne veu ne sentie» ; les Anglais, il cause de leur habitude de combattre à pied, en souffrirent plus que les Français ; ils tombaient étouffés sous leur armure par la presse et par la chaleur. Enfin ils s'enfuirent en ce moment «bien en haste », en laissant plus de trois cents des leurs tués ou étouffés par la chaleur et la poussière.

Tous ces combats avaient duré «jusqu'assez près de vêpres». Les Anglais, sans être poursuivis et avec la plus fière contenance, se retirèrent alors dans le camp qu'ils avaient fortifié. Villadrando fit alors entrer dans la ville toutes les charrettes du convoi, il «bouta dedans de vingt à trente bœufs, aucune [sic] quantité de sacs de farine» et quatre-vingts combattants.

«Mais cette besogne ne fut pas faite sans grande effusion de sang, car de tous côtés y eut plusieurs morts et navrés» ; parmi les capitaines qui périrent, du côté des Français se trouvait Saintrailles l'aîné, frère du fameux Poton. Du côté sud la bataille n'avait pas été moins acharnée ; parmi les ennemis, Thomas Keriel, d'Aumont et de Vaudray Jirent «maints hauts faits d'armes et vaillantises» et du côté des Français «s'y gouvernèrent grandement et vaillamment Poton et la Hire».

En cette journée Bedford fut «tellement féru du soleil qu'il en fut malade, car il estoit sanguin, gros et replet.»

Après le ravitaillement de la ville, Rodrigue avait rejoint les deux autres corps de l'armée qui alla camper au même lieu que la veille, près de Gouvernes, où elle se reposa trois jours.

Le combat de la porte Vacheresse a donné aux Laniaques une gloire éclatante, on en parla longtemps dans le pays, mais ce souvenir est aujourd'hui bien oublié, la porte Vacheresse a disparu depuis longtemps et en ces derniers temps, la rue Vacheresse, aussi vieille que la ville, a perdu son nom célèbre. En effaçant ces patriotiques souvenirs, il semblerait que les enfants, oublieux du culte des aïeux, aient voulu anéantir tout ce qui rappelait les hauts faits de leurs ancêtres.

Nous en appelons à nos neveux qui, un jour, en rendant à notre vieille rue son nom célèbre, voudront réparer une telle ingratitude et une telle injustice (
1).

Le temps s'était mis contre les Anglais : pendant le mois de juillet, il avait plu vingt-quatre jours de suite et au mois d'août la chaleur fut telle qu'elle brûlait toutes les vignes en verjus et enfin «le malheur comme fortune, quand elle commence à nuire, elle fait de mal en pis», la nuit du lundi au mardi après le jour de la bataille, «la rivière de Marne desriva par telle manière qu'elle crût cette nuit de quatre pieds de haut.»

Après le ravitaillement de Lagny, qui valait pour eux le gain d'une bataille, les Français, au lieu d'attaquer Bedford dans son camp retranché, allèrent passer la Marne à Château-Thierry et s'avancèrent sur Paris par la rive droite de cette rivière. C'était le moyen le plus sûr de dégager Lagny. En effet, à cette nouvelle, Bedford qui ne craignait rien tant que de voir Paris menacé fit lever le siège si précipitamment pour porter secours à Paris que les Anglais «laissèrent leurs canons et leurs viandes toutes prestes à manger, et grande foison de queues de vin dont on avoit si grande disette à Paris, et de pain par cas pareil.»

Le siège fut levé le 20 août, jour de saint Bernard.

Les gens de Bedford s'en allèrent les uns par la France, les autres par la Brie, en très grand désarroi, mais les assiégés s'élancèrent à leur poursuite, firent quelques prisonniers et prirent plusieurs chevaux.

Gaucourt, qui avait conduit cette expédition avec une décision et une habileté peu ordinaires à cette époque, revint à Lagny où il resta pendant que les autres capitaines, après avoir pris leur part du butin fait devant Lagny, retournaient à leurs commandements.

Le siège avait duré environ quatre mois, suivant Monstrelet, six mois d'après Jean Chartier, pendant lesquels les habitants n'avaient reçu ni vivres ni secours. Aussi la joie fut-elle grande dans la place ; l'abondance vint remplacer la disette, et le succès augmenta l'audace des soldats de la garnison.

Paris fut bloqué à son tour, la crainte y était si grande «pour ce que le siège de Lagny fut levé si honteusement, que on n'osoit yssir (sortir) de Paris». La disette y fut telle que le samedi suivant la levée du siège de Lagny le setier monta de seize sols parisis. «Gens à ce cognoissants, juroint et affirmoient que bien ce siège avait cousté plus de cent cinquante mille saluts d'or (2).» Le siège de Lagny avait donc coûté aux Anglais près de neuf millions de francs de nos jours.

À la nouvelle de l'approche de l'armée anglaise, l'abbé avait envoyé dans sa maison de refuge de Paris la plupart de ses religieux qui emportèrent avec eux les principales pièces du trésor et du chartrier. La précaution était sage, car le reste des archives fut fort endommagé ainsi que les reliques. L'abbé resta avec les habitants et partagea leurs souffrances.

Pendant ces sièges successifs, la ville perdit une grande partie de son étendue et de ses habitants.

Serment des curés. — Depuis déjà longtemps, les cures des paroisses de la ville avaient été cédées à des ecclésiastiques séculiers sous de certaines conditions. Ces conditions sont énoncées dans une formule du serment prononcé le 23 août 1432 par le curé de Saint-Fursy, et, le 10 janvier 1433, par le curé de Saint-Paul.

Ils juraient d'être fidèles à l'abbé et à ses successeurs, ils s'engageaient, convenablement invités, à paraître aux processions générales et à assister aux vêpres et aux messes de l'abbaye, à ne pas faire sonner les vêpres dans leur église et les jours de fête avant que les religieux n'aient sonné ; à ne pas paraître en un lieu où il se ferait quelque chose de préjudiciable aux religieux et si se produisait ce cas l'empêcher ou en avertir ceux-ci ; enfin à prendre leur parti et leur venir en aide, en toutes choses.

Une épidémie, apportée de Paris à Lagny, décima la population, depuis le mois de mars 1433 jusqu'à l'année suivante.

Enfin, l'hiver de 1433 à 1434 mit le comble aux autres maux. La gelée commença le dernier jour de décembre et ne cessa qu'à Pâques ; il neigea nuit et jour pendant quarante jours consécutifs ; dans le tronc d'un seul arbre de la vallée de Gouvernes, on trouva cent quarante oiseaux morts de froid.

Le mois d'avril se passa sans pluie, mais, le 28 de ce mois, toutes les vignes furent gelées et, après ce désastre, une nuée de hannetons et de chenilles vint dévaster tous les arbres fruitiers ; «et estoient les pommiers et les pruniers sans feuilles comme à Noël».

La guerre était en ce moment plus furieuse que jamais ; les soldats n'avaient d'autre paye que le pillage ; «ceux qui se disaient Français comme de Lagny, couraient tous les jours jusqu'aux portes de Paris, pillaient, tuaient les hommes», et cela parce qu'ils n'avaient autre chose que ce qu'ils se procuraient «en tuant, en prenant hommes de tous états, femmes et enfants.»

Le connétable de Richemond, avec quatre cents lances, passa en 1433 par Lagny pour aller tenir tête à Talbot qui était alors à Verberie.

Notre-Dame des Aydans. — Notre pays était alors plus malheureux que jamais, les Anglais tenaient la ville dans une espèce de blocus continuel ; les mercenaires licenciés s'étaient organisés en compagnie dite des Écorcheurs, à cause de leur habitude de dépouiller leurs victimes jusqu'au dernier vêtement, et ravageaient tout le pays ; les foires étaient anéanties ; les revenus de la ville et de l'abbaye étaient nuls ; les charges étaient de plus en plus lourdes ; et la misère croissait tous les jours.

Dans leur détresse, les Laniaques, mus par un sentiment religieux, s'adressèrent à la sainte Vierge qui, suivant la croyance populaire, les avait autrefois délivrés du mal des Ardents. Ils éprouvèrent bientôt, dit dom Chaugy, les effets de sa protection, car les Anglais, «qui ne semblaient avoir ni envie, ni raison de décamper, prirent tout d'un coup la résolution de vider le pays et se retirèrent à Meaux.»

Les bourgeois de Lagny, en mémoire et en reconnaissance de leur délivrance, firent vœu d'établir une lampe ardente devant la chapelle de la Vierge. Cette lampe brûla jusqu'au milieu du XVIIe siècle.

Au lieu de Notre-Dame des Ardents, le nom et l'image de la Vierge furent appelés Notre-Dame des Aydans ou de Bon-Secours. On avait grande confiance en elle, on lui marquait sa dévotion par des messes, des neuvaines, des cierges que l'on faisait brûler devant sa chapelle.

«On la voyait tout entourée de têtes, de cœurs, de bras, de jambes, mamelles de cire, selon les membres affligés dont on avait demandé ou obtenu la guérison.»

Paris qui manquait de tout, parce que Corbeil, Lagny et Poissy étaient au roi de France, s'impatientait de supporter le joug anglais.

Le moment d'agir était arrivé. Le connétable de Richemond vint à Lagny le jour de Pâques fleuries 1435, il prit avec lui la garnison dont le capitaine était Jean Foucault, manda toutes les garnisons de Champagne et de Brie, traversa l'Île-de-France, battit les Anglais à Saint-Denis où se distingua Jean Foucault et, quinze jours après, donna l'assaut à Paris qui fut emporté.

Malgré la prise de Paris, les hostilités continuaient.

Une place nommée Beauvoir, à quatre lieues de Meaux, était occupée par les Anglais.

Richemond envoya quelques troupes qui vinrent coucher à Lagny, d'où la garnison et Jean Foucault partirent avec elles et se dirigèrent sur Beauvoir. L'assaut fut donné et, le lendemain, la place capitula.

Desolation. — Pendant l'hiver de 1437 à 1438, une effroyable famine désola la France.

Le pays de Lagny offrait l'image de la plus épouvantable désolation : la terre était inculte ; les arbres et le bétail détruits ; le commerce nul, le pays dépeuplé ; des bandes de soldats mal payés disputaient aux rares habitants leur misérable nourriture ; des troupes de loups «pénétraient dans les maisons et dévoraient tous ceux qu'ils rencontraient».

Le monastère, où quelques religieux étaient restés, n'avait plus de clôture, et les moines étaient exposés à tous les dangers.

La peste vint se joindre à tant de maux, elle désola le pays pendant l'été et l'automne de 1438, on ne pouvait suffire à ensevelir les morts ; à Paris il mourut plus de cinquante mille personnes.

Richemond vint encore à Lagny en 1438, d'où «il réconforta ceux de Paris qui murmuroient fort et mit bonne garnison à Saint-Denys.»

Meaux était redevenu français, l'ennemi s'éloignait toujours, la sécurité allait renaître. Mais que de ruines !

Dépeuplée d'habitants, réduite de moitié, privée à tout jamais de ses foires, notre ville payait cher la gloire qu'elle s'était acquise pendant la guerre de l'indépendance.

Cette gloire était pourtant bien grande.

Lagny avait supporté victorieusement d'innombrables assauts, trois sièges en règle, et pendant un blocus de dix années, livré chaque jour bataille à l'Anglais.

Aussi nous pouvons le dire avec une légitime fierté : peu de villes firent autant, nulle ne fit davantage.

Droits. — Les droits établis sur les marchandises venant par la Marne en destination de Meaux, Lagny, etc., étaient si excessifs que le commerce par la rivière était en danger d'être abandonné.

Charles VII, par lettres du 26 octobre, abaissa ces droits et fixa à douze sous parisis les droits sur la queue de vin et sur le muid de froment apportés à Lagny ou à Meaux ; à douze deniers parisis le droit sur le muid de seigle et de méteil ; et à huit deniers parisis, les droits sur la caque de harengs, sur le muid d'avoine, orge, fèves et pois.

Guillaume de Conty qui, dans les plus cruelles épreuves, s'était toujours trouvé à la hauteur des événements, venait de mourir.

Philippe Charpentier, quarante-deuxième abbé. — Philippe Charpentier lui avait succédé en 1443 comme quarante-deuxième abbé.

Cet habile administrateur ne négligea rien, tant au spirituel qu'au temporel. Grâce aux matériaux qu'il a pour ainsi dire taillés, Vincelot, notaire et procureur fiscal à Lagny, composa le grand Cartulaire qu'il acheva en 1530.

Cabale. — En ce temps, s'éleva une de ces petites cabales si misérables et si amusantes pour l'observateur.

L'abbé avait le privilège de faire prêcher dans l'église Saint-Pierre ; tout sermon était interdit dans les autres églises pendant cette prédication, et les curés des autres paroisses y perdaient quelques avantages. Ils résolurent de forcer l'abbé à les faire participer à son droit ; d'accord avec les esprits remuants, envieux et malveillants, ils organisèrent un petit complot. Un dimanche, pendant le sermon, les cloches des trois paroisses se mirent à sonner à toute volée et avec tant d'entrain et de violence que, dit dom Chaugy, «le bruit des cloches ne permettait pas au prédicateur de se faire entendre avec la voix la plus forte.»

Grand émoi et grand scandale, mais aussi prompte résolution du sage abbé ; il accorda immédiatement aux curés ce qu'ils demandaient, se réservant les sermons des dimanches et fêtes de l'Avent et du Carême.

Pour assurer aux habitants le repos des nuits, l'abbé fit défense, sous peine de prison pour le délinquant, de sonner en ville, de sept heures du soir en hiver et de huit heures en été, jusqu'à cinq heures du matin, à l'exception des jours de fêtes solennelles, des cas d'orage, d'incendie et du moment où le saint sacrement était porté aux malades.

Depuis lors, tous les soirs à sept heures en hiver et à huit heures en été, on sonna à l'abbaye et l'on y sonnait encore, du temps de dom Chaugy, une grosse cloche qui, pour cette raison, fut appelée la Retraite.

Sentences. — De 1436 à 1441, nous avons deux jugements du bailli de Lagny condamnant à l'amende deux gentilshommes pour contravention et infraction aux ordonnances de police. L'un avait donné à un marchand de grains, l'autre à un boucher, un soufflet, des coups de poing et fait des blessures.

L'amende fut fixée à soixante livres tournois envers le seigneur temporel.

En 1445, un gentilhomme qui avait blessé de son épée un autre gentilhomme fut également condamné à une amende de soixante livres tournois envers le seigneur temporel.

Ainsi il y avait déjà égalité dans la peine ; le sang du vilain était fixé au même prix que le sang du gentilhomme et le noble ne pouvait plus se livrer impunément à des voies de fait envers un roturier. Il n'est pas encore question de dommages accordés à la partie lésée, l'amende est encore perçue par le seigneur temporel, mais la féodalité baissait évidemment ; Louis XI n'allait pas tarder à venir.

Les archers. — Charles VII rétablit la milice des archers, depuis longtemps négligée.

L'archer devait s'exercer au tir de l'arc les jours fériés, être bien armé d'arc, de flèches, de dague ou d'épée, et être toujours prêt à entrer en campagne. La solde des archers fut fixée à quatre francs par mois, pendant la durée de leur service actif; pendant leur disponibilité, ils étaient exempts de toutes tailles et autres charges, à l'exception des aides de guerre et du droit de gabelle. De là, leur nom de francs archers, puis plus tard, à cause de leurs franchises qui étaient celles des nobles, ils prirent le nom de Chevaliers du noble jeu de l'arc.

Lagny, ayant quatre paroisses, devait fournir quatre archers qui, joints aux seize arbalétriers, formaient un contingent de vingt hommes toujours prêts à entrer en campagne.

Lagny eut trois compagnies, archers, arbalétriers et arquebusiers, elles existèrent simultanément jusque vers 1750 où les arbalétriers cessèrent de se réunir. Depuis Lagny ne posséda plus que des archers et des arquebusiers.

Les Faulx Visages. — La trêve, conclue avec les Anglais en 1443, s'était prolongée jusqu'en 1448, mais cette trêve n'avait été qu'une suite de violences où les armées ne combattaient pas les unes contre les autres, mais où les adversaires, réunis en compagnies, dévastaient le territoire ennemi et s'y livraient à tous les excès de la guerre.

«... Les Français de Mante, Vernœul et Laigny allaient sur les chemins de Orléans et de Paris desrobber et copper (couper) les gorges aulx bonnes gens et marchands qui passoient leur chemin et le semblable foisoient les Anglais de Neuf-Chastel, de Gournay, de Gerberoy sur les chemins de Paris et Amiens.» Ces bandits qui allaient, jusqu'en leur lit, couper la gorge des gentilshommes fidèles au roi, portaient un déguisement pour n'être pas reconnus, d'où ils reçurent le nom de Faulx visages.

Charles VII déploya la plus grande activité pour l'expulsion des Anglais ; en 1450, il leur enlevait la Normandie, et en 1453, la Guyenne.

Calais fut la seule place qui restât alors au pouvoir des Anglais sur le sol français ; ils la conservèrent encore plus d'un siècle.

Ainsi finit la guerre de Cent Ans, si ruineuse pour la France et l'Angleterre. L'avocat du monastère recevait comme traitement annuel 12 livres 11 deniers de cens et les chapons que l'abbé devait à l'abbaye pour ses héritages de Vanves.

En 1460, la Marne subit une crue extraordinaire : en une seule nuit, elle monta «de la hauteur d'un homme», et se répandit dans les plaines jusqu'à Claye où elle détruisit, en grande partie, une maison appartenant à l'évêque de Meaux.

La rupture du pont avait été la cause d'un procès entre l'abbé et le baron de Montjay. Chacune des parties voulait empêcher l'autre de planter des pieux sur son rivage pour le service des bacs.

Pierre d'Orgemont, devenu seigneur de Montjay en 1460, proposa un accommodement qui fut accepté par l'abbé. Chacun était maître sur son bord comme autrefois et pouvait planter des fiches et des pieux pour le service des bacs, à la condition que les passagers de Montjay devraient payer deux sols parisis à l'église de Lagny.

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[Notes de bas de page.]

1.  La rue Vacheresse, en perdant son nom, a reçu le nom d'un homme qui n'était pas né à Lagny, mais qui était un homme en vue de la troisième République.

2.  Le salut d'or équivalait comme titre à 12 ou 13 francs de notre monnaie, comme pouvoir, il représentait 60 francs de nos jours.


CHAPITRE 8 : DE 1465 À 1589.

La Ligue du bien public. — La grande lutte de la royauté contre la féodalité fut, en 1465, entamée par Louis XI. Les seigneurs sentant le danger formèrent une Ligue, dite Ligue du bien public, et s'engagèrent tous à marcher sur Paris. Ils n'osèrent attaquer la ville, mais ils firent occuper tout le pays environnant. Partout, et particulièrement à Lagny, sous prétexte de bien public ils abolirent les aides, brûlèrent les registres et firent vendre le sel sans gabelle.

Nous croyons que l'abbé fut plus pour la Ligue que pour le roi.

Louis XI ayant quitté Paris, les alliés s'en rapprochèrent et, de Provins, vinrent à Lagny le jour de la mi-août. Le comte de Charolais, plus tard Charles le Téméraire, fit occuper les ponts de Saint-Cloud et de Lagny.

Pendant les négociations qui devaient aboutir au traité de Conflans, les alliés ne manquèrent de rien ; ils trouvèrent à Lagny des vivres en abondance.

Police des rues. — Nous avons vu plus haut que nul ne pouvait construire sur la voie publique, sans avoir obtenu un alignement. Une sentence, du 15 janvier 1477, nous apprend encore que nul ne pouvait démolir, faire des réparations, poser des étais sur la voie publique ou toucher à cette voie sans la permission du procureur de l'abbaye.

Louis XI. — Pendant un séjour qu'il fit à Lagny, Louis XI donna plusieurs lettres patentes. Dans une de des lettres, en date du 21 juin 1468, il décharge, à tout jamais, l'église de Lagny des deux cents livres qu'elle levait annuellement au roi, pour droit de garde et droit le gîte.

Dans cette lettre, Louis XI dit qu'il était à Lagny pour la première fois depuis son avènement à la couronne.

En revenant à Paris au mois d'octobre, le roi à son passage à Lagny visita le monastère et l'église. Ayant aperçu la croisée (transept) dont la construction était inachevée, et deux colonnes isolées qui semblaient n'appartenir à aucun édifice, le roi, dont la curiosité était éveillée, s'avança pour examiner ce que ce pouvait être. Il admira l'œuvre commencée et témoigna la satisfaction qu'il aurait de voir l'achèvement d'un si bel édifice.

L'instant était propice pour faire appel à la munificence royale, et l'abbé allait saisir une si belle occasion, lorsque le roi reçut dans l'instant un courrier chargé de quelques avis secrets qui le déterminèrent à partir pour Meaux et de là pour Péronne.

Suivant dom Chaugy, Louis XI passa de nouveau à Lagny au mois de juin 1469 et l'abbé en obtint quelques libéralités en faveur de son église.

Procès Daniel. — Un tailleur nommé Daniel avait méconnu les droits de banvin des moines, avait frappé un religieux, mis en fuite le sergent de l'abbaye et provoqué une petite rébellion. De là un long procès de six années. Le procureur de l'abbé concluait entre autre choses que le délinquant fût condamné: A faire amende honorable aux religieux, dans le parquet de l'audience de Lagny, en chemise, nu-tête, à genoux, tenant en main une torche de six livres, disant que malicieusement il avait entrepris contre les droits des religieux et avait commis des forfaits dont il se repentait en criant : Merci à Dieu ; à entendre, tous les jours de sa vie, la messe à la confrérie de la sainte Vierge, tenant dans les mains une torche de trois livres qu'il laisserait à la fabrique de l'église, et à faire élever, à ses dépens, deux figures en pierre de taille, l'une dans la place publique et l'autre proche le pont, où les religieux avaient été outragés. Chaque figure devait représenter la personne du délinquant, à genoux, en chemise, nu-tête, tenant une torche à la main, avec une inscription en bas indiquant son nom et son crime.

Après un appel au Parlement, Daniel, depuis longtemps détenu, reconnut le droit des religieux et leur demanda la remise des frais énormes causés par ce procès. Sa demande lui fut accordée.

Il est à remarquer que les conclusions si bizarres du procureur de l'abbé avaient été rejetées par les différentes juridictions ; que Daniel ne fut jamais condamné pour sa rébellion qu'à une amende pécuniaire.

Les arbalétriers. — Au mois de février 1470, Louis XI, alors à Noyon, confirma par lettres patentes les privilèges accordés en 1367, par Charles V, aux arbalétriers de Lagny.

On ignore la date de la mort de l'abbé Philippe.

Jean V, quarante-troisième abbé. — Suivant le Gallia Christiana, ce fut Jean V qui lui succéda comme quarante-troisième abbé.

Officiers élus. — Suivant dom Chaugy, un événement d'une grande importance pour la ville se serait passé sous l'administration de Jean. Il aurait fait nommer «par élection un procureur ou un receveur de ville et deux gouverneurs ; c'est à ces officiers qu'ont succédé les maires et les échevins.»

La batellerie. — La batellerie était alors une des industries de ce pays. Le 28 octobre 1476, le prieur de Saint-Thibauld abandonnait à Edme Verat tous les rivages et dos d'âne placés entre les prés et la rivière et tenant au port des Garnisons. Ce port était peut-être le port au Bois actuel.

Les artisans. — Louis XI, voulant peupler les villes et cités franches de marchands et d'hommes de tous états et professions, en rassembla un certain nombre pour être distribués dans ces villes ; mais la répartition fut mal faite, certaines villes n'eurent pas assez, d'autres trop l'artisans. Il en résulta des plaintes. Ces artisans s'éloignèrent et laissèrent ainsi tomber en ruines les maisons où on les avait placés.

Le roi, pour réparer ces maisons et secourir les gens de métier, ordonna d'imposer «les manans et habitants de sa bonne ville de Paris et faux bourgs de Paris, et des villes et faux bourgs de Corbeil et de Lagny-sur-Marne, de la somme de deux mille cinq cent livres.»

L'hiver de 1481. — L'hiver de 1481 fut un des plus rudes qu'on eût jamais vus en notre pays. La gelée ne prit que le lendemain de Noël, mais elle dura jusqu'au 8 février. Les voitures passaient sur la Marne, qui resta gelée pendant six semaines, comme sur la terre ferme. Au dégel, le pont de Lagny fut emporté. Les vignes et les blés furent gelés, ce qui causa une famine dont notre ville se ressentit vivement.

Louis XI mourut en 1482. Ce roi, qui s'habillait pauvrement et s'entourait de petites gens, qui prenait un laquais pour héraut, et appelait le prévôt Tristan son compère, avait abattu la maison de Bourgogne et porté un rude coup à la féodalité, mais tout le bien qu'il fit ne put effacer le souvenir de son odieux caractère.

Halle à Paris. — Au XVe siècle, les rapports commerciaux de Lagny avec Paris étaient continuels, et la ville de Paris avait concédé une halle aux marchands de Lagny.

Dans un compte de l'ordinaire de Paris de 1484, article du hallage, on lit : «Des habitants et drapiers de la ville de Lagny-sur-Marne, pour leur halle appelée la halle de Lagny, assise ès-halles de Paris, au bout de la halle Saint-Denis...»

On voit que la draperie était toujours l'un des principaux commerces de Lagny.

Abbés commendataires. — Un événement des plus fâcheux pour la ville et le monastère se produisit en 1485. Les abbés devinrent abbés commendataires, c'est-à-dire des abbés séculiers, nommés arbitrairement par le pape ou par le roi, sans consulter les religieux, à un bénéfice régulier dont ils avaient la jouissance leur vie durant, et cela sans être astreints à y résider. Aussi la plupart du temps, l'abbé commendataire ne s'occupait-il pas de l'administration du monastère dont il laissait le soin à un prieur.

Souvent bien en cour et pourvu de plusieurs bénéfices, il ne quittait pas la personne du roi ; quelquefois intrigant et peu scrupuleux, il ne devait ses bénéfices qu'à la faveur ou au calcul politique, — puisque Lagny posséda plusieurs abbés huguenots — mais jamais il ne négligeait de toucher scrupuleusement les revenus de son bénéfice.

Urbain de Fiesque, quarante-quatrième abbé. — Le premier abbé commendataire de Lagny fut Urbain de Fiesque qui, en 1485, succéda à Jean V comme quarante-quatrième abbé.

D'une illustre famille originaire de Gênes, Urbain était évêque de Fréjus lorsqu'il fut nommé au siège de Lagny.

Église Saint-Laurent. — Urbain, avec le consentement des religieux, céda, à la paroisse de Saint-Denis-du-Port, la paroisse de Saint-Laurent, située hors des murs de la ville. Cette paroisse existait déjà au XIIIe siècle, puisque, d'après le pouillé parisien de cette époque, elle est placée parmi celles dont l'abbé de Lagny nommait le curé.

L'église de Saint-Laurent, bâtie sur le plateau, se trouvait à peu près à mi-chemin entre l'abbaye de Lagny et la ferme de Deuil.

Règlement de justice. — Pour mettre fin aux contestations incessantes soulevées au sujet des appels immédiats de la prévôté de Lagny à celle de Meaux, Urbain obtint, en 1488, du Parlement de Paris le règlement suivant :

1° Quand le procureur fiscal de Lagny requerrait le renvoi de ces sortes d'appellations devant le bailli de Lagny, le bailli de Meaux devrait les renvoyer, excepté dans les causes où il s'agirait d'attentats contre les officiers du roi ; 2° le bailli de Meaux retiendrait et jugerait tous les appels interjetés du bailli de Lagny à son tribunal ; 3° les appels interjetés du bailli à la noble Assise (
1) de la même ville seraient terminés ; 4° les religieux seraient tenus de faire assembler la noble Assise, de deux ans en deux ans au plus tard, autrement le bailli de Meaux évoquerait à lui les causes qui y seraient pendantes ; 5° les appels interjetés de cette noble Assise au bailli de Meaux seraient relevés par devant lui, de même que tous les appels interjetés par des criminels dont les crimes requerraient prison et punition corporelle.

Cette ordonnance subordonnait le bailli de Meaux à celui de Lagny et la noble Assise de Lagny au bailli de Meaux.

Pierre IV, quarante-cinquième abbé. — Nous ignorons en quelle année mourut Urbain de Fiesque mais, en 1495, Pierre IV lui avait succédé comme quarante-cinquième abbé.

L'église de Lagny abandonna, le 4 mai 1498, à Jehan le Dangereulx, meunier à Lagny, le moulin à blé «appelé d'ancienneté le moulin de la Gourdayne» avec la petite île, les gors, les pêcheries et toutes les dépendances de ce moulin qui lui appartenaient «à cause de la crosse d'icelle» aux conditions suivantes :

Le preneur s'engage il faire construire, à la Gourdayne ou ailleurs, un ou plusieurs moulins à drap, à blé ou à huile, mais principalement et d'abord un moulin à drap qui devra fonctionner de la Saint-Jean- Baptiste prochaine en un an. De plus il payera annuellement et perpétuellement en outre de six deniers tournois de menu cens, une rente de soixante-dix livres tournois (7,000 francs de nos jours).

Il résulte de cet acte que la fabrication du drap était une des grandes préoccupations des religieux.

Auger de Brie, quarante-sixième abbé. — Auger de Brie succéda, en 1501, à Pierre IV comme quarante-sixième abbé.

Il fut, malgré son absence presque continuelle, très jaloux des prérogatives et privilèges de l'abbaye.

Lettres de maîtrise. — L'abbé, par un vieux privilège alors oublié, avait le droit, à titre de joyeux avènement, de donner, dans chaque métier, des lettres de maîtrise à un sujet de son choix, lettres qui dispensaient le titulaire de tous frais et de tout apprentissage.

Auger donna des lettres de maîtrise à un boucher de son choix.

Les bouchers au nombre de onze, ignorant le privilège de l'abbé, lui contestèrent son droit.

L'affaire fut plaidée et les bouchers perdirent leur procès à Lagny et à Meaux.

Nous apprenons par ce procès qu'il y avait alors douze bouchers à Lagny ; il faut en conclure que la population était encore considérable, bien que nulle part nous ne trouvions d'indications à ce sujet.

Foires. — Les Laniaques, pour ramener la vie et la prospérité dans leur ville, avaient obtenu l'octroi de deux foires, l'une quatre jours avant la Saint-Martin d'hiver et l'autre quatre jours avant la mi-mai.

Les Meldois réussirent, en 1502, à empêcher l'établissement de ces foires.

L'abbé Auger étant mort à Rome, le 3 octobre 1503, les religieux avaient nommé abbé, Jean Basile, leur prieur. Mais René de Brie, neveu du dernier abbé et ancien religieux de Lagny, produisit des lettres de Rome qui lui conféraient le bénéfice de Lagny et dom Basile se retira. L'évêque de Paris prétendit de son côté avoir le droit de nommer l'abbé, mais encore une fois sa prétention fut repoussée et René de Brie resta le quarante-septième abbé.

René de Brie, quarante-septième abbé. — Ainsi le pape nommait l'abbé, le chapitre de Lagny et l'évêque de Paris revendiquaient ce droit, et bientôt les rois vont s'arroger ce même droit et l'exercer.

René de Brie, protonotaire du pape comme son oncle, était un homme vain, rusé, artificieux. Il fut le premier abbé qui, dans les actes publics comme dans les actes particuliers, prit le titre de comte de Lagny et il en porta sans doute la couronne, un cercle d'or sommé (surmonté) de seize grosses perles.

L'administration de René fut déplorable à tous égards et, suivant la parole de dom Chaugy, «il vérifia le proverbe qui dit qu'il n'est pas de pire abbé que celui qui a été moine.»

Il laissa tomber en ruines l'abbaye et l'église, et par son exemple, il introduisit dans l'abbaye le désordre et le relâchement de la discipline. Le scandale fut si grand «que le 15 janvier 1509, un arrêt fut rendu au Parlement pour la réforme du monastère».

Robert Gobin. — Ces désordres avaient pour témoin un homme éclairé, avocat en cour d'église, licencié en droit canon, Robert Gobin, alors doyen de chrétienté de Lagny.

Dans un livre mêlé de vers et de prose intitulé : Le Doctrinal moral ou les Loups ravissants (2), imprimé à Paris en 1509, Gobin flagelle toutes ces turpitudes et attaque les abus de l'Eglise et tous ceux de son temps.

Son livre — a dit Lacroix du Maine, le fameux bibliographe du XVIe siècle, — est «le plus hardy pour parler en toute liberté des ecclésiastiques que nous ayons encore vu escrit, par un homme de sa profession.»

Cette satire, cette œuvre bizarre où l'auteur parle en vers et en prose, en français et en latin, orne son texte de dessins à la plume et agrémente son sujet de plusieurs acrostiches, dut faire grand bruit au XVIe siècle et attirer bien des haines au doyen de chrétienté de Lagny.

Gobin fit encore imprimer en 1556 une Confession générale en rimes, ayant pour titre l'Advertissement de conscience.

Malgré nos recherches nous n'avons pu nous procurer ce livre (3).

Nous ne savons rien de la vie ni de la mort de Robert Gobin qui fut cependant une des célébrités de notre pays.

Guillaume de Castelneau, quarante-huitième abbé. — Guillaume de Castelneau succéda, en 1512, à René de Brie, de triste mémoire.

Fils de Castelneau de Clermont-Lodève, il devint archevêque de Narbonne, puis d'Auch ; il fut nommé cardinal par le pape Jules II et est resté connu sous le nom de cardinal de Clermont. Guillaume dut son élévation à son mérite personnel. Après sa nomination par le roi à l'abbaye de Lagny, il fut charmé de la situation agréable de cette ville et résida souvent dans son palais abbatial qui ne fut pas démoli avant le commencement du XVIIe siècle. Il fit faire les réparations les plus pressantes de l'abbaye et de l'église «qui était en si mauvais état qu'on n'osait presque plus y célébrer l'office divin».

Le Cartulaire. — Nicolas Vincelot, notaire royal et tabellion à Lagny, acheva, en 1513, le grand Cartulaire de l'abbaye Saint-Pierre de Lagny, qui est le recueil des chartes, bulles, lettres, concernant les immunités, prérogatives, privilèges, droits et la propriété des biens de cette abbaye.

Vincelot dédia son œuvre au cardinal de Clermont comme seigneur de Lagny.

Ce Cartulaire, aujourd'hui à la Bibliothèque nationale, est inscrit sous le numéro 9902 du fonds latin.

L'abbesse de Chelles obtint du roi l'octroi de deux foires et de deux jours de marché par semaine, malgré les réclamations de notre abbé.

Voyant ses efforts inutiles pour ramener les religieux à l'observation de la règle, Guillaume arriva à son but en faisant venir, en 1516, des religieux de Chezal-Benoît dont les exemples obligèrent les anciens moines à se retirer.

L'église Saint-Paul. — Guillaume prenait plaisir à poursuivre l'ouvrage de Pierre de la Crique. Il fit bâtir ou plutôt rebâtir à ses dépens l'église de Saint-Paul, troisième paroisse de la ville qui probablement fut, dans l'origine, celle des domestiques de l'abbaye.

Cette église, d'abord grande chapelle à l'usage des comtes de Champagne, fut donnée par ceux-ci aux religieux qui y dispensaient l'instruction à leurs domestiques, alors au nombre de vingt-sept, et enfin elle fut choisie par les abbés pour être leur chapelle particulière.

Cette église était bâtie dans le style François Ier, c'était «un mélange d'architecture romane, sans gothique». La tour de Saint-Paul était «de toute la ville celle qui figurait le mieux». La sonnerie en était très belle.

Dans les limites de la paroisse Saint-Paul, il existait vers 1535 une chapelle dédiée à sainte Barbe.

L'église Saint-Paul fut vendue, après la Révolution, à Pépin, boulanger à Lagny, qui la rendit au culte, mais elle fut fermée en 1793, lors de la réunion de toutes les paroisses de la ville en une seule, puis démolie avec la tour.

Revenus de l'abbaye. — Guillaume, ayant négligé de faire aux commissaires royaux la déclaration des biens de l'abbaye, ceux-ci firent saisir le temporel du monastère.

Pour obtenir la mainlevée de cette saisie, l'abbé fit faire une déclaration établissant que le revenu fixe de l'abbaye était de mille quatre-vingt-trois livres, plus le revenu éventuel et l'énumération des propriétés sans revenu et le revenu en grains qui s'élevait à quarante muids cinq setiers (4).

Guillaume, envoyé près du pape, abdiqua l'abbaye en 1520 et mourut en 1540 à Avignon où il fut enterré.

Jérôme de Louviers, quarante-neuvième abbé. — Jérôme de Louviers succéda à Guillaume en 1520, comme quarante-neuvième abbé.

Ce jeune clerc, attaché à la Cour, jouit pendant cinq ans du titre d'abbé de Lagny, sans paraître au monastère.

Peste. — François Ier eut, en 1522, l'intention de se transporter au monastère de Lagny avec son parlement pour éviter la peste qui sévissait à Paris, mais il renonça à ce projet sur l'avis de l'abbé Jérôme, alors à la Cour, qui l'informa que Lagny était également sous le coup du fléau.

Gelée. — L'hiver de 1524 fut des plus rigoureux, la gelée fit périr les blés et les légumes ; au printemps il fallut ensemencer de nouveau, de sorte que, à la mi-août les blés étaient encore en fleur. Les Laniaques eurent fort à souffrir de la cherté des vivres, mais la charité et le dévouement des nouveaux religieux leur apportèrent un grand soulagement pendant la peste et la famine.

L'abbé Jérôme étant mort vers la fin de l'année 1526, les religieux obtinrent du roi le droit d'élire un abbé et malgré la résistance de l'évêque de Paris, ils nommèrent Jacques Aubry qui fut le cinquantième abbé.

Le roi, pour fixer l'impôt, obligea toutes personnes à faire la déclaration de leurs fiefs et arrière-fiefs. Dans les déclarations des fiefs du comte de Lagny, nous comptons trente-sept fiefs dont il est donné quelquefois la valeur le revenu et le prix du fermage des terres (5).

Par un traité conclu entre Henry VIII, roi d'Angleterre, et l'empereur Charles-Quint, ces deux princes s'étaient engagés à envahir la France.

Quand on apprit que les coureurs impériaux galopaient jusqu'aux portes de Meaux, une terreur folle s'empara de tous les pays. Les habitants de Meaux s'enfuirent à Lagny, Paris, Melun et Corbeil. Tous fuyaient, riches, pauvres, grands et petits par terre ou par eau.

Plusieurs bateaux, trop chargés de meubles et de gens, coulèrent à fond. Les paysans avec leurs troupeaux fuyaient vers l'ouest et le midi, et les détrousseurs de grand chemin se jetaient sur cette foule épouvantée.

Le Dauphin, pour couvrir Paris, résolut d'occuper fortement La Ferté-sous-Jouàrre et Meaux, et se dirigea sur ces places, après avoir détaché de son armée un corps de sept à huit mille hommes de pied et quatre cents hommes d'armes qui, retranchés dans Lagny, devaient barrer le passage à l'ennemi et assurer le cours de la Marne.

Ce corps d'armée était commandé par le capitaine de Lorges, comte de Montgommeri.

À son arrivée devant Lagny, Montgommeri trouva les portes fermées et les habitants résolus à lui défendre l'entrée de la ville.

Quelle était la cause d'une aussi grave détermination ? Velly répond que par crainte des brigandages commis par les soldats mal payés du roi, les habitants fermaient leurs portes.

Mais quand même cette raison eût été juste, Montgommeri ne pouvait l'admettre, il allait au-devant d'une armée victorieuse, envahissante, et il avait ordre d'occuper Lagny. Il accusa hautement les Laniaques de trahison, obtint l'ordre de les châtier comme rebelles et attaqua la ville en septembre 1544.

Sac de 1544. — La défense des habitants fut vive, mais plus vive encore fut l'attaque, car l'armée allemande avançait toujours ; les assauts succédaient aux assauts et quand les assaillants pénétrèrent dans la place, leur exaspération était telle qu'elle les porta aux derniers excès. Les chefs abandonnèrent la ville à leurs soldats ; Lagny eut à souffrir toutes les horreurs d'une ville emportée d'assaut : les hommes pris les armes à la main furent massacrés et les femmes livrées à la brutalité des soldats. Cependant les églises et l'abbaye furent respectées.

Les habitants échappés au massacre, ainsi que les habitants de la campagne, accouraient à Paris, traînant avec eux leur famille désolée, leurs bestiaux et ce qu'ils voulaient dérober aux ravages de l'ennemi ou à la licence des troupes françaises.

Le Dauphin qui avait fait occuper La Ferté et Meaux se rapprocha de Paris pour tenir tête au roi d'Angleterre et à cette nouvelle, l'empereur, sentant l'inutilité d'un siège, s'éloigna dans la direction de Soissons.

Les Laniaques s'étaient révoltés contre l'autorité du roi, et cela en présence d'un ennemi victorieux qui s'avançait sur la capitale ; la faute, le crime même était manifeste, mais jamais ils n'avaient eu l'intention de livrer leur ville à Charles-Quint et si Montgommeri qui, de bonne foi, pouvait en avoir le soupçon, en avait eu la moindre preuve, il l'eût bien fait voir. Les Laniaques étaient des rebelles et non des traîtres.

Mais la répression avait été si terrible, si impitoyable, la férocité des soldats si révoltante, que l'indignation générale en fut soulevée, et que, sur la plainte des victimes, des poursuites furent dirigées contre Montgommeri et ses capitaines.

Sous le coup de ces poursuites, Montgommeri obtint du roi, pour lui et ses subordonnés, des lettres patentes par lesquelles le roi avouait les ordres donnés par lui, interdisait toute poursuite aux Laniaques et imposait silence à son procureur général.

Le parlement hésita à enregistrer ces lettres, il ne le fit que le 15 août 1545, après trois lettres de jussion (6) consécutives et sur les très exprès commandements du roi.

Jacques répara en grande partie les malheurs des années précédentes et parvint même, en 1549, à ramener la prospérité dans la ville.

Il reçut, en 1550, un don qui, plus tard, devait être bien funeste aux Laniaques : le comte de Montévrin, désirant être enseveli avec ses ancêtres, donna à l'abbaye la terre de Montévrin, pour avoir droit de sépulture, lui et sa femme, dans l'église Saint-Pierre.

Foires. — Les Laniaques avaient perdu sans espoir de retour leurs grandes foires où affluaient tous les marchands de l'Europe ; ils tentèrent d'établir, sous le nom de foires, de grands marchés où, à un jour déterminé, les habitants des pays voisins viendraient faire leur approvisionnement.

Henri II, sur leur demande, établit à Lilgny quatre foires par an, durant chacune un jour entier, le premier dimanche après Quasimodo, le jour de Saint-Laurent, le jour de Saint-André, et le jour de Saint-Blaise.

Cet acte fut donné à Saint-Germain-en-Laye, au mois de février 1552.

De ces quatre foires, une seule subsiste aujourd'hui, celle de Saint-André. La foire de Saint-Blaise disparut en 1835 ; on y vendait surtout des porcs et du chanvre.

Fixation des revenus. — Prévoyant que l'abbaye retomberait un jour en commende, l'abbé Aubry, du consentement des religieux, fit un acte qui fixait le revenu, les droits et charges réciproques des religieux et de l'abbé.

Cet acte nous apprend qu'il y avait dans le monastère vingt-six religieux, dont seize à dix-huit prêtres, quatre ou six novices, deux ou quatre convers et quelques serviteurs ; que le titre de comte et seigneur de Lagny appartient conjointement à l'abbé et aux religieux ; que le revenu total de l'abbaye, en dehors du produit des bois et menues redevances, s'élevait à 4.182 livres 19 sols, 62 muids et 1 minot de blé, 14 muids 6 setiers d'avoine et 5 muids de vin, que la part des religieux fut fixée à 1.737 livres 19 sols, 18 muids de blé, 14 muids 6 setiers d'avoine et 5 muids de vin. La part de l'abbé fut fixée à 2.445 livres, 44 muids, 1 minot de blé et 13 muids d'avoine, il avait la charge de toutes les dépenses ordinaires et extraordinaires de l'abbaye.

Cet acte fut approuvé à Fontainebleau, en 1556, par le roi qui augmenta de 500 livres le revenu des religieux.

Fêtes de village. — Au jour de la fête des villes et des villages, le clergé, pour retenir les populations qui allaient se mêler à des divertissements désapprouvés par la religion, toléra la danse et les banquets : ce fut l'origine de nos fêtes de village.

Jeux floraux. — Dans certaines villes, dit Pasquier, et notamment à Lagny où les écoles du monastère avaient développé de bonne heure l'esprit de la population, les religieux voulurent représenter les jeux floraux, le jour de la Pentecôte. Cette coutume fut défendue par le Parlement, mais cet arrêt n'eut pas grand effet à cause des troubles qui survinrent.

L'abbé Aubry mourut en 1558 ; il fut enterré dans l'église Saint-Fursy, dont il était curé lors de son élection et qu'il desservit jusqu'à sa mort.

Après la mort de l'abbé Aubry, les religieux s'empressèrent d'élire un nouvel abbé et ils choisirent un homme d'un grand mérite, François de Vailly, qui fut le cinquante et unième abbé.

François de Vailly. — L'aristocratie féodale voulut profiter du mouvement religieux qui agitait alors le pays pour livrer une dernière bataille à la royauté, et, afin de diriger le mouvement, elle n'hésita pas à lui donner des chefs. Aussi a-t-on pu dire avec raison qu'il y eut dans le mouvement de la réforme en France «plus de malcontentement que de huguenoterie».

Catherine de Médicis, alors toute-puissante, dans le but de gagner les huguenots, avait nommé abbé de Lagny Odet de Coligny, connu sous le nom de cardinal de Châtillon.

Bien que cardinal depuis l'âge de seize ans, archidiacre de Rome, évêque de Beauvais, puis archevêque de Toulouse, Odet était favorable aux idées de la réforme et Catherine, dans son astucieuse politique, sembla l'encourager dans cette voie.

Odet revêtit l'habillement séculier, en 1561, puis revenant à l'habit de cardinal, il épousa Isabelle de Hauteville, sa maîtresse. Ce mariage se fit sur les instances des huguenots qui triomphaient d'avoir parmi eux un cardinal marié.

Le pape fit alors imprimer une sentence qu'il avait rendue contre le cardinal, et en envoya des copies en France.

Lagny n'en avait pas moins deux abbés, l'un catholique, élu par les moines, mais non reconnu par le roi, l'autre reconnu par le roi, mais huguenot, révolté contre le pape et bientôt contre le roi lui-même et touchant le revenu d'un bénéfice catholique.

Odet perdant toute mesure se mit en pleine révolte et se rendit à l'armée de Condé.

Malgré tout, il ne voulait pas perdre le revenu de son bénéfice catholique et il envoya, pour le toucher, des officiers avec une escorte.

Mal accueilli à Lagny, le détachement huguenot voulut prendre de force l'argent qui lui était refusé ; le monastère fut fouillé, les religieux maltraités et les huguenots, furieux de ne pas trouver l'argent qu'ils cherchaient, s'emparèrent de la châsse de saint Florentin dont ils brûlèrent les reliques. Ces violences répandirent la terreur dans le pays et le bruit courut que toute l'armée huguenote s'avançait sous la conduite de l'amiral de Coligny.

Par arrêt du Parlement, Odet fut dépossédé de tous ses titres et revenus ecclésiastiques.

Ne se sentant pas en sûreté en France, Odet partit déguisé en marinier et parvint, non sans danger, à s'embarquer pour l'Angleterre où il fut reçu avec honneur et distinction par la reine Élisabeth. Il périt misérablement en 1571, empoisonné par ses propres domestiques.

Le cardinal de Châtillon n'avait pas été un an titulaire de l'abbaye de Lagny, il n'y fut même jamais reconnu comme abbé et son nom n'est mentionné dans aucun titre.

En 1562, les huguenots envahirent la cathédrale de Meaux qu'ils saccagèrent, deux cents habitants de cette ville vinrent chercher un refuge à Lagny et de là, allèrent à Paris porter au roi leurs doléances.

Charles IX envoya des troupes qui firent rentrer les réfugiés dans leurs foyers et qui sévirent avec rigueur contre les calvinistes.

Les religieux espéraient que Catherine allait enfin valider la nomination de François de Vailly ; mais la reine, fidèle à sa politique ténébreuse, préféra choisir un abbé qui pût la seconder dans ses projets. Elle nomma, en 1564, Jacques du Broullat qui fut le cinquante-troisième abbé.

Jacques fut à la fois seigneur de Lizy, chanoine de Meaux, archevêque d'Arles, abbé de Lagny et calviniste déclaré.

Ce prélat ambitieux et batailleur mettait volontiers de côté la robe pour endosser la cuirasse ; dans les camps il était connu sous le nom de sieur d'Arles et lorsqu'il se présenta pour la première fois à Lagny, il était revêtu du costume militaire.

Les moines refusèrent de le reconnaître et le conflit s'engagea.

Du Broullat fit occuper militairement l'abbaye et obligea les moines à s'éloigner, puis il les dénonça comme religieux déréglés et libertins. Il obtint ainsi du Parlement une nouvelle réforme qui fut introduite dans l'abbaye.

Les délégués, envoyés à Lagny pour entendre les deux parties, furent reçus à l'ancien hôtel de l'Ours. Ce vieil hôtel, qui existait déjà du temps de Jeanne d'Arc, fut démoli vers 1848. Il se trouvait sur le tracé de déviation de la route de Paris à Coulommiers, passant par le pont de pierre construit à cette époque et au point où la nouvelle route rejoint l'ancienne, nommée rue Saint-Denis.

Du Broullat attaqua la répartition du revenu de l'abbaye, il trouva trop forte la part des moines et s'opposa à la publication des statuts de réforme. Condamné par le Parlement, il ne put maîtriser son irritation et se porta aux dernières violences.

Du Broullat fut un des chefs du complot qui avait pour but d'enlever Charles IX, alors à Monceaux près Meaux, mais ses hésitations furent une des causes de l'insuccès de ce coup d'Etat.

Par excès de prudence il voulait attendre l'arrivée de Condé qui, par la Brie, s'avançait sur Meaux avec son armée. Les chefs des conjurés de Meaux, inquiets de ne pas recevoir d'ordres, vinrent trouver Du Broullat qui était alors à la campagne avec un seigneur écossais de la maison de Stuart, dans sa résidence de la Grange-du-Bois, près du bois de Chigny, entre Lagny et Montévrin. Du Broullat les informa de la marche de l'armée de Condé, et les pressa de retourner à Meaux où ils devaient se tenir prêts à ouvrir aux huguenots une des portes de la ville.

Stuart proposa alors à Du Broullat de livrer Lagny aux calvinistes, mais celui-ci répondit d'abord qu'il ne le pouvait «étant abbé et comte du dit Lagny». Puis ayant reçu la nouvelle de sa condamnation par le Parlement, il céda aux conseils de Stuart.

Sac de 1567. — Le 27 du même mois, vers le soir, à l'aide d'environ cinquante hommes de Meaux et de Lagny, il fit ouvrir les portes de la ville «à plusieurs, tant de cheval que de pied, tellement que le lendemain, ils étaient plus de deux cents huguenots».

Près de Du Broullat se trouvait le chevalier de Montévrin qui haïssait mortellement les moines et se considérait comme dépouillé de son héritage depuis que son oncle leur avait légué sa terre de Montévrin et d'autres biens.

Ce chevalier donna, assure-t-on, à l'abbé le conseil d'appeler à son aide le comte de Lorges qui était alors aux environs de Rouen avec une armée huguenote, puis réunissant quelques paysans, il vint avec sa bande rejoindre le comte de Lorges.

Notre ville était, tout à la fois, menacée par le dépit d'un abbé humilié, la rage d'un héritier déçu et par le fanatisme de religionnaires surexcités.

Les Laniaques n'eurent pas le temps de faire une longue résistance, ils fermèrent les portes, mais elles furent bientôt forcées.

Entrés dans la ville, les huguenots allèrent d'abord à l'abbaye où le misérable abbé les attendait. Celui-ci se mettant à leur tête, il les conduisit au trésor et au chartrier, d'où ils tirèrent les saintes reliques et beaucoup de papiers qu'ils brûlèrent sur la place publique ; puis ils vinrent enlever le,s ornements, l'argenterie, les vases sacrés, et les châsses au nombre de trente-trois, toutes garnies de lames d'or et d'argent et de pierreries de grand prix. Ils fouillèrent jusque dans les tombeaux où ils trouvèrent un petit baril qui contenait le cœur du comte Thibauld ; ils en arrachèrent les lames d'or dont étaient ornés les pilastres qui soutenaient la tombe de porphyre. Rien n'échappa «à leur sacrilège avarice».

Pour dissimuler son odieuse vengeance, l'abbé fit préserver les religieux de toute insulte, mais de Lorges abandonna la ville à ses soldats.

Dom Chaugy dit en termes fort réservés: «Ils exercèrent toutes sortes de cruautés envers les citoyens et ne rencontrèrent aucune personne du sexe sans attenter à sa pudicité, ce qui a rendu l'origine des bourgeois de Lagny fort équivoque.»

De cette époque date le fameux dicton : Combien vaut l'orge ?

Le sac de Lagny devint le sujet d'une foule de récits plus extraordinaires les uns que les autres.

Suivant les uns, tous les hommes en état de porter les armes furent massacrés et toutes les femmes furent livrées à la brutalité des soldats. Suivant d'autres, mieux instruits, les hommes n'auraient pas été tués, aussitôt les remparts forcés, on aurait déposé les armes et le soir même, le perfide de Lorges aurait donné un grand bal auquel furent conviés les défenseurs de Lagny et leurs épouses. Cette conduite cachait les plus noirs projets : au milieu des plaisirs et de la gaîté, sur un signal du chef, les portes s'ouvrent, les soldats se précipitent et en présence de leurs maris, toutes les femmes, sans distinction, deviennent victimes de l'impétueuse luxure d'une soldatesque en délire.

Quelques naissances illégitimes purenl résulter de ces désordres, mais certains conteurs grossissant les faits à plaisir nous apprennent que la ville étant dépeuplée d'hommes, les soldats de Lorges, pendant les quelques jours de leur séjour à Lagny, furent si vaillants et les femmes si fécondes qu'il en résulta une génération nouvelle dont la ville fut repeuplée.

On raconte encore que, pendant le siège, les Laniaques, voulant railler le capitaine de Lorges, lançaient sur les assaillants des sacs d'orge sur lesquels ils avaient placé des billets avec cette inscription : Combien vaut l'orge ?

Nous savons que la ville fut enlevée par trahison, presque sans coup férir, et que les Laniaques n'eurent guère le loisir de faire de pareilles bravades, mais il est fort possible, que, lors de l'assaut des remparts ou des maisons, ils aient jeté sur la tête des assaillants quelques sacs d'orge dont ceux-ci assommés ou mutilés gardèrent un fort mauvais souvenir.

Suivant ce récit, cette raillerie aurait exaspéré de Lorges et aurait été cause du sac de la ville.

Les Montgommeri, ducs de Lorges, Jacques et Gabriel, furent également funestes à notre ville et aux rois de France ; en 1544 Jacques, et, en 1567, Gabriel faisaient le sac de Lagny ; à Romorantin, Jacques, dans une partie folle, avait blessé grièvement François Ier, et en 1559, Gabriel tua Henri II dans le tournoi de la rue Saint-Antoine.

Combien vaut l'orge ? — Parmi les mille plaisanteries dont les Laniaques furent les victimes après ces tristes événements, il en était une qui consistait à leur demander à tout propos : Combien vaut l'orge ?

Les habitants perdirent patience et ils imaginèrent un châtiment qui devait refroidir la verve gouailleuse des questionneurs mal intentionnés, c'est-à-dire de ceux qui, en faisant la question, n'avaient pas la main dans un sac d'orge.

Aussitôt que la malicieuse parole avait été prononcée, ce cri retentissait : l'orge ! l'orge !

On traînait l'insulteur à la fontaine de la grande place, on lui faisait faire plusieurs fois le tour du bassin, puis on le plongeait à satiété et au delà dans l'eau rafraîchissante.

Quand c'était une femme qui avait posé la malheureuse question, on la traînait de même à la fontaine où on lui faisait faire sept fois le tour du bassin, puis «on se contentait de la mettre sous le robinet ou tuyau de la fontaine, vulgairement appelé le Gros Camus».

Dom Chaugy dit que, de son temps, le bassin avait de six à sept pieds de profondeur.

La population tout entière, sans distinction de sexe ou de classe, était impitoyable pour ceux dont elle se croyait insultée ; si quelqu'un tentait de soustraire à sa vengeance le questionneur imprudent, la population s'irritait et la fermentation devenait bientôt une sédition furieuse.

Il fallait livrer le coupable : tous sans pitié et sans ménagements prenaient part à l'exécution de la victime.

Cette immersion dans l'eau froide fut cause de plusieurs accidents graves : on cite des cas de mort : un abbé entre autres et plusieurs femmes en furent les malheureuses victimes.

Quand par la fuite l'insulteur avait échappé au châtiment, l'entrée de la ville lui était interdite et malheur à lui s'il venait à y être rencontré.

Longtemps il fut impossible de retenir la colère et la vengeance populaires : les officiers de justice laissaient faire, sentant que toute répression serait dangereuse.

La raison et le temps ramenèrent peu à peu le calme dans les esprits. Les Laniaques se dirent que peu de villes fortifiées du Moyen Âge avaient échappé à pareil accident et que d'ailleurs on ne se choisit pas un père.

Celui qui, à Lagny, demanderait combien vaut l'orge ne trouverait plus qu'un sourire mêlé d'étonnement.

La fontaine. — La fameuse fontaine qui servait aux immersions était la fontaine historique due au miracle de saint Fursy : elle se trouve sur la place du Marché et coule par deux corps de fontaine dans un vaste bassin de pierre simplement taillée.

Ce bassin, d'environ dix-huit mètres de circonférence, servait autrefois d'abreuvoir ; à côté avait été placée une pierre à laver pour le «menu peuple» de la ville. La source, amenée par des tuyaux de plomb, jaillit du niveau du sol à une hauteur de deux mètres environ. Cette canalisation, d'abord en tuyaux de brique, est antérieure aux fortifications de la ville.

Vis-à-vis le corps principal, se trouve aujourd'hui (1879) un second corps de fontaine dont le fût est surmonté d'une calotte massive, sur lequel vers le milieu sont placées cinq feuilles de vigne dont quatre sont encore bien conservées. De ce second corps sort un filet d'eau au-dessus duquel est placé un petit mascaron en cuivre au millésime de 1603.

«Toutefois le corps principal de la fontaine offre un véritable intérêt archéologique. C'est un fût de colonne avec base carrée, surmontée d'un chapiteau cubique dont les angles sont garnis de grotesques. A l'un des côtés, l'écusson de la ville; à un autre des mascarons ; on voit à l'opposé un homme dans l'attitude des Cariatides. Ce chapiteau est de l'époque romane dans toute sa rusticité, peut-être plutôt du XIe que du XIIe siècle.»

Ce corps principal porte un bassin d'où l'eau, divisée en trois filets, sort par trois bouches de bronze, en forme de patte d'oie, placées à portée de la main ; celle du milieu, la plus forte, représente un grotesque cornu, barbu, au nez et à la gueule de chien, aux yeux et aux oreilles d'homme.

Sous la gorge et dans le même métal, on voit l'écusson de la ville portant l'L gothique et le clou. Les deux bouches latérales représentent une tête de femme, aux longs cheveux relevés en touffe.

Au-dessus du grotesque, on lit l'inscription suivante sur les cinq pans du bronze : L'an 1523, procureur étoit Jean de Poix.

Sur une tablette de marbre noir placée au-dessus du corps principal on lisait deux distiques latins attribués au poète Santeuil :

Siste gradurn, Nais, nec amicas desere sedes :
Talibus auspiciis quæ metuenda tibi ?
Vendice te, spernit civis convicia linguæ :
Si quis enim nugax, unda silere docet.

«Arrête-toi, n'abandonne pas un lieu où tu es chérie : qu'as-tu à craindre sous les auspices de l'amitié ? Tu nous venges des injures adressées aux habitants, et ton onde apprend au railleur à se taire.»

Nous trouvons dans une notice sur l'origine de l'abbaye l'anecdote suivante :

Un seigneur de la cour de Louis XIV, parent du duc de Lorges, passant par Lagny, voulut éprouver la vérité de cette inscription, bien persuadé que sa naissance et son rang feraient mentir le dicton populaire ; mais il connut la réalité du quatrième vers : ton onde apprend au railleur à se taire.

Furieux de ce plongeon forcé, il porta sa plainte au roi et demanda une punition pour les Laniaques. Le roi lui dit simplement : «Monsieur, il fallait vous faire instruire de l'origine de cet usage, vous auriez alors appris que ce sont les enfants qui vengent les injures de leurs parents.»

La fontaine fut réparée en 1523, 1603, 1787 et 1807.

Fuite du roi. — Pendant le sac de Lagny, la Cour était sans inquiétude à Monceaux, lorsque Castelnau arriva à ce château et annonça que Condé et Coligny, chefs de l'armée huguenote, s'avançaient sur Lagny qui leur avait été livré. Sur ordre du roi, Castelnau partit pour Lagny où les huguenots commençaient alors à paraître.

Arrivé en vue de Trilbardou, il aperçut l'ennemi, lui barra le passage en s'emparant du pont de ce village, et fit prévenir la Cour de cet événement. Le roi voulait d'abord rester à Meaux, mais il en partit trois heures avant le jour pour gagner Paris. Les huguenots déconcertés n'osèrent pas attaquer l'escorte du roi dans sa retraite.

Les Laniaques furent mis à rançon par les huguenots, les prêtres insultés, les marchands taxés pour avoir la liberté d'aller à leurs affaires en dehors de la ville et chacun d'eux dut rester prisonnier dans sa maison jusqu'à ce qu'il eût payé sa taxe «les ungs plus, les autres moins».

Récit de Janvier. — Janvier raconte que Lagny fut repris par un «plaisant stratagème». Les chefs militaires de Meaux firent monter les religieuses de Fontaines-les-Nonnes sur un bateau qui descendit la Marne jusqu'à Lagny. Voyant les religieuses, les Laniaques voulurent faire aborder le bateau, mais les Meldois s'y opposèrent, firent coucher les religieuses et déchargèrent leurs armes en disant : «Abordons et prenons Lagny, ce qu'ils firent, car les habitants de Lagny s'enfuirent et fut la ville prise par sept ou huit personnes de Meaux. Charles IX, informé de ces événements, envoya des troupes occuper Lagny. (7

Ce récit nous semble plus fantastique que vraisemblable, tout porte à croire que les chefs huguenots après le sac de Lagny eurent grande hâte de s'éloigner et qu'après cet abandon, la prise d'une ville dévouée au parti catholique n'offrait aucun danger pour des soldats catholiques.

À la suite de ces tristes événements, Du Broullat disparut ; il s'était réfugié chez les protestants d'Allemagne où il mourut en 1575.

Montévrin. — Le capitaine de Montévrin n'eut guère le temps de jouir de son atroce vengeance : arrêté et condamné, il fut décapité à Paris. Sa tête apportée à Lagny resta longtemps accrochée à la potence (8).

L'église Saint-Pierre. — L'église Saint-Pierre avait été tellement endommagée pendant le sac de la ville qu'on n'y pouvait plus célébrer le service divin. Par arrêt enregistré au Parlement, le 2 janvier 1588, les revenus de Du Broullat furent saisis pour y subvenir et ses héritiers durent payer.

Les ponts. — Charles IX ordonna en 1568 que, pour éviter toute surprise de l'ennemi et décharger les Parisiens de la garde continuelle des portes de la ville, les ponts de Poissy, Pontoise, Charenton, Lagny et Saint-Maur seraient réparés et garnis de ponts-levis et que ces ponts seraient gardés par les hommes d'armes nécessaires.

Pierre Rouillé, cinquante-troisième abbé. — Pierre Rouillé, sous le nom de Pierre V, succéda à Du Broullat comme cinquante-troisième abbé ; il fut élu vers 1570.

Les Polonais. — Les seigneurs et ambassadeurs polonais, au nombre de deux mille avec autant de chevaux, arrivèrent en France vers 1573 pour offrir la couronne de Pologne au duc d'Anjou, plus tard Henri III. Ils passèrent par Lagny et plusieurs restèrent en garnison en notre ville. Claude Haton dit qu'ils étaient «tous beaux hommes et parlaient latin jusqu'à leurs pallefreniers, mais yvrognes et gourmans à merveille... On s'esbayssoit comment ils ne crevoient de tant boire. S'ils eussent demouré encores demy-an en France, ils eussent beu tout le vin de ce pays. (9

René Rouillé, cinquante-quatrième abbé. — En 1576, le siège abbatial étant devenu vacant par la démission ou la mort de Pierre Rouillé, René Rouillé, son neveu, conseiller au Parlement, lui succéda comme cinquante-quatrième abbé.

Sans probité, de mœurs relâchées, René fut aussi mauvais abbé qu'il avait été mauvais magistrat, et sous son administration, la misère ne fit que s'accroître dans le pays.

Par suite d'une de ces intrigues si fréquentes à cette époque, le quatrième fils de Henri II, duc d'Alençon puis duc d'Anjou, avait quitté mystérieusement la Cour. Aussitôt le roi ordonna à la ville de Lagny de fermer ses portes, mais six semaines après, notre ville fut informée de mettre bas les armes, et assurée qu'il n'y avait aucune crainte de guerre entre le roi et son frère.

Epidémie. — La fin de 1578 fut marquée par une maladie qui avait tous les caractères de la dysenterie et fut nommée le courant.

Elle parut dans le mois d'août à Paris et gagna à l'instant Lagny et les villes voisines.

La mortalité fut grande, dans les villes surtout.

Les maladies épidémiques étaient alors incessantes.

À Paris, au mois de février parut une maladie qu'on appela la coqueluche ; les malades mouraient par un cours de ventre. Les Parisiens désertèrent leur ville et vinrent se réfugier à Lagny et autres lieux où ils apportèrent cette peste. Cette maladie dura jusqu'au mois de décembre. À Lagny la contagion sévit vers le milieu de 1580 et devint presque générale.

Comme il n'y avait pas d'hôpital dans la ville on dressa des loges et des tentes dans le faubourg Saint-Laurent. Par suite de cette mesure la contagion fut éloignée de là ville.

Peste et famine. — En 1587, Lagny fut tout à la fois affligé par la peste et la famine. En dehors des taxes royales, prélevées pour venir en aide aux malheureux, les bourgeois et les religieux se cotisèrent pour donner du travail aux hommes valides et des secours aux malades et aux infirmes.

Devant la persistance du fléau, on eut recours aux prières publiques. «On fit, sur la fin de juillet, une procession générale à la Chapelle (10) à laquelle le Saint Clou, la châsse des Saints Innocents et les reliques de saint Fursy furent portés. Les religieux et tout le clergé étaient nu-pieds, chacun tenant une relique à la main. On fit des stations dans toutes les églises de la ville et Dieu donna la sérénité du temps et l'abondance des fruits de l'automne.»

Armes de la ville et de l'abbé. — Ce Saint Clou, donné à l'abbaye par le roi Robert, était l'objet de la vénération des Laniaques qui le transportèrent de bonne heure dans les armes de la ville puisqu'au XIe siècle, il était déjà sculpté sur la pierre de la fontaine. Les armes de Lagny furent : d'azur, à la lettre gothique L, couronnée d'or au côté dextre et au Clou d'or couronné, au côté senestre.

L'abbé, en outre des armes de sa famille, avait le droit de porter l'écusson de Champagne : d'azur à la bande d'argent à doubles cotices potencées et contre-potencées d'or, de treize pièces.

Henri III, instruit d'un complot formé par les Guise, fit venir de Lagny quatre mille Suisses pour renforcer sa garde.

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[Notes de bas de page.]

1.  Les grandes Assises appartenaient aux comtes, à cause de leur haute justice.

2.  [Robert Gobin, Les Loups ravissans, cestuy livre ou autrement doctrinal moral intitulé est, qui délivre douze chapitres en général, où chacun, se brutte et rural n'est par trop, il pourra congnoistre comment éviter vice et mal on doit et très vertueux estre, Paris, Vérard, vers 1503.]

3.  [Voir, peut-être, «Poésies et Chansons de Gobin de Rains», Mss. fonds de Cangé, Bibliothèque Nationale fonds français n° 846.]

4.  Voir les Annales du Pays de Lagny.

5.  Ibid.

6.  Lettre de jussion : commandement fait par le roi, aux cours supérieures, d'enregistrer contre leur gré.

7.  [Voir Auguste Janvier (1827-1900), Petite histoire de Picardie simples récits, Amiens, Hecquet, 1880 ; et Petite Histoire de Picardie. Dictionnaire historique et archéologique, Amiens, Douillet, 1884.]

8.  Voir Annales du Pays de Lagny.

9.  [Laurent Bourquin (Éd.), Mémoires de Claude Haton. Tome 1, 1553-1565, Joué-lès-Tours, Simarre, 2001 ; et Mémoires de Claude Haton. Tome 2, 1566-1572, Aubenas, Lienhart, 2003.]

10. Sans doute la chapelle de Notre-Dame du Haut-Soleil, à Thorigny.


CHAPITRE 9 : DE 1589 À 1653.

La Ligue. — Après l'assassinat du duc de Guise, à Blois, le duc de Mayenne, son frère, devint en 1589 chef de la Ligue contre le roi ; il ordonna, avant d'attaquer Henri III, à toutes les villes fortes à dix lieues à la ronde de Paris de prêter serment de fidélité à la Sainte Ligue.

Les Laniaques hésitèrent, il leur en coûtait de se soustraire à l'obéissance de leur roi légitime ; mais, nous dit dom Chaugy, «le duc d'Aumale vint lui-même lever leurs scrupules avec une troupe de ligueurs et exiger le serment les armes à la main.»

Le 2 août 1589, Henri III fut assassiné par Jacques Clément.

Pendant les opérations militaires poursuivies entre Mayenne et Henri de Navarre, plus tard Henri IV, notre pays fut continuellement parcouru par des détachements des deux partis.

Le 21 septembre 1589, trente à quarante cavaliers huguenots, logés aux environs de Lagny, dressèrent une embuscade près de Meaux et quatre d'entre eux pénétrant dans cette ville, à la faveur d'un épais brouillard, y firent quelques prisonniers.

Siège de Paris. — Après avoir battu Mayenne à Ivry le 12 mars 1590, Henri IV revint mettre le siège devant Paris. Maître du cours inférieur de la Seine par la prise de Mantes et de Vernon, il résolut de s'emparer également du cours supérieur et envoya le maréchal de Biron pour occuper Lagny, clef de la Marne.

À cette nouvelle, les Laniaques, à qui pesait toujours le serment inique qu'on leur avait arraché de force, allèrent au-devant du maréchal et l'assurèrent de leur soumission et de leur obéissance au roi légitime de France.

Biron laissa à Lagny une forte garnison, puis courut s'emparer de Corbeil, Melun et Montereau.

Le ravitaillement de Paris était alors impossible, et la chute de cette ville devenait une question de temps.

Henri, ayant échoué devant Sens, revint à la fin d'avril au siège de Paris, il passa par Corbeil et Lagny.

Cousinet. — Vers la fin de 1590, mourut à Lagny, des suites de ses blessures, le capitaine Cousinet qui avait joué un certain rôle dans nos divisions intestines. Il avait servi successivement le parti de la Ligue et le parti du Roi.

Paris avait subi toutes les horreurs de la famine, mais ne s'était pas rendu ; enfin Mayenne à force d'instances, obtint le secours du roi d'Espagne, qui pour délivrer Paris envoya une armée commandée par Alexandre Farnèse, prince de Parme.

Ainsi après les calvinistes, les ligueurs appelaient l'étranger en France. Cette conduite renverse toutes nos idées de patriotisme et serait sans excuse de nos jours, mais au XVIe siècle, il n'en était pas ainsi : pour les calvinistes, le prêche valait plus que la patrie et, pour les catholiques, les Espagnols étaient des frères et non des étrangers.

Saint-Paul. — Un brave soldat de fortune, nommé Saint-Paul, tout dévoué à la Ligue, alla à la rencontre de Farnèse jusqu'à Couilly, où quelques royalistes s'étaient réunis pour lui disputer le passage du pont. Saint-Paul les met en fuite et les poursuivit l'épée dans les reins jusqu'à Lagny où ils purent entrer, grâce à quatre cornettes de cavalerie qui vinrent au devant d'eux pour les soutenir.

Saint-Paul prit sept ou huit royalistes, quelques chevaux et quelques charretées de vin, mais il avait perdu sept ou huit arquebusiers à cheval et quatre ou cinq soldats qui furent faits prisonniers.

Farnèse arriva à Meaux le 22 août, et quitta cette ville le 30, après sa concentration avec l'armée de Mayenne.

Le 1er septembre 1590, une compagnie de pied namuroise, composée de quatre cents hommes, passait à Meaux pour aller rejoindre Farnèse devant Lagny.

Dans les derniers jours d'août, des bateaux chargés de blé et farines furent envoyés de Meaux à Paris. Les convois de vivres devaient être escortés par des troupes et des canons, car il fallait forcer le passage de Lagny occupé par les soldats de Henri.

Craignant d'être pris entre l'armée espagnole et les cinquante mille hommes enfermés dans Paris, Henri s'éloigna de cette ville et se dirigea sur Claye.

Il assembla son conseil sur la conduite à tenir.

Il fut décidé qu'il était plus prudent de se porter sur Chelles, au-dessus de Lagny, d'où l'on dominait le passage de la Marne.

Aussitôt que l'armée royale eut abandonné Claye, Farnèse vint s'y loger et, de là, marcha vers Chelles. Henri voulait la bataille, mais Farnèse voulait débloquer Paris avant de livrer une bataille.

Les deux armées étaient en présence depuis sept jours, le 6 septembre, et Henri croyait la bataille certaine lorsque tout à coup, Farnèse se rabat sur Lagny et paraît, en vue de cette ville, dans des retranchements formidables qu'il avait fait élever pendant qu'il tenait en respect l'armée du roi.

«Ce mouvement fut si preste, que le roi ne put le suivre à cause du marais qui était entre les deux camps ; il résolut de rester sur place, de peur d'ouvrir passage à Farnèse sur Paris, et de renforcer la garnison de Lagny, clef de la Marne. Il fit marcher aussitôt les régiments de Saint Jean de Ligoure et de Buffes que le maréchal d'Aumont, avec quelques autres troupes, escorta jusqu'en vue de Lagny. Le sieur de La Fin, gouverneur de cette place, avait d'abord abandonné le faubourg qui était du côté du prince de Parme et rompu le pont qui en fermait la communication avec la ville, parce que avant de venir à lui, il fallait qu'il passât la Marne; mais le prince de Parme, ayant placé une batterie de neuf grosses pièces de canon sur le bord de la rivière, fit en moins de trois heures une très grande brèche aux murailles qui n'étaient ni flanquées, ni terrassées, et, ayant fait jeter sur la rivière un pont de barques qu'il tenait tout prêt, fit passer quelques régiments, qui sans marchander vinrent à l'assaut. Il fut bravement soutenu et les Espagnols repoussés ; et dans ce moment arrivèrent fort à propos les deux régiments envoyés par le roi. Dès qu'ils furent entrés on les conduisit à la brèche pour prendre la place de ceux qui avaient déjà combattu: mais ce changement se fit avec beaucoup de confusion ; ce qui ayant été aperçu par le commandant espagnol qui avait déjà remis ses soldats en ordre, il profita de la conjoncture et revint à l'instant avec une telle furie qu'il emporta la brèche, tailla en pièces tout ce qui parut sur le rempart; le reste se sauva par les portes de la ville et alla rejoindre le maréchal d'Aumont, qui n'était pas encore fort loin. Le gouverneur fut blessé et pris. Ce fut le huitième de septembre que cette action se passa.»

Farnèse avait fait crier qu'on épargnât les églises et les prêtres, mais la plupart des habitants qui, en vrais descendants des compagnons d'armes de la Pucelle, s'étaient vaillamment battus, furent passés au fil de l'épée. Heureux qui, pour sauver sa vie, put trouver une soutane ou un surplis ; quelques capitaines huguenots se sauvèrent sous cet habit ecclésiastique et entre autres le capitaine Saint-Jean, de la maison de Montgomery, maître de camp d'un régiment d'infanterie.

On le trouva avec un surplis, un crucifix à la main, et exhortant à la mort La Fin, gouverneur de la ville qui gisait par terre, blessé d'un coup de canon.

Cette action demanda si peu de temps que Henri ne fut averti de rien, d'autant plus qu'à cause du vent et de l'épaisseur du brouillard, on ne pouvait entendre les coups de canon.

La Fin et ses cinq cents hommes s'étaient valeureusement défendus et Palma Cayet a pu dire : «La Fin et ses soldats vendirent assez chèrement leur sang, car il y mourut autant de victorieux que de vaincus.»

La Satire Ménippée dit que «la ville fut battue par le canon, le vendredi, veille de Notre-Dame de Septembre, depuis le matin jusqu'à midi, que six cents soldats furent tués pendant l'action et que le gouverneur La Fin fut pris avec cent autres, tant capitaines que gentilshommes.»

Le coup était décisif, Farnèse pouvait, à son choix, marcher sur Paris par l'une ou l'autre rive de la Marne.

Le roi dut s'éloigner de Paris, car depuis la prise de Lagny la désertion était grande dans son armée. Désespéré, le roi dispersa son armée en détachements et s'éloigna de Paris.

Les environs de Lagny furent ravagés par les troupes espagnoles, toutes les églises jusqu'à Paris, respectées pendant le siège par les troupes du roi, furent pillées en deux jours.

Cette conduite souleva contre les Espagnols la malédiction des habitants.

Après avoir placé dans Lagny une garnison espagnole, Farnèse retourna dans son gouvernement des Pays-Bas.

Prospérité. — L'année 1590 fut abondante en vin et en blé.

Les prix furent élevés à cause de l'approvisionnement de Paris, et du vide fait partout par les ravages des gens de guerre. Les Laniaques se firent marchands de grains et réalisèrent des bénéfices considérables puisque le blé, qu'ils payaient 12, 13 et 14 francs le setier, était revendu à Paris, 16, 17 et 20 écus. Ce commerce se faisait également sur les farines, et il n'y avait plus dans le pays que des voituriers et des marchands de grains et farines.

Ce trafic dura jusqu'à la prise de Lagny par Henri IV et, ce jour-là, bon nombre de commerçants perdirent leurs blés et furent faits prisonniers.

Lagny pris et repris. — À peine Farnèse était-il en Flandre, que les chefs royalistes se dirigèrent sur Lagny et se disposaient à livrer l'assaut, lorsque les troupes espagnoles abandonnèrent la ville.

Lagny rentra au pouvoir du roi, le 6 décembre 1590, suivant dom Chaugy et, plus tard, le 21 suivant Rochard.

Henri ne conserva pas longtemps Lagny. Le 21 mars 1591, Mayenne, après avoir fait charger à Meaux quatre canons sur bateau pour aller battre Lagny, quitta cette ville et vint coucher à Coupvray. Le lendemain il se présentait devant Lagny.

L'attaque commença vers midi et Mayenne fit enlever quelques barricades construites par les Laniaques. Puis ayant fait amener un canon, il somma la ville de se rendre. Sur les cinq heures du soir, Lagny capitula aux conditions suivantes : «Le lendemain, la garnison composée de trois cents hommes sortira avec armes et bagages, enseignes déployées, tambour battant et mèche allumée.»

Ces conditions furent exécutées. La nouvelle en fut apportée à Meaux, le lendemain de la capitulation, avec mandement aux officiers et échevins d'envoyer à Lagny des maçons ouvriers pour démanteler cette place.

Démantèlement. — Les fortifications furent démolies, et, à partir de ce moment, Lagny, dont la valeur comme forteresse était devenue presque nulle à cause des progrès de l'artillerie et de sa position au fond d'une vallée, cessa d'être place de guerre.

Convois de blé. — Le 9 avril 1591, on envoya de Meaux pour Paris mille à douze cents muids de blé ; le voyage fut fait en grande diligence, puisque le convoi, malgré quelques empêchements, était entré à Paris le lendemain à trois heures après midi. Il avait été escorté jusqu'à Lagny où De Bellin, gouverneur de Paris, attendait le convoi avec deux pièces de canon et cinq cents hommes de troupes.

Le 17 juillet 1592, partit de Meaux un convoi de blé, avoine et vin, escorté par soixante hommes. Le convoi arriva le lendemain à Lagny où De Bellin devait l'attendre avec trois ou quatre cents hommes et deux pièces de canon. De Bellin ne vint pas, mais fit donner l'avis que le roi Henri avait envoyé des soldats dans une île près de Lagny, pour s'opposer au passage du convoi.

Le chef du convoi laissa ses bateaux à Lagny et s'en retournait à Meaux, en suivant la rive gauche de la Marne, lorsqu'il rencontra trois compagnies d'infanterie espagnole ; il retourna alors sur ses pas et, à l'aide de ce renfort et au moyen d'un bateau chargé de fagots, il donna l'assaut à l'île. Les soldats du roi, au nombre de quatre-vingts, furent tués à l'exception de sept ou huit qui furent faits prisonniers ; mais le convoi resta forcément à Lagny.

L'île dont il est question était sans doute une des îles d'Amour, situées en aval de la ville, à l'extrémité ouest du Pré-Long et aujourd'hui reliées au rivage.

Mort de Farnèse. — Farnèse mourut à Arras le 3 décembre 1592, de la dysenterie.

Farnèse emporta dans la tombe l'estime de Henri IV dont il avait été le rival trop souvent heureux et toujours redoutable ; mais les populations de la Brie n'avaient pas oublié les souffrances que leur avait fait éprouver ce général temporiseur et elles applaudirent aux auteurs de la Satire Ménippée qui le surnommèrent, ainsi que Jean de Bourgogne, Jean de Lagny et lui firent l'épitaphe suivante :

Gy gist Jean de Lagny qui s'en fit trop accroire,
Qui fut grand conquéreur et perdit tout le sien,
Qui se nomma vaillant et ne fit jamais rien,
Qui pensait être Dieu et mourut de la foire.

Cette épitaphe était moins l'expression de la vérité qu'un moyen de déverser le ridicule sur la mémoire de Farnèse, le général espagnol protecteur de la Ligue.

Les auteurs de la Satire, à propos de l'assaut de Lagny, disent : «Enfin Jean prit Lagny et Lagny Jean ; l'un vaut l'autre. En cet assaut rien n'y estoit espargné, autant le maigre que le gras, tout estoit mis en broche. O belle conqueste, il ne fallait plus qu'Homère avec sa vielle pour en chanter les louanges.»

Le duc de Mayenne, le prétendant malheureux au trône de France, reçut aussi le surnom de Jean de Lagny.

Henri venait d'abjurer la religion réformée. Vitry, gouverneur de Meaux, sentant le moment favorable pour revenir au roi, lui demanda une entrevue. Cette rencontre eut lieu à Lagny, le 31 décembre 1593. Vitry assura le roi de la soumission de Meaux et retourna en cette ville y préparer l'entrée du roi qui se fit le lendemain 1er janvier 1594.

Lagny ville neutre. — La position de Lagny, alors démantelé, était des plus critiques. Cette ville était exposée aux courses continuelles des deux partis de Meaux et de Paris. Henri, par humanité, déclara Lagny ville neutre, et fit publier cette déclaration à Meaux, le mercredi 9 mars 1594.

Toutes les villes, à l'exemple de Meaux, se soumettaient au roi et enfin, le 22 mars 1594, Henri faisait son entrée à Paris, aux acclamations de la population tout entière.

Désolation du pays. — La récolte de 1595 fut mauvaise ; le setier de blé valut douze livres.

Pendant la guerre civile où Lagny changea si souvent de maîtres, le pays et l'abbaye avaient été ruinés. L'abbé René profita de ce désastre pour s'approprier les biens de l'abbaye et, dans le but de s'affranchir de toute subvention et réparation, il vendit la terre de Chessy.

En 1595, Lagny eut tout à la fois à souffrir d'une maladie pestilentielle, de la cherté des vivres et d'une inondation si extraordinaire que les deux tiers de la ville furent couverts par les eaux.

La population déserta et s'en alla par bandes à Paris, où la contagion était encore pire que dans les environs et où l'on succombait par centaines.

L'année 1597 fut encore mauvaise, le vin fut cher et le blé valut, comme en 1595, douze livres le setier.

L'abbé René quitta le Parlement qui siégeait à Tours et revint en 1598 dans son abbaye, où il trouva tout dans le plus grand délabrement. Il répara le pont, la voûte de l'église et le logis abbatial, mais il se trouva sans ressources pour reconstruire un des principaux piliers de la nef qui avait été ébranlé par les coups de canon et dont la chute était imminente. Si ce pilier tombait, la réparation était estimée à plus de dix mille écus.

Dans cette extrémité, l'abbé s'adressa au Parlement dont il était membre et qui l'autorisa à vendre encore quelques biens. Il vendit, malgré les protestations de dom Vailly qui, quoique abbé élu, resta toujours prieur, 145 arpents de terre à Chessy et quelques héritages à Torcy.

Coutume. — La coutume de Meaux avait été rédigée en 1509.

Les paroisses situées sur la rive gauche de la Marne suivaient la coutume de Meaux, à l'exception de Chalifert. Les paroisses situées sur la rive droite suivaient la coutume de Paris.

Pendant l'hiver de 1607 à 1608, le froid fut excessif, et la terre resta couverte de neige pendant un mois, on ne pouvait aller dans la plaine, où plusieurs paysans trouvèrent la mort, et les rues des villes même étaient impraticables.

L'abbé René mourut en 1608. On ne sait s'il eut immédiatement pour successeur Nicolas de Neuville de Villeroi, fils du célèbre ministre d'Etat de ce nom, alors âgé de douze ans et qui fut le cinquante-cinquième abbé.

Voies de communication. — Au Moyen Âge, la Marne fut le principal moyen de communication ; les voies de terre étaient très multipliées : 1° la route actuelle de Lagny à Paris par Chelle ; 2° la même route à l'est, se dirigeant vers Coulommiers ; 3° de Chessy un chemin qui descendait vers Lesches ; 4° une voie, évidemment gauloise, se dirigeant vers Annet, qui possédait un port très fréquenté où l'on déchargeait du fer que les routiers transportaient à Beauvais; 5° au midi, le chemin de Lagny à Provins par Villeneuve-le-Comte et 6° celui de Lagny à Melun par Tournan.

L'abbé Nicolas, après la mort de son frère aîné, abandonna la robe pour l'épée, devint enfant d'honneur auprès de Louis XIII, gouverneur de Lyon, duc et maréchal de France.

Camille de Neuville, cinquante et unième abbé. — Son abbaye fut donnée, vers 1616, à son frère, bien jeune encore, Camille de Neuville de Villeroi, qui fut le cinquante et unième abbé. Il devint gouverneur et archevêque de Lyon.

Le président de Thou disait de ce prélat qu'il «avait toutes les qualités d'un bon gouverneur de province et toutes les vertus d'un saint évêque».

Banlieue. — Louis XIII, par lettres patentes du 20 décembre 1616, confirma celles de Henri IV qui déclaraient Lagny, à titre de banlieue de Paris, exempt de loger les gens de guerre.

Trésor de l'abbaye. — En ce temps dom François le Comte, prieur claustral, employait toutes ses ressources à augmenter le trésor de l'abbaye. Il avait donné, en 1615, un calice d'argent d'un poids considérable et d'un travail précieux ; en 1620, il donna encore une petite croix et deux chandeliers en vermeil.

L'abbaye possédait un magnifique livre d'église, imprimé sur vélin, en beaux caractères gothiques ; la couverture était en argent massif des deux côtés avec la figure de saint Pierre et de saint Paul en relief. Tous ces objets, aussi précieux par leur travail que par leur valeur réelle, ont disparu.

Le 10 juin 1625, le roi Louis XIII passa à Lagny et y coucha. Il se rendit à l'église Saint-Paul où il entendit la messe.

L'année suivante, 1626, eut lieu la translation des reliques de saint Thibauld, de l'abbaye de Lagny au prieuré de Saint-Thibauld-des-Vignes.

Grande cherté. — En 1631, par suite de l'extreme cherté des grains, le commerce en fut déclaré libre, chacun pouvait en voiturer en tous lieux par les routes et les rivières, et défense fut faite sous peine de mort d'en transporter hors du royaume. Grâce à ces sages mesures de prévoyance et aux quêtes faites par l'abbé, les maux de la population furent sensiblement adoucis.

Un grand service pour enterrement, avec plusieurs messes hautes et basses, coûtait vingt-cinq livres, un mariage trente-neuf sols à trois livres, un baptême de deux à quinze sols. De 1589 à 1638, nous remarquons que les filles avaient deux marraines et les garçons deux parrains.

Foires, marchés. — Vers cette époque, 1638, deux des quatre foires avaient conservé de l'importance : l'une au 3 février, l'autre au 30 novembre ; on y vendait beaucoup de chanvre, des porcs et des bêtes à cornes.

Les trois marchés du lundi, mercredi et vendredi existaient toujours.

La congrégation de Saint-Maur. — L'abbé Camille introduisit dans son monastère la règle de la congrégation de Saint-Maur, le 7 mars 1638.

Cet ordre fut le plus riche et le plus savant de France. Les Bénédictins de Saint-Maur conservaient leur nom de famille en y ajoutant ce titre dom (dominus seigneur), ce qui leur était commun avec les Feuillants et les Chartreux.

La Mission. — Louis XIII, considérant la grande utilité de la congrégation des prêtres de la Mission fondée par Vincent-de-Paul destinée à instruire le peuple de la campagne lui donna, entre autres choses, une somme de trente et un mille six cents livres à prendre sur le grenier à sel de Lagny.

En 1644, fut construit l'espèce de pont qui reliait le jardin au clos de l'abbaye. On voit encore, dans le mur ouest de la rue du Calvaire, les amorces de ce pont depuis longtemps détruit.

Le Cartulaire. — On retrouva cette même année le Cartulaire de Vincelot, égaré depuis longtemps. Il y manquait deux feuillets et la demi-page suivante était effacée.

Les religieux, désirant avoir une relique de saint Fursy, députèrent, en 1645, un des leurs aux chanoines de Péronne. Ils obtinrent l'os pierreux de la tête du saint. Ils firent ensuite travailler considérablement au portail de leur église et en embellirent l'entrée.

On peut voir, dans une des salles de la mairie, le plan du monastère et de l'église fait en 1683, et où sont certainement figurés les travaux dont nous venons de parler.

La Fronde. — La guerre civile, dite la Fronde, éclata en 1648. Condé, qui commandait l'armée du roi, isola Paris de la province, en faisant occuper par son infanterie Pontoise, Saint-Cloud, Meudon, Montlhéry, Corbeil, Lagny, Charenton, Vincennes et Saint-Denis, de sorte que les Frondeurs n'eurent d'autre alternative que de mourir de faim ou de s'ouvrir un passage par les armes.

Cet investissement provoqua de nombreuses escarmouches qui rendirent fameuses les villes de Lagny, Vincennes et Montlhéry. Notre pays eut fort à souffrir dé ces troubles civils, les établissements privés et religieux ne furent pas épargnés.

Les curés. — Les curés des paroisses Saint-Paul et Saint-Fursy tendaient toujours à se soustraire à la dépendance de l'abbé.

À la suite d'un procès, le Parlement rendit, le 20 mai 1561, un arrêt notable au profit de l'abbé, considérant que les curés n'étaient que vicaires perpétuels de leurs paroisses.

La Fronde. — Les hostilités suspendues un instant par le traité de Rueil, 11 mars 1649, recommencèrent après la majorité du roi Louis XIV, 7 septembre 1651.

Pendant cette seconde guerre de la Fronde, Condé abandonne le parti du roi, tandis que Turenne quitte le parti de la Fronde pour rentrer dans le devoir.

Un nouveau fléau vint fondre sur notre pays.

Charles IV, duc de Lorraine, s'avançant sur Paris, vint camper à Lagny, le 31 mars 1652, à la tête d'une armée qui n'avait d'autre paye que le pillage des pays qu'elle traversait.

Après la perte de ses états, occupés par les Français, Charles errait à l'aventure, vendant au plus offrant ses services et le sang de ses soldats ; cet homme de Cour, ambitieux, séduisant, inconstant, qui avait toutes les grandeurs et toutes les faiblesses, tous les vices et toutes les vertus, était devenu un véritable chef de bande sans foi ni loi. Pendant qu'il marchandait à Mazarin ses services et ceux de ses dix mille soldats, il se vendait à la Fronde au prix de la restitution de ses états, de cent mille écus de pierreries et d'autant d'argent comptant. Charles faisait durer les négociations pendant lesquelles il recevait des deux partis.

Pendant ce temps, les environs de Paris étaient ravagés par les Lorrains. La paroisse de Dammard fut particulièrement maltraitée, cinq de ses habitants furent massacrés et brûlés par les soldats.

Longtemps nos populations eurent les Lorrains en horreur, et jusqu'à nos jours, cette haine, tout en s'effaçant, a poursuivi les ouvriers lorrains qui venaient travailler dans notre contrée.

Epidémie. — Pour comble de maux, une épidémie des plus meurtrières, développée par la grande agglomération des troupes et le manque absolu de toute précaution sanitaire, vint encore décimer le pays.

«Eglises sans pasteurs, villages déserts, pauvres mourant sans sacrements et avec un peu d'eau et de raisin pour toute nourriture et tout remède, c'est toujours le même tableau. C'est le tableau des cantons de Lagny, Corbeil et tant d'autres.»

Tout avait été ravagé par les armées, la terre même était en friche.

Turenne. — Grâce à la décision de Turenne, cette situation trouva son terme ; il arrive inopinément, à marches forcées, et surprend Charles dans son camp de Villeneuve-Saint-Georges.

Pour éviter une bataille dans des conditions désastreuses Charles s'engagea à opérer sa retraite sous quinze jours et quitta le pays au milieu de l'exaspération des deux partis.

Les succès de Turenne permirent à la Cour de se rapprocher de Paris, elle vint passer la Marne à Lagny, où Condé n'osa pas lui disputer le passage.

Turenne, de son côté, partit de Villeneuve-Saint-Georges, le 1er juillet 1652, pour se rendre à Lagny et, de là, à Saint-Denis.

Cette seconde guerre de la Fronde finit par le triomphe de la royauté.

Au mois d'octobre 1652, un service de charité fut organisé dans le diocèse de Paris. Les prêtres de la Mission, divisés en deux corps, gardèrent leurs postes d'Etampes, de Lagny et de Savigny. Le service des prêtres de la Mission était tellement pénible qu'au mois de novembre sept d'entre eux étaient déjà tombés malades dans le canton de Lagny.

«Des malades avaient vécu quinze jours d'eau et d'herbes, d'autres de racines, d'autres de vin qui les a brûlés ou des restes de pain de munition moisi, détrempé dans un peu de vin et d'eau.

La plupart étaient consumés par la fièvre, empoisonnés par leur propre infection ou par le voisinage des cadavres qu'ils n'avaient pas la force d'écarter. Sans vêtements, ils s'enfouissaient la nuit dans les fumiers comme des bêtes et le jour, sur la paille ou dans des cloaques, ils s'étendaient au soleil qui faisait éclore des vers dans leurs plaies.»

Le 24 novembre 1652, Vincent-de-Paul envoyait cent livres au frère Sénée, clerc de la mission à Lagny, et en même temps lui donnait des instructions relativement aux secours spirituels et temporels qui devaient être donnés aux malades par les curés et les chirurgiens.


CHAPITRE 10 : DE 1653 À 1789.

Louis XIV était devenu majeur depuis le 7 septembre 1651 ; quatre ans plus tard, la féodalité et le Parlement avaient appris qu'ils avaient un maître.

Charles-Maurice le Tellier, cinquante-septième abbé. — L'abbé Camille de Neuville se démit de son titre d'abbé après sa nomination à l'archevêché de Lyon, en 1653, et, la même année, Charles-Maurice le Tellier lui succéda comme cinquante-septième abbé. Ce prélat était, en 1696, archevêque de Reims, maître de la chapelle de musique du roi, abbé de Saint-Etienne de Caen, de Lagny, le Breteuil et de Saint-Benigne de Dijon.

Les Bénédictines de Laval. — Charlotte de Bret, prieure du monastère de Saint-Thomas de Laval, près Montereau, acheta en 1639, à Lagny, une maison pour y établir une communauté. Constituée prieure, elle obtint des lettres patentes pour sa maison, sous le titre de Notre-Dame de la Conception et de Saint-Joseph. L'acte, enregistré le 28 février 1642, dit que ces religieuses se destinaient à l'instruction des filles.

Dégoûtée, par la guerre de 1650, du séjour de Lagny, Charlotte alla s'établir à Conflans, près de Charenton.

Elle avait laissé à Lagny des religieuses qui obtinrent une donation et furent autorisées à prendre possession du monastère de Charlotte.

Le 17 octobre 1666, la maison des Bénédictines étant vacante, elle fut obtenue par une dame Petit, pour y établir des Bénédictines de Montluçon.

Ce dernier couvent subsista jusqu'en 1688.

La communauté de Saint-Thomas de Laval, d'où était sortie Charlotte, avait été transportée à Lagny en vertu de lettres patentes d'octobre 1647.

Leur maison fut appelée la maison Rouge et se trouvait dans le faubourg du Vivier.

Ce couvent, que les registres paroissiaux de Lagny nommaient la petite Religion, a été détruit après 1789, mais une place et deux rues nous rappellent le souvenir du couvent de Laval. Cette communauté dépendait de la paroisse Saint-Fursy.

Inondations. — De 1640 à 1659, notre pays fut désolé par une série d'inondations, dont les plus terribles furent celles de 1641, 1651 et 1658. Paris eut tellement à en souffrir qu'on fit divers projets pour détourner une grande partie des eaux de la Marne.

Dans tous ces projets, les ingénieurs voulaient creuser un canal qui reçût les eaux de la Marne au-dessus de Charenton pour les déverser en Seine au-dessous de Paris, vers Saint-Denis.

Paul de Lagny. — Paul de Lagny, capucin, fit imprimer à Paris, en 1662, un ouvrage intitulé : Méditations religieuses pour le matin et pour le soir. Cet ouvrage forme trois forts volumes in-4° couverts en basane.

Grenier à sel. — En 1664, le grenier à sel de Lagny comprenait 89 paroisses, 5.487 feux et 21.461 personnes, ce qui donne trois personnes par feu. Le prix du minot, quarante-huitième partie du muid qui, en 1542, valait vingt livres, fut de 41 livres 3 sols 11 deniers, dont 39 livres 8 sols 8 deniers pour le roi, et 1 livre 15 sols 3 deniers pour les droits des officiers. Ce grenier était borné par les grands greniers de Paris, de Senlis, de Meaux, de Provins, de Melun et par le petit grenier de Brie-Comte-Robert.

En 1645, les premiers petits pois qui parurent sur le marché furent payés cent francs la livre.

Le Père P... — En 1667, le Père P..., capucin, originaire de Lagny, publia à Paris, un volume in-8° intitulé : La Vie de la séraphique Marie-Lorense Lelong (
1).

Pierre Petit. — Pierre Petit, un des grands savants de son temps, vint à Lagny finir ses jours auprès de sa fille, religieuse chez les Bénédictines de Laval.

Il mourut le 20 août 1667, et fut inhumé dans le couvent.

En ce temps, le chirurgien remplissait les fonctions de barbier et il en coûtait deux cents livres pour apprendre, en trois ans, ce double métier.

Hospice général. — Sur une ordonnance du roi, enregistrée au bailliage de Lagny le 1er avril 1672, l'abbé, les religieux, le maire, les échevins, syndics et habitants de la ville donnèrent leur consentement à l'établissement d'un Hospice général, formé par la réunion de l'Hôtel-Dieu avec les dépendances et revenus, aux aumônes générales des particuliers, des religieux et des séculiers.

Par suite de cette décision, ils obtinrent du roi, pour la réalisation de leur projet et pour lever toutes les oppositions, des lettres patentes, en date de novembre 1670.

En ce temps, Lagny était véritablement envahi par les pauvres, à cause de sa position entre Paris, Melun, Meaux, Senlis et Pontoise, villes en possession d'hospices généraux qui repoussaient les étrangers.

L'archevêque de Paris voulut s'opposer à l'établissement de cet hospice général ; il s'ensuivit un procès qui fut gagné par l'abbé et les Laniaques.

Depuis cette époque jusqu'en 1789, l'administration de l'hospice est restée, sous l'autorité de l'abbé, entre les mains des Laniaques, clercs et séculiers.

Le roi donna à l'hospice les terres de l'ancienne maladrerie de Gournay, les terres d'Hermières, et des biens sur Chelles. De cette époque à 1764, l'hospice de Lagny posséda une ferme à Bussy ; des terres et des prés aux environs de Lagny, dans la prairie de Torcy ; des biens à Lagny, Champs, Annet et autres lieux.

Ecusson de la ville. — Pendant la lutte contre l'archévêque de Paris, le roi avait donné son appui aux Laniaques, et c'est sans doute depuis cette époque et en signe de la protection royale que ceux-ci placèrent la couronne fermée sur l'écusson de la ville.

Dans le même temps, la couronne fut placée sur l'L et le clou. L'écusson avait été sommé d'une couronne murale, après que Lagny fut devenue ville forte.

Garnison. — La garnison de Lagny était considérable alors puisque d'Amboise commandait, en 1673, «quatre mille hommes de garnison en la ville de Lagny.»

Louis XIV vint coucher à Lagny le 19 juillet 1683, où il logea dans une maison de la rue Saint-Paul. On remarquait encore, en 1789, au-dessus de la porte principale de cette maison, l'écusson de France qui fut placé là en commémoration de cet événement. La paroisse Saint-Fursy, sur laquelle se trouvait Louis, reçut des marques de la munificence royale, des colonnes et autres ornements pour le maître-autel.

Denis Fournier. — Dans ce temps, vivait à Paris un très habile chirurgien, nommé Denis Fournier, né à Lagny où il fut baptisé dans l'église Saint-Sauveur, le 6 mai 1613. Denis se distingua par un talent particulier à remplacer les membres perdus par des membres artificiels.

Il inventa et perfectionna plusieurs instruments de chirurgie. Il a laissé plusieurs ouvrages (2) : Traité de la gangrène et particulièrement ce qui survient en sa peste ; L'Economie chirltrgicale pour le rétablissement des os du corps humain ; L'Economie chirurgicale pour le rétablissement des parties molles du corps humain ; L'Accoucheur méthodique ; L'Explication des bandages, tant en général qu'en particulier. Denis mourut le 25 novembre 1683.

L'indifférence des Laniaques a été la même pour Denis Fournier que pour Godefroy de Lagny et Robert Gabin. L'oubli le plus profond entoure la mémoire de ce savant, qui a passé sa vie à soigner et à soulager ses semblables.

L'église Saint-Pierre. — Les Bénédictins de Saint-Maur firent des travaux considérables dans l'église et l'abbaye ; ils parvinrent à détourner les eaux et à assainir l'église. Ces travaux étaient achevés en 1688, puisque le plan de l'abbaye restaurée fut levé en cette année pour être joint au grand ouvrage perdu de dom Michel Germain : Monasticon Gallicanum (3).

Ce plan nous représente le monastère tel qu'il est encore de nos jours, à l'exception de la tour turris campanaria, placée du côté de l'église et qui a été démolie.

Saint-Sauveur. — La paroisse de Saint-Sauveur était la plus pauvre de la ville ; ses fidèles étaient pour la plupart des cultivateurs, des vignerons et des artisans. L'église située sur la place du même nom était aussi la plus petite ; les débris de l'édifice semblent indiquer qu'elle se composait d'un vaisseau principal avec bas-côtés et d'une sacristie placée dans le fond sur le côté gauche de l'autel. Dans ces quelques vestiges on reconnaissait des piliers ronds, des arceaux en pierre de taille et une tête grossièrement sculptée, couronnée de fleurs et environnée de raisins et de feuilles de vigne. Cette tête supportait un chapiteau sur lequel se réunissaient les retombées des deux voûtes. Sur la corniche extérieure de l'église, on voyait des diablotins, des têtes grimaçantes et des animaux fantastiques.

Cette construction toute romane doit appartenir au XIe siècle et avoir été l'œuvre de Herbert II.

Il ne reste rien aujourd'hui de Saint-Sauveur.

Effets de la foudre. — Dans cette modeste église, ordinairement si tranquille, se passa, en 1689, un événement qui bouleversa longtemps les esprits. Le tonnerre était tombé sur le clocher, l'avait dépouillé de ses ardoises, avait renversé cinquante personnes, avait atteint le grand autel qu'il mit en désordre, déchiré en quatre pièces le carton sur lequel était imprimé le canon de la messe, d'une manière singulière, c'est-à-dire en forme de croix de saint Antoine, la nappe de l'autel et le tapis qui le couvrait ; mis le grand autel tout en feu, brûlé une partie des nappes et du tabernacle, sur lequel il forma plusieurs ondes noires, et avait imprimé, en un instant, sur la nappe de l'autel, les paroles sacrées de la Consécration, depuis celles-ci : Qui pridie, etc... jusqu'à ces autres : Hœc quotie, en exceptant celles qu'on a coutume d'imprimer en rouge. Le tonnerre avait fait le personnage d'imprimeur et d'imprimeur qui sait la langue latine ! L'impression était celle de la typographie ordinaire, à cette différence que les lettres étaient renversées de droite à gauche.

Le bruit d'effets aussi surprenants se répandit au loin et émut le monde savant.

Un oratorien distingué, le Père Lamy, donna l'explication naturelle de ce phénomène. Il démontra que la différence de la composition des encres rouge et noire était la raison pour laquelle les lettres noires étaient bien marquées, tandis que les lettres rouges étaient à peine marquées et à peu près illisibles.

Ces explications firent évanouir toutes les idées superstitieuses et le calme rentra dans les esprits ; l'électricité libre venait d'exécuter une image semblable aux produits de la photographie moderne.

Les sages-femmes. — En 1691, l'installation d'une sage-femme se faisait par le curé de la paroisse, en présence de tous les habtants et avec une certaine solennité ; la sage-femme prêtait serment sur l'Évangile entre les mains du curé.

Fiefs. — En 1695, un recensement fut fait dans le but de reconnaître le nombre des individus devant le service militaire, et d'établir les contributions suivant l'importance des fiefs. Les fiefs déclarés furent au nombre de trente-deux.

Un pareil recensement avait été fait en 1539 et un autre en 1635 (4).

L'abbé Maurice le Tellier, après avoir été nommé archevêque de Reims, abdiqua le siège de Lagny.

Joseph de la Trémoille, cinquante-huitième abbé. — Joseph Emmanuel de la Trémoille lui succéda, le 8 septembre 1695, comme cinquante-huitième abbé.

Il fut créé cardinal le 17 mai 1706.

La Châtellenie royale. — À cette époque, le pays était divisé en châtellenies royales, c'est-à-dire en circonscriptions contenant une ou plusieurs châtellenies seigneuriales.

En 1704, la châtellenie de Lagny, bornée au nord par la Marne, comprenait le Comté et s'étendait encore, vers le sud, au delà des villages de Pontcarré et de Villeneuve-Saint-Denis ; elle comprenait les villages ou hameaux suivants : Torcy, Lognes, Le Buisson, Croissy, Rentilly, Le Chemin (Guermantes), Ferrières, Pontcarré, Conches, Chanteloup, Jossigny, Villeneuve-Saint-Denis, La Motte, Serris, Chessy, Montévrin, Le Grange-du-Bois, Saint- Denis-du-Port, Saint-Thibauld et Gouvernes.

Le pont en bois avait alors sept arches, et était en bon état.

En ce temps, Valentin le Bel, salpêtrier, avait un atelier à Lagny, et livrait annuellement 4.000 livres de salpêtre à l'arsenal de Paris.

Mesurage. — Au XVIe et au XVIIe siècle, le mesurage et le pesage de tous les grains et tous les droits à percevoir, en usage dans la ville et le comté de Lagny, s'affermaient par bail, à l'exception des droits à percevoir le jour de la foire.

Église Saint-Laurent. — Le hameau de Saint-Laurent, qui entourait l'église de ce nom, avait été en grande partie détruit par les guerres, de sorte qu'au commencement du XVIIIe siècle, l'église se trouvait à peu près isolée au milieu des champs et exposée aux insultes des malfaiteurs.

Le curé de Saint-Denis-du-Port, dont dépendait Saint-Laurent, obtint de l'archevêque de Paris la permission de démolir l'église, ce qui fut fait.

Les arquebusiers. — L'établissement de l'arquebuse à Lagny est ancien. En 1432, lors du fameux siège de la ville par Bedford, les arquebusiers de la ville aidèrent à repousser les assauts des Anglais.

Cette compagnie jouissait de très beaux privilèges.

Elle s'est toujours distinguée et a présenté quatre prix provinciaux, en 1635, 1670, 1671 et 1686.

Le nombre des arquebusiers de Lagny, qui était de vingt et un, fut élevé à trente, le 18 décembre 1773. Les plus hauts dignitaires, les notables de la ville tenaient à honneur l'être comptés au nombre des arquebusiers. L'arquebusier qui au grand jour du tir abattait l'oiseau jouissait de certaines immunités; celui qui remportait le prix de la province prenait le titre de roi. Son uniforme était : habit gris de fer, collet, revers et parements de velours noir, garnis de brandebourgs en argent et galonnés de même ; deux épaulettes d'argent ; veste et culotte chamois ; brandebourgs et galons d'argent doubles pour les officiers ; guêtres blanches à boutons noirs; chapeau d'argent bordé avec un plumet.

Toute compagnie avait son dicton, celui de Lagny était :

Jamais, jamais, messieurs, combien vaut l'orge ?
Ce ton moqueur
Ne nous est pas flatteur ;
A ce propos railleur
Notre honneur se rengorge,
Et la gloire et l'amour
Nous disent en ce jour :
Jamais, messieurs, jamais combien vaut l'orge ?

Le fusil de tir avait remplacé l'arquebuse des batailles, mais les sociétés gardèrent leur ancien nom et tous les ans, tiraient le prix de l'arquebuse. Cet usage a cessé à Lagny depuis quelques années.

Alain de Gantaut, cinquante-neuvième abbé. — L'abbé de la Trémoille mourut à Rome, le 10 janvier 1720. Il eut pour successeur Jacques-Alain de Gontaut comme cinquante-neuvième abbé.

En ce temps, la foire de Saint-André durait huit jours.

En 1727, le bassin de la fontaine fut réparé.

Le pont. — Le pont était si mal entretenu qu'il s'était rompu par trois fois. Un tel état de choses était intolérable et l'abbé, dans une requête au roi, offrit de rétablir le pont de bois en cinq mois, moyennant l'abandon, pendant vingt ans, d'un droit de péage fixé par un tarif, droit qui devait être payé par tous, même par les habitants ; de plus il demandait à percevoir les droits sur les bois pendant la reconstruction du pont, ainsi que les droits seigneuriaux perçus par la demoiselle de Gesvres sur les moulins attenant au pont. La dépense était évaluée à quinze mille livres.

L'abbé et la demoiselle de Gesvres se mirent en contestation, si bien que les réparations du pont ne furent pas faites en temps utile et que les deux parties furent déchues de leurs droits.

Louis XV, par un arrêt de septembre 1730, en donna pour douze ans le péage au sieur Rennequin, à condition de le reconstruire en quatre mois, en se conformant à des plans et alignements à lui imposés, et de le rendre en bon état à la fill de son bail.

Un tarif détaillé fut fait et affiché aux deux extrémités du pont.

Paul de Beauvilliers, soixantième abbé. — L'abbé de Gontaut mourut à Paris, le 15 décembre 1732, et Paul-Louis-Victor de Beauvilliers lui succéda comme soixantième abbé, le 28 février 1733.

Louis XV dédommagea grandement les seigneurs de Montjay, ducs de Gesvres, au préjudice des droits de l'abbaye de Lagny. Après l'expiration du bail Rennequin, il leur donna, le 28 juillet 1741, le pont à perpétuité, mais à la condition de le bien entretenir.

La porte Saint-Laurent, sur laquelle était placé un corps de garde, tombait alors de vétusté. Dans une assemblée générale, tenue le 10 juillet 1745, et à laquelle assistaient la plus grande partie des habitants, il fut décidé que la porte serait démolie et que les matériaux en seraient vendus.

Décadence. — En 1752, notre ville était bien déchue de son ancienne splendeur ; après sa population industrielle et commerçante, elle avait perdu ses garnisons, souvent si nombreuses, et, tous les jours, les habitants diminuaient.

D'après les registres paroissiaux, la population, de 1694 à 1719, varia de quinze à dix-sept cents habitants. Dans un mémoire, imprimé en 1752, on lit : «La ville de Lagny bien différente de ce qu'elle fut autrefois, n'est plus aujourd'hui composée que de quatre cents feux dans l'intérieur des fortifications, et la plupart de ceux qui l'habitent sont des manouvriers et journaliers qui ne sont jamais dans le cas d'avoir besoin du ministère...

A Lagny, il n'y a plus que deux foires, chaque année, dont une même n'est presque plus fréquentée, et un seul marché ordinaire au lieu de trois qu'il y avait autrefois.»

Ce chiffre de quatre cents feux est prouvé par le rôle des tailles ; il diminua encore et, en 1766, la population ne se composait plus que de trois cent trente-neuf feux.

La décadence était complète. Notre ville continua à végéter pendant un siècle, et ce n'est que vers l'année 1850 que le chemin de fer, en y ramenant la vie et le mouvement, lui rendit une partie de son antique opulence et de son ancienne population.

Christophe de Beaumont. — Lagny devint, en 1755, le lieu d'exil de Christophe de Beaumont, archevêque de Paris, adversaire des Jansénistes et de madame de Pompadour. D'abord exilé à Conflans, près Paris, où il possédait une maison de campagne, le roi lui ordonna de quitter ce lieu et de chercher «un nouvel exil» à Lagny-sur-Marne. Beaumont obéit et descendit à Lagny dans l'humble habitation du curé de Saint-Paul, qui lui abandonna son unique chambre et son lit ; quelques jours après il consentit à élire domicile dans une maison plus spacieuse. Les pauvres de la ville y gagnèrent un revenu de cinquante livres par semaine que le prélat s'engageait à leur payer. Beaumont était à Lagny depuis quinze jours à peine, lorsque Louis XV, qui ne pouvait se défendre d'une profonde estime pour Christophe, l'autorisa à rentrer dans sa maison de campagne.

Les fossés. — Les fossés et remparts de la ville furent mis en vente vers cette époque, et l'abbé en devint propriétaire engagiste pour le roi.

Don gratuit. — Pour soutenir la désastreuse guerre de Sept Ans, Louis XV ordonna que toutes les villes du royaume auraient à payer un don gratuit pendant six années consécutives, à partir du 1er janvier 1759. Le don de Lagny fut fixé à trois mille livres.

Pour payer cet impôt, un octroi de sept ans fut établi, et les droits frappèrent toute personne sans distinction d'état, à l'exception des seuls hôpitaux et hôtels-Dieu.

Dom Chaugy. — Le 27 février 1760, mourut à Lagny notre bénédictin dom Jean-Charles Chaugy, auteur d'un mémoire manuscrit pour servir à l'histoire de l'Abbaye royale de Saint-Pierre de Lagny. Dom Chaugy avait fait profession le 4 février 1728.

Subdélégué. — En 1785, l'intendant de la Généralité de Paris avait un subdélégué à Lagny. Cette subdélégation dura jusqu'à la suppression des Généralités.

Lagny possédait une institution connue sous le nom de Charité, dont Barré, curé de Saint-Thibaud-des-Vignes et natif de Lagny, était le principal fondateur.

Le but de cette institution était de faire distribuer, à domicile, des secours aux indigents (5).

Bailliage. — Le gouvernement de Champagne et de Brie fut divisé en quatre départements. La Brie fut un de ces départements, composé des bailliages de Meaux, de Provins et de Château-Thierry. Lagny faisait partie du bailliage de Meaux.

Gouverneurs. — Comme ville forte, Lagny avait ses gouverneurs militaires. Le nom de la plupart de ces dignitaires est oublié, mais quelques-uns sont restés célèbres dans notre histoire locale, comme ceux de Pierre de la Crique, d'Ambroisé de Loré, de Jehan Foucault et de La Fin. Ce gouverneur avait des gardes particuliers pour le service de sa personne et de son gouvernement. Le dernier fut Charles-Henri Feydeau, marquis de Brou, qui avait succédé à son père Antoine-Joseph Feydeau. Lorsque Lagny cessa d'être place forte, elle reçut des gouverneurs civils.

Le gouverneur de Lagny est porté parmi ceux qui recevaient un traitement, mais nous ne savons quelle somme il recevait.

Corps municipal. — Le nombre des échevins, le mode de leur élection et de celle du maire, la durée de ces diverses fonctions a considérablement varié sous nos rois (6).

Mais à travers toutes ces vicissitudes, le pouvoir du maire ou de l'échevin se trouva toujours contenu et souvent entravé par l'autorité des intendants royaux, comme il l'est de nos jours par l'autorité des préfets.

Nous possédons peu de documents sur la viabilité et l'assainissement de la ville. Cependant, en 1770, il existait à la porte Vacheresse un égout qui, de là, se déversait sans doute dans les fossés de la ville.

Assemblées municipales. — Les assemblées municipales se tenaient alors le dimanche : à l'issue de vêpres, nos officiers municipaux se réunissaient en la maison ordinaire de la chambre du bailliage. La convocation était faite au son du tambour et de la cloche. La première délibération dont nous avons connaissance, date du 8 août 1773 ; l'assemblée nomma en cette séance trois collecteurs des tailles pour 1774.

Il n'y avait pas encore de maire, mais un seul échevin et un procureur syndic.

Ces officiers, nommaient les collecteurs des tailles, veillaient, à l'entretien de la fontaine et du pavé des rues, à l'octroi sur les vins, et quelquefois soutenaient un procès. Pour les travaux publics à exécuter, on procédait déjà par adjudications au rabais.

Louis de la Marthonie, soixante-et-unième abbé. — L'abbé de Beauvilliers mourut le 17 mai 1773 et eut pour successeur Jean-Louis de la Marthonie de Caussade, évêque de Meaux, qui fut le soixante-et-unième abbé. Notre abbé fut le premier qui, en 1761, accorda à ses diocésains la permission de manger des œufs en Carême ; il encouragea la publication de l'«Almanach de Meaux», qui parut pour la première fois en 1791.

Le revenu de l'abbaye, en 1774, était de 12.800 livres.

Voitures publiques. — Le service des voitures publiques était alors bien incomplet. Le coche par rivière était abandonné et la voie de terre était la seule suivie : Le carrosse de Paris à Lagny partait de la rue du Bracq, au Marais, les mardi, jeudi et samedi à sept heures et demie du matin.

Les lettres de Paris pour Lagny partaient de l'Hôtel des Postes, rue Plâtrière, tous les jours, à midi.

Droits d'octroi. — L'assemblée municipale prit, le 18 mars 1775, la résolution suivante : «La ville se rendra adjudicataire des revenus de la ville, consistant dans la moitié des droits d'octrois, courtepinte et appetissement de mesures à percevoir sur les cabaretiers et marchands de vin en détail demeurant en cette ville, et de porter le prix principal, sauf le droit de régie, jusqu'à la somme de seize cents livres» et cela par la raison que le bénéfice des anciens adjudicataires était de 400 à 600 livres.

Par un arrêt du 4 août 1745, établissant le tarif des octrois municipaux à percevoir sur les villes du royaume, le conseil avait fixé le tarif pour Lagny à 24 sols par muid de vin passant au-dessus ou au-dessous du pont de cette ville.

La milice. — L'année 1775 fut une année de disette ; le blé fut tellement cher que des étrangers au comté se réunissaient en bandes, pénétraient à main armée dans les villes et s'emparaient des grains qu'ils payaient d'après un prix fixé arbitrairement par eux. Sous le coup d'une semblable invasion, la municipalité fut assemblée d'urgence, le 10 mai 1775 : on nomma séance tenante, à la pluralité des voix, une milice bourgeoise, avec capitaines, sergents et caporaux qui fut chargée de la garde et de la défense des quatre portes de la ville : celles du Vivier, de Saint-Laurent, Vacheresse et Marchande.

On envoya de Paris, pour soulager cette milice, un nombre suffisant de soldats et de dragons.

Mais cette garnison à gage devint tellement à charge aux habitants qu'ils demandèrent son rappel ; la milice reprit son service et heureusement suffit à maintenir l'ordre.

Les places. — Les places étaient mal entretenues et la municipalité avait fait un procès à l'abbé de Beauvilliers qui se refusait à faire les réparations nécessaires et qui était mort au cours du procès.

Un jugement intervint en juin 1775, décidant que, le seigneur abbé, haut-justicier de la ville, ayant perçu des droits sur les places le jour du marché, les réparations de ces places doivent être il sa charge et que l'abbé de Beauvilliers, étant à sa mort titulaire de l'abbaye, ses héritiers sont tenus de faire les réparations.

Abreuvoir. — Lagny ne possédait alors qu'un seul abreuvoir praticable au bord de la Marne : il se trouvait à l'extrémité de la rue des Vieux-Moulins et fut réparé en 1776.

D'après un mesurage, fait le 16 septembre 1777, il résulte que le territoire de Lagny se décomposait de la manière suivante :

Mesure locale : 19 pieds, 4 pouces. Mesure du Roy : 22 pieds.

   Arpents   Pieds   Pouces   Arpents   Pieds  
Terre labourables 561 37 7 429 22
Prés 169 44 7 126 22
Vignes 63 45 7 47 32
Maison, bâtiments, jardins enclos   156 73 7 116 90
Chemins, routes, rivière 42 64 16 21 82

Prédications. — La ville payait les prédicateurs pour les stations du Carême et de l'Avent, elle donnait 25 livres pour la prédication de la station du Carême et 20 livres pour la prédication de l'Advent.

L'arbalète. — Il résulte d'un placet adressé au roi, le 30 août 1778, que le jeu de l'arbalète avait été en vigueur jusque vers 1750. Les officiers et chevaliers de cette compagnie étaient tous «ecclésiastiques maîtres ès-arts, officiers de judicature, notaires, praticiens et marchands qui s'assemblaient quelquefois, particulièrement le jour de la Saint-Sébastien, et faisaient faire un office auquel ils assistaient sans armes, ni drapeau, en l'église Saint-Fursy, principale paroisse de la ville.»

Réjouissances. — Le 27 décembre 1778, il y eut à Lagny de grandes réjouissances à l'occasion de la naissance de madame la Dauphine, fille de Louis XVI, qui, en 1792, fut enfermée au Temple et mourut en exil après la Révolution de 1830. Un Te Deum fut chanté. Il y eut feu de joie, collation et, le soir feu d'artifice et illuminations.

La dépense s'éleva à 200 livres, dont 9 pour les tambours et fifres, 80 pour l'artifice et les illuminations, 22 livres pour le bois et 80 pour la collation «donnée en forme d'ambigu» (7).

L'abbé de la Marthonie mourut à Paris, en février 1779 et fut inhumé dans l'église de Saint-Sulpice.

Il eut pour successeur un de ses neveux, Marie-Joseph Gréen de Saint-Marsault, qui fut le soixante-deuxième et dernier abbé de Lagny, de 650 environ à 1789.

Gréen de Saint-Marsault. — À la mort de son oncle, il le remplaça comme premier aumônier de Madame Adélaïde et fut nommé, cette même année, abbé de Lagny et évêque de Pergame in partibus infidelium.

Milice. — En 1779, la ville payait à son menuisier le prix de «la mesure qui sert au tirage à la milice.»

Il y avait donc dans l'armée une taille réglementaire.

Sous l'ancienne royauté, le mode légal de recrutement était le tirage à la milice, mais les exceptions étaient si nombreuses dans la classe aisée que les hommes étaient fournis presque exclusivement par les ouvriers et les cultivateurs. Le fils du plus petit fonctionnaire était alors exempt de droit, d'où la nécessité des engagements à prix d'argent.

Le tirage se faisait dans la maison du subdélégué de l'intendant ; les cavaliers allaient rejoindre le régiment qui leur était désigné, mais les fantassins étaient le plus souvent incorporés dans le régiment de leur province. Chaque village s'imposait une cotisation en faveur des jeunes gens désignés par le sort, les miliciens.

Les brillantes victoires remportées par les armées de France en Amérique, et dont le résultat fut l'expulsion des Anglais des États-Unis, furent l'occasion en notre ville de réjouissances publiques.

Revenus. — Les revenus de la ville s'élevaient alors à la somme de 1.900 livres 10 sols. Cette somme, entre autres choses, servait à entretenir les fontaines et toutes les rues dont, en 1779, la totalité était de 5.137 toises carrées (8).

Bien que les officiers municipaux eussent droit, pour les charges achetées par eux à prix d'argent, à des émoluments payés par la ville, jamais ils n'en avaient réclamé le paiement.

Un conseiller assesseur, ayant voulu exiger les gages de son office, vit sa demande vivement repoussée et finalement rejetée par les autres officiers municipaux.

Le Prince. — Le 1er octobre 1731, fut inhumé à Saint-Denis-du-Port, où il était mort la veille, Jean-Baptiste Le Prince, peintre et graveur, né à Metz en 1733. Elève de Boucher, Le Prince parvint vite à la réputation, et fut reçu académicien en 1765 ; il exécuta un nombre considérable de peintures et de dessins.

Ramard. — Le premier maire de Lagny fut Claude César Ramard, installé le 3 novembre 1781.

Le naissance d'un Dauphin, le 22 octobre, fut l'occasion, le 4 novembre suivant, de fêtes publiques semblables à celles qui avaient eu lieu lors de la naissance de la Dauphine.

La dépense s'éleva à 236 livres 8 sols.

Le prix de location de la maison, située rue des Etuves et qui servait d'hôtel de ville, était de 300 francs.

Munitions. — Le transport des munitions de guerre se faisait souvent par bateau, et la milice bourgeoise de la ville était requise pour garder, pendant la nuit, les poudres et autres munitions.

Don patriotique. — La municipalité, mue par un sentiment patriotique, fit offrir au roi, le 12 juin 1782, la somme de dix mille livres pour réparer les désastres de notre marine.

Par une lettre, enregistrée le 2 janvier 1783, le duc de Bourbon, gouverneur de Champagne et de Brie, informe le maire et les échevins que Jacques le Paire, demeurant à Lagny, a été nommé garde de Champagne.

Revenus et charges. — Sur l'ordre de l'intendant, fut dressé l'état suivant des revenus et charges de la ville en 1783.

Montant des revenus annuels 1.831 l. 1 s. 6 d.
Montant des dépenses annuelles 1.055 l. 2 s. 6 d.
Objets de dépense prochaine 4.000 l. 0 s. 0 d.
Différentes reconstructions et réparations urgentes à faire à la fontaine publique.   800 l. 0 s. 0 d.

La dépense prochaine de quatre mille livres était la part pour laquelle la ville devait contribuer dans la construction d'un chemin pavé, allant de Lagny à la chaussée de Pontcarré et Tournan, puis, prenant en bas de la montagne de Ferrières, la grande route de Paris par Croissy, Malnoue, Saint-Maur et Vincennes.

Ce chemin pavé devait avoir une largeur de douze pieds sur une longueur d'au moins trois mille huit cents toises.

Paroisses. — En cette même année, il fut question de réunir la paroisse Saint-Sauveur aux paroisses Saint-Paul et Saint-Fursy, ce projet n'eut pas d'exécution.

Anciennement, trois religieux bénédictins étaient chargés par leurs supérieurs de l'instruction des fidèles ; chacun d'eux avait son district, son oratoire dans la ville. Ces trois espèces de bénéfices furent sécularisés, on en fit trois paroisses ; à celle de Saint-Fursy, on attacha le fief de Saint-Venant. Ce fief, détaché de l'abbaye vers 1526, rapportait six cents livres, lesquelles, jointes aux revenus de la cure, constituaient un bénéfice de plus de deux mille quatre cents livres.

La culture de la pomme de terre fut introduite en France vers cette époque (1783). Ce tubercule fut d'abord considéré comme un aliment grossier et nuisible ; mais l'agronome français Parmentier parvint à détruire ce préjugé et à vulgariser la culture et l'usage de la pomme de terre dans l'alimentation. Ce fut vraisemblablement à cette époque que la paroisse Saint-Denis-du-Port donna à une de ses rues le nom de Parmentier, vulgarisateur de la pomme de terre.

Paix de 1783. — La conclusion de la paix, signée le 3 septembre 1783, entre la France, l'Espagne et les États-Unis d'une part, et de l'autre l'Angleterre, fut saluée à Lagny par des réjouissances publiques dont la dépense s'éleva à deux cent quarante-six livres cinq sols.

La roue. — Un criminel, du nom de Mathieu Dupont, avait été condamné au supplice de la roue pour avoir assommé une femme à coups de bâton et l'avoir égorgée avec un couteau.

Les Laniaques furent les témoins de la terrible exécution. Le jour du marché, ainsi que l'ordonnait la sentence, le condamné amené sur un échafaud dressé sur la place publique fut fixé sur quatre soliveaux formant la croix de Saint-André ; le bourreau lui brisa, avec une barre de fer, le haut et le bas des bras, les jambes, les cuisses et les reins ; puis le corps, rompu de cette façon, fut placé, les yeux tournés vers le ciel, en rond autour de la roue et laissé dans cette position exposé au regard de la foule jusqu'au dernier souffle de la vie.

Police. — Le 4 juin 1785, un arrêt de la cour du Parlement homologuait une sentence, rendue le 27 juin 1783, en la justice de Lagny, concernant l'ordre et la tranquillité publics. Cette sentence est divisée en soixante et un articles (9).

Certaines dispositions de cette sentence méritent une sérieuse attention : Ainsi, en 1783, l'instruction était obligatoire, puisque les chefs de famille recevaient l'injonction d'envoyer leurs enfants et pupilles aux écoles et instructions chrétiennes ; les règlements sur les alignements, la police des rues, des voiries et des maisons, sur les maladies des chevaux ; le séjour des inconnus, et sur l'obligation imposée aux filles et aux femmes enceintes hors de légitime mariage, sont d'une grande prévoyance.

Nous remarquons surtout la sollicitude qui était apportée à l'approvisionnement public et la protection accordée aux classes malheureuses, sentiments qui se manifestent dans les règlements relatifs au glanage, et dans les sévères obligations imposées aux boulangers, bouchers, hôteliers, cabaretiers et à tout acheteur par profession.

Nous signalons encore l'article relatif au vieux dicton : Combien vaut l'orge.

Procureur du roi. — Le corps municipal avait demandé, le 16 octobre 1785, la nomination d'un procureur du roi. Cette demande fut entendue. Jacques le Paire fut nommé procureur du roi et installé le 30 avril 1786.

Voitures. — En 1786, le coche pour Chelles et Lagny partait trois fois par semaine, été comme hiver, pour arriver en un jour ; en 1790, le coche avait pris le nom de Carrosse, et en 1792, celui de Gondole. En 1790, le prix des places était de trois livres à l'intérieur et de deux livres au dehors.

Changeur. — En 1786, fut nommé le dernier changeur de Lagny, Jean Bureau ; cet office avait alors peu d'importance ; c'était un des derniers souvenirs de nos grandes foires du Moyen Âge. Le prix de la charge fut de mille livres.

Elections. — Contrairement aux dernières nominations, deux échevins furent nommés le 25 juin 1786, à la pluralité des voix et non par lettres patentes du roi.

Les revenus de la ville subirent alors une diminution sensible ; la moitié des droits d'octroi, courtepinte, etc., appartenant à la ville, fut affermée le 26 février 1787 pour la somme de mille trois cent vingt livres. En 1779, ce fermage s'élevait à la somme de mille huit cent soixante-cinq livres ; différence en moins : cinq cent quarante-cinq livres.

Municipalité. — La municipalité, alors au complet, était composée d'un maire, de deux échevins, quatre conseillers, un assesseur, un procureur du roi, un receveur et un greffier.

Les convocations, faites au son du tambour et de la cloche, le furent encore par placards et par billets d'invitation.

Guillaume Coutans. — En 1788, Guillaume Coutans, bénédictin de Lagny, géographe du roi, publia l'Atlas topographique des environs de Paris, atlas qui fut publié de nouveau en 1800 (10). Coutans publia encore d'autres ouvrages.

La corvée, abolie le 12 mars 1776, fut remplacée par une contribution qui s'éleva à Lagny, en 1785, à la somme de cinq cent soixante-trois livres un sol trois deniers.

L'arrondissement. — Par la répartition faite par l'assemblée provinciale siégeant à Melun le 18 août 1787, il fut formé dans l'élection de Paris un département de Corbeil. Ce département fut divisé en six arrondissements. Lagny fut un de ces arrondissements ; il comprenait quarante-six paroisses, dont Bry-sur-Marne.

Louis XVI. — De graves événements s'accomplissaient alors en France. Le jeune roi Louis XVI avait signalé son avènement au trône par des actes qui lui valurent l'approbation générale : la suppression du droit de joyeux avènement, l'abolition de la corvée et de la torture, le rappel du Parlement, la création du Mont-de-Piété et de la Caisse d'escompte.

Dans ses réformes économiques, le roi, dont la bonne foi était absolue, alla même jusqu'à désarmer la royauté : il supprima sa maison militaire, chevau-légers, mousquetaires, gendarmes et grenadiers à cheval, de sorte que la royauté, qui avait besoin de toutes ses forces, surtout au jour des concessions, se trouvait complètement impuissante au moment où elle allait changer la constitution politique du pays, par l'abandon d'une grande partie de ses anciens droits.

Le roi convoqua deux fois et sans résultat l'assemblée des notables, puis se voyant abandonné du Clergé et de la Noblesse qui ne voulaient renoncer à aucun de leurs privilèges, il se décida à convoquer les États généraux qui ne l'avaient pas été depuis 1614.

Les députés furent nommés le 21 mars 1789, et les États généraux, dont l'assemblée reçut le nom de Constituante, se réunirent à Versailles, le 5 mai 1789.

À Lagny, la grande inquiétude était le manque de subsistances ; la grêle et le froid excessif de l'hiver 1788 à 1789 avaient dévasté les récoltes ; le blé était très cher et l'approvisionnement nul.

Sur le registre paroissial de l'église Saint-Sauveur, de 1790 à 1792, nous lisons le récit suivant : «L'année 1788 et cette année 1789 seront à jamais fameuses dans l'histoire par les fléaux qui suivirent ces années. Le 13 juillet 1788, une grêle accompagnée d'un vent impétueux ravagea les trois quarts de la France. Les récoltes, les arbres, les vignes, les maisons, les animaux qui se trouvèrent dans les champs avec les hommes furent détruits par cette grêle terrible dont on a mesuré des morceaux qui portèrent jusqu'à douze pieds de long, sur cinq à six de large. Le blé fut extrêmement cher sur la fin de l'année 1788 et pendant toute l'année 1789. La fin de l'année 1788 fut aussi remarquable par le froid long et rigoureux qui commença le 13 octobre et dura jusqu'au 18 janvier 1789. La veille du jour de l'an, le thermomètre (ce qu'on n'avait jamais vu en France) descendit jusqu'à dix-huit degrés au-dessous dela glace.

Ce froid rigoureux acheva de détruire les arbres que la grêle précédente avait si fort endommagés.

Les vignes furent gelées et il n'y eut pas de récolte de vin. Les arbres fruitiers pour la plupart, ainsi que les noyers avec quantité d'arbres dans les forêts, furent gelés.

L'année 1789 ne le céda pas à l'année 1788 par des fléaux d'une autre espèce qui se firent sentir sur toute la France. Par ce qui s'est passé, on eût dit que les éléments et les hommes, avec toute la méchanceté dont ils sont coupables, étaient conjurés contre ce beau pays.»

Sur ce même registre, nous lisons encore :

«Le 29 juillet 1790, sur les trois heures et demie du matin, il s'éleva sur Lagny et les environs une tempête accompagnée d'éclairs et de tonnerres et qui poussa sur le pays une nuée pleine de grêle qui détruisit et ravagea les églises, les maisons et la récolte. En deux ou trois minutes tout périt et fut détruit. A tous les malheurs publics se joignit encore ce désastre qui acheva de ruiner Lagny.

Depuis deux ans, par la stérilité des années précédentes, le pain est à quatre sols la livre ; la vigne en 1789 avait été gelée, le commerce était détruit.

La récolte de cette année était abondante en vin et en grain et tout fut perdu.

Tous les vitraux de cette église (Saint-Sauveur) furent brisés et saccagés, ainsi que les vitres du presbytère.

Malheur à la génération à laquelle ces calamités surviennent.»

La rosière. — Une rosière, Angélique Pasquier, fut couronnée en l'église Saint-Sauveur le 2 juin 1789.

La fondatrice de cette institution, Madame de Gornan, voulait donner une rente de 150 francs qui, chaque année, aurait été touchée par la rosière nommée par le corps municipal ; mais Mme de Gornan, ruinée par les événements, fut un jour obligée de demander du pain à la rosière qu'elle avait dotée, et d'aller finir ses jours dans un hôpital.

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[Notes de bas de page.]

1.  [Le Père Paul de Lagny, La Vie de la séraphique épouse de Jésus-Christ Marie Lorence Lelong, napolitaine, première fondatrice des religieuses capucines..., Paris, Couterot, 1667. — À propos, «Le Père P...» n'est autre que Paul de Lagny ; voir, par exemple, son ouvrage Introduction à la vie active et contemplative, Paris, André, 1658.]

2.  [Denis Fournier (1616-1683) : Explication des bandages, tant en général qu'en particulier, et des appareils, avec toutes les figures démonstratives, Paris, Josse, 1668 ; Traicté de la gangrène et particulièrement de celle qui survient en la peste, Paris , Rebuffé, 1670 ; L'Œconomie chirurgicale pour le restablissement des parties molles du corps humain..., Paris, Clouzier, 1671 ; L'Œconomie chirurgicale pour le r'habillement des os du corps humain..., Paris, Clouzier, 1671 ; L'Accoucheur méthodique, qui enseigne la manière d'opérer dans tous les accouchements naturels et artificiels, tost, seurement et sans douleur, Paris, l'Auteur, 1677.]

3.  [Achille Peigné-Delacourt et Léopold Delisle, (Éds.), Monasticon Gallicanum, collection de 168 planches de vues topographiques..., {par Dom Michel Germain (1645-1694)}, Paris, Palmé, 1871 ; ou sa réproduction en fac-similé, Paris, Marchand, 1983.]

4.  Voir les Annales du Pays de Lagny.

5.  Ibid.

6.  Ibid.

7.  La collation «donnée en forme d'ambigu» : Repas de viandes froides et de fruits.

8.  Voir les Annales du Pays de Lagny.

9.  Ibid.

10. [Dom Guillaume Coutans (1724-18..), Atlas topographique des environs de Paris,... Paris, Clérot, 1788 ; Charles Picquet (Éd.), Atlas topographique des environs de Paris,... {par Dom Coutans}. Revu, corrigé et considérablement augmenté..., Paris, Picquet, 1800.]


CHAPITRE 11 : DE 1789 À 1824.

Le 14 Juillet. — Les ennemis de la royauté, profitant des calamités du pays, avaient soulevé le peuple, les 13 et 14 juillet. Le gouverneur de la Bastille qui, dans un moment de défaillance, avait ouvert au peuple les portes de cette forteresse fut massacré, ainsi que le prévôt des marchands et plusieurs autres.

Au bruit de ces événements, l'alarme fut grande à Lagny ; un corps de garde fut établi à la porte du pont pour examiner les voitures sortant de la ville et les bateaux passant sous le pont.

La garde de jour et de nuit avait l'ordre d'arrêter tous les bateaux chargés de grains, et elle devait se concerter avec les patrouilles de la ville et des villages voisins.

Une députation partit de Lagny pour féliciter la ville de Paris du succès de la journée du 14 juillet et lui demander du blé et de la farine, car à Lagny, le pain blanc de douze livres valait alors 52 sols.

Le Comité de Paris remercia «ses frères» les Laniaques, les invita à former le plus tôt possible une milice bourgeoise, et les engagea à faire vendre, au prix qu'ils fixeront, environ cent huit setiers de seigle et d'orge qui appartenaient au gouvernement et étaient dans la resserre de Lagny.

Le corps municipal prit quelques mesures pour l'approvisionnement de la ville et «enjoignit aux boulangers de tenir leurs boutiques toujours garnies, de manière que la ville fût servie avant la campagne.»

Malgré tout, l'approvisionnement de la ville était difficile, les impôts étaient mal payés et les fermiers refusaient de se soumettre à la dîme.

Après la séance à jamais mémorable du 4 août 1789, où la Noblesse et le Clergé firent l'abandon de leurs droits anciens et nouveaux, après que Louis XVI eut été proclamé le Restaurateur de la liberté française, après la loi décrétant la liberté des opinions religieuses et celle de la presse, la joie fut grande : il semblait qu'une ère de félicité venait de se lever pour la France ; mais par malheur ces grandes réformes ne pouvaient suffire à certains hommes qui voulaient un bouleversement général ; il fallait à ceux-ci les dignités, une fortune, le pouvoir.

Un maximum fut mis sur le pain ; mais les cultivateurs portèrent leurs grains sur d'autres marchés et le maximum fut supprimé.

Le maire Ramard, royaliste ardent, alarmé de la marche des événements, donna sa démission ; le procureur du roi Jacques le Paire resta en fonctions jusqu'au 31 janvier 1790. Depuis il s'occupa plus des affaires de l'hospice que de celles de la ville. Chez lui, l'ouvrier sans travail trouvait en toutes saisons du travail et un salaire raisonnable ; il s'acquit ainsi une grande popularité. Soixante et un ans plus tard, le 26 juin 1851, le conseil municipal, voulant honorer sa mémoire, donna le nom de Jacques le Paire à la rue qui, de la Marne, va à la route de Melun.

Désordre général. — Le désordre augmentait toujours : des attroupements se formaient, et le pillage des bois autour de la ville était devenu général.

Un cultivateur avait envoyé au marché quatre setiers de blé au lieu de trente-six qu'il envoyait habituellement ; pour ce fait le maire le menaça d'une amende, s'il ne faisait pas au marché suivant un envoi plus considérable.

Le cultivateur ayant mal pris cette menace, le maire s'attribua un pouvoir presque souverain et condamna le cultivateur à apporter, au marché suivant, soixante-douze setiers et à payer une amende de trois cents livres.

Ainsi le despotisme jacobin voulait déjà remplacer le despotisme royal, mais il était encore trop tôt et la condamnation faite par le maire n'eut pas d'effet.

En ce temps le pouvoir du procureur du roi ne s'arrêtait pas aux limites de la ville, mais s'étendait encore dans les villages voisins.

À la suite d'une sédition populaire, le 5 octobre, le roi fut ramené de Versailles à Paris et désormais traité plutôt en captif qu'en roi. L'assemblée elle-même suivit le roi à Paris où elle perdit toute liberté et dut subir le joug du club des Jacobins.

Divisions du pays. — Le 22 décembre 1789, l'Assemblée supprima les divisions provinciales, toutes les administrations existantes et forma dans chaque commune un corps municipal élu par les citoyens actifs (électeurs).

À Lagny, en outre du maire, du procureur de la commune et du secrétaire-greffier, les officiers municipaux furent au nombre de cinq et les notables au nombre de douze.

Les élections furent faites le 31 janvier 1790 : les votants étaient au nombre de cent.

Vers ce temps furent organisées des milices bourgeoises qui reçurent le nom de gardes nationales.

Le 15 janvier 1790, la Constituante partagea la France en 88 départements, le département fut divisé en districts et le district en cantons.

Lagny fut compris dans le département de la Brie et du Gâtinais, qui fut appelé, par la loi du 4 mars 1790, département de Seine-et-Marne.

Ce département fut divisé en cinq districts et en trente-sept cantons. Lagny fut un des cantons du district de Meaux.

Le canton de Lagny renfermait trente municipalités :

1° Lagny ; 2° Saint-Denis-du-Port ; 3° Montévrin ; 4° Chessy; 5° Chalifert ; 6° Jablines ; 7° Lesches ; 8° Coupvrai ; 9° Chanteloup ; 10° Jossigny ; 11° Conches ; 12° Guermantes ; 13° Bussy-Saint-Martin ; 14° Bussy-Saint-Georges ; 15° Collégien ; 16° Ferrières ; 17°Croissy-Beaubourg ; 18° Émerainville ; 19° Lognes ; 20° Champs ; 21° Noisiel ; 22° Torcy ; 23° Gouvernes ; 24° Saint-Thibauld-des-Vignes ; 25° Dammard ; 26° Thorigny ; 27° Pomponne ; 28° Vaires ; 29° Brou ; 30° Chelles.

La contenance du canton est de 17.231 hectares.

Des souscriptions volontaires furent organisées pour venir en aide au gouvernement ; le don patriotique des Laniaques s'éleva à 3.934 livres dix sols.

Revenu de l'abbaye. — En exécution du décret du 13 novembre 1789, l'abbé Gréen envoya au roi une déclaration par laquelle il est établi que le revenu net de l'abbaye était de 27.838 livres, 10 sols, trois muids et demi et quatre setiers de blé, un muid d'avoine et vingt muids de vin.

Quand on avait pourvu avec ce revenu à la nourriture et à l'entretien des religieux, il restait une somme de douze mille livres qui constituaient le bénéfice de l'abbé.

La Constituante décréta la confiscation des biens du clergé, et sur les biens spoliés de l'Église elle créa quatre cents millions de billets d'État avec cours forcé : ce fut l'origine des assignats.

Enfin, le 13 mars 1790, elle ordonna la vente de ces biens, dits biens nationaux, jusqu'à concurrence de quatre cents millions.

L'inventaire du monastère fut fait les 8 et 9 mai 1790. Il était alors habité par huit religieux, y compris le prieur et le sous-prieur ; l'église possédait huit cloches ; la bibliothèque contenait 3.430 volumes, dans le chartrier se trouvait le grand Cartulaire.

Disette. — La disette était grande en 1790 ; les populations, excitées par la misère et les mauvais conseils, s'opposaient à la libre circulation des grains.

Elles considéraient le blé conduit au marché comme une nourriture qu'on leur enlevait dans le dessein de les faire mourir de faim. La municipalité, pour soustraire les grains au pillage, en fit transporter une certaine quantité dans les magasins de la ville.

À la suite de troubles survenus sur le marché de Lagny, le roi fit une proclamation pour rétablir la police et le bon ordre sur les marchés de cette ville.

Dans cette proclamation, faite par un décret de l'Assemblée nationale, il est dit que : «A la diligence du procureur de la commune et à la requête du ministère public, les moteurs et auteurs de ces obstacles seront recherchés et punis suivant la rigueur des ordonnance et que son président se retirera vers le roi pour le supplier de donner les ordres nécessaires pour le rétablissement de la police et du bon ordre sur les marchés de Lagny.»

Dans la campagne le désordre était le même ; on trouva le même jour, dans le bois de Chigny, quarante personnes occupées à couper le bois, et il fallut envoyer des gardes nationaux pour faire respecter cette propriété.

Dans ces circonstances, un détachement du régiment de cavalerie de Berry fut envoyé à Lagny, où il arriva le 2 juin.

La belle Fédération. — D'après un décret de la Constituante, un serment civique, pour le maintien de la Constitution, devait être prêté par le roi, les autorités et toutes les troupes, dans toutes les communes de France, le 14 juillet 1790.

Toutes les autorités municipales et religieuses vinrent prêter le serment fédératif et allèrent ensuite à l'église chanter le Te Deum pour rendre grâce à l'Éternel d'avoir donné à la France un roi honnête homme, dont les actions autant que les paroles garantissent qu'il veut régner sur un peuple libre.

Cette solennité fut complétée par «un banquet frugal et reçut le nom de belle Fédération.»

Le 24 juillet, la municipalité s'érigea en tribunal de simple police pour juger les délits constatés par le garde amendier. La violation continuelle des règlements de police avait rendu cette mesure indispensable.

Par suite de l'abolition des droits féodaux, la ville posséda les droits de mesurage et de pondage ; elle nomma alors un maître mesureur et pondeur de grains.

La recette totale des droits d'octroi s'était élevée en 1789 à treize cent vingt livres.

Par suite de l'abolition des droits féodaux, le duc de Gesvres avait perdu son droit de péage sur le pont, mais en même temps il avait été affranchi de la charge d'entretenir ce pont ; des réparations devenues urgentes furent faites aux dépens du département.

Voitures. — Vers ce temps le service des voitures publiques entre Lagny et Paris devint quotidien.

Ces voitures devaient partir tous les jours de Lagny pour Paris et revenir tous les jours de Paris à Lagny. Dès lors, au lieu de rester en voyage une journée entière, de descendre aux montées et souvent de pousser à la roue, le voyageur alla à Paris en une demi-journée.

Longtemps avant l'établissement du chemin de fer, il y avait deux départs par jour, de Paris à Lagny et de Lagny à Paris. La durée du voyage était de trois heures. Le prix de la place était trois francs, deux francs cinquante et même deux francs.

Gendarmerie. — Lagny possédait en 1790 une brigade de maréchaussée qui, à cette époque, prit le nom de gendarmerie nationale. Lagny a toujours conservé une brigade de cette arme.

Les bannières. — Après que le drapeau blanc eut été remplacé par le drapeau tricolore, les corporations d'archers, arbalétriers et arquebusiers furent invitées à «déposer» aux voûtes de l'église Saint-Pierre leurs drapeaux ou guidons.

Ces vieilles bannières, qui rappelaient tant et de si glorieux souvenirs, furent déposées solennellement en octobre 1790 et fixées à la voûte de l'église. Cette place d'honneur était bien celle qui leur convenait, malheureusement, elles n'y restèrent pas longtemps : des hommes aux mains sacrilèges, anéantirent bientôt ces antiques étendards, vivants souvenirs d'un passé qui les importunait.

Mais l'histoire s'efface difficilement, et, fidèle au culte des aïeux, nous venons aujourd'hui raconter aux enfants les actions de leurs ancêtres.

Juge de paix. — Le juge de paix, nommé à l'élection, était déjà en fonctions lorsque, le 27 décembre, on élut pour l'assister quatre prudhommes assesseurs.

Le 4 janvier 1791, le territoire de la commune fut divisé en sections : 1° celle du Pont-de-Marne (nord), 2° de Laval ou du bois de Chigny (est), 3° de la Justice (ouest), 4° de Deuil ou de Saint-Laurent (sud), 5° du clos Patin ou Marrault (sud-ouest). Cette mesure avait pour but de faciliter l'administration de la ville.

Laval. — Le prieuré de Laval, maison et dix-huit arpents, tant vignes que potager, fut vendu au district de Meaux le 8 janvier ; le maire de Lagny avait été informé de cette vente la veille seulement.

Le plus souvent, le public ignorait le jour de ces ventes ; quelques spéculateurs seulement en étaient informés, ce qui explique les fortunes rapides faites à cette époque.

Le serment des prêtres. — Le 23 janvier, la municipalité se rendit aux églises pour recevoir le serment constitutionnel des prêtres. Le curé de Saint-Fursy et son vicaire prêtèrent simplement le serment, les curés de Saint-Paul et de Saint-Sauveur ajoutèrent au serment une restriction. Sommés de prêter simplement le serment, le curé de Saint-Sauveur refusa, mais le curé de Saint-Paul, cédant à l'irritation populaire, abandonna ses réserves et la déclaration en fut affichée à la porte de l'église Saint-Paul.

Les propriétés particulières n'étaient plus respectées, et le bois de Chigny était particulièrement livré au pillage. Pour arrêter un tel désordre il fut décidé que les maraudeurs seraient poursuivis par la gendarmerie et la garde nationale et que tout individu reconnu coupable serait privé de sa qualité de membre actif (électeur).

Le domaine de l'abbaye fut démembré et le 6 janvier on avait vendu deux cent vingt-cinq arpents quarante-sept perches, dépendances de ce domaine.

La paroisse. — D'après un décret de la Constituante, toute commune au-dessous de six mille âmes ne devait avoir qu'une paroisse, et comme Lagny n'avait alors que dix-sept cent vingt-trois habitants, deux paroisses furent supprimées. L'église de l'abbaye devint l'église de la nouvelle paroisse, sous le vocable de Saint-Fursy et lui furent réunies les paroisses suivantes : 1° de Saint-Denis-du-Port, cent quarante-deux personnes ; 2° Saint-Thibauld, deux cents personnes ; 3° Gouvernes, quatre cent soixante-dix personnes ; 4° Pomponne, trois cent trente-quatre personnes ; 5° toute la partie basse de Thorigny, six cent quinze personnes ; la partie haute fut réunie à la paroisse de Dammard.

La réunion de toutes ces paroisses ne donnant encore que le total de trois mille quatre cent quatre-vingt-quatre personnes, la Grange-du-Bois et toutes ses dépendances sur la commune de Montevrin furent réunies à la paroisse de Lagny.

L'abbaye. — La nation donna à notre ville l'abbaye, à l'exception du clos Prêcheur pour y loger les fonctionnaires publics, ecclésiastiques et autres, le tribunal de la justice de paix, la brigade de gendarmerie, les employés subalternes de l'église, sacristains, bedeaux et autres, une maison commune et le dépôt des lois de l'État.

Les émigrés. — Des patrouilles furent organisées pour arrêter les émigrés, et on rétablit les gardes de nuit, depuis neuf heures du soir jusqu'à cinq heures du matin.

Mal conseillé, abandonné de tous, violenté dans sa personne et dans sa conscience, tremblant pour sa famille, prévoyant pour les siens la triste fin qui les attendait, le roi tenta aussi de fuir, mais au lieu de prendre la route de la Vendée où l'attendait une population fidèle et dévouée, il se dirigea vers la Belgique. Arrêté à Varennes, il fut ramené à Paris ; pendant le voyage aucun outrage, aucune humiliation ne lui furent épargnés ; l'agonie de la royauté commençait.

La mendicité. — Pour éviter la mendicité dans les rues, une caisse de bienfaisance, où chacun pouvait déposer son offrande, fut ouverte et la liste des donations fut affichée le premier dimanche de chaque mois à la porte de l'église.

L'abbé Gréen de Saint-Marsault qui avait suivi en Italie les tantes du roi, Adélaïde et Victoire, mourut à Rome le 29 août 1818.

La perception. — Les fonctions de percepteur étaient alors annuelles et se donnaient à l'adjudication.

Désordre. — Le désordre régnait partout, les impôts étaient mal payés, les routes peu sûres ; le corps de garde même fut menacé et, la nuit, des individus venaient démolir les murs et les portes de la ville. L'agitation était si grande que, le jour du marché, dans la crainte d'une sédition, on somma le brigadier de gendarmerie de maintenir la tranquillité publique, sous peine d'être rendu responsable des désordres.

Le 1er octobre 1791, l'Assemblée législative succéda à la Constituante ; elle comptait quatre cents avocats sur sept cent quarante-cinq députés.

Proclamation de la Constitution. — Le dimanche 9 octobre, la Constitution fut proclamée «avec réjouissance publique et la plus grande pompe». Le soir, la ville fut illuminée.

Contributions. — La municipalité recevait le 30 octobre, du district de Meaux, la répartition de la contribution foncière s'élevant à la somme de dix-neuf mille huit cent trente-cinq livres onze sols et celle de la contribution mobilière s'élevant à la somme de vingt mille huit cent soixante-sept livres un sol.

Foire. — Par suite de la suppression des droits sur les bestiaux, la foire de Saint-André qui, à cause de ces droits, avait été transférée au bout du pont, fut réinstallée dans la ville, le 29 novembre 1791.

Huppin de Chelles. — Huppin de Chelles avait fait, en faveur de l'hôpital de Lagny, un legs de trois mille cinq cents livres de rente annuelle, et de six cents livres une fois payées pour acheter du linge et des lits. Afin de pouvoir accepter ce legs, il fut formé un bureau chargé de régir et d'administrer les biens de l'hôpital.

L'usage de numéroter les maisons date à Lagny du 31 janvier 1792.

Agitation. — L'agitation était si grande parmi le peuple à cause de la cherté des grains, que le maire, craignant des troubles le jour du marché, convoqua, pour le vendredi 5 mars, au cloître de l'abbaye, un détachement de la garde nationale en uniforme et en armes.

Aucun garde ne se rendit à cette invitation, et, par bonheur, le marché se passa assez tranquillement.

Le conseil décida qu'au prochain marché, tout citoyen devait, à son entrée en ville, remettre aux différents postes établis aux portes ses armes ou bâtons, et de plus, que l'entrée serait interdite à tout mendiant étranger.

Le vendredi 16, la garde nationale de Chelles et celle des villages voisins arrivèrent pour contribuer au maintien du bon ordre. Les cultivateurs s'entendirent pour ne pas vendre au-dessus de vingt livres le setier de blé, mesure de Lagny, et tout se passa dans le calme.

L'insubordination de la garde de Lagny décida le maire à demander du renfort à la garde de Meaux : on lui envoya quarante fantassins et dix cavaliers.

Répartition. — Pour établir la répartition des contributions foncières, la première classe des terres fut fixée à vingt-cinq livres par arpent ; la deuxième, à vingt livres ; la troisième, à quinze livres ; les vignes à quarante livres et les prés à trente livres.

La guerre venait d'être déclarée à l'Autriche, le 20 avril 1792 : c'était le commencement de la grande lutte de la France contre l'Europe entière.

Rouget de l'Isle. — Vers ce temps, Rouget de l'Isle, officier dans le génie, composa les paroles et la musique d'un hymne admirable qu'il appela le «Chant de guerre de l'armée du Rhin», et qui fut accueilli avec enthousiasme par tous nos régiments du Nord.

Au 30 juillet, à la suite de Barbaroux, les soldats de l'émeute, connus sous le nom de Marseillais, entrèrent dans la ville en le chantant et prostituèrent ainsi l'hymne sacré de la Patrie.

Depuis ce jour sinistre, le chant national a conservé le triste nom de Marseillaise, sous lequel il fut souvent le chant du désordre et de la trahison.

La garde nationale. — La garde nationale était sans cesse une cause de troubles et de conflits. Elle envoya des députés au corps municipal pour l'inviter à venir le dimanche suivant assister à «l'inauguration de l'arbre de la liberté et au placement du bonnet sur la place de la Fontaine de la ville». Le maire refusa de se rendre à cette invitation, objectant «l'état peu consolant de crise où se trouvait la nation.» Mais la garde nationale envoya au maire de nouveaux délégués qui demandèrent les canons de la ville «appartenant aux citoyens de la commune» pour en faire usage à la cérémonie du bonnet à poser à l'arbre de la Liberté.

La cérémonie du bonnet consistait à poser sur un arbre, appelé arbre de la Liberté, le bonnet rouge des forçats, adopté par les sans-culottes, qui, lors de l'insurrection du 20 juin, avait été placé sur la tête de Louis XVI.

Le maire ne céda pas. On voit par ces détails dans quel état d'anarchie était tombé le pays.

La Patrie en danger. — Les événements étaient devenus menaçants : 90.000 Prussiens s'avançaient par Coblentz, pendant que les Sardes et les Autrichiens menaçaient les frontières des Alpes et du Rhin.

La Patrie fut déclarée en danger.

Le conseil général de la commune se mit en surveillance permanente ; défense fut faite à aucun fonctionnaire de s'éloigner de son poste ; tout citoyen en âge de porter les armes fut mis en état d'activité permanente et la garde fut montée d'une façon continuelle.

Le 5 août, le maire se rendit sur les places et dans les principales rues de la ville où il déclara solennellement que la Patrie était en danger.

L'insurrection du 10 août ne laissa au roi d'autre alternative que de vaincre la révolte en faisant couler des flots de sang ou de céder à l'émeute en se retirant au sein de l'Assemblée. Louis prit ce dernier parti qui ne le sauva pas et fut le signal du massacre de ses gardes et de ses serviteurs fidèles.

L'Assemblée décréta la déchéance provisoire de Louis XVI et la convocation, pour le 23 septembre, d'une Convention nationale, qui donnerait une nouvelle constitution à la France.

La famille royale fut envoyée dans la Tour du Temple ; elle se composait de Louis, de la reine son épouse, de Madame Elisabeth sa sœur, du Dauphin son fils âgé de sept ans et demi, et de Madame Royale, sa fille, âgée de quatorze ans.

Au bruit des événements du 10 août, l'émotion avait été si grande à Lagny, que le conseil général et le corps municipal restèrent en séance toute la nuit ; la gendarmerie et la garde nationale furent averties de se tenir prêtes à toute éventualité.

Adresse de Chaumette. — Le maire envoya des délégués à Paris qui revinrent le lendemain porteurs d'une adresse de Chaumette aux Français.

Devant la population de la ville assemblée en masse, le maire fit trois fois la lecture de cette adresse, puis la fit publier dans la ville.

Il était impossible de travestir plus audacieusement le crime en héroïsme, de faire de la victime un bourreau, des bourreaux, des victimes, et d'annoncer plus cyniquement le sort réservé à Louis XVI. Mais la Révolution était triomphante et la royauté n'avait plus de défenseurs.

La poste. — Le directeur des postes à Lagny recevait alors de l'administration des postes 160 livres dont 120 pour appointements et 40 livres pour frais de distribution.

Le 21 août, le Conseil général de Paris écrit aux communes «de la circonférence de Versailles, Saint-Germain, Argenteuil, Gonesse, Claye, Lagny, Tournan, Brie-Comte-Robert, Villeneuve-Saint-Georges, Corbeil et à tous les chefs-lieux des cantons extérieurs, pour les prévenir qu'on a préparé une ligne défensive près Paris et que toutes les communes de la circonférence y auront leur poste.»

Les églises. — Les églises de Saint-Sauveur, de Saint-Paul et de Saint-Fursy, furent fermées le 17 août 1792.

Les fidèles et les corporations de Lagny protestèrent seulement, mais les maires de Thorigny et de Pomponne déclarèrent qu'ils n'obéiraient pas au «décret qui prononçait la réunion d'une partie de leur paroisse à Saint-Fursy.» Cette résistance fut couronnée de succès et plus tard, la partie de leur paroisse qui avait été réunie à Saint-Fursy leur fut rendue.

Delambre. — Le 4 septembre, le célèbre astronome Delambre, membre de l'Académie des Sciences, fut arrêté à Lagny. Ce savant, occupé à mesurer la méridienne de la France, avait oublié de renouveler son passeport qui était daté du mois de juin. Il fut relaxé le lendemain.

Assignats. — Les assignats étaient fabriqués à Courtalin, près Coulommiers. Le 5 septembre, une voiture chargée d'assignats passa à Lagny ; elle était escortée d'un commandant de la garde nationale de Pommeuse et d'un chasseur qui demanda l'assistance du brigadier de gendarmerie de Lagny pour conduire la voiture à Paris.

Les enrôlés volontaires. — De tous les points du pays, se levaient des défenseurs : tous accouraient pour repousser l'ennemi menaçant et, sous des chefs incomparables, ces derniers fils de la vieille France monarchique allaient, de 1792 à 1812, étonner le monde par des exploits sans exemple dans l'histoire. Le premier enrôlé volontaire à Lagny fut Martin Noël fils, citoyen de Lagny.

Notre état civil fut constitué par la loi du 20 septembre 1792.

Ce même jour, l'armée des coalisés était battue à Valmy, et nos jeunes soldats repoussaient glorieusement cette première invasion, présage sinistre des grandes invasions du XIXe siècle.

Le lendemain, la Convention s'assemblait, et, le jour même de son ouverture, elle déclarait que la République était le gouvernement de la France.

Avec la royauté, allait aussi tomber cette liberté naissante au nom de laquelle on avait déjà commis tant de crimes.

L'œuvre et les hommes de 89 furent condamnés par les républicains.

À cette époque tout ce qui fut particulier à Lagny a disparu ; ses foires si renommées dans le monde entier, son monastère aux célèbres et savantes écoles, ses fortifications et l'administration particulière de l'abbé, comte de Lagny. La vie propre de notre ville a cessé d'être, et elle se perd comme partout dans la vie commune de la nation.

Notre récit va devenir plus rapide, car les faits intéressant directement et particulièrement notre ville vont devenir rares.

Le samedi 6 octobre 1792, les églises furent vidées pour être converties en magasins à fourrage. Le cuivre et le potain furent enlevés, on prit le poids des cloches, et les vases, candélabres en argent et en vermeil furent portés à la Monnaie de Paris pour y être fondus.

Un charpentier de Paris, du nom de Delmer, légua à l'hôpital de Lagny 700 livres de rente. À cette rente était affectée une maison sise à Paris.

Lagny devint, en octobre 1792, le refuge d'un grand nombre de religieux qui prêtèrent le serment exigé par la loi.

Le 7 décembre, la municipalité recevait 637 piques.

Ces piques n'étaient pas envoyées pour combattre l'ennemi, elles étaient destinées à tenir en respect le garde national qui, par privilège de ses trois francs de contributions, avait droit de porter un fusil.

La pique fut l'arme de l'indigent, le bonnet rouge fut le signe de ralliement, et en temps d'insurrection «un bulletin de vote ne vaut pas une bonne pique maniée par des bras nus.»

L'émotion fut grande à Lagny à la nouvelle de la mort de Louis XVI, 21 janvier. Les registres municipaux sont intentionnellement muets sur cet événement.

Il s'était alors formé à Lagny une société dite des «Amis de la Constitution». Tous les soirs ou plusieurs fois par semaine ce club va s'assembler pour veiller au salut de l'État et donner son avis sur toutes choses.

Bientôt cet organe nouveau va grandir, se développer, envahir et annihiler tous les autres organes. Les clubs vont devenir les maîtres de la France et, comme partout, le mot d'ordre sera envoyé par le club des Jacobins de Paris, qui va faire la conquête de la France.

Un décret de la Convention ordonnait la nomination de commissaires à l'effet de prendre l'état de tous les chateaux-forts et donjons sujets à la démolition. La société populaire obtint la nomination de deux commissaires sur trois ; elle demandait souvent et obtenait tout. Ce fut le temps des réquisitions, des dénonciations, des arrestations.

Toutes les cloches de l'église paroissiale, tous les cuivres trouvés dans les églises sont envoyés à Paris et convertis en canons.

Des réquisitions sont faites chez les fermiers, et chez tous les détenteurs de fer, cuivre et autres métaux. Les visites domiciliaires sont organisées. En 1793, apparut le Calendrier républicain ; la liste des émigrés est proclamée.

La Raison devient par décret la déesse de la France.

Madame Vien, femme du célèbre peintre de ce nom, est arrêtée à Lagny, puis relaxée grâce à l'influence de David, l'élève le plus distingué de Vien.

Comme Mme Vien, un grand nombre de nobles s'étaient réfugiés à Lagny.

Le curé Baudouin et ses vicaires cessent entièrement leurs fonctions le jour même où Robespierre fait décréter l'existence de l'Être-Suprême.

À cette époque où la liberté n'existait plus, tout citoyen était obligé de rendre compte de ses actions, même les plus insignifiantes. Ainsi sur les registres municipaux nous lisons la mention suivante : «Le 12 prairial, le citoyen Aucher», propriétaire demeurant en cette commune, a déclaré que le veau de sa vache, ayant acquis vingt deux jours, il allait le vendre.

Partout la défiance et la suspicion étaient à l'ordre du jour. Aussi partout, de la peur, encore de la peur et toujours de la peur.

Les révolutionnaires de la Convention ont la peur des tyrans. Dans leur politique égoïste, ils n'ont pas hésité à se faire un bouclier des Français, à séparer la France de l'Europe par un fleuve de sang ; ils ont par un calcul politique jeté, comme un défi aux despotes, la tête de Louis XVI et les peuples ont pris parti contre la France pour leurs rois insultés.

De là une lutte sanglante et, pour la France, la plus glorieuse épopée militaire qu'on puisse rêver ; puis, après des guerres sans fin, les revers, les invasions de 1814 et de 1815 pour les fils, l'invasion de 1870-1871 pour les arrière-petits-fils et, enfin, par-dessus tout, contre la France, un héritage de haine qui va tous les jours grandissant.

Puis nous voyons ces conventionels tremblant, tous les jours, les uns devant les autres, faisant pour sauver leur tête tomber celle d'un ami ; nous allons les voir les uns après les autres se pousser furieusement sur l'échafaud.

Par peur, les Girondins font couper la tête de Louis XVI ; par peur Danton, fait couper la tête des Girondins ; par peur, Robespierre fait couper la tête de Danton ; par peur, Tallien fait couper la tête de Robespierre, et ainsi de suite jusqu'au jour où un maître arrivera pour faire disparaître tous ces ambitieux pervertis par la peur.

En 1793, la peur, arrivée au paroxysme, changea de nom et fut appelée la Terreur, et l'histoire, épouvantée des crimes de cette époque, lui a conservé le nom de Terreur.

À Lagny, même spectacle : la peur.

Le Jacobin est le maître de la ville, tous tremblent devant lui ; il pose en principe que le peuple est et reste toujours souverain ; que le peuple peut à tout instant reprendre le pouvoir qu'il a délégué, et que, si le gouvernement lui résiste, l'insurrection est légitime, et qu'elle est même le plus saint des devoirs. «Enveloppé dans son orgueil et dans sa carmagnole, il déclare hautement, et il le croit quelquefois, que lui seul est vertueux, que ses adversaires sont des scélérats, et jamais il n'hésite à envoyer à l'échafaud celui qui ne partage pas ses idées.»

Les Jacobins tiennent toujours la population en émoi, des bruits alarmants se répandent : tantôt les blouses blanches marchent sur la ville ; tantôt ce sont les ci-devant qui travaillent à affamer les populations. Un jour le bruit se répand que les accapareurs sont venus jeter du blé à la rivière pour affamer le peuple ; une enquête minutieuse est faite et l'on reconnaît que les quelques grains de blé trouvés sur la berge avaient été laissés par un citoyen qui s'en servait comme appât pour prendre le poisson.

Les dénonciations étaient incessantes et les arrestations nombreuses ; parmi celles-ci nous remarquons celle de Teissier Marguerittes, mort place de la Révolution. Ce personnage était Jean-Antoine de Teissier, baron de Marguerittes, ancien maire de Nîmes, qui s'était réfugié à Lagny. Parmi les victimes nous trouvons encore Jacques-Henry Pasquier, né à Lagny, chapelain de la cathédrale de Meaux, massacré à Meaux le 4 septembre 1792.

Dans la semaine qui précéda la chute de Robespierre, on compte par jour 40, 50 et 80 condamnations à mort, aussi celui-ci disait-il vrai, quand au 9 thermidor, dans son apostrophe au président Thuriot, il appela la Convention l'Assemblée des Assassins.

Robespierre connaissait bien cette Assemblée dont il avait été si longtemps le chef, et il lui rendait bonne justice.

La peur est aussi intense dans nos campagnes. Le paysan redoute les réquisitions auxquelles, malgré la menace, il ne peut pas toujours satisfaire ; il apprend que, le 25 pluviôse an IV, la maison du meunier Moret, à la ferme de Launnaie, près Favières, a été pillée par sept à huit brigands qui enfoncèrent toutes les portes en demandant la bourse ou la vie ; ils enlevèrent trois mille livres monnayées. En s'en allant, les brigands déclarèrent que l'argent volé était pour soutenir leur troupe.

Ces brigands avaient tenté la veille de pénétrer dans la ferme de la Bretèche, et ce jour même ils tentèrent sans succès de s'ntroduire dans l'ancien prieuré d'Hermières.

En 1794, les révolutionnaires voulurent changer le nom de leur vieille patrie : Lagny devint Égalité-sur-Marne. Ils oubliaient des siècles de gloire et reniaient leurs aïeux.

Heureusement cette folie dura peu, et sur les registres municipaux, Lagny n'est désigné qu'une seule fois sous le nom d'Égalité-sur-Marne.

Un fléau d'un autre genre était venu se joindre à tant de maux. Les loups, en 1794, étaient devenus si nombreux dans le pays et leurs dévastations telles que trente citoyens de Lagny furent requis comme traqueurs pour une chasse générale.

Des vingt-quatre cloches que possédaient les églises de Lagny, une seule restait en 1794 ; les vingt-trois autres avaient été cassées ou descendues.

Après la chute de Robespierre, 9 thermidor, le marché au blé, qui avait été supprimé par faute de blé, fut réouvert le 10.

Le maximum de la viande de mouton était à Lagny de douze sols six deniers la livre, tandis qu'il était à Paris de seize sols la livre ; les bouchers jaloux les uns des autres se dénonçaient et s'accusaient réciproquement de vendre à Lagny au prix du maximum de Paris.

Fête du Malheur. — La Révolution avait institué la fête du Malheur. Cette fête était un retour à la charité ; non pas à la charité chrétienne, discrète et silencieuse, mais à une charité officielle, théâtrale et tapageuse. Jean-Pierre Thierry, un des inscrits sur le livre de bienfaisance, fut nommé représentant du malheur et envoyé à Meaux pour y recevoir «son inscription et le paiement du premier semestre».

Les prisons se vidaient, et nos prêtres et religieux furent relaxés en 1795 ; ils obtinrent des certificats attestant que «leur civisme a été reconnu».

Une terrible débâcle de la Marne eut lieu, en cette année. Les moulins du pont et de La Gourdayne furent fortement endommagés.

Le pont fut emporté ainsi que l'ancienne morgue. Aussitôt on installa un bac en aval du bras Saint-Pierre. La morgue ne fut pas reconstruite, les corps de tous les inconnus furent depuis ce temps exposés dans la chapelle Saint-Vincent de l'Aître.

L'exercice du culte catholique, interrompu depuis «le dernier dimanche après Pâques de l'an II de la République», fut rétabli dans l'église de l'ancienne abbaye. Pendant quelque temps, cet édifice fut à la fois l'église où étaient célébrées les cérémonies du culte catholique et le Temple de l'Éternel où lecture était donnée du bulletin des lois.

Club fermé. — La Société populaire fut dissoute le 16 thermidor. Avec cette société périssait la puissance des Jacobins qui avaient réussi à former une nouvelle aristocratie et à dominer la Convention.

13 Vendémiaire. — À la nouvelle des événements du 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795), l'émotion fut vive à Lagny ; la garde nationale fut mise sur pied, jour et nuit.

Nos soldats. — Pendant cette triste époque, l'armée française avait sauvé l'honneur de la patrie ; nos jeunes soldats, purs de toute souillure révolutionnaire, avaient conservé la foi, l'abnégation, la vaillance et l'enthousiasme facile de leurs aïeux ; aussi pendant toute la durée de la République et de l'Empire, allons-nous voir porter aussi haut que jamais le renom militaire de la vieille France.

Constitution de l'an III. — La Constitution de l'an III avait réuni plusieurs communes en une seule municipalité et chaque arrondissement de justice avait un seul corps municipal.

L'administration municipale de Lagny comprit 25 communes dont Carnetin.

Les communes non représentées à cette assemblée furent Beaubourg, Bussy-Saint-Georges, Chalifert, Chessy, Dammard, Emery et Noisiel.

La banqueroute. — Le Directoire n'améliora pas les affaires du pays, il fit une levée sur toutes les classes de conscrits et spolia les riches par un emprunt forcé et progressif de cent millions. Le commerce était nul, l'agriculture presque abandonnée faute de bras, et le trésor épuisé. Les assignats étaient discrédités et sans valeur. Dans cette extrémité, le Directoire annula vingt et un milliards d'assignats et la conséquence de cette mesure amena, le 19 mai 1797 (an IV), cette funeste banqueroute de l'État qui ruina le pays et plongea deux cent mille familles dans la misère.

Nicolas-Fursy Vernois. — Un enfant de Lagny prit une part glorieuse à l'expédition d'Égypte, 1798-1801, dont il ne devait pas revenir. Nicolas-Fursy Vernois, né à Lagny le 27 avril 1773, fit les campagnes d'Italie et d'Égypte sous Bonaparte qui l'honorait de son estime. Le 16 ventôse, les Français commencèrent le siège de Jaffa ; la brèche étant devenue praticable, Vernois s'élance à la tête de ses carabiniers et enlève la forteresse. Il se distingua ensuite au siège de Saint-Jean d'Acre.

Blessé à son retour de la campagne de Syrie, il mourut au camp de Gizeh sous le grand Caire. Il était alors capitaine du génie. Un de nos boulevards a reçu le nom de Fursy-Vernois.

En 1800, la population était de 1799 habitants.

Loi de l'an VIII. — D'après la loi du 28 pluviôse an VIII, chaque commune eut son corps municipal nommé par le pouvoir exécutif. Ainsi plus d'élection, les pouvoirs tendaient à se centraliser, l'Empire approchait.

Les chauffeurs. — L'épouvante se répandit en notre pays à la nouvelle d'un horrible assassinat commis à la ferme de la Hotte, dépendance de Favières, où six personnes avaient été égorgées.

La fermière avait été trouvée «ayant les bras liés, ainsi que les jambes, les yeux bandés, les pieds, les jambes et les cuisses brûlés, au point que la peau des jambes en était ravalée.» Tous les domestiques de la ferme et un passager avaient les pieds liés, les bras derrière le dos, les yeux bandés, et le cou coupé.

Les assassins avaient volé le linge, les habits et autres effets, plus quatre chevaux.

Ces brigands, connus sous le nom de Chauffeurs, garrottaient leurs victimes et leur mettaient les pieds au feu pour les forcer à indiquer l'endroit où se trouvait l'argent que quelquefois ceux-ci n'avaient pas.

Anciens agents de la Terreur, dénonciateurs, faux témoins, juges et bourreaux, ils avaient quitté les villes et s'étaient répandus dans les campagnes. Renforcés par des déserteurs et des indisciplinés de l'armée, ils se choisirent des chefs et, ainsi organisés, ils arrêtaient les diligences, les malles-poste, détournaient les voyageurs, enlevaient les jeunes femmes et les jeunes filles, incendiaient les habitations et combattaient, quelquefois avec avantage, les gendarmes et détachements envoyés à leur poursuite. Ces bandes subsistèrent de 1795 à 1803.

Quatre «Te Deum». — En 1801, quatre Te Deum furent chantés, dont deux pour remercier la Providence qui avait permis à Napoléon Bonaparte d'échapper aux dangers qu'il avait courus lors de l'explosion d'une machine infernale à Paris, rue Saint-Nicaise ; un pour remercier la Providence d'avoir, pendant la Révolution, donné à la ville des magistrats sages et éclairés et le quatrième, en réjouissance du traité de paix qui avait été signé à Lunéville, le 9 février 1801, entre la République, l'Empereur et le Corps germanique.

Carnetin. — La commune de Carnetin, au 25 septembre 1801, ne faisait plus partie de la justice de Lagny, elle avait été réunie à la justice de Claye. Par ce fait, Carnetin était en même temps détaché du canton de Lagny et réuni au canton de Claye.

Système métrique. — Le système métrique définitif devint légal à partir du 2 novembre 1801.

Les assemblées municipales cessèrent en 1804, et la dernière qui figure sur le registre municipal est datée du 30 pluviôse an XI.

L'Empire. — Bonaparte prit le titre d'empereur des Français le 18 mai 1804. L'année même de son avènement, par un décret en date de Coblentz, le 19 septembre, il établit deux foires à bestiaux à Lagny : la première, les 9 et 10 juillet de chaque année ; la seconde, le jour de la Saint-Barthélemy, et cela indépendamment des foires de Saint-André et de Saint-Blaise.

La fontaine de Saint-Fursy fut réparée en ce temps.

Pendant la merveilleuse épopée impériale, il y eut de la gloire pour tous les Français ; notre ville en eut sa part, elle donna ses enfants dont plusieurs ne devaient pas revoir la patrie. Au jour des revers, ils étaient encore au devoir et chacun sait la part glorieuse que les gardes nationales de la Champagne et de la Brie prirent à la défense du pays, lors de l'invasion de 1814.

L'invasion. — Le nom de Lagny figure dans le Romancero de Champagne et de Brie où nous lisons :

Nous accourons tous en chantant
De Nesle, de Mormant.
Par bandes nous venons aussi
De Thorigny, de Lagny, de Mysy.

Le 1er février 1814, sept grands bateaux, qui se trouvaient à Lagny, furent mis à fond, dans la crainte que l'armée alliée ne s'en servit pour faire un pont de bateaux. Le 17, le pont de Lagny fut incendié, pour arrêter l'ennemi qui s'avançait en toute hâte sur Paris.

Malgré tous ses efforts et son génie, Napoléon succomba.

Avant l'incendie de 1814, les moulins étaient contigus au pont, un seul des trois ne fut pas brûlé ; mais en 1816, il fut reconstruit comme les autres à quelque distance du pont.

Les Bavarois arrivèrent à Lagny en juin et juillet 1814, ils laissèrent de tristes souvenirs de leur passage.

Réjouissances. — Après la chute de l'Empire, la lassitude de guerres interminables, le besoin de la paix firent oublier un instant l'Empereur et toute sa gloire. Lors de la publication de la paix conclue à Paris le 30 mai 1814, des réjouissances publiques s'organisèrent et dans des couplets, qui furent chantés sur la place de la Fontaine, on acclamait Louis le Désiré.

Le conseil municipal reprit ses séances le 20 août 1815.

Le buste du roi. — Cette même année, le buste de Louis XVIII fut inauguré avec la plus grande pompe.

Sur un brancard parsemé de fleurs de lis, avait été placé le buste du roi porté par les jeunes gens de la ville ; les gendarmes suivaient, puis une députation de jeunes filles de la ville vêtues de blanc, enfin le sous-préfet et tous les fonctionnaires de la ville et du canton.

Une messe, suivie d'un Te Deum, fut chantée, puis vinrent les discours. Au banquet servi dans l'hôtel de l'Ours, on but à la santé du roi. Dès le matin, toutes les maisons étaient pavoisées de drapeaux blancs et, dans la soirée, il y eut illumination générale. Deux bals terminèrent la journée.

Les écoles. — L'instruction primaire se développa singulièrement, des écoles dirigées par des laïques ou des frères de la Doctrine chrétienne s'élevèrent et Lagny eut son comité gratuit chargé de surveiller et d'encourager l'instruction primaire.

Talochon. — Le 29 septembre 1817, mourut au palais des Tuileries un enfant de Lagny, un savant modeste, qui, par son seul mérite, était devenu le médecin et l'ami de Louis XVIII. Talochon Marie-Vincent, connu sous le nom de Père Elisée, chirurgien du roi Louis XVIII, était né à Thorigny le 19 janvier 1753.

Le duc de Berry. — Le conseil municipal vota cent francs, le 15 juin 1820, destinés à contribuer à l'érection, à Paris, d'un monument en l'honneur du duc de Berry, assassiné, le 13 février 1820, par Louvel.

Le comte de Chambord. — Le 15 octobre 1820, il y eut des fêtes et réjouissances publiques pour célébrer la naissance de Henri-Dieudonné né le 29 septembre 1820, fils du duc de Berry, qui reçut le titre de duc de Bordeaux et qui prit plus tard le titre de comte de Chambord.

Les conspirateurs. — D'anciens officiers de Napoléon, dont la carrière avait été brisée par la Restauration, organisèrent des conspirations militaires qui de 1819 à 1824 troublèrent le règne de Louis XVIII. L'un d'eux était le colonel Fabvier qui vint se fixer à Thorigny, où il installa des tours mus par des chevaux. Avec l'albâtre des Vallières de Thorigny il fabriqua des pendules, des coupes, des presse-papiers, etc., en albâtre gris veiné. On trouve encore assez facilement ces objets dans le pays. Mais si le colonel Fabvier se livrait au commerce et à l'industrie, il se livrait bien davantage à la politique. Sa maison devint un lieu de conspiration, où d'anciens officiers de l'Empire, mécontents comme lui, cherchaient toutes les occasions de renverser le gouvernement du roi.


CHAPITRE 12 : DE 1824 À 1906.

Charles X. — Le conseil envoya une adresse à Charles X qui venait de succéder à Louis XVIII, mort le 16 septembre 1824.

La ville était alors éclairée par des lanternes à huile dites réverbères.

Louis-Philippe. — La garde nationale fut rétablie spontanément, dès le 30 juillet 1830, à l'avènement de Louis-Philippe.

On plaça dans la salle de la mairie le buste de ce Roi Citoyen.

Comédie écœurante et éternelle ! Devant le nouveau roi les mêmes vivats et les mêmes génuflexions que jadis devant l'ancien roi dont il a pris la place, et que, plus tard, devant ceux qui l'auront renversé !

Le choléra. — Le choléra venait, en 1832, de se déclarer à Paris et se répandait sur toute la France avec une rapidité effrayante. Des cas de cette terrible maladie se manifestèrent dans la ville et les environs et une ambulance fut établie dans l'une des salles de l'ancienne abbaye.

Les habitants fournirent de l'argent, du linge, de la literie, etc.

Suzanne Champion. — Suzanne Champion, veuve d'Alexandre Vignette, fit un testament en faveur de la Maison des Sourds-Muets de Paris.

Ce legs était fait à la condition que la maison serait obligée de recevoir sept enfants sourds-muets choisis dans les plus pauvres familles de Lagny, Provins et Gandelu, et, s'il est besoin, de Paris.

Ces enfants devaient être reçus à l'âge de huit à douze ans et gardés huit ans.

La halle. — En 1835 fut démolie la vieille halle couverte et à pans de bois qui séparait la place de la Fontaine de la place du Marché-au-Blé.

Collet. — Après l'attentat de Fieschi contre les jours de Louis-Philippe, un complice de Fieschi était venu se réfugier à Thorigny chez un meunier nommé Collet, son ami et son client. Pour ce fait, Collet fut arrêté et cette arrestation causa une vive émotion dans le pays. Collet, qui n'avait pas pris part au complot, fut relaxé.

Bateaux à vapeur. — En 1838, un service de bateaux à vapeur transportant les voyageurs de Lagny à Paris fut établi en notre ville ; mais cette entreprise ne prospéra pas et fut bientôt abandonnée.

L'émotion fut des plus vives lors de l'arrivée des premiers bateaux à vapeur : toute la population, en entendant le sifflet, se précipitait vers la Marne en criant : La vapeur ! La vapeur !

Plus tard, l'apparition de la première locomotive ne causa point une semblable émotion.

Legs. — Marie-Anne Mativet Le Paire laissa, en 1840, un legs de dix mille francs en faveur de l'hospice et un autre, de deux mille francs, en faveur du bureau de bienfaisance.

Marie-Angélique Le Paire fit en 1843 un legs de dix mille francs, et d'une pièce de terre, au lieu dit l'Aumône, en faveur de l'hospice et un autre de quatre mille francs en faveur des pauvres de la Charité. Anne-Denise Le Paire, nièce de Marie-Anne et de Marie-Angélique, faisait, en 1861, un legs de six mille francs en faveur des pauvres de Lagny et de Pomponne ; un autre de deux mille francs en faveur du bureau de bienfaisance, et un troisième, de deux mille francs, destiné à l'ornementation et à la décoration intérieure de l'église.

Le Pré-Long. — Lagny possédait alors le Pré-Long, belle et longue prairie plantée d'ormes et de peupliers formant de magnifiques allées. Le chemin du contre-halage qui côtoyait le Pré-Long, ombragé par de beaux arbres et garni de bancs de gazon, était devenu la promenade préférée des habitants de la ville. Le parc a disparu, mais l'emplacement a conservé l'ancien nom, le Pré-Long.

Les Sœurs de Saint-Vincent de Paul. — À partir du 1er janvier 1843, l'éducation des filles pauvres admises à l'hôpital civil, fut confiée aux sœurs de Saint-Vincent de Paul, au nombre de quatre ou cinq en 1864.

Canal. — Le canal de Meaux à Chalifert fut livré à la navigation à la fin de 1846.

Saint-Denis-du-Port. — Le 28 août 1846, la commune de Saint-Denis-du-Port fut réunie à Lagny.

Deuxième République. — Après la fuite de Louis-Philippe, 24 février 1848, la Deuxième République fut proclamée à Lagny le 2 mars 1848.

Le corps municipal adhéra avec enthousiasme au nouveau gouvernement et alla assister à un Te Deum. Puis il y eut plantation d'un arbre de la Liberté. On amusait et on amusera encore longtemps le peuple par de semblables jeux.

Les Corps francs. — Après la terrible émeute de juin, qui fut noyée dans le sang, on vit les débris de l'armée des insurgés quitter Paris pour aller délivrer la Pologne et arriver à Lagny, d'où elle se dirigea sur la frontière. Ces bandes, agitées des plus vils et des plus nobles sentiments, passaient dans notre ville aux cris de : Vive la Pologne ! Les débris de ces bandes, appelées Corps francs, déjà bien réduits, furent massacrés après avoir passé la frontière.

Le conseil municipal fut renouvelé, le 31 juillet, par le suffrage universel.

Lenormand. — Jean-Baptiste Lenormand laissa à l'hospice un legs de 100.000 francs qui fut réduit à 43.867 fr. 65. Ce legs fut accepté le 29 mars 1849.

La ligne de l'Est. — La ligne du chemin de fer de l'Est fut ouverte, de Paris à Meaux, le 10 juillet 1849. Le prince Napoléon, alors président de la République, fit en personne l'inauguration de la ligne de l'Est, le 19 août 1849 ; il s'arrêta à Lagny et à Meaux.

L'orphéon. — Un orphéon fut fondé à Lagny en 1852. Cette même année, les religieuses de Saint-Joseph ouvrirent un pensionnat pour les jeunes filles.

Les Frères. — Les frères de la Doctrine chrétienne de Nancy vinrent, le 15 août 1854, s'installer dans un pensionnat, situé à Saint-Laurent, qui avait été abandonné par son directeur. Ce pensionnat grandit rapidement et absorba, à peu près, les autres pensionnats de jeunes gens.

Pont de pierre. — Jusqu'alors la grande route, dans la traversée de la ville, avait toujours passé par le pont de bois ; arrivée à la rue du Pont-de-Marne, elle tournait à angle droit et suivait cette direction jusqu'au pont. Ce passage était difficile, dangereux et le pont n'était pas d'une solidité à toute épreuve.

Ce tracé fut changé, la route nouvelle fut continuée à travers la rue du Pont-de Marne, passa au milieu de l'hôtel de l'Ours qui fut démoli, de divers jardins et par une courbe allongée, elle vint traverser la Marne sur un beau et large pont en pierre de trois arches, construit à dix mètres en amont de l'ancienne Maison-Forte. L'inauguration de ce pont eut lieu le 18 août 1850.

De grands travaux furent faits à l'église en 1865 ; les voûtes du chœur et de la nef furent rebâties en carreaux de plâtre.

Le télégraphe. — Un télégraphe privé fut installé, en 1865, et une usine à gaz fut établie sur le bord de la Marne, sur la commune de Pomponne.

Le canal. — Le canal latéral à la Marne, entre Vaires et Neuilly-sur-Marne, fut ouvert le 23 octobre 1865.

L'hospice. — À la suite de la donation d'une somme de cent cinquante mille francs, faite à l'hospice, par une demoiselle Patin, cet établissement fut transféré, de la rue du Pont-de-Fer, dans un terrain situé sur la route de Melun.

Napoléon III. — L'Empire fut proclamé le 5 décembre 1852.

La municipalité salua avec enthousiasme l'avènement du nouveau régime comme elle avait salué l'avènement de la Royauté et de la République. Elle salua le mariage de Napoléon III, le 9 mars 1853, et la naissance du prince impérial, en 1856.

Pont en fer. — L'ancien pont de bois avait été démoli et remplacé par un pont en fer, à trois arches, avec piles en pierres de taille. Ce pont, à double voie, avec un chemin de halage sur chaque rive, fut inauguré le 3 août 1859. Un péage fut établi sur ce pont.

Prospérité. — La prospérité était grande alors en notre pays.

La multiplicité des trains de chemin de fer, l'ouverture de la Marne canalisée venaient y apporter une animation inconnue depuis longtemps. Un grand nombre d'employés vinrent de Paris se fixer par économie à Lagny ou aux environs. Les bois de Pomponne et de Chigny avaient été achetés et divisés par des spéculateurs hardis et heureux. De tous côtés la vie et la richesse arrivaient en notre canton. Lagny possédait alors une importante imprimerie, fondée en 1835, une scierie à vapeur, une vinaigrerie pouvant produire 12.000 litres de vinaigre par an, des fabriques de bretelles, de corsets et de brosses pour les peintres. Au dehors se trouvaient la belle usine de Noisiel produisant 50.000 kilos de chocolat par jour, les carrières et usines à plâtre d'Annet et la carrière à albâtre des Vallières-Thorigny.

Les souterrains. — À cette époque et de tous temps, à la suite des fouilles, on a retrouvé, en notre ville, des souterrains qui devaient dater du Moyen Âge.

Nous pensons que ces magasins servaient à recevoir les provisions des habitants de Montévrin, Chessy, Gouvernes, Conches et Chanteloup qui avaient droit de refuge dans la ville en cas d'invasion.

Peut-être aussi ces magasins servaient-ils à recevoir des marchandises pendant les foires de Champagne et de Brie.

La bibliothèque. — La bibliothèque de Lagny fut fondée en 1867 ; elle renferme environ cinq mille volumes. Un musée municipal fut fondé la même année.

Raymond. — Henry-François Raymond lègue à l'hospice, en 1869, une somme de vingt mille francs et une somme de douze cents francs au bureau de bienfaisance.

Association polytechnique. — Une association polytechnique cantonale fut fondée en 1869 par Dubarbier, professeur de mathématiques à Paris, au collège Chaptal.

Cette association, en pleine prospérité, a pris pour devise : rechercher constamment ce qui peut unir, éviter avec soin ce qui peut diviser.

Chemin de fer de Mortcerf. — Un chemin de fer à voie étroite fut construit, en 1870, sous le nom de chemin de fer de Seine-et-Marne. Il devait relier Lagny à Mortcerf. Il est aujourd'hui terminé, mais longtemps il ne desservit que le pays compris entre Lagny et Villeneuve-le-Comte.

Guerre de 1870. — Un jour, Napoléon III, effrayé de la disproportion qui existait entre les forces militaires de la France et celles de l'Allemagne, avait demandé aux Chambres les moyens d'armer et de mobiliser en cas de guerre la jeunesse française. Pour réponse l'opposition républicaine demanda à Niel, alors ministre de la Guerre, si l'Empereur voulait faire de la France une vaste caserne. Niel répondit : «Prenez garde d'en faire un vaste cimetière.»

Ces paroles étaient prophétiques. L'Empereur eut la faiblesse de céder, la France était perdue.

La guerre fut déclarée le 19 juillet 1870, entre la France et l'Allemagne.

Dans toutes les batailles livrées en Alsace et en Lorraine, notre armée fut admirable de bravoure, mais dans toutes les rencontres elle fut accablée par le nombre et chaque champ de bataille fut un vaste cimetière pour nos braves soldats.

Souscription. — Une souscription fut ouverte à Lagny pour les secours à donner aux blessés ; elle produisit deux mille quatre cent quatorze francs cinquante centimes.

Troisième République. — Après le désastre de Sedan, la République fut proclamée à Paris le 4 septembre 1870, pendant que Lyon et Marseille proclamaient un gouvernement local. Ainsi ces villes avaient fait un coup d'État, une révolution devant l'armée allemande victorieuse et la France vaincue allait se trouver devant l'Empire, sans gouvernement reconnu. Pour tuer l'Empire, les républicains n'hésitèrent pas à sacrifier la France.

Chirac. — Chirac, ancien général belge, commandant de la garde nationale, tenta de lever la garde nationale ; à son appel, nous nous présentâmes au nombre de quatre. Devant un pareil résultat, Chirac envoya sa démission.

Les mobiles parisiens. — Nous vîmes alors passer les mobiles parisiens. Ils entrèrent dans la gare en hurlant les chansons les plus obscènes contre l'Impératrice, se ruèrent chez les marchands de vin et, à moitié ivres, beaucoup oublièrent le train qui partit sans eux. Nous perdîmes alors toute espérance : nous étions venus saluer de braves soldats allant au-devant de l'ennemi victorieux, et nous assistions à un défilé d'ivrognes, à une véritable descente de la Courtille.

La désertion. — L'occupation de Lagny par les Allemands était chose certaine. Alors on vit quelques rares habitants se rendre à Paris pour contribuer à la défense de la capitale, mais le plus grand nombre quitta la ville pour aller vivre loin du théâtre de la guerre, après avoir enlevé ou mis en sûreté ses objets précieux. Chacun construisit sa cachette où il enterra tous les objets de valeur ; peine souvent bien inutile, car peu de ces cachettes échappèrent aux recherches des envahisseurs.

Bonnet. — Ému d'une telle disposition d'esprit, le maire Bonnet fit publier, à son de caisse, un avis qui lui fait le plus grand honneur.

Il engageait les habitants à rester dans leurs maisons, il leur disait que les cadres de la garde nationale étaient totalement organisés, qu'il n'était permis à aucun citoyen de s'absenter sans une autorisation spéciale du maire, que la fuite de leur part serait un acte de mauvais citoyens et que si l'ennemi arrivait, leurs maisons seraient transformées en logements militaires.

La ville possède l'original de cette pièce. Sur le manuscrit et de la main de Bonnet, on lit : «Cet avis n'a eu aucun succès, tous les habitants ont foutu le camp pendant la nuit. Sur une population de quatre mille trois cents âmes, il n'en restait plus que mille trente-deux au 26 septembre 1870.»

Conseil improvisé. — À la suite de cette désertion en masse, on improvisa un conseil composé du maire, de six conseillers restés à leur poste et de notables de la ville. Sur vingt et un conseillers, quatorze s'étaient évanouis devant l'invasion.

Francs-tireurs. — Le 8 septembre, des francs-tireurs établirent leur quartier à Lagny. Tristes soldats souvent pillards et voleurs. Nous avons entendu l'un d'eux, brave garçon qui s'était engagé dans un élan patriotique, nous déclarer que ses camarades l'avaient volé et dépouillé et qu'il était au désespoir d'être obligé de vivre au milieu de tels soldats.

Convoi de poudre. — Le 11 septembre, les mobiles du département arrivaient de Meaux, escortant un convoi de dix à douze voitures chargées de poudre et de fusils. Ils repartirent le soir à Paris par le chemin de fer, dont le service fut suspendu le même jour.

Les mobiles avaient averti le maire de l'approche de l'ennemi et dit qu'il était urgent de conduire de suite à Vincennes le convoi qu'ils avaient abandonné sur la place de la Fontaine. Le maire demanda des hommes de bonne volonté pour conduire le convoi, il s'adressa aux fonctionnaires et ne put trouver personne. Dans cette extrémité il s'adressa à nous. Nous répondîmes à cet appel, et le soir même, nous partions accompagné d'une dizaine d'hommes de bonne volonté. Pendant la durée du trajet de Lagny à Vincennes, et surtout à partir de Brou, les coups de fusil étaient incessants ; nous étions bien armés et en garde contre toute surprise, mais les Prussiens n'étaient pas alors à craindre, ces coups de fusils étaient tirés par des braconniers qui profitaient du désarroi général et, sans crainte des gardes, se livraient à leur passion favorite. Arrivés à Vincennes vers minuit, nous sommes introduits dans le fort où nous déchargeons nos voitures.

Dans le péril où se trouvait la France, l'appel des conscrits de la classe 1871 avait été avancé.

Les conscrits. — Les conseils de l'arrondissement furent convoqués, le 12 septembre, à Lagny où devait se faire le tirage au sort. Un certain nombre d'entre eux répondirent à l'appel. Le sous-préfet de Meaux, qui était arrivé seul à Lagny, songea un instant à procéder au tirage au sort quand même et à faire remplacer les autorités absentes par des habitants de la ville, mais il abandonna cette idée et engagea les conscrits à se rendre à Paris où leurs services seraient utilisés.

Les timbres-poste. — Par crainte des menaces de l'ennemi, les facteurs de la poste refusaient tout service, et le directeur de la poste, informé que, dans plusieurs bureaux, les Allemands s'étaient déjà emparés des timbres-poste, voulut faire rentrer à Paris les timbres-poste qu'il avait en caisse, ainsi que les dernières lettres en destination de Paris. Le maire nous fit prier d'être facteur pour un jour, mit une voiture à notre disposition et nous partîmes pour Paris, accompagné du sous-préfet de Meaux dont la présence devenait inutile à la sous-préfecture.

Un sac de dépêches. — Après avoir remis nos paquets à l'hôtel des Postes, nous allions nous retirer quand un des chefs de bureau nous fit demander et nous déclara que nous rendrions service à l'administration si nous voulions sortir de Paris un dernier sac de dépêches pour la province. «Mais ce sac ne contient aucune dépêche militaire ? dîmes-nous.» «Aucune, vous pouvez être tranquille, nous fut-il répondu.» Or, ce sac contenait une dépêche militaire.

Nous repartîmes avec le sac de cuir contenant les dépêches et notre voiture fut certainement la dernière qui avant l'investissement de Paris, quitta Paris pour prendre la direction de l'Est.

Au bas de la côte de Plaisance, la route était impraticable pour une voiture : les arbres des bas-côtés, abattus, étaient en travers de la voie.

Il nous fallut dételer le cheval, abandonner la voiture et continuer péniblement notre route en sautant par-dessus les arbres, lorsque vis-à-vis de Chesnay, vers huit heures du soir, nous fûmes arrêtés par les francs-tireurs.

Sur notre déclaration que nous étions porteur de lettres en destination de Lagny, ils répondirent que personne ne devait circuler la nuit et nous conduisirent au commandant qui avait établi son quartier général au Chesnay même.

Celui-ci nous reçut très bien, nous fit dîner à sa table sur laquelle figurèrent un lièvre et des perdreaux, nous offrit un gîte sur la paille et nous rendit la liberté le lendemain matin.

Nous étions de bonne heure en vue de Pomponne-Thorigny, mais les événements avaient marché pendant notre absence. La présence des uhlans à Chessy était signalée le 13 et le même jour la gendarmerie avait quitté la ville.

Les ponts. — Sur l'ordre du génie militaire, le feu fut mis aux chambres de mine du pont de fer, le 12 septembre, à sept heures du soir. La pile de la rive droite seule avait été minée et, après l'explosion, le tablier du pont s'affaissa dans la rivière de telle façon, qu'au moyen de planches et madriers, l'ennemi, quelques jours après, put le relier à la rive et rendre le passage praticable aux piétons. Lors de l'explosion, des pierres furent projetées dans toutes les directions, et l'une d'elles, passant par-dessus les maisons de la ville, alla tomber dans la cour de l'hospice où elle tua un enfant trouvé, élevé par les sœurs.

Le pont de pierre fut complètement détruit le 13 septembre, à une heure du matin.

La charge de poudre était telle qu'un quartier de pierre, pesant 150 kilogrammes environ, fut projeté à deux cents mètres de là, sur la route nationale, après avoir éventré une maison, au travers de laquelle il passa.

Tous les soirs, à la tombée de la nuit, on entendait de formidables détonations, les ponts des environs de Paris sautaient les uns après les autres, et il en était grand temps, si cette destruction avait pu être utile à la défense nationale, car, le 14 septembre dans l'après-midi, les Prussiens arrivaient à Lagny. La destruction des ponts n'arrêta guère l'ennemi à qui aucune armée ne disputait le passage des rivières.

À Lagny, en aval de la ville, il jeta en quelques heures des ponts sur lesquels il fit passer son artillerie.

Les Allemands. — Les troupes allemandes, affamées et fatiguées, s'installèrent où il y avait un gîte à prendre, des vivres à consommer: les officiers dans les maisons de belle apparence, et les soldats partout et surtout dans les maisons abandonnées dont ils enfonçaient les portes. Il y eut un moment de désordre effroyable, qui terrifia la population affolée, puis une consternation générale quand on apprit l'énormité des réquisitions exigées.

L'impossibilité d'y satisfaire leur ayant été démontrée, les Prussiens se contentèrent de ce qu'on pouvait leur livrer. À toute observation, ils répondaient invariablement : «C'est la guerre !»

En approchant de Lagny, nous avancions avec prudence, quand nous aperçûmes sur la route un soldat prussien. Prendre le sac de dépêches, le cacher sous un tas de pierres de la route fut l'affaire d'un instant, et plus tranquille nous avançâmes vers Lagny. Nous traversons la Marne en bateau, mais à peine arrivons-nous sur la rive gauche que les soldats prussiens nous arrêtent et nous conduisent devant leur colonel.

Aux questions de celui-ci nous répondons que nous arrivons de Paris et que notre intention est de rester à Lagny pendant toute la durée de la guerre. Il nous donne l'ordre de rentrer chez nous et de n'en pas sortir avant deux jours.

Sur notre avis et avec nos indications, le maire envoya chercher le sac de dépêches qui fut ouvert à la mairie. À sa grande stupéfaction, il trouva dans le sac une dépêche militaire adressée au général qui se trouvait à Claye et par laquelle il lui était ordonné de se replier en toute hâte sur Versailles. La dépêche, qui n'avait plus aucune utilité, fut immédiatement brûlée.

Nous trouvâmes notre maison pleine de Prussiens, de la cave au grenier ; un sous-officier était couché dans notre lit et dans nos draps. C'était la guerre !

Investissement de Paris. — L'armée allemande, victorieuse à Sedan, s'avançait sur Paris. Successivement on vit passer à Lagny les Prussiens, les Polonais, les Wurtembergeois, les Danois, les Hanovriens, les Saxons et les Bavarois. Paris était investi le 19 septembre.

Guillaume. — Le roi Guillaume, en venant de Meaux pour se rendre à Ferrières, suivit la rive droite de la Marne. Arrivé à Lagny, il dut mettre pied à terre pour traverser le pont de fer impraticable aux voitures. Il dîna à Lagny, chez son frère le prince Charles, et arriva le soir à Ferrières.

Les journalistes. — Pendant le séjour de Guillaume à Ferrières, les correspondants des journaux étrangers furent logés à Lagny, nous en eûmes plusieurs à recevoir. Le soir, pendant le dîner, ils discutaient des événements, d'après les communications qui leur étaient faites au quartier général.

Tous les faits de l'entrevue de Ferrières entre Bismarck et Jules Favre furent discutés devant nous. Souvent ces journalistes n'étaient pas d'accord : les uns trouvaient trop dures, les autres trop douces, les conditions imposées à la France, alors la discussion s'enflammait et commencée en français elle finissait en allemand afin que nous ne puissions rien y comprendre.

Les larmes de J. Favre. — Un jour, nous fûmes profondément humilié lorsqu'un de ces journalistes nous dit : J. Favre a pleuré devant Bismarck.

Comme nous protestions, il nous répondit : C'est bien vrai. Il fallut courber la tête.

Oui, J. Favre pouvait pleurer, lui, un de ceux qui avaient refusé à l'Empire les hommes et les armes qu'il demandait pour préserver la France de l'invasion prussienne, mais le vrai représentant de la France eût subi stoïquement la loi du vainqueur, et sans larmes, sans sanglots, en silence, mais la rage au cœur, il eût attendu, avec confiance, le jour de l'inévitable revanche.

Régnier. — Un jour, en entrant à la mairie, nous croisâmes un homme vêtu d'un pardessus gris et ayant l'air d'un bon propriétaire des environs ou plutôt du régisseur d'une bonne maison. Quand on nous eut dit que cet homme prétendait avoir le moyen de rétablir la paix entre la France et la Prusse, nous pensâmes que nous venions de voir un fou ou un aventurier de qui nous n'entendrions jamais parler. Il venait demander au maire une voiture pour se rendre à Ferrières.

Cet homme était Régnier, l'homme d'action d'une vaste intrigue imaginée par Bismarck et dont le but était d'immobiliser Bazaine dans Metz. Régnier, avec de bien faibles moyens, réussit à éterniser les négociations avec Bazaine dont l'inquiétude grandissait tous les jours et qui se décida à envoyer le général Boyer à Versailles, où se trouvait le roi de Prusse.

Boyer. — Le 5 octobre au matin, nous vîmes ce général à Lagny, où sa voiture stationna quelques instants sur la place du Marché-au-Blé. Son abattement, le soin avec lequel il cherchait, sous son uniforme défraîchi, à dissimuler sa personne, nous donnèrent le pressentiment d'un grand malheur.

Les internés. — Le 24 septembre, soixante-seize habitants des communes de Villiers-sur-Marne, Noisy-le-Grand, Petit-Bry et Champigny, furent amenés à Lagny, comme prisonniers par les Allemands. Ils y furent internés sous la responsabilité du maire qui en répondait et devait les nourrir aux frais de la ville.

Commission municipale. — Une commission municipale composée du maire, de quatre conseillers restés à leur poste, et de neuf habitants, se réunit le 27 septembre, administra la ville et soutint le courage de la population.

Les ambulances. — Les Allemands, considérant que la ville privée de ses deux ponts ne semblait pas désignée comme lieu de combat ; qu'elle possédait un hôpital et des établissements publics offrant de vastes emplacements, se décidèrent à y établir six ambulances militaires, où furent installés plus de quatre cents malades et blessés.

Dès le début de cette installation, le typhus se déclara et envahit en même temps l'hospice civil et les diverses ambulances.

Le cimetière des Etoisies. — Les premiers décès s'étant produits pendant la journée du 27 septembre, la commission municipale décida, séance tenante, et à l'unanimité, l'abandon du cimetière Saint-Vincent-de-l'Aître et sa translation à l'est de la ville, au lieu dit les Etoisies.

Les spéculateurs. — Dans les premiers jours de l'invasion, l'approvisionnement de la ville, surtout en viande, avait été facile.

Les cultivateurs qui avaient caché leurs animaux dans les bois, les vendaient volontiers dans la crainte où ils étaient de les voir tomber entre les mains de l'ennemi. De mauvais Français exploitant ces sentiments de crainte allaient chez les cultivateurs et proposaient de leur acheter bestiaux, avoine, vin, etc., mais toujours à bas prix. En cas de refus des propriétaires, ils menaçaient d'aller les dénoncer aux Prussiens ; alors, dans la crainte de tout perdre, les cultivateurs acceptaient le prix offert par ces misérables spéculateurs.

Les messagers. — Le manque de nouvelles était devenu pénible pour les habitants, un service de messagerie à pied fut organisé entre Lagny et Tournan. Les deux messagers choisis furent le frère Daniel, supérieur des Frères, et Amédée Le Paire. Chacun des deux messagers n'avait fait qu'un seul voyage lorsque nous fûmes arrêté et mis en prison.

Le frère Daniel prit la fuite et fut assez heureux pour gagner Lyon sans accident. L'imprudence ou la malveillance, peut-être aussi la surveillance de la police prussienne, avaient amené ce résultat.

Nous avons toujours pensé que nous avions été arrêté pour avoir porté des lettres.

La prison. — Nous étions dans la prison de la ville depuis deux heures, lorsque nous entendîmes les pas d'un grand nombre d'hommes, puis le cabanon voisin s'ouvrit, quelques prisonniers y furent poussés et les soldats qui les avaient conduits se retirèrent.

Nous apprîmes par leur conversation que ces hommes étaient des habitants de Coupvray enlevés de chez eux par les Prussiens, comme otages pour un fait grave qui venait de se passer sur la commune de Coupvray.

Le coup de main de Coupvray. — La Malle prussienne faisant le service des dépêches passait tous les jours sur la grande route de Meaux à Lagny, par Coupvray et Chessy. Elle était rarement escortée, tant l'ennemi se croyait en sûreté dans ce pays, où depuis plus d'un mois on n'avait vu un combattant français.

Le 21 octobre, par une nuit des plus noires, au moment où la malle longeait le parc de Coupvray, des hommes, embusqués derrière les murs du parc ombragés de grands arbres, tirèrent plusieurs coups de fusil sur la malle ; ni hommes, ni chevaux ne furent atteints par cette décharge et la malle s'éloigna à fond de train du lieu de cet événement.

Si ce coup de main avait réussi, l'affaire était bonne pour les hardis aventuriers, car la malle portait ce jour-là une somme d'argent considérable destinée à la solde de l'armée allemande.

À la nouvelle de ce fait, les ennemis allèrent à Coupvray où ils se firent délivrer des otages qui, jusqu'au lendemain, restèrent enfermés dans la prison de Lagny.

Les prisonniers. — Le lendemain, tous les prisonniers furent conduits à la gare où un officier prussien fit l'appel de ceux qui devaient être conduits en Allemagne pour y passer en jugement.

La conduite des soldats prussiens, vis-à-vis des otages, fut abominable ; les injures grossières à leur adresse pleuvaient de toutes parts, et chaque soldat, en passant, crachait au visage de ces malheureux.

Les otages de Coupvray furent appelés.

Reconnus innocents en Allemagne, ils furent quelques semaines plus tard renvoyés dans leurs foyers.

Capitulation de Metz. — Le 28 octobre, des bruits inquiétants se répandirent en ville ; Metz aurait capitulé.

Le fait était malheureusement vrai, Metz avait capitulé la veille, 27 octobre. La joie des Allemands ne nous laissa plus aucun doute ; bientôt les fenêtres furent pavoisées de drapeaux, la ville fut illuminée et, pendant toute la nuit, les rues retentirent des chansons et des cris de joie des vainqueurs.

Pendant que les Allemands criaient : Victoire ! les Français criaient: Trahison ! Bazaine a vendu la France.

Un jour, devant un officier supérieur de l'armée allemande, le curé de Lagny disait comme tout le monde : Bazaine a trahi la France. — Non, Monsieur le curé, répondait l'officier, Bazaine n'a pas trahi, il a fait de la politique, mais il est vrai qu'au point de vue des résultats, c'est tout un.

Après la prise de Metz, les Prussiens devinrent momentanément plus traitables, la victoire leur adoucissait le caractère ; nous bénéficiâmes de cette disposition et nous fûmes relaxé à l'occasion de la capitulation de Metz.

Soldats. — Jamais nous n'avons entendu un officier ou un soldat insulter à nos malheurs et laisser échapper un de ces mots qui offensent si profondément qu'ils rendent à tout jamais la haine implacable.

Journalistes. — Les journalistes seuls ne dissimulaient pas leur mépris pour le peuple de Paris. Après les émeutes d'octobre surtout, lorsqu'en plein siège, les républicains qui aspiraient au pouvoir avaient tenté d'en chasser les républicains qui le détenaient, ces journalistes disaient entre eux : Et voilà ceux qu'on appelait la grande nation ! Ce sont des singes dans une cage !

Population. — Au 1er novembre le recensement de la population était le suivant : population officielle, 3.700 habitants ; habitants qui ont quitté la commune, 2.678 ; habitants restés dans la commune, 1.031.

Les otages. — La voie ferrée, complètement réparée, venait d'être rendue à la circulation. Le 25, novembre, le maire recevait le commandement d'adresser à l'autorité militaire «une liste de vingt habitants distingués de Lagny qui accompagneront les trains du chemin de fer de Lagny à Meaux».

Le conseil refusa d'envoyer cette liste, et laissa à l'autorité prussienne le choix des personnes qui devaient accompagner le train.

Les otages furent exigés. Une nuit, trois soldats prussiens, porteurs de lanternes, se présentèrent à notre domicile et nous remirent, avec invitation à les suivre à la gare, le billet suivant :

«Monsieur Le Paire

est invité à se mettre à notre disposition à la gare du chemin de fer, aujourd'hui, à deux heures du matin, afin d'accompagner, pour raison de sûreté, le train se dirigeant sur Meaux.

En cas de refus, les mesures les plus sévères seront prises contre la personne invitée.

Le colonel et commandant d'étape,

STUDNIZ.»

Il fallut se soumettre et accompagner le train jusqu'à Meaux.

Tête de ligne. — Par suite du rétablissement du chemin de fer, Lagny devint tête de ligne. Tout arrivait à Lagny : indépendamment des troupes, le passage des troupeaux de bœufs et de moutons était incessant. À toute heure du jour et de la nuit, les habitants voyaient arriver chez eux des militaires à loger, des bœufs et des moutons à héberger. Un jour, il nous fallut recevoir mille bœufs en notre cour ; un autre jour, c'était un nombre incalculable de moutons, tellement que les cours étaient pleines, les greniers furent remplis de ces animaux jusqu'au deuxième étage.

La gare. — À la gare, des fourneaux de cuisine furent établis, puis des magasins qui reçurent des quantités considérables de farines, grains, viandes fumées et salées. Cette gare située à 28 kilomètres de Paris, et approvisionnée comme elle le fut alors, était un point des plus importants pour l'armée allemande.

Mercandiers. — Notre pays fut alors envahi par ces marchands juifs qui suivent les armées et sont connus sous le nom de mercandiers. Les uns n'avaient qu'une simple voiture, ils vendaient aux Allemands des liqueurs et surtout du schnap ; aux Français, du tabac et des cigares.

Souvent les soldats payaient ces marchandises avec le butin fait dans les maisons abandonnées.

Ce commerce favorisait le pillage et rendait les Prussiens habiles à trouver les cachettes.

Des mercandiers plus fortunés louaient en ville un magasin et ouvraient boutique. Ils vendaient des vêtements, des chaussures, du tabac et des cigares en gros, des voitures dont la provenance était inconnue, des chevaux et des mulets acquis à vil prix, dont la plupart provenaient de l'armée française. Ils faisaient un grand commerce de peaux de bœufs et de moutons.

Les ponts. — L'importance toujours grandissante de la gare imposa aux Allemands la nécessité de construire des ponts sur la Marne. Ces ponts étaient nécessaires pour faire passer par la rive gauche de la rivière une très grande partie des approvisionnements nécessaires à l'armée d'investissement.

Deux ponts sur pilotis, peu élevés au-dessus du niveau de la rivière, furent construits tout en bois ; l'un, en amont du pont de fer, dans l'axe de la rue du Port, et l'autre, en amont du premier, dans l'axe de la rue de l'Imprimerie.

Les blessés. — Après la bataille de Champigny et la retraite de notre armée, le matin du 3 décembre, le froid devint rigoureux et une épaisse couche de neige couvrit la terre.

Les blessés furent relevés par un temps terrible, ils furent envoyés dans différentes ambulances ; Lagny en reçut un grand nombre et parmi eux trois cents Français.

Ces malheureux, tous ensemble confondus, Français et Allemands, arrivaient par charretées, dans des voitures non suspendues, à moitié morts de froid et de douleur.

Ambulances. — Suivant leurs blessures, graves ou légères, ils furent divisés en deux groupes et répartis dans les différentes ambulances de la ville.

Les blessés gravement avaient la tête ou la poitrine percées par des balles, les jambes cassées ou gelées. L'ambulance de l'hospice, évacuée par les malades allemands, reçut trente blessés, et l'ambulance Le Paire en reçut le même nombre.

Les premiers arrivés, dont la constitution était robuste, furent les seuls qui guérirent et, après le premier décès, il ne se produisit aucun cas de guérison.

La pourriture d'hôpital avait envahi toutes les ambulances, malgré les flots d'acide phénique dont avaient été inondés les parquets. Les médecins et les infirmiers étaient en nombre insuffisant, les opérations se faisaient, non au moment opportun pour chaque blessé, mais en grand et à tour de rôle par ambulance. Les médecins arrivaient tel jour à telle ambulance et y opéraient tous les blessés. Le dévouement de ces médecins était absolu, et le même pour tous, Français ou Allemands. Nous avons vu les opérateurs, aveuglés par le sang qui jaillissait d'une ligature mal faite, s'essuyer les yeux et continuer courageusement leur pénible besogne.

Pendant une opération, à laquelle nous aidions de notre mieux, nous avons été saisi de pitié, en entendant un soldat prussien, véritable colosse par la taille et la corpulence, luttant contre l'engourdissement causé par le chloroforme, appeler désespérément. et comme un tout jeune enfant, sa mère à son secours. Un jour, c'était un Français dont la mâchoire était fracassée. Les os furent sciés, les chairs recousues, puis l'opération finie, nous nous aperçûmes que le blessé était mort entre nos mains. À l'ambulance de l'hospice, tous les soldats gelés périrent.

Les phalanges des doigts tombaient une à une, et quand on ouvrait le lit, une vapeur de décomposition s'en échappait. Tous conservaient l'appétit jusqu'au dernier moment, enfin un frisson se produisait et ils expiraient quelques instants après.

Les sœurs. — En outre des huit vaillantes sœurs qui y résidaient, l'ambulance de l'hospice reçut deux infirmiers prussiens. L'ambulance Le Paire ne reçut que deux sœurs de charité allemandes et trois infirmiers allemands ; c'était absolument insuffisant, aussi les soins de propreté et de salubrité étaient-ils presque nuls. Nous y avons vu les sœurs allemandes procéder au lavage des plaies des blessés : la même eau dans le même vase servait à plusieurs malades, de sorte que ces lavages devenaient une cause d'infection générale.

Le manque d'infirmiers ne permettait pas de veiller les malades après les opérations.

Le mobile Guillaume. — Un soldat français, Guillaume, mobile de l'Isère, amputé d'un pied, dans le délire de la fièvre se leva la nuit et parcourut l'ambulance. Parvenu à l'escalier, il tomba dans le vide, déroula deux étages et vint s'échouer sur les dernières marches de l'escalier. Les flots de sang, les cris de douleur de ce malheureux faisaient de ce spectacle, dans la nuit, une scène de l'enfer.

Le lendemain, Guillaume nous pria de faire venir un prêtre. L'homme de Dieu vint, Guillaume mourut et plus tard, la municipalité, élue en 1871, refusa de mettre sur sa tombe la croix qu'il avait demandée.

Sac des maisons. — L'intensité du froid fut fatale aux maisons abandonnées : les Allemands, en quête de combustible, en arrachèrent les portes, les fenêtres, les boiseries, les parquets et les employèrent comme simple bois de chauffage.

Les braconniers. — Les braconniers exerçaient alors en grand leur industrie, la ville fut abondamment pourvue de lapins, lièvres et faisans. Le prix d'un faisan variait de un franc cinquante à trois francs. Les vivres abondaient de plus en plus, et vers le 15 janvier 1871, la ville était très bien approvisionnée.

L'église caserne. — La ville n'ayant pas de caserne, l'église servit plusieurs fois à loger et les soldats allemands arrivant de l'Est, et les soldats français prisonniers de l'armée de Paris et de l'armée de la Loire, dirigés vers l'Allemagne.

Les prisonniers. — Les prisonniers de Paris et les premiers prisonniers de l'armée de la Loire avaient bonne tenue, on voyait en eux des soldats vaincus après avoir fait courageusement leur devoir.

Après les dernières batailles, il n'en était plus de même pour les prisonniers de l'armée de la Loire. Hâves, affamés, mal chaussés, mal vêtus, les bras en écharpe, le visage couvert de bandeaux, ces malheureux semblaient des bandes de mendiants couverts de quelques guenilles militaires. Semblables à ces grands troupeaux de moutons conduits à l'abattoir par deux ou trois chiens, ils allaient traversant le pays par milliers, escortés par quelques soldats allemands. Fuir ils le pouvaient, ils ne le voulaient pas, ils avaient tant marché sans but, tant souffert sans espoir, qu'ils étaient complètement affaissés et demandaient qu'une chose, la fin de cette misérable existence. Prisonniers résignés, ils allaient en Allemagne, d'où tarit d'entre eux ne devaient pas revenir, mais ils en avaient fini avec cette maudite guerre qu'ils avaient faite sans élan, sans enthousiasme, et cela leur suffisait.

Cependant on en fit évader quelques-uns, pour ainsi dire malgré eux. Lors de leur passage dans les rues de la ville, on les poussaît dans les couloirs des maisons et on leur faisait revêtir des habits civils.

Un matin, lors des derniers passages des prisonniers de la Loire, notre vieille domestique, une femme du peuple, nous appela en disant: «Venez donc voir ces malheureux qui passent, on croirait des soldats français.» — «Oui, répondîmes-nous, ce sont des prisonniers de l'armée de la Loire.» — « Ah ! s'écria la pauvre femme en levant les bras au ciel, ce sont les soldats de la France !» et elle éclata en sanglots.

Capitulation de Paris. — Enfin J. Favre, l'homme du malheur alla à Versailles accepter les conditions du vainqueur ; mais pour glaner près du peuple de Paris un regain de popularité, il demanda que la garde nationale conservât son organisation et ses armes.

Bismarck n'eut garde de repousser cette demande, il sait qu'en y accédant il léguait à la France la guerre civile après la guerre avec l'étranger.

L'armistice fut annoncé à Paris le 27 janvier 1871.

Nos canons. — Bientôt nous vîmes, pendant de longs jours, passer à Lagny des files innombrables de chevaux et de voitures se dirigeant vers l'Allemagne, chargées des canons, des fusils et de tout le matériel de guerre de l'armée de Paris.

La guerre civile. — Les républicains non pourvus convoitaient le pouvoir et étaient bien résolus à en chasser par tous les moyens leurs anciens alliés du 4 septembre. La guerre civile éclata et un nouveau gouvernement composé des républicains de la Commune s'empara de Paris, d'où il chassa les républicains du 4 septembre.

Ceux-ci se réfugièrent à Versailles, d'où ils firent venir en toute hâte l'ancienne armée impériale, l'armée de Bazaine. Ces braves soldats, qui avaient tous les malheurs et tous les dévouements, arrivèrent juste à temps, et cela semble une ironie du sort, pour sauver la République du 4 septembre.

Paris en feu. — Voyant la partie perdue pour eux, les républicains de la Commune n'hésitèrent pas à détruire Paris, cette belle cité dont ils ne pouvaient plus jouir et qu'ils ne voulaient pas laisser à leurs anciens amis. Ils incendièrent les palais, les édifices publics, les maisons particulières et foudroyèrent la ville de leur artillerie.

Quelle consternation pour nous, mais aussi quelle joie pour les Allemands, quand à Lagny cette nouvelle se répandit : Paris brûle ! Paris brûle ! quand le soir, on voyait à l'ouest l'horizon tout enflammé par les lueurs sinistres de tous ces incendies.

Qu'ils étaient heureux les Prussiens, de voir brûler Paris, et de pouvoir dire qu'ils n'étaient pour rien dans cette grande catastrophe ! «Ce sont les Parisiens, disaient-ils, qui ont mis le feu, ce sont eux-mêmes qui détruisent leur ville!» Confortablement assis autour de longues tables chargées de bière, la pipe ou le cigare à la bouche, ils redisaient : «On ne nous accusera toujours pas d'avoir brûlé Paris !» Et dans leur béatitude, ils répétaient en riant ce mot de Bismarck : «Paris cuit dans son jus.»

Il est permis de croire que, sans les soldats de Bazaine, Paris n'existerait plus aujourd'hui et qu'il n'en resterait qu'un vaste monceau de ruines.

La guerre civile finit le 28 mai.

Les conseillers fugitifs. — Après l'armistice, tout danger ayant disparu, les conseillers fugitifs revinrent à Lagny, où ils reprirent leurs séances ordinaires le 7 avril 1871.

Le «Journal de Lagny». — En attendant la reprise du travail ordinaire les imprimeurs de Lagny rédigèrent et imprimèrent, sous le titre de Journal de Lagny, un petit journal à cinq centimes le numéro. Cette feuille, bien accueillie par la population, parut pendant plusieurs semaines.

Legs de Betbéder. — Le 13 juillet, le conseil accepta un legs de 8.000 francs fait par Mme de Betbéder, née Denailly, en faveur de l'hospice et de l'église de Lagny.

Répartition d'un milliard. — L'État avait accordé un milliard aux départements envahis ; le département de Seine-et-Marne reçut sur cette somme 6.646.400 francs ; le Conseil général alloua aux Laniaques 294.211 francs et à la ville de Lagny elle-même, 101.248 francs, à titre d'indemnité de réquisition.

Le 25 mai 1873, la commission parlementaire des marchés approuvait la liquidation d'une dépense de 24.740 fr. faite par la ville pour nourriture et logement des prisonniers français amenés à Lagny par les Prussiens.

Cette somme devait être remboursée en cinq annuités égales par l'État, ce qui fut fait.

Evacuation. — Les Allemands évacuèrent Lagny le 26 septembre 1871. L'occupation avait duré plus d'un an, du 14 septembre 1870 au 26 septembre 1871.

Sépultures. — Le 20 novembre 1874, le conseil décida d'ouvrir une souscription pour l'érection, dans le nouveau cimetière, d'un monument rappelant la mémoire des soldats français décédés à Lagny pendant la guerre de 1870-1871 et inhumés dans ledit cimetière.

Le 15 février 1876, le conseil fut informé de la décision suivante prise par le ministre de l'Intérieur : «Les restes des soldats français enterrés dans le cimetière de Lagny seront réunis dans une tombe de huit mètres et ceux des Allemands dans une tombe de quinze mètres dont, l'Etat acquerra la concession à perpétuité.»

La tombe des soldats allemands consiste en un massif rectangulaire construit en pierre meulière et surmonté d'une croix. On y lit cette inscription en allemand : «Aux guerriers allemands morts à Lagny.»

Protestations. Le monument des soldats français ne porte pas de croix. Cette omission volontaire de la croix sur la tombe de soldats, tous chrétiens, causa aux familles de ces nobles victimes une émotion des plus pénibles et des plus légitimes. Quinze pères de famille envoyèrent à Lagny un même nombre de protestations émouvantes contre l'injure qui était faite à leur foi et à celle de leurs enfants.

Ces protestations furent remises au conseil municipal qui eut le triste courage de passer outre. Il est nécessaire de répéter que dans ce conseil, se trouvaient les conseillers déserteurs de 1870.

Les soldats français inhumés dans le cimetière de Lagny sont au nombre de quatre-vingts, dont nous avons donné les noms dans le Petit Journal de Lagny.

Legs Loquin-Boivin. — Le 23 avril 1875 une somme de 10.000 francs fut versée à l'hospice, en vertu d'un don fait par Mme Loquin, née Boivin.

En 1874, l'octroi avait produit 27.411 fr. 43 centimes.

Legs Coudray-Davesne. — Le 21 mai 1875, le conseil accepta la donation faite à l'hospice, par Mme Coudray, née Davesne, d'une somme de 10.000 francs dont les revenus devaient être employés à la fondation et à l'entretien à perpétuité d'un lit dans cet hospice, lit spécialement affecté à recevoir un pauvre de la commune de Montévrin.

Nous croyons devoir terminer ici notre récit.

Du reste, depuis trente ans, aucun événement de grande importance ne s'est produit à Lagny : de belles écoles ont été construites, l'hospice a reçu de nouveaux legs, la ville a acheté un joli jardin au bord de la Marne, au lieu dit la Gourdayne ; mais le fait capital de ces dernières années, le fait qui, assurément, a le plus vivement émotionné les Laniaques, fut la démolition de notre célèbre fontaine historique de Saint-Fursy.

Lagny, 28 février 1906.


[Notes]

1. Jacques-Amédée Le Paire, Petite Histoire populaire de Lagny-sur-Marne, Lagny, Colin, 1906.

2. Transcription par Dr Roger Peters [
Home Page (en anglais)].
[Avril 2012]