«FAVERNEY, SON ABBAYE ET LE MIRACLE DES SAINTES-HOSTIES» ; 1er PARTIE - CH. 1


PREMIÈRE PARTIE

Origine historique de Faverney et de son abbaye


CHAPITRE PREMIER

Le bourg de Faverney et l'abbaye des Bénédictines

Située au nord de la Franche-Comté, à l'entrée d'une vallée qui conduit de la Saône aux Vosges, la petite ville de Faverney est assise au centre d'une contrée gracieuse et fertile. Pour nous servir des expressions d'une ancienne notice (1), elle est placée «dans un climat qui réunit les plus agréables variétés de la nature : un air pur et sain, une campagne féconde, des côteaux parés de vigne et de bois, une vaste prairie qu'arrose la Lantenne, un sol enfin qui donne à ses colons tout ce qui peut contribuer à rendre la vie commode». Cette jolie bourgade compte près de 1500 habitants ; ses maisons régulières, larges et bien édifiées, s'étagent sur les dernières pentes des collines et descendent jusqu'à la rivière qui enveloppe Faverney de ses ondes limpides et très poissonneuses. Traversée par le chemin de fer de l'Est, ligne de Nancy à Vesoul, ainsi que par le tramway vicinal de Vesoul à Vauvillers et à Luxeuil, elle se trouve être en plus la station la plus voisine de l'importante gare de Port-d'Atelier-Amance, point central d'intersection des grandes voies de Paris à Belfort, de Dijon à Nancy et de Lyon à Nancy.

Faverney est donc très favorisée au point de vue de sa situation topographique. Son origine historique n'est pas moins remarquable.

À défaut d'autres documents, me servant d'abord de l'étymologie celtique du nom de Faverney qui signifierait lieu humide où croît la verne (2), puis me basant sur les preuves de l'existence d'un immense et antique marais qu'ont mis à découvert, vers 1855, les travaux du chemin de fer et du pont de Port-d'Atelier, il semblerait que tous les terrains au midi de Faverney, situés entre les deux rivières la Saône et la Lanterne (3), ainsi que la plus grande partie du bois de Ballière, étaient couverts par des eaux croupissantes. Le lieu actuel qu'occupe le bourg de Faverney se trouvait donc le premier point abordable, sur le cours de la Lanterne, où l'on pût asseoir une forteresse et une cité ; là, les Séquanais ou les premiers habitants de la Franche-Comté durent nécessairement installer un poste militaire pour défendre l'entrée du pays contre les hordes étrangères ; là, de bonne heure fut établie une station florissante pour les voyageurs qui remontaient des rives du Rhône à celles de la Moselle, ou qui revenaient de Trêves à Lyon (4).

Quand, un demi-siècle avant l'ère chrétienne, les Gaulois furent vaincus à Alise (5) avec leur chef Vercingétorix, Faverney, Port-sur-Saône et Corre tombèrent sous les coups de Sabinus, lieutenant de César (6). Réduits alors en esclavage par les Romains leurs vainqueurs, et obligés de subir les attaques continuelles des peuples barbares qui se ruaient sur les débris croulants de l'empire, nos ancêtres, poussés par le désespoir, se révoltèrent sous le règne de l'empereur Honorius, deuxième fils de l'empereur Théodose-le-Grand. Les habitants de Jonvelle, Fondremand, Vesoul, Faverney (Foarna), Amance, Lure et d'autres cités prirent les armes pour reconquérir leur liberté. Mais, hélas ! l'empereur Honorius lança son lieutenant Vitellius et ses légions sur les villes rebelles ; elles furent détruites de fond en comble, et les habitants qui échappèrent au massacre furent arrachés de leurs foyers et transportés en des contrées éloignées, l'an 401. Seules sur tout le territoire de notre Séquanie, restèrent debout Besançon et Portus-Abucinus ou Port-sur-Saône (7).

Cinquante ans plus tard, en 451, les bandes féroces des Huns, accourues de l'Asie contre l'empire romain et commandées par le terrible Attila qui s'intitulait le Fléau de Dieu, ravagèrent la Séquanie. Faverney fut encore détruite (8). Mais Dieu qui voulait être glorifié dans cette bourgade, la fit renaître plus grande et plus belle.

En cette époque bien lointaine, la Séquanie gauloise venait d'être conquise sur les Romains par le nouveau peuple des Burgondes, et alors se fit ce fameux partage du territoire, selon le code appelé loi Gombette, nom qui lui vint de Gondebaud, roi burgonde. Du côté des Gaulois qui cédèrent leurs terres, les familles nobles qui habitaient surtout les grandes cités, restèrent riches et puissantes, tandis que les villa ou habitations campagnardes devinrent la proie des barbares et grossiers envahisseurs. Le roi devint le grand propriétaire terrien de la nation et il en céda à ses hauts dignitaires, appelés farons ou barons, une part proportionnée à leur rang (9). La villa de Faverney, habitée par les colons ou originaires du sol, ne fut d'abord qu'un triste séjour dont les habitants étaient esclaves ou tout au moins serfs attachés au domaine même ; ils n'étaient que des serviteurs chargés de cultiver les terres royales sous la direction des villici ou régisseurs. Mais bientôt son site charmant, sa position si pittoresque, son voisinage de Portus-Abucinus, la sombre forêt de chênes qui couronnait les hauteurs de la rive gauche de la Lanterne, attirèrent l'attention des intendants royaux, et vite elle se transforma en une magnifique résidence princière aux habitations spacieuses et bien aérées, avec portiques ou colonnades et galeries à divers étages (10). Jadis un temple païen y avait été élevé sur le mont Saint-Martin en l'honneur de Litavé, la Diane gauloise, déesse farouchement pudique de la chasse et des forêts (11).

Mais bientôt l'on constate qu'autour de la villa royale s'est reformé un vicus ou village primitif avec ses maisons gauloises de forme ronde que surmonte un toit pyramidal, composé de bois, de joncs ou de roseaux (12) ; et lorsqu'en l'an 534, les Burgondes rudes et grossiers sont vaincus et chassés de notre sol par les fils de Clovis, premier roi des Francs, le vicus de Faverney, sous la domination de Thierry I, roi d'Austrasie et de la grande Séquanie devenue la Burgondie, va prendre place dans notre histoire comtoise comme une enceinte fortifiée et un centre chrétien remarquable (13).

C'était l'époque du gouvernement des maires du palais qui fut si funeste à nos premiers rois mérovingiens et que venait d'inaugurer, pour mieux dominer les leudes ou barons, la reine Brunehaut, grand' mère et tutrice du jeune roi Thierry I.

Prothade, seigneur bourguignon de race romaine, c'est-à-dire ancienne du pays, et de la première noblesse de Besançon, «homme habile en toutes affaires, mais cruellement inique envers les personnes» (14), avait été choisi comme maire du palais par l'intrigante princesse. Lieutenant général de l'État, supérieur aux comtes, aux ducs et aux patrices même, Prothade n'avait qu'un but, «celui d'abaisser tous les gens de race noble, afin que nul ne pût pendre sa place». Le favori de Brunehaut avait trop entrepris : toute la haute aristocratie burgonde se ligua contre l'ennemi commun. Un jour l'armée de Thierry était à Kiersy (15). Malgré l'avis de tous les leudes ou seigneurs, le maire du palais voulait seul que l'ordre fût donné d'attaquer le roi d'Austrasie, Théodebert frère de Thierry, qui régnait à Metz. Au commandement du départ, le complot éclate ; tous les grands entourent avec menace la tente royale où Prothade et le roi jouaient aux échecs. Thierry, retenu de force, dépêche un de ses officiers pour défendre qu'on fit aucun mal à son premier ministre ; mais l'envoyé qui avait le mot d'ordre, s'écrie en approchant que le roi commande de tuer Prothade. Sur-le-champ les conjures se précipitent sur la tente royale, l'battent à coups d'épées, percent sous les yeux du monarque épouvanté le maire du palais, puis se dispersent après avoir forcé le roi Thierry à faire la paix avec son frère (16).

Patiente dans ses vengeances, Brunehaut choisit un autre maire du palais, Claude, romain également et d'une grande famille de Besançon, dont le caractère était l'opposé de celui de Prothade. «C'était un homme patient, habile dans les lettres, souple à rechercher l'amitié de tous, et n'ayant qu'un obstacle à vaincre, celui d'une excessive corpulence». La reine, fidèle à ses plans, ayant reconquis adroitement par l'habileté de Claude la fidélité des leudes, travailla à venger en détail le meurtre de son favori Prothade. Les deux chefs du complot étaient le seigneur Unklène et le patrice Wulf. Le premier eut le pied coupé, avec perte de ses biens adjugés au fisc. Le second qui devait sa haute dignité de patrice (17) à la protection de Prothade, apprenant à la résidence royale de Brocoriacum, aujourd'hui Rouvres-en-Plaine (18), le châtiment de son complice, s'y sentant perdu, s'enfuit. Mais les émissaires de Brunehaut le poursuivirent sans relâche pendant deux jours et l'atteignirent au moment où, exténué de fatigue, il cherchait à se cacher dans les bois marécageux de Ballière, auprès de Faverney.

L'infortuné Wulf, percé de flèches et de javelots, resta debout cloué à un chêne. Des paysans le trouvèrent dans cette position ; les mains jointes, il semblait encore implorer la pitié de ses implacables bourreaux. On l'enterra au pied de l'arbre, témoin muet de son supplice (19).

Au témoignage du chroniqueur Frédégaire (20), cité par M. Éduoard Clerc dans son histoire de la Franche-Comté, ce fait eut lieu l'an 607 dans le castrum de Favrianiacum (Faverney), situé au pagus de Collatine ou Colère (Corre) (21).

Au commencement du VIIe siècle, Faverney est donc devenu un lieu fortifié, entouré de murailles, de tours et de fossés, et formant un castrum capable de défendre le passage de la vallée et de protéger les habitants groupés dans son enceinte. À la place du temple païen qui couronnait le sommet du monticule de Saint-Martin, on a élevé une église catholique, en l'honneur de saint Bénigne de Smyrne, apôtre de la Bourgogne et patron de Dijon (22).

Et voilà que dans l'espace de moins de 60 ans, cette bourgade est devenue un centre si populeux et si remarquablement chrétien qu'en 665 l'archevêque de Besançon saint Miget, dont le cœur brûlait d'une tendre dévotion envers la Sainte Vierge et d'un zèle ardent pour les cérémonies du culte et la sanctification du clergé, choisit l'église de Favernaius (Faverney) pour y établir le siège d'un des cinq nouveaux archidiaconés de son diocèse, l'un des plus vastes des Gaules (23).

La Séquanie, devenue par droit de conquête la Burgondie, avait été divisée par les Burgondes en cinq comtés ; sur ce modèle, une fois l'ancienne Séquanie convertie au christianisme, on avait établi, dit Mgr Jacquenet dans sa préface sur l'Histoire du grand séminaire, «cinq archidiaconés qui, partagés chacun en trois chrétientés ou décanats, fixèrent pour longtemps la division du diocèse». Au lieu de Dole, Bourg, Baume, Mandeure et Port-sur-Saône, le saint prélat Miget choisit les curés de Salins, Gray, Traves, Luxeuil et Faverney pour leur confier les plus hautes fonctions administratives et le seconder dans le gouvernement de son immense diocèse (24).

L'archidiacre de Favernaius fut donc chargé d'administrer toutes les paroisses du pagus de Corre, d'y réprimer les abus et de dénoncer à l'archevêque les crimes à punir. Il devait veiller sur la conduite des curés, leur distribuer le saint-chrême et donner son avis pour les promotions et les admonitions de tout le clergé rural (25).

Après ces jours de splendeur matérielle et religieuse du castrum de Faverney qu'attestaient encore, au temps de Dom Grappin, les vestiges de pavés et de murs découverts dans la rue Neuve, depuis la Porte Basse jusqu'au Pont, et qui tendraient à prouver qu'autrefois cette enceinte fortifiée occupait tout l'espace compris entre la cité actuelle et la rivière (26), Faverney subit dans les premières années du VIIIe siècle les horreurs de l'invasion des Sarrasins (27) ; mais encore une fois, Dieu qui veut que sa Mère Immaculée y soit honorée spécialement et que son Sacrement d'amour y soit miraculeusement manifesté, va la doter du premier fleuron de sa gloire.

Les chroniques du diocèse de Besançon rapportent (28) qu'après le départ de l'armée sarrasine, la terre et le château fort de Faverney appartenaient à un seigneur bourguignon nommé Widrade ou Waré. Il naquit en Bourgogne sur la fin du VIIe siècle. Son père nommé Corbon et qualifié d'homme illustre, disent les Bollandistes, lui laissa en mourant des biens considérables. Son patrimoine se composait de soixante-dix-huit seigneuries ainsi que de plusieurs domaines, de nombreux meubles et ornements d'église soit en or soit en argent, et d'une riche bibliothèque. Ce noble chevalier, après avoir fait bâtir à ses frais vers 720, comme l'établit Dom Mabillon, l'abbaye de Flavigny au diocèse de Dijon pour s'y retirer lui-même et y mourir saintement comme abbé, fonda en faveur de l'une de ses sœurs, appelée Décie, le monastère de Saint-Andoche de Saulieu au diocèse d'Autun (29).

Pour sa sœur cadette appelé Gude ou Godoïle, le seigneur Widrade bâtit vers 722 celui de Faverney (30). La jeune abbesse dédia l'église du nouveau monastère à la Sainte Vierge Marie, et elle choisit pour ses religieuses la règle de saint Benoît (31). Les chroniques anciennes sont muettes sur la vie de sainte Gude, qu'il faut distinguer de sainte Gudule, moniale aussi bénédictine et vulgairement appelée sainte Goule, et que la ville de Bruxelles a adoptée pour sa patronne (32). Cette dernière est morte vers 712 et fut inhumée à Ham près d'Alost et de Vilvorte, tandis que la première abbesse de Faverney vivait encore en 764.

C'est en effet, durant cette année 764 ou même l'an 777 qu'eut lieu au sortir de Menoux, sur le territoire de Saint-Remy, à quelques milles de Faverney, le martyre de saint Berthaire ou Berthier prêtre, et de saint Attalein ou Athalène diacre (33). Ils étaient oncle et neveu. Berthaire, né dans le midi de la France sous le règne du roi Pépin-le-Bref, avait mérité par sa naissance illustre et la sainteté de sa vie d'être attaché comme aumônier à la cour de l'astucieux et belliqueux Waïfre, duc d'Aquitaine. «Il vivait en cette babylone», écrit son hagiographe dans les Bollandistes, «comme Lot au milieu de Sodom». Durant ses moments de loisir, il enseignait les saintes lettres à Attalein, son filleul et le fils de sa sœur, jeune homme d'une piété profonde et d'un grand talent qui mérita bientôt de recevoir l'ordre du sous-diaconat. Dès lors l'oncle et le neveu s'engagèrent devant Dieu à aller en pèlerinage à Rome et se prosterner au tombeau glorieux des saints apôtres Pierre et Paul. En vain le duc Waïfre qui, malgré ses vices, éprouvait une profonde vénération pour Berthaire, essaya de les retenir en leur signalant les dangers d'un si long voyage ; fidèles à leur vœu, ils partirent se dirigeant d'abord vers la ville de Tours où reposaient les reliques de saint Martin, le grand thaumaturge des Gaules. De là ils se rendirent à Orléans pour visiter dévotement la célèbre église de Sainte-Croix, l'un des sanctuaires les plus anciens et les plus vénérables de la France. Enfin, prenant le chemin de l'Italie, ils entrèrent dans notre province par le Comté de Port qui formait alors la partie supérieure de la Bourgogne (34).

Tandis que par la voie romaine de Corre, ancien chef-lieu du pagus situé aux confins de la Bourgogne, nos deux pèlerins cheminaient du côté d'Amance, voulant sans doute aller prier la Vierge miraculeuse dans la nouvelle abbaye de Faverney (35), ils s'étaient arrêtés fatigués près d'une source afin de s'y reposer et laisser paître l'âne qui portait leur bagage. Or en ce moment un certain Agenulfe, venant de Menoux, aperçut le diacre Attalein (36) s'approcher de la fontaine et y puiser de l'eau avec un vase d'étain qui brillait comme de l'argent et qu'il avait tiré d'une des valises. Aussitôt il accosta les voyageurs qui lui parurent être de riches marchands, engagea avec eux la conversation et sut tellement leur plaire qu'ils consentirent à se détourner légèrement de la voie romaine pour aller «gîter» la nuit au château de Manaore, aujourd'hui Menoux, habité par le chevalier Servat. Celui-ci n'était rien moins qu'un insigne voleur, un assassin toujours à la piste des voyageurs qu'il arrêtait, détroussait, et égorgeait au besoin pour cacher ses crimes. Plus barbare encore, Agenulfe son serviteur lui servait d'éclaireur et d'auxiliaire dans l'accomplissement de ses forfaits (37).

Conduits dans la noble habitation du chevalier Servat, Berthaire et Attalein y trouvèrent sa mère Boblia qui était venue lui rendre visite. C'était une pieuse et riche dame, connue au loin par sa compassion envers les étrangers. L'arrivée des deux saints pèlerins de Rome, l'annonce qu'ils étaient tous deux clercs, le récit de leurs visites à Tours et à Orléans la comblèrent de la plus douce joie ; et comme elle devait le soir même retourner dans sa villa de Rosières (38) éloignée seulement de quelques milles, elle les invita à venir le lendemain y prier le saint martyr Valère, archidiacre de Langres, dans la magnifique église qu'on venait d'y construire en son honneur (39).

Servat, fait remarquer Dom Bebin, était hérétique ou athée. Sa mère très chrétienne qui connaissait sa mauvaise nature, avant de le quitter, le prit à part et le conjura de respecter les lois de l'hospitalité et de ne faire aucun mal à ces étrangers, doublement sacrés. Le chevalier promit sur son honneur de protéger ses hôtes comme sa naissance lui en faisait un devoir, et Boblia partit joyeuse à la pensée de recevoir chez elle le lendemain des pèlerins aussi recommandables. Mais la cupidité devait bientôt l'emporter sur le respect filial et sur l'honneur chevaleresque.

Le lendemain était un dimanche, et dès l'aube les deux saints se mirent en route se dirigeant sur Rosières, voulant probablement célébrer la messe dans l'église du courageux archidiacre dont la veille ils avaient appris le glorieux martyre. En les voyant partir, Agenulfe, le perfide pourvoyeur de Servat, va trouver son maître, et, la fureur dans l'âme, lui reproche de laisser échapper une proie aussi facile et aussi profitable. Car pour lui, les valises contenaient un poids énorme d'or et d'argent. Un instant hésitant entre la piété filiale et l'assassinat pour vol, le chevalier sentit se réveiller en lui l'horrible soif de l'or ; et bientôt tous deux montant à cheval, et arrivant au galop sur les pas des serviteurs de Dieu, les atteignent dans le chemin qui traverse la forêt de Saint-Remy. Au bruit du galop des cavaliers accourant à toute bride, Berthaire comprit leurs desseins ; «Mon fils bien-aimé, dit-il à Attalein, fuyons si c'est possible, non seulement pour échapper à la mort, mais aussi pour épargner un crime à ces hommes.» Et aussitôt les deux pèlerins quittent la voie de Rosières et se jettent dans la forêt à droite. Mais aussi prompts qu'eux Servat et Agenulfe sautent de cheval, les poursuivent et les atteignent à quelques pas (40).

Jeune et vigoureux Attalein a songé à se défendre ; en franchissant la haie du chemin, il a arraché vivement un pieu de frêne, et il se met en devoir de résister vigoureusement : «Mon fils, je t'en conjure, s'écrie Berthaire, au nom de Notre Seigneur Jésus, ne lève pas ton bras contre eux. Jette ce pieu à terre et résigne-toi au martyre.» Et docile, le diacre Attalein obéit et, plantant dans le sol ce bois desséché, attendit (41).

Les deux martyrs sont vite égorgés et les brigands se précipitent sur les valises pour les ouvrir et s'emparer du trésor. Mais quelle n'est pas leur surprise ! Des vêtements sacerdotaux, un exemplaire de la Genèse, un Missel, les Actes de sainte Eugènie et un petit vase d'étain, voilà tout le butin ! Honteux, confus, la peur les saisit, car ils se souviennent alors que le comte Galeman parcourt la Bourgogne à la tête des troupes du roi Pépin-le-Bref, et, châtiment du crime ! ils se figurent que déjà il les poursuit pour les punir. Voulant affaiblir l'horreur de leur forfait, ils recourent au plus exécrable des expédients : ils coupent les têtes des cadavres et vont les jeter dans la rivière de la Lantenne, éloignée d'environ une demi-lieue, en un gouffre appelé vulgairement Artanus ; ainsi les victimes ne seront pas connues comme clercs, puisque les tonsures auront disparu. Mais, ô prodige ! au lieu de descendre au fond de l'abîme, elles restent flottantes ; et vers le soir même du dimanche, un pêcheur du village de Bourguignon (42) qui allait pour tendre ses filets, aperçoit deux têtes coupées surnageant à la surface des eaux. Epouvanté, il saute de son embarcation et s'enfuit à toutes jambes. Mais, sa première émotion passée, il revint pour mieux voir et savoir ; alors remontant sur sa barque, il fait un grand signe de croix et recueille dans ses filets les chefs des martyrs. Mais à la vue de la tonsure, saisi d'un saint respect il les porte en toute hâte au village. Aussitôt les habitants de Bourguignon s'empressent de les placer dans de petites corbeilles d'osier ; et commé déjà s'était répandue la nouvelle qu'on avait vu, sur le chemin de Rosières, des cadavres sans tête étendus sur le sol, ils se hâtèrent d'aller les déposer chacune auprès du corps auquel elles appartenaient (43).

Bientôt le bruit court que des clercs ont été assassinés vers le chemin de Rosières non loin de Menoux et de Cubry, villages appartenant à l'abbaye des moniales de Faverney. Sainte Gude, abbesse du monastère, envoie aussitôt un prêtre, chapelain de son église, s'informer si les cadavres gisaient sur les terres soumises à sa juridiction. Comme le lieu du martyre n'était distant que de douze stades, c'est-à-dire un mille et demi (44), la pieuse supérieure résolut d'aller chercher en procession les corps des saints, et de les ramener à l'abbaye s'il était possible. Elle partit donc avec ses religieuses et tout le clergé du lieu, curé et prêtres de l'église paroissiale vulgairement appelés familiers, ainsi que les chapelains de son église Notre-Dame Sainte-Marie ; et arrivée sur le théâtre du crime, elle s'agenouilla, vénéra les deux têtes sanglantes, et, inspirée de Dieu, les appliqua de ses propres mains et le mieux qu'elle pût aux corps de Berthaire et d'Attalein. Ô prodige ! les têtes se joignirent aussitôt comme si elles n'eussent jamais été séparées (45). Jusqu'alors sainte Gude ignorait tout sur l'identité des saintes victimes. Mais bientôt Boblia, la pieuse châtelaine de Rosières, lui apprit que les deux malheureux assassinés étaient un prêtre et un diacre, nobles personnages venus d'Aquitaine pour aller à Rome visiter les tombeaux des saints apôtres Pierre et Paul. Alors sur l'ordre de l'abbesse les cadavres sont levés, renfermés dans un cercueil et ses plus vigoureux valets chargent sur leurs épaules le lourd fardeau pour l'apporter à l'abbaye où sainte Gude veut les inhumer pompeusement. Mais, ô nouveau prodige ! les valets ne peuvent faire un pas : leurs jambes se raidissent et leurs pieds restent collés au sol. On crie au miracle, et on comprend que Berthaire et Attalein demandent à être ensevelis sous la terre qui a bu leur sang. Une fosse large et profonde est donc creusée, le cercueil y est descendu, et en toute hâte on y élève une sorte de chapelle en bois pour protéger ces restes vénérables. Ainsi commençait l'Hermitage de saint Berthaire (46). C'était le 6 juillet 764 ou 777. La pieuse abbesse reprit le chemin de son abbaye «se contentant d'emporter les petits meubles que ces saints avaient pour dire la messe, desquels encore à présent, écrivait Dom Bebin l'an 1670, l'on conserve à la dite abbaye la chasuble, l'étole et le manipule faits à l'ancienne mode, comme on les portait en ce temps-là» (47).

Mais aussitôt cette tombe devient célèbre : les infirmes de toute la contrée y accourent pour être guéris. Auprès de la petite chapelle, le pieu planté à terre par le diacre Attaltein est devenu subitement un grand frêne et fournit ses feuilles miraculeuses pour calmer instantanément les plus violents maux de dénts. «Et du pied d'iceluy, continue le même religieux, sortit une fontaine qui aussi coule encore maintenant et soulage grandement les fébricitants et les guérit bien souvent» (48). Instruits de tous ces faits extraordinaires par sainte Gude, Bozon, abbé de Luxeuil, en avertit l'archevêque de Besançon qui vint lui-même se convaincre sur place, tant par la déposition des témoins oculaires que par les miracles obtenus, de la sainteté des deux martyrs. Aussi fit-il élever à la tête du cercueil, dans le modeste oratoire primitif un autel dédié à Notre-Dame (49).

Ce fut vers l'an 780 que, d'après Dom Bebin, mourut en odeur de sainteté l'abbesse fondatrice de Faverney. Selon la «créance descendue de la tradition, son corps fut inhumé sous une belle tombe qui était posée quasi au milieu de la nef.» Plus tard, les ossements de la sainte furent déposés dans une châsse en bois doré et exposée derrière le grand autel du monastère. Et, chose étonnante ! on la vénéra, on la pria dans l'église bénédictine mais jamais un jour ne fut assigné pour sa fête, tandis que l'office de saint Berthaire était célébré annuellement (50).

Personne n'ignore combien les documents historiques sont rares pendant les IXe et Xe siècles. À peine Faverney est-il nommé trois ou quatre fois durant les deux cents ans qui s'écoulèrent après la mort de sainte Gude ; mais le peu que nous en savons montre tout à la fois et sa prospérité et sa participation aux malheurs de l'époque (51).

Après la mort de l'empereur Charlemagne, son fils Louis le Pieux, surnommé le Débonnaire à cause de sa faiblesse, divisa en trois classes tous les monastères de ses vastes états et les assujettit à fournir, les uns des hommes et des subsides, les autres des subsides seulement, et les troisièmes des prières. Cette classification purement arbitraire et due sans doute à la faveur des abbés et à leur crédit sur l'esprit du prince, s'opéra en 817 ; or l'abbaye des moniales de Faverney y figura parmi les plus imposées (52).

Cinquante-sept ans après, dans le partage que Charles le Chauve, roi de France, consentit à faire, avec son frère Louis le Germanique, de la succession de leur neveu Lothaire II, mort sans enfants légitimes, la Lorraine et une partie de la Bourgogne furent comprises dans le lot du roi de Germanie. Dans l'acte de ce partage, signé à Mersen (53), en 870, l'abbaye de Faverney est comptée au nombre des bénéfices les plus importants ; en conséquence, ce monastère dut offrir des présents et au besoin fournir des troupes au roi de Germanie.

Mais bientôt les malheurs des temps vinrent fondre sur le castrum de Faverney et sa florissante abbaye de moniales bénédictines.

L'invasion des Normands ou hommes du Nord qui étaient venus, au nombre de 30.000, assiéger la ville de Paris en 886, après onze mois de vains efforts fut détournée, au moyen d'une forte somme d'argent, sur la Bourgogne par le pusillanime roi de France Charles le Gros (54), qui permit lâchement à ces nouveaux barbares de séjourner, pendant l'hiver de l'an 888, dans notre malheureuse Bourgogne et de la traiter en pays conquis. Par ces farouches soldats les cités de Luxeuil, Vesoul, Jonvelle furent prises et brûlées (55). Quel fut le sort de Faverney ? L'histoire ne le dit pas, bien que l'abbé Brultey déclare que le service divin cessa dans l'abbaye de Faverney (56). Toutefois il est facile de le conjecturer en considérant que le monastère de Luxeuil, enseveli alors sous ses décombres fumants, vit son abbé saint Gibard et ses moines tomber, percés de flèches, dans les champs de Martinvelle, et qu'après le départ des pirates normands il ne resta plus, dans la Haute Bourgogne, qu'une partie des habitants qui se mourait encore dans les angoisses de la faim (57).

Ainsi s'ouvrait, sur les horreurs accumulées par les Normands, ce Xe siècle, «siècle de fer tel que l'Eglise n'en vit jamais de plus hideux et de plus digne de larmes. La terre était en proie aux désordres, à la luxure, aux forfaits, aux meurtres, à la tyrannie.» Il n'y avait de sécurité nulle part. La discipline monastique était ruinée. Les seigneurs, ducs, comtes ou marquis qui avaient obtenu par l'édit de Kiersy-sur-Oise, en 877, la promesse d'hérédité pour leurs fiefs, avaient profité de ces temps troublés où «il n'y avait ni roi ni juge», pour hérisser les montagnes de leurs châteaux forts ; et, agissant en maîtres, ils s'emparaient de tout bien d'église qui était à leur convenance (58). Notre monastère hélas ! subit le sort commun. Le 12 février 940, le comte de Bourgogne Hugues le Noir obtint de son suzerain de France, Louis IV dit d'Outre-Mer, l'autorisation de donner comme dot à un seigneur nommé Adalard et à son épouse Adèle l'abbaye de Sainte-Marie de Faverney avec toutes ses dépendances, telles que «église, maisons, serviteurs des deux sexes, ainsi que les champs, les prés, les bois, les rivières, le cours d'eau et les moulins» (59).

Après la mort des époux Adalard, l'abbaye de Faverney fut paisiblement gouvernée par l'abbesse Luce. On ignore la date précise de la nomination de cette religieuse ainsi que les faits et gestes de son administration ; son nom même serait sans doute resté dans l'oubli sans le serment de soumission qu'elle fit, l'an 1031, entre les mains de Hugues Ier, archevêque de Besançon (60).

Au temps de cette abbesse, Faverney fut désolée par une épouvantable famine, qui sévit avec tant de fureur sur les Gaules qu'en divers lieux on vit les hommes, réduits à manger de la terre, se dévorer les uns les autres, et des troupes de loups ravager les campagnes. Aucun historien ne nous a laissé la date de la mort de Luce l'abbesse ; nous savons seulement qu'après elle le monastère de Notre-Dame Sainte-Marie fut gouverné par Euphémie qui, en 1066, fit aussi ce double serment de fidélité à l'Église de Besançon et d'obéissance aux constitutions de saint Benoît, entre les mains du même archevêque Hugues Ier, surnommé «Le Bienheureux». Pareil serment a été aussi prêté, en l'an 1126, par une troisième abbesse qui paraît être Odiarde et qui fut la dernière de l'abbaye fondée par sainte Gude (61). Sous son règne, le monastère ressentit le funeste contre-coup et de la décadence monacale générale à cette époque, et des nombreux fléaux qui avaient désolé notre pays, et des insatiables ambitions des seigneurs voisins, constitués comme avoués ou gardiens (62) de l'abbaye par le comte de Bourgogne. Alors les familles nobles ou riches avaient pris l'habitude de faire entrer dans les couvents, afin de s'en débarrasser, ceux de leurs enfants que des défauts corporels rendaient impropres au monde. Alors le travail des mains, si utile contre l'oisiveté, était dédaigné et oublié et le culte religieux délaisé. Alors le faste, la richesse et la mollesse régnaient dans les monastères jadis les plus fervents, tels que Cluny, Condat ou Saint-Claude, Baume-les-Moines, et Luxeuil (63). Alors les avoués ou gardiens de Faverney, les seigneurs Guy et Henry de Jonvelle, Hubert et Louis seigneurs de Jussey ainsi que le seigneur Thiébaud de Rougemont, n'ayant pas à redouter les résistances d'un abbé, ne reculaient devant aucune rapine, et, ayant envahi la plupart des possessions domaniales des religieuses, avaient réduit ces dernières à la plus affreuse misère (64). En vain, la jeune abbesse, pleine de zèle pour faire refleurir la règle primitive, tenta de ramener ses moniales à la discipline monastique. Sa sévérité a dispersé le petit troupeau confié à ses soins, et elle vivait presque seule dans son grand monastère qui croulait de toutes parts (65).

Mal conseillée, manquant d'énergie, elle ne sut ni défendre les biens de sa maison ni rappeler au devoir les religieuses qui s'en écartaient. L'hôpital du Saint-Esprit (66) fondé par ses devancières et doté par elles, était tombé dans le plus déplorable état. Le prêtre séculier qui sous sa surveillance était chargé de l'administration, l'habitait fort rarement et menait au dehors une vie si mondaine que ses confrères qui en étaient les témoins attristés, crurent devoir aller consulter le jeune saint Bernard dont la réputation de sainteté, depuis la fondation par lui de l'abbaye de Clairvaux en 1115, s'était répandue dans toute la France et la Bourgogne (67). C'était en l'année 1126.

Cette pieuse démarche valut à la jeune abbesse Odiarde une lettre écrite de la main même du grand moine qui allait bientôt devenir la gloire et l'oracle du XIIe siècle. En voici la teneur exacte :

«Bernard, abbé de Clairvaux, à A... abbesse de Faverney, salut et le double mérite de la pudeur et de la grâce.

Les religieux qui sont venus me consulter sur les affaires de leur conscience, m'ont fait un sensible plaisir en m'apprenant le zèle que vous déployez pour le rétablissement de la maison dont vous êtes chargée ; n'oubliez pas cependant, je vous en prie, que vous ne devez pas apporter moins de soin à réformer les mœurs de vos religieuses qu'à réparer les murs de votre monastère. C'est également un devoir pour vous de vous occuper d'une manière toute particulière de l'Hôtel-Dieu que ces religieux gouvernent sous votre direction, et d'empêcher que vos serviteurs et vos vassaux n'en pillent ou dissipent les revenus. On m'a assuré qu'à leur suggestion perverse vous avez repris à cette maison ce que les abbesses qui vous ont précédée, lui avaient donné ; croyez-m'en, rétablissez les choses dans leur premier état, car vous n'êtes pas moins obligée à conserver et à maintenir, que dis-je ? à multiplier même et à étendre le bien qu'elles ont fait, qu'à réformer les abus qu'elles ont laissé s'introduire dans votre monastère. Quand au prêtre qui habite cette maison en conservant les biens qu'il possède au dehors, il doit opter entre ces deux partis : renoncer à ses biens, ou quitter l'Hôtel-Dieu. Je vous souhaite une bonne santé et vous assure, à cause du bien que j'ai entendu dire de vous, que vous pouvez compter sur mon amitié s'il se présente une occasion de vous être utile» (68).

Profondément touchée de la bienveillance de saint Bernard, Odiarde mit tout en œuvres pour mettre à exécution ses sages et utiles conseils ; en vain tenta-t-elle de ramener au bercail les brebis égarées ; en vain voulut-elle rétablir l'ordre dans les deux maisons (69) dont elle avait la charge. Tous ses efforts furent inutiles ; les religieuses, habituées depuis longtemps à une vie facile, n'entendirent pas cette voix puissante du réformateur si austère de Clairvaux ; et dès lors l'abbaye des moniales bénédictines fut vouée à une irrémédiable décadence. Cinq ans plus tard, Anséric le premier des archevêques de Besançon qui ait pris le titre de prince de l'empire, prélat aussi remarquable par son esprit de conciliation que par son zèle pour la vie religieuse (70), vint à Faverney afin de juger par lui-même de l'état «de désolation où était la noble église de Faverney si florissante autrefois. Il la trouva privée de tout culte religieux, bouleversée de toutes manières et abandonnée de ses habitantes» (71). Devant de telles ruines, l'illustre prélat ne trouva d'autre remède que de supprimer les «sanctimoniales» et de donner le monastère de Notre-Dame aux enfants de saint Robert de la Chaise-Dieu (72). Mais la sollicitude de l'archevêque ne s'arrêta pas là. Avant que d'introduire les nouveaux religieux à Faverney, il profita de l'amitié de Rainaud III, comte de Bourgogne, avec qui, depuis l'an 1122, il avait conclu un traité de bonne intelligence, pour faire rendre à l'abbaye les biens que les seigneurs voisins lui avaient enlevés, soit dans la ville de Faverney soit dans les terres et villages qui en dépendaient.

Sur l'ordre du prince souverain Rainaud, un plaid solennel fut indiqué pour les ides de septembre (13 septembre) ; le comte souverain s'y rendit avec toute sa cour ; tous les sous-gardiens ou avoués du monastère des moniales y étaient aussi accourus avec une suite nombreuse : c'étaient Thiébaud de Rougemont, Richard de Montfaucon, Guy de Jonvelle et Henry son frère, Humbert et Louis de Jussey, et Frédéric comte de Fontenois. Aux côtés de l'archevêque de Besançon on voyait Guillaume d'Arguel et Guy de Melincourt, archidiacres de la métropole, Pierre de Traves doyen du chapitre de Saint-Étienne, Hugues archidiacre de Faverney, Valbert archidiacre de Dole, Hugues abbé de Luxeuil, Guy abbé de Cherlieu, Lambert abbé de Clairefontaine, Othon de Fressingue abbé de Morimond, et enfin Varin chapelain de l'église de Faverney et desservant de l'abbaye (73). Tous prennent place dans l'église abbatiale et là, en présence du peuple et des religieuses moniales, les seigneurs avoués «soit remords, soit politique, comme s'exprime Dom Grappin, se dépouillèrent entre les mains du comte Rainaud de tout ce qu'ils retenaient injustement des biens du monastère ; ils renoncèrent même aux prestations qu'ils auraient pu exiger à Faverney, et se réservèrent uniquement ce qui leur était dû pour droit d'avouerie dans les villages qui en dépendaient» (74).

Le comte souverain remit aussitôt à l'archevêque le désistement des sept seigneurs, se réservant toutefois, pour lui et ses succeseurs, la gardienneté du monastère ; le pontife Anséric, de son côté, se démit publiquement de l'autorité qu'il avait sur l'abbaye, puis déposa les deux actes sur l'autel de la Très Sainte Vierge, en signe d'hommage à la Mère de Dieu. Mais à peine le prélat avait-il repris sa place aux côtés de l'illustre consul Rainaud que le peuple et les seigneurs avoués, les religieuses et le clergé, le comte et l'archevêque, inspirés par un même sentiment, proclamèrent d'une voix unanime l'union de l'abbaye au monastère de la Chaise-Dieu. C'était le 13 septembre 1132.

Le XV des calendes d'octobre ou 17 septembre de la même année, Anséric signait à Besançon dans son palais archiépiscopal avec l'abbé de la Casa Dei Étienne de Mercœur, du consentement des chapitres de ces deux cathédrales, l'acte solennel qui supprimait les bénédictines de Faverney et donnait leur monastère aux bénédictins de la Chaise-Dieu pour y établir des religieux de leur maison. Cet acte fut confirmé par un bref du pape Innocent II, donné à Pise aux ides de juin (13 juin 1133) (75). L'ancienne abbaye de sainte Gude avait vécu plus de quatre cents ans.

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[Sources bibliographiques et Notes de bas de page.]

1. Dom Pierre-Philippe Grappin, Mémoires sur l'abbaye de Faverney, qui contiennent en abrégé l'histoire de la ville par un Bénédictin de la congrégation de Saint Vanne et de Saint Hidulphe, Besançon, Daclin, 1771, p. 4.

2. L'abbé Jean-Baptiste Bullet, Mémoires sur la langue celtique, Besançon, 1754, I, p. 161 : Fa lieu, Vern aulne, Vernay aulnaye. — D'après l'abbé Jean-Baptiste Bergier, Études historiques et philologiques sur l'origine, le développement et la dénomination des localités, Besançon, Marion, 1881, pp. 225 et 228, cette étymologie douteuse serait tirée du sol ancien de Faverney : Faw grande, vernaria campagne de vernes (Verna, vernatum, verne) ; la verne est une espèce d'aulne qui aime les terrains humides et marécageux, et cette essence de bois est la plus répandue dans les forêts avoisinant Faverney.

3. La rivière de la Lanterne, anciennement Lantenne, passe au pied de Faverney et va se jeter dans la Saône, six kilomètres plus bas, près du village de Conflandy ; elle prend sa source au village de La Lanterne-et-les-Armonts, près de Melisey.

4. Émile Mantelet, Histoire politique et religieuse de Faverney depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, Paris, chez l'auteur, 1864, p. 10. — Note spéciale de M. l'abbé Brune, curé-doyen de Mont-sous-Vaudrey et inspecteur des monuments historiques du Jura.

5. Alise-Sainte-Reine, regardée par la commission de la carte des Gaules et par celle des concours des inscriptions l'Alésia de César, est située sur le mont Auxois au canton de Flavigny (Côte-d'Or) ; Édouard Clerc, Essai sur l'histoire de la Franche-Comté, Besançon, Marion, 1870, 2e éd., I, p. 13.

6. Mantelet, Histoire, p. 17.

7. Mantelet, Histoire, p. 19 ; Clerc, Essai, I, p. 64.

8. Mantelet, Histoire, p. 20.

9. Clerc, Essai, I, p. 96 et suiv.

10. Jules Finot, Les franchises municipales du bourg de Faverney, Vesoul, Suchaux, 1879, p. 486 ; Mantelet, Histoire, p. 11 ; L'abbé Joseph Morey, Notice historique sur Faverney et son double pèlerinage, Besançon, Jacquin, 1878, p. 10. — Pierre Larousse, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, tome XV, p. 1045.

11. Louis-Henri Monin, Monuments des anciens idiomes gaulois, Paris, Durand, 1861, pp. 282 et 283 : «En 1836, on a déterré au mont de Saint-Martin sur Faverney, un buste de Diane, demi-bosse en pierre de grès ; une statuette en bronze de la même déesse ; un petit Priape ; des figurines de plusieurs espèces de gibiers le tout d'assez mauvais goût». — Charles Longchamp, La revue épigraphique dans la Haute-Saône, publiée en 1880 par le Journal de la Haute-Saône.

12. Bergier, Études, p. 27.

13. Clerc, Essai, I, pp. 127, 135 et 136. — Le royaume de Bourgogne ou Burgondie, dont la capitale était alors Châlon-sur-Saône, se composait de la Franche-Comté actuelle, de l'Alsace et d'une partie de la Champagne avec d'autres terres de l'Helvétie ou Suisse ; François-Ignace Dunod de Charnage, Histoire du second royaume de Bourgogne, Dijon, Fay, 1737, II, p. 14.

14. Saint Prothade, 24e archevêque de Besançon (613 à 624), frère ou fils de Prothade, maire du palais ; Jean-Jacques Chifflet, Vesontio Civitas imperialis libera sequanorum metropolis, Lyon, Cayne, 1618, p. 129 ; Clerc, Essai, I, p. 136.

15. Kiersy ou Quierzy-sur-Oise, village de 760 habitants dans l'Aisne, autrefois résidence royale.

16. Clerc, Essai, I, p. 136.

17. La haute dignité de patrice que les rois bourguignons ou burgondes avaient reçue des Romains, consistait à rendre la justice et commander les armées, ce qui, d'après Dunod, Histoire, II, p. 2, aurait fait donner plus tard le titre de duc, nom qui vient du latin dux, ducere, et en français signifie conduire.

18. Rouvres-en-Plaine, autrefois ville considérable de 700 feux, en 1361 avait un beau château bâti par les ducs de Bourgogne de la première race, et qualifié de forteresse dès 1287. Aujourd'hui il n'est plus qu'un village de 480 habitants, au canton de Genlis ; il est situé à 12 kilomètres de Dijon. À côté de Rouvres, à 2 kilomètres, se trouve un village appelé encore Fauverney et qui compte 500 habitants. Ne pas le confondre dans l'histoire avec notre Faverney en Haute-Saône.

19. Mantelet, Histoire, p. 21. — D'après une tradition locale, citée par Mantelet en 1865 dans son Histoire de Faverney et que me confirma à moi-même en mars 1912, M. Eugène Camus, ancien commis en librairie, la vieille tour qui se trouvait encore vers 1840 sur le bord de la route de Mersuay, entre la porte du jardin Camus et la maison Thérion, aurait servi de prison au patrice Wulf, lors de son arrestation dans la forêt de Ballière et avant de subir le châtiment de son crime. L'emplacement où elle était bâtie, s'appelait de temps immémorial place de la tour. Actuellement c'est la place Vauban. — D'après la même tradition, le chêne séculaire de la Belle-Dame qui, jusqu'en 1866, se dressait majestueusement à la bifurcation sur Port-d'Atelier des deux routes de Faverney et d'Amance, en pleine forêt de Ballière et à mi-chemin de 3 kilomètres entre Amance et Faverney, aurait été le même que l'arbre du supplice de Wulf. Aujourd'hui, à la place du vieux chêne disparu, se dresse un gracieux oratoire gothique que le voyageur admire en allant d'Amance ou de Port-d'Atelier à Faverney. Cette chapelle de la Belle-Dame fut élevée en l'honneur de la Très Sainte Vierge Marie, vers 1869, par M. l'abbé Albert Pourny, curé d'Amance, au moyen des pieuses souscriptions de ses paroissiens.

20. Frédégaire, Historia Francorum [«Chronique mérovingienne de Frédégaire»], vers 660, ch. 29 : «Wulfus patricius... Favrianiace... jubente Theuderico... occiditur» ; Clerc, Essai, I, p. 137 ; Finot, Franchises, p. 491. — M. Alfred Jacobs, dans sa savante Géographie de Grégoire de Tours, de Frédégaire et de leurs continuateurs, Paris, Didier, 1861, n'hésite pas à reconnaître Faverney-sur-la-Lanterne dans Favrianiacum, ou Fauriniacum, ou Favernaium. — Manuscrits de la bibliothèque de Besançon, 110, I, p. 751. Manuscrits Perreciot, 1111, p. 117.

21. Le mot pagus est employé chez les anciens dans le sens de pays ou territoire ; et le dictionnaire de Larousse qui donne le tableau que publia M. Guérard sur les noms et les positions des 347 pagi gaulois ou territoires différents, indique nettement pagus Decolatensis ou Colerensis, comme le pays ou canton ou comté de Collatine ou de Colère. Or, Colera (Colère) est le nom ancien de Corre, ville romaine. Collatine ou Colère sont deux noms identiques qui veulent dire près de l'eau. Le village de Corre est effectivement au confluent des deux rivières du Coney et de la Saône ; Clerc, Essai, I, p. 126. — Corre était déjà un centre important au IIe siècle et comptait parmi les villes de second ordre sous les Gallo-Romains ; Clerc, Essai, I, p. 28.

22. Monin, Monuments, p. 283. — Saint Bénigne, titulaire de l'ancienne église paroissiale de Faverney, était prêtre et faisait partie de ce groupe d'ouvriers évangéliques, disciples de saint Polycarpe, qui répandirent la religion chrétienne dans les contrées avoisinant la ville de Lyon. Il souffrit le martyre à Dijon même, entre les années 178 et 180 ; Dom Paul Piolin, Supplément aux Vies des saints et spécialement aux petits bollandistes, Paris, Bloud et Barral, 1903, III, p. 351. — Autour de l'église se trouvait le vieux cimetière. La fête de saint Bénigne, patron de la paroisse de Faverney, tombe le 1er novembre, jour de son martyre, et est renvoyée au 3 du même mois.

23. Saint Miget, successeur de saint Donat, fut le 26e archevêque de Besançon (660-670) ; L'abbé Jean-François-Nicolas Richard, Histoire des diocèses de Besançon et de Saint-Claude, Besançon, Cornu, 1847-1851, III, p. 7 ; L'abbé Léopold Loye, Histoire de l'église de Besançon, Besançon, Jacquin, 1901, I, p. 222 ; Chifflet, Vesontio, II, p. 162.

24. Loye, Histoire, I, p. 223. — Les cinq comtés de la Séquanie portaient les noms d'Amaous, de Collatine ou Colère, d'Elsgaw ou Elsgau, de Scoding ou Scodingue ou de l'Ain, et des Waraschs ou Varesco. D'où l'archidiacre du comté d'Amaous avait son siège à Dole et avait sous sa juridiction la partie occidentale et inférieure du Jura jusqu'à Gray. L'archidiacre du comté d'Elsgau, dont Mandeure était le chef-lieu, avait la surveillance de tout le territoire qui s'étend depuis le Russey jusqu'auprès des Vosges et jusqu'aux environs de Clerval et de Saint-Hippolyte. L'archidiacre de Scoding ou de l'Ain avait pour centre Bourg sans doute ; il tenait sous sa direction la partie supérieure du Jura et le territoire de l'Ain. L'archidiacre des Waraschs ou des montagnes du Doubs avait Baume pour chef-lieu et veillait sur les régions de Baume et de Pontarlier. Enfin, l'archidiacre de Collatine ou Colère avait son siège à Port-sur-Saône et surveillait la partie du diocèse comprenait le territoire saônois jusqu'à Gray. Besançon siège archiépiscopal formait à lui seul le comté de Besançon, le plus petit de tous ; Essai de Clerc, I, p. 126 ; Loye, Histoire, I, p. 223. — Au temps des Gallo-Romains, au IIe siècle, le port le plus renommé de la Saône était Port Abucin ou Port-sur-Saône ; Clerc, Essai, I, p. 27 ; Loye, Histoire, I, p. 222.

25. Loye, Histoire, I, p. 224.

26. Il existe encore à Faverney une rue désignée sous le nom de l'Official. Cette voie très courte et très rapide qui descend derrière le jardin du presbytère, vers la gendarmerie, pour aboutir derrière l'église à une cour de service de l'ancienne abbaye, ne peut être, comme l'indique Dom Grappin, «un souvenir de l'ancienne juridiction de l'Archidiaconé». Car l'Official, selon l'expression même du président Clerc, aurait été créé à Besançon vers 1239 ; Dom Grappin, Mémoires, pp. 5 et 6 ; Clerc, Essai, I, p. 427.

27. Clerc, Essai, I, p. 167.

28. Loye, Histoire, I, p. 247.

29. Paul Guérin, Les petits bollandistes ou vies des saints, Paris, Bloud et Barral, 1876, VIII, 6 juillet, et XII, 3 octobre. Le vénérable Widrade ou Waré légua la plus grande partie de sa fortune à l'abbaye de Flavigny dans ses deux testaments de 724 et de 745. Mais il fit une riche dotation à la basilique de Saint-Ferréol de Besançon. Après de longues années passées comme abbé de Flavigny dans l'exercice de sa charité, il s'endormit du sommeil des justes et fut inhumé dans l'église abbatiale, son œuvre de prédilection, devant la chapelle de Saint-Michel ; L'abbé H.-M. Duplus, Vies des saints du diocèse de Dijon, Dijon, Gagey, 1866.

30. Suivant un ancien nécrologe placé à la tête de la chronique de Hugues de Flavigny ; selon le témoignage du R. P. Christel qui dit avoir lu la même chose dans un monument du collège de Clermont ; d'après Dom Mabillon dans Acta sanctorum ordinis S. Benedicti, Paris, 1669, II, p. 64, il est certain que ce fut Widrade qui bâtit le monastère de Faverney : «fecit monasterium Faverniacum» ; Dom Grappin, Mémoires, p. 100 (preuve 1re). — L'opinion qui attribuait à la reine Brunehaut la fondation de l'abbaye de Faverney, doit être rejetée, selon que l'a démontré Dom Mabillon dans le second tome des Annales bénédictines. De même M. Jules Gauthier, l'éminent archiviste du Doubs, regardait comme insoutenable la légende donnée par Dom Odilon Bebin dans son Histoire manuscrite de l'abbaye de Faverney, 1670 (Bibliothèque de Vesoul, Ms. 192 et 193), incline à attribuer à saint Colomban la fondation de Faverney.

31. Société des Bollandistes, Acta santorum, Antwerp, I, 8 juillet ; Dom Grappin, Mémoires, pp. 102 et 104 (preuves 2e et 6e).

32. Société des Bollandistes, Acta santorum, I, 8 Janvier ; Dom Piolin, Supplément, 1885, I, pp. 72 et 73. — La cathédrale dédiée à sainte Gudule est l'une des plus remarquables églises de Bruxelles.

33. Dom Piolin, Supplément, I, p. 332.

34. Société des Bollandistes, Acta santorum, Antwerp, I, 6 juillet, «Vie des saints Berthaire et Attalein» et d'après le manuscrit de Tulle chez les Archives de Vesoul, H. 435. — A. V. (les professeurs du collège Saint-François-Xavier à Besançon), Vie des saints de Franche-Comté, 1856, IV, p. 142. — L'abbé Hippolyte Brultey, Étude d'histoire sur le Cartulaire de l'ancienne abbaye de Clairefontaine de l'Ordre de Cîteaux, s.l., s.d., p. 43. — À cette époque, l'an 764 ou 777, l'ancien pagus Colerensis ou de Corre qui avait donné son nom au comté primitif des bas siècles, lors du supplice du patrice Wulf en 607, est supplanté par le nouveau pagus ou comté de Port-Abucin (Port-sur-Saône), devenu plus important. Le village de Corre, au canton de Jussey, qui compte actuellement à peine 630 habitants, était une localité fort peuplée au milieu du IVe siècle. On y trouve un aqueduc, des statues brisées, des pierres tumulaires et quantité de médailles ; le ciment romain, les tuiles romaines y couvrent les champs. Un ancien pont existait, dit-on, sur la Saône. Au delà du Coney, vis-à-vis de Corre, subsistent de vastes décombres. Les médailles qu'on y trouve principalement sont celles des empereurs Antonin, Dioclétien, Constantin et Maxence ; M. le docteur Pratberon, Manuscrit ; Édouard Clerc, La Franche-Comté à l'époque romaine réprésentée par ses ruines, Besançon, Bintot, 2e éd., 1853, p. 124. — Le bourg de Port-sur-Saône, actuellement même plus peuplé que Faverney puisqu'il y a près de 1900 habitants, était déjà connu vers le commencement du Ve siècle pour son port commercial.

35. Mantelet, Histoire, p. 36 ; Brultey, Étude, p. 43.

36. Dom Piolin, Supplément, 1886, II, p. 332, indique saint Attalein comme diacre. Notre jeune saint aurait donc reçu la seconde ordination majeure, avant son départ pour Rome.

37. Mantelet, Histoire, pp. 36 et 37 ; Brultey, Étude, p. 44. — Selon la Carte de la Franche-Comté à l'époque romaine, dressée avec le plus grand soin historique par M. Édouard Clerc, op. cit., il paraît bien probable que saints Berthaire et Attalein ont suivi la grande voie romaine d'Orléans à Langres. La célèbre église de Sainte-Croix où ils avaient dévotement prié en 777, est la même basilique où la Bienheureuse Jeanne d'Arc pria, le samedi 30 avril 1429, lendemain de son arrivée dans la ville d'Orléans à la tête de l'armée francaise, puis le lundi suivant 2 mai. Cette basilique cathédrale est le monument religieux le plus ancien et le plus remarquable de la ville qui comptait, sous Louis XII, 24 paroisses et 24 couvents ayant chacun une église. Cet antique sanctuaire fut bâti par saint Euverte, sous-diacre de l'Église de Rome et qui fut nommé évêque d'Orléans sous l'empereur Constantin Ier dit le Grand, après l'an 330, sur un emplacement indiqué miraculeusement au saint pontife. Il subsista jusqu'en 865. À moitié ruiné par les guerres, il fut rebâti en 1187 et affectait la forme d'une croix. — Georges Touchard-Lafosse, La Loire historique, pittoresque et biographique, Tours, Lecesne, 1851 ; Jean-Francois Michaud et Jean-Joseph-François Poujoulat, Jeanne d'Arc à Orleans ou Mémoires pour servir à l'histoire de Jeanne d'Arc, Paris, Guyot, 1850, III, p. 114 ; L'abbé Henri Dumont, Histoire admirable de la bienheureuse Jeanne d'Arc, Paris, Bonne Presse, 1909, ch. III. — Depuis Langres, ville fortifiée déjà au VIIIe siècle, nos deux saints durent prendre la vieille voie de Bourbonne-les-Hains à Corre, autrefois ville romaine considérable, et de là s'avancèrent en droite ligne sur Amance et Faverney par la veterem viam de Contréglise. Car M. F. Poly de Montpellier a publié en 1897 dans le Bulletin de la Societe d'Agriculture, Sciences et Arts de la Haute-Saône (3e série, n° 28) un travail sur «La Haute-Saône sous la domination des Romains», où il indique nettement (p. 112) cette voie romaine secondaire de Corre par Amance à Faverney et Luxeuil avec une bifurcation à Faverney par Port-d'Atelier et Scey-sur-Saône pour Besançon, la Suisse et l'Italie.

38. Cette église de Rosières est qualifiée de basilique par l'hagiographe des Bollandistes (6 juillet). — Il ne peut être question ici de Rosières-sur-Mance, situé à 4 kilomètres de Vitrey et à 4 lieues de Faverney. Ce village de Rosières où habitait la mère du chevalier Servat de Menoux et où se trouvait cette basilique récente en l'honneur de saint Valère ou Vallier, martyr au Port-sur-Saône, était voisin, remarque Dom Grappin, soit de la rivière la Lanterne, soit de Bourguignon-lès-Conflans sur la Lanterne, soit de Faverney même. Il devait être situé entre Menoux, Cubry-lès-Faverney, Bourguignon et Mersuay, et il n'en reste nul vestige ; Dom Grappin, Mémoires, p. 125 note 4. — Dans son Étude, pp. 26, 323 et 329, l'abbé Brultey relate qu'en 1132 et 1157 Hugues de Belmont et Richard de Rosières léguèrent à l'abbaye de Notre-Dame de Clairefontaine deux alleux auxquels se rattachaient les usages d'une partie du finage de Senoncourt à côté d'Amance et du finage de Rosières ; et il ajoute après avoir contrôlé le texte : «c'est ce village dont il est parlé dans la légende des saints Berthaire et Attalein.» Donc Rosières existait encore au XIIe siècle. — Depuis sa trace semblait perdue et Dom Grappin en 1770 l'indiquait comme ayant cessé d'exister. Mais d'après des recherches récentes que j'ai faites en juin 1912, je crois pouvoir signaler le hameau actuel appelé Les Dannes comme étant l'ancien village de Rosières. Il est situé à environ 6 kilomètres de Menoux, et le vieux chemin de Menoux au moulin Jean Dard, au Grand Bois, au vallon actuel de saint Berthaire, au hameau des Dannes en contournant le Fougermont, et à Dampierre-lès-Conflans, est bien tracé sur la Carte du Canton d'Amance, dressée en 1857 par les agents-voyers du Département de la Haute-Saône. De plus, 1° on y voit encore une assez grande mare ; 2° il existe un champ appelé la masure sur le chemin des Dannes par les Tailles à Dampierre ; et 3° dans tous les champs voisins on découvre de nombreux débris de tuiles. (Témoignage de M. Henri Philippot, ancien fermier des Dannes et demeurant à Cubry-lès-Faverney, 5 juillet 1912.)

39. Saint Valère ou Vallier, archidiacre de Langres sous le pontife saint Didier, après le massacre de son évêque par le terrible Crocus ou Croche, roi des hideuses phalanges des Vandales, le 23 mai de l'an 411, avait rassemblé en toute hâte les débris de sa chrétienté et s'était enfui la nuit du côté des rives de la Saône. Mais après plusieurs mois de cette vie vagabonde à travers les forêts, il arriva vers Port-Abucin ou Port-sur-Saône. Cette cité commerçante dont la navigation avait fait la fortune, parce qu'elle se trouvait être le dernier port en remontant le cours de la Saône, était la première et peut-être l'unique ville du comté de Port à cette époque. C'est pourquoi elle avait donné son nom au pagus ou comté à la place de Colera ou Corre, ruinée par les invasions. La ville de Port-Abucin était alors située presque en entier sur la rive droite de la Saône et occupait tout l'espace entre le hameau actuel de Saint-Vallier et celui de Cuclos. On y trouve en profusion des fragments de tuileaux romains et des médailles ; on y voit les restes d'un canal en briques de forme ronde, des mosaïques, des morceaux d'architecture et de statues en marbre du meilleur goût. Le port de cette ville communiquait dans ses vastes relations commerciales, d'un côté avec le centre des Gaules, de l'autre par le trajet le plus rapide avec les Provinces Rhénanes, la Germanie et l'Helvétie. C'est pourquoi la route romaine du Rhin à Langres par Belfort, Luxeuil et Purgerot, route qui permettait aux Barbares, une fois le Rhin franchi, d'arriver à Langres et de là au cœur de la Gaule en moins de quatre jours, aboutissait en plein depuis Mailleroncourt-Charette à Port-sur-Saône. Les Vandales de Crocus qui occupaient ce poste depuis la prise de Langres, s'emparèrent donc de l'archidiacre Valère qui fut battu de verges, étendu sur le chevalet, déchiré par les ongles de fer et enfin décapité le 22 octobre 411. Les chrétiens inhumèrent son corps à l'endroit même de son martyre, vis-à-vis une tour dont on voyait encore les ruines à la Révolution de 1793 et qui portait le nom de Tour de trompettes, ouvrage avancé de l'ancien castrum. — Le culte de saint Valère s'était répandu rapidement dans nos contrées. L'évêque de Langres qui succéda à saint Didier devenu le patron de la ville, ayant entendu parler des grâces merveilleuses obtenues par l'intercession de saint Valère, fit construire au lieu de son martyre à Port-sur-Saône une église remarquable par sa grandeur, et sous laquelle se trouvait une crypte qui devint célèbre dans tout le pays, à cause des nombreux miracles qui s'y opéraient. Cette vieille basilique du Ve siècle a disparu et fut remplacée d'abord par une modeste chapelle, et enfin en 1836 fut construite par la piété des fidèles l'église actuelle à trois nefs au hameau même de Saint-Vallier. Chaque année la fête de glorieux martyr s'y célèbre avec beaucoup de solennité le 23 octobre. Nombreuses sont les paroisses qui l'ont pris pour patron dans les cantons de Chaumont et de Langres ; en Franche-Comté, il y en a trois dans le Doubs et huit dans la Haute-Saône parmi lesquelles sont Barges, Semmadon et Saint-Vallier près de Beaujeu. — Dom Piolin, Supplément, 1886, II, p. 113 ; A. V., Vies des saints de Franch-Comté, IV, p. 13 et suiv. ; Martyrologe de Langres au 22 octobre ; Bréviaire de Langres, leçon IVe ; Clerc Essai, p. 47, 122, 133 et 134 et 148 ; Clerc, Essai, Carte de la Franche-Comté.

40. A. V., Vies des Saints de Franche-Comté, IV, p. 148 ; Société des Bollandistes, 6 juillet ; Morey, Notice, p. 13 ; Dom Bebin, Manuscrit, p. 22 ; Brultry, Étude, p. 45.

41. «L'auteur du récit du martyre des saints Berthaire et Attalein est inconnu, dit Dom Piolin dans son Supplément, II, p. 332, mais c'est un document historique d'une valeur considérable.» Et cet auteur inconnu ajoute ce détail : «Le pal ou pieu, d'abord arraché à une haie, puis saisi par Attalein et ensuite planté dessèché dans le sol, reverdit miraculeusement et devint, dans la suite, un grand frêne qui existait de son temps et qu'on montrait comme un témoin de la mort des martyrs.»

42. Bourguignon-lès-Conflans est à une lieue en amont de Faverney et est baigné par la rivière de la Lantenne ou Lanterne.

43. A. V., Vies des saints de Franche-Comté, IV, p. 150 ; Dom Bebin, Manuscrit, p. 22 ; Société des Bollandistes, 6 juillet ; Mantelet, Histoire, p. 38.

44. Douze stades valaient 1500 pas géométriques, et le meurtre avait été accompli sur le territoire de Saint-Remy, indépendant de l'abbaye de Faverney dont sainte Gude ou Guéude ou Godolie était abbesse ; A. V., Vies des saints de Franche-Comté, IV, p. 151 ; Dom Bebin, Manuscrit, p. 15 verso.

45. Dom Grappin, Mémoires, p. 164 note 23 ; Dom Bebin, Manuscrit, p. 17 recto ; Richard, Histoire, I, p. 139.

46. A. V., Vies des saints de Franche-Comté, IV, pp. 152 et 156 ; Brultey, Étude, p. 46 ; Dom Piolin, Supplement, 6 juillet ; un exemplaire manuscrit du martyrologe d'Usuard les mentionne au 6 juillet ; Chifflet cite également le martyrologe de Luxeuil qui indique leur fête pour le même jour. — Dom Grappin, Mémoires, p. 2, indique en 1770 que «l'Eglise de Faverney célèbre annuellement le 15 Mars l'office du saint martyr et de son compagnon.» — Dans le diocèse de Besançon, jusqu'à la dernière révision du propre des saints francs-comtois par S. G. Mgr Fulbert Petit en 1900, on célébrait leur fête le 3 juillet sous le rite semi-double. Alors leur office et leur fête ont été supprimés ; et pourtant les Révérends Pères Bollandistes belges, si connus et si estimé comme hagiographes dans le monde entier, aussi bien que le R. P. Dom Paul Piolin, bénédictin de la Congrégation de France, affirment soit dans les Acta sanctorum et les Annotata, soit dans le Supplément spécialement affecté aux Petits Bollandinstes, que «le récit de leur mort est un document historique d'une valeur considérable.» Donc il serait à souhaiter que leur légende, revisée et approuvée, nous permette d'en commémorer leur souvenir, intimement lié aux premières années de l'abbaye de Faverney.

47. Dom Bebin, Manuscrit, pp. 17 et 19 rectos. Au temps de Dom Odilon Bebin qui, profès 3 janvier 1635 à l'abbaye de Faverney, prieur en différentes fois et spécialement en 1665-1667 (Archives de Vesoul, H. 454, 463, 477), finit son Manuscrit en 1670 et mourut le 14 octobre 1676 ; Dom Grappin, Mémoires, p. 118, on montrait encore avec vénération ces reliques de saint Berthaire.

48. Dom Bebin, Manuscrit, p. 22.

49. D'après la liste chronologique des archevêques de Besançon donnée par l'abbé Richard, Histoire, III, p. 6, ce serait l'archevêque Arnould, le 35e de nos pontifes ; Brultey, Étude p. 47. — Vers l'an 1150, Philippe d'Achey seigneur de Saint-Remy, ayant donné à l'abbaye de Clairefontaine, récemment fondée (5 mai 1131), le sanctuaire de saint Berthaire avec les terres environnantes, les religieux cisterciens construisirent, à la place même de la chapelle improvisée par les soins de sainte Gude, un édifice en pierres sculptées dans le style de leur église. Ils tracèrent même non loin de là un cimetière et bâtirent une cellule pour loger un chapelain. Le pèlerinage était fort suivi, mais il dégénéra en une foire où marchands, jeux, divertissements et cantines tenaient plus de place que les cantiques sacrés. Aussi Dieu déchaîna la tempête et permit que les disciples de Calvin, pendant la guerre de Dix Ans (1630-1640), renversassent le temple et l'autel. Les reliques des martyrs furent données à un comte de la Marche qui s'en dessaisit lui-même en faveur du monastère cistercien de Florival ou Vallée-Fleurie, situé au duché de Luxembourg. Là encore, les Luthériens brisèrent la châsse qui contenait les saints ossements, et les jetèrent au feu. Un moine réussit cependant à les arracher des flammes avant leur destruction complète et les déposa dans l'église de Saint-Nicolas-du-Port (Meurthe), où ils jouissent encore des plus grands honneurs ; Brultey, Étude p. 48. — Quant à l'emplacement même du martyre des saints Berthaire et Attalein, personne ne songe plus à le visiter. Seule une maison de ferme, construite, dit-on, après les guerres des Suédois protestants, avec les débris de l'oratoire et du logement du chapelain, et appartenant à M. Albert de Bellenet de Vesoul, garde-général en Algérie, rappelle le nom de saint Berthaire dans le vallon situé sur la lisière des bois de Saint-Remy. L'indifférence la plus complète foule aux pieds la terre des miracles... et cela depuis près d'un demi-siècle : la source même miraculeuse était inconnue ! C'est pourquoi le 17 juin 1912, voulant essayer de réveiller quelque peu antique dévotion à nos saints martyrs du doyenné de Faverney, accompagné par M. Lucien Blanchon d'Amance (43 ans) et M. Émile Jobert de Saint-Remy (60 ans), tous deux chasseurs habitués à parcourir les bois de saint Berthaire, et guidé par M. Joseph Bavoux de Saint-Remy (40 ans) et surtout par M. Auguste Fournot (66 ans) qui a habité depuis son enfance la ferme contiguë à celle de saint Berthaire, j'ai tenté de retrouver la source et l'emplacement du sanctuaire disparu. La Providence nous vint en aide visiblement. À quelques mètres de l'extrémité supérieure de la coupe 25, dans la forêt de Saint-Remy, qui touche «le bois du Haut de la Chapelle» (Carte du canton d'Amance, 1857), nous avons découvert un bassin demi-circulaire nettement indiqué par des aulnes ou vernes. Au pied d'une aulne plus grosse et qui forme comme la clef du demi-cercle, à 2 ou 3 mètres plus bas, sourdait un mince suintement d'eau. En quelques coups de pioche, un bassin fut creusé dans la terre humide et après quelques minutes l'eau coulait en abondance, et, une demi-heure après, formait une nappe de plusieurs litres. La source qu'avait vue dans son enfance M. Auguste Fournot, était retrouvée par lui. M. Charles Fournot d'Anchenoncourt, mort à 93 ans en 1887 et qui habita durant près d'un demi-siècle la ferme contiguë à celle qui porte écrit en grosses lettres sur sa façade Est : Ferme de saint Berthaire, a toujours dit à son fils M. Auguste Fournot que «l'eau de la source de saint Berthaire guérissait les coliques.» Le grand frêne miraculeux n'existe plus : nous n'en avons trouvé aucune trace. Par contre, autour du bassin de la source croissent des groseilliers. — Sur la droite de la source, en tournant le dos au bois du Haut de la Chapelle, on trouve de nombreux vestiges de murailles, emplacement probable de l'ancien Hermitage. En 1906, après 29 ans de séjour à Paris, M. Auguste Fournot retraité à Saint-Remy s'empressa d'aller visiter la source de saint Berthaire, et il eut la chance d'y retrouver une pierre taillée avec moulures et portant le millésime MDVIII (1508). Peut-être est-ce la pierre formant la clef de voûte de la porte de l'ancienne chapelle, reconstruite par les cisterciens de Clairefontaine. On peut voir cette pierre encastrée par M. Auguste Fournot dans le mur au-dessus de la porte d'entrée de son habitation, bâtie par lui sur le versant Est de Saint-Remy. — En plus nous avons découvert que, depuis le sanctuaire élevé à droite de la source sur le lieu même où les corps des martyrs avaient été retrouvés, on avait tracé à travers la forêt une immense avenue de 230 mètres de longueur, pavée encore en divers endroits, creusée dans le sol, et allant en droite ligne, mais transversalement, depuis le commencement de la coupe 25, jusqu'à la sortie du bois au commencement de la coupe 23. Là nous avons trouvé une sorte d'esplanade où pouvait être le cimetière ; et à côté, sur le bord et en dehors de la coupe 23, à quelques mètres sur le chemin de Cubry-lès-Faverney au hameau des Dannes (anciennement Rosières), nous avons remarqué de nombreuses pierres taillées au milieu d'amas de démolition et d'un magnifique bosquet de noisetiers. — Fasse le Ciel que l'antique dévotion des habitants de Saint-Remy se maintienne ! Chaque année le lundi de Pâques, en souvenir de l'ancien pèlerinage à l'Hermitage de nos saints martyrs, dès avant le lever du soleil il y a encore concours de population en l'église paroissiale. Heureux celui qui a pu arriver le premier vers la statue de saint Berthaire, exposée dans son ancienne chapelle, aujourd'hui dédiée à saint Joseph ! Depuis cette heure matinale la foule ne s'arrête pas jusqu'à la messe de sept heures que font célébrer les fidèles. Fasse le Ciel aussi que quelque dévot pèlerin aille visiter la source retrouvée et l'allée fort bien visible ! Pour cela, il n'y a qu'à se rendre à la ferme appelée saint Berthaire ; de là aller au commencement du bois voisin à droite, compter 80 pas et l'on trouvera la tranchée 25 ; entrer dans cette tranchée, compter 41 pas et à droite comme à gauche on apercevra l'allée boisée et pavée ; s'engager à droite dans cette allée creusée et à 50 mètres on trouvera la source miraculeuse.

50. Dom Bebin, Manuscrit, p. 19 recto ; Mantelet, Histoire, p. 42 ; Dom Grappin, Mémoires, p. 4. — Il est à remarquer que dans le Martyrologe universel de Chatelain, sainte Gude ou Placidie ou Gueude ou Godolie est mentionnée parmi les saints aémères, c'est-à-dire, dont on ignore ou le nom ou la date ; A. V., Vies des saints de Franche-Comté, IV, p. 142

51. Morey, Notice, p. 14.

52. Clerc, Essai, I, p. 178.

53. Jean-Baptiste Melin, Histoire de l'Europe et de la France depuis 395 jusqu'en 1270, Paris, Moulins, 1886, p. 323. — Mersen est situé près de Maestricht, sur la Meuse ; Clerc, Essai, I, p. 185.

54. Melin, Histoire, p. 326.

55. Mantelet, Histoire, p. 47.

56. Brultey Étude, p. 16.

57. L'abbé Jean-Baptiste Bullet, Histoire manuscrite de l'abbaye de Faverney, p. 17 ; Clerc, Essai, I, p. 206.

58. Dom Mabillon, Annales Bénédictines, année 900 ; Clerc, Essai, I, pp. 209, 211 et 221 ; Société des Bollandistes, 18 janvier ; Melin, Histoire, p. 327 ; Brultey, Étude, p. 16.

59. Mantelet, Histoire, p. 47, donne la traduction de cet extrait du Cartulaire de Faverney que l'abbé Camuset, curé doyen de Faverney, avait copié à Vesoul ; Archives de la Haute-Saône, H. 435. Dans cet acte de Louis IV, roi de France, est encore attribuée aux époux Adalard une seconde abbaye appelée Villa-d'Offonis, aujourd'hui Enfonvelle, et dédiée au martyr saint Léger. «Faverney et Enfonvelle étaient toutes deux sises dans le Pagus Portensis» ; Clerc, Essai, I, pp. 204. — Enfonvelle est du canton de Fresnes (Haute-Marne), sur la limite de la Haute-Saône, à quelques kilomètres de Jonvelle et de Bourbévelle au canton de Jussey. — Dom Grappin, Mémoires, p. 6 ; cet auteur déclare que la volonté du prince, quand il expédia la charte de «donnation», était qu'après la mort des époux Adalard l'abbaye des moniales bénédictines devait rentrer à son maître légitime.

60. Dunod, Histoire, p. 163, qui donne l'acte du serment ; Clerc, Essai, I, p. 255 ; Richard, Histoire, I, pp. 231 et 255 ; Bullet, Manuscrit p. 19. — Hugues Ier, fils d'Humbert II, sire de Salins, fut d'abord aumônier du roi Rodolphe III qui régnait alors sur la Bourgogne, puis chanoine de Saint-Étienne de Besançon, ensuite abbé de l'abbaye Saint-Paul à Besançon, enfin prince de l'empire, légat du Saint-Siège et 50e archevêque de Besançon ; il régna 36 ans (1031-1067) ; il succédait à l'archevêque Gaucher son parent ; il fut aussi saint évêque qu'homme de génie ; on déposa son cœur dans la belle église collégiale de Sainte-Madeleine, bâtie par lui : Clerc, Essai, I, pp. 256 à 280.

61. L'original de ces trois serments a été retrouvé, vers 1880, chez un cartonnier de Besançon par M. le chanoine Denizot qui l'a déposé dans les archives de la bibliothèque du chapitre de Besançon. — Bullet, Manuscrit, p. 19 ; Morey, Notice, p. 17. — Tous les historiens anciens qui ont écrit sur Faverney, n'ont désigné le nom de la dernière abbesse que par la lettre initiale A... Mais M. l'abbé Brultey en publiant, dans les pièces justificatives de son Étude, p. 317, l'acte de confirmation, en 1150, par Humbert archevêque de Besançon, de la totalité des donations faites au couvent de Clairefontaine, a découvert le nom de cette dernière abbesse. Je cite : «Odiardis quae cognominatur pastorella monialis Favernaci dedit nobis pratum quod est sub sancto Remigio.»

62. Ce mot avoué, anciennement advoué, vient du latin advocatus qui signifie : pris pour défenseur, gardien ou protecteur.

63. Clerc, Essai, I, pp. 321 et 322.

64. Mantelet, Histoire, pp. 56 et 58.

65. Bullet, Manuscrit, p. 21.

66. Bullet, Manuscrit, p. 21. L'hôpital que le Père Dunand, capucin de Besançon et compilateur de documents historiques au XVIIIe siècle (Bibliothèque de Besançon, collection Dunand, Ms. 31, Notes sur les hôpitaux ; Richard, Histoire, III, p. 16), appelle hôpital du Saint-Esprit, «était situé, écrit Dom Grappin, Mémoires, pp. 4 et 7, dans l'enceinte de l'ancienne ville de Faverney, au midi de Faverney moderne, entre la rivière la Lanterne et la Porte Basse. Faverney est dans le même emplacement qu'il eut dès son origine. Cette ville n'a varié que pour le nombre des bâtiments.» — Du temps de Dom Bebin, en 1670, existait la chapelle de l'hôpital, avec la place d'alentour s'appelant encore place de l'hôpital ; Dom Bebin, Manuscrit, p. 20 verso. — «Une petite chapelle dédiée à Marie était, en 1564, a écrit Mantelet, Histoire, p. 57, le seul débris existant de l'ancien hôpital. Cet oratoire a été brûlé par les bandes protestantes et n'a jamais été reconstruit. Il n'en reste aucun vestige ; les ruines de cette chapelle se voyaient encore en 1700.» — «On l'a démolie depuis peu d'années», remarque en 1770 Dom Grappin. — D'après les recherches dernières que j'ai faites, le 16 août 1912, l'hôpital du Saint-Esprit occupait l'emplacement actuel des maisons de MM. Baumié et Princet, dans l'ancienne rue Vannoise dénommée maintenant rue Rollin. Du reste, le bâtiment de cette hôpital avec le petit clocheton est très visible sur la vue de Faverney en 1617 (dessin de Martellange déposé au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale. — Ub 9a tome II).

67. Saint Bernard, issu d'une des plus nobles familles de Bourgogne, est né en 1091 au château de Fontaines, près de Dijon (Côte-d'Or). Ayant quitté le monde avec 30 jeunes seigneurs, frères et amis qu'il emmena à l'abbaye de Cîteaux que venait de fonder récemment, en 1098, dans une forêt sauvage sur le territoire de Saint-Nicolas près de Nuits (Côte-d'Or), saint Robert abbé de Molesmes près de Troyes, Bernard y passa deux années (1113-1115) comme novice sous la règle nouvelle des bénédictins blancs et connue sous le nom de Charte de charité. En 1115 il fut envoyé par son supérieur saint Étienne Harding pour établir l'abbaye de Clairvaux, dans la gorge marécageuse et boisée appelée la Vallée de l'absinthe à deux lieues de Bar-sur-Aube (Aube), qui faisait alors partie du diocèse de Langres. Clairvaux devint en peu de temps la mère de cent soixante autres monastères et une pépinière de saints ; Société des Bollandistes, 20 août.

68. L'abbé Charpentier, Œuvres complètes de saint Bernard, Paris, Vivès, 1866, II, p. 37 (lettre 391e, autrefois la 347e).

69. L'abbesse de Faverney, selon l'usage en ces temps anciens, choisissait en qualité de seigneur tous les prêtres chargés et de son église abbatiale et de l'église paroissiale et de l'hôpital. Dom Grappin et saint Bernard semblent affirmer que ce directeur de l'Hôtel-Dieu était un prêtre séculier. Il avait comme collaborateurs pour le service des malades, des religieux qui vivaient sous la règle de saint Augustin, et qui n'étaient ni bénédictins ni prêtres. Le Père Eliot fait mention de congrégations de ce genre, soit d'hommes soit de femmes, existant alors dans tout l'Occident, et qui, renonçant au siècle, demeuraient dans les léproseries et les hôpitaux pour servir les malades et les pauvres. Quant au service religieux de l'abbaye et de la paroisse, il était assuré par les gens d'eglise, c'est-à-dire la Familiarité composée du curé, vicaire, et des autres prêtres réunis en communauté. Ils existaient déjà au temps de sainte Gude, et l'an 1547 ils ajoutaient le titre de chapelain à celui de familiers ; Dom Grappin, Mémoires, pp. 7, 8, 164 et 165 ; Archives de la cure de Faverney.

70. Anséric, issu de la noble famille de Montréal, était doyen de l'église d'Autun, quand il fut élu archevêque de Besançon. C'est le 55e de nos archevêques ; Richard, Histoire, I, pp. 311 et 323.

71. Cartulaire de Faverney. Lettre d'Anséric à l'abbé de la Chaise-Dieu. — Dom Horstius et Dom Mabillon, Œuvres de saint Bernard, II, p. 773 ; Dom Mabillon, Annales bénédictines, VI, p. 663 ; Dom Grappin, Mémoires, p. 8.

72. La Chaise-Dieu est un chef-lieu du canton de la Haute-Loire, arrondissement de Brioude, qui doit son origine à la célèbre abbaye Casa Dei ou de la Chaise-Dieu, fondée dans une solitude des montagnes de l'Auvergne en 1050, par saint Robert, baron d'Aurillac, chanoine de l'église de Saint-Julien de Brioude ; Société des Bollandistes, 24 avril ; Dom Bebin, Manuscrit, p. 21 verso.

73. On voit que l'archevêque Anséric avait eu soin de convoquer les supérieurs des trois monastères d'hommes les plus voisins de Faverney :

1° L'abbaye des bénédictins noirs de Luxeuil (Haute-Saône) bâtie en 590 avec les ruines romaines de Luxeuil par le moine saint Colomban, né l'an 540 en Hibernie ou Irlande. Elle devait bientôt mériter d'être citée comme le modèle de la Germanie et des Gaules, puisque sous son troisième abbé, saint Valbert, elle comptait déjà 600 religieux. Mais à cette époque du XIIe siècle, la discipline et la régularité y étaient en pleine décadence, au témoigna de Pierre-le-Vénérable, abbé de Cluny ; Clerc, Essai, I, pp. 139 et 322 ; Richard, Histoire, I, p. 334 ; Louis Suchaux, La Haute-Saône. Dictionnaire historique, topographique et statistique des communes du département, Vesoul, Suchaux, 1866, II, p. 10.

2° L'abbaye des bernardins blancs de Cherlieu vers Montigny (canton de Vitrey, Haute-Saône), la première fondée par saint Bernard, abbé de Clairvaux, le 17 janvier 1131, et qui devint bientôt célèbre par ses grands biens, le nombre de ses religieux aussi bien que par l'étendue et la magnificence de ses bâtiments, puisque le 5 mai 1310 elle put recevoir dans son enceinte, lors des funérailles du comte palatin Othon IV, plus de 20.000 personnes. Le premier abbé de Cherlieu fut le bienheureux Guy (1131-1157) ; Loye, Histoire, II, p. 151. — Suchaux, Dictionnaire II, p. 88.

3° L'abbaye des cisterciens blancs de Clairefontaine (paroisse de Polaincourt, canton d'Amance, Haute-Saône), fondée le 5 mai 1131 par l'abbé Vauthier, supérieur de Morimond. Le premier abbé de de Clairefontaine fut le bienheureux Lambert (1132-1154) ; Loye, Histoire, II, p. 145 ; Brultey, Étude, p. 9. — L'abbé de Morimond, Othon de Fressingue, qui signa l'acte d'Anséric, était l'oncle de l'empereur d'Allemagne Frédéric Ier Barberousse, et le successeur de l'abbé Vauthier.

74. Dom Grappin, Mémoires, p. 9. ; Bullet, Manuscrit, p. 24 ; Dom Mabillon, Annales bénédictines, VI, p. 663. ; Dom Bebin, Manuscrit, ch. IX.

75. Voir aux notes et pièces justificatives I la copie de l'acte de donation de l'archevêque Ansèric, extraite par Dom Horstius et Dom Mabillon du Cartulaire de l'abbaye de Faverney. — Il existe aux archives du Doubs (Parlement de Besançon B, abbaye de Faverney, inventaire du 9 septembre 1771) trois copies authentiques de cet acte de donation de l'archevêque Anséric. Dom Bebin nous dit que «l'acte d'union d'Anséric fut envoyé à Rome par l'abbé de la Chaise-Dieu, et remis à Hugues, prêtre cardinal du titre de sainte Sabine ; celui-ci l'attesta par ces paroles : «Nos, frater Hugo, divinà misericordià tituli Stae Sabinae presbyter cardinalis, dictas litteras vidimus sigillo Anserici dicti archiepiscopi sigillatas», «et le fit certifier par Innocent II. Le bref du pape portait le plomb pendant avec un fil de soye rouge» ; Dom Bebin, Manuscrit, p. 26 verso. — Aux Archives de la Haute-Saône, H. 435, se trouve cet acte approbatif de la donation. Une copie authentique de ce bref, prise sur l'original en 1319, était conservée au monastère de la Chaise-Dieu avant la Révolution ; Mantelet, Histoire, p. 61.


«Faverney, son abbaye et le miracle des Saintes-Hosties» :
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[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]