ON FAIT CE QU'ON PEUT, NON PAS CE QU'ON VEUT :
proverbe dramatique en un acte de Louis-François Archambault, dit Dorvigny ;
première le 8 novembre 1779.
PERSONNAGES. |
M. FRANVILLE, entrepreneur de comédie. |
UN SOUFFLEUR. * |
UN VALET, allemand. * |
LE Beau LÉANDRE. * |
M. POINTU, ivre. * |
Mme POINTU, bègue. * |
L'ABBÉ. * |
UN FIACRE. * |
UN COMMISSAIRE. * |
(* Joués par le même.) |
La scène est dans le salon de M. Franville.
SCÈNE I.
FRANVILLE, seul, devant un bureau avec plusieurs lettres ouvertes.
Parbleu ! c'est une cruelle chose qu'une entreprise nouvelle ! Où diable avais-je l'esprit quand j'ai imaginé de me mettre à la tête d'un spectacle ! Mon théâtre est construit à la vérité, mes décorations sont prêtes ; c'est bien quelque chose ; mes pièces sont commandées... Il ne me manque plus que des acteurs pour les jouer... Voici vingt lettres de sujets qui se proposent, mais la peur que j'ai de faire de mauvaises acquisitions m'a retenu jusqu'à présent ; il faut pourtant finir... Voyons, récapitulons un peu : ces lettres, et au risque d'être trompé, répondons à quelques-unes. Relisons d'abord celle-ci. (Il lit une lettre.)
«Monsieur, mes pleurs qui tombent dans mon cornet ont rendu mon encre si blanche, que vous aurez peine à lire ma lettre.»
Voilà un beau début !
«Excusez une malheureuse fille, la voix me manque, et la main me tremble ; et si vous pouviez me voir dans l'état où un infidèle ma réduite...»
Ah ! c'est un beau désespoir ! oui, voilà une vocation bien favorable pour la comédie ! Voyons un peu l'emploi que la Demoiselle compte prendre. Les Amoureuses apparemment.
«Hum, hum, j'ai dix-huit ans.»
C'est le bon âge.
«Taille avantageuse...»
C'est ce qu'il faut.
«Figure fort revenante, surtout lorsque je suis de bonne humeur.»
Apostille intéressant : on aura soin d'égayer la Demoiselle.
«Je jouerai les Ingénuités, les Agnés».
Ah ! Mme. Ingénue ! il y a conscience : c'est s'y prendre un peu tard !... Serviteur à votre ingénuité ; (Il jette lettre.) voilà pourtant de ces Agnès comme on en rencontre avec connaisance de cause...
SCÈNE II.
FRANVILLE, LE SOUFFLEUR,
qui parle en nazillant et grimaçant un peu.
LE SOUFFLEUR.
Monsieur, je suis bien votre serviteur ; j'ai l'honneur de vous saluer ; je vous souhaite bien le bonjour, Monsieur.
FRANVILLE, contrefaisant.
Et moi pareillement, Monsieur. Qu'y a-t-il pour votre service, Monsieur ?
LE SOUFFLEUR.
Monsieur, je n'ai qu'un mot à vous dire, Monsieur, qu'un mot... Si c'était un effet de votre complaisance de vouloir bien m'interrompre sans m'écouter, ça sera fait tout de suite ; Monsieur, ça sera fait tout de suite, je n'ai qu'un mot.
FRANVILLE.
Eh bien, Monsieur ! tout de suite, dites-le ce mot ; Monsieur, dites-le ; (Aparté.) c'est un original dont il faut que je m'amuse.
LE SOUFFLEUR.
Monsieur, j'ai entendu dire que...
FRANVILLE.
Est-il possible, Monsieur ? Comment, vous avec entendu dire que...
LE SOUFFLEUR.
Oui, Monsieur, c'est par voix indirecte ; il m'est revenu que...
FRANVILLE.
Comment, Monsieur, cela vous est revenu !
LE SOUFFLEUR.
Assurément, Monsieur, je n'en impose pas. Il court un bruit que...
FRANVILLE.
Comment donc ; mais ce bruit là est inquiétant au moins !... et vous dites, Monsieur, que...
LE SOUFFLEUR.
Eh bien, mais, Monsieur, je dis qu'on dit que vous avez dit que vous faisiez une troupe de comédie.
FRANVILLE.
On dit cela, Monsieur ?
LE SOUFFLEUR.
Oui, Monsieur... et comme je me trouve sans place, moi ; pour le moment, ce qui ne prouve rien, voyez-vous, parce que tous les jours vous sentez bien, on est dans le cas de...
FRANVILLE.
Assurément.
LE SOUFFLEUR.
Eh bien, Monsieur, je viens vous proposer mes talents.
FRANVILLE.
Vos talents, Monsieur ! cela n'est-pas de refus ; dans quel genre sont-ils ?
LE SOUFFLEUR.
Mais, Monsieur, en tout genre ; pour ce qui est en fait de tragédie, de comédie, et même d'opéra, Monsieur.
FRANVILLE.
Comment, Monsieur, est-ce que vous chantez ?
LE SOUFFLEUR.
Non, Monsieur ; au contraire, je ne chante pas. Je chanterais bien, si je voulais ; mais je vous conviendrai d'une chose, je n'ai pas d'oreille.
FRANVILLE.
Pas d'oreille ! ah ! cela vous plaît à dire.
LE SOUFFLEUR.
Oh ! Monsieur, c'est une politesse de votre part ; mais je ne veux pas vous tromper.
FRANVILLE.
C'est bien honnête. Monsieur est pour les tragédies, apparemment. Monsieur déclame.
LE SOUFFLEUR.
Déclame ? Non. Je l'aimerais assez, la tragédie ; mais je vous avouerai encore une autre chose, j'ai la voix fausse dans le haut.
FRANVILLE.
Ah ! c'est dommage... Vous êtes obligé comme cela de vous borner à la comédie.
LE SOUFFLEUR.
La comédie, moi ! ah ! bien oui ! belle bagatelle : je m'amuse bien à cela, ma foi.
FRANVILLE.
Comment ? vous ne chantez, ni déclamez, ni ne jouez la comédie ! que diable faites-vous donc dans les pièces ?
LE SOUFFLEUR.
Ah ! ce que j'y fais ? Je les souffle, Monsieur, je les souffle.
FRANVILLE.
Ah ! vous les soufflez.
LE SOUFFLEUR.
Oui, Monsieur, je les souffle ; et bien même, je m'en vante encore, et on ne peut pas m'ôter ça, voyez-vous ?
FRANVILLE.
Je vous en fais mon compliment, Monsieur ; vous pouvez ne m'être pas inutile ; mais je ferais charmé de vous connaître un peu.
LE SOUFFLEUR.
Me connaître ! ah parbleu, c'est bien aisé. Il n'y a pas grand chose à vous dire pour ça. Je ne vous parlerai pas de ma taille. Vous ne la voyez pas ; je suis tout enveloppé dans ce manteau... Mais qu'est-ce que cela vous fait, que ma taille soit élégante ou non, avantageuse ou raccourcie, tout ça est égal, pourvu que j'atteigne à la trappe ; c'est tout ce qu'il faut, n'est-il pas vrai ?
FRANVILLE.
Oui, c'est la mesure tout juste.
LE SOUFFLEUR.
Pour mes jambes, je n'ai rien à vous en dire non plus ; que vous importe en effet, qu'elles soient droites ou cagneuses, arquées ou bancales ? toute la besogne d'un souffleur se fait assis.
FRANVILLE.
Vous avez raison.
LE SOUFFLEUR, grimaçant.
Je ne fais pas, Monsieur, si vous trouvez ma figure bien revenante ?
FRANVILLE.
Mais elle n'est pas mal.
LE SOUFFLEUR.
Eh bien, tout ça ne fait encore rien à la chose. Quand je ferai là, moi, (Montrant le trou.), le public ne verra mon visage que par derrière.
FRANVILLE, aparté.
Il n'y perdra pas.
LE SOUFFLEUR.
Toute explication que j'ai à vous donner se réduit donc à trois points. L'intelligence, l'œil et la voix... Pour l'intelligence, la modestie m'empêche de vous dire là-dessus tout ce qui en est. J'ai un principe, moi ; c'est qu'il ne faut jamais se vanter en face de soi-même, sans quoi faut rougir ; et il y a des gens que ça embarrasse... Mais pour le regard, ah ! personne ne l'a plus vif que moi pour lire d'un coup-d'œil deux vers à la fois. Et de mes deux yeux, tandis que l'un ne perd pas de vue le livre, l'autre continuellement fixé sur l'acteur, observe son maintien, devine son embarras, et prévient son silence.
FRANVILLE.
Le beau portrait ! Il me semble voir un colimaçon à la découverte, un œil à droite, et l'autre à gauche.
LE SOUFFLEUR.
Pour la voix, comme je vous dis, je ne l'ai pas imposante dans le haut ; mais elle est moelleuse dans le médium, et par le méchanisme adroit de l'articulation, faisant un porte-voix de mes lèvres, personne ne parle bas plus intelligiblement que moi. Souvent même dans ces moments où la scène se passe au fond du théâtre, l'acteur emporté par la passion, ou trop éloigné de moi pour m'entendre, a reconnu son vers au seul mouvement de mes lèvres.
FRANVILLE.
Tubleu ! c'est le talent à l'alambic.
LE SOUFFLEUR.
Il y aurait encore un détail à vous faire sur la main. Le souffleur, ordinairement, copie les répertoires ; est-il vrai ? Je ne vous dis rien de mon écriture ; mais tenez, en voilà un échantillon ; vous avez des yeux, je m'en rapporte... (Il lui montre un papier.) Vous ne voyez que de la commune au moins, l'écriture de tous les jours, mais nous avons la moulée pour les grandes occasions, et le trait pour les coups d'éclat ; à présent, Monsieur, décidez-vous.
FRANVILLE.
Monsieur, si vos talents répondent à l'idée que vous m'en donnez, je serai charmé de vous avoir ; mais permettez-moi de vous essayer auparavant : sitôt que ma troupe sera assemblée, nous commencerons des répétitions, et là vous serez à même de vous faire connaître. Voici un billet d'entrée avec lequel les portes du théâtre vous feront ouvertes.
LE SOUFFLEUR.
Eh bien ; je ne manquerai pas de m'y présenter ; en attendant, je suis bien votre serviteur, Monsieur ; j'ai l'honneur de vous saluer, je vous souhaite bien le bonjour, Monsieur. (Il s'en va.)
SCÈNE III.
FRANVILLE, seul.
Voilà un plaisant Monsieur ! s'il souffle comme il parle, cela doit être intéressant ; voyons mes autres lettres. (Il va se mettre à son bureau.)
SCÈNE IV.
FRANVILLE, assis, LE VALET allemand.
LE VALET, aparté, du haut du théâtre, en voix ordinaire.
Voyons s'il me reconnaîtra... Ah ! M. le Directeur, vous voulez essayer les gens !... Oh bien ! je vais de mon côté essayer un peu votre patience.
FRANVILLE, se retournant, l'aperçoit.
Qui est là ?
LE VALET, en baragouinant.
Serviteur, Monsir.
FRANVILLE.
Que demandez-vous, l'ami ?
LE VALET.
Monsir, l'y être un petit lettre.
FRANVILLE.
Donnez. (Il lit.)
«Monsieur, avec l'envie que j'ai de jouer la comédie, si la nature m'avait gratifié de six pieds de hauteur et de poumons à la romaine, je me serais jetté à corps perdu dans les tyrans ou dans les héros, et je choisirais un autre champ que votre théâtre pour développer mes talents ; mais je suis à peu près de la taille d'un bel épis de bled de Turquie, et ma tige n'a guère que cinq pieds au-dessus de la terre, cela me détermine pour les rôles comiques, et je vous offre ma médiocrité ; j'ai d'ailleurs un assortiment de bonne volonté, d'intelligence et de mémoire ; avec un fond de gaieté et une extrême envie de rire aux dépens de qu'il appartiendra. Comme je sais que vous n'aimez pas à acheter chat en poche, je vous préviens que je vous mettrai à même de m'essayer avant de conclure, et si ma petite provision peut vous convenir, nous passerons un bail ensemble. / J'ai l'honneur, etc.»
Du moins il a de la conscience celui-là, je suis curieux de connaître l'écrivain. (Au Valet.) Mon ami, dites à votre maître que s'il veut me faire le plaisir de me venir voir, nous nous arrangerons ensemble. (Le Valet regarde sans lui répondre.) Entendez-vous, mon enfant ?
LE VALET.
Monsir, il parle pour moi ?
FRANVILLE.
Oui, je vous prie de dire à celui, qui vous envoie qu'il vienne me voir... mais dites-moi que fait-il ce Monsieur-là ?
LE VALET.
Monsir, javre apporté un lettre ; chattendre un réponse.
FRANVILLE.
Eh ! bien, je vous l'ai faite.
LE VALET.
Monsir, ché temante pardon, ché n'ententre pas.
FRANVILLE.
Je vous demande à présent qui est celui qui vous envoie ; ce qu'il fait ?
LE VALET.
Monsir, excusez-moi, ché n'ententre pas.
FRANVILLE.
Vous n'entendez-pas. Cela est pourtant clair ; je ne saurais m'expliquer mieux... Je vous demande quel est état, sa profession ?
LE VALET.
Écrire, Monsir, écrire.
FRANVILLE.
Ah ! il écrit... Est-ce un homme de lettres ? est-ce un commis, un secrétaire ?
LE VALET.
Écrire, Monsir, écrire.
FRANVILLE.
Eh ! non , ce n'est plus cela que je vous demande ; (Aparté.) il ne comprend rien, j'aurai plutôt fait de le renvoyer ; (Haut.) allez dire à votre maître qu'il vienne me voir, nous causerons ensemble.
LE VALET, avec impatience.
Mais, Monsir, est-ce que fous n'ententre pas aussi, chattendre ein réponse depuis trois heures.
FRANVILLE, de même.
Mais, morbleu, est-ce que vous êtes ivre ? Voilà vingt fois que je vous la répète.
LE VALET.
Écrire fous, Monsir.
FRANVILLE.
Mais, je n'ai rien à lui écrire, dîtes-lui cela. (Le Valet impatiente s'assied sans répondre.) Ah ! parbleu celui-là est réjouissant. Vous êtes familier, l'ami.
LE VALET.
Écrire fous, encore ein coup, écrire, ché n'ententre pas.
FRANVILLE.
Où diable a-t-on déterré un pareil commissionnaire ? Comment vous ne comprenez-pas ce que je vous dis ?
LE VALET.
Tarteifle ! fous l'y être fou donc ? quand je dire ché n'ententre pas ; ententre-fous , ou n'ententre pas encore, écrire.
FRANVILLE.
Peste soit de l'animal ! Je crois, Dieu me pardonne, qu'il est sourd. (Il lui crie à l'oreille.) Est-ce que vous êtes sourd.
LE VALET.
Ah gouth ! ah gouth ! ïa sourd.
FRANVILLE.
Le diable l'emporte ! Il y a deux heures que je me casse la tête là bien à propos ! écrire, je comprends actuellement... (Il lui fait signe.) Attendez un instant.
LE VALET.
Ya, ya, écrire fous, écrire.
FRANVILLE, lui donnant le billet qu'il vient d'écrire.
Allez, Monsieur écrire, allez.
LE VALET va et revient sur ses pas.
Monsir.
FRANVILLE.
Eh bien ! quoi ? que faut-il ? encore écrire ?
LE VALET.
Fous faire la comédie.
FRANVILLE aparté.
Que veut-il dire ?
LE VALET.
Ché aussi capable pour faire. Quand fous il donne moi beaucoup l'archent, ché vas chouer pon, beaucoup, pon.
FRANVILLE.
Comment ! mais je crois qu'il parle de jouer la comédie.
LE VALET.
Écrire fous, ché n'ententre pas.
FRANVILLE, le poussant dehors.
Va t-en au diable avec tes écritures.
LE VALET, revenant.
Monsir, je sonne fort pien du cor.
FRANVILLE, le poussant.
Va-t-en, va-t-en.
LE VALET, revenant.
Je connais fort peaucoup la flûte.
FRANVILLE.
Eh morbleu , t'en iras-tu ?
LE VALET, à la porte.
Écrire, Monsir, écrire.
FRANVILLE, le mettant dehors.
Oui, oui, je vais t'écrire la porte sur le nez.
SCÈNE V.
FRANVILLE, seul.
Parbleu, voilà une belle acquisition à faire, et une jolie conversation que je viens d'avoir ! Mais je ne reviens pas de ma simplicité. Voilà deux heures que je ne m'aperçois pas que cet animal est sourd, et je veux lui faire entendre raison ; si je juge du maître par le valet, cela ne m'en donne pas grande idée.
SCÈNE VI.
FRANVILLE, LE Beau LÉANDRE.
LÉANDRE.
Monsieur, c'est pour avoir l'honneur de vous souhaiter le bonjour.
FRANVILLE.
Je vous salue, Monsieur, peut-on savoir ce qui vous amené ?
LÉANDRE.
Monsieur, je suis t'un jeune homme dont auquel vous pouvez faire tout ce qui dépendra de moi.
FRANVILLE.
Je ne comprends pas trop ce que vous me faites l'honneur de me dire.
LÉANDRE.
Je vais t'entrer z'avec vous t'en pourparler, Monsieur. J'ai t'en une indication proportionnée t'à ma naissance, qu'est très honnête, étant le fils d'un père qu est z'un bourgeois t'honore dans Paris ; mais, comme vous savez, Monsieur, un jeune homme ne peut pas demeurer comme un cul de plomb z'en une boutique, c'est ce qui fait que je me suis t'informe de vous, comme par lequel nous pouvons faire un arrangement z'ensemble.
FRANVILLE.
Mais quelle serait votre intention ?
LÉANDRE.
Monsieur, mon intention ça dépend de vous. Je n'ai pas d'intention moi... Quand je dis je n'en ai pas, c'est-à-dire, si fait. J'en ai bien t'une, mais elle est subordonnée z'à la vôtre.
FRANVILLE.
Est-ce que vous auriez envie de jouer la comédie ?
LÉANDRE.
Monsieur, c'est positivement z'en cette qualité que je viens t'à vous.
FRANVILLE.
Monsieur, la comédie est un art bien difficile.
LÉANDRE.
Je n'en ignore pas, la comédie c'est une chose très difficile... Quand je dis difficile, c'est-à-dire, il n'y a rien de si aisé, il ne faut que de l'intelligence pour ça.
FRANVILLE.
De l'intelligence, oh ! il me paraît que vous n'en manquez-pas ; avez-vous déjà joué quelquefois ?
LÉANDRE.
Non, Monsieur, jamais... Quand je dis jamais ; c'est-à-dire, si fait... Je me suis essayé devant z'une glace qui est dans la chambre de mon père.
FRANVILLE.
La peste, vous êtes fort avancé ! Vous savez sans doute des rôles ?
LÉANDRE.
Oh ! pour ça, oui, beaucoup... Quand je dis beaucoup, c'est-à-dire, non, je n'en fais pas, mais c'est égal, il ne faut que de la mémoire pour ça.
FRANVILLE.
Oh bien ! moi, je vous conseille de ne pas prendre cet état-là.
LÉANDRE.
À cause de pourquoi t'est-ce ?
FRANVILLE.
Mais pour bien des raisons.
LÉANDRE.
Encore, dites-moi z'en t'une, Monsieur.
FRANVILLE, en appuyant.
Eh ! mais, par exemple, en voilà t'une très forte.
LÉANDRE.
Z'en quoi donc, Monsieur ?
FRANVILLE.
Eh ! parbleu, z'en tout... La première chose que l'on exige au théâtre, c'est de parler correctement le français... et franchement... vous me paraissez avoir un certain accent...
LÉANDRE.
C'est z'un rien ça, Monsieur, je m'en vas vous dire d'où c'que ç'a provient ; j'ai t'un peu fréquenté sur le Boulevard du Temple, où ce que j'ai entendu jouer la parade avec attention, et j'en ai contracté z'une habitude d'appuyer p't'être un peu trop d'fus la prononciation. Mais avec un peu de négligence, Monsieur, je me remettrai z'au niveau de tout le monde.
FRANVILLE.
C'est plus difficile que vous ne pensez, d'ailleurs vous ne savez aucun rôle, et vous ne pourriez pas m'être utile.
LÉANDRE.
Monsieur, pardon, excuse. Quand je dis je ne sais t'aucun rôle, c'est-à-dire si fait, j'en fais bien, mais ce sont des petites comédies toutes entières, et si vous voulez je vas t'avoîr l'honneur de vous en jouer t'une à moi tout seul.
FRANVILLE.
À vous tout seul ! cela doit être curieux.
LÉANDRE.
Monsieur, je m'en fais fort.
FRANVILLE, aparté.
Il n'est qu'onze heures ; je n'ai rien à faire jusqu'à midi, amusons-nous de son extravagance. (Haut.) Allons, Monsieur, je vous écoute.
LÉANDRE.
Eh bien ! Monsieur, voilà que je m'y mets, z'il est bon de vous figurer qu'il y a t'une prison dessus théâtre, voilà justement z'une table et des chaises... Je suis t'un militaire dont auquel sa maîtresse lui a fait z'une infidélité ; au fort de ma colère j'ai défalté : la maréchaussée m'a rattrapé, je suis t'enferme. Je commence la pièce par un monologue à moi tout seul. C'est moi qui parle.
Enfin je suis t'en cage...
Ici, je prends une grosse voix pour faire le soldat, parce que c'est le zéro de la pièce.
FRANVILLE.
C'est bien pensé.
LÉANDRE, déclamant ridiculement.
Enfin je suis t'en cage !
Ô perfide maîtresse !
C'est pour votre inutile et cruelle duchesse
Que votre amant, bientôt, perdra le goût du pain !
À présent, Monsieur, la fille entre, dans la prison. Le monologue devient à deux. Elle s'écrie.
Ah ! cher z'amant, hélas !
Vous voyez, Monsieur, que je prends ma voix dans le clair. C'est pour imiter la fille.
FRANVILLE.
C'est fort bien, Monsieur.
LÉANDRE.
Le soldat lui répond d'un air sévère.
Que cherchez-vous t'ici ?
Venez-vous près de moi faire le bon apôtre ?
Allez, jamais mon œil ne reverra le vôtre.
La fille lui dit z'à ça.
Mon ami, c'est mon ch'pere.
Mais le soldat lui répond tout net.
Votre ch'pere est un sot, et vous t'une... suffit.
La fille, qui commence à se piquer, lui dit.
Mais calmez-vous t'un peu,
Je ne suis point mariée, et ce n'était qu'un jeu.
Le soldat tombe des nues.
Qu'un jeu ? ah ! malheureux !
Il se jette la tête et les deux mains sur la table en appuyant bien fort, puis il fait du bruit en cognant, et puis le coup de théâtre est frappant.
FRANVILLE.
Je le crois.
LÉANDRÉ.
Ici, Monsieur, le père entre , le monologue continue toujours, mais il devient à trois personnes.
FRANVILLE.
Fort bien.
LÉANDRE.
Je prends une voie cassée pour le père, parce que c'est z'un invalide. (Il déclame en tremblant.)
Mon ami, pour te voir j'ai dans le voisinage
Visité les bouchons, couru tout le village,
Enfin je viens t'ici sans trop savoir pourquoi,
Mais je suis t'enchante d'abord que je t'y voi.
Pas du tout, Monsieur, v'là que pour découvrir le pot au noir, la fille qui était sortie, rentre en criant :
Ah ! ciel ! tout est perdu ! papa, c'est pour quatre heures.
Le père demande.
Eh quoi, qu'a-t-il donc fait ?
La tante, qui est venu là aussi, répond :
C'est qu'il a défalté.
Le père, qu'est pus futé qu'eux tous, dit :
Si j'avais le nez fin, je m'en serais douté.
Sa tante, qui fond en larmes, lui dit :
Pour la dernière fois, embrasse donc ta tante, mon enfant. (Elle tombe sur lui.) LE PÈRE. Mon ami. (Il tombe sur lui.) LA FILLE. Cher z'amant. (Elle tombe sur lui.) LE SOLDAT. Chère z'amante. (Il tombe sur elle.)
Et les voilà tous quatre en attitude dans les bras des uns des autres, ce qui forme un tableau superbe ; alors les grenadiers paraissent, et l'on entend, Poun.
FRANVILLE.
Qu'est-ce que cela ?
LÉANDRE.
Çà, Monsieur ? c'est l'intérêt de la pièce ! c'est le tambour. Poun. Au sécond coup, l'amant revient à lui, et dit à la fille.
Adieu, séparons-nous, car voici le momént
Qui doit de cette pièce hâter le dénouement.
Reçois cette embrassade, et s'il faut que je meure,
Crois-moi, mourir n'est rien, c'est notre dernière heure.
La-dessus la fille s'évanouit comme de raison, ainsi que tout le monde ; alors les grenadiers emmènent le soldat ; il monte l'escalier de bois en se retournant trois fois, joignant les mains au ciel, comme pour dire, tout est dit. Il s'en va avec un grand courage... Sitôt qu'il est parti, l'invalide se relève, et dit aux autres :
Desévanouissons-nous, et courons sur la place ;
Car je viens de rêver qu'il obtiendrait sa grâce.
Et ils partent, tout de suite la toile se lève, le soldat vient d'avoir sa grâce ; il est entouré du peuple, la fille les pousse à droite et à gauche ; où est-il, où sont-ils ?
Rangez-vous, rendez-moi mon amant.
Que je l'embrasse en cet heureux moment.
Ici, Monsieur, v'là le coup de théâtre, le soldat la reçoit dans ses bras, et leur dit à tous avec dignité :
Vous m'aviez fait z'un tour qui paraît raillerie,
Et moi, j'avais mal pris votre plaisanterie,
Ça prouve, mes enfants, que dans ce jeu fatal
Nous avons t'eu tous plus de peur que de mal.
Voilà, Monsieur, de quoi z'y retourne, et la pièce est finie.
FRANVILLE.
Monsieur, je vous fais mon compliment, et voici une scène qui me donne de vous la meilleure idée.
LÉANDRE.
Eh ben ! Monsieur, nous n'avons qu'à faire un petit arrangement z'ensemble.
FRANVILLE, aparté.
Je veux m'en amuser encore. (Haut.) Monsieur, je ne puis rien conclure pour le moment. J'attends mon associé, et si vous voulez me faire le plaisir de rester à dîner avec nous, nous parlerons d'affaires ; il sera charmé de vous entendre.
LÉANDRE.
Eh ben ! Monsieur, avec plaisir ; j'ai z'une petite affaire ici près, j'y vas faire un petit tour, et je reviendrai.
FRANVILLE, le retenant.
Oh ! non, je vous en prie, ne sortez pas, nous allons nous mettre à table ; en attendant, voici un cabinet qui donne sur la rue, entrez-y pour vous dissiper ; si vous voulez lire, il y a des comédies.
LÉANDRE, entrant dans le cabinet.
Ah ! volontiers, Monsieur, je suis t'affectionné à la lecture.
FRANVILLE, lui parlant de dessus le théâtre.
La bibliothèque est à droite, voyez-vous.
LÉANDRE, dedans le cabinet.
Oui, Monsieur, j'ai t'un livre en main.
FRNAVILLE.
Si vous voulez répéter quelques scènes, il y a une glace aussi.
LÉANDRE, du cabinet.
Oui, Monsieur, j'en ai déjà t'eu l'intention.
FRANVILLE.
Si cependant vous aviez quelques besoins dehors, il y a une porte qui ouvre sur la rue.
LÉANDRE.
Je vous remercie, Monsieur, me voilà t'avec un livre, et je vous prie de ne plus penser z'à moi.
FRANVILLE.
Bon ! bon ! amusez-vous... (Aparté.) Nous allons bien rire à ses dépens... mais j'entends quelqu'un, c'est sans doute mon associé. Il ne saurait venir plus à propos.
SCÈNE VII.
FRANVILLE, M. POINTU.
POINTU, ivre.
Votre serviteur de tout mon cœur.
FRANVILLE, aparté.
Quelle diable de visite est-celà ? Que voulez-vous, Monsieur ?
POINTU.
Mon cher Monsieur, vous voyez un homme accablé d'affliction.
FRANVILLE, aparté.
Il y paraît.
POINTU.
Il m'est impossible de porter...
FRANVILLE, aparté.
Tout le vin qu'il a bu.
POINTU.
De porter le quart de mes chagrins. J'ai perdu...
FRANVILLE, aparté.
La raison.
POINTU.
J'ai perdu la gaieté... et je succombe sous le poids de...
FRANVILLE, aparté.
Sous le poids de l'ivrognerie.
POINTU.
Sous le poids de ma douleur.
FRANVILLE.
Qu'avez-vous donc, Monsieur ?
POINTU.
Monsieur, j'ai des chagrins domestiques. J'ai une servante qui me vole.
FRANVILLE.
Il faut la mettre à la porte.
POINTU.
Ce n'est rien que cela, Monsieur ; j'ai une femme qui est mon tourment ; quand elle était jeune elle me faisait ; ... (Hoquet.) elle me faisait enrager, mais j'en venais à bout parce que j'étais jeune aussi ; à présent qu'elle est vieille, elle ne peut plus ; ... (Hoquet.) elle ne peut plus me souffrir ; elle me reproche tout. Je n'ai qu'une consolation, c'est de boire un petit coup de temps en temps, avec modération ; cependant il n'y paraît jamais. Eh bien ! Monsieur, je ne sais pas comment diable elle fait son compte. Je ne peux pas avaler un verre de vin qu'elle ne s'en aperçoive aussitôt.
FRANVILLE.
Elle est donc bien maligne ?
POINTU.
Oh ! c'est un démon... Tenez, Monsieur, par exemple, aujourd'hui, on ne se douterait pas que j'ai bu. Eh bien ! croirez-vous, je n'ose pas rentrer à la maison. Sitôt qu'elle va me sentir seulement, elle va me faire un sabbat d'enragé, et cependant je n'ai pas l'haleine chargée du tout,... tenez voyez plutôt. (Il lui fait un hoquet sur le nez.)
FRANVILLE.
Pouah ! retirez-vous donc, Monsieur.
POINTU.
Non, c'est pour vous faire sentir...
FRANVILLE.
Oh ! parbleu, je le sens de reste.
POINTU.
Ce n'est rien que tout cela, Monsieur, ça n'attaque que le tempéramment ça... mais ce que je vas vous dire attaque l'honneur.
FRANVILLE.
Ceci devient sérieux, Monsieur, il y a de l'indiscrétion à conter ainsi des affaires de cette conséquence à des gens qu'on ne connaît pas, et je vous prie de me dispenser de vous écouter.
POINTU.
Pardonnez-moi, Monsieur, la chose peut vous regarder, et je vous prie en grâce de m'entendre.
FRANVILLE.
Eh bien ! Monsieur, parlez donc.
POINTU.
Primo d'abord, Monsieur, il vous faut savoir que je suis bourgeois de Paris, établi depuis trente ans à la Butte S. Roch ; j'ai passé tous les grades de ma profession, et maintenant je suis syndic de ma communauté ; voilà qui met une famille dans une belle passe. Eh bien ! Monsieur, j'ai un fils qui est un mauvais sujet, un vaurien, Monsieur.
FRANVILLE.
Voilà qui est fâcheux.
POINTU.
Croiriez-vous, Monsieur, que ce misérable-là, qui est en état d'aller à tout, n'a jamais voulu apprendre de métier. Il s'est mis dans la tête d'étudier pour jouer la parade ; il va par les rues avec un habit tout galonné, et il se fait appeler le beau Léandre, plutôt que de se nommer comme son père, Eustache Pointu. Ç'a ne crie-t-il pas vengeance ?
FRANVILLE.
Il a tort. Comment, Monsieur, vous êtes le père d'un jeune homme qui porte un habit...
POINTU.
Oui, mon cher Monsieur, je suis son propre père.
FRANVILLE.
Effectivement, je vous regardais ; et je vous trouvais un air de ressemblance.
POINTU.
C'est bien naturel... Tenez, mon cher ami, dans tout ça je vous regarde comme mon sauveur. J'ai dans la tête un projet pour punir ce coquin-là, pour me venger de sa mère, et pour me contenter moi sans qu'on ait rien à me reprocher.
FRANVILLE.
Eh ! comment cela ?
POINTU.
Mon ami, mon fils veut se déshonorer, je l'abandonne à son malheureux sort ; ma femme me dit tous les jours de quitter la maison, je n'y remettrai pas le pied. Vous êtes directeur de comédie, vous, eh bien ! vous n'avez qu'à m'engager.
FRANVILLE.
Vous engager ! ah ! parbleu, en voilà une bonne ! pour jouer les ivrognes donc ?
POINTU.
Pourquoi pas ? c'est un excellent marché pour vous, j'ai du naturel d'abord ; je n'aurai pas d'étude à faire, et je vous promets d'être toujours dans le caractère de mon rôle, qu'en dites-vous ? mon cher ami, répondez-moi.
FRANVILLE, aparté.
Il me vient une idée. Je veux le mettre tête-à-tête avec son fils, et jouir un peu de leur surprise.
POINTU.
Eh bien ! mon ami, répondez donc.
FRANVILLE.
Monsieur, nous pourrons nous acccorder, mais j'attends ici quelqu'un ; faites-moi l'amitié de rester à dîner avec moi. Passez un instant dans ce cabinet, je vais vous y rejoindre, et nous parlerons à notre aise.
POINTU.
Eh bien ! mon ami, ne vous gênez pas. Je vais vous attendre. (Il entre.)
FRANVILLE, aparté.
Il ne s'attend pas à la rencontre ; écoutons.
SCÈNE VIII.
FRANVILLE, seul sur le théâtre ;
on attend l'autre qui parle avec différentes voix.
EN DEDANS.
Eh ! quoi, c'est vous, mon père... Comment, coquin, te voilà ici... Est-ce que vous connaissez M. le Directeur ?... Misérable ! n'as-tu pas de honte ?... Mais, mon père... Tais-toi, tu es un gueux, un mauvais sujet.
FRANVILLE.
Je rirais bien s'il allait lui donner une petite correction paternelle.
EN DEDANS.
Mais, mon père, quand z'on a t'une inclination... Coquin, si tu me parles encore de cela, je te déshérite.
FRANVILLE.
Ah ! parbleu, je serais curieux de savoir lequel est le plus fou des deux. Si le fils savait la proportion que le père m'a faite, cela lui fournirait la réplique... Si mon associé pouvoir venir ! Mais, quelle est cette dame ?
SCÈNE IX.
FRANVILLE, Mme POINTU, bègue.
FRANVILLE.
Madame, puis-je vous être bon à quelque chose ?
Mme POINTU, en colère.
Né, né, né, n'êtes-vous pas Mon, monsieur F. F. Fr, Franville ?
FRANVILLE.
Franville, Madame, pour vous obéir.
Mme POINTU.
Fr, Fr, Franville, oui, ju, ju, justement : j'en, j'en, j'embrasse vos genoux.
FRANVILLE.
Eh ! Madame, que faites-vous ?
Mme POINTU.
Je me fi, fie à vos bontés.
FRANVILLE.
Que voulez-vous, Madame ?
Mme POINTU.
Je veux vous faire pi, pi, pi, pitié.
FRANVILLE.
Mais, levez-vous, Madame, et parlez.
Mme POINTU.
Non, il faut que je me soulage en pleurant à vos pieds. Ah, ah, ah, ah ! (Elle pleure.)
FRANVILLE.
Ah ! voilà un autre genre de folie.
Mme POINTU.
Ah ! Monsieur, je suis pleine de ca, ca, calamités et de cha, chagrins.
FRANVILLE.
Eh ! que puis-je faire pour vous ?
Mme POINTU, se relevant.
Ah ! Monsieur, vous avez des pou, pouvoirs suffisants pour essuyer mes, mes larmes.
FRANVILLE.
Eh ? comment, Madame !
Mme POINTU.
En faisant ca, cas de mes prières, il faut me rendre le congé de mon fils.
FRANVILLE.
De votre fils ?
Mme POINTU.
Oui, vous êtes son ca, ca, capitaine ?
FRANVILLE.
Moi, Madame ?
Mme POINTU.
Oui, Monsieur, vous f., f., faites semblant de ne pas m'entendre, mais je sais tout. Voilà la lettre que vous venez de lui écrire.
FRANVILLE, prenant la lettre, et lisant haut.
«Monsieur, je ne puis terminer avec vous sans vous connaître ; ainsi faites-moi l'amitié de passer chez moi demain, et si vous pouvez me convenir, je vous ferai votre engagement.»... Mais c'est la lettre que j'ai donné à ce valet allemand, à ce sourd.
Mme POINTU.
Oui, Monsieur, c'est pour mon fils.
FRANVILLE.
Ah ! je soupçonne quelque chose. Votre fils, n'est-ce pas un jeune homme qui porte un habit couleur de rose, galonné en argent ?
Mme POINTU.
Justement, Monsieur, un gen, gen, gentilhomme garçon, qui me ressemble un peu.
FRANVILLE.
C'est cela. Et n'avez vous pas un mari qui... ?
Mme POINTU.
Ah ! Monsieur, mon mari est un co, co, coquin, qui boit toute la journée, et qui tous les soirs fait ca, ca, carillon dans la maison.
FRANVILLE.
Ah ! parbleu ! nous y voilà. Vous êtes donc Mme Pointu ?
Mme POINTU.
Hélas ! oui, Monsieur, depuis que M. Pointu ma fait prendre ce vilain nom-là.
FRANVILLE.
Écoutez, Madame, êtes-vous curieuse de voir tout-à-l'heure M. Pointu le père, et M. Pointu le fils ?
Mme POINTU.
Ah ! Monsieur, je leur arracherais les yeux.
FRANVILLE.
Eh bien! Madame, donnez-vous la peine d'entrer dans ce cabinet, vous ne tarderez pas à les voir.
Mme POINTU.
De tout mon cœur. Mais êtes-vous sûr qu'ils ne tarderont pas ? Il y a quelqu'un de mes parents qui m'attend à la porte en ca, ca, carrosse.
FRANVILLE.
Vous allez les voir à l'instant, entrez seulement. (Elle entre.)
SCÈNE X.
FRANVILLE, seul sur le théâtre ;
on entend plusieurs voix dans le cabinet.
Comment ! ca, ca, canailles, vous voilà donc !... Allons, Mme Pointu, de la douceur, qu'est-ce que vous venez faire ici ?... Comment, ma mère, vous venez t'ici toute seule... Je crois que l'entrevue va devenir piquante, il n'y manque plus que le valet allemand.
EN DEDANS.
Ah ! Monsieur le vaurien, je te ferai engager à Saint-Lazare, et toi vilain, ivrogne... Parbleu, ma femme, il faut que vous ayiez bien peu de raison ! à peine si j'ai mouillé mes lèvres d'aujourd'hui... Mais, mon père, après tout... Taisez-vous, vous êtes un drôle... Mais, ma mère,... Ah ! co, co, coquin, tu me perds le respect ? Attends, attends. (Elle frappe avec la béquille.) ... Ahi, ahi, ahi... Allons, ma femme, ça passe raillerie... Tiens, tiens, tu en auras... Ahi, ahi !
FRANVILLE, riant.
Ah, ah, ah, ah, ah ! Parbleu, voilà une excellente matinée pour moi. Si ce pauvre M. de la Rime était ici, il me feroit de cela une comédie toute entière. Ah, ah, ah !
SCÈNE XI.
FRANVILLE, L'ABBÉ.
L'ABBÉ.
Monsieur, je vous baise les mains.
FRANVILLE.
Monsieur, qui a-t-il pour votre service ?
L'ABBÉ, d'un ton précieux.
Monsieur, je suis venu avec une de mes parentes qui avait à vous parler pour affaire, et je l'attends à la porte depuis assez longtemps.
FRANVILLE.
Ah ! vous demandez Mme Pointu, sans doute ?
L'ABBÉ.
Oui, Monsieur, elle m'a dit que vous aviez engagé son fils, et je viens joindre mes prières, aux siennes, pour obtenir de vous son congé.
FRANVILLE.
Monsieur, Mme Pointu s'est trompée ; je ne suis point militaire, je suis directeur de comédie, et Monsieur son fils n'est point engagé.
L'ABBÉ.
Ah ! Monsieur est directeur de comédie ?
FRANVILLE.
Oui, Monsieur.
L'ABBÉ.
C'est une belle chose que la comédie, et pour laquelle il faut bien des talents. Par exemple, Monsieur, c'est un de mes goûts dominants.
FRANVILLE.
Comment, Monsieur, vous aimez la comédie ?
L'ABBÉ.
Oui, Monsieur, je l'idolâtre, et depuis très longtemps j'en ai fait une étude particulière.
FRANVILLE.
Dans quel genre, Monsieur, est-ce pour la jouer vous-même, ou pour composer des pièces ?
L'ABBÉ.
Monsieur, j'aurais beaucoup aimé à la jouer moi-même, mais j'ai les passions si fortes et la poitrine si délicate, qu'elle n'aurait jamais pu suffire à la vivacité de mes expressions. J'aurais pu de me m'adonner à la composition, mais malheureusement je viens trop tard. Je trouve dans Molière et dans Corneille à peu près ce que je pense tous les jours, et je ne peux pas écrire. Nos esprits étant formés sur le même modèle, je ressemblerais nécessairement.
FRANVILLE.
Voilà qui est fâcheux, le public y perd beaucoup.
L'ABBÉ.
Sans doute. Mais pour le dédommager, et pour avoir en même temps le mérite de la nouveauté, j'ai donné dans un genre sur lequel personne n'a encore travaillé.
FRANVILLE.
Lequel donc, Monsieur ?
L'ABBÉ.
C'est celui des spectacles, à la muette ; c'est pour pouvoir exprimer toutes les passions sans paroles. Oui, Monsieur, après de longues recherches sur le jeu des meilleurs acteurs de la capitale et des provinces, je viens de composer un traité complet sur la pantomime, et je vais le proposer par souscription à tous les directeurs.
FRANVILLE.
Cela doit faire un ouvrage fort curieux.
L'ABBÉ.
Je vous en réponds ; si vous voulez ; je vous en réserverai quelques exemplaires.
FRANVILLE.
Vous me ferez le plus grand plaisir ; et si je ne craignais d'abuser de votre complaisance, je vous prierais de m'en donner d'avance une petite idée.
L'ABBÉ.
Très volontiers, Monsieur ; nous n'aurions pas le temps d'entrer dans le détail des préceptes, mais je vais vous donner quelques exemples qui vous rendront les effets plus sensibles. Souvenez-vous qu'il n'y a pas de paroles dans ce spectacle-là, et qu'il faut y suppléer par les attitudes.
FRANVILLE.
J'y suis, Monsieur, j'y suis.
L'ABBÉ.
Figurez-vous donc, Monsieur, deux armées en présence, les deux chefs en tête de leurs troupes, et exprimez-moi le premier mouvement d'indignation qui se passe entre eux. C'est le défi d'Achile, Monsieur ; voyez-le.
Portez votre jambe en arrière ; mettez vivement vos deux poings dans la poche gauche, et tournez la tête à droite avec un œil farouche. Le voici. (Il fait le geste.)
Ils se battent, Monsieur ; l'un des deux chefs est désarmé par l'autre ; exprimez-moi son désespoir ?
Frappez un grand coup de poing de la main droite fur le cœur, couvrez-vous le front de la main gauche, renversez la tête en arrière, les yeux fermés, & resserrez les épaules en avant. Le voilà. (Il fait le geste.)
À ce mouvement-là, Monsieur, son casque est tombé, sa tête se découvre, et son vainqueur le reconnaît. C'est sa maîtresse, c'est son père, son fils, tout ce que l'on voudra. Jugez du grand étonnement. Le voici. (Il fait le geste.)
Renversez-vous, et ployer sur la partie gauche, tendez les deux mains en avant, et restez la bouché ouverte.
Eh ! quoi, c'est vous.
L'autre qui le reconnaît alors, lui pardonne sa victoire, et exprime l'amour, la tendresse qui étouffe la racune ; et le voici.
Portez les deux mains sur votre cœur ; haussez les épaules, balancez vivement la tête, élancez-vous en l'air en détachant les mains, et restez sur la pointe du pied.
Ah ! trop cher ennemi, je vous pardonne tout.
Alors les deux armées se mettent à danser pour célébrer la fête. Voilà le ballet. Les deux chefs s'embrassent, et cette pantomime-là, par exemple, tout le monde la fait.
FRANVILLE.
C'est superbe, Monsieur, je sens toute l'utilité d'un travail aussi précieux... Mais, pardon, cela vous fatigue trop, et...
L'ABBÉ.
Non, au contraire... Tenez, un exemple dans le grand tragique ...
Sous mes pas chancelants, je sens trembler la terre !
J'entends partir la foudre et gronder le tonnerre !
Un serpent venimeux me déchire le cœur !
Dieux ! quels affreux tourments, je succombe... je meurs. *
[* En disant ces vers, l'acteur roule des yeux égarés, marche à grands pas précipités, ou s'arrête tout-à-coup, se tord les bras, et termine tous ces mouvements convulsifs par se jeter dans un fauteuil.]
Et en voici d'un genre plus tranquille... Si vous aviez à jouer la tragédie de Mithridate en pantomime, comment vous y prendriez-vous ?
FRANVILLE.
Mais je serais fort embarrassè, et vous ?
L'ABBÉ.
Moi, Monsieur, point du tout... Tenez, écoutez le commencement ; c'est Zipharès qui parle à son confident, lorsqu'il croit Mithridate mort, il lui dit : *
Ainsi ce roi (1) qui seul (2) et pendant quarante ans (3)
Lassa tout ce que Rome eut de chefs importants,
Et qui dans l'Orient (4) balaçant la fortune,
Vengeait de tous les rois (5) la querelle commune,
Meurt et laisse après lui, pour venger son trépas,
Deux fils (6) infortunés qui ne s'accordent pas (7).
[* En déclamant ce morceau, l'acteur fait des gestes ridicules, mais cependant analogues aux vers qu'il débite, et il les explique à mesure au Directeur qui ne les comprend pas : (1) il tourne sa main sur sa tête pour indiquer la couronne ; (2) il montre son pouce ; (3) il présente quatre fois ses dix doigts ouverts ; (4) il fait avec deux mains l'image de la bascule ; (5) il tourne plusieurs ses deux mains sur sa tête pour indiquer (dit-il) les couronnes au pluriel ; (6 et 7) il montre les deux premiers doigts de chaque main, et les croise comme quand on excite les chats ou les chiens à se battre.]
Croyez-vous que ce petit traité-là aura quelque succès ?
FRANVILLE.
Comment, Monsieur, je vous garantis que cet ouvrage vous fera le plus grand honneur : quant à moi, j'en retiens plusieurs exemplaires, et j'en veux fournir à chaque comédien que j'engagerai ; mais il est tard, faites-moi l'amitié de dîner avec moi, nous parlerons plus amplement de votre ouvrage.
L'ABBÉ.
Vous êtes bien honnête, Monsieur, mais ma tante.
FRANVILLE.
Ah ! Madame votre tante, je n'y pensais plus, c'est le plaisir que j'ai à vous entendre qui me la fait oublier ; donnez-vous la peine d'entrer dans ce cabinet, vous allez y trouver compagnie. Je vais vous y rejoindre.
L'ABBÉ.
Ma tante y est donc, Monsieur ?
FRANVILLE.
Oui, Monsieur, et d'autres personnes de votre connaissance. (L'Abbé entre.)
SCÈNE XII.
FRANVILLE, seul.
Ah ! parbleu, nous allons faire un petit dîner de famille qui, j'espère, sera réjouissant. Voyons un peu comment on le reçoit. Écoutons. (Il va pour écouter à la porte.)
SCÈNE XIII.
FRANVILLE, UN FIACRE.
LE FIACRE, d'une voix enrouée.
Parlez donc, Monsieur, est-ce qu'on se goberge de moi donc, de me faire rester comme une enseigne par le temps qu'il fait ?
FRANVILLE.
Que demandez-vous, mon ami ?
LE FIACRE.
Par la ventregué ! je demande une vielle béquillarde avec un farluquet d'abbé qui m'avont planté là comme pour raverdir.
FRANVILLE.
Il faut attendre un instant, mon enfant.
LE FIACRE.
Ah ! jarnonbille ! attendre, et mes chevaux qui n'ont rien dans le ventre. Prenez-vous par vous-même. Faut-il pas que ces pauvres animaux mangent ?
FRANVILLE.
Vous avez raison, mon ami ; je vais vous faire parler à M. l'Abbé.
LE FIACRE.
Ah ! morgué, parler, je n'ons pas besoin de parlemantage. C'est de l'argent qu'il me faut.
FRANVILLE, entrant dans le cabinet.
LE FIACRE, sur le devant du théâtre.
Oui, cherche ; va, tu les trouveras... Ah ! M. le Directeur, vous voulez essayer les gens.
FRANVILLE, sortant du cabinet.
Ah ! morbleu, il n'y a plus personne, ils sont sortis par derrière. (Il appelle .) La Pierre ! hola ! La Pierre ! ce drôle-là eu à courir depuis le matin.
LE FIACRE.
Eh ! ben, Monsieur, où est-ce qu'est donc st'Abbé ?
FRANVILLE.
Ma foi, mon ami, je n'en sais rien.
LE FIACRE.
Comment, morgue, vous ne savez pas ? et ste vielle, sans dents, est-ce qu'alle est fondue aussi ?
FRANVILLE.
Ils étaient dans ce cabinet qui donne sur la rue ; ils s'en seront allés pendant que vous êtes entré.
LE FIACRE.
Ah ! ventregué, je ne donnons pas dans ce godan-là, vous les avez cachés quelque part ; mais sarpejeu je serons payés, ou j'allons faire un beau sabbat !
FRANVILLE.
Que veut dire ce drôle-là ? Je les ai fait cacher ! allons, va attendre ton monde à la porte, et ne fais l'insolent.
LE FIACRE.
Allons donc, not' bourgeois ; ne faites donc pas comme çà le gausseur ; mettez la main à la poche, croyez-moi, c'est vot' plus court.
FRANVILLE.
Allons, sors d'ici, tout-à-l'heure !
LE FIACRE.
Qu'appellez-vous, sors d'ici ! je ne démare pas que je n'ayons de l'argent déjà primo.
FRANVILLE.
Et moi, je te conseille de t'en aller au plus vite ; sinon je vais te faire étriller.
LE FIACRE.
Oui, M. le Directeur ; vous prenez le mors aux dents ; ah ! ben, ben, je vas vous faire cabrer, moi.
FRANVILLE, appelant.
La Pierre ! oh ! La Pierre !
LE FIACRE.
Ah ! palsangué, je me ris de La Pierre et de la butte comme de Colin tampon ; mais morgué, j'allons voir si vous vous rirez du Commissaire, vous, Monsieur le débaucheur ; j'allons voir çà.
FRANVILLE, le poussant.
Oui, oui, sors d'ici, toujours.
LE FIACRE.
Ah ! ventrebleu, ne nous poussez pas ; car je sommes rétifs, je vous en avertis, et je pourrions vous lâcher une ruade en manière de salut.
FRANVILLE, appelant toujours.
La Pierre ! viendras-tu donc, maraud ?
LE FIACRE.
Eh ! donc ! eh ! donc not' bourgeois. (Il fait comme quand on veut retenir des chevaux.) Dia, dia, bride en main. Le Commissaire demeure ici devant. J'allons savoir la définition de çà. (Il s'en va.)
SCÈNE XIV.
FRANVILLE, seul.
Au diable soit le maudit homme ! et ce coquin de La Pierre, tenez, qui me laisse seul ici depuis ce matin, pour me faire une commission. Mais je n'en reviens pas qu'ils soient partis tous, comme cela, sans me rien dire ! Ils se sont trouvés quatre, ils auront voulu profiter du fiacre pour s'en aller ensemble, ils sont peut-être en bas dans son carrosse ; je m'en vas voir. (Comme il va pour sortir, il est arrête par le Commissaire qui entre.)
SCÈNE XV, et dernière.
FRANVILLE, UN COMMISSAIRE, en robe.
LE COMMISSAIRE.
Qu'est-ce que c'est donc, Monsieur ; qu'est ce que c'est donc ? l'on me fait des plaintes contre vous.
FRANVILLE.
Contre moi, Monsieur, à quel sujet, s'il vous plaît ?
LE COMMISSAIRE.
À quel sujet ! mais à plusieurs sujets, Monsieur, l'accusation est grave.
FRANVILLE.
Quoi, Monsieur, vous écoutez un coquin de fiacre!
LE COMMISSAIRE.
Non, non, Monsieur ; je n'écoute point un coquin de fiacre, il s'est bien venu plaindre à moi ; mais ce n'est pas là-dessus que je vous interpelle de répondre, Monsieur. Il s'agit d'une affaire de plus grande importance.
FRANVILLE.
Mais, Monsieur, je ne crois pas...
LE COMMISSAIRE.
Silence, Monsieur, laissez-moi parler ! vous ne croyez pas... Vous débauchez des jeunes gens, et j'ai reçu des plaintes contre vous de toute une famille.
FRANVILLE.
De toute une famille ?
LE COMMISSAIRE.
Oui, Monsieur, de toute une famille. C'est au sujet du nommé Eustche Pointu ; vous remettez-vous cela, Monsieur ?
FRANVILLE.
Eh ! Monsieur, l'on vous a trompé. M. Eustache Pointu le fils est un nigaud qui n'est bon à rien ; son père est un ivrogne, sa mère une ridicule, et M. l'Abbé, leur digne cousin, est un fou fieffé.
LE COMMISSAIRE.
Monsieur, Monsieur ; ne dites pas de mal de cette famille-là, je vous prie.
FRANVILLE.
Est-ce que vous y prenez intérêt, Monsieur ?
LE COMMISSAIRE.
Oui, Monsieur, beaucoup, excessivement, Monsieur.
FRANVILLE.
Mais, M. le Commissaire, ne seriez-vous pas un peu parent ? Je vous trouve un certain air de ressemblance.
LE COMMISSAIRE.
Trouvez-vous cela, Monsieur ?
FRANVILLE.
Ma foi, Monsieur, l'on ne peut davantage... Je ne sais si je vois trouble aujourd'hui, ou si j'ai l'œil encorcelé ; mais tous ceux que j'ai vu ce matin m'ont paru se ressembler... Il n'y a pas jusqu'à ce maudit fiacre à qui j'ai trouvé un air de...
LE COMMISSAIRE.
Monsieur, Monsieur, tout cela est bon pour là plaisanterie. Mais l'affaire est grave. Je vous en avertis, la famille instruit contre vous, et je vous conseille d'arranger cela.
FRANVILLE.
Mais, Monsieur, je n'ai aucun tort ; il m'est aisé de vous en convaincre ; ils sont tous venus me voir ce matin les uns après les autres, et je n'ai pris avec eux d'autre arrangement que de les inviter à dîner.
LE COMMISSAIRE.
Eh bien ! Monsieur, pour vous donner les moyens de prouver votre innocence, je vais rester aussi, et nous dînerons tous ensemble.
FRANVILLE.
Monsieur, de tout mon cœur, mais où les prendre actuellement ?
LE COMMISSAIRE.
Oh ! oh ! je les ferai bien retrouver, moi. Préparez-vous seulement à soutenir la confrontation.
FRANVILLE.
Ma foi, Monsieur, quand on voudra, je suis tout prêt.
LE COMMISSAIRE.
Eh bien ! Monsieur, attention : vous voyez d'abord le Commissaire. (Il ôté sa robe et sa perruque, il paraît sous la capote de fiacre. Il change sa voix à mesure.) V'là le Fiacre not' bourgeois. (Il jette la capote.) Voici M. l'Abbé. (Il tire d'une des poches la perruque de Pointu.) Voici M. Eustache Pointu le père. (Il tire de l'autre poche un mantelet.) Voilà Mme Poin, Pointu, la mère. (Il déboutonne l'habit d'Abbé et laisse voir la veste du beau Léandre.) Monsieur, je suis le jeune homme dont auquel. (Il ouvre la veste, on voit le gilet de l'Allemand.) Ly être la commissionnère de la lettre, Monsir. (Il tire de son gousset la contre-marque du Souffleur.) Je viens, Monsieur, vous représenter le billet d'entrée que vous m'avez fourni pour savoir, Monsieur, si vous aviez besoin de mon petit service.
FRANVILLE.
Comment, Monsieur, c'est vous qui m'avez ainsi promené toute la matinée ? J'en suis enchanté ! J'ai pensé vingt fois me douter de la plaisanterie.
LE JEUNE HOMME.
Pardon, Monsieur. Mais l'extrême envie que j'ai de jouer la comédie m'ayant déterminé à m'adresser à vous j'ai voulu, comme je vous l'annonçais dans ma lettre, vous mettre à même de m'essayer avant de conclure ; en conséquence je suis venu, avec ma provision d'habits dans une voiture, m'établir à votre porte. Je me suis présenté, et vous m'avez facilité vous-même mes travestissements, en me logeant dans ce cabinet qui s'ouvre sur la rue ; je suis revenu alternativement sous différentes formes ; c'est maintenant à vous de juger sous laquelle je pourrai vous convenir.
FRANVILLE.
Monsieur, je suis charmé de vous connaître ; allons d'abord nous mettre à table, nous terminerons notre affaire ensuite, et j'espère que nous aurons sujet d'être contents tous deux.
LE JEUNE HOMME.
Monsieur, si le talent chez moi ne répond pas à la bonne volonté, souvenez-vous toujours du proverbe : On fait ce qu on peut, non pas ce qu'on veut.
FIN.
[Notes]
1. Louis-François Archambault (1734-1812), dit Dorvigny, On fait ce qu'on peut, non pas ce qu'on veut, première le 8 novembre 1779 au Théâtre des Variétés-Amusantes à Paris [voir le site CESAR (Calendrier électronique des spectacles sous l'Ancien Régime et sous la Révolution), où vous trouverez des informations relatives aux pièces, aux personnes et aux lieux de représentation qui ont constitué le théâtre français aux 17ème et 18ème siècles].
2. Source : Recueil général des proverbes dramatiques : en vers et en prose, tant imprimés que manuscrits, tome I, Londres, 1785.
3. Transcription par Dr Roger Peters [Home Page (en anglais)].
[Septembre 2009]