«LES TRENTE-DEUX MARTYRES D'ORANGE» DE J. MÉRITAN ; APPENDICE ET ANNEXES


APPENDICE

Nous croyons devoir faire suivre l'histoire des Martyres de la liste des prêtres et religieux, appartenant par leur naissance au diocèse d'Avignon actuel, ou exerçant, au moment de la Révolution, le saint ministère dans les paroisses qui l'ont composé. Témoins d'une même foi, immolés pour la même cause, ils ont leur place marquée, dans notre souvenir pieux, auprès des religieuses que l'Église vient de glorifier :

23 juin : Jérôme de Chièze, vicaire général d'Orange ; Frédéric de Chièze, chanoine de Saint-Ruf ; François Morel, vicaire à Monieux.

24 juin : Fr.-Balthazar Bernard, capucin à Valréas.

27 juin : Esprit Vincenty, prêtre ou abbé, instituteur de Piolenc ; Pierre Chancel, curé de Visan.

29 juin : Jean-Baptiste Bedoin, religieux carme de Sorgues.

2 juillet : François Berbiguier, capucin de Caderousse ; Jérôme Berbiguier, chanoine de l'Isle ; Henri-Blaise Castion, prêtre, chapelain à Caderousse.

3 juillet : Charles-Joseph Tournefort, religieux trinitaire.

6 juillet : Antoine Lusignan, chanoine de Saint-Paul-Trois-Châteaux.

7 juillet : Louis Robaud, curé de Cabrières.

9 juillet : Jean-Mathieu Fiteau, jésuite à Bollène.

11 juillet : Benoît Marcel, prêtre de Courthézon.

12 juillet : Pierre Gonnet, vicaire de Jonquières.

19 juillet : Arnoult de Jacques, prêtre à Caromb ; Charles de Jacques, curé de Crillon ; Chrysogone de Jacques, prêtre à Caromb.

22 juillet : Étienne-Polycarpe de Jacques, prêtre à Caromb ; Joseph Galian, religieux augustin de Caromb ; François-Nicolas Vincent, chapelain de Sault.

23 juillet : Joseph de Fabys, prêtre de Carpentras ; Philippe Mourier, capucin de Villes ; Ignace d'Olivier, chanoine de Cavaillon.

24 juillet : Pierre Bresson, religieux récollet ; Antoine Combette, religieux récollet à Avignon ; Joseph Silvestre, chanoine à Avignon

25 juillet : Jacques Demeuril, curé de Jonquières

29 juillet : Joseph-François Moyne, vicaire à Méthamis.

2 août : Bernard Collet, religieux récollet.

3 août : Jean-Pierre Boyer, vicaire général d'Orange.

ANNEXES.

(A.) Sources de l'histoire des martyres d'Orange ; (B.) La Commission dite Populaire d'Orange ; (C.) Sur l'orthographe de certains noms des martyres ; (D.) Notes sur la famille de Roquard ; (E.) Madeleine ou Félicité Faurie ? ; (F.) Réclamation d'Alexis Deloye ; (G.) Extraits du Livre pour la Confrérie du Sainte-Rosaire ; (H.) Extrait du Registre de la municipalité de Sérignan, concernant les bienheureuses Deloye, Minutte et Faurie ; (I.) Tableau à remplir par la municipalité de Sérignan sous sa responsabilité dans le délai de huit jours à compter du jour de sa réception ; (J.) Les actes de décès des trente-deux martyres ; (K.) Sentiments de confiance sur la guillotine; (L.) Cantiques sur... Benoît-Joseph Labre ; (M.) Cantique sur la Révolution ; (N.) Jugement rendu par le Tribunal Criminel... du 7 messidor an III ; (O.) Motif de Consolation et Règles de Conduite pour les Réligieuses ; (P.) Le Champ de Laplane.


A. : SOURCES DE L'HISTOIRE DES MARTYRES D'ORANGE.

Bien que le présent livre ne soit pas, à proprement parler, un ouvrage de critique historique, nous croyons utile d'énumérer ici les sources auxquelles tous les historiens de nos bienheureuses ont plus ou moins largement puisé. Le lecteur, s'il le désire, pourra les consulter et suppléer, par leur moyen, aux inévitables lacunes de notre travail.

Sources Manuscrites.

Registres de l'État civil de la Ville d'Orange. — Décès.

Les Registres de Délibérations des Municipalités.

Un certain nombre ont disparu. D'autres sont mutilés, les pages concernant la période de la Terreur ayant été enlevées. Sur d'autres des noms sont rayés ou grattés. Les signatures elles-mêmes ont été soigneusement effacées. Les survivants de l'époque révolutionnaire ont été manifestement préoccupés d'abolir autant qu'il leur était possible la mémoire d'un passé gênant.

Martire des religieuses de Bollène et autres du tems de la terreur arrivé le 14 août 1794.

Cette relation fait partie du fonds Correnson à la bibliothèque du musée Calvet à Avignon ; 16 feuillets. Le titre portait d'abord 1804 ; une main postérieure a corrigée 1794. L'erreur de date était manifeste. Elle parait due à la distraction d'un détenteur du manuscrit qui a voulu mettre un titre sur un récit qui n'en avait pas. Nous avons fait remarquer l'inexactitude de ces dates écrites par une autre main que le reste du manuscrit. Le 14 août se rapporte dans la pensée de l'auteur au temps où la relation fut composée. Il ne saurait marquer ni la date du martyre, antérieure de dix-sept jours au moins, ni le temps de la Terreur qui a pris fin, historiquement, à la chute de Robespierre (27 juillet 1794). La dernière martyre fut guillotinée le 26 juillet. Le manuscrit tout entier est de la main d'une femme. Sa rédaction, le style de l'auteur, ne s'opposeraient pas à ce qu'on l'attribuât à une des religieuses échappées à la mort, et qui dut s'empresser à mettre ses souvenirs par écrit. C'est l'autorité la plus ancienne et la plus digne de foi.

Extrait du martyre des religieuses retirées à Bollène.

Ce manuscrit est une dépendance très étroite du précédent; il en découle visiblement par voie de copie fidèle. Les Sacramentines de Bollène le possèdent. Il fait partie d'un vieux registre où sont conservés diverses pièces concernant le couvent.

Le livre des actes de vêture et de profession, et mortuaire à l'usage des Sœurs du Saint-Sacrement à Bollène.

Commencé le 5 mai 1726, ce registre est encore à l'usage du couvent. On y inscrit les vêtures, les professions et les décès. — Les actes de la vie religieuse concernant les treize martyres du couvent y sont transcrits et leur décès y porte ce beau titre : «Mortuaire triomphant».

Relation de la conduite édifiante et des vertus de nos anciennes mères et sœurs, pendant la révolution de 1790.

Ce manuscrit a pour auteur la Mère Euphrosine Marie du Saint-Esprit (Élisabeth Rique). Née en 1801, professe au couvent du Saint-Sacrement le 12 octobre 1819, elle avait connu la Mère de la Fare qui mourut en 1828, et, de sa bouche, elle apprit bien des détails sur les derniers jours de nos martyres. Elle avait, également, interrogé, à plusieurs reprises, la sœur Thérèse Talieu, qui jugée le 26 juillet 1794 avec huit de ses compagnes, dont cinq furent condamnées à mort, était revenue à son couvent restauré, et y mourut en 1822, à l'âge de 80 ans. La relation de la Mère du Saint-Esprit est la plus critique et la plus complète. Elle procède évidemment des relations plus anciennes ; mais elle s'est augmentée de témoignages de témoins oculaires dont nous venons de parler. Des erreurs manifestes de noms et de dates y sont corrigées, les traditions orales et écrites du couvent y sont pieusement recueillies. La Mère Marie du Saint-Esprit est morte le 18 janvier 1870, après avoir rempli la charge de supérieure de la maison pour neuf années.

La famille Bérenger de Richerenches, apparentée à la famille de la bienheureuse Thérèse Charransol (Sœur Marie-de-Jésus), possède un manuscrit de la fin du 18ème siècle contenant la relation du martyre des 32 bienheureuses. Il représente une des nombreuses copies qui furent faites, après la Terreur, de la relation du Martire des religieuses de Bollène et autres... Quelques variantes dues la plupart à une distraction du copiste, et sans intérêt pour l'histoire, le distinguent de ses semblables. L'orthographe en est parfois rudimentaire et la ponctuation fantaisiste. L'auteur en est inconnu : car nous ne pensons pas qu'il puisse être attribué sans examen à Athanase Charransol qui écrivait en 1823 au verso du dernier feuillet les lignes suivantes.

«Ego sum civis gallus, amans Regem nostrum Ludovicum regnantem hodie super nos 1823 31 octobris. Hœe sceriptœ sunt ad lucernam, circiter ad horam decimam post meridiem prœsentis matre meâ, patre meo, sorore meà, et me scribente. — Athanasius Charransol.»

L'écriture d'Athanase Charransol ne ressemble en rien à celle du manuscrit si caractéristique de la fin du 18ème siècle.

Nous inclinerions à voir dans cette curieuse mention, l'exercice grammatical d'un apprenti latiniste encore familier avec les solécismes (scriptœ pour scripta, prœsentis pour prœsentibus) qui par manière de passe-temps, traduisit à la lueur du calèu familial, ses sentiments de bon Français en moins bon latin.

Quoiqu'il en soit de cette hypothèse, la différence des écritures ne permet pas, à notre avis, d'attribuer à une même main le manuscrit et son singulier codicille. Le Hœc scriptœ sunt se rapporterait aux deux lignes précédentes et ressemblerait assez aux mentions fantaisistes que les écoliers ont toujours eu l'habitude d'écrire sur leurs livres de classe, ou sur le premier papier qui leur tombe sous la main. — Nil sub sole novum.

Motif de consolation et règles de conduite pour les religieuses. [Voir annexe O.]

Ce manuscrit conservé dans la famille de Guilhermier parait la copie d'un document qui circula parmi les religieuses de Bollène dispersées par la tourmente. L'original pourrait sans trop grande chance d'erreur être attribué au chanoine de Guilhermier prévôt de la collégiale de Bollène.

Le but de l'auteur n'est pas de faire de l'histoire contemporaine mais de suggérer aux religieuses des sentiments de confiance et des motifs de consolation.

Sources Imprimées.

1° Anon., Recueil des actes de la Commission populaire d'Orange (Orange, Esprit Nicolau, imprimeur de la Commission Populaire. — An II de la République, 1794).

Ce recueil contient les actes d'accusation dressés par Viot, accusateur public, les jugements et les condamnations des martyres.

2° L'abbé d'Hesminy d'Auribeau, archidiacre et vicaire général de Digne, Mémoires pour servir à l'histoire de la persécution française recueillis par les ordres de N. S. P. le Pape, Pie VI, et dédiés à Sa Sainteté (Rome, Louis Perego Salvioni, 1795).

Ces Mémoires — dont il est superflu de faire ressortir l'importance par la date (si rapprochée des événements) où ils ont été recueillis et imprimés, et par le mandat papal qui leur a donné naissance — contiennent deux relations concernant les martyres d'Orange. L'une très brève (tome I, p. 536) est inexacte sur deux points : le nombre des religieuses conduites et incarcérées à Orange le 2 mai (29 et non pas 43), et la date de leur mort (juillet et non octobre). La seconde plus détaillée (tome I, p. 1014) est plus exacte. C'est probablement celle-ci que M. Tavernier de Courtines, réfugié à Pise, fit parvenir au pape, la tenant lui-même de quelque fidèle ou plus vraisemblablement de quelque sacramentine. M. Tavernier de Courtines avait été aumônier du couvent, et il était encore administrateur du diocèse de Saint-Paul-Trois-Châteaux, dont dépendait Bollène.

3° M. V. de Beaumefort, Le Tribunal révolutionnaire d'Orange (Avignon, 1875).

L'auteur y déclare tenir de M. le docteur Martial Millet, propriétaire du champ de Laplane, une relation détaillée du martyre des trente-deux religieuses. Cette relation dont il donne de très larges extraits, n'est autre chose que la copie de la relation manuscrite mentionnée ci-dessus.

4° L'abbé Siméon Bonnel (vicaire à Orange), Les 332 Victimes de la Commission populaire d'Orange en 1794, d'après les documents officiels... (Avignon, Roumanille, 1888).

Ce livre, vrai monument élevé par le savant et pieux gardien de la mémoire des victimes de 1794, est la plus complète source d'informations. Il n'est plus possible de faire l'histoire de ce tribunal sanguinaire sans recourir aux documents que l'auteur a recueillis et publiés. Les religieuses martyres y occupent une place à part. Sur de nombreux points, leur biographie est définitive, et nous n'avons pas manqué de lui faire plusieurs emprunts.

5° L'abbé Redon (vicaire général à Avignon), Les 32 Religieuses guillotinées à Orange au mois de juillet 1794 (Avignon, Aubanel, 1904).

La première partie de l'ouvrage et plus spécialement la seconde, contenant les notices biographiques sur les martyres sont la reproduction parfois littérale del'ouvrage précédent. L'auteur y a ajouté des renseignements détaillés sur la persécution en France et dans le Comtat, et y a inséré de nombreux extraits des relations manuscrites dont nous parlons ci-dessus.

6º La comtesse Roger de Courson, Un Groupe de victimes de la Terreur... (Montligeion, 1904) : comprend Les Carmélites de Compiègne et Les Sacramentines de Bollène et leurs compagnes ; extraits de la Quinzaine du 16 juillet 1903 et du 15 septembre 1904.

7° Les imprimés sur la Révolution et ses épisodes qui ne traitent pas ex professo du martyre de nos bienheureuses, mais en font mention et en donnent le récit. Il faut ranger dans cette catégorie :

L'abbé Guillon, Les Martyrs de la foi pendant la révolution française,... (Paris, Mathiot, 1821).

L'abbé Carron, Les confesseurs de la Foi dans l'Église gallicane, à la fin du XVIIIe siècle (Paris, Le Clère, 1820), tome II.

Ces deux ouvrages, qui s'inspirent de la relation imprimée à Rome en 1795, renferment malheureusement des inexactitudes de date et des erreurs de nom.

Michel-Joseph-Pierre Picot, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique, pendant le XVIIIe siècle, ... 3e édition (Paris, Le Clère, 1853-1857), tome VI [1790-1795].

L'abbé Rohrbacher, Histoire Universelle de l'Église Catholique (Paris, Frères, 1849-1853).

L'abbé Granget, Histoire du diocèse d'Avignon (Avignon, Seguin, 1862).

L'abbé André, Vie des saints de l'église d'Avignon (Avignon, Rastoul, 1835).

Charles Soullier, Histoire de la révolution d'Avignon et du comté Venaissin en 1789 et années suivantes (Paris, Seguin, 1844).

Louis Potton en religion le P. Marie-Ambroise (O. P.), Le V. P. Antoine [Le Quieu¹] et les soeurs du très Saint-Sacrement... [Par le R. P. Marie-Ambroise Potton.] (Paris, Poussielgue, 1894) : ¹ fondateur du couvent du Saint-Sacrement de Bollène.

Fernand-Michel, François-Fortuné (pseud. Antony Réal), Dix-huit ans chez les Sauvages, voyages et missions dans l'extrême nord de l'Amérique britannique, d'après les documents de Mgr Henry Faraud¹, évêque d'Anemour (Paris, Buffet, 1870) : ¹ neveu de la bienheureuse Henriette Faurie.

L'abbé L. Bouyac, La R. M. de La Fare, supérieure du Saint-Sacrement de Bollène et fondatrice des maisons d'Avignon et de Carpentras (1750-1828) (Paris, Desclée de Brouwer, 1888).

Le comte de Pontbriant, Histoire de la principauté d'Orange,... (Avignon, Seguin, 1891).

Pierre de la Gorce, Histoire religieuse de la Révolution Française ... 4ème édition (Paris, Plon-Nourrit, 1912), tome III, p. 534.

Les quatre derniers volumes de cette liste sont particulièrement à retenir.

8° Enfin les articles ou les brochures inspirés en 1925, par la béatification des 32 martyres. La Croix de Paris, les Contemporains, sous la signature de Mme la comtesse de Courson, la Croix d'Avignon et du Comtat ont publié des relations abrégées de la vie et du martyre des 32 bienheureuses [Avignon ; FRBNF32874137]. M. le chanoine Trouillet, dans la Croix d'Avignon, a notamment écrit plusieurs articles et résumé l'histoire de l'abbaye Sainte-Catherine (voir Croix d'Avignon, n° 1690).

On n'a pu, jusqu'à la Restauration publier en France aucun document sur les Victimes de la Révolution, tous les gouvernements qui se succédèrent, depuis la Convention, l'ayant défendu et confisqué les feuilles imprimées. On se borna donc à des copies manuscrites conformes à la Relation publiée à Rome, en 1795, par les soins de M. d'Hesminy d'Auribeau.


B. : LA COMMISSION dite POPULAIRE D'ORANGE.

Le Tribunal révolutionnaire connu sous ce nom a témoigné sa sollicitude au peuple dont il avait usurpé le nom de la façon suivante. Du 1er messidor au II thermidor 1794, il a fait exécuter 121 ouvriers ou artisans, cultivateurs, cordonniers, taffetassiers, orfèvres, charpentiers, charrons, boulangers, cardeurs de laine, maréchaux-ferrants, bouchers, chapeliers, cordiers...

Les propriétaires ou bourgeois ne figurent sur les rôles des condamnations que pour 32 victimes, les nobles ou aristocrates pour 27. Le reste se compose des 32 religieuses, des prêtres, des propriétaires, avocats, notaires, etc.

On voit comment la Commission d'Orange créée pour faire le bonheur du peuple, a rempli le programme qu'elle s'était tracé.


C. : SUR L'ORTHOGRAPHE DE CERTAINS NOMS DES MARTYRES.

Il y a chez les historiens de la Commission de grandes divergences dans la manière d'écrire les noms de nos Martyres. Nous avons adopté l'orthographe courante, issue de l'usage ou des généalogies qu'il nous a été permis de consulter. On ne peut d'ordinaire faite aucun fond sur les actes d'accusation ou les jugements. C'est ainsi, en effet, que le nom des bienheureuses de Justamont [ou de Justamond] est écrit de deux manières différentes dans le texte de l'acte d'accusation.

Mais il y a plus que la suppression ou le changement d'une lettre. Certains noms ne sont plus reconnaissables sous la plume des historiens. Par exemple, la bienheureuse d'Albarède est appelée Darbarel dans le registre des décès, Barvère par l'annaliste du couvent, Bavare par l'abbé Rohrbacher et Dalbarade par l'abbé André. La bienheureuse Talieu est appelée Talliend par l'abbé Guillon et Tassieu par Charles Soullier... La bienheureuse Faurie est devenue Laforge, l'abbé Guillon l'appelle Faurié et l'abbé André Favier. La bienheureuse Minute, appelée aussi Minuty, est nommée Mincette par l'abbé Rohrbacher. Enfin la bienheureuse Marie-Anne Béguin-Royal, nommée Dequi dans une liste, est appelée Marie-Anne Régnier dans le registre des décès, tandis que la bienheureuse Marie-Rose Laye est devenue Marie-Rose Sage chez l'abbé Guillon, etc.

Les déformations proviennent à peu près toutes des premières listes, établies à la hâte, et confirmées dans leurs erreurs par les documents officiels et de procédure. Un des principaux mérites de l'ouvrage de l'abbé Bonnel est d'avoir rétabli sur ce point la vérité et la correction historique.

On comprend, dès lors, plus difficilement, que des auteurs contemporains que nous nous abstiendrons de citer (ce livre n'étant pas un ouvrage de critique) aient partagé les erreurs des premiers annalistes ou les aient aggravées, et qu'ils aient obstinément écrit: de Rognard pour de Roquard ou encore Le Quien pour Le Quieu. N'y aurait-il là qu'une faute d'impression ?


D. : NOTES SUR LA FAMILLE DE ROQUARD.

La famille de Roquard a été trop intimement associée à la fondation du couvent du Très Saint-Sacrement de Bollène pour que nous ne hésitions pas à lui consacrer une notice spéciale.

Le premier de Roquard connu sous ce nom est Étienne, seigneur de Vinsobres, de Pouillan en Languedoc, de Lagarde-Paréol, Lamotte etc., que le roi Louis XII, après Charles VIII avait comblé d'honneurs et de dignités, jusqu'à en faire le sommelier de l'échansonnerie royale. C'est lui qui dans les dernières années du 15ème siècle, ou peut-être au début du 16ème, fit construire à Bollène, la maison dont on peut encore voir des restes à l'intérieur du couvent du Très Saint-Sacrement.

Son fils, Antoine de Roquard, reçut du roi François Ier le gouvernement de Pont-Saint-Esprit en 1525. Le fils d'Antoine, Gaspard de Roquard, défendit en 1568 la ville de Bollène attaquée par les protestants.

À la fin du 17ème siècle, le chef de la famille était Louis-Honoré de Roquard, capitaine de frégate à la Rochelle. Il était déjà d'âge mûr quand il épousa, en cette ville, Madeleine-Marie-Louise Michelon, fille du président du bailliage, qui lui donna quatre enfants. L'aîné, Joseph-François-Louis, avait cinq ans quand son père résolut de se retirer dans ses terres et vint se fixer à Bollène : c'était en 1698. Très soigneusement élevé en sa qualité de chef de famille, héritier des armes et du nom, celui qui devait fonder le couvent, donner l'exemple des plus belles vertus et mourir comme un saint, fut pendant longtemps le type achevé du grand seigneur, homme du monde, aimant le faste, le bruit, les aventures et gaspillant avec la plus magnifique insouciance une fortune qui pouvait lui paraître inépuisable. On a vu, dans le cours de l'ouvrage, et dans les pages consacrées à la fondation du couvent, de quelle façon il continua une vie assez mal commencée, et comment il mourut en 1776, à Bollène, en renom de sainteté.

Son frère cadet, Henri-Bénigne de Roquard, était né à la Rochelle en 1697. D'une santé délicate, perpétuellement miné par la maladie, il put, cependant, faire ses études et entrer au Séminaire Saint-Sulpice à Paris ; mais ses infirmités, le sentiment excessif de son incapacité physique le retinrent quelque temps sur les premiers degrés de l'autel. Appelé un jour à la Rochelle pour régler quelqu'affaire avec sa famille maternelle, il ne put résister à l'invitation pressante de l'évêque, et se laissa ordonner prêtre. Revenu à Bollène il y vécut jusqu'en 1730, dans l'exercice de la charité et dans la retraite, après avoir vu entrer ses deux sœurs et sa mère dans le monastère auquel il donnait tous ses soins, tandis que son aîné Joseph-François, revenu à Dieu, entrait à son tour dans l'état ecclésiastique.

Louise-Françoise de Roquard, devenue sacramentine, fit profession le 5 janvier 1727 sous le nom de Sœur Thérèse de Saint-Joseph, occupa les premières charges, devint supérieure et mourut le 11 février 1770 à l'âge de 79 ans.

Marguerite de Roquard naquit à Bollène en 1699. «Par un privilège unique le même toit fut en même temps le lieu de sa naissance, de son baptême, de sa carrière religieuse, de sa mort et de sa sépulture.» Née en effet dans la maison des de Roquard qui devait devenir le monastère du Très Saint-Sacrement, elle fit profession en 1718 sous le nom de Sœur Marie-de-Jésus passa dans le couvent sa vie entière, y mourut en 1762 à l'âge de 69 ans et y fut ensevelie.


E. : MADELEINE OU FÉLICITÉ FAURIE ?

On a vu dans la biographie de la bienheureuse Henriette Faurie que sa sœur Madeleine venait tous les jours de Sérignan à Orange portant à son père un panier de provisions. La chose n'a rien de surprenant par elle-même. La distance entre Orange et Sérignan (6 kilomètres environ) n'est pas de celles qu'une enfant ne puisse parcourir. Il y a encore dans notre Provence des hameaux ou des fermes isolées tout aussi éloignés des centres et notamment de l'école. Les enfants ne laissent pas de faire le chemin pour s'y rendre. Nous devons néanmoins mentionner une tradition qui s'est conservée dans la famille de la martyre, et dont les historiens auront à tenir compte. Au dire de M. Escoffier, autrefois notaire à Visan, et fils de Félicité Faurie, c'était bien celle-ci qui, chaque jour, aurait accompli ce devoir de piété filiale.

Le nom de Madeleine aurait été substitué à celui de sa sœur par l'un des historiens de Mgr Faraud, fils de Madeleine Faurie. La mémoire du saint missionnaire en recevrait un lustre nouveau. À vrai dire, et sans préjuger de l'avenir, la question ne peut se résoudre sans documents directs. Nous avons donc conservé les données des historiens antérieurs, tout en mentionnant cette tradition familiale que nos lecteurs apprécieront à leur gré.


F. : RÉCLAMATION D'ALEXIS DELOYE
contre la requisition d'avoir à payer 12 livres
pour les frais de conduite sa soeur, à Orange.

Le 16 ventôse an III (3 mars 1795), par-devant François-Marie Lafont, agent national de Sérignan, dans la maison commune de Sérignan, est comparu Pierre-Alexis Deloye, lequel déclare avoir été requis, le 16 juillet 1794, par un billet signé Joseph Jourdan, président, et Arnaud fils, sergent major, de remettre dans l'instant au citoyen Antoine Michel, dit Vigouret porteur dudit ordre, douze livres, pour frais de garde, lorsque ma sœur Agathe-Suzanne Deloye, religieuse, fut traduite dans la maison d'arrêt d'Orange avec deux autres religieuses du même pays, le 10 mai 1794, sans que l'on eût égard qu'il n'y eut ce jour-là que deux gardes pour accompagner mon domestique commandé pour porter sur ma charrette madite sœur et les deux autres religieuses. Je lui répondis que je n'avais rien de ma sœur, qui avait fait porter non seulement ses effets, mais encore beaucoup des miens que je lui avais prêtés ; que ma sœur ayant été suppliciée à Orange, le 6 juillet, par le Tribunal de sang, tous ses effets et ceux que je lui avais prêtés, avaient été également confisqués au profit de la nation ; j'insistai par ces justes raisons, à ne vouloir pas payer les douze livres sans avoir un reçu de leur main, et je renvoyai ledit Michel.

Quelques moments après, il revint encore à ma maison, et il ajouta de la part des signataires qui l'avaient envoyé, qu'ils ne voulaient faire aucun reçu, et que si je ne payais sur le champ, ils m'allaient mettre six hommes à discrétion dans ma maison d'habitation jusqu'à ce que j'eusse payé : d'après pareilles menaces, je m'exécutai tout de suite à payer lesdites douze livres au porteur du billet pour tes remettre aux sus-nommés. Et pour être la vérité, me suis signé : Deloye.


G. : EXTRAITS DU LIVRE POUR LA CONFRÉRIE DU SAINT-ROSAIRE.

Pour mieux faire connaître la Confrérie du Saint-Rosaire, dont la bienheureuse Marie-Anne de Peyre fut une des plus zélées congréganistes, nous citerons quelques extraits des Statuts de cette pieuse association, érigée à la suite d'une mission donnée à Tulette par des Pères dominicains. Nos lecteurs y saisiront l'esprit sérieux et profondément chrétien de ces anciens groupements, jadis si florissants dans nos paroisses.

Art. I. On pourra recevoir dans la Confrérie du Rosaire toutes sortes de personnes de quelle qualité et condition quelles puissent être riches ou pauvres grands et petits qui seront obligés au jour de leur réception de se confesser et communier ceux qui sont dans l'âge et de dire ensuite devant l'autel du Saint-Rosaire sept fois le Pater et sept fois l'Ave Maria contre les sept péchés mortels et pour les petits ceux qui les présenteront auront soin de réciter les susdites prières pour eux.

Art. 4. Les frères et sœurs du Saint-Rosaire seront obligés de dire le rosaire une fois toutes les semaines tout entier. Et ceux qui ne pourront pas le dire tout à une fois le pourront diviser en trois chapelets de cinq dizaine chacun qu'ils pourront dire ou à l'église ou à leur maison ou à genoux ou assis ou debout, toujours avec intention de satisfaire à leur obligation et avec attention aux mystères du Saint-Rosaire joyeux douloureux et glorieux. Et ceux qui auront fait écrire leurs enfants diront le rosaire pour eux jusqu'à ce qu'ils sont en état de le dire...

Art. 10. Tout ce qui est contenu dans les statuts du Saint-Rosaire n'oblige de soi à aucun péché mortel ni véniel, seulement à cette peine que tous ceux qui manqueront de dire le rosaire dans la semaine ou de faire quelque autre bonne œuvre d'obligation ne participeront point cette même semaine aux bonnes œuvres des leurs confrères et sœurs qui auront fait leur devoir, ce pourquoi tous unanimement doivent avoir à cœur de faire leur devoir de maintenir la paix et amitié chrétienne parmi eux, se visiter dans leurs maladies, faire paraître un zèle particulier pour le service de la Sainte Vierge afin quelle leur procure par ses prières les vertus nécessaires pour le salut de leurs âmes.»

Ces statuts furent approuvés par l'évêque de Vaison, au cours de sa tournée pastorale, le 6 octobre 1668 ; extrait du Livre pour la Confrairie du Saint Rosaire de l'année 1660 pour Tulette, obligeamment communiqué par M. l'abbé Avril, curé de la paroisse.


H. : EXTRAIT DU REGISTRE
de la municipalité de Sérignan, concernant
les bienheureuses Deloye, Minutte et Faurie.

Le 12 ventôse la municipalité de Sérignan convoqua dans la maison commune Henriette Faurie, Andrée Minutte et Suzanne Deloye, pour leur proposer de prêter le serment, en exécution de la loi du 9 nivôse.

«Le citoyen maire à la réquisition du citoyen agent national a lu aux susdites le décret de la Convention et la lettre du district avec invitation et injonction de s'y conformer ; lesquelles ont toutes ensemble refusé ledit serment, malgré tout ce qu'a pu ajouter le maire pour les y porter : et alors il leur a déclaré qu'elles avaient dix jours pour faire leur réflexion sur un refus qui n'aurait pas dû exister...»

Sept jours après (tant les municipalités elles-mêmes prenaient difficilement l'habitude du nouveau calendrier) le secrétaire municipal écrivait sur son registre la délibération suivante :

«La municipalité... considérant que la décade dans laquelle les ci-devant religieuses sont obligés de prêter le serment requis, était à la veille d'expirer, et voulant essayer si la réflexion avait amené celles de cette commune à s'y conformer, les a de nouveau appelées auprès d'elle pour leur faire comprendre que ce serment était une action louable et purement civique, que la patrie avait (     ) d'exiger d'elles et leur faire entrevoir les punitions qui devraient suivre un refus, fruit de leur entêtement.

«Le courrier de cette ville envoie pour les faire monter à la commune a (    ) que le citoyen Minutte ( et le citoyen ? ) Lambert ayant comparu ont dit que Marie-Anne Farjon ( belle-sœur ? ) de ce dernier et Andriève Anne Minutte, sœur du premier étaient présentement absentes.

«Les citoyennes Magdeleine Arnoux et Henriette Faurye ( applées ? ) à la commune ont déclaré que la citoyenne Astier était au lit et qu'elle persistait dans le refus de prêter le serment, et elles ont ajouté qu'elles étaient elles-mêmes dans les mêmes dispositions, et elles se sont retirées. Le citoyen Jean César Faurye père de Henriette présente a dit qu'il avait emploié auprès de sa fille les sollicitations, les prières et même l'autorité paternelle pour détourner sa fille de cette résolution et l'a ici même interpellée de se rendre au vœu de la loi, ce qu'elle a refusé constamment, alléguant toujours le cri de sa conscience qui l'en empêchait.

...... Le citoyen Minutte a fait la même déclaration par rapport à sa sœur dont acte leur a été donné...... etc.»

Le même registre mentionne à la suite de cette délibération la prestation du serment par deux religieuses de Pernes, originaires de Sérignan, et pour lors y demeurant. Leurs noms importent peu à notre dessein. Cédant, sans doute aux prières de leur famille, ces pauvres filles voulurent, du moins, donner à leur conscience les sûretés en leur pouvoir. Chacune d'elles a fait suivre sa signature de la déclaration suivante «Et j'entends toujours en ce qui ne sera pas contraire à ma religion.»

Cette mention révélatrice montre bien dans quel désarroi s'agitaient certaines âmes.


I. : TABLEAU A REMPLIR
par la municipalité de Sérignan sous sa responsabilité
dans le délai de huit jours à compter du jour de sa réception.

1. Nom du détenu, son domicile avant sa détention, son âge, le nombre de ses enfants, leur âge, où ils sont, s'il en est de veuf, garçon ou marié. - Henriette Faurye, âgée de 35 ans, domiciliée à Sérignan (fille de César de Faurye et de Marie d'Astie).

2. Le lieu où il est détenu, depuis quand, à quel époque, par quel ordre, pourquoi? - À Orange, dans les clastres, depuis le 21 floréal, par ordre de la municipalité, pour avoir refusé le serment.

3. Son revenu avant et depuis la Révolution. - Néant.

4. Sa profession avant et depuis la Révolution. - Religieuse.

5. Ses relations, ses liaisons. - Elle a été retirée (du couvent).

6. Le caractère et les opinions politiques qu'il a montrées dans le mois de mai, juillet, octobre 1789, au 10 août, à la suite de la mort du tyran, au 31 mai et dans les crises de la guerre, s'il a signé des pétitions ou arrêtés liberticites.- Néant (fille de royaliste et aristocrate).

Certifié véritable par nous membres du comité de surveillance du canton de Piolenc le 29 prairial 2ème année républicaine. (Suivent les signatures.)

Le document que nous avons eu sous les yeux est une copie certifiée exacte du tableau dressé par les membres du Comité de surveillance de Sérignan et trouvé dans les procédures de la Commission populaire d'Orange. Ces papiers furent transportés au greffe du tribunal criminel du département de Vaucluse par arrêté du représentant du peuple Goupilleau en date du 20 brumaire an III.

Les mots entre crochets ne sont pas de la même main que le reste et paraissent avoir été ajoutés au document original.


J. : LES ACTES DE DÉCÈS DES TRENTE-DEUX MARTYRES.

Chaque jour, après la dernière exécution, l'huissier Napier rédigeait son procès-verbal constatant que «les nommées..,... ont été conduites à la place de la Justice où sur un échafaud dressé sur ladite place, elles ont subi la peine de mort».

Le greffier Benet faisait parvenir ce procès-verbal à la municipalité, avec le résumé du jugement, et sur ces pièces, l'officier de l'État Civil dressait l'acte de décès de chacun des suppliciés.

Nous donnons ici l'acte de décès de la bienheureuse Suzanne Deloye, exécutée le 18 messidor (6 juillet) 1794.

«Aujourd'hui vingt messidor de la deuxième année de la République française, une, indivisible et impérissable, à huit heures du matin, moi, Jean-Antoine Tacussel, adjoint à l'officier municipal, élu le 14 prairial de cette année, pour dresser les actes destinés à constater la naissance, mariage, et les décès des citoyens, ai, ensuite de l'envoi que le citoyen Benet, greffier de la commission populaire établie en cette commune d'Orange, m'a faite de la note du jugement rendu le 18 du présent mois, qui condamne à la peine de mort Deloye Suzanne-Agathe, âgée de cinquante-deux ans, née à Sérignan, y résidant, ex-religieuse insermentée, et de la signification faite à la municipalité, par le citoyen Dapier [Napier] officier ministériel attaché à ladite Commission, constatant que ladite Deloye Suzanne-Agathe a été exécutée le 18 du courant, vers les six heures du soir sur la place de la Justice de cette dite commune, ai dressé le présent acte.

«Fait en la maison commune à Orange, les jour, an et mois que dessus.

«[Signé], Tacussel, notable adjoint.»


K. : SENTIMENTS DE CONFIANCE SUR LA GUILLOTINE.

Cette poésie, attribuée à la bienheureuse Élisabeth Pélissier (Sœur Sainte-Théotiste du Saint-Sacrement), est ordinairement transcrite à la suite des relations manuscrites sur les religieuses sacramentines de Bollène, martyres de leur foi.

Sur l'air Quand j'étais dans mon jeune âge.

Bien loin que la guillotine
Me cause quelque frayeur,
Que son aspect me chagrine
Et puisse troubler mon cœur,
Mon Dieu me fait voir en elle
Un moyen bien précieux
Qui par une voie nouvelle
Me conduit droit dans les cieux.

Si je crains pour ma faiblesse
En Dieu je jette mon espoir ;
J'attends tout de sa tendresse.
Ma force est dans son pouvoir,
Il anime mon courage
En m'appelant au combat.
Ma vigueur est son ouvrage,
Oh ! je ne m'y méprends pas.

Si la voix de la nature
Me parlait un peu trop fort,
Si l'aspect de la torture
Me faisait craindre la mort ;
Mon époux qui toujours veille
A mon solide bonheur
Par sa bonté non pareille
Deviendra mon protecteur.

Non, non, je n'ai rien à craindre,
Aidée d'un si bon secours.
Ingrate dois-je me plaindre,
Si Dieu me soutient toujours ?
La guillotine inquiète
L'esprit faible, un faible cœur :
Je peux craindre sa toilette,
Sa fin ne me fait pas peur.

Qui te craint, ô guillotine,
A mon avis a grand tort
Si tu nous fais grise mine
Tu nous conduis à bon port.
Si tu nous parais cruelle,
C'est pour notre vrai bonheur :
Une couronne éternelle
Est le prix de ta rigueur.


L. : CANTIQUES
sur les faits de la vie et de la mort du
serviteur de Dieu, Benoît-Joseph Labre, Français.

Cette brochure d'une vingtaine de pages imprimées, sans date et sans nom d'imprimeur, renferme trois cantiques à l'honneur de Saint Pèlerin.

Il est de tradition dans la famille de Faucher que la bienheureuse Pélissier a composé le suivant, tradition appuyée sur l'autorité la brochure elle-même, imprimée peu de temps après la mort de Saint Benoît Labre (16 avril 1783) :

«Ce cantique a été fait par une religieuse du couvent du Saint-Sacrement de la ville de Bollène, à l'occasion de sa guérison miraculeuse opérée par l'intercession du serviteur de Dieu, Benoît-Joseph Labre, le 29 juin 1783.»

Ce cantique ne comprend pas moins de seize couplets. En voici quelques-uns :

Benoît-Joseph, ô pauvre incomparable
De ton crédit l'on ressent les effets.
Vois en pitié mon état déplorable.
Entends mes vœux, accomplis mes souhaits.

Mon cœur confus te fait l'aveu sincère
D'avoir un temps douté de ton secours.
Mais aujourd'hui l'excès de ma misère
fait qu'à ton nom, avec fol, j'ai recours.

. . . . . . . . . . . . . .

Vois à tés pieds ce chœur d'adoratrices
Du même Dieu qui t'embrasait d'amour ;
De l'adorer elles font leurs délices,
et tu faisais près de lui ton séjour.

. . . . . . . . . . . . . .

Non, non, je sens qu'étant adoratrice
A ton crédit j'ai des droits bien puissants.
Rends à mon cœur son plus cher exercice,
Pour cet objet que mes vœux sont pressants.

. . . . . . . . . . . . . .

Que sens-je, ô ciel, quelle joie ravissante,
Mes maux désirs m'abandonnent soudain.
Benoît-Joseph, tu remplis mon attente,
Oui, je ressens ta bienfaisante main.

. . . . . . . . . . . . . .

Ne borne pas sur moi ta bienfaisance,
Répands au loin tes grâces, tes faveurs :
Daigne surtout, d'un œil de complaisance,
voir les souhaits qu'ici font tous les cœurs.


M. : CANTIQUE SUR LA RÉVOLUTION.

Composé probablement par la bienheureuse Théotiste Pélissier après la dispersion des religieuses. - Ms du couvent du Très Saint-Sacrement.

Sur l'air Sur ce trône d'amour.

Chère Sion séjour de paix,
Lieu fortuné demeure sainte,
Me voyant loin de ton enceinte,
Je me livre aux pleurs désormais.
J'avais, pour mon heureux partage,
Ma demeure aux pieds des autels,
Mais les arrêts les plus cruels
M'ont mis hors de mon héritage.

On a frappé notre pasteur,
Nous voilà toutes dispersées,
Serons-nous bientôt rappelées
Dans l'asile du vrai bonheur
Pour reprendre avec allégresse
Notre chère adoration
Doux moment de réunion,
Viens finir notre détresse.

0 Jésus mon unique amour
Ramenez dans la bergerie.
Votre épouse hélas bien punie
Pour vous adorer nuit et jour.
Cet emploi si saint si sublime
Me fait consumer en désir
Laissez-vous toucher aux soupirs
D'une languissante victime.


N. : JUGEMENT RENDU PAR LE TRIBUNAL CRIMINEL
du département de Vaucluse, séant à Avignon, qui
condamne à la peine de mort les membres de la
Commission populaire d'Orange du 7 messidor an III
de la République Française (25 juin 1795).

De ce document, où furent recueillis les griefs élevés contre le tribunal d'Orange, nous citerons ce qui a plus particulièrement trait aux religieuses immolées :

«Les religieuses étaient soumises à prêter le serment ; leur refus les condamnait à la perte de leurs pensions et à être regardées et traitées comme suspectes ; mais aucune loi ne prononçait contre elles la peine de mort. Les juges de la Commission d'Orange ont condamné à la peine de mort une foule de religieuses insermentées ; et pour trouver prétexte à ces assassinats, ils ont chargé leurs jugements de «faits ridicules, absurdes, insignifiants, tels que ceux-ci qu'elles aimaient mieux l'ancien régime, qu'elles parlaient religion, et autres choses de même nature, comme si les propos que le tribunal d'Orange leur prêtait, eussent-ils été vrais, pouvaient motiver un jugement à mort... »


O. : MOTIF de CONSOLATION
et RÈGLES de CONDUITE pour les RELIGIEUSES.

Jusqu'ici les religieuses ont fait la gloire de la religion par la soumission et le courage que le Seigneur leur a inspiré au milieu de toutes les tribulations par lesquelles il a daigné les éprouver et les purifier.

Mais il leur en manquait une dernière la plus rigoureuse de toutes dans la perte de leur saint état qui leur est mille fois plus cher que leur propre vie et le Seigneur dans sa miséricorde pour mettre le comble à leurs mérites et à leur gloire a exigé d'elles ce rigoureux sacrifice. Qu'elles se gardent donc bien de se laisser aller à l'abattement et à la tristesse; mais plutôt qu'elles entrent pleinement et de tout leur cœur dans les desseins de Dieu, qu'elles se rappellent que ce n'est pas la première fois que les âmes consacrées au Seigneur ont été mises. à une si rude épreuve. De nos jours même les religieuses du Brabant et d'une partie de l'Allemagne n'ont elles pas été arrachées de leur saint retraite, et en remontant dans les siècles précédents combien de fois l'histoire de l'Église ne nous montre-t-elle pas les asiles des épouses de J. C. livrés aux flammes et elles mêmes immolées à la fureur des brigands et des barbares et quelque fois même à des épreuves mille fois plus affreuse que la mort la plus cruelle ? Le chrétien en voyant un spectacle si triste et si affligeant peut-il douter de l'amour de J. C. pour ses épouses ou plutôt que ce ne soit son amour pour elles qui permet à leur égard des traitements si horrible ?

Qu'elles soient donc aujourd'hui bien persuadées que c'est par un trait de sa miséricorde envers elles que Dieu permet qu'elles soient si rigoureusement traitées, chassées de leur maison, éloignées des saints autels qui faisait tout leur bonheur et toute leur gloire et forcées de rentrer dans le monde qu'elles abhorrent, mais en même temps qu'elles soient bien convaincues qu'elles rendent plus de gloire à Dieu par leur soumission et leur sacrifice qu'elles n'auraient fait dans leur sainte asile et à l'ombre des saints autels en y conservant un: état qui les rendait si heureuse sur la terre. La seule chose qui doit les occuper est de savoir comment elles doivent se conduire au milieu d'un monde pervers ou elles vont rentrer. Voici à peu près les principes qui peuvent les diriger et les règles qu'elles doivent suivre. On peut les rapporter à quatre ou cinq objet principaux: la clôture, l'habit, les vœux, la règle et la manière de se conduire dans le monde.

La clôture n'est plus pour elles d'obligation. Aussi elles pourront sortir de la maison ou elles seront reçues mais par respect pour les saints engagement qu'elles ont contracté avec Dieu elles ne doivent le faire que le moins possible et seulement autant que leur santé ou une rigoureuse bienséance leur en feroit une espèce de devoir ce qui sera extrêmement rare; d'autant que sortant inutilenient elles s'exposeraient au moins dans certains pays aux insultes et des avanies qu'elles doiv vent éviter par respect pour leur saint état.

L'habit séculier qu'elles seront forcées de prendre doit être simple et modeste mais sans singularité, et en général elles doivent éviter dans leur extérieur tout ce qui pourrait les faire remarquer. Elles ne seront plus tenues au vœu d'obéissance parce qu'elles ne pourront plus avait aucun rapport avec leur supérieur légitimes mais elles seront toujours liées par les vœux de chasteté et de pauvreté. Cependant quand à celui-ci elles ne seront pas tenues de l'observer aussi strictement que dans leur cloître. Ainsi elles pourront recevoir tout ce qui leur sera nécessaire ou vraiment utile. Elles pourront toucher la pension qui leur sera assignée, la garder, l'employer à leur besoins journaliers, celle même à qui dans leur maison il ne manquerait de rien de ce qui est rigoureusement nécessaire. Elles pourront recevoir de petits dons et en faire en argent ou autrement quand la reconnaissance ou la bienséance leur en fera une espèce d'obligation. Elles pourront aussi faire de petites aumônes. Qu'elles agissent en tout cela avec simplicité et la sainte liberté des enfants de Dieu, et pour prévenir tout scrupule et peines de conscience qu'elles demandent toutes ces différentes permissions à leurs supérieurs avant de s'en séparer.

Pour se rapprocher de leur règle autant qu'il dépendra d'elles, qu'elles aient une heure fixe pour leur lever et leur coucher réglée d'après les habitudes de la maison ou elles vivaient, et qu'elles s'acquittent à peu près de tous les exercices de piété qu'elles remplissaient dans leur sainte maison et réglant l'heure d'après les mêmes habitudes de la maison.

Enfin quand à la manière de se conduire dans le monde qu'elles ayant sans cesse présent à leur esprit ces paroles de Saint Paul : Conduisez vous avec une grande circonspection parce que les jours sont mauvais.

Qu'elles ne voyant même dans leur maison et qu'elles ne conversent autant qu'il leur sera possible qu'avec des personnes vertueuses et dont les entretiens soient toujours édifiants ou au moins honnêtes. Que celles qui sont d'un âge peu avancé évitent toute espèce de liaison avec des personnes de différent sexe et qu'elles soient bien convaincues qu'elles ne sauraient porter trop loin leur précaution à cet égard. Qu'elles fassent tous leurs efforts pour vivre dans une grande paix et une grande concorde avec tous leurs parents et tous leurs proches et qu'elles se souviennent qu'un des plus puissant moyen pour conserver cette paix si désirable est de ne se mêler dans leur maison de rien de temporel que de ce qu'on voudra leur confier ne portant jamais leurs soins leurs vues leurs observations plus loin, et si elles vivent dans des familles qui ayant une manière de penser différente de la leur de ne jamais dire un mot qui la contrarie. Si elles aperçoivent même des défauts ou des fautes d'un autre genre qu'elles gardent le même silence, en un mot qu'elles s'abstiennent de donner des avis sur quoi que ce soit à moins qu'on le leur demande, et qu'alors même elles le fassent avec une extrême prudence.

En se conformant à ces règles de conduite elles doivent avoir une ferme confiance qu'en sortant de leur solitude et en quittant l'habit de leur st état elles en conserveront l'esprit et qu'elles se conserveront elles-mêmes irrépréhensibles et sans tâche au milieu d'une nation dépravée et corrompue parmi laquelle elles brilleront comme des astres dans le monde et qu'elles seront comblées de gloire au jour de Jésus-Christ.

Qu'elles gravent bien encore dans leur esprit et dans leur cœur ces belles paroles de l'Écriture : Les yeux du Seigneur sont ouverts sur toute la terre et il inspirent de la force à ceux qui mettent en lui toute leur confiance. II Paral. 16. Et celle-ci de Saint Paul aux premiers chrétiens: Vous avez soutenu de grands combats dans vos diverses afflictions. Vous avez vu avec joie tous vos biens pillés, sachant que vous aviez d'autres biens plus excellents et qui ne périront jamais. Vous avez été exposés devant tout le monde aux injures et aux mauvais traitement, vous avez partagé la douleur de ceux qui ont souffert de semblables indignités. Ne perdez donc pas votre confiance qui doit être récompensée d'un si grand prix; mais persévérés courageusement dans la souffrance de vos maux afin que faisant la volonté de Dieu vous obteniez les biens qui vous sont promis. Encore un peu de temps et celui qui doit venir viendra et il ne tardera pas. (Aux Hébreux, ch. 10.)


P. : LE CHAMP DE LAPLANE.

En 1799, cinq ans après la mort des martyres, le champ de Laplane fut acheté par M. Pierre Millet, qui en resta propriétaire jusqu'à sa mort en 1856. Il respecta toujours la partie de son domaine où furent et demeurent ensevelies les trente-deux religieuses, avec les trois cents autres victimes du tribunal révolutionnaire d'Orange ; il ne permit jamais de la labourer, il la délimita par une plantation de cyprès, et en 1832 il y fit bâtir une chapelle. Son fils et sa petite-fille, qui lui ont succédé comme propriétaires, ont hérité de ses sentiment de respect pour le champ et la chapelle de Laplane qu'on a toujours appelé à Orange, le champ et la chapelle des Martyrs.

(Lettre postulante de la Cause, de Mme Santon, née Millet et de M. le Docteur Théodore Santon, 1er septembre 1904).

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[Fin du texte de l'abbé Méritan.]

«Les trente-deux Martyres d'Orange» :
Index

[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]