«DEUX VICTIMES DES SEPTEMBRISEURS [LES BIENHEUREUX FRÈRES LA ROCHEFOUCAULD]» DE
LOUIS AUDIAT ; CHAPITRE 18


CHAPITRE 18. — Seconde assemblée électorale. — René Briault, président. — Premier vote sans résultat. — Les députations. — Protestations des évêques de Saintes et de La Rochelle. — Taillet. — Les candidats au siège épiscopal. — Isaac-Étienne Robinet est élu évêque constitutionnel de la Charente-Inféreure, le 28 mars 1791. — Notes de bas de page, y compris «Première Lettre de M. l'évêque de La Rochelle aux religieuses et aux communautés séculières de son diocèse», donné à Pampelune (Espagne), le 26 avril 1791.


Cette seconde assemblée électorale, annoncée la veille par le son des cloches de la cathédrale, s'ouvrit à Saintes le 27 février, à neuf heures du matin «dans l'église paroissiale cathédrale de Saint-Pierre». Chassériau, curé de la paroisse Saint-Michel de Saintes, célébra une messe basse du Saint-Esprit. Puis les 280 membres présents prirent place dans la nef. Le curé de la paroisse de Cram, canton de Courçon, Bourdon, s'assit au fauteuil comme doyen d'âge, et nomma pour secrétaire provisoire Dupinier. Les plus âgés après le président, Boussiron, Claquemain et Breuil, remplirent les fonctions de scrutateurs. Puis l'assemblée se rendit dans ses six bureaux tels que les avait constitués la première assemblée (14 juin 1790) à l'évêché, au collège, au palais, chez les Récollets, chez les Jacobins et à la Bourse. Le nombre des électeurs inscrits était de 800 ; 381 seulement votèrent, le tiers, moins de la moitié. Au premier tour de scrutin, René Briault, avocat à Saintes, fut nommé président par 142 suffrages, la majorité étant de 141. Au second tour, sur 330, Jean-Aimé Delacoste, avocat à La Rochelle, qui signait autrefois de La Coste, fut proclamé secrétaire par 299 voix. C'étaient les mêmes que pour la première assemblée.

Le président, après quelques phrases de remerciements, explique le motif de la réunion en un petit discours qui est bien de l'époque et par les idées et par l'enflure :

«L'objet qui nous rassemble en ce jour, messieurs, mérite toute notre attention. Il s'agit de nous donner un évêque, un pasteur fidèle, qui veille avec soin et avec zèle sur le troupeau qui va lui être confié. Cette importante dignité n'appartient qu'à un homme riche en vertus. L'ambitieux, qui ne voit que lui-même dans les honneurs auxquels il aspire, n'en est pas digne. L'intriguant et l'homme de Cour, dont l'unique talent est de cacher leurs bassesses sous les dehors trompeurs de l'honnêteté et de la franchise, ne le méritent pas. L'homme hypocrite doit à jamais en être exclu. Comment, en effet, placer le mensonge et l'imposture sur la chaire de la vérité ? Que l'ecclésiastique vertueux fixe donc seul nos regards ; que notre élection, marquée au coin du discernement et de la prudence, déconcerte nos ennemis et les étonne, et justifie les vues sublimes de l'Assemblée nationale, en rendant aux peuples le droit de se choisir leurs pasteurs. Prouvons enfin que le décret sur la Constitution civile du clergé est une des plus sages lois qui existent.

«O vous, qui, dissipant de vaines terreurs et qui méprisant des suggestions perfides, pasteurs citoyens, qui avez prêté le serment décrété pas nos augustes représentants, accourez, volez dans nos bras, et venez recevoir la récompense due au patriotisme éclairé et au vrai mérite. Et vous que l'erreur égare, et qui, peut-être, vous faites volontairement illusion, pasteurs rebelles à la loi, revenez sur vos pas ; quittez vos anciens préjugés, et rendez à la patrie des citoyens utiles ; rendez à cette tendre mère des enfants qui, malgré leur aveuglement, lui sont encore chers, et qu'elle est prête à recueillir tous les jours dans son sein. Puisse, messieurs, ce souhait s'accomplir ! Puissent tous les Français se réunir, et, ne faisant qu'une même famille unie par les mêmes intérêts et les mêmes sentiments, travailler à l'envi au maintien de la Constitution et perpétuer la félicité publique.»

La fin de la séance est remplie par la prestation individuelle du serment civique et par la nomination des scrutateurs, presque tous avocats (1).

Le 28, à huit heures, les bureaux se forment. À dix heures, le recensement général constate qu'aucun candidat n'a réuni la majorité absolue. Alors se présente une députation de la Société des Amis de la Constitution qui, dit M. le baron Eschassériaux (2), «était très nombreuse et comptait l'élite de la population.» L'orateur est encore un avocat, Pierre-François Héard du Taillis (3), alors accusateur public près le tribunal du district de Saintes. Son style est à la hauteur de ses idées : «Portés au plus haut rang dans la Société, puisque c'est vous, messieurs, qui distribuez les grades les plus honorables, qu'il est consolant pour nous de ne voir dans votre élévation au ministère délicat et important qui vous est confié que l'effet de vos vertus et du patriotisme le plus pur. C'est à ces traits, messieurs, à ces caractères gravés dans vos cœurs, c'est à ces sentiments que nous admirons en vous, que nous devons le projet glorieux de vous posséder dans notre sein.»

Après ces phrases assez obscures, Héard invitait l'assemblée à honorer chaque soir de sa présence les réunions de la Société. En outre, il demandait une adresse aux paysans pour leur expliquer ce que c'était qu'un évêque constitutionnel. Plus que jamais, s'écriait-il, «on voit s'élever des orages au sein de la tranquillité ; chaque jour nos ennemis inventent de nouveaux stratagèmes pour accomplir leurs horribles projets. Convaincus de leur faiblesse, impuissants à l'aspect de nos armes, ils attaquent aujourd'hui les consciences. Arrêtez, messieurs, les effets dangereux de la séduction. Dégagés du choix d'un évêque, nous vous supplions de terminer vos travaux par une adresse aux gens de la campagne, qui les assure de la validité et de la stabilité de la nomination que vous allez faire. Lue au prône par des prêtres patriotes, elle tranquillisera les consciences troublées par le langage de l'erreur, de l'illusion et du fanatisme. Brisez, messieurs, brisez les chaînes que l'ancien despotisme se hâte de forger sous les dehors séduisants de la religion ; évitez, par vos sages précautions, le moment horrible que nos ennemis apprêtent pour faire égorger les citoyens, les frères, les amis. Opposez des vérités à l'erreur, les principes de la religion au fanatisme. Nous vous jurons que l'amour de la patrie sera toujours dans nos cœurs l'écueil et le désespoir des âmes lâches qui la trahissent.» Héard savait-il bien qu'au lieu de chaînes «forgées sous les dehors de la religion», se façonnait déjà le plus effroyable despotisme dont l'histoire ait enregistré le souvenir ? «Ce moment apprêté pour faire égorger les citoyens» allait être l'heure où ses amis massacreraient sans pitié ceux dont ils feignaient de craindre les complots chimériques.

Briault répondit à la députation que «la Société des Amis de la Constitution et les membres de cette auguste assemblée ne composaient que la même famille.» Il mit même un peu la Société au-dessus de «l'auguste assemblée». «Viendra, s'écriait-il en finissant, viendra un temps, où, le voile se déchirant, la vérité brillera dans tout son éclat, et dissipera les ombres et les nuages dont on cherche encore à l'envelopper. Un temps viendra, un temps où nos ennemis confus et abjurent leur erreur, se hâteront de faire connaître leur repentir. Heureux alors du bonheur général, nous n'aurons plus qu'à nous féliciter de nos efforts, à jouir tranquillement des fruits précieux de la liberté, et à chérir sans cesse ceux qui en ont posé les premiers fondements.»

L'optimise a du bon ; mais comme il est souvent ridicule ! En attendant, «l'auguste assemblée», image de l'Assemblée législative et de la Convention dominée par la Commune de Paris, décidait qu'obéissante aux vœux de la Société populaire, elle ferait une adresse aux citoyens, et qu'elle assisterait le soir à la séance (4). Alors il se passa un grave incident. Plusieurs paquets avaient été adressés à MM. les électeurs ; un entre autres contenait, datée de Saintes, le 28 février 1791, une lettre de l'abbé Taillet, vicaire général. Le président demanda «si l'intention de l'assemblée était de faire ouvrir ces paquets et d'entendre la lecture des pièces ou lettres qu'ils pouvaient contenir ou de les laisser fermés.» À la grande majorité, il fut décidé que tout serait lu. Il n'y eut pas de difficultés pour les huit premières lettres : c'étaient des électeurs qui s'excusaient de ne pouvoir se rendre aux réunions. La lettre de l'abbé Taillet était ainsi conçue :

«Messieurs, je croirais vous manquer si je ne vous faisais remettre deux lettres qui m'ont été adressées pour vous ; l'une est de monsieur de Saintes ; l'autre est de monsieur de La Rochelle. Je vous les envoie avec d'autant plus de confiance que je connais les sentiments dont ils sont pénétrés tous les deux. Leur intention expresse et formelle a été de ne rien écrire qui ne pût se concilier avec les respect qui vous est dû, messieurs, et avec l'amour de la paix dont tout bon citoyen doit faire profession surtout dans leur état. Je suis... TAILLET, v. g.»

Delacoste commença à lire la «lettre de M. l'évêque de Saintes à MM. les électeurs du département de la Charente-Inférieure», datée de Paris le 18 février 1791 (5). «Messieurs, disait le prélat, au moment où vous êtes assemblés pour élire un évêque, pourrais-je sans me rendre coupable aux yeux de Dieu, sans m'exposer aux reproches amers que vous me feriez un jour, ne pas chercher à vous éclairer sur l'importance de la démarche que vous allez faire, et sur les dangereuses conséquences qu'elle peut entraîner ? Mon silence vous deviendrait aussi funeste qu'à moi-même. Ministre de Jésus-Christ, successeur des Apôtres, aucun péril, aucun danger ne doit m'arrêter, quand il s'agit de vos intérêts les plus chers et les plus précieux.

«Devant répondre de votre salut au jour terrible du jugement, je ne dois négliger aucun des moyens que je crois propres à vous le procureur. Malheur à moi ! si, redoutant davantage la colère des hommes que celle de Dieu, devant lequel nous devons tous comparaître pour recevoir la récompense ou la punition des actions de notre vie, malheur à moi ! dis-je, si des considérations humaines m'engageaient à trahir mon ministère ! Non, messieurs, quand il s'agit de votre bonheur ou de votre malheur éternel, aucun sacrifice ne doit me coûter ; celui de ma vie même ne serait pas trop grand, si je pouvais, à ce prix, gagner une seule de vos âmes à Jésus-Christ.

«Un des devoirs du bon pasteur, disait ce divin maître à ses Apôtres est de donner sa vie pour son troupeau ; je voudrais donner la mienne pour vous, et j'espère que Dieu, sans le secours duquel nous ne pouvons rien, me donnera la force de la sacrifier, si cela est nécessaire à votre salut.

«Animé de ce saint zèle, je vais vous parler avec toute la fermeté que doivent m'inspirer, et le caractère auguste dont je suis revêtu, et la mission toute divine que j'ai à remplir auprès de vous.

«Je n'ai pas la même autorité, je le sais, sur tous ceux qui composent votre assemblée : tous ne font pas partie de mon troupeau ; je n'ai pas le droit de parler à tous comme évêque et comme premier pasteur ; la vérité ne doit pas pour cela rester captive sur mes lèvres, parce que la vérité étant une, elle doit également être écoutée de tous.

«Avez-vous le droit d'élire un évêque ? Si vous avez ce droit, devez-vous en élire pour un siège qui n'est pas vacant ? De quels maux affligeants votre élection deviendrait-elle la source et l'origine, si vous veniez à la consommer ?

«Telles sont, messieurs, les trois questions que vous devez vous proposer de procéder à cette élection ; de leur décision dépend effectivement la légitimité ou l'illégitimité de la démarche à laquelle on veut vous forcer. Il est de mon devoir de vous en démontrer les inconvénients et les suites. C'est ce que je vais entreprendre.»

C'était assez ; on réclame aussitôt. Quoi ! dans une aussi auguste assemblée quelqu'un ose faire «des déclamations contre la loi» ! Les oreilles délicates des pudibondes patriotes peuvent-elles entendre des principes inconstitutionnels !

Ils demandent qu'on s'arrête. Mais, répliquent d'autres, il y a un arrêté pris ; il faut tout lire. En quoi d'ailleurs «les principes invoqués par l'auteur de la lettre pouvaient-ils être dangereux ?» Tous «ne sont-ils pas prémunis contre tout ce qui attaquerait la loi ?» Un troisième avis consiste à renvoyer la lecture aux bureau ou à des commissaires. Enfin, après bien des débats sur la motion et les divers amendements, il est décidé, contrairement au premier arrêté, que la lecture de la lettre de Pierre-Louis de La Rochefoucauld serait interrompue. Ainsi se trahissait déjà cette impatience des assemblées à toute contradiction. Les foules ne sont pas moins irascibles que les individus. Et si elles viennent de parler bien haut de liberté, soyez sûrs qu'elles vont opprimer.

Il semble vraiment que les électeurs de Saintes obéissaient à un mot d'ordre. Un fait identique s'était passé, huit jours auparavant, à Beauvais, pour François-Joseph de La Rochefoucauld. Le 20 février, l'assemblée était réunie en l'église Saint-Pierre, pour procéder à l'élection d'un évêque. À l'ouverture de la séance, un électeur, Descourtils, dépose au nom de l'évêque un écrit dont la lecture est aussitôt demandée. Devait-on lire ? Une discussion très vive s'engage. On vote la lecture. Mais dès les premières lignes la réclamation de l'évêque soulève de violentes rumeurs, et l'on décide qu'elle sera déférée à la justice.

Que prêchait donc le doux pontife de si pernicieux ? Pierre-Louis prétendait que l'Église a seule l'autorité spirituelle, seule le droit de l'exercer, partant de choisir ses ministres ; qu'au point de vue historique, le suffrage du peuple existait, il est vrai, dans les premiers siècles, mais simplement comme témoignage du mérite des vertus, des lumières de l'aspirant aux fonctions épiscopales ; que c'étaient les évêques de la province qui choisissaient librement le candidat désigné par la voix publique ou un autre plus digne à leurs yeux ; qu'à présent, au contraire, le clergé n'était plus même consulté, comme clergé ; que ce n'étaient plus les seuls catholiques qui élisaient leurs évêques à eux, mais bien aussi les protestants et les juifs. Qui d'ailleurs avait accordé au peuple la nomination de ses pasteurs, en supposant que les évêques n'eussent eu que le pouvoir de confirmation ? L'Église assurément, non la puissance temporelle. Or, l'Église lui a ôté ce droit. L'État ne peut donc aujourd'hui le lui concéder. Il y aurait une confusion épouvantable du spirituel et du temporel. Donc les électeurs n'ont pas le droit d'élire un évêque. «Quand j'ai accepté le gouvernement du diocèse de Saintes, ajoute M. de La Rochefoucauld, j'ai contracté avec cette église une union spirituelle, dont les liens ne peuvent être rompus que par ma mort, une démission libre et volontaire acceptée par l'Église, qui m'a confié une partie des pouvoirs qu'elle tient de Jésus-Christ, ou par un jugement canonique qui me déclarerait indigne d'exercer mon ministère. Il n'est point intervenu de jugement ; je n'ai point donné ma démission ; vous devez donc toujours me regarder comme le légitime pasteur du diocèse ; vous ne devez donc pas me donner un successeur, quand je vous déclare formellement que mon intention, que mon désir est de consacrer mes jours à travailler à votre satisfaction. C'est mon devoir, c'est un devoir très cher à mon cœur ; je ne désire point me séparer de mon troupeau, et j'ose espérer que vous me rendrez encore assez de justice, pour, au moment même où vous entreprendriez de dissoudre l'union spirituelle qui m'a conféré le titre glorieux de votre père en Dieu, avouer que, depuis l'instant que je vous ai adoptés, vous avez été le plus tendre et le plus cher objet de mes sollicitudes.

«Pourquoi donc voudriez-vous vous séparer de moi ? Quel crime ai-je commis, pour mériter de perdre la confiance que vous m'avez toujours témoignée, et que j'ai toujours été si jaloux de conserver ?

«Serait-ce parce que je me suis refusé de prêter un serment auquel la religion et la conscience me défendaient de souscrire ? Un serment si contraire à celui que j'ai prononcé en recevant l'onction sainte, qui m'a conféré la plénitude du sacerdoce, et m'a rendu dépositaire de l'autorité que Jésus-Christ a laissée à ses Apôtres et à leurs successeurs légitimes ?

«Ah ! messieurs, que ne puis-je vous peindre la cruelle alternative où je me suis trouvé, lorsqu'on a exigé de moi ce serment ! Placé entre la crainte de me rendre criminel aux yeux du souverain juge, et celle de me voir exposé à être regardé comme ennemi des lois, et peut-être comme perturbateur du repos public, quels violents combats n'ai-je pas eu à soutenir ! Avec la grâce de Dieu, j'en suis sorti victorieux ; et je n'aurai pas à me reprocher toute ma vie, et encore au moment où nous comparaîtrons tous devant ce tribunal terrible où toutes mes actions seront pesées et discutées par le juste des justes, d'avoir préféré des avantages et des biens fragiles et temporels, aux récompenses éternelles qui sont promises à ceux qui ne se seront pas écartés des voies de la justice.

«Et voyez les conséquences du vote. Il y aura deux pasteurs. Si le vrai est abandonné, si le schisme désole l'Église, ce sera la faute des électeurs. Quelle terrible responsabilité ils encourent ! Ma mission est la véritable, je la tiens de Jésus-Christ même ; elle m'a été transmise par l'Église, comme il l'avait transmise lui-même à ses Apôtres ; elle seule peut m'en dépouiller et dissoudre les liens de l'union spirituelle qui m'attachent à mon siège.

«Vainement prétendriez-vous que l'autorité civile vous a donné le droit de me l'enlever ? Incompétente pour me la donner, elle l'est également pour m'en priver. L'autorité dont j'ai été revêtu, lorsque j'ai été appelé au gouvernement de mon diocèse, est une autorité toute spirituelle, et l'Assemblée nationale a souvent répété que son intention n'avait jamais été d'entreprendre sur le spirituel. On objecte que la démission est présumée par le refus de serment. Or, le titulaire affirme qu'il n'entend pas être démissionnaire ; et l'on ne peut le déposséder que par un jugement préalable et un jugement canonique. Il n'y a pas dans l'histoire un seul cas semblable. L'indignité ne se suppose pas.

«Ah ! messieurs, je vous en conjure au nom de la patrie, au nom de la religion, qui est ce que vous devez avoir de plus cher, puisqu'elle seule peut vous procurer des biens éternels, renoncez à un projet qui vous laisserait des remords bien cruels et bien déchirants ; n'entreprenez pas de séparer ce que Dieu même a uni ; ne jetez pas le trouble et l'alarme dans toutes les consciences ; ne déchirez pas de la manière la plus cruelle et la plus effrayante pour vous, le sein de cette tendre mère, qui vous a enfantés à Jésus-Christ, et vous a donné des droits à son héritage ; qu'elle n'ait jamais à vous reprocher de n'avoir pas été dociles à la voix de celui qui a toute l'autorité pour vous parler en son nom.

«Puissent les réflexions que j'ai cru devoir vous soumettre, messieurs, faire une impression vive et forte sur vos cœurs. Recevez-les comme une nouvelle preuve de mon zèle, de ma tendre et vigilante sollicitude pour le salut des âmes, qui doit m'occuper dans tous les instants de ma vie, parce que, lorsque j'y penserai le moins, Dieu me demandera compte de toutes celles qu'il a daigné dans sa miséricorde confier à mes soins.»

Un tel langage si modéré, si affectueux, si patriotique et si sage, méritait bien une punition. Les deux évêques étaient certainement coupables. Au seul point de vue matériel, l'un perdait 20000 livres et l'autre 64000 livres de revenus, dont, du reste, ils savaient bien user, puisque Charles de Coucy seul, dans les années 1790 et 1791, avait distribué 100000 livres aux pauvres. Et ils avaient l'audace de se plaindre ! Les gens ainsi dépouillés n'ont qu'à s'incliner et à bénir.

Donc, le président fut «chargé de déposer les deux lettres, de lui et du secrétaire paraphées au pied de toutes les pages, entre les mains de l'accusateur public» — c'était Héard, l'orateur de la Société populaire, — et de les lui dénoncer comme écrits incendiaires et ayant pour objet de porter le trouble dans l'assemblée et contenant des déclarations contraires à la Constitution et à la loi.»

Nous n'avons pu retrouver la lettre de l'évêque de La Rochelle, et nous aurons souvent un regret semblable à exprimer. Il eût été important cependant de voir dans le texte même le degré de perversité et de juger si les électeurs, au langage si vif tout à l'heure, ne faisaient pas preuve d'une pruderie excessive. Ce que nous en savons, et c'est la dénonciation (19 avril 1791) du directoire du département à l'Assemblée nationale qui nous l'apprend, c'est que ces deux prélats déclaraient à l'assemblée électorale son incompétence pour le choix d'un évêque et leurs protestations contre tout ce qu'elle ferait. Aucune puissance temporelle ne lui avait donné le droit d'élire un pasteur des âmes ; et malgré elle, ils seraient les seuls légitimes évêques de Saintes et de La Rochelle.

Jean-Charles de Coucy n'eut pas un meilleur sort que La Rochefoucauld devant le conseil électoral. On avait réglé qu'on lirait «la signature et quelque passage pour pouvoir prononcer sur la qualité prise par l'auteur et sur ses principes». Le secrétaire lut donc : «Charles de Coucy, évêque de La Rochelle». Or, ce titre parut certainement inconstitutionnel. Il n'y avait plus d'évêque de La Rochelle ; il n'y avait plus d'évêque de Saintes, puisqu'à la place de ces deux prélats, Charles de Coucy et Pierre-Louis de La Rochefoucauld, on allait élire Isaac Robinet. Malgré lois et décrets, malgré l'effroi causé par ce titre hérétique à l'orthodoxe et «auguste assemblée» de Saintes, Charles de Coucy continua à s'appeler «évêque de La Rochelle». Et même quand, en 1801, il eut refusé sa démission que lui demandait le pape, — il ne la donna qu'en 1815, et fut nommé archevêque de Reims, — il n'en continua pas moins à s'appeler évêque de La Rochelle comme avant le décret de l'Assemblée nationale et après le vote des électeurs, ses diocésains (6).

L'incident terminé, on songea sérieusement au choix de l'évêque. Les compétiteurs étaient nombreux. Il y avait le curé de Virollet, Jean Vaderquand, qui aurait bien voulu échanger sa portion congrue de 1200 livres contre les 12000 livres d'évêque. On en fit un curé de Gemozac, où il épousa sa servante. Il y avait Pierre-Joseph Leroy, prêtre de l'Oratoire, et curé de Saint-Sauveur, à La Rochelle. Au premier tour de scrutin, il obtint le plus de voix (61 sur 381), et échoua au deuxième. De retour à La Rochelle, il voulut se consoler de l'épiscopat par le mariage. Mais le jour même de ses noces, après la cérémonie, douleur, remords, émotion, il mourut subitement. Un troisième concurrent était François «Duc, curé du Seure, électeur du district de Saintes, procureur de la commune de sa paroisse, président d'une des sections de l'assemblée du canton d'Écoyeux», dit Bourignon dans le Journal patriotique de Saintes. Depuis quelque temps déjà il préparait sa candidature. Dans le numéro «du dimanche 26 décembre 1790, deuxième éleuthérie», il adressait au notaire André «Godet, juge de paix du canton d'Écoyeux (7)», des vers dont voici les dernières stances :

Que le sceptre du despotisme
Brisé par le patriotisme
Soit l'épouvantail des tyrans !
Tu soutiendras avec courage
L'immortel et sublime ouvrage
De nos sages représentants.

O saint Paix ! divine Astrée !
Pourquoi rester dans l'Empyrée ?
Viens habiter chez les Français !
Et que la discorde rugisse,
En apprenant pour son supplice
Que GODET EST JUGE DE PAIX !

C'est avec ces sentiments et cette poésie que Duc, religieux de Chancelade, né à Périgueux le 10 avril 1741, prétendait déposséder La Rochefoucauld. Il est vrai qu'il avait pour lui la feuille locale qui éditait ses couplets. Du reste, d'autres preuves de civisme militaient en sa faveur. Le 3 novembre, la garde nationale du Seure avait voulu aussi avoir son service en l'honneur des victimes de Nancy. Duc s'empressa de chanter une messe solennelle ; et dans «un discours analogue à la cérémonie», il avait montré l'obligation étroite pour tout bon citoyen «de maintenir au prix de son sang et de sa vie la nouvelle Constitution qui doit assurer le bonheur des Français en les faisant jouir de la liberté sous l'empire de la loi».

Bourignon l'appuyait chaudement. Il était, selon lui, «recommandable par ses efforts généreux et patriotiques pour soutenir dans sa paroisse, voisine de Migron, la tranquillité et l'amour des lois». Par-dessus tout, il joignait à ces qualités celle «de souscripteur du Journal patriotique de Saintes». Eh bien ! en dépit de tous ses titres, malgré ses propres efforts, malgré Godet, Bourignon et ses vers, le curé-poète du Seure n'eut qu'un très petit nombre de voix. Il abjura la prêtrise et fut commissaire de sa commune. «Des personnes qui disoient le bien connaître, écrit l'abbé Taillet, l'accusoient d'être sans aucun principe. Il ne l'a que trop montré dès que la Révolution s'est déclarée. Il a applaudi à tous les coups qu'on a portés au clergé, à l'Église, à la religion ; il a déclamé hautement contre le pape et les évêques, comme l'eussent Luther et Calvin. Non seulement il a quitté son habit ; non seulement il s'est fait jureur ; mais il en a fait tomber plusieurs dans le piège. Il espéroit et désiroit s'asseoir sur la chair pontificale ; heureusement son ambition a été déçue. Du caractère dont il est qui sçait combien de crimes il eût pu conseiller et faire commettre !»

Un autre qui aurait bien ceint la mitre électorale était Joseph-Jean Mestadier, curé de Breuille (1776), archiprêtré de Saint-Jean d'Angély. Il espérait que les suffrages se porteraient sur lui. Espoir frivole. Mais les électeurs des Deux-Sèvres furent moins difficiles, et pour cause ; ils ne trouvaient pas de prêtre disposé à accepter la crosse de leurs mains. Jacques Jallet (8) avait refusé l'évêché des Deux-Sèvres. Le 13 mars 1791, les électeurs fort embarrassés avaient, après deux scrutins sans résultats, choisi un membre du chapitre de Ménigoute, maire de sa commune, peu connu mais honnête, Charles Prieur, qui fut en 1837 grand vicaire de l'évêque d'Angers, Charles Montault, ancien évêque constitutionnel de la Vienne. Prieur, surpris, avait accepté ; un mois après, plein de regrets, il donnait sa démission. Rassemblé pour la troisième fois, le 8 mai, le corps électoral, par 97 voix sur 193 votants, choisit, contre le savant François-Joseph Frigard, professeur des belles lettres à l'Oratoire de Niort, «ardent patriote, partisan avoué de la Constitution civile de clergé, ambitieux et entreprenant» (9), qui n'eut que 29 voix, le curé de Saint-Léger de Breuille. Et Mestadier, qui prit pour un de ses douze vicaires épiscopaux Castagnary, prêtre du diocèse de Saintes, se consola sur le nouveau siège de Saint-Maixent, de n'avoir pu remplacer Pierre-Louis de La Rochefoucauld sur celui de Saintes. En 1799, il affirmait encore qu'il n'avait rétracté aucun de ses serments civiques. Puis il traîne d'école en école sa misérable existence. Il est mort notaire et instructeur de la jeunesse à Coulon, près de Niort, le 3 octobre 1803, âgé de 65 ans (10).

Le 28, à deux heures, eut lieu une seconde réunion dans les bureaux, et à 4 heures une séance générale. Sur 381 voix, Leroy, curé de Saint-Sauveur, en avait obtenu 61 ; Robinet, curé de Saint-Savinien-du-Port, arrondissement de Saint-Jean d'Angély, 56. Il en fallait 191 au moins. C'était à recommencer. Mais avant cette nouvelle opération, René Briault prévint les électeurs que leurs suffrages ne pouvaient plus être donnés qu'à l'un de ces deux concurrents. Au scrutin de ballottage, Robinet eut 212 voix, Leroy 157. Douze voix furent perdues. En conséquence, le président proclama évêque du département de la Charente-Inférieure, M. Isaac-Étienne Robinet. Des applaudissements saluèrent ce choix. La municipalité voulut conserver la mémoire de ce grand événement. Elle en consigna, le 1er mars, le récit dans ses annales, «pour, y est-il dit, laisser à la postérité un monument mémorable des élections populaires qui justifie le droit des peuples aux nominations des places confiées aux bontés de l'Assemblée nationale» (11).

Isaac-Étienne Robinet était né à Saint-Jean d'Angély, le 28 novembre 1731, d'une honorable famille bourgeoise (12). En 1777, il avait été par l'abbé de Bassac, Green de Saint-Marsault, évêque in partibus de Pergame, nommé curé de Saint-Savinien-du-Port en l'archiprêtré de Taillebourg. C'était, dit l'abbé Briand (13), un «homme aussi dépourvu de la véritable science qu'il était dénué de toute élévation d'âme, prêtre plus bassement pusillanime que profondément pervers». Et Pierre Rainguet ajoute (14) : «Il avait un caractère sans énergie, des mœurs paisibles, était homme d'assez d'esprit, d'un savoir ordinaire, de bonne société, et se faisait aimer de ses paroissiens sans distinction de parti et de religion.» Thomas-Joseph Bonnerot le dit «homo simplex ac bonus sed mollis ; suorum manceps et victima». Ce jugement est pleinement confirmé par l'abbé Taillet (15) : «Caractère faible et mou, incapable de se plaire dans le trouble.» Robinet était ce qu'on appelle un bon homme ; sans défauts, sans vertus, il avait tout ce qu'il fallait pour plaire à une assemblée d'électeurs. Ses talents n'offusquaient point leur génie, et ses vertus, honnêtes et modérées, n'étaient pas pour effaroucher leur piété assez paisible. À hommes médiocres, chef plus médiocre. On dit que Robinet comprit pourtant où il se laissait entraîner. «Vous me faites faire un faux pas, répétait-il, qui me coûtera la vie.» Le faux pas lui coûta plus que la vie ; il lui coûta l'honneur.

À Beauvais le corps électoral choisit, le 22 février 1791, pour évêque Jean-Baptiste Massieu. Né à Pontoise, le 17 septembre 1743, il avait été précepteur des Lameth ; il était curé de Cergy, près de Pontoise, connu par une traduction des Œuvres de Lucien, lorsqu'il fut élu, le 21 mars 1787, député du Clergé du bailliage de Senlis aux États généraux. Un des premiers il s'était réuni au Tiers, siégeait à la gauche de l'Assemblée dont il fut secrétaire (22 décembre) et avait prêté le serment. Au troisième tour de scrutin, il fut nommé évêque contre M. de Comeiras, grand archidiacre du Beauvoisis. Massieu accourt aussitôt de Paris ; le 23, il est introduit dans la salle du directoire du département ; Stanislas de Girardin, qui préside, lui annonce le résultat de l'élection ; on se rend à l'église. Massieu monte au jubé avec plusieurs électeurs et Girardin. Chant du Te Deum. De là on va à l'hôtel de ville ; en l'absence du maire, Dutron, officier municipal, harangue le nouveau prélat, qui dut être peu flatté du discours : «Monsieur, la commune de Beauvais se félicite d'être la première à présenter son hommage au nouvel évêque du département de l'Oise. Mais permettez qu'à ses félicitations se mêlant quelques expressions de regrets pour le prélat qui gouvernait ce diocèse. Sur le siège où la voix du peuple vous appelle, il a constamment honoré l'humanité par ses vertus ; il l'a consolée par ses largesses, et l'on peut dire de lui, comme de notre divin maître, qu'il a marqué tous ses pas par des bienfaits. Ces sentiments ne sauraient vous déplaire ; si nous étions incapables de reconnaissance, pourriez-vous être jaloux de notre amour ? On ne veut être aimé que de ceux qu'on estime, et votre plus beau triomphe sera de le remplacer dans nos cœurs. Il aimait la religion, il aimait les mœurs. Vous les ferez fleurir...»

Massieu répondit à l'antienne : «Je ne peux qu'applaudir au sentiment noble et louable qui vous inspire de justes regrets pour un prélat dont les vertus me sont connues comme à vous et auxquelles je rends hommage avec vous. Ah ! s'il avait été soumis aux lois, si ce prélat que vous regrettez eût couronné les vertus de son état par un patriotisme aussi pur, je ne m'affligerais pas en ce moment de succéder à un homme vivant, à un homme riche et bienfaisant, et surtout à un homme vertueux.» Regrets hypocrites !

Massieu se fit sacrer à Paris et prit possession le 20 mars. Élu député à la Convention le troisième sur 12 par 315 voix sur 627 votants, dans le procès du roi, il ne voulut pas, dit-il, «par son suffrage contribuer à prolonger l'existence du plus cruel ennemi de la justice, des lois de l'humanité ; je vote pour la mort.» Il renonça à ses fonctions ecclésiastiques, et épousa la fille du maire de Givet. Envoyé en mission dans les Ardennes, puis dans la Marne, il commit tant de crimes qu'il fut, après Thermidor [les 27 et 28 juillet 1794], dénoncé par André Dumont, décrété d'accusation, puis amnistié. Exilé en 1816, il mourut à Bruxelles, le 6 juin 1818, âgé de 75 ans. Voilà l'homme que le suffrage universel mettait à place du prélat dont tout le monde, et lui-même, ne pouvaient en le mettant à la porte s'empêcher de faire l'éloge, et qui avait «constamment honoré l'humanité par ses vertus, consolé par ses largesses» et «marqué tous ses pas par des bienfaits».

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[Notes de bas de page.]

1.  Les secrétaires adjointes étaient : Jean-François Lauranceau, né à Pons le 5 mai 1752, avocat, depuis député au Conseil des Cinq-Cents, mort à Pons le 11 mai 1833 ; Jean-Baptiste Thénard-Dumousseau, né Montguyon le 24 janvier 1762, avocat, depuis député au Conseil des Cinq-Cents et au corps législatif, sous-préfet de Jonzac, où il mourut en 1846 ; Gervaud ; Gabriel-Jacques-Constantin Croiszetière, de La Rochelle, avocat à Rochefort, déporté à Brouage, auteur des Poésies morales et philosophiques, ou Pensées remarquables, choisies et mises en vers (Paris, Louis, 1801) ; et Bernard des Jeuzines, avocat à Saintes. Et les scrutateurs étaient : Pierre-André Hébre de Saint-Clément, négociant à Rochefort ; Pierre-Élie Garreau, né à La Rochelle le 2 septembre 1766, avocat à Marennes, depuis baron Garreau ; et Maurice Binet, avocat à Saint-Jean d'Angély.

On ne peut s'empêcher de remarquer le nombre considérable d'avocats qui figurent dans ces assemblées. Les voilà à notre connaissance sept ou huit sur les neuf membres du bureau. Aux États généraux ils étaient 272 sur 1118, le quart de l'Assemblée. C'est beaucoup ; ne serait-ce pas un peu trop ?

2.  Eugène Eschassériaux, Les Assemblées électorales de la Charente-Inférieure (Niort, Clouzot, 1868 ; p. 38).

3.  Pierre-François Héard, né à Saintes le 2 avril 1748, était fils de Michel Héard, avocat en la Cour, et de Marie Mareschal. Il devint député au Conseil des Cinq-Cents et, plus tard, accusateur public et juge au tribunal d'appel de Poitiers ; il mourut le 5 décembre 1814 dans sa propriété du Taillis, commune de Chaniers, où il s'était retiré en 1811. Voir Louis Audiat, Études, documents et extraits relatifs à la ville de Saintes, par M. le Bon Eschassériaux,... (Saintes, Orliaguet, 1876 ; p. 169).

4.  «On est, disait Antoine de Rivarol (1753-1801), un peu scandalisé de voir dans tous les journaux français qu'une nation aussi polie que la nôtre se traite elle-même de première nation du monde, qu'elle appelle son Assemblée nationale la plus auguste assemblée de l'univers.» Les assemblées de districts étaient aussi très augustes.

5.  Pierre-Louis de La Rochefoucauld, Lettre de M. l'Évêque de Saintes à MM. les électeurs du département de la Charente-Inférieure (Paris, Crapart, 1791).

6.  Jean-Charles de Coucy quitta La Rochelle en juillet 1791 (6a), suivi de quelques chanoines. Le 27, il adressait à ses diocésains «une lettre pastorale, dit Léopold Delayant, Histoire des Rochelais (La Rochelle, Siret, 1870 ; tome II, p. 216), très grave, très modérée, où il montre à chaque ligne sa douleur d'être séparé d'une église à laquelle il avait voué sa vie, mais où perce à peine la plainte.» Réfugié en Espagne, il refusa de reconnaître le Concordat de 1801 et fut un des chefs de la Petite Église, avec Alexandre de Thémines de Lauzières, évêque de Blois. J'ai publié plusieurs lettres inédites de lui sur le schisme ; voir Louis Audiat, Une Histoire de la Petite église (Vannes, Lafoyle, 1895). Nommé en 1817 à l'archevêché de Reims, dont il ne prit possession que quatre ans après créé pair de France le 31 octobre, il y mourut le 8 mars 1824, âgé de 78 ans.

6a. [Note de l'éditeur.  Cela doit être une erreur involontaire, sûrement ? Alors, Première Lettre de M. l'évêque de La Rochelle aux religieuses et aux communautés séculières de son diocèse. (s. l. n. d.), 26 avril 1791, la Bibliothèque nationale de France, Notice n° FRBNF36340703 ; Seconde Lettre... (s. l. n. d.), 24 décembre 1791, FRBNF36340957 ; Troisième Lettre... (Paris, Crapart, s. d.), 18 avril 1792, FRBNF36341067. Quoi qu'il en soit, voici la transcription de cette première lettre d'Espagne en français actuel :

PREMIÈRE LETTRE
DE M. L'ÉVÊQUE
DE LA ROCHELLE,
Aux Religieuses et aux Communautés séculières de son Diocèse.

«Si des circonstances rigoureuses m'ont forcé à m'éloigner, MES TRÈS CHÈRES FILLES, vous devez être persuadées que je n'en ai partagé que plus vivement tous les événements qui se sont succédés depuis cette époque si pénible pour un père qui vous est dévoué. Ah ! je n'oublierai jamais que vos vertus, votre courage, votre piété et votre sainte résignation à la volonté du Tout-puissant, faisaient ma consolation au milieu des douleurs et des amertumes dont mon âme était abreuvée à la vue des maux de l'Église, de la désolation du sanctuaire et de la persécution ouverte contre les fidèles et les pasteurs. Dieu connaît tout ce que j'ai eu à souffrir dans cette cruelle séparation, et il a fallu l'espoir d'adoucir par mon éloignement les rigueurs de la persécution sur le troupeau fidèle, pour m'y déterminer. J'ai gémi devant Dieu des privations et des sacrifices que la force et la violence ont exigé de vous depuis mon départ ; mais ma douleur a été à son comble lorsque j'ai appris que votre foi allait être mis à une nouvelle épreuve et que le faux pasteur, transformé en ange de paix, devait se présenter dans vos saints asiles. Au moment où je vous écris, il a sans doute paru au milieu de mon peuple dans tout l'appareil de la pompe du siècle et environné de la force publique. Le malheureux ! il a consommé par cette démarche impie le crime de son intrusion sacrilège : nouvel Héliodore¹, il a profané le temple saint, il a déchiré la robe de Jésus-Christ, il a envahi la chaire des Hilaire et des Eutrope, et les cris de la fureur et de l'impiété ont accompagné son triomphe. Pardonnez-lui, ô mon Dieu ! faites par votre grâce que les vœux des fidèles, les gémissements des saints pasteurs, les exemples de vertu et du généreux dévouement dont il aura été témoin touchent son cœur, fassent entrer les remords dans son âme, et le rappellent dans le sein de votre Église, ainsi que ceux qu'il a entraînés dans sa chute. Si mon sang et ma vie peuvent apaiser la colère du Tout-puissant, dont le doigt est si visiblement marqué dans les tristes évènements dont nous sommes témoins, ah ! il saut que je lui en ai offert le sacrifice, trop heureux d'expier mes fautes personnelles et celles de tout un peuple qui m'est et me sera toujours bien cher. Vous vous êtes réunies, M. T. C. F., pour adresser des vœux au Père des miséricordes ; ne vous découragez pas, c'est lui seul qui, jusqu'à présent, vous a revêtues de la force d'en haut, et c'est encore lui qui vous soutiendra dans les nouvelles privations et les nouveaux sacrifices qu'il exigera peut-être de vous. Solidement établies dans la foi de l'Église catholique, apostolique et romaine, fermes dans l'espérance qui est le soutien des âmes fidèles dans les circonstances les plus pénibles, embrasées du feu sacré de la charité qui nous unit si intiment à Jésus-Christ notre chef, notre modèle et l'époux des vierges chrétiennes ; oui, j'espère que sa grâce vous aura soutenues, et au sein de l'affliction, j'aurai des actions de grâce à rendre à mon Dieu pour le glorieux témoignage que vous lui avez rendu. Heureux, dit le Sauveur, ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux est à eux. Vous êtes heureux lorsque les hommes vous chargeront de malédictions, qu'ils vous vous persécuteront et qu'ils diront faussement du mal contre vous à cause de moi. Réjouissez-vous et tressaillez de joie, parce qu'une grande récompense vous est réservée dans le ciel. Pénétrez-vous toujours de ces vérités, M. T. C. F., et vous connaîtrez que la persécution éprouve et perfectionne la vertu ; qu'elle remplit des joies de l'Esprit-Saint, et qu'elle nous assure un poids immense de gloire. Voyez le Grand Apôtre, sa vie n'a été qu'un enchaînent de travaux, de persécutions, de prisons et de morts, et cependant il s'écriait qu'il était rempli de consolation et de joie dans le sein des tribulations ; c'est la voie par laquelle ont marché tous les élus. Ou souffrir ou mourir, disait la sainte réformatrice du Carmel². Et, en effet, ces croix, ces amertumes si sensibles, que sont-elles dans les vues de la Providence ? Des moyens de salut. Considérez encore comme elle fait tourner à sa gloire la rage même et la folie aveugle et insensée des persécuteurs. La corruption du cœur et de l'esprit était portée à son comble ; l'impie avait dit dans son cœur : il n'y a pas de Dieu, le monde ne croyait plus à la vertu. Le glaive de la persécution a été tiré sur ce royaume qui ne paraissait plus chrétien que de nom, et tout à coup, quelle prodigieuse nuée de témoins a rappelé les beaux jours du christianisme ! L'épiscopat et le sacerdoce ont eu leurs Hilaires, leurs Athanases, et combien l'Église de La Rochelle a à se glorifier dans les vertus, le courage et la foi de ses pasteurs ! Les saintes asiles de l'innocence ont rappelé la fermeté héroïques des vierges d'Alexandrie, tous les états de la société ont présenté le plus touchant spectacle, et la religion triomphe au milieu des efforts de l'impiété pour l'anéantir. Ainsi se vérifie cette belle parole de Tertullien³ aux persécuteurs de son temps, moins cruels et moins barbares que ceux du siècle présent, puisqu'ils n'avaient pas été élevés dans le sein le sein de l'Église. Mettez-nous à la torture, leur disait-il, crucifiez-nous, condamnez-nous, frappez-nous : ce sont autant de preuves de notre innocence et de votre scélératesse. Votre cruauté ne vous servira pas ; au contraire, elle sera pour nous un nouvel attrait ; toutes les fois que vous nous moissonnez nous devenons plus nombreux ; le sang des Chrétiens est une semence féconde qui fait germer les élus de Dieu.

«Plaignons donc ces malheureux persécuteurs, ils n'ont que les temps pour nous éprouver ; mais Dieu aura l'éternité pour les punir. Le jour du Seigneur viendra, et alors tout rentrera dans l'ordre, le fond des cœurs sera connu, le mensonge fuira et le faux jour des illusions étant dissipé, ils connaîtront toute l'étendue du mal qu'ils ont commis. Ils sont donc bien plus à plaindre que nous, qui sommes leurs victimes ! Ne cessons de prier pour leur conversion ; malgré eux-mêmes ils sont toujours mes enfants, ils sont une portion de mon peuple, ils sont au nombre des brebis dont le Seigneur m'a confié le soin. Je le sens à ma tendresse et à mes sentiments pour eux. Dans l'exil, dans les fers, dans les prisons, sur l'échafaud même où ils me conduisaient dans leur aveuglement je les aimerais encore, et mon dernier soupir serait pour obtenir de Dieu que le bandeau de l'impiété se déchire, et qu'ils rendent hommage à la foi de l'Église catholique, apostolique et romaine, hors de laquelle il n'y a pas de salut.

«J'ai célébré hier la messe de saint Louis, patron de mon église et de mon diocèse, dans une communauté respectable et bien sainte de cette ville. J'y ai vu des vierges édifiantes, vivant dans toute la régularité d'un ordre très austère. J'ai parlé de mes chères filles, de leur courage, de leurs vertus, de la pureté et de la vivacité de leur foi. Je les ai recommandées aux prières de leurs sœurs, et dans cet heureux pays, où la religion est pratiquée et généralement respectée, il va s'établir une union de prières et de communions ferventes, pour attirer sur vous toutes les grâces et les bénédictions du ciel ; c'est aussi mon vœu de tous les instants. Réunissons-nous en esprit aux pieds de la Croix et dans les plaies du Sauveur ; c'est-là notre refuge, notre asile assuré et la source des consolations spirituelles. Ne m'oubliez pas dans vos prières, M. T. C. F., et rendez toujours justice aux sentiments d'attachement, de vénération et de respect avec lesquels je suis en notre Seigneur Jésus-Christ,

«Votre très humble et très affectionné père, JEAN-CHARLES, Évêque de La Rochelle.

«Donné à Pampelune, le 26 avril 1791.»

¹ Héliodore fut l'un des généraux de l'Antiochus le Grand, roi de Syrie vers 200 avant J.-C. À l'ordre du roi, il fut envoyé de s'emparer le trésor du temple juif : pourtant, lorsque il entra dans le Saint des Saints, la puissance divine se manifesta — un chevalier mystérieux, portant des armes étincelantes, tomba sur lui en force et le laissa à demi mort sur le sol de pierre du temple. ² Teresa Sánchez Cepeda Dávila y Ahumada, dit Thérèse d'Avila, la réformatrice de l'ordre du Carmel, naquit en Avila le 28 mars 1515, entra au monastère des Carmélites d'Avila à vingt ans ; de 1562 à 1582 elle fonda dix-sept monastères de Carmélites ; elle mourut à Alba de Tormes, le 15 octobre 1582. ³ Quintus Septimius Florens Tertullian, néaquit près de Carthage vers 155 avant J.-C., est considéré comme le premier grand théologien et moraliste chrétien.]

7.  André Godet, «licencié ès lois, notaire et juge des juridictions de Brisambourg, Saint-Hilaire, Le Douhet et Vénérand», fut père de Cosme-Pierre Godet, procureur au sénéchal de Saintes, qui eut de Jacquette-Julie Robin, un fils, Cosme-Pierre, baptisé le 15 novembre 1785 à Saint-Pierre. Le 1er février 1780, en l'église d'Auton, Pierre-André Godet de la paroisse d'Écoyeux épousa Marie Douhé, de la paroisse de Montchaude, depuis onze mois en celle d'Auton.

8.  Jacques Jallet, né à La Mothe Saint-Héray le 13 décembre 1732, fut curé de Cherigné et député aux États généraux. Le 29 décembre 1790, il avait été élu évêque au second tour par 123 voix ; il en avait obtenu 94 au premier tour (où 15 voix avaient été données à Charles de Coucy, évêque de La Rochelle). Il mourut d'apoplexie à Paris le 14 août 1791 ; on lui a élevé un monument à La Mothe Saint-Héray en 1884.

9.  [Note de l'éditeur.  En 1797, François-Joseph Frigard (1746-1816) devint le premier organisateur de la Bibliothèque-Médiathèque de la Communauté d'agglomération de Niort.]

10. L'abbé Taillet, L'Église de Saintes depuis 1789 jusqu'à la fin de 1796, dit : «Métadier comme M. Robinet est né à Saint-Jean d'Angély, et comme lui est parvenu à l'épiscopat constitutionnel. Il a acheté cette avilissante élévation par des déclamations incendiaires contre les nobles, contre le roi et l'Église. Il étoit, depuis nombre d'années, curé d'une petite paroisse. Dès que la mitre a brillé à ses yeux, que n'eût-il pas fait pour l'obtenir ? Jamais sa conscience ne l'a arrêté et moins encore les lois ecclésiastiques, qu'il respectoit peu, notamment la loi du célibat des prêtres. A peine évêque, sa fureur a augmenté sensiblement. Il a donné des mandements pleins du plus âcre venin et de l'irréligion la moins déguisée. Selon lui il ne faut point de pape : chaque évêque est pape dans son diocèse. Selon lui, il faut persécuteur à outrance et les nobles, et les prêtres, et les curés fidèles. On ne peut pas accuser celui-là d'hypocrisie, mais d'une certaine atrocité d'âme qui heureusement se trouve chez peu d'individus. S'il eût pu disposer d'agents aussi pervers que lui, il eût fait couler bien du sang dans son évêché, et ce sang eût été celui de tous les gens de bien.»

11.

ÉLECTION DE ROBINET, ÉVEQUE DE LA CHARENTE-INFÉRIEURE.
Procès-verbal de la municipalité de Saintes.

«MM. les électeurs du département de la Charente-Inférieure, invités par M. le procureur général syndic du département, résidant dans cette ville, s'y étant rendus, samedy dernier, 26 du mois de février aussi dernier, se seraient assemblées, le lendemain 27, dans l'église de Saint-Pierre et autres endroits désignés pour établir leurs bureaux, aux fins de procéder à la nomination d'un nouvel évêque pour le département, d'autant que M. de La Rochefoucauld, qui l'était précédemment, n'a tenu aucun compte de satisfaire aux disposition du décret de l'Assemblée nationale qui lui enjoignait de prêter serment de fidélité dans l'instruction de son peuple, d'obéissance à la nation, à la loi et au roy, et de maintenir de tout son pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roy, dans le délai fixé par le décret du 27 novembre 1790, sanctionné, le 26 décembre suivant, par le roy ; et mes dits sieurs les électeurs n'ayant pu se concilier sur le choix à faire d'un nouvel évêque pour tout le jour de dimanche 27 février, ils auraient continué leur opération par la voie du scrutin. Lequel mis trois fois en usage, le lundi 28 du dit mois, environ les quatre heures après midy, l'assemblée serait parvenue à nommer et choisir pour évêque la personne de M. Robinet, prêtre, curé de la paroisse de Saint-Savinien ; ce que M. Jouneau et deux autres électeurs étant venus annoncer aux officiers municipaux, et les ayant invités de rendre cette cérémonie la plus solennelle qu'il serait possible, ils auraient de suite ordonné qu'on sonnerait de volée les cloches des églises paroissiales et autres de la présente ville, ce qui a été exécuté. Ensuite MM. du département ayant bien voulu prêter les quatre pièces de canon placées dans leur hôtel, elles furent conduites sur la place de Bellair, où il en fut tiré neuf coups. Le lendemain matin, 1er mars, M. le président de l'assemblée électorale, s'étant transporté chez M. le maire et ne l'ayant pas trouvé, se rendit chez M. Gout, premier officier municipal, auquel il dit qu'il était chargé par MM. les électeurs d'inviter la municipalité d'assister à la messe qu'ils se proposaient de faire célébrer dans l'église de Saint-Pierre, le même jour, à onze heures du matin, en le priant de requérir MM. les officiers d'Agénois et ceux de la troupe nationale de cette ville de vouloir bien se rendre à cette cérémonie ; à quoi les officiers municipaux ayant déféré, ils se transportèrent, environ les onze heures du matin dans la dite église de Saint-Pierre où ils assistèrent, ainsi que les troupes de la ligne et de la nation, à une messe basse célébrée par M. Lay, curé de Courcoury ; pendant laquelle il fut exécuté de la musique vocale et instrumentale ; et à la fin d'y celle fut chanté un Te Deum, répété à la fin de chaque verset par l'orgue de l'église ; après quoi une salve de neuf coups de canon sur la place de Bellair. De tout quoi a été dressé le présent procès-verbal pour valoir et servir ce que de raison, ce jour premier du mois de mars 1791. Et ont MM. les officiers présents signé ainsi qu'il suit pour laisser à la postérité un monument mémorable des élections populaires qui justifie le droit des peuples aux nominations des places confiées aux bontés de l'Assemblée nationale.

«ROBERT DE ROCHECOUSTE, maire. C.-A. GOUT, officier municipal. MARTAIN, officier municipal.

On voit que la postérité n'a pas oublié ce «monument mémorable des élections populaires qui justifie le droit des peuples» (Archives municipales de Saintes ; registre des délibérations) : en effet, la pièce méritait d'être citée.

12. Registres paroissiaux de Saint-Jean d'Angély : «Ce mesme jour, 29 novembre 1731, a esté baptizé Izaac-Estienne Robinet, né d'hier, fils naturel et légitime de Jean-Baptiste Robinet, procureur et notaire royal, et de Marthe Picot, ses père et mère. Le parrain estait Izaac Robinet frère, et la marraine Marie Henry, cousine.»

En 1761 un Robinet était premier secrétaire de l'intendance à La Rochelle.

13. L'abbé Briand, Histoire de l'Église santone et aunisienne depuis son origine jusqu'à nos jours (La Rochelle, Boutut, 1843 ; tome III, p. 66).

14. Pierre-Damien Rainguet, Biographie saintongeaise (Saintes, Niox, 1851 ; p. 501).

15. L'abbé Taillet, L'Église de Saintes depuis 1789 jusqu'à la fin de 1796.



«Deux victimes des Septembriseurs» :
Table des Chapitres ; Lexique ; Chapitre 19

[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]