«FAVERNEY, SON ABBAYE ET LE MIRACLE DES SAINTES-HOSTIES» ; 4e PARTIE - CH. 1


QUATRIÈME PARTIE

Les Bénédictins réformés et la Sainte-Hostie durant les XVIIe et XVIIIe siècles


CHAPITRE PREMIER

L'abbaye de Faverney depuis la Réforme jusqu'à la grande Révolution

«Le 17 Septembre 1630, à midi, en la maison abbatiale de Faverney, Honorable Jean-Guillaume Doyen, capitaine et surintendant en la terre et baronnie d'Amance pour Monseigneur le marquis de Varambon, se présenta par devant Dom Félix La Combe, prieur des Révérends Pères Bénédictins réformés de l'abbaye Notre-Dame de Faverney, pour réclamer, au nom du droit de gardienneté des seigneur et dame d'Amance, la remise des clefs» du monastère afin de «faire l'inventaire de tous les biens délaissés par le Révérend Père en Dieu Dom Alphonse Doresmieux, jadis abbé dudit Faverney». Mais le grand prieur Dom Félix fit remarquer «au fondé de procuration spéciale du seigneur marquis de Varambon, présentement aux Pays-Bas pour le service de Sa Majesté, que ladite abbaye n'avait été vacante à cause de la coadjutorie donnée par les Souverains princes et advouhée par Sa Sainteté à Révérend Père en Dieu Dom Hydulphe Bremer, à present abbé et seigneur dudit Faverney qui en avait pris possession» par devant Claude Dard, procureur d'office de la baronnie d'Amance. Ainsi à peine quelques heures s'étaient écoulées depuis le trépas de Dom Doresmieux, et déjà ses religieux dont il avait toujours été l'ami plutôt que le supérieur, pouvaient apprécier les effets de sa protection paternelle au point de vue temporel. Son héroïque abdication de la charge abbatiale et l'intronisatioun immédiate de son fils de prédilection comme abbé successeur leur valaient, en effet, d'être préservés des durs ennuis et des conséquences matérielles d'un des droits les plus onéreux de la gardienneté seigneuriale (1).

Mais le choix providentiel de Dom Brenier, comme abbé de Faverney, ne tarda pas à se révéler d'une façon merveilleuse. Cet humble enfant de Luxeuil, à l'âme ardente, au cœur pur, dont la prière incessante avait attiré en 1608 la plus étonnante des merveilles eucharistiques, s'était toujours montré un homme supérieur dans les divers emplois de maître des novices, de prieur et de coadjuteur. Durant son second noviciat dans l'abbaye modèle de Moyenmoutier, «ses études furent si brillantes», a écrit Dom Bebin qui fut un de ses élèves et l'un de ses religieux, «qu'il ne tarda pas à surpasser ses maîtres, et, avant que d'être élevé au sacerdoce, dans un âge où l'on est encore assis sur les bancs de l'école, il enseignait déjà la philosophie et la théologie aux religieux du couvent».

«Chargé bientôt et tout à la fois des études et du gouvernement des novices, il déploya dans cette charge si délicate toutes les merveilleuses facultés dont la Providence l'avait doué. L'obéissance, la pauvreté, l'humilité, le silence, l'oraison, la mortification, tels étaient les sujets des admirables conférences qu'il adressait à ses moines. Malgré son abord froid, sa figure austère, il gagnait bien vite la confiance de chacun. On allait à lui comme à un père à qui on ne cache rien, et c'était avec un abandon filial qu'on lui dévoilait jusqu'à ses plus secrètes pensées. Quand la science s'allie à la vertu et qu'on la fait servir à la gloire de Dieu et à son propre salut, elle devient alors un ornement qui en double la valeur, tout en étant conforme au désir de Saint Benoît qui voulait que toutes les sciences humaines fussent aussi enseignées dans ses asiles monastiques de sainteté» (2).

C'est pourquoi dès les premiers jours de son règne abbatial, le saint abbé se résolut à ouvrir une école aux enfants de son peuple de Faverney ; et «afin de n'interrompre point la retraite et le silence du monastère» remarque Dom Grappin, il l'installa dans les bâtiments mêmes de son hôtel. Presqu'en même temps il en ouvrit une autre non moins considérable à Arbecey, dans l'ancienne maison régulière appelée le château. En ces deux écoles du monastère, grâce à la réputation de Dom Brenier et de ses religieux réformés, on vit accourir l'élite de la jeunesse studieuse de Franche-Comté et des pays voisins. Chacun voulait y mettre ses enfants : les bourgeois comme les gentilshommes, les pauvres comme les riches. Et sous son habile direction, «les disciples furent dignes du maître : ils devinrent la gloire des lettres, l'honneur de la religion et la joie de l'illustre abbé. Ceux qui suivirent le siècle arrivèrent aux premières charges publiques, et quoique parvenus au faîte des honneurs, ils n'oublièrent jamais les leçons qu'ils avaient reçues à Faverney et surent toujours y conformer leur conduite» (3).

Ainsi, sous les années 1632, 1633 et 1634, Dom Grappin reconnaît avoir trouvé dans le catalogue des pensionnaires François de Lamberg comte allemand, Paul d'Aydembourg landgrave allemand, les sires d'Accolans, de Cubry, d'Esboz-Brest, de Malpas, de Melincourt, de Saint-Mauris, et une infinité d'autres parmi lesquels il distingua «deux illustres frères, Dom Gérard et Dom Bernardin Richardot dont le premier fut dans la suite principal du collège de Dole et président de la congrégation de Saint-Vanne, et le second fut élu au postulé deux fois abbé de Faverney par les religieux ses confrères» (4).

Je dois mentionner spécialement, parmi les représentants de grande maison qui vinrent se former à l'école de Dom Brenier, l'un de nos plus illustres archevêques Antoine-Pierre Ier de Grammont, que Mgr Dubourg, son douzième successeur sur le siège de Besançon, ne craignit pas d'appeler le «Charles Borromée de la Franche-Comté». Le jeune Antoine-Pierre, troisième fils du colonel d'infanterie Antide de Grammont, baron de Melisey, seigneur de Courbesain, Servance et autres lieux, gouverneur de Dole et de Salins, était né au château de Melisey le 29 mars 1615. Dès l'âge de neuf ans, il se vit sevré des douceurs de la vie de famille et envoyé à l'abbaye de Luxeuil où il resta jusqu'en 1632, portant déjà l'habit des bénédictins et suivant avec des jeunes gens de son âge le cours de ses etudes classiques. «Attiré par la réputation de science, de vertu, de piété et de bonne éducation dont jouissait l'école de Faverney, a écrit l'abbé Filsjean, le jeune novice Frère Antoine-Pierre de Grammont sollicita de ses supérieurs l'autorisation d'y venir passer les dernières années de son adolescence». De fait, il y étudia trois ans, de 1632 à 1634, sous la direction de l'abbé Dom Brenier, puis il retourna à Luxeuil qu'il quitta en 1635, alors que l'abbé Dom Jérôme Coquelin, s'inspirant des exemples qu'il avait sous les yeux à Faverney, et faisant appel aux lumières de Dom Brenier, venait d'y établir enfin la réforme de Saint-Vanne et Saint-Hydulphe (5).

Mais tout en s'occupant de la jeunesse studieuse de ses écoles, Dom Brenier ne négligeait pas ses religieux ; car, s'il «était du petit nombre de ces grands maîtres dont les leçons laissent dans l'âme des jeunes gens des impressions ineffaçables, il excellait également à leur inspirer les vertus qui lui valurent la réputation d'un saint, et à leur communiquer les vastes connaissances qui le firent passer polir un des plus savants hommes de son temps. Cependant il n'écrivit rien ; mais ses élèves soit laïques soit religieux étaient ses livres vivants, et l'opinion que l'on avait de lui était justifiée par les sujets qu'il forma pour son pays et pour son ordre» (6).

En effet, toute une pléiade de moines savants et remarquables surgit alors dans notre abbaye, «stérile jusqu'à l'introduction de la réforme», avoue Dom Grappin lui-même. Ainsi Dom Colomban Boban, profès à Faverney depuis 1624 et devenu prieur, écrit l'Histoire du prieuré de Vaux-sur-Poligny. Dom Benoît Alviset, originaire d'une noble famille de la haute magistrature au comté de Bourgogne, prononça ses vœux à Faverney en 1628, fit imprimer un volume in-4° où il traite des privilèges des religieux, et devint l'auteur d'un manuscrit qui renferme des renseignements précieux sur les premiers temps de notre monastère. Son frère Dom Arsène est auteur d'un commentaire latin sur la Règle de Saint-Benoît. En 1630, Dom Albert Belin, appartenant à une famille de Besançon qui a donné plusieurs sénateurs au Parlement de Franche-Comté, fait profession entre les mains de Dom Brenier, et bientôt est placé à la tête du collège de Cluny à Paris, puis est élu abbé du monastère de Notre-Dame de La Chapelle dans l'ancien évêché de Térouanne, et enfin évêque de Belley. Ce moine fut un prédicateur éloquent, un historien consciencieux et un philosophe profond ; il a laissé plusieurs manuscrits et fit imprimer à Paris, en l'espace de dix années (1648 à 1658), six ouvrages différents (7).

Tout en dépensant au service de ses frères et de ses élèves les dons magnifiques dont Dieu l'avait si richement départi, l'abbé Brenier n'oubliait pas sa propre sanctification. Sans cesse il y travaillait. «Mais en dehors des pénitences extraordinaires qu'il s'imposait en secret et dont Dieu seul était témoin, on ne voyait rien dans sa conduite de bien particulier. Elevé au-dessus des autres, il savait qu'il leur devait le bon exemple, voilà pourquoi il est toujours le premier à l'office, le premier au travail, le premier à tous les exercices. Au dortoir, il prend son repos à côté de ses moines sur une mauvaise paillasse ; au réfectoire, il partage avec eux le repas commun, quand il ne se contente pas, ce qui lui arrivait très souvent, de quelques fruits et d'un plat de légume. Mais autant sa table abbatiale était frugale quand il était seul, autant il savait se montrer grand lorsqu'il s'agissait de pratiquer le devoir de l'hospitalité. Chacun était reçu selon son rang et sa condition avec un accueil charmant et une générosité qu'on n'oubliait jamais. Aussi ne se passait-il pas de semaine qu'on ne vît à sa table des hommes du monde ou des religieux qui venaient quelquefois de fort loin pour lui soumettre leurs difficultes et faire appel à ses lumieres. Ceux-ci sortaient toujours éclairés et si édifiés de sa conversation où rien d'inutile ne lui échappait, qu'ils se sentaient comme enflammés et mieux disposés à servir Dieu» (8).

«Ces belles qualités devaient nécessairement l'élever aux premières charges de la Congrégation de Saint-Vanne et de Saint-Hydulphe. Aussi le voyons-nous remplir tantôt les fonctions de visiteur, tantôt celles de définiteur ou d'assistant général, sans parler de la présidence des chapitres ou assemblées provinciales qu'il conserva toute sa vie. Chaque fois que ses supérieurs avaient à traiter une affaire importante, c'était à lui qu'ils s'adressaient, tellement ils avaient confiance dans son grand tact, sa prudence éclairée, son merveilleux esprit qui saisissait facilement le nœud des difficultés et le moyen de les résoudre. C'est ainsi qu'en 1633 il fut député à l'illustre abbaye de Cluny pour donner son avis sur la réforme que le cardinal de Richelieu voulait introduire dans ce monastère dont il était abbé. Après l'avoir entendu, le grand prieur claustral des Clunistes Dom Humbert Rollet lui remit aussitôt une commission authentique de vicaire-général, avec plein pouvoir de visiter, corriger et réformer tous les monastères du Comté de Bourgogne qui dépendaient de Cluny, tels que les prieurés de Vaux-sur-Poligny, Château-sur-Salins et de Morteau» (9).

Mais là ne se bornèrent pas les efforts de son zèle pour les âmes religieuses. De même que l'archevêque Ferdinand de Rye l'avait chargé, dès 1628, quoique simple coadjuteur, de travailler à la réforme des Ursulines de Vesoul et d'Auxonne, ainsi son successeur Claude d'Achey dont il était le conseil, le chargea de la direction des Annonciades de Vesoul. Et même «les affaires les plus importantes de la province lui étaient soumises comme au conseiller le plus sûr par les gouverneurs comtois, qu'ils s'appelassent Claude de Bauffremont ou Claude-François Tuillier. Il ne faut donc pas être surpris si, dans les Etats généraux du Comté où il assistait avec son froc de bénédictin et où il prenait souvent la parole pour défendre tous les intérêts, ceux de la sainte Eglise comme ceux de l'Etat et des particuliers, ne s'inspirant que de la justice, sa voix éloquente était toujours écoutée» (10).

Ce fut avec un zèle semblable qu'il défendit les droits de son monastère, foulés aux pieds par un certain baron de Vuiltz, seigneur de Breurey. Celui-ci prétendait à tort que le signe patibulaire de Faverney était placé sur les terres de sa seigneurie et voulait le faire disparaître. S'étant rencontré sur le terrain contesté pour procéder contradictoirement à la reconnaissance et à la fixation de leurs propriétés respectives, ils ne parvinrent pas à s'entendre. Le baron mit la main à son épée en s'écriant : «Je la briserai plutôt que de perdre mes droits !» — «J'y engage moi-même ma mître et ma crosse !» répondit l'abbé Brenier en souriant (11).

Son énergie et son zèle allaient de pair avec son ardente piété pour l'Hostie Miraculeuse dont il est le fidèle gardien. Tandis que la foi du peuple chrétien grandit toujours à mesure que la renommée proclame la merveille eucharistique de 1608 ; tandis que l'érudit bisontin Jacques Chifflet l'a publiée dans son Vesontio imprimé à Lyon en 1618 ; tandis que l'Hortus Pastorum de Jacques Marchant dans le Hainaut, en 1626, l'a présentée en face des protestants de Mons et des Pays-Bas comme le miracle le plus éclatant accompli jusqu'alors en faveur du dogme catholique ; tandis que par la plume d'un magistrat aussi éclairé et aussi homme d'action qu'était jadis le président Boyvin, Girardot de Nozeroy, seigneur de Beauchemin, conseiller au Parlement de Dole et intendant des armées de Franche-Comté, a affirmé en 1632, dans son Histoire de Dix ans, sa croyance énergique à la réalité du miracle de Faverney ; tandis qu'en plein Paris, l'an 1638, le célèbre traité eucharistique intitulé Candelabrum mysticum par Jacques Marchant, fera mieux connaître encore toutes les merveilles de notre grand prodige, la sainteté de l'abbé Dom Claude-Hydulphe Brenier attire les pieux pèlerins dans sa chapelle du «Sacrement de Miracle». Les seigneurs et les simples fidèles apportent par leurs libéralités un éclat croissant au culte de la sainte relique ; des messes et des offices solennels sont célébrés dans le nouveau sanctuaire ; on y allume en son honneur des lampes et des flambeaux armoriés en cire ouvragée ; les dames de Remiremont, le comte de Vergy et le marquis de Varambon d'Amance s'inscrivent parmi les insignes bienfaiteurs ; et dans leurs testaments, prêtres et fidèles du voisinage la font figurer pour des fondations (12).

La paix et la ferveur régnaient donc depuis dix ans dans l'abbaye de Faverney. Après la révolte suscitée en 1624 par les moines infidèles du Miracle, rien n'était venu arrêter les efforts de santification sous la houlette pastorale du saint abbé Brenier, lorsqu'en 1635 s'abattirent sur notre pauvre pays les sombres horreurs de la guerre de Dix Ans, époque la plus malheureuse de toutes ou du moins la mieux connue dans ses détails les plus cruels. Le cardinal de Richelieu gouvernait alors la France où régnait le roi Louis XIII, surnommé le Juste. Notre province de Comté qui formait presque une enclave dans la France, lui avait appartenu longtemps et à diverses reprises et n'avait jamais cessé d'être convoitée par elle. C'était, dans la pensée du cardinal-ministre, une conquête des plus importantes à faire sur l'Espagne et comme un joyau les plus précieux à rattacher à la couronne de son roi. Donc, après avoir dompté les protestants à La Rochelle et brisé la révolte des puissants seigneurs de la féodalité, il tenta l'attaque contre la Franche-Comté, isolée de tout appui du côté des Espagnols en guerre avec la France, et enveloppée des Français qui occupaient déjà Alsace, le pays de Montbéliard et le duché de Lorraine, Richelieu fit avancer contre elle deux armées, celle du prince de Condé gouverneur de Dijon pour s'emparer de Dole sa capitale, et celle du maréchal Caumonts de la Force pour la menacer et la contenir en échec sur la frontière de Jonvelle vers Jussey (13).

Le 2 juin 1635, le maréchal de la Force établit son quartier général à Neuvelle près de Lure, tandis que le duc de Lorraine, Charles IV, âgé de 27 ans et dépouillé de ses États par Richelieu, mais réfugié en Franche-Comté avec une partie de sa noblesse, marchait contre lui avec les restes de ses troupes lorraines que renforçaient quelques régiments de cavalerie allemande, hongroise et croate envoyés depuis Porrentruy par le feld-général Gallass. Le duc Charles IV, jeune et brillant capitaine que le roi des Espagne et des Pays-Bas Philippe IV avait accepté comme généralissime de ses armées en Comté, battit les Français du marquis de Caumonts et les obligea à se retirer du bailliage de Luxeuil. Cette victoire fut pour nous une véritable défaite, en ce sens que les soldats de Charles IV, campés dans la partie du bailliage d'Amont comprise entre Luxeuil, Vesoul et Jussey, furent à la charge des habitants et se conduisirent comme s'ils eussent été en pays conquis (14).

Un de ces régiments de Gallass, commandé par le colonel Colloredo, fut logé à Faverney et dans les villages voisins. Il semble que l'enfer, acharné contre la cité du miracle, ait choisi spécialement cette troupe pour se venger de la foi de nos pères par les plus abominables atrocités. Rien n'était sacré pour ces soudards, ni le respect dû aux propriétés, ni la vie des enfants, ni l'honneur des femmes. Courant en partis de trois ou quatre cents chevaux, ils commirent des excès inouïs, pillages, meurtres, viols, incendies et sacrilèges. Les villages de Pusey, Pusy et Charmoille près Vesoul furent saccagés totalement. Dans l'église de Colombier-lès-Vesoul, tandis que le curé célébrait la sainte messe, quelques soldats avides de butin se précipitèrent sur lui et arrachèrent de ses mains le calice empourpré du sang consacré du Christ (15). Et la ville de Faverney resta ainsi la proie de cette soldatesque enragée jusqu'au moment où le général Mathieu Gallass, cédant aux plaintes du Parlement, consentît à rappeler son lieutenant Colloredo dans le val de Delémont. C'était dans les premiers jours de février 1636.

Mais à ce fléau passé en succéda un autre plus terrible. Au printemps la peste commença ses sinistres ravages qui pendant deux ans continueront avec autant d'acharnement que ceux de la guerre et de la famine. Faverney y perdra plus de la moitié de ses habitants. Une croix noire tracée sur la porte des maisons indiquait d'abord que le fléau avait passé là et en interdisait l'entrée. Les rues furent sans cesse parcourues par de lugubres porteurs qui se hâtaient de confier à la terre les cadavres noircis par la mort ; les habitations retentirent d'accents de douleur et d'épouvante. Alors la vue des tombeaux toujours ouverts, la terreur que répandait ce lugubre spectable, l'instinct même de la conservation rendirent insensibles et inhumains les survivants. Les malades furent chassés de la ville et parqués sous des baraques, auprès d'une source, dans un pré qui se trouve proche du bois de la Raie vers l'antique voie de Faverney à Amance et qu'on désigne encore sous le nom de champ des pestiférés. Ceux même qui étaient soupçonnés d'être atteints par cet affreux mal, étaient aussi expulsés et obligés de rester durant quarante jours en la compagnie des morts et des mourants où ils finissaient par succomber (16).

Après la peste, la famine. La culture des champs fut abandonnée faute de bras et de bétail ; parfois l'on voyait çà et là quelques paysans, attelés eux-mêmes à la charrue, faisant des efforts inouïs pour ensemencer quelques coins de terre. «On vivoit de l'herbe des jardins et des champs. Les charognes des bestes mortes», a narré l'historien comtois Girardot, «estoient recherchées aux voiries ; mais cette table ne demeura pas longtemps mise. On tenait les portes de la ville fermées pour ne se veoir accablé de nombre de gens affamez qui s'y venoient rendre» (17).

Puis, après toutes ces horreurs de la famine et de la peste, voilà que l'armée impériale du feld-général comte Gallass qu'on avait lancée contre la France par la Franche-Comté pour nous défendre, ayant échoué dans son entreprise contre Dijon, se replia sur Jonvelle à la fin de décembre 1636. Durant les quelques jours de repos qu'y prit le comte Gallass comme aussi durant son campement à Saponcourt où il planta sa tente aux fermes de Mouhy, ses allemands vinrent dévaster l'abbaye de Clairefontaine et tous les villages jusqu'à Faverney lui-même. Après les allemands impériaux, ce fut le régiment lorrain du colonel Gaspard de Mercy qui vint y cantonner pour ses quartiers d'hiver. Le duc de Lorraine Charles IV lui-même, s'appuyant sur cette troupe d'élite de son sergent de bataille, vint «habiter le château de Menoux chez le sieur de Montricher». Malgré son voisinage, les dragons de Mercy, pillards avides et sans pitié, torturaient les habitants par tous les moyens pour leur arracher de l'argent. Tantôt ils brûlaient les pieds à leurs pauvres victimes, tantôt ils les forçaient d'avaler de l'eau bouillante, tantôt ils leur piétinaient le ventre pour les faire vomir ensuite avec violence (18).

Après quelques mois de répit au printemps de l'an 1637, tandis que les armées allemandes et lorraines se battaient sur la Saône contre les Suédois et les Français, une partie de la garnison de Langres se jeta dans la Comté par Jonvelle et Jussey et vint attaquer Faverney. La ville, dépourvue de soldats et dépeuplée par la famine et la peste, se rendit à la première sommation et les vainqueurs la pillèrent à nouveau. C'était au mois d'août. Mais quand l'hiver survint le régiment des dragons du colonel de Mercy et le régiment du baron de Suisse sous la conduite du comte de Reux se présentèrent sous les murs de notre ville pour s'y cantonner une seconde fois. Les habitants, pleins de haine et d'épouvante au souvenir des horribles traitements qu'ils avaient endurés, refusèrent d'ouvrir leurs portes aux soldats de l'Espagne. Les deux régiments essayèrent inutilement de prendre la ville d'assaut, tant était désespérée la défense des citoyens. Alors le colonel Gaspard de Mercy partit pour chercher de l'artillerie et «on l'a vu mener hors de la ville de Gray deux canons de batterie, de celui que le comte Gallass y avait déposé, et, au plus fort de l'hiver, le conduire à 14 lieues contre la ville de Faverney». Grâce à la terreur du canon, la cité après avoir subi un assaut, consentait de nouveau à recevoir ses cruels protecteurs. Et voilà qu'en février 1638 le colonel Maillard, à la tête d'un régiment lorrain, vint encore y prendre ses quartiers d'hiver. Toutes ces troupes ont «ravagé les pauvres sujets de Sa Majesté qui y estoient réfugiés», ainsi rendait compte du triste état des habitants de Faverney le Parlement de Dole en écrivant à son Altesse royale le 26 février 1638 (19).

Durant les années 1638 à 1641, la malheureuse seigneurie de l'abbé Dom Brenier subit encore alternativement les vexations et déprédations, soit des troupes lorraines et allemandes, soit des troupes espagnoles, croates et comtoises venues pour protéger le pays. Les fatigues inouïes qu'avaient éprouvées les gens de guerre, jointes aux privations et à la mauvaise qualité de la nourriture, avaient vicié le sang des soldats ; une maladie contagieuse se déclara parmi la garnison et se répandit avec une promptitude effrayante parmi la population de la ville et de la campagne. À Faverney les trois quarts des hommes de la garnison succombèrent ainsi qu'un grand nombre des habitants. Cette époque, déclare Girardot de Nozeroy, fut «la plus funeste et la plus tragique de toutes : car elle a été toute entière dans le feu, le sang et la peste, et sans secours d'aucune sorte» (20).

Et pour comble d'infortune, voici que le 17 septembre 1641, on apprend que les généraux français du Hallier gouverneur de la Lorraine, et le Comte de Grancey, au nom de la neutralité décidée par le roi Louis XIII pour entamer l'obstination haineuse des comtois, viennent de s'emparer de la forteresse de Jonvelle et en rasent le château et les murailles. Le lendemain, ils envoient des trompettes sommer les châteaux voisins de faire leur soumission et de payer une somme déterminée pour la rançon du pays. Lévigny, commandant de Senoncourt, apporta lui-même son tribut. La dame de Saint-Remy-Villers-Vaudey leur députa le chanoine de Villard, originaire de Saint-Remy et membre du chapitre de Vesoul. Demangevelle, Richecourt, Magny, Bougey, Chauvirey, Suaucourt, Mercey, Villers-Vaudey. Chemilly, Vauvillers, Saint-Loup, Amance même, démantelée par les Lorrains depuis février 1638, suivirent cet exemple. Mais, au milieu de cette défection genérale qu'expliquait la série des longs et cruels malheurs, seule la cité du Miracle où le marquis de Saint-Martin avait mis garnison, osa résister. Les remparts de Faverney furent battus en brèche par le canon près de la porte de Cubry ; le 21 septembre les Français donnèrent l'assaut et quatre fois ils furent repoussés. Alors du Hallier fit braquer huit pièces de canon sur les défenseurs de la brèche qui tombèrent mitraillés à leur poste ; et lorsque la colonne d'attaque envahit de nouveau le rempart renversé, elle n'y trouva que des morts et des mourants. La ville et l'abbaye furent saccagées, une partie des habitants fut passée au fil de l'épée ; les femmes et les enfants, réfugiés à l'église abbatiale avec Dom Brenier et ses religieux, n'obtinrent la vie sauve que grâce à l'intercession de deux religieux de Saint-François que l'armée de Grancey avait pour chapelains (21).

Parmi toutes ces calamités si diverses, les religieux réformés de Faverney ne cessèrent d'être la providence des malheureux qu'ils secoururent en s'imposant les plus durs sacrifices. L'abbé Brenier, seigneur impuissant comme homme de guerre, se dépensa sans compter comme consolateur des mourants et bienfaiteur des affamés et des orphelins. Il allait lui-même les visiter à domicile et leur faisait ses largesses dans le plus grand secret. Ayant appris que plusieurs demoiselles orphelines, atteintes par la misère générale et obligées de vivre au milieu des soldats, couraient les plus grands dangers, car la faim est mauvaise conseillère, il leur fit dire de ne pas se mettre en peine et de ne rien faire au préjudice de leur honneur, car aussi longtemps qu'il aurait un morceau de pain, il le partagerait avec elles. Depuis qu'il avait succédé à son père en Dieu l'abbé Dom Doresmieux, il avait comme lui fait trois parts de ses revenus abbatiaux : la première était destinée à son entretien, la seconde était employée aux réparations et à la décoration de son église, et la troisième la plus considérable était consacrée aux aumônes. Aussi, depuis ces terribles années de famine et de disette et jusqu'à la fin de sa vie, voire même après sa mort «pour obliger de prier Dieu pour son âme», chaque jour quatre-vingts à cent personnes et quelquefois davantage accouraient au monastère afin de recevoir leur pain quotidien (22).

Toutefois sa charité pour ses infortunés sujets n'excluait pas son habileté à les défendre contre des exactions injustes. En 1641, la ville de Vesoul ayant demandé au gouverneur de la province que les habitants de Faverney fussent soumis à une contribution spéciale, destinée à l'indemniser des frais de l'occupation française, l'abbé Dom Brenier usa de toute son influence auprès du baron de Bauffremont qui décida que cette demande devait être rejetée, parce que cette petite cité «avait perdu plus que tout autre par la quantité de troupes qu'elle avait logées et nourries presque continuellement depuis le commencement de la guerre» (23).

«On ne pouvait cultiver les lettres dans l'abbaye de Dom Brenier au milieu des mourants et des armes», a écrit Dom Grappin ; «elles s'exilèrent donc pour un temps. Mais bientôt le monastère de Faverney redevint ce qu'il avait été avant la guerre, une école de science et de vertu pour la jeunesse, une académie où l'on élevait des sujets distingués à l'Eglise, au cloître et à l'Etat. C'était aux saints et aux savants à former des savants et des saints». En effet, les éminentes vertus de l'humble Dom Brenier n'avaient fait que mieux resplendir sa sainteté durant toutes les calamités publiques, et sa réputation comme l'un des plus savants hommes de son siècle s'était répandue bien au delà de notre malheureuse province. Aussi, après la mort en 1639 de Dom Jérôme Coquelin, abbé réformateur de Luxeuil, l'archevêque de Malines, chef du conseil royal des Pays-Bas, fit proposer cette magnifique abbaye à Dom Claude-Hydulphe. Mais notre saint abbé s'opposa constamment à sa translation et cette affaire n'échoua que parce qu'il le voulut (24).

Du reste, la divine Providence avait eu soin de l'entourer toujours de collaborateurs dignes de lui. Après les Dom Boban, et les deux frères Alviset Dom Benoît et Dom Arsène, parmi les plus fervents religieux de l'abbé Brenier se distinguait alors un bisontin Dom Vincent Duchesne, qui passa la majeure partie de sa vie à l'abbaye de Faverney. Ayant un goût prononcé pour l'architecture, il devint fort habile dans cet art, et les églises paroissiales de Saint-Pierre à Chalon-sur-Saône et de Saint-Symphorien à Metz, aussi bien que les monastères des bénédictines de Besançon, de Cluny, de Saint-Marcel à Chalon-sur-Saône et de Saint-Pierre à Châlon-sur-Marne, et les abbayes d'hommes de Corneux, de Vaulx-sur-Poligny et de Lons-le-Saunier furent construits sur ses plans et dessins. Ce fut lui qui répara d'une manière industrieuse l'église des bénédictins de Saint-Vincent à Besançon. Avec l'architecte distingué Dom Duchesne se trouvait aussi à l'abbaye Dom Odilon Bebin, franc-comtois, profès depuis 1635 et qui devint «l'historiographe érudit et le principal des historiens de Faverney», a écrit Jules Gauthier (25).

Avec de tels sujets et guidé par un tel maître, le monastère de Notre-Dame la Blanche ne pouvait que croître en science et en sainteté, et grandir en réputation et en influence. Aussi, à peine le calme fut-il un peu rétabli dans la province de Comté que l'abbé Hydulphe envoya pour la reforme, déjà décidée de la fameuse abbaye de Cluny, «tous ses religieux étudiants en théologie avec leurs professeurs, Dom Boban et Dom Maïeul, lesquels étaient quatorze, tous bons esprits, de fort bonne façon et de grande espérance. De quoi les bénédictins clunistes témoignèrent beaucoup de contentement, mais bien plus lorsqu'ils reconnurent leur capacité par la thèse qu'ils soutinrent aux applaudissements de tous les assistants». Et tandis que par ses fils spirituels Dom Brenier étendait le règne de Dieu dans les âmes bénédictines, il s'efforçait de compléter extérieurement l'œuvre d'embellissement de l'église abbatiale qu'avait si bien commencée à l'intérieur l'abbé Dom Doresmieux (26).

La flèche fort élevée qu'avait édifiée vers 1586 l'abbé François de Grammont menaçant ruine, sur les conseils de Dom Vincent Duchesne, il fut décidé qu'on la remplacerait, selon le goût de l'époque, par un clocher «à trois jolis dômes superposés l'un sur l'autre et soutenus par divers piliers servant pour les ouvertures d'entre deux, le tout revestu de fer blanc». Un carillon fort gracieux à huit cloches fut établi dans le dôme supêrieur, et désormais, aux fêtes populeuses du lundi de la Pentecôte et aux solennités de Notre-Dame la Blanche, ses airs pieux chantèrent les louanges de Jésus-Hostie et de sa divine Mère. Mais à la beauté extérieure du temple l'abbé Brenier voulut encore y adjoindre l'utile pour ses religieux. «Entre le bras droit du transept et la chapelle de la Vierge située à droite du chevet», a écrit Jules Gauthier, un petit clocher à dôme revêtu aussi de fer blanc fut cantonné ; et l'horloge monacale aussi bien que la cloche des exercices monastiques y furent installées (27).

À cette époque, à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, le renom de notre pèlerinage eucharistique s'accrut prodigieusement. Déjà durant le terrible siège de Dole par les Français en 1636, le conseil de Ville avait promis de donner une lampe d'argent d'une valeur de mille francs pour brûler à perpétuité devant la Sainte-Hostie au lieu même du miracle. Aussi l'abbé Dom Brenier, fidèle à la ligne de conduite qu'avait suivie son père en Dieu l'abbé Doresmieux, s'efforçait de se rendre aux fêtes doloises du mardi de la Pentecôte. Si en 1634 la maladie l'avait empêche d'y assister, il y était allé dans les années 1637 et 1645. Même en cette dernière circonstance, profitant des dispositions bienveillantes du nouvel archevêque Claude d'Achey, et se souvenant du procédé blessant employé à l'égard de Dom Doresmieux qui, en 1623, déjà revêtu des ornements pontificaux et partant présider la procession à l'église collégiale, s'était vu arrêté par les chanoines au sortir du collège Saint-Jérôme sous prétexte de l'opposition archiépiscopale, l'abbé Dom Hydulphe demanda formellement au chapitre de Dole d'avoir à faire ratifier son droit abbatial d'officier pontificalement, droit stipulé dans l'acte de cession du 18 décembre 1608 (28).

Cette énergique réclamation de l'abbé Brenier qu'on regardait comme un saint, rappela également aux Dolois leur non-accomplissement du vœu fait en 1636 d'une lampe d'argent à la Sainte-Chapelle de Faverney ; le conseil des notables décida même d'y ajouter une rente annuelle de vingt-et-un francs pour l'entretenir. Les échevins de Dole furent d'autant plus inclinés à réparer leur retard qu'à leur grande désolation et stupéfaction ils venaient de découvrir qu'un «petit vermisseau roulé en spirale avait rongé une partie» de leur Sainte-Hostie. Pour l'empêcher donc de tomber en poussière, le doyen du chapitre, le président du Parlement, le vicomte mayeur et le bâtonnier des avocats résolurent en conseil d'appliquer la sainte relique «sur une lame de cire, prise au cierge pascal». Ce triste incident ne fit que stimuler la foi et l'ardente piété des quatre corps constitués de la capitale doloise. Aussi décidèrent-ils d'adresser désormais aux cités principales de la Comté une invitation à envoyer une délégation à la fête du mardi de la Pentecôte, et le bénédictin Dom Simplicien Gody fit même en 1650 une pièce de vers où il chante les deux trésors glorieux de Faverney (29) :

Ville où le Pain mystérieux
Se fit un trône glorieux
Dans une dévorante flamme,
Faverney, séjour excellent !
Par le nom d'une mesme Dame
Fraternise avec Montroland.

C'était, du reste, l'époque la plus brillante de notre abbaye en plein épanouissement de sainteté, de science, d'influence, de réputation, sous la houlette abbatiale de l'humble abbé Hydulphe Brenier. Dans les années 1654 et 1657, deux fois il fut appelé par le roi d'Espagne à présider les États de Flandre et de Franche-Comté. Ce fut aussi le moment où dans la plupart des campagnes et des villes de la Normandie, de la Picardie, de la Champagne, de la Bourgogne, de la Touraine, du Berry, de l'Auvergne, de la Provence et du Limousin, un prédicateur des plus célèbres, une des gloires des Oratoriens fondés par M. de Bérulle, un franc-comtois de Poligny, fils d'un conseiller à la Cour souveraine du Parlement de Dole, s'écriait avec les ardeurs d'un zèle tout apostolique : «Saint Paul dit, que les miracles ne sont pas nécessaires aux fidèles, mais aux infidèles ; et néanmoins il plaît à la bonté divine d'en faire de temps en temps pour confirmer la foy, et consoler la piété des fidèles : en voicy un du Saint Sacrement, dont je puis parler sçavamment ; car j'étais dans le pays mesme, quand il arriva l'an mil six cens huit en l'Eglise abbatiale de Faverney». Ce témoin si éloquent de la Sainte-Hostie était le Père Jean Le Jeune qui avait 16 ans à l'époque du grand évènement ; il avait assiste sans doute comme page du Roi-Hostie ou peut-être vêtu en nymphe à la grandiose réception du «Palladium de la Cité». C'est pourquoi il écrivit dans la Dédicace de ses Sermons cette phrase qui montre bien l'énorme retentissement de notre stupéfiant prodige dans la seconde moitié du XVIIe siècle : «La si religieuse, si particulière et si admirable dévotion envers la Sainte-Hostie du Miracle depuis cinquante-sept ans vous a rendu celebres dans tous les Royaumes de l'Europe» (30).

La sainteté épanouie de Dom Brenier s'était donnée aussi à cette époque un libre cours pour enrichir la chapelle du Sacrement de Miracle. Grâce à la libéralité de ses religieux, il enchâssa la Sainte-Hostie «dans un Melchisédec d'argent doré en partie et l'autre en chrystal richement élaboré, avec une couronne impériale au-dessus aussy d'argent doré». Pour renfermer ce nouveau sacré reliquaire, il fit construire «un beau et grand tabernacle doré, enrichy de plusieurs figures de divers saincts», et il fit couvrir les murs de la chapelle «d'une tapisserie de cuir doré». Enfin sur le grand autel il éleva «un tabernacle doré dans lequel fut mis un grand soleil où repose le très Saint Sacrement». Ainsi notre Sainte-Chapelle de Faverney était devenue un trône moins indigne de la grandeur de notre Relique sacrée (31).

Mais la plus belle ornementation qu'avait procurée la réputation de l'abbé Brenier, si connu pour ses mérites bien au-delà de la Franche-Comté, fut la nombreuse couronne de religieux fervents qu'il attira à l'abbaye. Un simple exposé local nous indiquera suffisamment ce que l'Histoire ne nous dit pas. Parmi les professions des religieux en 1660, je trouve Odilon Dard et Nicolas Poirson, tous deux d'Amance. Déjà le curé d'Amance Messire Pierre Billerey, originaire de Montureux-lès-Baulay, était devenu le 10 décembre 1649 novice de Dom Brenier, et avait fait une fondation «pour décorer la chapelle du T. S. Sacrement de miracle». Mais déjà aussi un jeune noble d'Amance, ayant à peine treize ans, à la suite «des entretiens dévots et spirituels qu'il eut avec un des plus saints Bénédictins» qu'on ait vus, avait demandé «de si donne grâce et avec tant d'instance le saint habit au très révérend Père Dom Claude-Hydulphe que cet excellent supérieur le garda quelques mois sous sa sage direction à Faverney ; puis, afin de le mieux éprouver, à raison de la faiblesse de son âge et la délicatesse de sa complexion dans un petit corps, à ce qu'il semblait, peu propre à soutenir les veilles, les jeûnes, les abstinences et les autres austérités» de la Règle bénédictine réformée, il n'hésita pas pour l'éloigner de sa famille de «luy ménager une place au noviciat de Luxeuil». «Le vingt-troisième du mois de Janvier de l'année mil six cent cinquante huit», le jeune novice, âgé de quatorze ans et deux mois à peine, avait fait «la profession solennelle de ses vœux». C'était Dom Benoît Dard, la dernière gloire de sainteté de l'abbaye de Luxeuil et le futur convertisseur du second successeur de Dom Brenier. Le saint abbé de Faverney avait engendré à la grâce le dernier saint de Luxeuil (32).

Une disette épouvantable qui dura depuis la moisson de 1661 à celle de 1662, fournit une dernière occasion à l'abbé Brenier, déjà plus que septuagénaire, de donner un libre essor à sa grande charité. La rareté des grains était telle que Dom Bebin, alors prieur claustral, nous dit qu'à l'exception du couvent, il y avait à peine dans la ville «deux maisons qui eussent assez de blez pour vivre dans cette terrible année». À cette époque, la quarte de Faverney (44 litres) se payait plus de dix francs ; cette somme équivaudrait de nos jours à un louis de vingt francs. La misère fut si affreuse qu'une multitude d'indigents hâves et déguenillés demandaient partout à grands cris un peu de nourriture. Les religieux bénédictins et leur saint abbé s'imposèrent les plus dures privations et donnèrent souvent jusqu'à leur propre pain. Il est prouvé par une enquête du Parlement de Dole que, dans cette seule année de famine, le monastère distribua aux pauvres plus de six cents cinquante doubles décalitres de blé (33).

En cette même année 1662, le chapitre général de la Congrégation devait se tenir au monastère de Saint-Vannes à Verdun. Malgré de violentes douleurs causées par un mal qui devait l'emporter et dont il souffrait déjà depuis quelque temps, Dom Hydulphe Brenier, toujours obéissant à la Règle, n'hésita pas à se mettre en route. Pendant le voyage, a relaté Dom Bebin, il ne cessa de garder un recueillement profond d'où il ne sortait que pour écouter la lecture que lui faisait son compagnon sur la préparation à la mort. Durant les séances du chapitre, il prit plusieurs fois la parole, mais ce n'était plus l'éloquent orateur d'autrefois. Les Pères abbés de la Réforme voulurent quand même rendre un dernier hommage à ses éminentes vertus et lui offrirent la présidence de toute la Congrégation de Saint-Vannes et de Saint-Hydulphe. C'en était trop : Dom Brenier terrifie se jette à leurs pieds, et les mains jointes, les larmes aux yeux, il les supplie d'épargner à sa faiblesse une responsabilité qu'il ne saurait plus supporter. Malgré ses prières et ses sanglots, l'assemblée ne revint pas sur son vote.

En quittant Verdun, le nouveau supérieur général, accompagné des Pères des couvents réformés de Franche-Comté et de plusieurs autres, se dirigea vers l'abbaye de Saint-Mihiel. C'était là que la mort l'attendait. À peine arrivé au monastère la fièvre le saisit et l'obligea de garder le lit, sans toutefois rien diminuer de sa ferveur. Le mal grandissant toujours, on appela les plus fameux médecins de la Lorraine, mais ils jugèrent bien vite que tout était fini. Dès qu'il eut connaissance de son état, notre malade demanda lui-même à recevoir les derniers sacrements qui lui furent administrés par le Révérend Père abbé. Au moment où le saint viatique fut apporté dans la chambre du mourant, celui-ci à la vue de son Dieu oublie un instant toutes ses souffrances, et, emporté par l'élan de sa foi embrasé par le feu de sa charité, il quitte le lit, se jette à genoux, et ce fut dans ces sentiments qui arrachaient des larmes à tous les assistants, qu'il reçut son Jésus pour la dernière fois.

Après que l'huile des malades eut coulé sur ses membres déjà glacés par la mort, après le suprême pardon du prêtre qui ouvre avec le trésor des indulgences les portes du Ciel, notre saint se recueille un instant ; puis d'une voix assez forte, à tous ses frères présents et absents, il demande très humblement pardon de la mauvaise édification qu'il a pu leur donner, et les supplie ensuite de rester toujours les fidèles gardiens de sa stricte observance et de faire part à tous les religieux de ses dernières volontés. Alors, ayant béni la Congrégation toute entière, il envoie un dernier sourire à Notre-Dame la Blanche et à la Sainte-Hostie du Miracle, et il expire dans les bras de Dom Ferdinand Bouhelier, son compagnon de voyage pour lequel il avait toujours été le meilleur des pères. C'était le 17 mai 1662, à l'heure de minuit, le jour même où la sainte Église célébrait la fête de l'Ascension, Dom Brenier était âgé de soixante-quatorze ans ; il en avait passé sept comme coadjuteur de son père en Dieu l'abbé Doresmieux ; il avait été abbé dans son monastère durant trente-quatre ans ; et plus d'un demi-siècle s'était écoulé depuis le jour de l'an 1607 où l'humble enfant de Luxeuil, à l'âme ardente, au cœur pur, avait commencé son incessante prière dans l'antique sanctuaire de Notre-Dame la Blanche et avait attiré du Ciel, par son humilité extraordinaire, et le plus grand miracle eucharistique du monde et la transformation la plus merveilleuse de l'abbaye de Faverney (34).

Tandis que «les cendres de ce bon abbé», comme parle Dom Bebin, étaient solennellement déposées dans les caveaux de l'église abbatiale de Saint-Mihiel en pays de Lorraine, voilà que le 22 mai à huit heures du matin, sous les cloîtres endeuillés de l'abbaye de Faverney, Dom Augustin Millot, prieur des bénédictins de Morey, et Dom Athanase Millot son frère, prieur des religieux de Dole, tous deux de retour des obsèques du saint abbé Brenier, furent accostés par «le procureur d'office et l'intendant général aux affaires d'illustre haut et puissant seigneur Messire Ferdinand-Eléonore de Rye et de Poitiers, marquis de Varambon, comte de Saint-Vallier et baron d'Amance». Ils venaient, au nom du droit de gardienneté de leur maître, réclamer les clefs de la maison abbatiale dont ils devaient assurer la garde. Alors Frère Benoît Aigrot, en l'absence du prieur encore retenu à Saint-Mihiel, leur remit, en qualité de frère-commis du couvent, les clefs de l'abbaye. Aussitôt les intendant et procureur d'Amance allèrent fermer la grande porte dans la cour d'honneur devant le quartier abbatial, puis les portes des chambres, et déclarèrent avoir mission de rester dans le monastère jusqu'à l'arrivée du séquestre.

Mais vers les dix heures du matin, deux cavaliers de Vesoul, le sieur de Mesmay avocat fiscal et Pierre-Antoine Regnauld qui avaient été prévenus de cette prise de possession, se présentaient avec deux archers à cheval devant la porte abbatiale, ordonnant aux dits intendant et procureur d'avoir à leur ouvrir. Sur leur refus, le sieur de Mesmay entra en colère et fit enfoncer la grande porte du monastère, puis y pénétrant somma intendant et procureur d'Amance de lui livrer les clefs des chambres, sinon il allait faire briser toutes les portes. Alors pour éviter ce scandale, l'intendant, tout en réservant les droits du seigneur-gardien, lui livra toutes les clefs, et fit «constater la violence à eux faite par un acte notarié de Nicolas Maignien, scribe ordinaire de la justice de Faverney et par-devant Honorable Rebillot, procureur d'office du même Faverney» (35).

Cet épisode, assez désagréable pour la tranquilité de l'abbaye modèle, ne fut pas le seul que procura la mort si soudaine de l'abbé Brenier : celui de son successeur fut bien autrement préjudiciable. Aussitôt son trépas connu, le Parlement de Dole que Dom Grappin qualifie «d'un des plus respectables sénats de l'Europe», écrivait au roi d'Espagne Philippe IV qu'il lui «semblait très important que l'abbaye de Faverney soit pourvue d'un abbé régulier afin que, suivant les vestiges de Dom Claude-Hydulphe Brenier, dernier abbé d'icelle, décédé en réputation de sainteté, elle soit maintenue dans la règle de la Réforme, et conservée dans le bon état où il l'a laissée à son décès». De leur côté, les bénédictins selon leur Règle avaient jeté les yeux sur trois des leurs et d'un égal mérite : c'était Dom Odilon Bebin prieur de l'abbaye, Dom Bernardin Richardot, et Dom Jérôme Coquelin principal du collège de Dole. Mais ni l'élection canonique des religieux intéressés ni les représentations de «Messieurs du Parlement» ne purent détruire la détestable influence de Dom Juan d'Autriche, fils naturel du roi d'Espagne Philippe IV. Celui-ci, sacrifiant les intérêts les plus sacrés de ce monastère, peut-être alors le plus renommé de ses états, désigna en 1663 Antoine Doré, flamand d'origine, homme de mœurs corrompues, bigame et médecin de Dom Juan, comme successeur au seul abbé de Faverney qui fut mort avec tous les signes de la sainteté la plus éminente et la plus attestée par les témoignages les plus unanimes. En vain le pape refusa d'envoyer des bulles à l'indigne Doré ; ce dernier qui n'en avait cure, abbé commendataire par la grâce du roi et de son client le favori royal, «ne laissa pas, dit Dom Grappin, de toucher jusqu'en 1674 les revenus d'un bénéfice qu'il ne vit jamais» (36).

Heureusement que le grand prieur claustral Dom Bebin sut maintenir intacts, durant cette vacance morale de la dignité abbatiale, l'esprit et la discipline inculqués par Dom Brenier. Il eut même la joie de recevoir enfin au mois de juin 1664 la magnifique lampe d'argent, ciselée par l'orfèvre dolois Claude-François Pouthier, et apportée solennellement à la Sainte-Chapelle de Faverney par une délégation des notables de Dole. Parce que le malheur des temps et le mauvais état des finances de la ville n'avaient pas permis d'exécuter ce vœu fait le premier jour du siège de Dole par les Français, en juin 1636, le conseil des magistrats eut la délicatesse d'augmenter la somme promise de tous les intérêts depuis vingt-huit ans, bien que les théologiens aient déclaré «qu'on n'y était pas obligé» (37).

Le même prieur Dom Bebin, qui travaillait déjà à recueillir les matériaux de son histoire de l'abbaye et qui avait voué un vrai culte à son saint abbé et père Dom Claude-Hydulphe, eut encore le bonheur de constater un miracle accompli «la 2e feste pentecoste de l'année 1666». Durant la grande procession annuelle où le prieur claustral avait porté l'Hostie Sacrée de 1608, toute la multitude des pèlerins avait remarqué «une femme paralytique qui marchoit avec deux crosses» et qui, en plus «possédée du démon» avait «mené beaucoup de bruit en criallant pendant la procession». Après complies, cette malade s'étant trouvée «a la bénédiction de la Sainte-Hostie, elle se sentit saisie comme d'une pâsmoison dont cheut a la renverse. Ayant ainsi demeure quelque temps, elle voulut se relever pour s'en aller et dans l'effort qu'elle fit, se sentant guerrie, elle prit ses crosses aux mains et sen alla disant a haute voix : Je suis guerrie, le S. Sacrement ma guerrit. Délivrée du malin esprit, elle se confessa, puis après avec un Jugement fors entier et ayant estée interrogée par le confesseur si elle estoit bien guerrie, elle persista toujours en le disant, dont ses crosses qu'elle a pendues» à la chapelle du Sacrement de Miracle, «rendent bon témoignage». Ce rare fait, consigné dans les archives locales, a dû sans nul doute être précédé et suivi de beaucoup d'autres, malheureusement il n'y en a pas de trace dans l'Histoire (38).

Cette guérison extraordinaire, attribuée peut-être à l'intercession du saint abbé Brenier, ne fit qu'exciter l'ardent désir que nourrissait dans son cœur le grand prieur Odilon Bebin. Ayant terminé en 1670 son manuscrit sur Faverney et plein d'admiration pour la vie si saintement éloquente du dernier abbé, il demanda comme sous-prieur et maître des novices, afin de l'aider dans sa lourde tâche de gouverner dignement l'abbaye sans abbé, le jeune Père Dom Benoît Dard, cet enfant de prédilection de Dom Brenier défunt, qui venait d'être ordonné prêtre et qui s'était révélé dans son noviciat à Luxeuil comme «un prodige d'humilité, de pénitence et de l'observance la plus régulière». Grâce à l'influence reconnue de ce religieux de vingt-sept ans que déjà «la Province monastique de Bourgogne était heureuse de posséder comme l'image vivante, et et peut-être la plus parfaite qui aye parue dans ces derniers siècles, du grand patriarche Saint Benoît», les bénédictins de Faverney purent efficacement réclamer les restes vénérables de l'illustre prélat, décédé onze ans auparavant dans le monastère de Saint-Mihiel. Dom Benoît lui-même fut député avec un autre religieux pour faire le voyage de Lorraine ; les ossements de l'abbé Brenier furent mis «dans une boîte en bois», et le 4 avril 1673 les deux bénédictins rentraient à Faverney chargés de leur précieux trésor. Depuis l'entrée du saint corps au lever du soleil sur le territoire de la seigneurie, les habitants de Venisey, de Cubry, de Menoux, de Baulay, de Buffignécourt et d'Amance étaient accourus avec leurs curés pour lui faire une pieuse escorte ; et à l'entrée du bois de Ballières, toute la communauté ainsi que la population de la cité du miracle avec celle des pays circonvoisins s'étaient rendues en procession pour mener triomphalement les chères reliques jusqu'à l'église Notre-Dame la Blanche. Pendant la messe solennelle qui fut célébrée tardivement le même jour, Dom Benoît Dard prononça l'oraison funèbre «d'une force, d'un ton de voix et d'une éloquence si tendre et si patétique» que toute l'immense assistance sortit «les yeux baignés de larmes», croyant entendre un vivant «tout divin» faite l'éloge d'un mort tout divin (39).

Dans une enfonçure pratiquée entre les deux piliers de la croisée du transept du côté de l'épître, on plaça après la cérémonie le coffret qui renfermait les pieux ossements, et une haute dalle en marbre noir y fut scellée debout. Voici le texte complet de l'épitaphe des plus élogieuses qui y fut gravée et que M. Jules Gauthier a empruntée au R. Père André de Saint-Nicolas, auteur du Pouillé du diocèse de Besançon (40) :

HIC. JACET. R. P. D. D. CLAVDIVS.
HYDVLPHVS. BRENIER. HVIVS. CŒNOBII. ABBAS.
CVI. LVXOVIVM. ESSE. NATVRÆ. FAVERNEIVM.
GRATIÆ. DEDIT. QVI. EX. VIX. NOVITIO. MAGISTER.
SED. MAGNVS. QVIA. POTENS. IN. OPERE. ET. SERMONE.
VERBO. ET. EXEMPLO. SVIS. IMO. OMNIBVS. PRŒFVIT.
ET. PROFVIT. SEMPER. EX. MAGISTRO. PRIOR. SED. MAJOR.
QVIA. PRODESSE. MALVIT. QVAM. PRŒESSE. EX. PRIORE.
COADJVTOR. SED. MAXIMVS, QVIA. SOLVS. SVSTINVIT.
ONVS. TOTVM. ET. FELICITER. EX. COADIVTORE. ABBAS.
SED. MERITISSIMVS. RE. ET. NOMINE. MONACHORVM.
PAVPERVMQVE. PATER. QVI. PRIMVS. IMO. SOLVS.
INTER. PLVRES. REFORMATIONEM. SVSCEPIT, AVXIT, FOVIT.
SÆCVLO. ÆQVE. AC. CLAVSTRO. VENERANDVS. HVIC. VT.
RELIGIONIS. SPECVLVM. ILLI. VT. SANCTITATIS. EXEMPLVM.
VTILIS. OMNIBVS. VIVERE. DEBVISSET. SEMPER. SED.
PARCA. PARCIT. NEMINI. NEC. HVIC. QVI. IN. CAPITVLO.
GENERALI. GENERALIS. EFFECTVS. REDIENS. SAMMIELI.
OBIIT. ANNO. 1662. DIE. 18. MAII. SACRA. CHRISTO.
ASCENDENTI. QVI. COMITEM. DEDIT. ANIMAM. SICVT.
IN. CRVCE. DEDERAT. PATIENTI. ÆTATIS 73.
REQVIESCAT. IN. PACE.
HIC. HONORIFICE. REPONITVR.
A FILIIS. CVI. ETIAM. SVPERIVS.
PIETATIS. ET. GRATITVDINIS.
MONVMENTVM. EREXERVNT.
4 APRIL. 1673.

Et voici la traduction française (41) de cette épitaphe latine du saint abbé de Faverney :

Ci-gît
le R. P. Dom Claude-Hydulphe Brenier, abbé de ce monastère,
De Luxeuil il reçut le jour, de Faverney la vie de la grâce.
À peine novice, il devint maître :
Il y fut grand; car, puissant en œuvres et en paroles,
il fut toujours pour tous les siens, par ses discours et ses exemples,
un chef et un appui.
De maître, il passa prieur
et s'y montra plus grand, appliqué plutôt à servir qu'à commander.
De prieur, on l'éleva au rang de coadjuteur ;
en cette charge, il fut éminent : seul, en effet, il en supporta tout le poids.
Enfin de coadjuteur, il fut heureusement choisi pour abbé :
avec un mérite exceptionnel
il fut, de fait comme de nom, le père des moines et des pauvres.
Le premier, ou mieux le seul parmi les autres,
il s'est appliqué à embrasser, promouvoir, encourager la Réforme,
et s'est rendu digne de la vénération du monde aussi bien que du cloître,
miroir de vie religieuse pour celui-ci, et modèle de sainteté pour celui-là.
Utile à tous, il aurait dû vivre toujours ;
mais la Parque, qui n'épargne personne, ne l'a point épargné.
Au retour d'un chapitre général où il avait été créé général,
il est mort à Saint-Mihiel, en l'an 1662, le 18 mai, jour de l'Ascension.
Le Christ a associé cette âme à son triomphe, comme il l'avait unie aux souffrances de sa croix.
Il était âge de 73 ans.
Qu'il repose en paix !
Il est placé ici, honoré de ses enfants qui lui ont élevé
ce monument de leur piété et de leur reconnaissance,
le 4 avril 1673.

Déjà une année s'était écoulée depuis que les bénédictins jouissaient du bonheur de posséder les ossements vénérables de Dom Brenier, quand le fléau de la guerre vint encore une fois s'abattre sur l'infortuné monastère. Les lettres historiques de Pellisson font en effet mention que, «lors de la seconde conquête de notre province de Comté par Louis XIV, en 1674, M. de Revel qui était commandé d'emporter ce poste» de Faverney, seule place forte dont les remparts fussent restés debout dans le bailliage d'Amont pendant la guerre de Trente Ans, se présenta au mois de Juillet devant la cité du miracle, croyant «que la ville se rendroit dès qu'elle aurait entendu le canon. C'est pourquoi, encore qu'il n'eût qu'une seule pièce et point de munitions que pour une ou deux fois, il fit tirer». Mais les portes ne s'ouvrant pas, «on se crut obligé d'honneur à ne pas s'en retourner sans la prendre, par là même que le canon avait tiré. Les Français allèrent à l'assaut l'épée à la main», et les habitants se défendirent si vaillamment que «trente-six gardes du corps furent tués ou blessés». Cette résistance inattendue exaspéra M. de Revel, d'autant que ce ne fut qu'à la dernière sommation de brûler l'abbaye et de massacrer tous les habitants que la ville se rendit. Aussi la rançon de guerre fut-elle considérable et la charité des religieux dut encore venir au secours des citoyens. Ce fut alors que les fortifications furent rasées par ordre de Louis XIV. Mais il est à remarquer qu'une fois leur fureur guerrière passée, les soldats français du régiment de la Viefville-Cavalerie se montrèrent dévots à Notre-Dame la Blanche et à la Sainte-Hostie du miracle. On lit encore sur le vieux registre de la confrérie du très Saint-Sacrement les noms de plusieurs officiers qui y tinrent alors garnison (42).

De cette conquête définitive de la Franche-Comté par la France, il en résulta d'abord pour l'abbaye de Faverney un bien fort imprévu. Louis XIV, roi absolu, voulut gouverner en maître absolu : il destitua donc immédiatement presque tous les bénéficiaires ou abbés commendataires établis par le roi Philippe IV, et l'indigne Antoine Doré fut du nombre. À sa place le monarque français nomma directement comme abbé en 1675 un jeune noble mondain, poète badin, François-Théodore Gourret Du Cloz, à peine âgé de dix-neuf ans. Le roi de France, au milieu de l'enivrement de sa gloire, oubliait que, s'il avait pris la place des rois d'Espagne, comme eux il avait besoin d'un indult pontifical pour désigner aux abbayes et aux prieurés de la Comté. Le nouveau commendataire attendit donc longtemps ses bulles, en raison des difficultés survenues à cette époque entre le pouvoir autoritaire de Louis XIV et les droits inaliénables du Saint-Siège. Sur ces entrefaites, le grand prieur claustral Dom Odilon Bebin, l'historiographe érudit de Faverney, mourut le 14 Octobre 1676, et les religieux s'empressèrent de demander pour le remplacer Dom Benoît Dard leur sous-prieur. C'est alors que l'abbaye de Faverney donna le spectacle du plus étonnant des contrastes. Dans l'hôtel abbatial, à l'entrée du monastère, un jeune homme plein de feu et d'un caractère dissipé menait une vie joyeuse et festoyait durant chacun de ses courts séjours : c'était l'abbé laïque, sans bulles, sans costume religieux, et dont l'esprit léger, mais très versé dans la littérature, excellait surtout dans les poésies fugitives. À côté du palais abbatial, derrière la lourde porte du cloître, vingt bénédictins nuit et jour priaient, s'immolaient, jeûnaient, se mortifiaient, étudiaient, ayant à leur tête un supérieur qui «était le premier à embrasser ce qu'il y a de plus pénible et de plus humiliant dans la plus exacte observance de la sainte règle, épargnant les faibles, encourageant les timides et fortifiant les plus robustes à qu'il y a de plus parfait. La sagesse de ses avis, la vivacité de ses lumières et encor plus la force de son zèle à maintenir la discipline régulière furent telles pendant le quinquennium ou ces cinq ans de supériorité que dans tous les couvents de la Congrégation l'on ne parlait plus du R. P. Dom Benoît Dard que comme d'un saint» (43).

Cette sainteté du jeune bénédictin amancéen, grand prieur de Faverney, se signala naturellement par un zèle «qui le dévorait pour avancer la gloire» de la Sainte-Hostie et «travailler infatigablement au salut des âmes par sa prédication vrayment apostolique». Aussi fit-il annoncer au son de la trompe, en toutes les terres de la seigneurie, les indulgences nombreuses attachées récemment à la confrérie du «Sacrement de Miracle». Bientôt les pèlerins accourent en foule au pèlerinage de la Pentecôte et aux fêtes de Notre-Dame la Blanche ; l'antique registre de la confrérie se couvre de noms ; cent soixante villages y sont représentés en 1680 ; l'image de l'ostensoir dans les flammes est appendue dans toutes les maisons de la vallée de la Saône, et les missionnaires diocésains de Beaupré, appelés par le curé-vicaire de Dom Benoît Dard, purent donner aux habitants de la cité du miracle une mission dont les archives relatent le succès des plus magnifiques. En l'an 1681, l'affluence des «peuples qui assistent de toutes parts a la seconde feste de la Penthecoste» fut telle que les curés des paroisses voisines, à raison du grand nombre de pèlerins qu'ils avaient amenés, ne purent s'entendre sur la question «de préséance de passer l'un devant l'autre» et produisirent un grand scandale «en mepris et irreverences du tres sainct Sacrement». Aussi à la requête signée par le «sou prieur» Dom Joseph d'Anthorpe au nom des Révérends Pères prieur et religieux de l'abbaye et par Charles-François Joram, curé de Menoux et doyen rural de Faverney, l'archevêque Antoine-Pierre Ier de Grammont publia le 6 janvier 1682 un règlement ainsi conçu : «Nous déclarons qu'après le sieur Curé de Faverney, celluy de Menoux et la procession de sa paroisse auront la preseance dans les processions solennelles qui se font tous les ans au jour de seconde feste de Penthecoste, selon que de tout temps ils l'ont eu, et qu'en suiste ceulx d'entre les aultres curés qui auront amené leur procession audit lieu de Faverney en l'occasion susdite, le plus ancien curé dans sa paroisse passera le premier avec sa procession, et après luy l'aultre plus ancien, et ainsy consecutivement de curé a autre» (44).

«Le sieur Joram, decanus» ou doyen rural de Faverney et curé de Menoux, fut chargé d'intimer immédiatement l'ordre archiépiscopal aux curés du voisinage, mais la Pentecôte de cette année 1682 fut assombrie par un fléau assez rare dans nos contrées. «Le 12 Mai, à deux heures du matin» a relaté Dom Grappin d'après le manuscrit du Sieur Martin Vauthier ancien curé de Faverney, un tremblement de terre très violent se fit sentir dans toute la France ; les secousses se succédèrent depuis deux heures jusqu'à six heures et demie du matin ; la première oscillation ébranla tellement le sol à Faverney que quelques maisons de particuliers s'écroulèrent et plusieurs animaux périrent dans les écuries, mais on n'eut à déplorer la mort d'aucun habitant. Toutefois le magnifique hôtel abbatial, remarquable par la beauté de ses salles et de ses trois étages, qu'avait fait bâtir, en 1599, le seigneur-abbé Jean Doroz vers l'entrée du monastère, en bordure de la rue Vannoise, fut lézardé et l'abbé laïque Gourret du Goz dut l'abandonner. Les bâtiments eux-mêmes du monastère furent fortement endommagés : on eut dit que toute la rage de l'enfer se fut concentrée pour détruire l'abbaye transformée depuis le miracle. Quelques mois après, le saint prieur Dom Benoît Dard, ayant fini son quinquennium, était rappelé à l'abbaye de Luxeuil comme maître des novices. Mais ses exemples d'humilité profonde, d'obéissance parfaite, de pénitence rigoureuse, de pureté angélique, de grande charité envers les pauvres, et surtout son ardent amour pour Dieu et les âmes, joint à une science vraiment prodigieuse, resteront après lui et vont bientôt faire germer la semence divine de la conversion dans l'âme de l'abbé noble et mondain (45).

En attendant cette heure assez éloignée Théodore Gourret Du Cloz, déjà touché de la grâce, s'employa de son mieux à réparer les dégâts du tremblement de terre. Les antiques halles de la ville, jusqu'alors situées près de l'église abbatiale, sur la petite place non loin de l'église paroissiale Saint-Bénigne, se trouvant trop restreintes pour abriter les nombreux pèlerins et acheteurs qui accouraient aux rapports ou fêtes religieuses, l'abbé Du Cloz, selon le plan tracé par l'éminent architecte Dom Duchesne, fit construire un spacieux bâtiment de trente-huit mètres de longueur et formant au centre un carré long ou cour intérieure avec cinq arcades de chaque côté. Aux deux extrémités se dressait une vaste entrée à portique qui aboutissait sur deux rues. Puis, dans l'emplacement des halles démolies, Dom Vincent Duchesne éleva le nouveau quartier abbatial, situé au sud de l'église du monastère ; et afin de faciliter l'accès du sanctuaire au seigneur-abbé, il transforma en une porte, aujourd'hui murée, l'arc en tiers-point qui jadis avait servi de sépulcre au prince Jean II de Bourgogne. Pour faire pendant à cette ouverture du chevet, au côté opposé on établit une jolie crédence trilobée, décorée d'arcatures à jour et de feuillages. Le tout fut terminé en l'an 1687 (46).

Dix ans après, un fait sans précédent se produisit à l'abbaye de Faverney. Au commencement de l'année 1697, le pape Innocent XII, ayant mis fin aux différends qui existaient entre Louis XIV et le Saint-Siège, accorda au roi de France l'indult depuis si longtemps contesté et envoya aux bénéficiaires élus par ce monarque les bulles qu'il avait jusqu'alors refusées. François-Théodore Gourret Du Cloz, reconnu donc comme légitime abbé de Faverney par la bulle Pro cupiente profiteri, se résolut à mettre en exécution l'héroïque projet qu'il nourrissait depuis longtemps dans son cœur touché de la grâce et dégoûté du monde. Au mois d'avril, à 41 ans, il partit s'enfermer dans l'abbaye de Luxeuil et commença son noviciat comme simple religieux sous la direction du saint éminent Dom Benoît Dard, qui, «sans se démettre du fardeau de la supériorité de sa grande et nombreuse communauté», marchait alors sur les traces de saint Colomban, et comme lui menait par instants la vie la plus mortifiée en la solitude d'Annegrey. Soutenu par le maître des novices Dom Claude Michaud, religieux d'une vertu solide, d'une régularité exemplaire et d'une érudition profonde, Frère Du Cloz accomplit parfaitement les exercices les plus pénibles de la vie bénédictine réformée, et deux ans après il fit profession solennelle le 26 avril 1699. Muni d'une nouvelle bulle qu'il avait humblement sollicitée à Rome et qui avait été fulminée dès le 6 avril à Langres, Dom François-Théodore Gourret Du Cloz prit de nouveau possession de son abbaye de Faverney le 11 octobre suivant, et dès lors donna le magnifique exemple, très rare à cette époque, d'un abbé commendataire lié par les mêmes vœux que ses moines et suivant comme eux et avec eux les strictes observances de la vie régulière bénédictine (47).

Les religieux de Faverney, heureux et fiers de la conversion si sincère de leur commendataire, l'engagèrent alors à aller renouer la chaîne, interrompue depuis près d'un demi-siècle, de la présidence des fêtes si magnifiques de Dole. Le saint abbé Brenier s'y était rendu en 1656, et depuis !... L'occasion du reste était des plus favorables. L'archevêque Pierre-Antoine Ier de Grammont, en souvenir de son séjour si marquant à l'école de Dom Brenier, venait le 6 février 1700 d'approuver enfin la clause du traité de 1608 qui permettait à l'abbé «d'officier pontificalement avec la crosse et la mître à la procession du mardy de Penthecoste». Fort de son droit, Dom Gourret Du Cloz alla à Dole en 1703 ; mais à nouveau il eut à subir de la part des chanoines, toujours aussi jaloux, le même refus de célébrer la grand' messe pontificalement après la procession, sous prétexte que si on l'avait jadis permis à ses prédécesseurs, ce n'était que «par motif d'honnesteté». L'abbé Du Cloz justement blessé porta plainte au bailliage, et, le 30 septembre suivant, la sentence rendue donna raison à l'abbé contre le chapitre (48).

La splendeur inaccoutumée des cérémonies, l'affluence extraordinaire des populations, la dévotion si ardente et si populaire des Dolois pour leur Sainte-Hostie, tout avait profondément remué à Dole l'âme de Dom Théodore Gourret. Aussi de retour dans son monastère, cédant aux conseils de Dom Vincent Duchesne que le Saint-Siège venait d'honorer du titre de protonotaire apostolique à raison de ses travaux d'église, le pieux abbé comprit que ses excellents religieux n'étaient plus en sûreté de vie dans les bâtiments claustraux dont les lézardes du tremblement de terre s'étaient subitement agrandies en son absence. Dès lors fut commencée l'exécution du plan magistral qu'avait conçu ce bénédictin qui fut un des meilleurs architectes de son temps. Un immense édifice de cent mètres de long dont les deux étages s'élèvent majestueusement sur des salles voûtées aux pilastres puissants, fut construit, avec des blocs de pierre taillée, le long de l'immense jardin des bénédictins, et forma «la rue des Moynes ayant de longueur 270 pieds et de largeur 20 pieds environ». Au centre de la façade qui comprend 81 fenêtres et portes, sur le fronton de l'entrée principale fut gravée cette inscription chronographique : DIVINO EVCHARISTIÆ SACRAMENTO (M DCC VVIIII). Les deux pignons des extrémités sont couronnés de frontons triangulaires. Sur celui de la grande baie vitrée d'où émerge un balcon et d'où la vue contemple un délicieux panorama sur la vallée de la Lanterne et le village de Mersuay, on lit cet autre chronographe : ORDINIS TVTE LÆ ET COLVMINI (M DCLL VVIIII) (49).

Deux corps de logis, posés d'équerre et élevés à la même hauteur que le grand bâtiment, forment un cloître intérieur dont les arcades cintrées sont du plus bel effet architectural. Du côté du sud, le cloître aboutit à un escalier hardi, puis conduit à la cour d'honneur avec sa porte monumentale et s'appuie ensuite à l'église abbatiale auprès du portique qu'embellit jadis l'abbé Doresmieux. Au côté de l'est, le cloître donne d'abord accès à la salle capitulaire dont la voûte ellipsoïdale est une merveille d'élégance ; puis il ouvre sur le grand escalier central aux rampes monumentales qui sont un chef-d'œuvre de hardiesse de construction et mènent au couloir supérieur mesurant 98 mètres. Là de chaque côté se trouvaient les chambres des nombreux religieux bénédictins. Enfin, dans une cour formée par l'aile qui l'egarde le nord-est, vers le moulin du monastère, sur le cordon en pierre de taille, sous la troisième fenêtre du premier étage, fut gravée cette inscription qui rappelle la date des constructions et le miracle fameux de la Sainte-Hostie : CHRISTO DE FLAMMIS TRIVMPHANTI EIVSQVE PVRISSIMÆ MATRI XXVII APRIL. AN. MDCCXIV. «Tous les frais de bâtisse du grand corps-de-logis, a écrit Dom Grappin, n'excédèrent pas la somme de cent mille francs» (50).

En même temps que l'abbé de Faverney élevait à la gloire du Christ triomphant des flammes son splendide monastère, l'archevêque de Besançon François-Joseph de Grammont, neveu et successeur de l'illustre Antoine-Pierre Ier, instituait pour tout son immense diocèse un office spécial à la gloire du Christ triomphant de l'hérésie protestante. C'est qu'en effet, en ces dernières années, le duc de Wurtemberg, prince de Montbéliard, furieux de l'application par le roi Louis XIV, maître définitif en Franche-Comté, de l'article 4 du traité de Ryswick qui portait que «l'exercice de la religion catholique serait maintenu où il avait lieu auparavant», avait protesté violemment aux congrès d'Utrecht en 1712 et de Baden en 1714. Vaines protestations ! La souveraineté absolue du roi de France sur la principauté montbéliardaise et sur le ressort des Quatre-Terres fut reconnue et confirmée ; et c'est pourquoi en actions de grâces du culte de nos pères, rétabli enfin définitivement après cent trente-cinq ans d'interruption dans la ville de Montbéliard et dans les villages d'Autechaux, de Blamont, de Colombier-Fontaine, d'Héricourt, de Lougres, de Montécheroux, de Saint-Maurice, de Tavey et de Voujaucourt, le noble et zélé descendant des Grammont voulut affirmer sa foi au grand miracle de 1608. La fête de la Sainte-Hostie conservée dans les flammes fut fixée au 30 octobre sous le rite double de troisième classe, et désormais «les Religieux Bénédictins de Faverney ont cru, a remarqué Dom Maur Michelet, devoir la célébrer avec une octave solennelle» (51).

Aussitôt que l'abbé Du Cloz eut terminé son entreprise si considérable et si digne de la postérité de la reconstruction du monastère selon les plans de Dom Duchesne, il n'eut plus qu'un souci : épargner après lui à son abbaye modèle la honte d'un abbé commendataire. En vertu de sa propre expérience il ne savait que trop ce que valent les laïques, nommés par la faveur royale à la direction des moines. À l'exemple de l'humble abbé Dom Doresmieux son prédécesseur, il voulut se donner de son vivant un coadjuteur avec future succession. Son choix était dicté d'avance : il savait quelle profonde reconnaissance et quelle haute estime ses bons religieux avaient conservées pour leur éminent confrère Dom Vincent Duchesne l'architecte qui, devenu prieur de Vaux-le-Vernoy en 1697, venait d'être choisi par le régent duc d'Orléans comme instituteur du jeune roi de France Louis XV, sous la direction du duc de Maine et de l'abbé Fleury. Ce fut donc sur cet ancien moine de Faverney, novice du saint abbé Brenier, que Dom Gourret jeta les yeux. Il s'en ouvrit au régent et au petit roi qui furent enchantés de récompenser ainsi le savant précepteur, et le 12 avril 1720 l'abbé Duchesne recevait son brevet de coadjutorerie (52).

Rassuré du côté de son coadjuteur-successeur, le vieil abbe Théodore Du Cloz se vit assailli par un ennui d'un nouveau genre et auquel il était loin de s'attendre. Au commencement de l'année 1724, le curé-vicaire de la paroisse de Faverney, nommé par le seigneur abbé, vint à mourir. C'était Messire Martin Vauthier qui, par son testament daté du 11 décembre précédent, avait institué les bénédictins pour ses héritiers universels des deux tiers de ses biens et en outre leur léguait sa riche collection de livres et de manuscrits. Or, au mois de juillet, l'abbé Du Cloz, en sa qualité de curé primitif, avait nommé à la vicairie perpétuelle Messire Pierre-Jacques d'Auxiron qui, à raison de son titre de docteur en théologie, avait su capter toute sa confiance. Mais celui-ci, foulant aux pieds dès les premiers jours tous les droits d'usance et de coutume immémoriale, «refusa de se rendre avec son peuple assemblé depuis l'église Saint-Bénigne jusqu'à l'église abbatiale pour y prendre les religieux, marcher devant eux à la grande procession de l'Assomption de Notre-Dame, et les reconduire ensuite dans leur église». Dom Du Cloz essaya de toutes sortes de moyens pour ramener, sinon à l'obéissance, du moins aux convenances ce curé révolté ; mais le sieur d'Auxiron ne voulut rien entendre et poussa ses prétentions jusqu'à ne pas vouloir permettre l'entrée de son église paroissiale à l'abbé et à ses moines, lors des processions «du troisième jour des Rogations ni de la seconde fête de la Pentecôte ni du jeudi de la Fête-Dieu». En face d'un tel entêtement, l'abbé n'hésita plus et il porta l'affaire devant la justice du bailliage à Vesoul (53).

Pendant le cours de cet interminable procès qui lui valut, durant près de dix ans, bien des tracasseries et des procédés scandaleux de la part du curé-vicaire réfractaire, le pieux abbé Du Cloz eut encore la douleur de perdre son coadjuteur Dom Vincent Duchesne presque nonagénaire que la mort surprit le 8 novembre 1724, en l'abbaye de Saint-Vincent à Besançon. Heureusement que, quelques mois auparavant, ce dernier sentant sa fin prochaine s'était uni «avec Dom Du Cloz pour demander au roi sa démission de la coadjutorerie en faveur d'un bénédictin de Luxeuil» Dom Léonard Coquelin, âge de 34 ans et profès depuis 1708. Mais ce ne fut que le 10 mars 1725 que celui-ci reçut le brevet royal (54).

L'annee suivante, une merveille etonnante vint procurer, selon le recit de Dom Michelet, «une devotion plus ardente» envers le Sacrement de Miracle. «L'an 1726, le feu prit subitement et embrasa en quelques instants une maison sise presque au milieu de Paverney, le soir du Mercredy saint. Les flammes furieuses, poussees par un vent impétueux, menaçaient la ville entière. En quelques quarts d'heure, les maisons voisines furent consumées, la plupart des habitants ne songeaient plus qu'à enlever ce qui pouvait être emporté ; les gens de guerre en garnison prirent la fuite avec leurs equipages comme si la ville eut ete prise d'assaut ; on ne pensait plus qu'à sauver les petits enfants ; les alarmes retentissaient de toutes parts entre les bourgeois ; ceux qui étaient encore loin des flammes, avant sorti leurs meubles hors de leurs maisons, avaient tellement rempli les rues et les passages qu'on ne pouvait plus y faire porter ni traîner les eaux nécessaires, en sorte que tout remède humain était perdu. Alors on songea au remède divin de l'Hostie miraculeuse.

Mais le sacristain de l'abbaye, pour le reposoir du Jeudy saint, avait rempli de tables, planches et autres meubles la Sainte-Chapelle et pour parvenir à tirer la Sainte-Hostie de son tabernacle et la porter depuis la Sainte-Chapelle jusqu'au lieu du sinistre, il fallut une heure entière pendant laquelle plus de quarante-cinq maisons furent consumées ; les flammes jointes à l'orage étaient si violentes qu'elles furent portées hors des murs de la ville jusqu'à y réduire en cendres plusieurs fumiers.

Toutefois aussitôt que le vénérable Père Abbé, accompagné de plusieurs religieux, eut porté respectueusement la Sainte-Hostie miraculeuse dans les rues, plusieurs maisons (quoique couvertes de bois fort sec et déjà si remplies de flâmes qu'elles paraissaient de toute part sur les toits), se trouvèrent d'abord après délivrées, bien que ceux qui étaient montés dessus ou autour pour les éteindre, vissent sensiblement leur travail inutile. Ce succez de leurs prières qu'ils mêlaient à leurs cris et à leurs larmes, les fit bientôt changer en actions de grâces de voir au moins les trois quarts de la ville échappés d'un incendie qui paraissait inévitable».

L'historien Dom Maur Michelet qui rapporte ce fait prodigieux sept ans après l'évènement, a bien soin d'ajouter qu'il «regrette qu'on n'eut pas soin de faire dans les formes une information authentique de cette merveille», signalant seulement qu'on «se contenta pour la postérité de faire peindre un grand tableau, posé au-dessus de la principale porte de la sainte chappelle avec ce chronographe (55):

GLORIA IN ALTISSIMIS DEO
CVI SÆPIVS SISTENS PARVIT IGNIS
(M D CLL VVV IIIIIIIIIII — 1726)

C'est apparemment, ajoute encore le même auteur, «ce qui fit redoubler la dévotion ces dernières années». Et de fait, à partir de cet incendie arrêté par la présence de la Sainte-Hostie de 1608, nous voyons partout s'organiser les adorations perpétuelles. D'après les archives de la Mission d'École, on en trouve à Boujailles, à Clairvaux, Chissey et Colombier-lès-Vesoul, à Delle, Dole et Dambelin, à Frasne-le-Château, Faucogney et Fontenois-lès-Montbozon, à Gy et à Grand-Noir du Jura, à Lure et à Lons-le-Saunier, à Morteau, à Ornans et Orgelet, à Pesmes et Pontarlier, à Salins, Saint-Vit, Saint-Maur, Saulx et Servance, et enfin à Vuillafans dans le Doubs et à Saint-Pierre de Besançon. «Partout c'est un vif élan de foi : soit que l'adoration se fasse une fois par an, ou tous les mois, ou aux principales fêtes, ou tous les dimanches, ou tous les jours, elle est l'expression de la dévotion populaire la plus touchante, la plus ardente et la plus édifiante». Et chose digne de remarque ! Un règlement nouveau de la confrérie du très Saint-Sacrement de Miracle est élaboré, et cette fois les communions y sont obligatoires, et Dom Michelet conclut par une exhortation à la «communion aussi fréquente que fervente» (56).

Durant ce splendide mouvement de foi eucharistique, les religieux de Faverney, en fidèles enfants de Dom Brenier, voulurent eux aussi y coopérer, et c'est alors qu'ils composèrent «un office exprez où les circonstances du miracle sont rapportées en détail». La prose surtout qui est inédite et qui ne se chante qu'à l'anniversaire, est un éloquent récit du prodige de 1608 que la foi et la science des bénédictins réformés ont merveilleusement adopté au Lauda Sion de saint Thomas d'Aquin. Désormais donc aux fêtes populeuses du lundi de la Pentecôte, sous les voûtes de l'antique église abbatiale, retentira ce cantique de l'éternelle gratitude : «Faverney, cité choisie entre toutes, souviens-toi toujours et sois reconnaissante : comme gage tu possèdes l'Hostie sacrée !» (57).

Au commencement de 1730, l'âge avancé de Dom Gourret Du Cloz et la mort de son zélé prieur Dom Constance Guillot, religieux bénédictin fort remarquable, obligèrent le vénérable abbé, déjà plus que septuagénaire, à solliciter de Rome et de ses supérieurs majeurs la permission de cesser la vie de communauté que ses infirmités ne lui permettaient plus d'accomplir : il se retira donc dans l'hôtel abbatial qu'il avait fait construire, et il y vécut durant quatre ans dans la plus stricte pauvreté, voulant ainsi réparer le scandale de ses premières années. Il mourut le 20 septembre 1734 dans la soixantième année de sa nomination à l'abbaye et dans la trente-sixième de sa profession à Luxeuil. Il avait près de quatre-vingts ans. Avant de descendre dans le tombeau des abbés ses prédécesseurs, a narré Dom Grappin qui a lu l'un de ses Mémoires; il eut la consolation de voir le curé-vicaire «le Révérend Messire Pierre Jacques d'Auxiron», prêtre fort zélé et instituteur des congrégations d'hommes et de femmes à Faverney, se montrer plus conciliant et régler par un accord homologué au Conseil d'État, le 14 septembre 1733, le différend survenu entre eux. Désormais les religieux eurent le droit d'aller processionnellement à l'église paroissiale le troisième jour des Rogations et d'y célébrer la messe, comme aussi le curé-vicaire perpétuel reconnut son devoir de conduire son peuple assemblé aux jours des processions de la fête-Dieu, de la seconde fête de la Pentecôte et de l'Assomption de Notre-Dame pour aller prendre les religieux à l'église abbatiale, marcher devant eux et les reconduire ensuite dans leur église. Enfin il fut décidé que le partage aurait lieu désormais par moitié de toutes les offrandes qui se feront par les fidèles aux jours que l'abbé officiera dans l'église paroissiale en qualité de curé primitif. Du reste, à cette triste époque de misères et de fléaux sous le roi Louis XV, la ville de Faverney ne comptait plus que 248 habitants (58).

Le jour même de la mort de l'octogénaire abbé Du Cloz, le coadjuteur fut élu par les religieux de Faverney. Le nouvel abbé Léonard Coquelin était né à Besançon, le 21 juillet 1690, d'une ancienne famille de magistrats distingués : son grand-père Henri Coquelin avait été d'abord conseiller, puis procureur au Parlement de Dole, et son père Louis-Henri fut doyen du Parlement transféré à Besançon en 1676. «S'élevant de bonne heure au-dessus des espérances mondaines», le jeune Léonard était entré comme novice à douze ans dans l'abbaye de Luxeuil et y avait reçu la tonsure cléricale en 1703. Ayant sous les yeux les grands exemples de sainteté extraordinaire du prieur claustral Dom Benoît Dard, il s'inspira aussi des nobles vertus familiales qui avaient successivement brillé dans l'abbé Jérôme Coquelin, réformateur du monastère luxovien en l'an 1635 sous l'inspiration de Dom Brenier, et de Dom Jérôme Coquelin, neveu du précédent, principal du collège de Dole et élu au postulé à la dignité abbatiale de Faverney par ses confrères, en 1662, après la mort du saint abbé Brenier. Pour honorer la mémoire de ces deux grands hommes, le jeune tonsuré Léonard avait pris en religion le nom de Jérôme, et à dix-huit ans, le 20 février 1708, il s'était consacré définitivement au Seigneur, voulant s'efforcer de réunir les vertus qui avaient caractérisé son oncle et son grand-oncle. «L'histoire bénédictine dira qu'il y réussit» : c'est ainsi que Dom Grappin parle du coadjuteur-successeur de l'abbé Dom François-Théodore Gourret du Cloz (59).

Après la prise de possession de son siège abbatial, le 30 septembre 1734, l'abbé Coquelin se montra digne du noble nom qu'il portait. Tout d'abord il s'entreprit à faire respecter les droits de son abbaye, et les habitants de Venisey furent rappelés au devoir «de se rendre en armes à Faverney tous les ans, la veille de l'Assomption, afin d'empêcher les troubles lors de la fête patronale». Ensuite, il s'occupa avec un soin particulier de ses jeunes religieux et il leur donna le cours complet de philosophie et de théologie qu'il avait déjà composé à Luxeuil comme maître des novices. Puis, cédant à ses goûts littéraires, il obtint du roi de France, le 1er octobre 1741, la nomination de Dom Ambroise Maréchal d'Audeux pour son coadjuteur avec future succession, et alors il s'adonna à une Dissertation sur le port Abucin, à un Mémoire sur la Méthode de travailler à l'histoire du Comté de Bourgogne, au Cartulaire de l'abbaye de Faverney, à une Dissertation sur l'antiquité de l'église de Besançon, à un Abrégé chronologique des comtes de Bourgogne, et à une immense Collection de faits relatifs à l'histoire ecclésiastique et civile de la Franche-Comté. Aussi lors de la fondation à Besançon, en 1752, de l'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts, Dom Coquelin mérita de figurer parmi les premiers membres. Mais sa science et ses talents d'écrivain hors de pair ne lui feront jamais oublier sa vocation bénédictine, et il s'est «peint tel qu'il est dans ses ouvrages. Partout, a remarqué Dom Grappin, on y voit beaucoup de piété, beaucoup d'érudition et de justesse, une grande modestie, un fonds inépuisable de religion, et un amour sincère de son état monacal. Il sait par expérience combien les études solides contribuent à conserver l'esprit religieux, et ce prélat bienfaisant a mis dans la bibliothèque de son abbaye pour plus de cinq mille écus de médailles et de livres excellents. Il s'est particulièrement étudié à former une collection des auteurs francs-comtois, collection intéressante qui apprendra, conclut Dom Grappin, jusqu'où se portent actuellement dans notre province le goût des sciences et l'amour du travail» (60).

Type parfait du bénédictin, c'est-à-dire savant remarquable et excellent religieux, Dom Jérôme Coquelin mérita aussi de remplir les hautes fonctions d'abord de visiteur, en 1743 et 1744, puis celles de supérieur général de la Congrégation de Saint-Vannes et Saint-Hydulphe de 1750 à 1753. Mais tous ces honneurs ne l'empêchèrent pas d'entourer d'un culte ardent et filial les deux trésors inestimables de son église abbatiale, je veux dire Notre-Dame la Blanche et la Sainte-Hostie miraculeuse. Aussi, pour maintenir et affirmer avec tout son prestige le droit inaliénable des abbés de Faverney, il résolut d'assister à Dole à la procession du mardi de la Pentecôte où l'on devait chanter l'office propre, composé par le chanoine dolois Messire Prothade Amidey et approuvé par l'archevêque de Besançon Antoine-Pierre II de Grammont. Mais l'antique jalousie du chapitre, foulant aux pieds l'arrêt définitif du bailliage en 1703, intervint encore après la magnifique cérémonie pour refuser à l'abbé Dom Coquelin la permission d'officier pontificalement à la grand' messe. Alors Dom Jérôme, fort de son triple droit par le traité de 1608, par l'approbation archiépiscopale et par la décision de justice, menaça si vertement les chanoines impénitents qu'ils cédèrent néanmoins «afin d'éviter le scandale» (61).

Durant la dernière année de sa présidence générale de la Congrégation bénédictine réformée, la grande piété de Dom Jérôme brilla d'un vif éclat. L'an 1753, un nouvel incendie, attribué à la malveillance, prenait des proportions effrayantes ; en dépit de tous les efforts de la population, l'intensité des flammes redoublait et la ville de Faverney était menacée d'un sinistre aussi terrifiant que celui de 1726. Dans ce moment de suprême danger, les habitants inspirés par leur foi coururent à l'abbaye, suppliant l'abbé Coquelin de se rendre avec la Sainte-Hostie vers le foyer du feu. Leur pieux espoir ne fut pas déçu : devant le Sacrement de Miracle, porté religieusement par le général des bénédictins, les flammes s'arrêtèrent, et la cité bénie par le Très-Haut, eut à enregistrer un second prodige dans ses saintes annales. Malheureusement, ajoute Dom Grappin, «on n'a point dressé de procès-verbal et on n'informa pas davantage», et aucun ex-voto ne rappela ce deuxième miracle du feu (62).

Vers la même époque, un jeune enfant Pierre-Antoine Lalot est «guéri miraculeusement des écrouelles par sa dévotion à la Sainte-Hostie». Ainsi est indiquée brièvement cette nouvelle faveur du Ciel dans l'antique catalogue primitif de «la Confrairie du Tres Auguste et Tres Sainct Sacrement de Miracle» (63).

Or, de même qu'en 1726, il se produisit alors à Faverney et dans toute la Franche-Comté un renouveau de foi eucharistique. J'en donnerai comme preuve première «la demande faite à l'archevêque de Besançon Antoine-Cleriadus de Choiseul Beaupré par le Révérend Sieur Dom Jérôme Coquelin, abbé de Faverney, d'une copie en bonne et dûe forme du procèz verbal d'enquête faite en l'année mil six cent huit, à l'occasion de la conservation miraculeuse de la Sainte Hostie dans un incendie arrivé en l'Eglise abbatiale dudit Faverney, ainsi que d'autres actes annexés au dit procèz verbal déposé dans les archives de l'archevêché». Cette copie authentiquée porte la date du dix-huit janvier mil sept cent soixante, et elle est fort heureusement conservée intacte dans les archives curiales (64).

J'en donnerai comme preuve seconde une supplique des «officiers municipaux de la ville de Faverney et des fabriciens de l'église paroissiale dudit lieu», sollicitant humblement vers 1760 le même pontife pour la fondation perpétuelle de «quarante heures ou dimanche de la quinquagesime et deux jours suivans avec une predication a chacun desdis jours le soir avant la benediction du Saint Sacrement». Depuis plusieurs années, après le miracle de l'incendie de 1753, on a fait «les dites quarante heures dans cette eglise avec beaucoup d'edification et que l'on a vu cesser depuis ce temps beaucoup de desordres et de scandales qui avoient ete jusqu'alors et qu'un grand nombre de personnes, non seulement de la susdite ville, mais encore de tout le voisinage s'approchent des sacrements en ce temps» (65).

J'en donnerai comme preuve troisième les prédications enflammées d'un capucin qui fut un des religieux les plus zélés de son Ordre, le R. Père Ludovic Saget de Faverney. Il a laissé en manuscrit une suite d'instructions intitulées : Nouvelle histoire des Hosties miraculeuses de Faverney et des miracles de Notre-Dame de Gray, et Discours dogmatique sur les miracles en général et en particulier sur les Hosties miraculeuses de Faverney. Il mourut à Besançon le 2 mai 1772 (66).

J'en donnerai comme preuve quatrième le zèle si remarquable et si persévérant de nos missionnaires diocésains d'École [commune à 4 km au nord-ouest de Besançon]. Durant tout le dix-huitième siècle jusqu'à la grande Révolution, ces hommes de Dieu parcoururent l'immense diocèse de Besançon, s'établissant pour une mission dans une paroisse centrale comme dans un camp retranché. Delà, durant leur séjour qui durait d'un mois à six semaines, ils faisaient des excursions dans les villages voisins jusqu'à trois lieues à la ronde, réveillant la foi endormie, dissipant l'ignorance et réformant les mœurs. Mais partout ils faisaient lire d'abord publiquement en chaire une espèce de circulaire dont la conclusion remarquable était : faire des œuvres en l'honneur du très Saint-Sacrement qui d'une manière particulière a honoré notre province de Franche-Comté» ; puis, ils avaient toujours le grand sermon sur le Sacrement d'Eucharistie dont le fond était le récit imagé et circonstancié du Miracle de 1608. Même en 1768, pendant la mission de Beaupré, ils offrirent publiquement aux pasteurs protestants du comté de Montbéliard et du territoire des Quatre-Terres, une copie collationnée de l'enquête prise sur l'original de l'archevêché. Mais en vain le dossier resta plusieurs mois déposé à la maison curiale : aucun hérétique ne voulut en prendre connaissance (67).

Enfin comme preuve cinquième et ultime je donnerai la générosité et la munificence que les bénédictins de Faverney déployèrent à cette époque pour restaurer leur église abbatial. Les riches offrandes des innombrables pèlerins qui, depuis un siècle et demi, accouraient plus nombreux que jamais dans le double sanctuaire du Miracle et de la blanche Madone, inspirèrent aux religieux, remarque tristement l'éminent archiviste M. Jules Gauthier, «la tentation malheureuse d'embellir et de dénaturer leur bel édifice». Le pavé des trois nefs qui jadis, longtemps avant le prieur et historiographe Dom Bebin, avait déjà été relevé à cause de l'humidité et qui ne laissait plus voir, au milieu de l'église, que la grande pierre moulurée et anépigraphe de sainte Gude, fut encore rehaussé et dallé en carrelages. Ainsi disparut toute trace de la tombe de la première abbesse et de la seule sainte de l'abbaye. Le sol de l'immense transept où les bienfaiteurs laïques du monastère avaient voulu être enterrés, fut surhaussé de deux escaliers, et leurs pierres tombales disparurent également. Le sanctuaire fut comblé et surélevé encore de deux degrés, et «les belles dalles historiées et enrichies de lames de bronze qui couvraient les cendres» des abbés Hugues de Salins, Guy de Lambrey, Doresmieux, Du Cloz, ainsi que celles des seigneurs d'Amance Thiébaud de Neufchâtel, Fernand de Neufchâtel et de Dame Claude de Vergy son épouse, furent supprimées totalement. On les remplaça par une tumulaire unique, remarquable en ce que ses veines bleutées figurent parfaitement un bénédictin à genoux ; puis le chœur fut pavés de dalles en échiquier blanches et noires, empruntés aux carrières de Villars-Saint-Georges (68).

Sacrifiant au mauvais goût de leur époque, les bénédictins couvrirent les colonnettes gothiques et les pilastres de leur chœur surhaussé par des soubassements à moulures soit en stuc soit en marbre de Sampans, puis firent courir le long des murs du sanctuaire des revêtements de marbre de Damparis à hauteur d'appui. Pour motif inexplicable, ils enlevèrent du presbytéral l'ex-voto monumental de la ville de Dole et le transférèrent dans l'arrière-bras du transept, au côté droit extérieur de la Sainte-Chapelle. Ils ajoutèrent même en haut les armes de la ville doloise supportées par deux lions et mirent comme couronnement un fronton demi-rond en marbre gris avec ces mots : DOLE A FAVERNEY, et en bas la devise traduite : IN IUSTITIA. EN JUSTICE. Les grandes baies romanes des deux chapelles absidiales furent ornementées de plaques de stuc et de marbre, et la statue miraculeuse Notre-Dame la Blanche fut placée dans une immense niche en marbre de Sampans. Enfin pour terminer l'ornementation du transept, sous les grandes fenêtres gothiques de la croisée «des retables plus ou moins élégants, sertissant de grandes peintures sur toile, se dressèrent dans les chapelles de Notre-Dame du Rosaire dans le bras droit, et de Saint-Benoît dans le bras gauche» (69).

Épris de cet engouement si commun au XVIIIe siècle d'enlever aux édifices du culte tout cachet d'antiquité romane ou gothique, les religieux de Dom Coquelin ne se bornèrent pas à la mutilation de leur magnifique chœur. Ils firent mieux et plus mal encore. Ils s'attaquèrent hardiment d'abord aux basses nefs dont les fenêtres romanes furent agrandies, puis à la nef principale qui présente vraiment un très bel aspect. Afin de «la ramener au style grec», ils s'acharnèrent «avec force plâtre et brique» à transformer en «piliers au carré tous les piliers alternativement ronds, carrés et octogones ; ils leur donnèrent des piédestaux que des pilastres en plâtre rattachaient à une immense corniche de 0 m. 80 de saillie et qui faisait le tour de l'église». Puis toute cette agglomération indigeste de plâtrage fut «peinte en jaune et en rouge pour simuler le marbre» de Sampans et de Damparis.

Enfin, pour achever cette regrettable transformation, ils obstruèrent jusqu'au tympan par «neuf grands tableaux» les verrières des cinq fenêtres de l'abside, et couvrirent les murs du presbytéral par «cinq grands tableaux» de chaque côté. «De la sorte, conclut M. Jules Gauthier, l'église romano-gothique de Faverney prit un décor au goût du jour malheureusement» (70).

La sollicitude attentive de l'abbé Dom Jérôme Coquelin, en même temps qu'il croyait embellir le temple témoin du grand Miracle de 1608, s'étendit à l'avenir spirituel de son monastère. Ignorant les sombres destinées qu'un avenir prochain réservait à ses moines si édifiants, mais désireux de leur épargner à tout jamais les scandales et les désordres dont maintes fois les abbés commendataires leur avaient donné le spectacle si déprimant, Dom Coquelin eut la gloire, de concert avec son noble coadjuteur Dom Ambroise Mareschal d'Audeux et conjointement avec les Dames du chapitre noble de Montigny-lès-Nones, de solliciter du Souverain Pontife Clément XIV la suppression du titre d'abbé et la réunion des menses abbatiale et conventuelle. En réponse à la double supplique adressée à Rome sur la fin de 1769, deux bulles papales, celle de Faverney datée du 28 octobre 1770 et celle de Montigny en date du 9 novembre suivant, concédèrent, pour motifs de haute moralité, l'union des revenus abbatiaux et des offices claustraux et de la sacristie et d'un prieuré et de six chapelles, y compris celle du bourg d'Amance, à la mense des religieux. Ces conditions ne devaient avoir leur effet qu'après la mort de l'abbé-coadjuteur Dom Ambroise d'Audeux, et alors les religieux bénédictins auraient seuls le droit de nommer leur supérieur, et ils paieraient perpétuellement, chaque année à l'abbaye de Montigny, à titre de compensation des droits concédés, la somme de 4.000 livres tant en grains qu'en argent (71).

L'administration de l'abbé Dom Jérôme Coquelin restera mémorable dans les fastes de l'abbaye, à raison de cette extinction du titre abbatial. Il m'est agréable de signaler que son dernier prieur claustral fut Dom Laurent Bruley d'Amance, religieux profès depuis 28 ans, et supérieur de 1766 à 1771. Ce fut le 24 août de cette dernière année qu'une attaque d'apoplexie enleva à l'affection de ses religieux et à l'admiration des érudits l'abbé Coquelin : il était âgé de 81 ans. Son corps fut inhumé dans le caveau construit par lui au milieu du sanctuaire, près de la grande grille du presbytéral, où il retrouva les restes mortels de trois de ses prédécesseurs. La large pierre tombale qui mesure 1,25 m. sur 2,16 m., et qui fut encastrée dans le pavé, ne porta plus que cette laconique inscription récapitulative (72) :

Hic quiescunt Reverendissimi Abbatis
D. Guido de Lambreio
6 julii 1520 ;
D. Alphonsus Doresmieux
17 7bis 1630 ;
D. Fr.-Theodorus Du Cloz
20 7bis 1734 ;
D. Hierominus Coquelin
Multis ille flebilis occidit
17bis 1771.

Après la mort de Dom Jérôme Coquelin, son coadjuteur Dom Ambroise Mareschal d'Audeux prit possession de son siège sans être inquiété par personne. Les documents sont rares sur ce dernier abbé de Faverney : j'ignore encore tout de sa famille et de sa jeunesse. Son humilité profonde et son grand esprit religieux contribuèrent beaucoup à l'obtention des bulles papales, et c'est «à lui en grande partie», écrit Dom Grappin, «que notre abbaye doit une mutation avantageuse en ce que Faverney sera pour jamais à l'abri des inconvénients de la Commende». Sous son règne qui dura douze ans, les bons religieux continuèrent leurs traditions de dévouement et de charité proverbiales. Les dernières années de Louis XV et les premières du roi Louis XVI furent marquées par ce que l'Histoire a appelé le pacte de famine. La cherté des vivres et surtout des blés accaparés avait arrêté le travail en Franche-Comté et des milliers de malheureux périssaient de misère. L'abbé Ambroise d'Audeux, mû par un louable sentiment d'humanité, invita les pauvres de Faverney à se joindre aux bénédictions pour exécuter un travail considérable, projeté depuis longtemps d'après les plans du célèbre architecte du monastère Dom Vincent Duchesne. Un canal, long de plus de quatre kilomètres, fut creusé depuis la rivière de la Lanterne au bas du vaste enclos du monastère et alla prendre sa prise d'eau auprès du village de Mersuay, sillonnant la prairie, faisant tourner le beau moulin conventuel, arrosant les jardins et passant sous un magnifique aqueduc. Grâce à ce travail de longue durée, nos infortunés pères purent traverser une partie des mauvais jours de cette triste époque (73).

Ce fut le 19 octobre 1783 que mourut à Besançon le dernier abbé de Faverney Dom Ambroise Mareschal d'Audeux. Immédiatement les religieux élurent alors pour le remplacer et administrer désormais l'abbaye en qualité de premier supérieur Dom Anselme Ferron, grand prieur claustral. Il était destiné par la Providence à en être le dernier. C'était un moine aussi laborieux que pieux et instruit. Né à Ainvelle le 30 septembre 1751, il avait embrassé à Faverney la vie monastique à seize ans, dans les dernières années de l'abbé Jérôme Coquelin. Justifiant pleinement les espérances de ses supérieurs, il avait d'abord été chargé d'enseigner la rhétorique aux novices de Faverney, puis à ceux de Luxeuil. Fort intelligent, trois fois il avait déjà remporté le prix d'érudition à l'Académie de Besançon, notamment pour son savant Mémoire sur la chronologie des évêques bisontins. Les talents de Dom Ferron l'avaient élevé de bonne heure, malgré son jeune âge, aux premières dignités de la Congrégation de Saint-Vannes et Saint-Hydulphe ; aussi ses religieux s'empressèrent-ils de lui confier la succession abbatiale supprimée. Il n'avait alors que trente-deux ans (74).

Il se trouvait, du reste, fort aidé dans sa tâche nouvelle par deux éminents bénédictins, tous deux profès de Faverney, Dom Couderet et Dom Berthod, ce dernier même comptait depuis le 7 février 1770 parmi les Quarante de l'Académie de Besançon. Dom Jean-Alexandre Couderet était déjà un vieillard dont la sage prudence et la science consommée l'assistaient utilement. Né à Besançon le 20 mai 1712, il s'était formé à l'école de son compatriote Dom Coquelin et avait composé un grand nombre de dissertations historiques sur la Franche-Comté et sur les principales villes de la province ; plusieurs ont été couronnées par l'Académie. Beaucoup plus jeune était Dom Anselme Berthod, saônois né à Rupt le 11 février 1733. Arrivé à dix-huit ans à l'abbaye de Faverney, aussitôt ses études terminées, il s'était adonné avec passion sous la savante direction de l'abbé Coquelin aux recherches historiques. Son coup d'essai fut une Histoire du premier royaume de Bourgogne qui parut en 1758. L'année suivante, couronné à l'Académie pour son mémoire sur la capitale de la Franche-Comté au XIe siècle, il avait obtenu en 1760 un premier accessit, puis en 1761 un prix, et enfin en 1764 une nouvelle couronne pour ses travaux sur les Armoiries et la devise de Besançon, sur les Droits des abbayes de Luxeuil, Lure et Saint-Claude et sur les Différentes positions de la ville de Besançon depuis César jusqu'à nous. Chercheur infatigable, il écrivit une Table raisonnée des livres de la riche bibliothèque de l'abbaye de Saint-Vincent, puis une Table des testaments déposés à l'officialité bisontine. Chargé par le gouvernement français de faire le dépouillement des archives de Bruxelles et d'en extraire les pièces qui pouvaient servir à éclaircir les points contestés de l'histoire de France, il s'acquitta de cette commission avec beaucoup de zèle et de succès ; aussi en 1784 fut-il associé aux savants religieux chargés de continuer le recueil des Acta Sanctorum commencé par Bollandus, et il eut part à la publication du cinquante-troisième volume de cette importante collection [Acta sanctorumoctobris... collecta, digesta, commentariisque & observationibus illustrata partim à Cornelio Byeo, Joanne Baptista Fonsono... Anselmo Berthodo...], connue sous le nom de Bollandistes. C'est alors qu'il devint membre des Académies de Besançon et de Bruxelles et de la Société littéraire de Dunkerque (75).

Dès sa première année de gouvernement de l'abbaye, Dom Ferron obtint du roi Louis XVI des lettres patentes pour créer un établissement de charité, destiné dans sa pensée à pourvoir d'une manière permanente et régulière à l'assistance des pauvres et des malades que soulageait déjà, depuis 1745, le bureau de bienfaisance fondé par l'abbé Coquelin. Il voulait ainsi utiliser en faveur des habitants de Faverney les ressources plus nombreuses qu'apportaient au monastère les revenus de la mense abbatiale. C'était vraiment, de sa part, se montrer le digne continuateur de l'œuvre du saint abbé Brenier. Aussi la réputation de notre monastère ne faisait que grandir autant par sa bienfaisante influence que par la science et les vertus de ses moines. Au point de vue administratif lui-même, le doyenné de Faverney bénéficiait de cette grandeur à son apogée (76).

Le diocèse de Besançon comptait alors, en effet, quinze doyennés, à savoir : celui de Besançon «appellé doyenné de Sexte» et ceux de Salins, des Montagnes ou de Nozeroy, de Lons-le-Saunier, de Neublans, de Dole, de Gray, de Traves, de Faverney, de Luxeuil, de Granges, d'Ajoie ou de Montbéliard, de Rougemont, de Baume, de Varesco ou des Varasques ou des Montagnes du Doubs. En plus lui étaient annexées environ trente paroisses de la Haute-Alsace, telles que Lachapelle-sous-Rougemont, Etueffond, Novillard et les trois villages de Montreux-Vieux, Montreux-Jeune et Montreux-Château.

Le doyenné de Faverney avait pour doyen rural actuelle le curé de Fontaine-lès-Luxeuil, et comprenait les trois abbayes, de Charlieu ou Cherlieu (Carus locus), de Clairefontaine (Clara fons), et de Faverney. En faisaient partie également les quatorze prieurés d'Anfonvelle, d'Annegrey, de Bourbonne-lès-Bains, de Fleurey-lès-Faverney, de Fontaine-lès-Luxeuil, de Fouchécourt, d'Hautevelle, de Jasney, de Jonvelle, de Jussey, de Saint-Marcel-sur-Mance, de Serqueux, de Voisey et le templier de la Villedieu.

D'après l'Almanach historique de Besançon pour 1784, les paroisses de son ressort s'élevaient au nombre de soixante-quinze avec quarante annexes. C'étaient Aboncourt, Aigremont, Aillevillers, Ainvelle-lès-Conflans, Ainvelle-lès-Fontaine, Aisey, Alaillcourt, Amance, Anchenoncourt, Anfonvelle, Anjeux, Arbecey, Augicourt, Baulay, Belrupt, Bougey, Bouligney, Bourbévelle, Bourbonne-lès-Bains, Buffignécourt, Cemboing, Chargey-lès-Port, Cendrecourt Châtillon-sur-Sal, Chauvirey-le-Vieil, Conflans-sur-Lanterne, Contréglise, Corre, Dampierre-lès-Conflans, Darnay, Demangevelle, Faverney, Fontaine-lès-Luxeuil, Fontenoy-le-Château, Fontenois-la-Ville, Fouchécourt, Fresne-sur-Apan, Gevigney, Godoncourt, Gruey, Harsant, Hautevelle, Jasney, Jonvelle, Jussey, Lambrey, Magny-lès-Jussey, Mailleroncourt-Saint-Pancras, Martinvelle, Melay, Melincourt, Menoux, Montcharvot, Montdoré, Montigny-lès-Cherlieu, Ormoy, Passavant, Polaincourt, Purgerot, Raincourt, Rosières-sur-Mance, Saint-Loup-sur-Sémouse, Saint-Madon, Saint-Marcel, Saint-Remy, Saponcourt, Selle, Serqueux, Thaon, Trémonsey, Vougécourt, Vauvillers, Villers-Saint-Marcel et Voisey (77).

Cette longue nomenclature indique l'importance territoriale de ce décanat, le plus considérable de la province, et par conséquent l'immense affluence de pèlerins qu'amenait chaque année, depuis 1608, l'anniversaire du Miracle. Or, en 1784, le pèlerinage fut attristé par une épouvantable catastrophe. Depuis un temps immémorial, un bac avait été établi auprès du grand pré du Breuil sur la rivière assez large de la Lanterne, afin de transporter d'une rive à l'autre et les nombreux voyageurs et les voitures qui se rendaient sans cesse à la cité si renommée. Au matin du lundi de la Pentecôte, plus de cent personnes se pressaient sur la rive, attendant avec impatience la venue du batelier. Dans leur hâte d'arriver auprès de la Sainte-Hostie, toutes à la fois veulent prendre place sur le grand bateau plat : elles se poussent, se pressent, se bousculent et finissent par s'y loger. Pour comble d'imprudence, un carrosse attelé de deux chevaux s'y engage à son tour. Le bac ainsi surchargé avait à peine quitté le rivage qu'un des coursiers, effrayé par les clapotements de l'eau, se cabre en poussant des hennissements affreux. Epouvantés, les femmes et les enfants se précipitent du même côté, pour éviter d'être atteints par l'animal. Soudain l'embarcation se penche, l'eau y pénètre; la barque bientôt submergée dépose dans la rivière les malheureux pèlerins qui tous y furent noyés (78).

Ce sinistre événement engagea le supérieur Dom Anselme Ferron à appliquer une partie des revenus abbatiaux à réaliser le plan magnifique, tracé par le crayon de l'architecte Dom Duchesne et qui dormait depuis plus d'un demi-siècle dans les cartons du monastère. Donc en 1785, sur le chemin de grande communication de Vesoul à Mirecourt dans les Vosges, les religieux bénédictins de Faverney commencèrent les travaux de ce pont monumental qui d'abord compta cinq arches. Il était à peine achevé à la fin de l'an 1786 que l'une d'elles, construite sur un terrain mouvant, s'écroula ; il fallut y ajouter quatre voûtes nouvelles du côté de la ville, de sorte que l'axe de ce pont ne se trouve pas à son point central. Ce splendide monument de la générosité des moines ne fut achevé qu'en 1788. Construit entièrement en blocs énormes de pierre, il est formé de neuf arches dont quatre servent au passage ordinaire des eaux rapides de la Lanterne, et les cinq autres, bâties sur les îlots marécageux du Breuil, sont destinées aux eaux d'inondation en temps de crue. La longueur totale entre culées est de 140 mètres, et sa largeur égale 8 mètres. Il est bordé de chaque côté par des parapets composés uniquement de cinquante blocs de pierre mesurant chacun près de 3 mètres de long. Je dois signaler, comme curiosité architecturale, les quatre pierres à chaque extrémité du parapet, car toutes elles mesurent 4 mètres en longueur et 0,50 d'épaisseur au carré (79).

Tandis que les bénédictins de Faverney n'étaient occupés que d'utiles améliorations, l'agitation populaire, travaillé par des émeutiers soudoyés et surexcitée par la misère, en cet hiver de 1789, se préparait sourdement dans notre Franche-Comté comme dans toute la France. «Au 1er Janvier, 20 degrés de froid. Tristes étrennes !» a écrit M. Louis Monnier dans son Histoire de Vesoul. «Le pain coûtait quatre sous la livre (c'est comme huit sous aujourd'hui) et le blé devenait rare. Dans la plupart des villes, des gens affamés s'opposaient à la sortie des grains, en disant : Ce blé est à nous puisqu'il est dans le pays ; quiconque l'emmène est un voleur ! On ne pouvait pas, remarque l'historien positiviste Taine, leur arracher cette idée fixe. C'est ce qui est arrivé à Vesoul. La disette a provoqué des troubles, des attroupements et des incidents qui avaient le caractère d'une émeute». Dans la cité favernéienne, grâce à la générosité proverbiale des moines réformés, durant les longs mois d'hiver chaque jour des rations de pain étaient distribuées à la porte du monastère (80).

Or, tandis qu'au printemps de 1789 le charitable supérieur Dom Ferron assistait comme définiteur, c'est-à-dire en qualité de vice-président, au dernier chapitre général de la Congrégation de Saint-Vannes et Saint-Hydulphe, les échevins-notables de Faverney qui savaient que l'abbaye était autant la Providence des pauvres que l'ornement, la richesse et la gloire de leur cité, rédigeaient comme dans toutes les communes de France, leur cahier de «particulières remonstrances, plaintes et doléances» à porter par eux à l'assemblée bailliagère de Vesoul. Je transcris textuellement ce document d'après l'original aux archives.

1re plainte. — Les officiers seigneuriaux de l'abbaye sont choisis parmi des hommes suspects qui exécutent aveuglément les volontés des bénédictins, seigneurs de cette ville, dans la crainte d'éprouver, par une conduite dégagée de tout respect humain, les menaces d'une destitution.

2e plainte. — La réunion de la mense abbatiale à la conventuelle... a jeté la désolation : les bénédictins ne l'ont obtenue que sur un faux exposé, en affaiblissant de près de moitié les revenus attachés au legs des abbés qui se portent annuellement à 15.000 livres de rente... Les bénédictins jouissent d'un revenu annuel d'environ 60.000 livres par l'effet de cette reunion...

3e plainte. — Les bénédictins ont obtenu permission d'acquérir diverses maisons... qui embellissaient toute une façade de la place publique la Dauphine... ; ils ont pris une partie de cette place et y ont élevé de superbes remises, ecuries, et vastes cours... ; ils ont agrandi l'ancien jardin de leur monastère, qui était déjà d'une étendue considérable et un des plus beaux de la province par tous les agréments qui s'y rencontrent. Leur couvent annonce plutôt un hôtel distingué et magnifique qu'une maison religieuse.

4e plainte. — Les moines causent la perte de la commune par les nombreux fermiers et autres individus attachés journellement à leur service qui se jouent impunément de la police, s'érigent en maîtres, dévastent les forêts et livrent leurs bestiaux au parcours des campagnes en valeur.

5e plainte. — Les douze fourniers des fours des religieux exigent une livre par vingt de pain bis et une livre sur dix de pain blanc, tandis qu'auparavant il n'était exigé qu'une livre de pain par vingt indistinctement. De plus, les fourniers cuisent avec du bois de mauvaise qualité, quoique la ville fournisse soixante-dix-neuf cordes pour les fours.

6e plainte. — Ces moines usurpateurs ne fournissent que cinquante cordes au lieu de soixante-dix-neuf pour les deux fours ; ils vendent du bois et obligent les fermiers de les chauffer à leurs dépends. Les habitants n'ont pas assez de bois..., sont accablés d'amendes pour délits de bois coupé : ce qui rapporte 4.000 livres aux moines.

7e plainte. — La police des moines laisse des vagabonds s'installer en ville... Ces étrangers ne viennent pas à Faverney comme cultivateurs ; aussi l'agriculture manque de bras. Le corps municipal réclame donc qu'on lui concède la police, car les moines empêchent de faire annoncer au son de caisse les ordres de Sa Majesté le roy leur maître ; il y a abus pour le droit du banvin : l'amodiation en est faite à très haut prix, et les droits arbitraires font déserter les foires et marchés de la ville. Leur colombier est gênant lors des semailles. Pour les chasses, leurs invités font là désolation des laboureurs : les moissons sont traversées par les chasseurs et les chiens.

Pour toutes ces plaintes, les officiers municipaux de Faverney demandent la réunion à la Couronne de tous les fiefs dépendant de l'abbaye et réunis à la mense conventuelle, ou alors la nomination d'un abbé commendataire, seul moyen pour établir la paix et l'harmonie dans cette ville (81).

Tout lecteur impartial, après ce réquisitoire des «doléances, plaintes et remontrances» contre les bénédictins réformés, si fidèles à leur Règle sévère et si bienfaisants depuis cent soixante-quinze ans, partagera la remarque malheureusement fort juste d'un littérateur et philosophe qui n'est certes pas suspect, M. Taine dans ses Origines de la France contemporain : «Plus les moines avaient fait de bien, plus aussi on les a maltraités à l'époque de la révolution». Dom Anselme Ferron et ses vingt-et-un religieux ne tardèrent pas à l'éprouver par eux-mêmes (82).

Le 5 mai 1789 avait eu lieu l'ouverture des États généraux ou assemblée des trois ordres de la Noblesse, du Clergé et du Tiers état, celui-ci en nombre égal à celui des deux autres. Dès le 17 mai, tous les députés firent une déclaratation par laquelle ils s'établissaient en Assemblée nationale constituante sans distinction de corps. Dominés dès lors par le Tiers état, le 4 août ils votèrent le décret, si impatiemment demandé et attendu, de l'abolition du régime féodal et la suppression de tous les droits seigneuriaux, de tous les droits casuels des curés de campagnes et des dîmes de toute nature. Ordre fut voté par l'Assemblée de chanter un Te Deum en actions de grâces dans toutes les paroisses et églises du royaume. Ce décret libérateur de l'Ancien Régime, acclamé à Versailles par les trois ordres, fut bientôt suivi dans toute la France de l'invasion armée des ex-mainmortables sur les maisons seigneuriales ou monastiques. À Cherlieu, les 34 villages qui en dépendaient vinrent successivement sommer le prieur et l'intendant de l'abbaye de leur livrer les titres des redevances. Le monastère cistercien de Clairefontaine et le prieuré bénédictin de Morey subirent les mêmes menaces de la part des paysans de leurs vastes domaines. À Faverney, les bourgeois, maîtres de la police, purent efficacement protéger, cette fois encore, le couvent et les religieux contre les attaques des perturbateurs accourus du voisinage (83).

Mais les événements allaient se précipiter. Les esprits étaient échauffés ; des bandes armées s'organisaient dans les campagnes ; des brochures séditieuses, des satires mordantes étaient distribuées contre les familles aristocratiques ou contre les moines. On sentait courir l'air d'une révolution ; on marchait vers un terrible inconnu. Le 28 octobre, l'Assemblée nationale vota le décret suspendant rémission des vœux monastiques, et, le 4 novembre, celui qui mettait les biens ecclésiastiques à la disposition de la nation. On allait vite en besogne. Mais pour pouvoir appliquer plus sûrement ces lois draconiennes, les députés firent le 14 décembre un décret abolissant et supprimant tout le régime ancien des communautés ou paroisses, et dès lors les officiers et membres des municipalités nouvelles seront nommés par voie d'élection de tous les citoyens actifs de chaque pays et réunis en une seule assemblée. C'est ainsi que le 9 février 1790, les notables de Faverney élurent à unanimité pour premier maire Bardenet, et pour officiers Claude-François Cordier, Byot, Princet, Joseph Curie et F. F. Bourgeois, tandis que les fonctions de greffier de la commune furent remplies par Chibert (84).

Dix-sept jours plus tard, 26 février, la cité du Miracle était choisie comme chef-lieu de canton civil et faisait partie du district de Vesoul, devenu le siège du département de la Haute-Saône et de son évêché constitutionnel. Les huit communes d'Amoncourt, de Breurey, d'Equevilley, de Fleurey, de Menoux, de Mersuay, de Provenchère et du Val-Saint-Eloi furent désignées pour former le canton de Faverney, tandis que les onze villages de Venisey, Saponcourt, Saint-Remy, Senoncourt, Polaincourt, Fouchécourt, Contréglise, Chazelle, Buffignécourt, Baulay et Anchenoncourt firent partie du canton civil d'Amance et du district de Jussey. Mais en même temps que ce choix indiquait l'importance matérielle et politique de la ville de Faverney, quatre décrets nouveaux venaient de signer l'arrêt de dispersion de ses religieux bénédictins et par suite la ruine inévitable de sa magnifique abbaye. Le premier du 13 février prohibait en France les vœux monastiques de l'un et de l'autre sexe ; le second du 26 février fixait le traitement des religieux qui sortiraient de leurs maisons ; le troisième à la date du 20 mars déclarait d'abord ces derniers incapables de succéder et de recevoir par donations ou testaments autres choses que des rentes ou des pensions viagères, puis affirmait que ceux qui préféreraient se retirer dans des maisons qui leur seraient indiquées pour y conserver la vie commune, recevraient un traitement annuel et proportionné à leur âge et à leur nombre ; enfin le quatrième en date des 20 et 26 mars concernait les inventaires et procès-verbaux que les municipalités avaient ordre de dresser sur l'état des biens des religieux et de leurs personnes (85).

Mais le pieux et intelligent prieur Dom Ferron avait eu déjà l'intuition des dangers redoutables auxquels ses bons religieux allaient être exposés. En administrateur prévoyant, afin de mieux endormir la vigilance des surveillants municipaux, il acquiesçait publiquement à la lettre pastorale de l'archevêque Raymond de Durfort qui prescrivait à son clergé, pour le salut de la nation, le dessaisissement de l'argenterie non indispensable des églises ; puis au vu et au su de tout le monde, il expédiait «135 marcs d'argent à l'hôtel de la monnoye à Paris», c'est-à-dire 33 kg de vases sacrés non nécessaires à sa sacristie. Ensuite, redoutant pour ses frères en Dieu le double danger de l'option obligatoire à laquelle ils allaient bientôt être soumis de part la Loi, et rêvant de leur assurer un avenir matériel suffisant pour leur permettre d'échapper au danger du schisme ou de l'apostasie, il se traça secrètement une ligne de conduite que l'avenir démontra excellente à tous points de vue (86).

C'est pourquoi, pour déjouer plus sûrement toute suspicion de la part des ennemis de l'abbaye, dès le 20 février il voulut tracer de sa propre main, sur le registre des délibérations du conseil communal, l'inventaire fort détaillé, d'abord des biens-fonds «des ci-devant religieux bénédictins», puis des salles de la sacristie, du chapitre et du réfectoire, des trois dortoirs et des six appartements à coucher et aussi des deux salles de la bibliothèque, enfin des meubles et tableaux de l'église ainsi que des vases sacrés et ornements de la sacristie. Comme détails pouvant intéresser le lecteur, de ce long dénombrement des richesses de notre antique monastère je me contenterai de citer : 1° que les religieux étaient seuls seigneurs, possédant haute, moyenne et basse justice à Faverney, Arbecey, Buffignécourt, Cubry-lès-Faverney, Fleurey-lès-Faverney et Venisey ; tandis qu'à Baulay, Lambrey et Menoux ils étaient co-seigneurs de haute, moyenne et basse justice également. En plus, ils possédaient des terres considérables à Amance, Breurey, Chariez, Mersuay, Purgerot et Senoncourt et le prieuré d'Hautevelle. 2° Toutes les salles énumérées sont portées comme boisées jusqu'à la naissance des voûtes, et contenant 26 grands tableaux, 37 tableaux divers et 46 cartes géographiques. 3° Dans les deux grandes tours avec clochers sont indiqués 8 cloches et 8 carillons, plus un jeu d'orgue dans le fond de l'église. 4° Le grand ornement de la procession solennelle du «lundi de Pentecoste» se composait de «vingt-cinq chappes, vingt-huit aubes, douze tuniques et douze dalmatiques et vingt-huit chasubles» (87).

Cet acte de condescendance extérieure accompli, il attendit la visite officielle des officiers municipaux pour l'inventaire légal des rentes et des biens. Selon l'état général des revenus du monastère dressé par la municipalité le 1er avril 1790, le total des recettes s'élevait à 68.966 livres 5 sous 9 deniers, et les dépenses à 62.171 livres 13 sous 9 deniers. Puis le 26 avril, dans la matinée, le maire et ses conseillers se présentèrent encore à l'abbaye, et, accompagnés par Dom Demandre procureur abbatial, vérifièrent par eux-mêmes l'état détaillé des lieux, ornements et objets de la sacristie, ainsi que de l'église abbatiale et des bâtiments conventuels (88).

Alors dans l'après-midi de cette même journée, 26 avril, eut lieu la scène inoubliable de la comparution, au nom de la Loi, du grand prieur claustral et de ses vingt et un religieux devant le maire et le procureur de la commune pour accomplir cette mortelle formalité de l'option, qu'ordonnait le décret en date du 26 mars dernier. «Les historiens qui ont écrit sur la persécution révolutionnaire» a déclaré l'abbé Morey dans son livre Les Capucins en Franche-Comté, «me paraissent généralement n'avoir pas apprécié le véritable sens des options formulées par les religieux en conséquence de ces fameux décrets de Février et Mars 1790. Ces options n'indiquent pas fatalement l'esprit bon ou mauvais des religeux, c'est seule sa persévérance après l'option qu'il faut envisager. Les décrets supprimaient l'état religieux de la façon la plus absolue et ne laissaient que le choix entre la vie religieuse libre ou la vie religieuse continuée en vie commune. Mais ce choix était de toutes façons l'offre la plus hypocrite et la plus dangereuse de toutes. Si le religieux optait pour la vie commune que la révolution semblait préférer par les avantages matériels dont elle la dotait, les malheureux religieux, réunis de divers ordres en une seule maison désignée par le département, étaient poussés au schisme, puisqu'ils devaient alors se nommer un nouveau supérieur et se faire un nouveau règlement sous la présidence d'un officier municipal. Si, par contre, le religieux signait sa demande de liberté qui n'était pour lui que l'option de rester religieux dans la vie privée, les persécuteurs avaient d'abord tout l'air d'avoir délivré des prisonniers ; mais bientôt allait survenir le règlement de la pension à fournir par l'Etat, et le religieux se trouvait enchaîné dans un esclavage bien autrement redoutable que celui de la vie monastique. Car à chaque trimestre, il lui faudrait aller mendier son pain chez les scélérats officiels qui d'abord pourraient les mal payer, mais surtout et bientôt lui feraient acheter cette misérable pension par des serments coupables ou des bassesses indignes» (89).

Ce fut donc l'âme angoissée par cette terrible perspective que le 26 avril, à deux heures de relevée le grand prieur Dom Anselme Ferron se rendit avec ses dix-huit religieux de chœur et ses trois frères convers dans la belle salle capitulaire de l'abbaye où les attendaient le maire et le procureur de la commune de Faverney, assistés du greffier municipal. Afin de laisser la plus entière liberté à chacun, l'interrogatoire eut lieu dans la sacristie contigüe. Là, loin de tout regard et de toute influence d'entourage, comparurent séparément les vingt-deux religieux et à tous fut posée cette question : «Voulez-vous suivre la vie commune, ou préférez-vous profiter de la liberté qui vous est rendue par les décrets ?» Chacun d'eux dut écrire et signer de sa main sa déclaration authentique d'option, puis se retira en sortant par l'église. Le résultat de l'enquête fut celui-ci : quinze y compris le prieur avaient opté pour la liberté, sept avaient préféré la vie commune (90).

Le 3 juin 1790 l'Assemblée nationale vota un décret spoliateur pour la vente de quatre cents millions de domaines nationaux, comprenant les biens des religieux et des religieuses ; et le 12 juillet fut décrétée la Constitution civile du clergé avec la nomination des évêques et des curés par voix de scrutin cantonal. Cette fois, c'était le vol et c'était le schisme. Dom Ferron n'hésita plus. De suite il mit à exécution le plan qu'il avait élaboré devant Dieu et préparé secrètement pour sauver la vie, l'honneur et l'âme de ses frères en religion. Déjà, depuis l'inventaire légal, discrètement il «agiotait tous les contrats de vente de l'abbaye à moitié prix comptant, il vendait les arrérages aux fermiers, il liquidait le blé, le vin, le linge, les livres rares, les ornements d'église, les tableaux, les chevaux, les glaces, les équipages, les doubles vitraux des fenêtres». Maintenant, à cette heure décisive, il distribue également à chacun de ses religieux, moines de chœur ou frères convers, sa portion d'argent monnayé, plus sa part de livres, tableaux et meubles utiles, et au commencement du mois d'août 1790 commença le douloureux exode des quinze bénédictins qui avaient signé l'option de rester religieux dans la vie privée (91).

Quels durent être les déchirements de cœur et les angoisses de l'âme du jeune prieur Dom Anselme Ferron en embrassant et bénissant pour la dernière fois Dom Nicolas Charton qui depuis près de soixante ans habitait l'abbaye et qu'accompagnaient Dom Victor Boissard, Dom Benoît Berthier, Dom Augustin Rousseau et Dom Nicolas Pachot, tous prêtres et profès sous le règne du défunt abbé Coquelin. Derrière eux vinrent lui faire leurs adieux les jeunes Pères Dom Léopold Rollet et Dom Denis Courdier, puis ses chers novices Dom Claude Valot, Dom Xavier Godard, Dom Hydulphe Daviot et Dom Pierre Charbonnier, les espoirs brillants de sa communauté. Enfin le triste cortège se termina par les trois Frères laïques Joseph Manniot, Ferjeux Folley et Romain Mignot toujours si dévoués, et tous, s'inclinant une dernière fois sous sa main paternelle, quittèrent pour jamais cette heureuse solitude du cloître pour aller affronter les périls de la tempête religieuse qui grondait déjà bien fort. Et maintenant, ces quatorze qui avaient opté pour mener la vie religieuse dans la vie privée étant partis, Dom Ferron dit adieu à son tour aux sept bénédictins qui avaient opté pour la vie religieuse en communauté, et les portes de l'abbaye du Miracle se refermèrent à jamais derrière lui. Encore quelques mois d'une vie factice et trompeuse, et bientôt le monastère des bénédictins de Faverney aura cessé d'exister. L'infortuné prieur, à peine âgé de trente-neuf ans, vint chercher un asile à Briaucourt, à côté de son pays natal, pour prier sur la tombe de sa vieille mère qui avait voulu être enterrée vers ses ancêtres. Le ci-devant Frère Romain, Claude-Pierre Mignot de Luxeuil, portier, caviste et sacristain à l'abbaye depuis treize ans, se retira à Faverney pour rester providentiellement, durant un demi-siècle, le dernier témoin irrécusable de Notre-Dame la Blanche et de la Sainte-Hostie, et auprès de lui se fixèrent provisoirement ses deux confrères Pierre-Joseph Monniot et Martin-Ferjeux Folley. Les jeunes moines Claude-François Valot et Hydulphe Daviot, tous deux profès minorés et tous deux âgés de 26 ans, se retirèrent dans leurs familles à Pusy et à Baudoncourt, et d'où, bientôt dénoncés, ils furent tous deux aussi déportés à Cayenne. Quant aux autres bénédictins, j'espère que la divine Providence inspirera à leur parenté de m'envoyer les renseignements sur le lieu de leur séjour et sur leur sainte mort, car la tradition et l'histoire locale attestent qu'aucun des bénédictins de Faverney ne fut infidèle à ses vœux monastiques (92).

À peine le prieur Dom Ferron avait-il abandonné les sept religieux dans leur abbaye solitaire que le curé de Faverney l'abbé Millerot écrivit le 10 août 1790, au comite ecclésiastique de Paris, une lettre de plainte «de ce que les religieux ont pillé le monastère» et toutes les «richesses qui valoient plus de 100.000 livres. Tout a disparu. Chaque religieux en a retiré plus de 4.000 livres. Ils touchent des pensions trop fortes. Ce sont des vauleurs de moines». Et cette communication, digne d'un futur assermenté, est signée: «Millerot, curé de Faverney depuis 37 ans». Cette lettre, renvoyée au district de Vesoul, amena le 19 août à l'abbaye Claude-Ignace Mignard, administrateur-commissaire chargé de vérifier les revenus et les meubles des bénédictins restants. Il ne trouva plus, en effet, que Dom Célestin Demandre, célérier ou dépensier des vivres et «avec lui y sont existans actuellement» Dom Bernardin Guillier sous-prieur, les deux plus anciens moines Dom Valbert Picard et Dom Augustin Carementrand, âgés de 84 ans et de 76 ans, tous deux infirmes et y résidant depuis plus de 60 ans, puis Dom Déicole Guiez ancien doyen chargé de la direction de dix religieux, et enfin Dom Bonaventure Petit et Dom Maximin Roussel, prêtres profès. C'étaient les sept religieux qui avaient opté pour continuer la vie commune. Il constata également que la caisse était vide, contenant à peine un peu plus d'un millier de francs (93).

Le départ d'abord du pieux et généreux prieur Dom Ferron avec ses quatorze moines qui «étoient si édifians dans leur extérieur», la dénonciation ensuite du curé Millerot, puis la perquisition du administrateur-commissaire du chef-lieu du district, tous ces faits ameutèrent bien vite l'opinion publique et «le bruit se répandit à Faverney et dans tout le voisinage que la Sainte-Hostie miraculeuse serait transférée à Vesoul, siège épiscopal du département». En quelques jours la fermentation des esprits devint si considérable qu'un complot fut formé et qu'un «très grand nombre de citoyens de la cité et de tout le voisinage, animés toujours de la même foi», «jurèrent de s'opposer par la force à sa translation, décidés à périr mille fois plutôt que de s'en voir privés». Devant une telle effervescence populaire, et ne pouvant «se dissimuler les malheurs qu'entraînerait à sa suite le transport de cette hostie miraculeuse à Vesoul puisqu'elle n'y arriveroit que par l'effusion du sang du peuple», le conseil général de la commune, c'est à dire, le maire, les officiers municipaux favernéiens et un délégué de chaque paroisse du nouveau canton, résolurent d'abord de s'assurer de la chapelle où résidait la Sainte-Hostie «en s'emparant de toutes les clefs, du consentement cependant des religieux restants et sans gêner le service ordinaire de l'église abbatiale». En même temps, le conseil demandait au président du district «pour tranquilliser le peuple allarmé d'assurer aux communes de Faverney et de son voisinage que cette Sainte Hostie ne sera point déplacée, qu'en cas où la maison des Bénédictins ne fut pas conservée pour les sept ex-moines qui désireraient rester dans le cloître, elle sera transportée à l'église paroissiale de cette ville, ou bien accorder à Faverney l'église abbatiale en remplacement de celle de la paroisse qui se trouveroit trop petite en cas de pélerinage et qui demande des réparations très considérables et très pressantes» (94).

Ainsi se passèrent les derniers mois de l'année 1790. Mais tandis que, d'une part, les populations se rassuraient et que, d'autre part, les sept derniers bénédictins, trop confiants dans un avenir meilleur, continuaient leur Règle sévère en leur abbaye déjà confisquée et inventoriée, la révolution s'accentuait dans les esprits et dans les lois, et la constitution nouvelle et civile de l'Église de France s'élaborait définitivement selon les principes de l'Église schismatique d'Utrecht. Le 27 novembre, l'Assemblée nationale décrétait le serment de fidélité à la Constitution civile pour tous les ecclésiastiques fonctionnaires publics et le remplacement de ceux qui le refuseraient. Un mois après, le nouveau décret de 26 décembre prescrivait ce serment civique des prêtres pour le 4 janvier 1791. Ce jour-là, l'Assemblée nationale en séance l'exigea des députés ecclésiastiques : sur trois cents environ, il n'y en eut que soixante-dix qui se soumirent à cette formalité schismatique. Le dimanche suivant 9 janvier, le serment ayant été demandé aux curés de Paris, vingt-neuf le refusèrent, et sur huit cents ecclésiastiques employés au saint ministère dans cette grande ville, plus de six cents se montrèrent attachés à leur conscience plutôt qu'à leur position. Sur cent trente-cinq évêques que comptait alors l'épiscopat français, il n'y en eut que quatre qui firent défection (95).

Dans les départements la cérémonie fut fixée au dimanche 23 janvier 1791, et, pour lever tous les scruples, l'administration fit valoir la ratification royale et répandit le bruit de l'approbation du Souverain Pontife. Mais le sieur curé Nicolas Millerot montra autant d'empressement à prononcer ce serment civique qu'à dénoncer les «vauleurs de moines». Dès «le jeudy 6 Janvier», fête solennisée de l'Épiphanie, «à dix heures du matin», en sa vieille église paroissiale Saint-Bénigne, «pendant la messe et en présence du conseil général et des fidèles assemblés, le dit curé, du haut de la chaire, prononça à haute et intelligible voix, et la main levée» devant le Christ, «le serment solennel de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse qui lui sont confiés et d'être fidèle à la nation, à la loy et au Roi, et de maintenir de tout son pouvoir la Constitution du Royaume décrétée pas l'Assemblée Nationale et acceptée par le Roy, le 27 Novembre dernier». Après lui, le vicaire Claude-Estienne Marlet, docteur catholique, a fait le même serment et «de remplir avec exactitude les fonctions de son ministère» (96).

«Le dimanche 23 Janvier, à dix heures et demie du matin», cette fois «à l'issue de la messe paroissiale» et en présence du conseil et du peuple de Faverney, huit prêtres, tous ci-devant bénédictins, prononcèrent «individuellement» le même serment solennel en face du tabernacle. Après eux les trois «frères lays bénédictins» accomplirent la même formalité. Parmi ces huit prêtres nous trouvons d'abord les noms de Dom Valbert-François Picard, Dom Augustin-Estienne-Alexandre Carementrand, Dom Bernardin-Jean-Claude Guillier, Dom Claude-Bonaventure Petit et Dom Déicole-François Guiez, moines demeurant encore à l'abbaye ; puis celui de Jacques-François Maugras, ci-devant bénédictin, fils de l'ancien notaire de Faverney, et futur vicaire préféré du curé Millerot (97).

Ce premier serment à la Constitution approuvée par le Roi, serment obligatoire sous peine de destitution de fonction ou de droit à la pension, serment présenté d'abord comme ratifié par le Pape, fut-il vraiment schismatique dans la pensée de tous ces prêtres et religieux ? Pour la plupart ne pourrait-on pas supposer ou la bonne foi, ou la faiblesse du caractère, ou la peur? L'avenir toutefois nous éclairera sur leurs dispositions réelles. Quoiqu'il en soit, nous pouvons affirmer pour l'avoir lu et contrôlé dans le registre manuscrit des curés jureurs et non jureurs, rédigé par le vicaire-général administrateur, c'est que les sieurs Nicolas Millerot et Claude-Estienne Marlet, curé et vicaire de Faverney, sont portés tous deux parmi les 395 jureurs tant curés que vicaires du diocèse, sans compter les 228 prêtres séculiers ou anciens religieux devenus intrus ou assermentés, ce qui donne le total de 623 prêtres jureurs pour l'immense diocèse de Besançon (98).

Il faut croire que les officiers municipaux de Faverney, malgré la défection regrettable et quasi unanime de leurs pasteurs et de leurs prêtres, ne se laissèrent pas ébranler dans leur foi, ou tout au moins ne lui attribuèrent pas un caractère scandaleux et schismatique. En effet, les biens de l'abbaye ayant été déclarés propriétés de l'État au commencement du mois de janvier, le 25 courant commença la vente publique. «La ferme dite de Bethléem, contenant 329 quartes de terre labourables avec 12 faux et demie» de bons prés sur La Lanterne, fut adjugée avec maison, aisances et dépendances pour la somme de 30.100 livres en assignats à un vésulien. Puis la totalité des bâtiments de l'immense abbaye, y compris l'église abbatiale, fut également mise aux enchères, mais aucun acquéreur ne se présenta. Toutefois la municipalité craignit que la Sainte-Hostie ainsi que Notre-Dame la Blanche, si la vente s'effectuait un jour, ne fussent livrées comme biens nationaux, et alors elle se décida à faire demander au citoyen Flavigny, ancien curé de Vesoul, bon homme aimable que le directoire vésulien venait de faire élire évêque constitutionnel de la Haute-Saône, l'autorisation de transférer les deux précieuses reliques dans l'église paroissiale Saint-Benigne (99).

Mais à son retour de Paris où il était allé se faire sacrer par Gobel, évêque constitutionnel comme lui, Flavigny à la fin d'avril conçut l'audacieux projet d'enrichir sa cathédrale de Vesoul par la possession de la Sainte-Hostie du Miracle. Aussitôt informé, le conseil général du canton, «assemblé à l'hôtel de ville», décide d'apposer immédiatement «un cadenas au grillage de la chapelle où l'Hostie miraculeuse est renfermée dans l'église des bénédictins, assurant qu'il ne pourra être ouvert sans l'agrément de la municipalité, et entendant la conserver à Faverney comme l'objet le plus précieux et en qui ils ont mis la plus grande vénération». Puis une pétition, fortement motivée et où était rappelée l'effervescence populaire du dernier mois de septembre, fut portée de suite au directoire du district. Dans la crainte de «mettre le pays en guerre de religion, Monsieur Flavigny, évêque du département de Haute-Saône», reconnut que la demande de la municipalité qui a «le bonheur de posséder l'Hostie miraculeuse déposée dans l'église de la ci-devant abbaye, avant la vente du mobilier des ci-devant bénédictins, était juste et légitime» ; il accorda donc la translation désirée et délégua le sieur Nicolas Millerot curé de Faverney pour la faire» (100).

En même temps que l'évêque intrus concédait encore bienveillamment l'autorisation supplémentaire de placer dans l'église Saint-Bénigne l'antique Vierge Notre-Dame la Blanche, les administrateurs du département notifiaient aux sept derniers bénédictins, d'abord le décret du 11 mars 1791 relatif à l'abolition du costume des ordres religieux, puis le décret des 13 et 30 mars concernant les ci-devant religieux qui voudront vivre en communauté, et enfin le décret spécial du 31 mars dernier qui leur assignait, d'ici le 1er janvier 1792, l'abbaye de Luxeuil comme domicile commun conjointement avec les quinze bénédictins luxoviens, les deux bénédictins de Fontaine-lès-Luxeuil, les deux bernardins de Champlitte, les trois bernardins de Cherlieu et le prémontré de Corneux vers Gray. Cette fois leurs illusions s'évanouirent : naïvement ils avaient cru qu'on les laisserait vivre et mourir en paix dans leur antique abbaye, auprès de la statue de la Blanche Madone miraculeuse et du sacré reliquaire du Saint-Sacrement de Miracle. Mais devant l'expulsion forcée de leur couvent déjà mis à l'encan, devant la vente prochaine de leur belle église, devant l'humiliation déjà subie du serment civique qu'ils savaient maintenant condamné comme schismatique et dont la prétendue approbation du pape Pie VI n'avait été qu'une odieuse mystification pour les entraîner à la suite des assermentés et des intrus, ils comprirent combien avait agi sagement leur saint prieur Dom Ferron, et ils se préparèrent à suivre la même voie de l'option pour la vie religieuse en liberté, malgré tous les dangers terribles que pourrait leur réserver l'avenir (101).

Toutefois, avant de quitter à jamais ces lieux bénis et cette terre privilégiée du Miracle, ils voulurent une dernière fois s'associer aux hommages pompeux de la translation solennelle que venait d'annoncer officiellement la municipalité de Faverney. La cérémonie était fixée au «dimanche huit May». Toutes les paroisses voisines furent invitées à venir en procession «pour joindre leurs prières aux leurs et rendre des actions de grâces à ce Dieu des miséricordes pour un aussi signalé bienfait». «Sur les huit heures du matin, la garde nationale prit les armes pour accompagner la procession et faire observer l'ordre» ; et ce fut au milieu d'un immense concours de tous les villages des deux cantons limitrophes d'Amance et de Faverney que «sur les neuf heures du matin, le sieur Nicolas Millerot, accompagné du sieur Marlet son vicaire et Estienne Mirlin, Charles Martin, Jacques-François Maugras et autres ci-devant religieux, a porté processionnellement ce precieux dépot à l'eglise de la paroisse, accompagné du Conseil général de cette ville et de la garde nationale». J'ai lu et relu le procès-verbal authentiquant cette translation publique soit du double tresor de Faverney, soit de tous les titres concernant l'attestation du Miracle de 1608 et remis entre les mains du curé Nicolas Millerot. Cet acte porte les signatures de Cordier maire et des cinq officiers municipaux, puis celles du commandant, des deux capitaines, et des quatre officiers de la garde nationale, et enfin du curé de Faverney, de Marlet prêtre-vicaire et docteur catholique, d'Estienne dit Alphonse Mirlin récollet prêtre, et des autres religieux bénédictins (102).

Une fois en possession de leur palladium si convoité, le maire et les conseillers favernéiens eurent le noble courage d'aller jusqu'au bout de leurs revendications religieuses. Une nouvelle supplique est envoyée au directoire de la Haute-Saône dans laquelle ils declarent «qu'on ne pouvait voire sans respect pour la Religion l'appareil des sérémonies publiques dans lesquelles les ci-devant Religieux bénédictins de leur ville, toujours si edifians, faisaient valloir tout le prix de l'Hostie Sainte qu'ils possédaient par les brillans ornemens qui les rendaient plus augustes». Par suite de la vente prochaine «des ornements sacerdotaux qui servaient à assurer la majeste du miracle operé dans la ci-devant abbaye, cet avantage va disparaître sans doute, peut-être à la perte de la Religion catholique qui toujours sera dominante en France, et cette disparution ne peut que nuire à l'exercice qu'il est important de maintenir dans ces temps où un mélange de frères égarés peut occasionner la perte de ceux encore fidèles au Giron de l'Eglise». Ils demandent donc l'autorisation de prélever pour leur église Saint-Bénigne avant les enchères publiques : 1° «douze chappes, douze aubes, douze tuniques et douze dalmatiques ; 2° une chasuble, l'étole et le manipule ; et 3° quatre nappes d'hotel garnies et brodées» sans lesquels l'église paroissiale de cette ville, «étant hors d'état de faire aucune dépense pour la décoration de l'auguste cérémonie» de la grande procession du lundi de Pentecôte, «le cortège de cette Hostie Sainte seroit indécent puisqu'il y auroit une quantité de prêtres, qui faute d'habillements sacerdotaux, ne pourroient décemment l'accompagner» (103).

Cet acte authentique, signé du maire Cordier et des officiers municipaux, nous fait voir, d'une part, sous un jour bien étonnant pour l'époque révolutionnaire, la mentalité religieuse de la population de Faverney, et d'autre part, elle nous donne la preuve indéniable du bon renom et de la profonde piété de ses derniers bénédictins. Mais rien ne pouvait arrêter le torrent dévastateur de la Constitution civile du clergé. Le 17 mai 1791 eut lieu la vente à la municipalité, pour la somme de 5.550 livres en assignats, de la «Maison dite l'abbatiale avec les aisances et dépendances d'icelle et provenant de la ci-devant abbaye dudit lieu» : c'était le dernier hôtel, bâti en 1687 sur l'emplacement des anciennes halles par l'abbé Du Cloz. Puis le lendemain 18 mai, après-midi, commencèrent à l'abbaye les enchères publiques du mobilier des ci-devant bénédictins. Mais déjà était parti le doyen d'âge, Dom Valbert Picard, ce vénérable octogénaire de 84 ans qui depuis 67 années passées habitait son vieux cloître ; déjà aussi le vieillard infirme Dom Augustin Carementrand, âgé de 76 ans et depuis 59 ans à l'abbaye, s'en était allé loger en ville ; les trois autres encore jeunes, Dom Déicole Guiez, Dom Bonaventure Petit et Dom Maximin Roussel avaient regagné leur pays natal. Ce ne fut donc qu'en présence des deux derniers moines, le sous-prieur Dom Guillier et le procureur-célérier Dom Demandre, restés comme gardiens, que furent vendues à vil prix par Claude-Ignace Mignard, administrateur du directoire de Vesoul, toutes ces richesses monastiques accumulées depuis des siècles à Faverney (104).

À la fin des enchères, les deux ex-moines gardiens furent amenés à déclarer que «les vingt-deux religieux en partant s'étaient partagés les objets en argent, tels que chandeliers, sallières, moutardiers, cuillers dorées et les quarante-quatre couverts d'argent aux armes de l'abbaye dont chacun en avoit eu deux pour sa part». En plus, ils ont fait observer que, «lors de la translation de la Sainte-Hostie en l'église paroissiale de Faverney, le 8 May dernier, la municipalité les avoit priés de leur remettre un grand ostensoir de vermeille avec deux lunettes dont l'une pour l'hostie miraculeuse, surmonté d'une couronne impériale aussi de vermeille orné de quelques rubis et perles, puis un petit ostensoir d'argent dans lequel est contenu un ossement du doigt de Sainte Agathe et qui renfermoit les deux hosties suspendues dans les flammes lors du miracle, ensuite une grande croix en argent montée sur une feuille d'or enrichie de pierres précieuses avec la hampe de ladite croix aussi en argent, enfin un encensoir avec la navette aussi en argent et un dais, moyennant qu'elle s'obligeoit d'en faire la reproduction lorsqu'elle en seroit requise, ce qu'elle n'avoit point encore fait» (105).

Sur cette déclaration, le commissaire Mignard fit aussitôt appeler les officiers municipaux et les «requit de lui faire instamment la reproduction des vases sacrés rémis par les religieux. A quoi ils ont répondu qu'à ce moment il ne leur étoit pas possible, attendu que la Sainte-Hostie miraculeuse étoit encore dans le grand ostensoir, et qu'ils le prioient de leur laisser encore quelque tems sous soumission qu'ils faisoient de les reproduire lorsqu'on l'exigeroit. Car ces vases sacrés appartenoient à la confrérie de la Sainte-Hostie et provenoient des prestations payées annuellement par les confrères». Devant cet engagement de la municipalité, le commissaire consentit à «leur en imposer la garde», et les conseillers Durpoy, Doiselet, Therion, Vittot et Bouchet, ainsi que Mignard délégué du directoire et le maire Cordier signèrent cette concession avec le sous-prieur Dom Bernardin Guiller (106).

Ce fut le dernier acte des ci-devant religieux bénédictins. Le lendemain, 18 mai 1791, Dom Célestin Demandre de Senoncourt partit pour Saint-Loup-sur-Sémouse auprès de ses parents et Dom Guillier se retira à Noidans-lès-Vesoul. Ainsi furent dispersés, sans avoir voulu toutefois prévariquer, les vingt-deux religieux réformés de notre illustre abbaye. Il y avait cent quatre-vingt-trois ans, presque jour pour jour, que le grand miracle s'était produit ; six cent cinquante-neuf ans s'étaient écoulés depuis l'arrivée des premiers moines de la Chaise-Dieu, et plus d'un millier d'années avait passé sur la tombe glorieuse de sainte Gude, fondatrice du premier monastère des religieuses bénédictines. L'abbaye de Faverney avait exactement duré mil soixante-neuf ans (107).

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[Sources bibliographiques et Notes de bas de page.]

1. Extrait des archives de M. le Marquis du Châtelet, seigneur d'Amance aux archives de la Haute-Saône, H. 438, n° 34, 17 septembre 1630. — Émile Mantelet, Histoire politique et religieuse de Faverney depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, Paris, chez l'auteur, 1864, p. 386.

2. Dom Odilon Bebin, Histoire manuscrite de l'abbaye de Faverney, (Bibliothèque de Vesoul, Ms. 192 et 193) ; L'abbé Jean-Baptiste Bullet, Histoire manuscrite de l'abbaye de Faverney, p. 210.

3. Dom Pierre-Philippe Grappin, Mémoires sur l'abbaye de Faverney, Besançon, Daclin, 1771, p. 86 ; Dom Bebin, Manuscrit ; Bullet, Manuscrit, pp. 203 et 211.

4. Dom Grappin, Mémoires, p. 86 ; Dom Bebin, Manuscrit ; Bullet, Manuscrit, pp. 203 et 211 ; Mantelet, Histoire, p. 211.

5. Antoine-Pierre Ier de Grammont, 93e archevêque de Besançon (1662-1698), et Guillaume-Valentin Dubourg, 105e archevêque de Besançon (15 février 1833 - 12 décembre 1833) ; L'abbé Paul Filsjean, Antoine-Pierre Ier de Grammont, archevêque de Besançon, 1615-1698, sa vie et son épiscopat, Besançon, Jacquin, 1898, p. IV et pp. 6, 8 et 9. — Bullet, Manuscrit, p. 213 ; Dom Bebin, Manuscrit, p. 187 verso.

6. Mgr Jean-Baptiste-Marie-Simon Jacquenet, Histoire du grand séminaire de Besançon, Besançon, Outhenin-Chalandre, 1854-1864 ; L'abbé Loye, Histoire de l'église de Besançon, Besançon, Jacquin, 1903, IV, p. 76.

7. Dom Grappin, Mémoires, pp. 116 et 117 ; Mantelet, Histoire, pp. 385 et 549 ; Loye, Histoire, IV, pp. 76 et 79.

8. Bullet, Manuscrit, pp. 211 et 212, d'après Dom Bebin, Manuscrit.

9. Bullet, Manuscrit, pp. 212 et 213, d'après Dom Bebin, Manuscrit. — Le prieuré de Vaux-sur-Poligny, fondé par l'abbaye de Cluny en 1020, fut construit près de Poligny dans une étroite vallée où existait depuis longtemps une chapelle dédiée à Notre-Dame. Au XIVe siècle Notre-Dame de Vaux jouissait d'une telle considération à Cluny qu'il fut décidé qu'il y aurait toujours dans ce monastère seize religieux dont la plupart étaient nobles, qu'on y chanterait deux messes par jour et qu'on y ferait ensuite l'aumône après avoir sonné la cloche ; Loye, Histoire, II, pp. 95 et 96. — Le prieuré de Château-sur-Salins fut bâti au Xe siècle sur les ruines d'une forteresse, à trois lieues de Salins, par saint Bernon, abbé de Baume-lès-Nonains ou Baume-lès-Messieurs. En 1496 il passa sous la direction de l'abbaye de Cluny ; Loye, Histoire, II, p. 84. — La fondation du prieuré de Morteau remonte à la seconde moitié du XIe siècle ; il fut doté princièrement, puisque la terre cédée aux religieux clunistes avait plus de cinq lieues d'étendue, en sorte que le prieur était un des seigneurs les plus importants de la région. Grâce à une direction zélée, intelligente et persévérante, religieux et colons appelés par eux développèrent dans ce désert l'agriculture et le commerce, et cinq villages se formèrent dans le vallon ou Val de Morteau. En 1600 la population s'y élevait à 1.938 familles, ce qui donnait environ 12.000 habitants dont étaient chargés les bénédictins de Morteau tant au spirituel qu'au temporel : ce qui explique le profond attachement à la foi et l'énergique résistance à l'invasion du protestantisme qui toujours ont signalé les habitants du fertile val de Morteau ; Loye, Histoire, II, pp. 97 et 98.

10. Bullet, Manuscrit, p. 213 ; Compte rendu des travaux du Congrès national eucharistique de Faverney, 20-24 mai 1908, Besançon, Secrétariat du congrès, 1909, p. 196 ; Dom Grappin, Mémoires, p. 104. ; Mantelet, Histoire, p. 385. — Claude d'Achey, 90e archevèque de Besançon (1637 à 1654).

11. Bullet, Manuscrit, p. 213, d'après Dom Bebin, Manuscrit.

12. Le Miracle de la sainte hostie conservée dans les flammes à Faverney, en 1608 : Notes et documents publiés à l'occasion du IIIe centenaire du miracle, Besançon, Jacquin, 1908, p. 176 (Extrait de Visontio de Jacques Chifflet, Lyon, Cayne, 1618) ; p. 209 (Extrait de l'Histoire de dix ans de la Franche-Comté en Bourgogne 1632-1642 de Girardot de Nozeroy) ; p. 206 (Extrait du Candelabrum mysticum de Jacques Marchant, Montibus, Waudraei, 1635). — Compte rendu du congrès, p. 190 (Rapport de M. l'abbé Tournier). — L'abbé Joseph Morey, Notice historique sur Faverney et son double pèlerinage, Besançon, Jacquin, 1878, p. 113 ; Morey, Discours, p. 13 note 1.

13. L'abbé Jean-Baptiste Coudriet et l'abbé Jean-Baptiste Pierre-François Châtelet, Histoire de la seigneurie de Jonvelle et de ses environs, Besançon, Jacquin, 1864, pp. 210, 211 et 214.

14. Édouard Clerc, Essai sur l'histoire de la Franche-Comté, Besançon, Marion, 1870, 2e éd., II, p. 75 ; Bullet, Manuscrit, p. 214, d'après Dom Bebin, Manuscrite.

15. Coudriet et Châtelet, Histoire de Jonvelle, pp. 215 et 216, note 1. Correspondance du Parlement, B, 777, 12 janvier, et réponse de Gallass, 17 janvier.

16. L'abbé Jean-Baptiste Coudriet et l'abbé Jean-Baptiste Pierre-François Châtelet, Histoire de Jussey, Besançon, Jacquin, 1876, p. 109 ; Bullet, Manuscrit, p. 215. — Le champ des pestiféres, si l'on m'a bien renseigné, se trouve dans la pâture de M. Paul Robert, et est situé dans le vallon encaissé entre le bois de la Raie et la colline au nord de Faverney.

17. Girardot de Nozeroy et Jules Crestin (éd.), Histoire de dix ans de la Franche-Comté de Bourgogne (1632-1642), Besançon, Outhenin-Chalandre, 1843, p. 212.

18. Annuaire de la Haute-Saône, 1842. — M. P. des Roberts, Campagne de Charles IV en Franche-Comté, I, s.l., s.d., p. 386. — Coudriet et Châtelet, Histoire de Jussey, p. 120 ; Coudriet et Châtelet, Histoire de Jonvelle, p. 267.

19. Mantelet, Histoire, pp. 413 et 414 ; Clerc, Essai, II. p. 87 ; Archives du Doubs, B. 231, verso, 1re pièce 26 ; Dom Grappin Mémoires, p. 101.

20. Mantelet, Histoire, p. 416 ; Clerc, Essai, II. p. 109 ; Nozeroy, Histoire de dix ans, p. 224.

21. Coudriet et Châtelet, Histoire de Jonvelle, p. 299 et 579 (Rapport du conseil de Vesoul à la Cour, 23 octobre 1644) ; Mantelet, Histoire, p. 420. — Gazette de France ou gazette de l'année 1641. Bibliothèque nationale L 1 2 c. Extraordinaire du XXVe. Dépêche dans Gazette n° 120, septembre 1641, p. 733.

22. Bullet, Manuscrit, pp. 218 et 241, d'après Dom Bebin, Manuscrit ; Dom Grappin Mémoires, p. 19 ; Loye, Histoire, IV, p. 76.

23. Mantelet, Histoire, pp. 413 et 414 ; Dom Grappin Mémoires, p. 101.

24. Dom Grappin Mémoires, pp. 103 et 104.

25. Dom Grappin Mémoires, p. 122 ; Loye, Histoire, IV, pp. 77 et 78 ; Mantelet, Histoire, p. 388 ; Jules Gauthier, Notes archéologiques et épigraphiques sur l'église abbatiale de Faverney (Haute-Saône), Vesoul, Suchaux, 1894, p. 8.

26. L'abbé Baverel, Manuscrit, dans la collection du chanoine Suchet chez M. A. de Vregille, p. 153.

27. Dom Bebin, Manuscrit, p. 29 recto et verso. — Gauthier, Notes archéologiques, p. 8. — Archives de la Haute-Saône, I-Q. 90.

28. Pierre-André Pidoux, Histoire populaire du Miracle des Saintes Hosties de Faverney et de leur culte à Dole et à Faverney, Dole, 1908.

29. Archives de la Haute-Saône, Délibérations du magistrat de Dole, 1er juin 1636 ; Archives du Doubs, chapitre de Besançon, G. 224, n° 29e ; Archives de Dole, Registre des délibérations du conseil de la ville, 21 juin 1648. — Pierre-André Pidoux, Histoire de la Confrérie de Saint Yves des avocats, de la Sainte Hostie miraculeuse et de la Confrérie du Saint Sacrement de Dole, Dole, Jacques, 1902, p. 177. — Dom Simplicien Gody, Histoire de l'antiquité et des miracles de Notre-Dame de Mont-Roland, Dole, Binart, 1651, p. 38.

30. Bullet, Manuscrit, p. 219 ; Mantelet, Histoire, p. 428. — Notes et documents, pp. 212 et 213. — L'abbé Fernand Mourret, Histoire générale de l'Église, Paris, Bloud et Gay, 1914, VI, p. 149. Le père Le Jeune prêcha pendant soixante ans, de 1611 à 1671. Ayant perdu subitement la vue en chaire l'an 1631, durant le Carême qu'il donnait à la cathédrale de Rouen, il ne fut plus connu parmi le peuple que sous le nom du «Père aveugle» ; Charles-Augustin Sainte-Beuve, Port-Royal, Paris, Renduel, I, p. 468. Il est né à Poligny en 1592 et il mourut à Limoges en 1672. L'extrait cité de ses sermons se trouve dans l'ouvrage : Le père Jean Le Jeune, Le missionnaire de l'Oratoire ou sermons, Toulouse, 1662, III, sermon LXXX (sur la Présence réelle du Corps de N. S. J. C. en l'Eucharistie). Cet extrait est donné dans l'ouvrage : Le père Jacques Gaultier, Table chronographique de l'estat du christianisme, Lyon, 1651, p. 851 (E-5° Miraculus, Favernensi).

31. Gauthier, Notes archéologiques, pp. 27 et 28.

32. Archives ecclésiastiques de Vesoul, H. 454 et H. 438, n° 50. — Bibliothèque du chapitre de Besançon, vol. 542, Manuscrits Hugon de Poligny, 2° série, IIe, dernier cahier des hommes illustres de Luxeuil, pp. 602 à 652 : «Eloge à la pieuse et Sainte Mémoire du Très Révérend Père Dom Benoît Dard, religieux de l'abbaye de Luxeuil, décédé en odeur de sainteté l'an 1707», pp. 8 et 9.

33. Dom Grappin Mémoires, p. 105 ; Mantelet, Histoire, p. 429 ; Bullet, Manuscrit, p. 241, d'après Dom Bebin, Manuscrit.

34. Bullet, Manuscrit, pp. 242 à 243, d'après Dom Bebin, Manuscrit.— Dom Brenier laissa dans le trésor de l'abbaye de Faverney un bassin d'argent ovale, armoyé au milieu de ses armes qui sont : une croix d'argent couronnée d'or au carton supérieur dans un champ de sable, et des armes du monastère «qu'est un M A coroné» ; Jules Gauthier, Notes iconographiques sur le Saint-Suaire de Besançon, Besançon, Dodivers, 1884, pp. 28 et 29 ; Dom Grappin Mémoires, p. 106.

35. Extrait des archives de M. le Marquis du Châtelet, seigneur d'Amance aux archives de la Haute-Saône, H. 438, n° 68, 22 mai 1662.

36. Dom Grappin, Mémoires, p. 106 ; Mantelet, Histoire, p. 430 ; Bullet, Manuscrit, p. 245. — Il m'est pénible, comme historien véridique, de faire remarquer que l'abbaye de Faverney, depuis sa fondation en 722 jusqu'à sa disparition en 1791, c'est-à-dire durant plus de mille ans, ne compte pas d'autre saint que son abbesse-fondatrice sainte Gude. Aucun de ses religieux, pas même Dom Brenier, n'a été déclaré Vénérable, tandis que, selon les Moines d'Occident, on compte vingt-huit religieux honorés du titre de saint dans les vingt premières années de l'abbaye de Luxeuil ; Loye, Histoire, I, p. 191.

37. Pidoux, Histoire de la Confrérie de Saint Yves, p. 234.

38. Feuillet antique en papier, conservé aux Archives de la mairie de Faverney, et que m'a transcrit lui-même M. le chanoine Brun, curé-doyen, le 20 août 1912.

39. Dom Dard, Éloge manuscrit, pp. 9, 10, 12, et 105 ; Dom Grappin, Mémoires, p. 106 ; Copie du manuscrit primitif de Dom Bebin par un religieux de Faverney en 1696, Ms. 55, ancien 193, p. 385.

40. Cette épitaphe latine a été extraite par Jules Gauthier — voir ses Notes archéologiques, pp. 20 et 21 — d'un manuscrit intitulé : Notes sur les abbayes du diocèse de Besançon, et que composa en 1695 le R. Père André de Saint-Nicolas, savant religieux carme de l'ancienne Observance, né à Remiremont en 1636 et mort prieur des Carmes de Besançon en 1714, à l'âge de soixante-dix-huit ans. C'est à lui que l'Église bisontine doit son Polyticon ecclesiæ bisuntinæ ou Pouillé du diocèse de Besançon où sont données les origines de 779 paroisses et de plusieurs milliers de paroisses secondaires ; Loye, Histoîre, IV, pp. 83 et 84.

41. Cette élégante traduction m'a été donnée par M. l'abbé Poix, directeur au séminaire de philosophie de Faverney, à qui j'adresse tous mes remerciements. — La grande dalle murale sur laquelle étaient gravés les cent cinquante mots de cette épitaphe si élogieuse, a été sans doute brisée à la grande révolution de 1793. Il en reste pourtant un fragment, enchâssé dans le mur du transept qui fait face à la porte de la sacristie. Ce marbre noir, mesurant 68/32 c., contient les cinq dernières lignes de l'épitaphe latine : «HIC. HONORIFICE... ». Ce fragment inférieur du monument est posé vers le côté droit du confessionnal où, le plus souvent, il est caché par les chaises de l'église.

42. Paul Pellisson, Lettres historiques, II, p. 135, Bibliothèque nationale LB37-205 B. — Une tradition locale que mentionne l'Histoire de Mantelet, p. 432, prétend que le roi de France Louis XIV serait venu alors à Faverney et se serait reposé sous le chêne antique de la Belle-Dame. En preuve il donne une ordonnance royale sur les forêts où le roi aurait prescrit la conservation de cet arbre séculaire dans le bois de Baslières. — Mantelet, Histoire, p. 377.

43. Dom Grappin Mémoires, p. 107 ; Mantelet, Histoire, p. 435 ; Bullet, Manuscrit, p. 246. — Voici un acte du prieur Dom Bebin, concernant le temporel du monastère : «Les sieurs Cantor et Thierry d'Amance sont fermiers de la Manse abbatiale de Faverney pour 3 ans consécutifs commençant au 17 Mai 1675 et finissant aux pareil jour et mois en 1678, tant de Faverney, moulin, four banal, dîmes de vin, amendes, pressoir banal, les vignes, le sel, les langues de bœuf et vaches, et les filets de porcs, les étangs, la pêche de la rivière, le patronage de la cure de Faverney, de celle d'Amance, de celle de Fleurey, les biens vacants, le chesnage des porcs, les marchands de vin à la pinte, les prés, les droits mortuaires, que de Fleurey-lès-Faverney, de Cubry-lès-Faverney, de Baulay, de Buffignécourt et d'Arbecey» ; Archives de la Haute-Saône, H. 444. — Dom Dard, Éloge manuscrit, pp. 16 et 23.

44. Dom Dard, Éloge manuscrit, p. 12. — Le pape Clément X avait accordé en 1671 de nouvelles indulgences ; Archives de la Haute-Saône, Fonds de Faverney, H. 438, n° 81. — Compte rendu du congrès, p. 190 (Rapport de M. l'abbé Camuset). — Selon le recensement de février 1657, la ville de Faverney comptait alors 559 habitants ; Archives du Doubs, G. 269, n° 2. — Morey, Notice, pp. 116 et 117. — Archives de la Haute-Saône, H. 455, n° 7 : acte authentique d'Antoine-Pierre Ier de Grammont sur papier et avec cachet. — L'abbe Charles-François Joram, curé de Menoux, vers 1650, decanus ou doyen rural de Faverney en mai 1676, est mort le 16 août 1708, et fut inhumé dans le chœur de l'église de Menoux (papiers curiaux).

45. Dom Grappin Mémoires, p. 112 ; Bullet, Manuscrit, p. 247. — L'ancienne rue Vannoise qui menait à l'hôpital du Saint-Esprit et qui est appelée aujourd'hui rue Rollin, partait de la place Dauphine, aujourd'hui fontaine de Cérès déesse des moissons, et aboutissait vers l'ancien Breuil ou lieu de pâturage qui touchait le fossé des fortifications. Cette rue très étroite servait de déversoir au petit ruisseau de l'antique fontaine située au milieu même de la place. — Dans le manuscrit n° 998, Bibliothèque de Besançon, I, p. 631, le prieur Dom Benoît Dard et ses vingt religieux sont mentionnés comme signant un arrangement avec le seigneur d'Amance le 14 juillet 1682. — Dom Dard, Éloge manuscrit, pp. 11, 23, 31, 37, 47, 51, 58, 64 et 68. — L. Écrement, Essai historique sur la ville et l'abbaye de Luxeuil, Lure, Bettend, 1865, p. 117. — Hugo de Poligny, La Franche-Comté ancienne et moderne, Besançon, Jacquin, 1859, II, p. 316.

46. Ce bâtiment des halles existe encore et est situé entre la Grande rue et la rue Thiers. Les murs extérieurs ont 14 m. de hauteur. Ces halles anciennes appartiennent actuellement à M. Charles Jannoy et à MMmes veuve Ducret et veuve Thissier. Tout après de ce bâtiment des halles se dresse une vieille tour ayant quatre étages et dont les murailles s'élèvent à plus de 15 m. C'est sans contredit le plus antique vestige du passé : il appartient à M. Adrien Monin ébéniste. Serait-ce la vieille tour des bourgeois où se trouvait leur cloche avant leur révolte en 1355. À côté on voit une maison dont la façade, en style de la Renaissance et avec fenêtres à meneaux, contient une porte fort jolie. Dans le fronton de cette porte se dresse une statue de la Vierge tenant l'enfant Jésus ; sur le socle on lit incrusté : P. NOBLOT 1660, et un écusson porte une main qui tient l'anse d'un panier sur lequel est sculptée une marguerite. — Gauthier, Notes archéologiques, pp. 6 et 12 ; Bullet, Manuscrit, p. 247 ; Dom Grappin Mémoires, p. 112. — C'est dans cet ancien quartier abbatial que se trouvent le presbytère actuel et la mairie de Faverney.

47. Dom Grappin Mémoires, pp. 108 et 109 ; Mantelet, Histoire, p. 440 ; Dom Dard, Éloge manuscrit, pp. 27 et 19.

48. Archives de Dole, 1338. — Pidoux, Histoire de la Confrérie de Saint Yves, p. 269. — Archives du Jura, G. 84.

49. Loye, Histoire, IV, p. 78. — Archives de la Haute-Saône, H. 449. Une des dernières pièces de cette liasse du fonds de Faverney est un plan horizontal de «la rue des Moynes», qui, fermée du côté du moulin, prenait ouverture sur «la rue Vannoise», ou rue du petit ruisseau de la fontaine Dauphine, laquelle avait 160 pieds de longueur. — Voici la traduction de ces deux chronographes par M. le directeur Poix : 1° Au divin Sacrement de l'Eucharistie (1714) ou bien : À toI, IesVs, en Ce DIVIn saCreMent (1714) ; 2° À la Patronne et Protectrice de notre Ordre (1714).

50. Gauthier, Notes archéologiques, pp. 7 et 11. — Voici la traduction de cette dernière inscription qu'on découvre au milieu du lierre : Au Christ vainqueur des flammes et à sa Mère immaculée, 27 avril 1714. — Dom Grappin, Mémoires, p. 112. Cette somme de cent mille francs équivalait certes à près de trois cents mille francs de nos jours. — Dans l'ancien registre de la cure de Faverney où se trouvent écrits «Statuts et Regles de la Confrérie dressée en l'Eglise Notre-Dame de Faverney en l'honneur de la Sainte Hostie miraculeuse», j'ai découvert les noms des bénédictins, collègues du savant architecte Dom Duchesne en 1712, lors de la construction du magnifique monastère actuel, terminé en 1714. La communauté comptait alors treize prêtres et six frères convers, à savoir : R. P. Dom Claude Michaud, prieur de Faverney et visiteur de la Congrégation de Saint-Vannes et Saint-Hydulphe, Dom Placide Clerc supérieur, Dom Toussaint Belpois, Dom Odilon Dard, Dom Alexis Mercier, Dom Bernard Hymette, Dom Valbert Clerc, Dom Vincent Du Chesne, Dom Morand Mandrillon, Dom Marc Couché, Dom Ignace Louvnot, Dom Anselme Billot et Dom André Bulné ; puis Frère Ildephonse de Crosey, Frère Odilon Munnier, Frère Anselme le Grand, Frère Alexis Damey, Frère Bernard Liévremont et Frère Alexandre Gambelin.

51. François-Joseph de Grammont, 94e archevêque de Besançon (1698-1717) ; L'abbé Jean-François-Nicolas Richard, Histoire des diocèses de Besançon et de Saint-Claude, Besançon, Cornu, 1847-1851, II, p. 382 ; Loye, Histoire, IV, p. 136 et pp. 158 à 166. — Notice du Bréviaire de 1712 ; cet office particulier contenait six hymnes propres, sept antiennes spéciales et une longue leçon historique ; Dom Maur Michelet, Les divins mystères verifiez dans l'Hostie miraculeuse de Faverney, Bibliothèque de Vesoul, Ms. 94, p. 32.

52. Le prieuré de Vaux-le-Vernoy se trouvait dans la Grange de Vaux entre Héricourt et Saulnot, près du village du Vernoy au canton de Montbéliard ; Loye, Histoire, II, p. 131. — Dom Grappin Mémoires, p. 112 ; Mantelet, Histoire, p. 440 ; Bullet, Manuscrit, p. 248. — Dom Vincent Duchesne était non seulement un des architectes remarquables de son temps, mais encore un inventeur, et à ce titre il fut appelé à Salins par le roi Louis XIV pour y faire des greniers à sel et des chaudières d'une nouvelle invention dont le produit était plus grand en sel et la consommation en bois plus petite. Le succès de son invention lui procura une pension de Sa Majesté. Il inventa aussi une machine pour scier plus aisément et polir plusieurs pièces de marbre tout à la fois. Louis XIV voulut la voir, et Dom Duchesne eut l'honneur de la faire jouer en sa présence. Comme précepteur du jeune roi Louis XV, âgé de cinq ans, il lui apprit à écrire en trois leçons, et sa méthode devint le sujet d'une gravure au bas de laquelle on lit les vers suivants :

En trois heures de temps le roi sut bien écrire,
Par un secret nouveau que tout le monde admire,
Et le seul Dom Duchesne, enfant de Besançon,
Sut faire ce prodige en moins de six leçons.

Dom Duchesne était enfin écrivain. Il avait laissé un gros manuscrit in-4 sur la Franche-Comté au point de vue topographique et au point de vue religieux. Ce manuscrit précieux a sans doute disparu pendant la Révolution ; Loye, Histoire, IV, p. 78, d'après Louis Suchaux, Galerie héraldo-nobiliaire de la Franche-Comté, Paris, Champion, 1878.

53. Dom Grappin Mémoires, pp. 110 et 111 ; Mantelet, Histoire, pp. 447 à 449 ; Bullet, Manuscrit, p. 248. — Archives municipales de Faverney, G.-G. 15.

54. Dom Grappin Mémoires, pp. 114 ; Loye, Histoire, IV, p. 80.

55. Dom Michelet, Manuscrit, pp. 28 à 30 ; il porte l'approbation authentique «donnée à Faverney le second Juillet 1733 par Dom Colomban Pelletier, prieur de Luxeu et Dom Basile Payen, prieur de Morey». — Voici la traduction de cette inscription chronographique donnée par Dom Michelet : «Le Dieu qui scayt se faire si souvent obéir en arrêtant le feu, mérite d'être glorifié au plus haut des cieux». — Dom Grappin Mémoires, p. 93. — Morey, Discours, p. 14 note 1, a écrit que le R. P. Ludovic capucin de Faverney, qui avait huit ans au moment de cet incendie, en parle aussi dans son manuscrit (Bibliothèque de Besançon).

56. Compte rendu du congrès, p. 202 (Rapport de M le curé-doyen Camuset) ; Dom Michelet, Manuscrit, pp. 50 et 52.

57. Morey, Discours, p. 12 ; Dom Michelet, Manuscrit, p. 22. — Cette séquence du miracle a été publiée en 1869 et en 1878 par l'abbé Morey, et elle est reproduite au n° XI des pièces justificatives. — Nous donnons ici la traduction de la 10e strophe de cette prose, voir Morey, Discours, p. 17, et nous souhaitons que liturgiquement il soit possible aux fidèles de l'entendre dorénavant exécuter en mélodie grégorienne par les élèves du grand séminaire de philosophie à Faverney.

58. Dom Constance Guillot, né à Dole et profès à Luxeuil en 1683, prêcha avec succès à Besançon, Lyon, Autun, Mâcon, Gray, etc., et fut ensuite élevé aux principales charges de sa Congrégation. Il a ecrit l'histoire de l'abbaye de Luxeuil et de l'abbaye de Saint-Vincent : ces deux ouvrages manuscrits sont conservés à la bibliothèque de Vesoul ; Suchaux, Galerie et Loye, Histoire, IV, p. 295. — À cette époque Dom Kermann composa aussi un mémoire in-12 sur l'abbaye de Faverney ; Mantelet, Histoire, p. 549. — Dom Grappin Mémoires, pp. 109 à 111 ; Bullet, Manuscrit, p. 250.

59. Dom Grappin Mémoires, pp. 113 et 114. — Voir ci-dessus les détails sur Dom Jérôme Coquelin, mort abbé de l'abbaye de Luxeuil le 15 août 1639, et sur Dom Jérôme Coquelin, religieux de Faverney.

60. Dom Grappin Mémoires, pp. 114 à 116. — Archives de la Haute-Saône, H. 157 (Cartulaire de Faverney 1737-1740). — Dans la liasse H. 453, j'ai trouvé les prises d'habit et les professions de 1735 à 1743 et j'y ai relevé le nom de Frère Laurent Bruley, autrefois Claude-Simon Bruley d'Amance, fils d'Étienne Bruley, maître-laboureur et de Madeleine Dard son épouse. Frère Laurent, âgé d'environ 19 ans, a reçu «l'habit des mains du R. P. Dom Jérôme Coquelin, abbé et supérieur de l'abbaye de Faverney, le 8e jour 1741 et a fait profession le 10 août 1742» [voir aussi note 72 ci-dessous]. — Loye, Histoire, IV, p. 297 ; Mantelet, Histoire, p. 452 ; Bullet, Manuscrit, p. 251. — La plupart des livres des bénédictins de Faverney sont actuellement à la bibliothèque municipale de Vesoul et leurs manuscrits sont aux archives de la Haute-Saône.

61. Dom Grappin Mémoires, p. 115. — Antoine-Pierre II de Grammont, 98e archevêque de Besançon (1735-1754). — Pidoux, Histoire populaire, p. 71 ; Pidoux, Histoire de la Confrérie de Saint Yves, p. 273.

62. Dom Grappin Mémoires, p. 92 ; Morey, Notice, p. 118 ; Compte rendu du congrès, p. 193 ; Mantelet, Histoire, p. 452 ; Bullet, Manuscrit, p. 251.

63. À l'année 1763, j'ai lu parmi les nombreux confrères inscrits dans l'antique «confrairie» le nom de Pierre-Antoine Lalot, fils de Nicolas Lalot, avec l'indication de sa guérison des écrouelles ou humeurs froides scrofuleuses.

64. Antoine-Cleriadus de Choiseul-Beaupré, 99e archevêque de Besançon (1754-1774). — Notes et documents, 2e éd., p. 145 (Copie de l'authentification du manuscrit de Faverney).

65. Lettre ancienne communiquée à M. le curé de Faverney et qui a trait à la fondation de «feu le sieur François Feuvier du 13 may 1756», donnant par testament 1200 livres pour des ornements d'église et transformée en offices des Quarante-Heures avec le consentement du sieur Bardenet, et de Barbe Feuvier son épouse, héritiers directs ; Archives curiales.

66. Bibliothèque de Besançon, Ms. 827 et 828. Cette indication m'a été donnée, peu de temps avant sa mort prématurée, par mon regretté et bienveillant compatriote graylois M. Godard, professeur agrégé d'histoire au lycée de Vesoul. — Compte rendu du congrès, p. 188 ; Loye, Histoire, IV, p. 329.

67. Loye, Histoire, IV, p. 38 (la Mission de Beaupré). — Compte rendu du congrès, p. 200 (Rapport de M. le curé-doyen Camuset) et p. 190 (Rapport de M. le chanoine Tournier).

68. Gauthier, Notes archéologiques, pp. 5, 10, 11,13, 21. — Dom Bebin, Manuscrit, p. 19. — Les quatre piliers bas ou colonnettes sur lesquels reposait le tombe de Sainte Gude, avaient déjà été enfouis par le premier surélèvement du pavé de l'église, longtemps avant Dom Bebin au témoignage des plus anciens religieux. — Villars-Saint-Georges est un village de 176 inhabitants de Boussières (Doubs).

69. Gauthier, Notes archéologiques, p. 10 ; Morey, Notice, p. 119 ; Pidoux, Histoire populaire, p. 94. — Dans la chapelle latérale du Saint-Sépulcre qui sert de passage pour aller au presbytère, il y a un couronnement en bois sculpté et doré, et dans le triangle au centre de la gloire se trouve, au lieu du nom de Jéhovah, la date de 1771. — Sampans est une village de 500 habitants, et Damparis est un bourg de 1000 habitants, tous deux situés dans le canton de Dole.

70. Archives curiales de Faverney, rapport de M. l'abbé Charles Clerc, curé-doyen de Faverney, présenté à M. le préfet de la Haute-Saône vers 1890 ; Archives municipales de Faverney, Registre n° 2 des délibérations, folio 19, 20 février 1790, inventaire de l'église abbatiale ; Gauthier, Notes archéologiques, p. 10.

71. Dom Grappin, Mémoires, p. 114 ; Bullet, Manuscrit, p. 252 ; Mantelet, Histoire, p. 453. Manuscrit de l'abbé Baverel sur les Paroisses et chapelles de la Comté, collection Suchet chez M. A. de Vregille. — L'abbaye noble de Montigny-lès-Vesoul près de Chariez fut fondée en 1282 par Alice de Bourgogne, vicomtesse de Vesoul ; elle se recruta parmi les filles nobles de la province et subit la Règle de sainte Claire, mitigée par le pape Urbain IV ; elle comptait vingt-huit religieuses lors de la Révolution de 1793 : Loye, Histoire, II, p. 254, et V, p. 16. — D'après le livre de l'Arpentement général d'Amance fini en 1764, les Révérends Pères Bénédictins de Faverney possédaient 63 faux et demie de prés, 517 quartes en champs et clos, et ils amodiaient le tout à deux fermiers avec le quart de la dîme qu'ils avaient sur le territoire d'Amance. — D'après un compte de redevances à la date de 1762, la ville de Faverney comptait alors 118 feux et 408 habitants, y compris les casernes édifiées en 1754 pour un escadron de cavalerie par ordre du roi, tandis que la ville d'Amance comptait 63 feux et 305 habitants ; Jules Finot, Les franchises municipales du bourg de Faverney, Vesoul, Suchaux, 1879.

72. Voir note 60 ci-dessus pour d'autres détails sur Dom Bruley d'Amance. — Aux Archives de la Haute-Saône, H. 457, se trouve le registre des prises d'habit et de professions, paraphé par Dom Laurent Bruley prieur (1766 à 1771). — Voici la traduction de cette inscription récapitulative : Ici reposent les révérendissimes abbés Dom Guy de Lambrey, décédé le 6 juillet 1520 ; Dom Alphonse Doresmieux, décédé le 17 septembre 1630 ; Dom François-Théodore Du Cloz, décédé le 20 septembre 1734 ; Dom Jérôme Coquelin dont la mort, survenue le 1er septembre 1771, fut vivement regrettée par un grande nombre. — Bullet, Manuscrit, p. 252 ; Mantelet, Histoire, p. 457 ; Gauthier, Notes archéologiques, p. 21.

73. Dom Grappin, Mémoires, p. 115 ; Bullet, Manuscrit, p. 253 ; Mantelet, Histoire, p. 459. — «Le canal des moines» commence à l'écluse Maillard sur le territoire de Mersuay.

74. Bullet, Manuscrit, p. 253 ; Mantelet, Histoire, p. 461. — Ainvelle est un village de 257 habitants au canton de Saint-Loup-sur-Semouse (Haute-Saône). — Les mémoires couronnés de Dom Ferron, né à Ainvelle en 1751 et non en 1731, sont conservés aux archives de l'Académie de Besançon, d'après l'article de Weiss dans la Biographie universelle. — Loye, Histoire, IV, p. 299.

75. Dom Grappin, Mémoires, p. 16 ; Loye, Histoire, IV, pp. 297, 299 et 300, d'après Louis Suchaux, Galerie. — Le village de Rupt-sur-Saône compte 314 habitants dans le canton de Scey-sur-Saône. — Dom Couderet est mort à Besançon en 1789, et Dom Berthod mourut à Bruxelles, le 19 mars 1788, âgé seulement de 55 ans. — J'ai trouvé l'inscription de Dom Anselme Berthod sur l'antique catalogue de la confrérie de la Sainte-Hostie en 1759.

76. Mantelet, Histoire, p. 467. — Archives municipales de Faverney, G.-G. 15, 30 août 1745, acte authentique de l'approbation d'Antoine-Pierre de Grammont pour le bureau de bienfaisance fondé par l'abbé Jérôme Coquelin, sous la tutelle du curé (cachet en papier).

77. Almanach historique de Besançon pour 1784, pp. 77 et 110.

78. Morey, Notice, p. 10 ; Bullet, Manuscrit, p. 254 ; Mantelet, Histoire, p. 467.

79. Bullet, Manuscrit, p. 254 ; Mantelet, Histoire, p. 468. — Les détails techniques sur le pont des moines m'ont été fournis gracieusement par M. Paul Renet, alors agent-voyer cantonal d'Amance.

80. Louis Monnier, Histoire de la ville de Vesoul, Vesoul, Bon, 1909, 2e époque, ch. VIe à la fin. — Bullet, Manuscrit, p. 253 ; Loye, Histoire, IV, p. 299.

81. Coudriet et Châtelet, Histoire de Jussey, p. 165. — Finot, Les franchises municipales du bourg de Faverney. — Archives de la Haute-Saône, H. 15, mars 1789. Cet état a été dressé par Claude Maugras notaire royal et m'a été copié spécialement par mon compatriote M. Godard. — Le banvin ou le ban de vin est le droit qu'avait l'abbaye, en qualité de seigneur de Faverney, de vendre exclusivement les vins de sa récolte pendant un temps fixé. — Le colombier semble avoir existé tout proche de l'entrée de l'église abbatiale, car en 1794 la municipalité le fit démolir comme gênant les processions.

82. Hippolyte-Adolphe Taine, Origines de la France contemporaine (en 1876), Paris, Hachette, 1885. — Morey, Notice, p. 120.

83. Bulletin des lois, 4, 6, 7, 8 et 11 août 1789 et 28 mars 1790 [Le Bulletin des lois, créé par un décret de janvier 1791, devient par la loi du décembre 1793 le recueil officiel des lois de la République ; il porte le sceau de l'État et la signature du ministre de la Justice.] — Coudriet et Châtelet, Histoire de Jussey, pp. 164, 167 et 168 ; Mantelet, Histoire, p. 475.

84. Monnier, Histoire de la ville de Vesoul, 2e époque, VII. — Bulletin des lois, 28 octobre, 2, 3 et 4 novembre, et 14 décembre 1789. — Registre n° 2, folio 3, 9 février 1790.

85. Bulletin des lois, 13, 19 et 26 février, et 20 et 26 mars 1790. — Coudriet et Châtelet, Histoire de Jussey, p. 172. — Le département de la Haute-Saône fut partagé en six districts : Gray, Champlitte, Vesoul, Jussey, Luxeuil et Lure. Celui de Jussey comprenait sept cantons : Jussey, Jonvelle, Morey, Vitrey, Amance, Augicourt et Combeaufontaine (26 février 1790). — Registre n° 2, folio 289.

86. Morey, Notice, p. 121. — Registre n° 2, folio 19. — Le marc valait alors 244,75 g. — Raymond de Durfort, 100e archevêque de Besançon (1774-1792). — Loye, Histoire, V, pp. 29 et 30.

87. Registre n° 2, folios 5 à 10, 20 février 1790, inventaire écrit entièrement et signé par Dom Ferron prieur et contresigné par Bardenet, premier maire de Faverney. — Archives municipales de Faverney, G.-G. 15. pièce 7 bis.

88. Archives de la Haute-Saône, H. 460 (revenus par villages), et H. 464 (état général des revenus). — Archives de la Haute-Saône, I.-Q. 90, 26 avril 1790.

89. L'abbé Joseph Morey, Les capucins en Franche-Comté, Paris, Poussielgue, 1881, pp. 199 et 214 (Note d'un religieux sur les options faites par les religieux).

90. Loye, Histoire, V, pp. 31 et 37. — Archives municipales de Faverney, G.-G. 15. La 9e pièce est la déclaration authentique sur papier de Dom Augustin Carementrand «prêtre d'un grand âge aux infirmités multiples qui ne lui permettent pas de rentrer dans le monde et qui désire finir ses jours dans son cloître ou tel autre qu'il plaira à Sa Majesté et à l'Assemblée nationale de lui assigner. — Donné à Faverney le 26 Avril 1790» ; et cette pièce est signée : «D. A. Carementrand prêtre depuis plus que cinquante ans».

91. Bulletin des lois, 23 juin et 12 juillet 1790. — Archives municipales de Faverney, L. 126, lettre de plainte du curé Millerot de Faverney au comité ecclésiastique de Paris, 10 août 1790. — M. l'abbé Louis Guyot, originaire de Faverney et curé de Cromary (canton de Rioz, Haute-Saône) m'a attesté, et avec lui bon nombre de vieillards, qu'il est de tradition notoire à Faverney : 1° que le Frère Romain Mignot avait 4.000 fr. en pièces d'or carrées et qu'il les avait cachées dans les poids de son horloge comtoise ; 2° que sa sœur atteinte de surdité et qui demeura 55 ans avec son frère, apres la mort de celui-ci, refusa toujours de se servir de cet argent, répétant que c'était un dépôt sacré que Dom Ferron prieur avait confié à son frère aussi bien qu'aux autres religieux, et qui devait être gardé jusqu'au jour où le couvent serait reconstitué ; 3° La même attestation m'a été faite par M. l'avocat Bergeret de Vesoul au sujet de son grand-oncle maternel Dom Hydulphe Daviot, né à Pusy le 5 décembre 1764 et religieux profès minoré au moment de son option pour la vie religeuse dans la vie privée ; 4° Lors du triste assassinat, en 1901, de M. Charles Maillard, rentier et ancien fabricien à Faverney et héritier du Frère Romain Mignot, on retrouva encore chez lui plusieurs de ces pièces d'or carrées.

92. J'ai puisé ces renseignements spéciaux dans l'Etat des Noms des religieux Bénédictins de Faverney existans dans ladite abbaye lors de la publication du Décret de l'Assemblée Nationale du vingt-neuf Octobre dernier, avec leur âge et la date de leur profession. Ce tableau des religieux de Faverney, a été dressé en octobre 1789, par Dom Anselme Ferron prieur qui a eu l'heureuse idée d'aller, le 12 octobre 1790, le faire viser et sceller du sceau en cire rouge à «Luxeu» par Dom Vautherot, visiteur de la Congrégation de Saint-Vannes et Saint-Hydulphe pour la Franche-Comté (Archives de la cure de Faverney). — Loye, Histoire, IV, p. 299. — Bibliothèque du chapitre de Besançon, Ms. 1296, folio 65. — Témoignage écrit de M. Bergeret, avocat à Vesoul. — Registre n° 2, folio 74.

93. Archives municipales de Faverney, L. 126. — Archives de la Haute-Saône, H. 514. — À ces 15 religieux partis et aux 7 restants il convient d'ajouter Dom Saynelonge, régulièrement en congé et alors prédicateur distingué à Paris (Lettre du comité ecclésiastique de Paris réclamant au monastère la pension dûe à ce bénédictin). — Le commissaire Mignard ne put que vérifier qu'il restait en caisse 1358 livres.

94. Archives municipales de Faverney, G.-G. 15, pièce 7 et 7 bis, 10 septembre 1190.

95. L'abbé Claude-Joseph Drioux, Histoire de l'Église depuis sa fondation jusqu'à nos jours, Paris, Belin, 1867, IV, pp. 623 et 625. — Bulletin des lois, 27 novembre et 26 décembre 1790, et 4 janvier 1791.

96. Coudriet et Châtelet, Histoire de Jussey, p. 187 ; Registre n° 2, folio 72.

97. Registre n° 2, folio 74. — Claude Maugras notaire en 1789 eut pour successeur Alexandre Bourgeois. Avec ces six moines je trouve les noms de Charles Martin, ex-bénédictin, et Pierre Poinsot, diacre et ci-devant bénédictin, âgé de 69 ans.

98. Bibliothèque du chapitre de Besançon, Ms. 1112 à 1114. — Ce même jour, 23 janvier 1791, les curés d'Anchenoncourt, Buffignécourt, Contréglise, Saint-Remy et Saponcourt prononcèrent eux aussi le serment schismatique, tandis que le curé d'Amance et son vicaire, les curés de Baulay et de Polaincourt, celui de Menoux et ses deux vicaires, et le vicaire en chef de Venisey refusèrent de le prêter ; la paroisse de Senoncourt était alors une annexe de Contréglise.

99. Archives municipales de Faverney, G.-G. 15. — Archives de la Haute-Saône, I.-Q. 105, n° 5. L'acquéreur fut Jean-Pierre Durget demeurant à Vesoul, 25 janvier 1791. — Morey, Notice, pp. 121 et 122. — Monnier, Histoire de la ville de Vesoul, 2e époque (1453-1815), ch. VII.

100. Registre n° 2, folios 46 (1er mai 1791) et 87 ; Coudriet et Châtelet, Histoire de Jussey, p. 188.

101. Loye, Histoire, V, p. 48 ; Archives municipales de Faverney, L. 3 ; Coudriet et Châtelet, Histoire de Jussey, p. 188.

102. Archives municipales de Faverney, Registre n° 2, folios 87 et 88 ; Morey, Notice, p. 122.

103. Archives municipales de Faverney, G.-G. 15. Cette étonnante supplique est intacte et complète.

104. Archives de la Haute-Saône, I.-Q. 105, n° 373, 17 mai 1791, et 90, 18 may 1791.

105. Archives de la Haute-Saône, I.-Q., 90, 18 mai 1791.

106. Archives de la Haute-Saône, I.-Q., 90.

107. Selon Jules Gauthier, Armorial des corporations religieuses de Franche-Comté, Besançon, Marion et Morel, 1884, p. 6, d'après l'Armorial général de 1696, les armoiries de l'abbaye de Faverney sont : «d'argent à un saint Benoît de carnation, vêtu de l'habit de son ordre, tenant en sa main dextre un livre ouvert d'argent, couvert de gueules, et en sa senestre une crosse d'or».


«Faverney, son abbaye et le miracle des Saintes-Hosties» :
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[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]