«FAVERNEY, SON ABBAYE ET LE MIRACLE DES SAINTES-HOSTIES» ; 4e PARTIE - CH. 2
QUATRIÈME PARTIE
Les Bénédictins réformés et la Sainte-Hostie durant les XVIIe et XVIIIe siècles
CHAPITRE SECOND
Faverney et la Sainte-Hostie durant la période révolutionnaire
Le 22 juin 1791, «l'église de la ci-devant abbaye de Faverney avec un petit terrain adjacent de la contenance d'environ une coupe et demie entre ladite église, la cour du cloître et la chambre des morts, la place de ladite chambre des morts prenant son entrée par la dite église et l'escalier qui conduit au clocher, fut vendue, à l'exception des cloches et des carillons, pour la somme de 3.025 livres en assignats à la municipalité de Faverney pour servir de magasin» (1). C'était un expédient fort adroit afin de sauver de la destruction révolutionnaire ce monument d'architecture romano-gothique qui a été et qui restera le joyau
de l'antique cité du miracle. Il est donc juste et équitable de constater les louables efforts des conseillers favernéiens qui s'employèrent alors le mieux possible à atténuer les effets désastreux des nouvelles lois contre le culte catholique et ses ministres.
Un fait absolument indéniable et digne d'attirer l'attention de l'historien impartial, c'est l'accord persévérant et quasi permanent entre les officiers municipaux de Faverney, et le nombreux clergé régulier et séculier qui, durant toute la Révolution, vint chercher auprès de la Sainte-Hostie un refuge plus assuré que partout ailleurs. L'antique confrérie elle-même avait encore toute sa vitalité religieuse en cette annee 1791 : ainsi le conseil, reuni comme à l'ordinaire le 25 Septembre dans la salle capitulaire de l'abbaye... vide cette fois de ses moines, nomme à la place de l'ex-Dom Augustin
Carementrand directeur depuis 1786, le jeune abbé Claude-Estienne Marlet, né à Ornans et vicaire depuis 5 ans ; et c'est l'ex-frère laïqne Romain Mignot qui est choisi comme porteur de la belle croix d'argent pour la procession de la Pentecôte. Le dimanche suivant, à la grand' messe le vieux curé constitutionnel Nicolas Millerot «a fait lecture avec le plus grand empressement de la lettre pastorale de Monsieur Flavigny évêque du département» ; et la municipalité, pleine de respect et de déférence pour ce vieux prêtre, déjà infirme de corps et faible d'esprit, déclare que «le dit curé donne
tous les jours des preuves du plus pur patrioisme» (2).
Ce fut le 4 Octobre que le quartier abbatial et l'église des ci-devant bénédictins furent définitivement remis entre les mains du maire Cordier. Au mois de Novembre, selon la loi eurent lieu les élections des nouveaux officiers municipaux, et, grâce sans doute à ses influences familiales auprès d'eux, l'abbé Jacques-François Maugras, âgé de 32 ans, retiré dans la maison paternelle comme ex-bénédictin, fut nommé vicaire de Faverney par l'évêque de Vesoul. Alors, en ce dernier jour de cette année, déjà si féconde en faits douloureux, se produisit un évènement bien inattendu et fort étrange et qui nous donne la mesure de la pusillanimité excessive de ce vieillard, réellement atteint de débilité intellectuelle, que Faverney eut pour pasteur durant toute la Révolution. Le 31 Décembre, durant leur séance à l'hôtel de ville, les conseillers furent avertis officiellement que le citoyen Nicolas Millerot, «curé dudit lieu, désirait être déchargé des titres consernant
l'attestation du miracle opéré en l'Eglise des ci-devant Bénédictins de la dite ville en 1608» et qui avaient été déposés entre ses mains, lors de la translation solennelle de la Sainte-Hostie en son église paroissiale le 8 mai dernier. «La
chose mise en délibération, le procureur de la commune entendu, il a été arrêté qu'ils seraient déposés en présence de la municipalité dans le tabernacle de l'église abbatiale, au-dessous de celui destiné à renfermer l'Hostie miraculeuse» (3).
Car l'occasion était favorable pour abandonner l'ancienne église paroissiale Saint-Bénigne qui tombait en ruines et qui était devenue trop petite pour la population. Aussi le lendemain, «premier Janvier mil sept cent quatre-vingt-douze» la municipalité prenant définitivement possession de la ci-devant église abbatiale dont elle venait de solder l'achat, y fit
transporter par le vicaire Maugras, en présence du curé Millerot et de tous les officiers municipaux, «le magnifique ostensoir qui contenait toujours, depuis la Réforme, deux hosties : l'une qui était l'Hostie miraculeuse dans la lunette du haut, et une autre hostie consacrée et renouvelée et qui était mise au bas de la première». Le ci-devant bénédictin Maugras reposa en la belle chapelle du «Saint Sacrement de Miracle», dans le tabernacle supérieur «élevé
assez haut de quatre à cinq pieds au-dessus de de l'autel», le grand ostensoir ou Melchisédech en vermeil que surmontait une couronne impériale également en vermeil et ornée de rubis et de perles. Puis le même «Jacques-François-Maugras, vicaire en la dite ville, à ce délégué par ledit curé Millerot présent» enferma «dans une Boëte de carton garni en soye» tous les précieux souvenirs, témoins incontestables du miracle, à savoir: 1° «un Bref du Pape Clément VIII, qui a été conservé dans les flammes ; 2° le décret de Ferdinand de Rie, archevêque de Besançon, qui déclare authentique le miracle de Faverney le vingt quatre may mil six cent huit, et un autre décret de fin Juillet de la même année» ; et 3° le petit
ostensoir où reposait autrefois l'Hostie miraculeuse (4).
La «Boëte de carton garni en soye» fut «fisselée» par le vicaire «d'un Ruban blanc et d'une Banderole du papier portant ces mots : «Ici repose le Bref du Pape, scélé du Sceau de la municipalité ainsi que le petit ostensoir où s'est opéré le miracle et qui contient le doigt de Sainte Agathe». Puis, par-devant les officiers municipaux l'ex-bénédictin plaça la
boîte ainsi scellée «dans le tabernacle au-dessous de celui qui renferme l'Hostie miraculeuse». Ensuite il remit au maire la clef de ce tabernacle inférieur, puis «la petite clef de l'ostensoir où repose l'Hostie Miraculeuse, enfin le volume infolio où est écrit en entier l'Information qui en a été faite pour en attester la Réalité» ; et ces trois objets furent «déposés aux archives de la ville de Faverney». Le procès-verbal de ce «dépaux» sacré, si important pour l'authenticité de la Sainte-Hostie de 1608, fut signé séance tenante après lecture par Millerot curé, Cordier maire, Durpoy, Therion, Doiselet, Vittot et J.-F. Maugras vicaire (5).
Cette année de 1792 qui s'inaugurait à Faverney d'une manière si extraordinaire et si providentielle pour l'authenticité de la Sainte-Hostie, alla ainsi se continuant grâce à la modération des officiers municipaux. Le 17 mars, vingt-cinq nouveaux associés, citoyens ou citoyennes, ayant en tête Jacques-François Maugras, prêtre-vicaire et administrateur agréé par le curé Millerot, donnent leur nom à «la Confrairie du Très Auguste et Très Saint Sacrement de Miracle». Le 9 avril, afin de pouvoir «construire deux abreuvoirs indispensables», on met en vente «le vieux cloché» de Saint-Bénigne «qui tombe par vétusté, un horloge, la chêre à prêcher, des grilles et des portes de fer ainsi que des boiseries des vieux hotels et les pavés de l'ancienne église». Le 19 juin, les municipaux font démolir «la petite tour qui servoit de colombier aux ci-devant Bénédictins parce que cette tour, relatent-ils, masquoit l'entrée de notre église et nous empechoit de faire les processions usitées». Cinq jours plus tard, sur invitation du conseil général de la commune, l'évêque de Vesoul arrivait à Faverney, afin de diriger la transformation de la ci-devant abbatiale en église paroissiale (6).
L'histoire et la tradition se taisent sur la réception faite au constitutionnel Flavigny par les habitants de la cité du Miracle, comme j'ignore tout de ses marques de vénération à l'égard de la Sainte-Hostie de 1608. «Homme conciliant et modéré, ayant des manières douces et avenantes, souriant à tout le monde, s'entretenant familièrement avec les gens et, même à l'occasion, ne dédaignant pas de parler patois aux bonnes femmes de la campagne», a écrit M. Louis Monnier, il avait cru d'abord pouvoir concilier la Constitution civile du clergé avec la fidélité au Siège de Saint-Pierre «dont aucune puissance humaine», disait-il dans son premier mandement, «ne pourra nous séparer». Mais dans sa deuxième lettre pastorale du 3 février 1792, ses illusions commençaient à tomber et il avait écrit : «La discorde et le scandale sont partout : mes jours en seront abrégés». Il était donc venu, le 24 juin, prier et vénérer le Sacrement de Miracle et il avait prescrit «de raccommoder toutes les vitres et tous les bans, de reposer l'hautel du chapitre dans l'église au coté de la sacristie et de transporter les fonds baptismaux dans la place indiquée par lui» (7).
Serait-ce à la suite de cette visite épiscopale que fut enlevée la grande grille, haute environ de dix pieds, qui fermait totalement l'entrée du presbytéral ou sanctuaire et dont le quadrillage, composé de tringles de fer qui se croisaient perpendiculairement, était serré à chaque point de jonction des barres par un large feuillage à l'antique ? Je serais tenté de le croire, car à cette époque les documents abondent qui prouvent la grande sollicitude de la municipalité soit pour l'aménagement et le respect du culte catholique, soit pour la protection de l'église où se trouve le palladium de la cité. En effet, le 30 juillet, «une grande porte composée de grillages de fer est posée à l'église paroissiale» ; un mois plus tard, défense est faite à toutes personnes quelconques de masquer dorénavant les chantres et d'outrepasser même les quatre derniers pilliers, c'est a dire que la fassade du grand hotel ne sera aucunement embarassée de personnes a peine de dix sols d'amende» ; défense est faite encore sous la même peine «de s'assoire devant la table de communion en tournant de derrier a l'hotel pendant le service divin» (8).
Mais la modération et l'amende ne pouvaient arrêter la vague toujours montante des passions populaires, secrètement surexcitées par quelques hommes prudents et audacieux qui formaient l'avant-garde du parti républicain. Aussi, sous prétexte de faire des réparations à l'église, «journellement des vols s'y commettaient». Le maire Gravelotte ordonna
que la grande porte de la grille de l'église «sera fermée tous les jours si tôt après les messes chantées, excepté les jours de faite et de dimanche quel ne sera fermée qu'après les Vepre».
Aux élections municipales de novembre, bien que la Convention nationale qui avait succédé à l'Assemblée législative, ait décrété la République française le 21 septembre, les citoyens encore modérés se maintinrent à la tête des affaires de Faverney, et, sur la fin de décembre, les officiers municipaux firent encore «choix de deux fabriciens pour servir à l'église pendant le cours de l'année prochaine». Ils votèrent également, à l'unanimité, le traitement de l'organiste et du sacristain, comme aussi tous les frais du «grand et petit luminaire de l'église, avec le blanchissage et l'entretien du linge et des ornements ainsi que la réparation du clocher de la ci-devant abbatiale qui menaçait ruine». Durant les premiers mois de l'an 1793, au milieu de ce calme précurseur de la tempête, douze citoyens et citoyennes voulurent encore
se faire inscrire dans la confrérie de la Sainte-Hostie, et même à la fin du mois de mars, le maire Piérre-Claude Therion, récemment élu, affirma au directoire du district, suivant la «déclaration unanime du Corps municipal et du Conseil général, qu'il n'y avait aucun citoyen suspect dans ladite commune de Faverney». Aussi une distribution de piques fut-elle faite à cent citoyens «dont le civisme étoit connu» (9).
Toutefois la situation allait changer. Sous l'influence du Comité de Salut public que la Convention nationale avait définitivement constitué à Paris au mois de mars, et qui bientôt se trouva composé de trois groupes de députés les
plus violents, tels que Barrère, Collot et Billaud, Carnot, Prieur et Lindet, Robespierre, Saint-Just et Couthon, des comités de surveillance furent institués dans toutes les communes. À Faverney le 24 mai, le procureur municipal proteste, parce qu'on n'a pas «encore établi le comité pour le maintien du repos public» ; et dès le 30 suivant, douze membres sont choisis parmi les plus purs sans-culottes ou les soi-disant amis de la liberté et de l'égalité pour former la société populaire. Afin donc de ne pas être accusée de trop de modérantisme, la municipalité favernéienne, jusqu'alors réfractaire, se résolut à «publier au son de la caisse crainte qu'on n'en ignore» l'obligation de «chomer, comme un jour de dimanche à peine de cinq livres d'amende», la fête civique de la Fédération demandée par décret de la Convention nationale ; et le 10 août, le corps municipal, la garde nationale en armes et tous les citoyens et citoyennes, réunis devant la maison commune, se sont rendus à la ci-devant église abbatiale pour entendre la messe. De là, le cortège s'est dirigé sur la place de la Tour, et, devant l'autel de la Patrie, le maire a prononcé un discours patriotique. Puis tous «les citoyens ont juré fidélité à la République française une et indivisible, le maintien de la liberté et de l'égalité, ou de mourir en la défendant. Enfin il a été chanté des hymnes en l'honneur de la Révolution». Ceux qui n'ont pas assisté à cette cérémonie, ont été déclarés suspects (10).
Mais le lendemain de ces réjouissances forcées, c'était la famine, car la disette de blé était telle que «la révolte des citoyens affamés se manifestait par des placards séditieux» ; puis c'étaient les réquisitions implacables et perpétuelles, car ordre fut donné par le comité de surveillance «de mettre des batteurs chez les cultivateurs pour battre et vanner les gerbes révolutionnairement». Et bien que la récolte s'annonçât à peine suffisante pour nourrir le laboureur, le Conseil général demanda à Vesoul d'être autorisé à ce que les communes de Fleurey, Amoncourt, Port-d'Atelier, Baulay, Amance, la ferme de Beauregard, Buffignécourt, la ferme du Broye, Senoncourt, Contréglise, Saint-Remy, Menoux, Cubry, Bourguignon, Mersuay, Equevilley, Le Planois, Breurey, Provenchère, le Val-Saint-Eloy «soient tenues d'aprovisionner en grains et autres alimens necessaires les marchés de Faverney comme elles faisoient en 1780 et antérieurement» (11).
Toutefois, malgré ces premières concessions à l'esprit révolutionnaire, le conseil de la commune, dans sa séance du 25 août, s'occupe de loger tout proche de l'église nouvellement paroissiale, dans le ci-devant quartier abbatial, le
vieux curé Millerot fort infirme. L'ancien presbytère, grand et beau bâtiment carré avec petit jardin contigu à l'ex-église Saint-Bénigne, sera désaffecté et vendu aux enchères publiques. Puis, par peur des sans-culottes de la société
populaire, la municipalité qui jusqu'alors n'avait pas exécuté les décrets des 23 juillet et 3 août 1792 concernant la confiscation des cloches inutiles et leur conversion «en bouches à feu», cède le 6 décembre 1793, et deux de ses membres
délégués, les citoyens Cordier et Vadot, se mettent immédiatement en campagne. «En trois jours chacun» ils ont parcouru le canton de Faverney, ne laissant qu'une seule cloche dans chaque église, et en deux journées ont fait conduire toutes les autres à Vesoul. Ils tinrent eux-mêmes à emmener au chef-lieu, sur des voitures réquisitionnées, l'antique petite cloche paroissiale avec les huit carillons et les huit cloches de l'abbatiale, et «une porte de fer qui provenait de l'ancienne église». Seule fut conservée la grosse cloche de Saint-Bénigne qui, bénie en 1776 par le curé Millerot et appelée Barbe par le parrain Dom Ambroise Mareschal d'Audeux, dernier abbé de Faverney, porte cette inscription
latine : «Jura fori strepito, fata timenda noto» que l'on peut traduire par celle phrase : «J'annonce les évènements publics, je signale les fléaux à éviter» (12).
Il faut signaler à la décharge des officiers municipaux de Faverney qu'ils avaient été en quelque sorte forcés de s'exécuter, en apparence au moins volontairement, car les conventionnels Lameth et Barbier, au nom du Comité de salut public, parcouraient alors les départements de l'Est, et le Directoire de Vesoul venait d'installer, sur la fin de novembre, dans les immenses bâtiments de l'abbaye, toujours invendus et jusqu'alors inoccupés, une succursale des prisons vésuliennes qui regorgeaient de suspects. Dès l'installation de cette maison de réclusion, nouveau couvent de l'ordre des sans-culottes, la municipalité se vit obligée d'élaborer un règlement de police draconien, composé de 11 articles, et dont les quatre premiers suffiront à édifier le lecteur. — Art. 1 : « Les personnes détenues dans la cy devant maison des Bénédictins n'auront aucune communication avec les personnes de différent sexe». — Art. 2 : «Les hommes habiteront le quartier du haut et les femmes celui du bas». — Art. 3 : «Nul ne pourra parler à aucun détenu qu'à distance de douze pieds et en presence du factionnaire et du concierge». — Art. 4 : « Tout ce qui entrera dans ladite maison sera visité en presence du factionnaire ou concierge afin d'intercepter toute communication de lettres, gazettes et autres papiers» (13).
Cet essai de remplacer les moines bénédictins réformés par des prisonniers et des reclus de Vesoul ne paraît pas avoir eu grand succès à Faverney, car dès le mois de janvier 1794 je constate que l'administration départementale se décide à y établir un hôpital militaire pour «les vrais défenseurs de la patrie, sans-culottes sans tache», blessés dans les combats gigantesques que la République livrait alors «aux tyrans coalisés» de l'Europe entière. En même temps on y caserna des détachements de volontaires, chargés de la garde et du service hospitalier ; et toute cette agglomération de soldats et de convalescents, «vrais sans-culottes et bons républicains de l'armée révolutionnaire», se comportait à Faverney et dans tout le voisinage d'une manière bien propre à faire regretter les moines expulsés et spoliés. En effet, le 27 janvier 1794 (8 pluviôse an II), «l'agent national Meulle requiert le corps municipal d'Amance, en vertu d'une réquisition du directeur de l'hôpital, de fournir incessamment 100 livres de saindoux, 50 livres de beurre frais ou cuit, et 10 douzaines d'œufs», le tout gratuitement au nom de la Patrie ! Puis, le 7 mars 1794 (17 ventôse an II), défense formelle est faite par les citoyens Bourrot et Roche, commissaires envoyés par le directoire de Gray-Vesoul, de «donner désormais à boire et à manger aux citoyens malades ou convalescents, ainsi qu'aux volontaires chargés de la garde de l'hôpital militaire, qui venaient tous les jours en foule dans la commune d'Amance et forçaient les cabaretiers et aubergistes à leur donner du vin et en quantité ; il y en a même qui se sont permis des voies de fait sur des aubergistes qui refusaient de leur en donner davantage parce qu'ils en avaient déjà trop» (14).
Et, tandis que les villages voisins de Faverney étaient ainsi mis à contribution pour l'entretien des militaires malades, la Société populaire le 10 janvier (21 nivôse an II) imposait à la municipalité la célébration d'une fête nationale, relative à la prise de Toulon. C'est pourquoi «le premier décadi, à une heure apres midy, devant la maison commune tous les individus réunis avec leurs piques, les officiers de la garde nationale à leur tête, et le corps municipal décoré de leur écharpe, se sont rendus avec tous citoyens et citoyennes dans la prairie où il y avait un feu de réjouissance qui a duré plus de deux heures. Pendant tout ce temps l'on a dansé et chanté des chansons républicaines avec des cris de :
Vive la République ! qui ne discontinuaient pas». Puis, le lendemain même arrivait dans les vingt communes les plus rapprochées l'ordre de réquisition d'avoir à approvisionner en blé les douze marchés consécutifs de Faverney, «sous peine d'être traités révolutionnairement». Quinze jours plus tard c'était le commissaire des guerres, accompagné du directeur
de l'hôpital sédentaire et militaire, qui portait lui-même un nouvel ordre de réquisitionner partout «le vin dans les caves où il y en a» (15).
«Chose étonnante !» a écrit l'abbé Morey. Alors que, par ses décrets du 10 octobre et du 14 décembre 1793, la Convention nationale avait inauguré dans toutes les communes de France le despotisme le plus absolu dont l'Histoire fasse mention ; alors que, dans la ville de Vesoul, le conventionnel Bernard de Saintes, athée tellement fougueux et sectaire qu'il avait
changé ses prénoms d'André-Antoine contre ceux de Pioche-Fer, établissait le comité de surveillance générale pour terroriser le département ; alors que Nicolas Boizot, précédemment procureur-syndic à Vesoul et devenu agent national de la Convention pour veiller à l'exécution des lois révolutionnaires, remplissait les prisons vésuliennes et le couvent des
ursulines de tous ceux, hommes, femmes et enfants, qu'on lui dénonçait comme entachés d'incivisme ; alors que l'église Saint-Georges était envahie, pillée, profanée, dépouillée de tous les objets prêtreux, selon l'expression élégante de Daval, maire sans-culotte de Vesoul ; alors que la société populaire de Faverney même était venue, le 1er janvier, s'affilier pompeusement à celle de Jussey, dans la séance où l'ex-abbé Cordienne, apostat devenu agent national de Montbéliard, avait demandé au citoyen curé qui le promit de supprimer toute sonnerie de cérémonie religieuse le jour de l'Épiphanie, la ci-devant fête des Rois ; à Faverney, cité du Miracle ! le 28 janvier 1794 (9 pluviôse an II), en pleine séance de l'assemblée communale, «l'agent-national arrête que le citoyen Philippe Ducret sera chargé de l'entretien du luminaire et de la lampe, de l'horloge et du blanchissage ainsi que du soin de la sacristie». C'est bien là une preuve de l'influence que le maire Therion et ses conseillers modérés gardaient encore parmi cette population si attachée à sa Sainte-Hostie et à sa vénérable Notre-Dame la Blanche (16).
Mais chose plus étonnante encore ! Le 4 mai 1794 (15 foréal an II), au moment où le tribunal révolutionnaire dont Danton fut l'instigateur et Fouquier-Tinville le terrible pourvoyeur, possédait plus de cent mille dossiers de dénonciation au Comité de Salut public et tenait entassés huit à dix mille suspects dans les vingt-cinq maisons d'arrêt de Paris ; à la veille même des messes rouges selon le mot du conventionnel Amar, je veux dire à la veille des trente-huit journées, appelées dans l'Histoire «journées Thermidoriennes» et pendant lesquelles 1306 personnes furent guillotinées par le
bourreau Sanson ; à Faverney, dans la ci-devant église du Miracle de 1608, en pleine Terreur révolutionnaire, «on chantait encore les vêpres», et trois citoyens et une citoyenne donnaient leur nom au vicaire Maugras pour la confrérie de la Sainte-Hostie. C'était hélas ! la dernière inscription jusqu'en 1833 ! (17).
Il est permis de supposer que cette accalmie extraordinaire était dûe en partie à l'influence pacificatrice qu'avait apportée dans le district vésulien le séjour de Robespierre-le-Jeune. Venu à Vesoul le 22 janvier 1794 pour se rendre
compte par lui-même de la tyrannie de Bernard de Saintes et de son lieutenant l'agent national Boizot, Augustin Robespierre, frère cadet du trop fameux Maximilien Robespierre, s'était montré d'une bonté et d'une magnanimité sans
égales, et, durant son séjour prolongé à Vesoul et à Gray, il n'avait cessé de parler de conciliation et d'indulgence. Aux paroles il avait joint les actes : partout il avait proclamé l'innocence des magistrats destitués par ordre du conventionnel Bernard, les avait remis en fonctions et avait rendu la liberté à 800 détenus. À Amance, à Luxeuil, à Menoux, à Faverney plusieurs individus, arrêtés les uns pour propos inciviques, les autres pour opinion religieuse, quelques-uns même comme suspects par suite de vengeances particulières, étaient revenus libres dans leurs familles. Mais après son départ, les sans-culottes terroristes et les agents nationaux dans chaque commune s'acharnèrent à qui mieux mieux à leur sinistre besogne (18).
D'abord, les officiers municipaux modérés de Faverney furent évincés et durent céder la place en grande partie à des exagérés que patronnait le Comité de surveillance. Dès le lendemain des dernières Vêpres chantées dans l'église abbatiale devenue paroissiale, le 5 mai, le nouveau maire Jean-Nicolas Bourgeois propose l'enlèvement «sur les deux clochers de la commune des fleurs de lisse, ainsi que des croix sur lesdits deux clochers». Le 21 mai, «le citoyen Charles Fourneau, entrepreneur de bâtiment demeurant à la Côte de l'Egalité ci-devant Saint-Remy, marchande pour 200 livres» la descente des deux croix fleur de lisées. Le 5 juin, «le corps municipal choisit pour conduire deux chevaux aux armées du Rhin et de la Mozelle le citoyen Jacques-François Maugras ex-moine prêtre faisant les fonctions de vicaire dans cette commune, et Valentin Mirlin, être des plus inutiles à la République servant actuellement en ex-moine, et réquisition leur fut délivrée pour se rendre dans 3 jours à Vesoul». Ainsi débarrassés de ces deux prêtres qui semblent avoir assumé la charge pastorale sous la tutelle constitutionnelle du débile Millerot, la nouvelle municipalité se résolut, en parfaite conformité d'opinions avec le comité terroriste de Salut public, à célébrer splendidement et «d'une manière digne de l'Eternel» la première fête civique de la religion de l'Être Suprême, que la Convention nationale venait de décréter le 7 mai dernier. Et le jour que tous les purs conseillers républicains choisirent de préférence, sans se préoccuper du vieux curé «bon patriote», ce fut le dimanche 8 juin (20 prairial an II), grande fête de la Pentecôte et 186e anniversaire de l'éclatant miracle de 1608 (19).
«Ce jourd'hui vingt prairial, l'an deux de la République française, une et indivisible, à trois heures du matin», canons et tambours annoncèrent la solennité. Dès huit heures, devant la maison commune, eut lieu le rassemblement de tous les citoyens ; à neuf heures, le cortège se mit en marche pour «se rendre au temple y adorer l'Etre Suprême». En tête s'avançaient six vétérans tenant chacun une branche de chêne ; derrière eux venaient six jeunes garçons armés d'épées que suivaient six jeunes filles chargées de fleurs. «Ensuite marchaient les autorités constituées de la commune» qu'encadraient, sur une double haie, «la garde nationale et les détachements de volontaires en quartier audit lieu pour le service de l'hôpital militaire». Enfin «les chefs de chaque famille conduisaient leurs enfants, les pères leurs fils,
les mères leurs filles», tous observant le plus grand silence et tous ayant à la main un rameau de chêne.
Arrivés au temple de la ci-devant église abbatiale de Notre-Dame la Blanche, les citoyens se placèrent au milieu de la grande nef dans le même ordre de marche, et debout furent entourés par la force armée, rangée sur deux rangs dans la plus grande tenue». «Le maire a monté en chère» où il a fait «un très beau discours» ; ensuite «le Greffier de la commune a
fait lecture du rapport du citoyen Robespierre et du décret de la Convention nationale, après quoi le Maire a adressé une prière à l'Etre Suprême qui a été suivie d'une hymne chantée avec accompagnement de l'orgue. Pendant la prière et l'hymne, les jeunes filles offraient des fleurs à l'Eternel». La cérémonie faite, tout le brillant cortège se rendit dans le même ordre «sur la place de la Tour qui sera dorénavant appelée Place de la Montagne, en raison d'une espèce de montagne qui y a été formée par plus de deux cents voitures de pierres qui y ont été conduites par nos braves cultivateurs et arrangées en montagne par tous les citoyens de tout âge et de tout sexe de cette commune ; après quoi elle a été revêtue de terre, ensuite de gazons». Au milieu se dressait l'arbre de la liberté.
Parvenue sur la place, la foule des citoyens et des citoyennes a formé le cercle autour de la montagne, tandis que les autorités se plaçaient sur le sommet, ayant à droite les six vétérans, les six jeunes garçons à gauche, et en face les six jeunes filles. Aussitôt «l'une d'elles s'est présentée au Maire à qui elle a adressé le discours suivant : Citoyen Maire, la joie que nous inspire ta presence et le bonheur de te posséder au milieu de nous, nous donnent la liberté d'exprimer les sentiments dont nos cœurs sont pénétrés : vous avez acquis le plus grand intérêt à notre reconnaissance, et vos vertus méritent les plus grands éloges. Mais je n'en parlerai pas, crainte de blesser votre modestie. Je me bornerai à vous demander une grâce au nom de mes compagnes, c'est de nous permettre d'offrir ce petit don (assignat de dix sols) aux défenseurs de la liberté, jusqu'au temps que nos mains plus exercées puissent s'employer à des travaux plus utiles pour ces mêmes défenseurs, où le plus pur patriotisme naîtra en nous avec l'âge, et alors nous nous estimerons heureuses autant que nous pourrons être utiles à notre Patrie».
«Apres ce discours auquel le Maire a répondu avec le sentiment d'un vrai républicain, il a donné l'accolade aux six jeunes citoyennes ; puis les six jeunes garçons donnèrent leurs épées aux six vétérans qui jurèrent de ne les de poser qu'après avoir fait triompher la liberté et la l'égalité, et de vaincre tous les ennemis de la République. Aussitôt d'une commune voix ce serment fut répété par les gardes nationaux, les volontaires du Bas-Rhin et des Vosges et tous les citoyens. Puis les six vétérans donnèrent l'accolade fraternelle aux six jeunes garçons», et la cérémonie du matin se termina par des feux de mousqueterie et des décharges de canon au milieu des chansons les plus patriotiques. Le soir, citoyens et citoyennes, gardes nationaux et soldats s'en allèrent «danser la carmagnole» autour d'un immense feu de joie, «en répétant mille et mille fois Vive la nation ! Vive la république ! Vive la Convention ! Vive la montagne !». Et le présent procès-verbal, signé du maire Bourgeois, de l'agent national Cordier, et des officiers municipaux Byot, Bisot, Poinsot et du greffier Battandier, se conclut par cette phrase typique de l'époque révolutionnaire : «Ainsi s'est terminée cette fête dédiée à l'Etre Suprême avec tout l'ordre et toute la décence possible» (20).
Jusqu'à cette triste Pentecôte du 8 juin 1794 qui inaugurait à Faverney, selon la formule de Robespierre, le nouveau culte du «peuple français qui reconnoit l'Etre Suprême et l'immortalité de l'âme», l'église du miracle avait heureusement échappé aux ignobles saturnales et aux profanations sacrilèges. Mais «un pas hors du devoir peut nous mener bien loin» : cette maxime de notre grand poète Corneille va se vérifier trop vite et trop lamentablement pour les officiers municipaux favernéiens. Tandis que, le 25 juin 1794 (7 messidor an II), le monstre Maximilien Robespierre célébrait à Paris la
onzième journée thermidorienne en faisant guillotiner 43 victimes, à Faverney le conseil municipal, le Comité de surveillance et les membres de la Société populaire, réunis en séance publique, décidaient «avec la plus grande franchise de cœur que toutes les argenteries servant au culte de l'église seroient adressé à la Représentation nationale, désirant que l'employ servent à payer des sans-culottes capables d'exterminer jusqu'au dernier des Roys et nous procurer une éternelle liberté». Cette fois c'était le vol légal des derniers vases sacrés, c'était l'arrêt de mort du culte catholique, c'était le droit sacrilège à la dévastation de la ci-devant église abbatiale, c'était la profanation de Notre-Dame la Blanche, c'était peut-être la disparition de l'Hostie Sainte, gloire et palladium de la cité ! (21).
À peine, en effet, la foule au dehors eut-elle connu cette décision révolutionnaire, qu'une troupe, composée d'un ramassis d'exaltés et d'ennemis des fanatiques et des suspects, se dirigea du côté de l'église abbatiale pour exécuter l'arrêté. Les portes fermées de la grille d'entrée arrêtent un instant le flot des dévaliseurs. Mais bientôt elles cèdent sous la poussée furieuse, et alors commence le pillage de toutes les «matières prêtreuses, instruments de parade que la superstition avoit créés». Les uns se précipitent à la chapelle de la Vierge miraculeuse, brisent les ex-voto suspendus et tentent de s'attaquer à l'antique statue. Un pur patriote, selon la tradition, lui tire des coups de feu. Mais par une intervention providentielle la fureur des énergumènes se détourne de la Sainte Madone : ils viennent d'apercevoir au-dessus de la porte de la sacristie un magnifique crucifix monumental, haut de deux mètres et sculpté dans un énorme bloc de bois. Il est attaché sur une croix, faite d'un madrier de chêne de 0,20 m. de largeur sur 0,60 m. d'épaisseur. Leur rage satanique, pour mieux s'assouvir sur le Christ, a vite fait de découvrir une échelle ; et pendant que les forcenés, hommes et femmes, renouvelant la scène déicide du Calvaire, vomissent les plus horribles blasphèmes devant la porte encore fermée de la sacristie, un franc républicain monte sur l'échelle, soulève rageusement la pesante croix du côté de la grande croisée, et, par un effort désespéré, la fait sortir de son crampon de fer. Le grand crucifix des moines
se détache de la muraille ; penché, il va heurter de tout son poids le mur du transept et retombe avec un fracas épouvantable sur le dallage au milieu des vociférations joyeuses des révolutionnaires. Le croisement de la croix est
brisé, le bras gauche du Christ est séparé à l'assemblage contre la poitrine, et la main gauche est entièrement détachée du poignet. Quel fut le sort de l'image de Jésus crucifié lorsque, gisant à terre aux pieds de ces nouveaux bourreaux, elle dut subir leurs ignobles avanies ? L'Histoire se tait, le Ciel seul le sait ! Mais la preuve matérielle est là indubitable : «Le pouce de la main droite a été sectionné franchement par un outil tranchant, probablement une hache, et les quatre doigts ont été brisés». Telle est l'attestation écrite de M. l'abbé Alfred Molteni, curé de Cubry-lès-Faverney, qui, sur l'ordre de M. le chanoine Cramillet, curé-doyen de Faverney, exécuta en 1910, avec tout son cœur d'artiste chrétien, la réparation de ce beau Christ, «objet des violences sacrilèges à la grande révolution» (22).
Durant cette horrible scène renouvelée des Juifs de Jérusalem, une autre bande de sans-culottes, ivres de vol et d'orgie, s'était acharnée contre la grille renforcée et cadenassée de la chapelle du Sacrement de Miracle. Jusqu'alors leur rage, par une permission divine, était restée impuissante ; mais voilà que les bourreaux du grand crucifix des moines, une fois leur œuvre diabolique accomplie, se précipitent à la rescousse pour s'emparer de l'Hostie miraculeuse. Cette foule de furieux, hommes et femmes, pousse des hurlements effrayants, tandis qu'un ouvrier cherche à briser le cadenas. Déjà la grille ébranlée commence à céder, lorsqu'accourt, revêtu de ses insignes et escorté de plusieurs gardes nationaux armés de piques, le maire Jean-Nicolas Bourgeois. Sa présence inopinée arrête les profanateurs. Il les somme de se retirer ; en toute hâte il penetre dans la Sainte Chapelle et, sous la protection de la garde nationale, il ouvre les deux tabernacles, saisit le grand ostensoir ou Melchisédech en vermeil qui contenait l'Hostie Sainte de 1608, puis un petit ostensoir avec leurs deux grandes hosties consacrées. Il prend aussi le saint ciboire rempli d'un grand «nombre de petites hosties», ainsi que la «Boëte de carton garnie en soye» qui contenait tous les précieux souvenirs, témoins incontestables du miracle. Puis, aidé du greffier-secrétaire Battandier à qui il confie spécialement le dépôt des deux ostensoirs, il va, protégé par la force armée, jusqu'à la sacristie, pour s'emparer des derniers objets du culte et des derniers vases sacrés en argent (23).
Alors, entourés des gardes nationaux, le maire et le secrétaire s'en vont triomphants porter à la maison commune leurs vols sacrilèges. Durant le parcours à travers les rues, une idée infernale surgit dans le cerveau de Battandier, porteur des deux ostensiors. Elevant à bout de bras le grand soleil en vermeil dont la lunette du haut contenait l'Hostie miraculeuse, il le montre aux passants en criant : «Miracle ! Miracle !». Les habitants consternés ferment les portes de leurs maisons, se jettent à genoux et crient : «Miséricorde ! Miséricorde !». Et ce malheureux, sans se rendre compte de la répulsion dont il était l'objet, arrive ainsi jusqu'à la salle des délibérations où attendaient les quatre autres officiers municipaux. Là, il dépose sur la table le grand Melchisédech, contenant la précieuse relique qui depuis 186 ans, avait été adorée, honorée, respectée par des millions et des millions de pèlerins. «On ouvre cet ostensoir ; quatre ou cinq membres de la municipalité prennent la lunette contenant l'Hostie de 1608 et se la jettent l'un à l'autre en disant :
«Voilà avec quoi on nous amusoit». L'un d'eux, nommé Joseph Poinsot, propose à l'assemblée de renouveler le fameux miracle et de la jeter au feu. Cette double proposition est accueillie par les bravos et les rires sacrilèges des municipaux. Mais à ce moment un homme de loi, chrétien convaincu et originaire de Faverney, M. Claude-François Longchamp, intervient courageusement. Au nom de la majeure partie de ses concitoyens, au nom de la réputation d'honneur de la cité, il s'écrie énergiquement : «Non, il ne faut pas la brûler, oh ! non ! ; il faut la mettre dans une boête ficelée et cachetée, et la placer dans un endroit de sûreté». Alors le maire, subissant l'ascendant de ce conseil opportun, «la mit dans une boîte, arrangée comme l'avait dit M. Longchamp, et l'emporta chez lui». C'était le 25 juin 1794 (24).
Pendant que cet horrible drame se déroulait dans la maison commune, la horde des émeutiers, refoulée hors de l'église par les gardes nationaux, s'était portée à l'hôtel de ville afin d'y jouir du spectacle des odieuses profanations des hosties consacrées. Ce court instant de répit permit à des femmes courageuses de faire disparaître la vénérable statue de Notre-Dame la Blanche et de cacher les fragments du grand Christ brisé. Il était temps : car voilà que la foule des forcenés envahit à nouveau l'église abbatiale, et assouvit sa rage de destruction et sa fureur antireligieuse contre tout ce qu'elle peut atteindre. À la Sainte-Chapelle le grand tableau commémoratif de l'incendie de 1726, placé au-dessus de la grille d'entrée, est jeté à terre et lacéré ; les tapisseries en cuir doré des murs sont arrachées et mises en pièces ; le beau tabernacle lui-même et l'autel avec ses sculptures et ses bas-reliefs sont brisés. Au chœur, le magnifique retable de l'abbé Doresmieux et les stalles splendides de l'abbé François de Grammont sont démolis ; les grands tableaux des
murailles sont déchirés pour en faire des toiles d'emballage. Puis, tout ce qui est en fer ou en cuivre, chandeliers, pupitres, grilles, est amoncelé au milieu du transept pour servir à «façonner les armes qui doivent donner la mort aux
esclaves des tyrans». Seul restait intact, au flanc de la porte d'entrée de la Sainte-Chapelle, le monumental ex-voto de la ville de Dole (25).
Quatre jours après cette infernale journée de dévastation et de profanation sacrilèges, deux membres de la Société populaire portaient «au coche à Port-sur-Saône» une caisse contenant 66 marcs 6 onces (17 kilogrammes) d'argenterie. C'étaient les derniers vases sacrés de l'église de Faverney. Ainsi se trouvaient dirigés sur Paris, à l'adresse de la Convention nationale, et le petit reliquaire-monstrance du miracle de 1608 et la lunette d'argent de la Sainte-Hostie :
c'était le 29 juin 1794. Mais l'Hostie sacrée, gloire et palladium de la cité, était toujours enveloppée dans un petit morceau de papier et déposée dans une boîte de sapin chez le maire Nicolas Bourgeois. Déjà une semaine venait de
s'écouler et une sorte de rage diabolique s'était emparée de lui. «Il était comme un furieux, voulant frapper tout le monde». Plusieurs fois il saisit la boîte pour la jeter dans le feu. Sa femme l'arrêta en lui disant: «Mais ne fais
pas ça, Dieu nous punirait» ; et il lui répondait en fureur ainsi qu'à ceux qui lui en parlaient. Enfin, grâce à l'influence de son épouse, «il se radoucit» et consentit à remettre entre les mains du «citoyen Longchamp homme de loi la boëte de sapin, longue d'environ un pied, fisselée et cachetée» (26).
Chose incroyable qui tendrait à prouver que la France d'alors était véritablement transformée en une succursale de l'enfer ! Dans cette même année 1794, le 26 février, le représentant Lejeune, «cette brute sacrilège spécialement députée pour déchristianiser le département du Jura», a écrit M. Pidoux, fit convoquer à son de caisse et à la sonnerie de la grosse cloche tout le peuple de Dole pour une assemblée en l'église collégiale Notre-Dame, à 4 heures du soir. Déjà, depuis la Pentecôte interdite par lui en 1793, devant l'indignation populaire, les officiers municipaux dolois au péril de leur tête
avaient soustrait à ses profanations la Sainte-Hostie, en l'apportant secrètement dans son coffre à l'hôtel de ville. Cachée avec son splendide ostensoir dans les volumineuses archives de la maison commune, la Sainte Relique eut défié la rage impuissante du conventionnel Lejeune, si, en cette date maudite du 8 ventôse an II, le maire Machard n'eut accompli un forfait inouï dans l'histoire de Dole. Après les ignobles scènes d'orgie sacrilège qui se déroulèrent alors à la collégiale sous la présidence du représentant du peuple, le maire de Dole exalté s'en alla chercher le précieux coffret, en brisa les serrures et, saisissant la Sainte-Hostie, il la présenta complaisamment à l'infâme Lejeune pour qu'il la profanât à son aise, puis il consomma sacrilègement l'insigne relique. «Ainsi disparut l'antique trésor des dolois». Ainsi à Dole comme à Faverney, à quelques jours de distance, c'était le même drame religieux ourdi par la même haine du Christ contre les faibles apparences d'une petite Hostie, jadis trois fois victorieuse (27).
Hélas ! cette triste époque de la Terreur à Faverney, pour ne pas être sanglante, n'en continua pas moins son œuvre néfaste durant encore de longs mois. C'est ainsi d'abord que, le 7 juillet 1794 (19 messidor), partirent pour le
district de Vesoul six voitures «chargées de tous les linges et ornements servant à l'usage des cérémonies de l'église paroissiale, plus les six chandeliers d'autel argentés, quatre autres petits chandeliers en cuivre jaune, et une grande lampe avec la cuve des fonts baptismaux. En plus y furent entassées la grande porte de fer d'entrée de l'église avec ses huit panneaux, les deux portes des deux chapelles en huit panneaux également avec les couronnements, les quatre panneaux des grilles des collatéraux, la table de communion, et tous les débris des moulures et ornements desdites portes d'entrée démontées» (28).
Ensuite le 14 juillet (26 messidor), c'est la bouffonnerie carnavalesque et sacrilège de la fête de la déesse Raison. «Sur un char orné est montée une jeune fille comme déesse, accompagnée de douze citoyennes habillées comme elle en blanc et décorées de rubans tricolores. A dix heures du matin, ce char a été tiré par deux bœufs au temple de l'Etre Suprême, entouré de tous les républicains de la commune dont la grande partie était sous les armes, ainsi que du bataillon chargé de l'hôpital». Arrivés à l'église complètement dévastée, les membres du Comité révolutionnaire dont le président était Estienne et le secrétaire Therion cadet, installèrent dans un fauteuil sur le maître-autel dépouillé «le marbre d'une chair publique», comme s'exprime le R. Père Lacordaire. Cette impure déesse était-elle assise demi-nue comme à Jussey, avec un bonnet rouge sur la tête et la pique à la main ? Reçut-elle l'encens de quelques misérables prêtres intrus et les hommages des corps constitués et de la foule obscure des patriotes ? Je veux bien croire que non. Mais ce qui est
trop certain, c'est que le procès-verbal de cette fête continue par ces mots : «Là, il a été donné lecture de différentes lois et d'une prière à l'Etre Suprême ; et puis ont été exécuté différents champs patriotiques et Républiquains. A
onze heures et demie, l'on s'est porté à la Montagne sur l'ancienne place de la Tour où a été renouvellé par le peuple et les soldats réunis le serment de maintenir la liberté, l'égalité, l'unité et l'indivisibilité de la République, suivi des cris réitérés : Vive la République ! Vive la Montagne !» (29).
Puis le lendemain de cette momerie hideuse, c'est l'emprisonnement durant vingt-quatre heures de la femme du citoyen Bonaventure, parce «que, costumée dans ses habillements journaliers ledit jour d'hier, elle s'est avisée de passer plusieurs fois devant la maison commune avec son enfant habillé en jour et portant dans une serviette du pain et du vin pour donner à dîner à des ouvriers travaillant à la campagne». Or le corps municipal avait fait «annoncer au son de caisse qu'il faisait défense à tout citoyen de travailler a quel ouvrage que ce soit» (30).
Quelques jours après, c'est aussi l'arrestation et la dénonciation au comité du district de Vesoul de Martine Camus, épouse du citoyen Claude Thenon, pour avoir dit «quel aimeroit mieux aller a la messe d'un c...... que d'un prêtre assermenté» (31).
Enfin se termina cette trop longue année de 1794 durant laquelle la cité du Miracle n'eut plus de culte ni d'église. Toutefois, non loin de la ci-devant église abbatiale qui portait alors le nom de temple de la Raison et servait de lieu
de réunion pour les votants au jour des grandes délibérations communales, dans l'étroite rue située en face du portail, le vicaire Maugras accomplissait secrètement les cérémonies catholiques en une maison qu'occupait une sainte fille, appelée Marie Barrot. J'ai trouvé, en effet, dans les actes paroissiaux de cette période révolutionnaire, les actes de plusieurs enfants baptisés dans ce pieux asile de la religion ; et chose digne de remarque ! l'abbé Jacques-François Maugras, bien que vicaire du curé-jureur Millerot, y est plutôt considéré comme agissant en bon prêtre non assermenté (32).
Avec le mois de janvier 1795 une ère nouvelle sonna pour Faverney surtout. L'arrivée à Vesoul du conventionnel Sevestre, ancien régicide, il est vrai, mais ennemi des Terroristes et adversaire de Robespierre, vint clore le régime des violents et des sans-culottes. Animé d'intentions pacifiques, il ordonne bien vite et partout l'épuration des autorités administratives. Aussi, dès le 30 janvier (11 pluviôse an III), sont élus de nouveaux officiers municipaux modérés, et comme maire c'est le courageux homme de loi, le citoyen Claude-François Longchamp qui est nommé. Un de ses premiers
actes fut d'arrêter que «la montagne édifiée l'année dernière sur la place dite de la Tour, à l'entour de l'arbre de la liberté, ne sert uniquement qu'a embarrasser la dite place ; en conséquence, il faut en vendre les pierres pour les faire enlever». De même, le 14 mai, il fait constater par son conseil que «les trois arbres de la liberté, placés l'un sur la place de la Tour, le second devant la maison de Courmont, le troisième devant la caserne de cavalerie, étaient péris ; en conséquence il faut vendre les palissades en chêne qui les entouraient» (33).
Le lendemain 15 mai (26 floréal an III) paraissait à Vesoul un décret de Saladin, commissaire de la Convention récemment nommé en place de Sevestre. Ce nouveau représentant du peuple, complétant l'œuvre d'épuration commencée par son prédécesseur, prononçait la fermeture des Clubs terroristes, des Sociétés populaires et des Comités de surveillance révolutionnaires, déclarant que «ces assemblées sont des foyers d'intrigants et d'ennemis de la liberté» Ce fut le coup de mort immédiat pour la Société populaire de Faverney, l'instigatrice de la profanation de la Sainte-Hostie. Aussi
sans attendre l'intervention de la nouvelle municipalité et se rendant compte de suite de l'hostilité de la population, le président Martin et le greffier Bourgeois fermèrent, dès le jour même de l'arrêté, les portes de leur local, et le
maire Longchamp fit apposer les scellés sur les archives secrètes de cette trop fameuse société. C'était le 28 mai 1795 (34).
Alors la grande majorité des habitants de la cité, restés fidèles à leurs traditions de foi et de piété séculaires, soupirèrent après la réouverture de leur église et la réintégration solennelle de leur insigne relique de 1608 et de
leur chère Madone miraculeuse. Ces ardents désirs populaires se manifestaient d'autant mieux que la Convention nationale avait enfin proclamé la liberté des cultes depuis le 21 février dernier et que Saladin, son représentant dans le département, venait de lancer à Luxeuil, le dimanche 31 mai, pour calmer l'insurrection violente des paysans de Fougerolles et des environs, la proclamation suivante : «Citoyens, professez le culte que vous voudrez. Vous êtes libres ! Et si quelqu'un ose gêner votre liberté, la loi le punira. Adorez Dieu comme vous croyez devoir le faire : l'hommage qui lui plaît le plus est celui de vos cœurs si vous n'avez pas confiance dans le prêtre constitutionnel, rien ne vous force à suivre son culte. Celui qui voudrait vous y forcer serait coupable». Et c'est pourquoi dès le mercredi 3 juin (15 prairial an III), devant le corps municipal «assemblé le citoyen Jacques-François Maugras prêtre, cy-devant bénédictin, déclare
qu'en vertu de la loy sur la liberté des cultes il voulait suivre le sien qui est celuy des catholiques romains et qu'il desiroit dire la messe dans l'église selon le decret du II prairial [21 mai 1795] qui rend aux communes les eglises et aussy d'y
pratiquer toutes ceremonies religieuses». En même temps que le vicaire Maugras, même déclaration est faite par le citoyen Charles-Gabriel Deroche prêtre, ci-devant récollet de la province de Lyon, âgé de 53 ans et demeurant chez son beau-frère le citoyen Longchamp maire. «Avec ces deux ex-religieux comparut aussi en cette séance le citoyen Charles Martin prêtre, cy-devant bénédictin» (35).
Or, le dimanche 14 juin fut un jour des plus mémorables et des plus heureux dans les annales déjà si riches de la cité de Faverney. Depuis plus d'une année le culte catholique était aboli et prescrit ; son église avait été odieusement profanée et dépouillée ; les familles chrétiennes ne pouvaient plus se réunir que la nuit et en secret dans des maisons particulières pour prier Dieu ensemble ; le dixième jour de chaque mois, ce qu'on appelait révolutionnairement la décade, avait remplacé le repos sanctifié du dimanche ; les grandes fêtes religieuses, qui jadis y amenaient des multitudes d'étrangers, n'étaient plus célébrées que par les orgies, les danses et les chants des sans-culottes et des derniers de la plus vile populace. Et voilà que dès l'aurore de ce troisième dimanche après la Pentecôte, vingt et un jours après la fête oubliée du 24 mai 1795, le citoyen maire Longchamp fait «battre le tambour» dans toutes les rues de Faverney «et annoncer qu'on allait», le matin même à neuf heures, «reporter la Sainte-Hostie» de 1608 «à l'église et que
tous ceux qui jadis l'avaient vue pourraient s'y rendre pour reconnaître que c'était bien la même». À l'heure dite, «le citoyen Longchamp homme de loi et maire», le citoyen François Estienne procureur de la commune et trois conseillers municipaux Georges Durpoy, Pierre Lanuy et Therion cadet, se présentent devant l'église ci-devant abbatiale. Le peuple,
accouru en foule, leur fait escorte depuis la maison commune : «Sur une table placée sous le portail» le maire dépose «une boëte de sapin, longue d'environ un pied, fisselée et cachetée» (36).
En ce moment les portes de l'église, fermées depuis le culte de la déesse Raison, sont ouvertes et livrent passage à tout un nombreux clergé en habit de chœur. C'est d'abord le vicaire Jacques-François Maugras officiant ; à ses côtés marche péniblement, «tant à cause de ses infirmitées que de son grand age», le vieux curé Millerot «portant perruque» ; derrière
eux viennent Claude-François Mirlin, dernier gardien du couvent des récollets de Paris, son frère Étienne Mirlin, ci-devant vicaire de la maison des récollets de Gondrecourt ; puis Charles-Gabriel Deroche, ex-récollet de Lyon et
beau-frère du maire, enfin Charles Martin ci-devant bénédictin, et Charles-Joseph Aumont, ancien religieux bernardin et ci-devant curé. Tous ces prêtres sont originaires de Faverney, tous ont toujours contemplé la Sainte-Hostie depuis leur enfance, et tous l'ont vue encore l'année dernière, puisqu'ils sont retirés dans leurs familles depuis l'an 1792. Devant ces six témoins irrécusables et devant tout le peuple assemblé et anxieux, l'abbé Maugras brise les scellés et ouvre la boîte. Il y trouve «une bourse et dans cette bourse nombre de petites hosties tirées d'un ciboire où elle reposoient, puis deux hosties majeures enlevées des soleils qui les renfermoient, et enfin un petit morceau de papier». Sur un corporal étendu, il déverse pieusement le précieux contenu et saisit en tremblant le fragment de papier. Avec une sainte anxiété et un souverain respect, il le développe en présence de toute l'assemblée haletante d'émotion. Ô joie ! Ô bonheur inespéré ! «La sainte relique est intacte : une ou deux taches brunes tranchent seules sur la teinte grise et rousâtre que les flammes et le temps lui ont données». C'est bien «l'hostie sacrée dont Dieu se servit en mil six cent huit aux festes de pentecostes pour operer dans l'église abbatiale de Faverney ce prodige admirable qui sera à jamais une preuve incontestable de sa présence réelle dans l'Heucaristie et un monument authentique de la honte de l'Hérésie» (37).
Alors «pour ôter tout souspçon de fraude et de supercherie», prêtres, maire, conseillers municipaux actuels et anciens, officiers et sous-officiers de la garde nationale, nobles et bourgeois, hommes et femmes du peuple, chacun
s'approche successivement pour «la dûement reconnaitre et examiner». Pour tous il n'y a aucun doute : c'est elle, l'Hostie de 1608. Du reste, l'authenticité de l'hostie miraculeuse est facile à constater, car elle est beaucoup plus petite que les deux autres hosties majeures dont la couleur blanche et mate est restée immaculée. Après l'avoir ainsi «ouvertement montrée à toute la foule pour la plus grande publicité», l'abbé Maugras et le maire Longchamp
firent signer le procès-verbal de reconnaissance, rédigé séance tenante sur la table même où reposait la Sainte-Hostie, et chacun des soixante-douze témoins l'avait à son tour sous les yeux, tandis qu'il apposait sa signature pour la
postérité. Cela fait, le vicaire officiant «déposa dans une petite pixide d'argent» l'Hostie sacrée, et «après avoir donné la bénédiction», le clergé s'en retourna «dans le même ordre que devant jusqu'au maître autel de l'église», et la
renferma avec la décence qu'exige un dépôt aussi auguste dans le tabernacle du dit autel, en attendant «que celui d'où elle avoit été enlevée et où elle avoit reposée pendant nombre d'années soit entièrement rétabli» (38).
À partir de ce jour mémorable entre tous, le culte catholique recommença dans l'église abbatiale et la Sainte-Hostie du Miracle y fut à nouveau vénérée. Grâce à l'influence heureuse de l'abbé Maugras vicaire, «Nicolas Millerot, cy devant curé de cette commune», qui «pendant quarante ans l'avait deservit en qualité de curé et qui avait cessé ses fonctions que
lorsque la loy avait parlé», déclara le 11 juillet à la municipalité «qu'il voulait de nouveau pratiquer, selon la loy sur la liberté des cultes, le sien qui est celuy des catholiques romains». Après lui, les deux abbés Mirlin ainsi que l'ex-bernardin Charles-Joseph Aumont exprimèrent aussi leur volonté «d'exercer le ministère du culte connu sous la dénomination de catholique, apostolique et romain» (39).
Dans le courant de ce mois de juillet, la grêle ravagea le territoire de Faverney, et cent soixante-treize propriétaires, vignerons et fermiers, eurent leurs récoltes anéanties. Ce désastre, évalué à plus de 150.000 livres, inclina le peuple à solliciter la protection de Notre-Dame la Blanche, cachée depuis le pillage sacrilège du 25 juin 1794. L'antique Vierge miraculeuse vint donc reprendre sa place dans sa chapelle complètement dévastée, et c'est pourquoi la vieille église possédait déjà ses deux riches trésors quand, le 15 septembre, l'archevêque de Besançon donna des ordres à l'évêque Flavigny, soit pour la reprise des cérémonies du culte, soit pour la purification des temples qui, depuis de trop longs mois, n'étaient plus ouverts qu'aux jours de décade et de fêtes purement civiles pour la lecture des lois et discours
de morale révolutionnaire (40).
Ainsi à Faverney tout rentrait dans l'ordre comme par enchantement, et la liberté sortait triomphante de cette longue période de troubles, de querelles, de pillages et de violences. Le citoyen maire Longchamp voulut alors accentuer sa volonté pacificatrice en faisant décider par le conseil général de la commune que «le drapeau rouge, fabriqué pour l'exécution de la loi martiale qui n'existe plus, ce signe sanguinaire sera distrait de la vue des citoyens et remis au ministre du culte pour en faire un ornement du culte». Le 3 novembre 1795 (12 brumaire an IV), ce drapeau fut remis «au citoyen Nicolas Barrot, faisant les fonctions de clerc dans le temple catholique sous la direction du citoyen Jacques Maugras. Egalement trois cierges» que le maire découvrit dans son buffet, «furent remis à l'église pour le service du culte».
Ce fut vraisemblablement le dernier acte comme maire de cet homme de bien, de ce magistrat intègre et de ce chrétien courageux que fut le citoyen François Longchamp. En effet, un courrier extraordinaire venait d'apporter, depuis Paris à Vesoul et à Faverney, le texte de la terrible loi du 25 octobre 1795 (3 brumaire an IV) dont l'article 10 condamnait à mort, dans les 24 heures, tout prêtre rentré et déjà convaincu d'avoir été sujet à la déportation ou à la réclusion. De même tous les fonctionnaires publics convaincus d'avoir négligé l'exécution de ce décret, «seront condamnés à deux années de détention». Devant cette nouvelle poussée des mesures révolutionnaires que la Convention, affolée par la conspiration royaliste du 5 octobre 1795 (13 vendémiaire an IV), imposait aux municipalités, l'homme de loi Longchamp démissionna et fut remplacé par le citoyen Pierre-François Bardenet comme président de l'administration cantonale» (41).
Toutefois, sous la Constitution de l'an III, élaborée le 22 aout 1795 par la Convention et seulement mise en exécution en ce mois de novembre, le Directoire, composé de cinq membres et chargé du pouvoir exécutif, ne tarda pas à cesser d'être terroriste et à se montrer plus tolérant. À Faverney le nouveau maire, l'ancien élu des notables en février 1790, s'empressa de suivre les traces de modération de son prédécesseur, et de se contenta de réglementer, selon l'arrêté du directoire du département de la Haute-Saône en date du 22 décembre 1795 (1er nivôse an IV), les heures de l'exercice du culte catholique. Le 16 janvier 1796 (26 nivôse), il fut statué pour toutes les communes du canton que les offices auraient lieu dans les églises «à 8 heures du matin depuis le 1er Avril prochain jusqu'au 1er Octobre, et à 9 heures du matin depuis le 1er Octobre jusqu'au 1er Avril. Quant aux offices du soir, ils furent fixés à 2 heures après-midi en tout temps» (42).
Néanmoins, il dut par contre se soumettre à célébrer encore les fêtes révolutionnaires dans l'église même, malgré la présence de la Sainte-Hostie du Miracle et de la vierge Notre-Dame la Blanche. En vertu de l'arrêté du Directoire exécutif, le 21 janvier 1796 (1er pluviôse an IV), le peuple de Faverney fut «convoqué par un grand coup de cloche, puis tous les fonctionnaires publics, juge de paix, assesseurs, employés du gouvernement et salariés par la république, ensuite les deux cent quinze dragons et sous-officiers du 4e Régiment, leurs chefs en tête, puis tous les agents des communes du canton et leur adjoint, enfin le portier de l'hôpital militaire, le conservateur des bâtiments militaires et le garde-magasin des fourrages, vinrent se placer au milieu du peuple assemblé dans le temple et firent le serment de haine éternelle à la royauté et de fidelité à la République et à la Constitution de l'an III» (43).
Une nouvelle cérémonie ordonnée par le Directoire eut encore lieu le 10 germinal an IV. Cette fois, c'était la Fête de la jeunesse du canton de Faverney : tous les jeunes gens de seize ans furent invités à y assister, puis à se faire inscrire au tableau de la garde nationale. Donc le 30 mars 1796, à dix heures du matin, les membres du Conseil général et une partie des gardes nationaux «s'assemblèrent devant la maison commune où avait été construit un autel de la patrie», sur la place dite de la Belle-Croix. «L'agent national de Faverney a prononcé un discours analogue à cette fête, puis des chants patriotiques ont retenti de toutes parts durant près de deux heures ; et alors sont été inscrits les jeunes de 16 ans de Faverney. Aucun des autres communes du canton n'y était venu» (44).
Puis le 29 mai 1796 (10 prairial an IV), ce fut encore la Fête des victoires. Un commissaire du directoire de Vesoul, le citoyen Seguin père fut envoyé «près de l'administration de Faverney» pour réchauffer son zèle quelque peu endormi. «Tous les fonctionnaires publics et les militaires blessés du canton, la garde nationale sédentaire et la troupe de ligne en casernement ayant pris les armes pour donner plus de pompe et de solennité, on s'est rendu auprès de l'hotel de la patrie sur lequel etaient posées des branches de lauriers ornées de rubans tricolores. Le citoyen Bourgeois cadet,
adjoint municipal de Faverney, invita les militaires blessés en combattant du canton de s'approcher de l'hotel pour y recevoir des branches de chêne en signe de reconnaissance ; le secrétaire en chef Battandier proclama leurs noms avec indication des armées dont ils font partie, et fit un discours oratoire sur les victoires que chaque armée républicaine
a remportées, notamment en Italie ; puis des décharges de petites pièces d'artillerie ou fauconneaux et des chans civiques ont termine cette cérémonie». Le soir eut lieu «un bal public dans la salle de l'administration avec des rafraichissements nécessaires aux citoyens qui ont participé à cette danse. Une chouane en effigie a été brulée en signe de réjouissance ; puis plusieurs décharges par la troupe et la garde nationale ainsi que des danses et des chans civiques durant la nuit ont terminé la fête» (45).
Un mois après, pour entretenir la flamme du patriotisme parmi les cultivateurs profondément découragés par toutes les réquisitions pour l'entretien des armées, le commissaire Seguin père fit célébrer la Fête de l'agriculture. Le jour de la décade du 28 juin 1796 (10 messidor an IV), dès le matin, «tous les citoyens et citoyennes sont convoqués par le son du tambour, la garde nationale et la troupe de ligne prennent les armes, et tous les fonctionnaires publics, tous les agents des communes du canton» escortent le commissaire du directoire «depuis la maison commune jusqu'à l'hotel de la patrie». Là se dresse «une statue de la Liberté tenant d'une main une corne d'abondance et de l'autre montrant les ustensiles du labourage entassés sur l'autel. Devant elle est placée une charrue ornée de feuillage et de fleurs, et attelée de bœufs» prêts à partir. En avant se tiennent debout «vingt-quatre laboureurs choisis parmi les plus anciens du canton et recommandables par la constance et les succès de leurs travaux : tous tiennent d'une main un des ustensiles de labourage et de l'autre un bouquet d'épis et de fleurs». Le président Seguin père «proclame à haute voix le nom du citoyen Joseph Cordier laboureur de Faverney comme étant celui dont l'intelligence, la bonne conduite et l'activité lui ont mérité d'être proposé comme exemple et il le fait placer à côté de lui pour la cérémonie». On lut alors l'ordre du Directoire de Paris en date du 8 juin 1794 (20 prairial an II) qui ordonnait la célébration de cette fête civique, puis plusieurs discours furent prononcés et des hymnes chantées.
Alors «au son de la musique instrumentale entremêlée de chansons patriotiques, le cortège s'est avancé dans la campagne et s'est rangé en ordre dans un champ désigné par l'administration ; là les laboureurs se sont mêlés aux gens armés et à un signal ils ont fait l'échange momentanée des ustensiles du labourage contre les fusils ; et au même moment, au son des fanfares et des hymnes, le citoyen Bourgeois cadet, adjoint municipal de Faverney et faisant les fonctions de président, a enfoncé dans la terre le soc de la charrue et a commencé un sillon. Puis les laboureurs ont rendu les fusils armés d'épis et ont repris leurs ustensiles ; le cortège est revenu alors à l'hotel de la patrie, et là, au son des chansons patriotiques, les laboureurs sont allés déposer sur cet hotel leurs ustensiles de labourage et les ont couverts d'épis, de fleurs, et des différentes productions de la terre. Durant toute cette cérémonie plusieurs décharges ont été faites, et enfin la fête s'est terminée par des danses publiques» (46).
La multiplicité de ces fêtes civiques, ordonnées à dessein par le Directoire afin de faire oublier aux infortunés citoyens les réquisitions incessantes d'hommes et de denrées, ajoutait encore aux dépenses de la municipalité et retombait lourdement sur le pauvre peuple. C'est pourquoi le Conseil général de la commune le 12 mai, délibère d'établir «un ôtel de la patrie permanent qui seroit construit près de l'arbre de la liberté dans l'emplacement de la cy devant Belle croix dont la base servira pour la construction». En attendant il fallut encore célébrer grandiosement la Fête de la signature des préliminaires de la paix entre le général Buonaparte et les plénipotentiaires de l'Empereur d'Autriche». Le 14 mai 1797 (25 floréal an V), «tous les salariés, employés, agents et administrés du canton, encadrés du bataillon de la garde sédentaire, de la troupe de ligne en quartier à Faverney et dans les communes voisines, et de l'escadron des hussards du dépôt, sont arrivés à dix heures» sur la place de la Belle-Croix «au bruit des déchar-du petit canon». Là fut faite la proclamation du message et l'adjoint municipal Bourgeois, agissant encore comme président, fit un discours patriotique pour inviter «tous les administrés à jouir en paix du bonheur que présagent les préliminaires d'une paix aussi glorieuse que durable». Puis tout le cortège accomplit la même parade militaire sur toutes les places de la cité. «Après la cérémonie de la proclamation, les citoyens se sont réunis en plusieurs sociétés et se sont livrés à l'allégresse et sont allés en chantant des chansons patriotiques danser à un feu de joie en signe de réjouissance, au bruit des décharges du petit canon. Le tout s'est passé dans le plus grand ordre et la plus grande joye, et à chaque hussard du dépôt une bouteille de vin fut donnée» (47).
Le zèle empressé que, dans toutes ces réjouissances pour la patrie, avait déployé l'adjoint Bourgeois cadet, cet ancien greffier légèrement assagi de la société populaire, lui mérita d'être élu, en septembre 1797, comme président de
l'administration municipale du canton de Faverney, et c'est devant lui qu'en séance du 5e jour des complémentaires de l'an V, jadis appelés jours sans-culottides, le vieux curé Millerot d'une main tremblotante, son fidèle vicaire
Jacques-François Maugras et ses deux collaborateurs Claude-François Mirlin et Estienne Mirlin signèrent, une dernière fois, le serment encore exigé pour l'autorisation de célébrer le culte catholique romain dans les églises : «Je jure haine à la Royauté et à l'Anarchie, et je promais fidélité à la République et à la Constitution de l'an III» (48).
Mais déjà apparaissait l'aurore de la nouvelle Constitution de l'an VIII avec le retour du général Bonaparte qui, revenant d'Italie après la signature du traité de paix à Campo-Formio le 17 octobre 1797, venait d'être reçu dans la capitale, aux applaudissements de tout le peuple fatigué des orages de la Révolution. Toutefois le trésor de guerre était vide, et pour éviter la banqueroute, «la hideuse banqueroute» comme disait Mirabeau, le Directoire pressa la vente des derniers biens nationaux. Ce fut ainsi que le 5 novembre 1797 (15 Brumaire an VI), «le cy devant couvent des bénédictins de Faverney, la totalité des bâtiments, cloître, cour, jardins, aisances et dépendances, le tout déclaré bien national par la loi du 2 Novembre 1789, fut vendu par l'administration centrale du département au citoyen Antoine-Joseph Barthold, demeurant à Faverney, pour la somme totale de 27316 livres 76 centimes» en papier-monnaie d'assignats. C'était une somme dérisoire pour un si magnifique bâtiment. Semblablement six mois plus tard, le 22 juin 1798 (4 Messidor an VI), «la vieille église
était adjugée à Jean-François Barrot de Faverney». Cet antique monument de Saint-Bénigne qui avait été abandonne pour le culte dès le 1er janvier 1792 parce qu'il menaçait ruine, avait été successivement dépouillé de toutes ses «vieilles boiseries» en chêne sculpté et de tous ses «anciens ornements». Ceux-ci avaient été transportés en fin décembre 1792, par les soins de la municipalité, dans l'église ci-devant abbatiale et devenue dès lors paroissiale, tandis que les vieilles boiseries avaient alors été vendues. En 1793, les officiers municipaux avaient déjà sollicité du district de Vesoul «la permission de vendre l'ancienne église, la maison de la cure et le grangeage» pour répondre au vœu de la population. Mais le département s'en était jusqu'alors servi comme «dépôt pour les denrées appartenant à la République». À partir de ce moment les denrées furent évacuées dans les magasins militaires de Faverney et l'antique église romane fut destinée à une démolition prochaine (49).
Au commencement de l'an 1799, le Directoire, toujours héritier de la haine des conventionnels contre le catholicisme et la royauté, fit encore célébrer pour la dernière fois, le 21 janvier (2 pluviose an VII), «l'anniversaire de la juste punition du dernier des Rois des français» ; mais toute la fête purement civique se borna à un rassemblement de la garde nationale en armes et à une parade militaire devant la maison commune. Déjà la république révolutionnaire touchait à sa fin ; les quatre années d'administration maladroite du Directoire avaient mis le comble au mécontentement de toutes les classes de la société ; aussi l'acte de violence du général Bonaparte, revenu vainqueur de la campagne d'Égypte, cet acte que l'Histoire qualifie de Coup d'État du 18 Brumaire (9 novembre), ne causa nulle part ni surpris ni regret ; «et même l'opinion générale se montra favorable au nouveau gouvernement». Avec le Consulat dont le général était le chef
des trois, une ère nouvelle s'ouvrait pour la France : «La Révolution était finie. On revenait à l'ordre et aux saines traditions». Mais les convulsions dont la patrie avait éte victime ne pouvaient disparaître subitement. On le vit bien à Faverney. La population avait demandé à la municipalité l'autorisation de célébrer enfin la messe de minuit le jour de Noël. Tous s'en réjouissaient et les préparatifs étaient achevés, quand le 3 nivôse an VIII, c'est-à-dire le 24
décembre 1797, fut publiée la défense du commissaire du gouvernement à Vesoul. C'était le dernier triomphe de l'esprit terroriste. Bientôt tout va changer à l'intérieur et à l'extérieur, et la Sainte-Hostie de Faverney va revoir des
temps nouveaux de gloire dans l'antique église abbatiale (50).
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[Sources bibliographiques et Notes de bas de page.]
1. Archives de la Haute-Saône, I.-Q. liasse 105, carton 113, pièce n° 539. — Selon le témoignage de M. l'abbé Louis Guyot, curé de Cromary et originaire de Faverney, la chambre des morts était adossée à l'église et contre la maison Jacquet.
2. Archives curiales de Faverney, antique registre de la confrérie de la Sainte-Hostie (1721 à 1791). — Archives municipales de Faverney, Registre N° 2 des délibérations, folio 94.
3. Registre N° 2, folios 95 (4 octobre 1791) et 103 (31 décembre 1791). — Cet acte a été copié aux archives municipales par M. le chanoine Cramillet, curé doyen de Faverney, qui me l'a lui-même remis.
4. Registre N° 2, folio 104. — Bibliothèque du chapitre de Besançon, Ms. 1296, recto 65, où est relaté l'interrogatoire de l'ex-frère convers Romain, M. Claude-Pierre Mignot, âgé de 88 ans, par Mgr Césaire Mathieu, archevêque de Besançon, dans le presbytère d'Amance le 30 mars 1840. — Il y a erreur dans cette date du Miracle ; car, si l'exposition du Saint-Sacrement dans le reliquaire-monstrance a commencé au reposoir contre la grande grille du presbytéral le samedi 24 mai après-midi, l'incendie n'a eu lieu qu'après minuit du dimanche au lundi 26 mai, et le Miracle ne s'est terminé que le mardi 27 mai vers dix heures du matin.
5. Registre N° 2, folio 104. — Archives de la Haute-Saône, I.-Q. liasse 90. C'est ce grand ostensoir que Claude-Ignace Mignard, administrateur du directoire de Vesoul, consentit le 17 mai
1791 à laisser en garde à la municipalité de Faverney, lors de la vente aux enchères publiques du mobilier des ci-devant bénédictins. — L'abbé Joseph Morey, Notice historique sur Faverney et son double pèlerinage, Besançon, Jacquin, pp. 121 et 122.
6. Antique registre de la confrérie au presbytère de Faverney, 17 mars 1792 ; Registre N° 2, folios 108 (9 avril 1792), 112 (19 juin 1792) et 113 (24 juin 1792).
7. Louis Monnier, Histoire de la ville de Vesoul, Vesoul, Bon, 1909, I, ch. VIIe ; Registre N° 2, folio 116.
8. Pour la description de cette magnifique grille du miracle, voir au chapitre 1 en 2° partie. — Registre N° 2, folios 116 et 117 (22 août 1792).
9. Morey, Notice p. 124 ; Registre N° 2, folios 122 (14 septembre 1792), 132 et 139 (décembre 1792), et 158 et 193 (mars 1793) ; Archives municipales de Faverney, G.-G. 15, pièce 9 bis.
10. Registre N° 2, folios 205 et 220 (9 août 1793) — L'abbé Jean-Baptiste Coudriet et l'abbé Jean-Baptiste Pierre-François Châtelet, Histoire de Jussey, Besançon, Jacquin, 1876, p. 242 ; Morey, Notice p. 124 ; Archives municipales d'Amance et Livre des délibérations du Conseil général
du canton depuis janvier 1790 à frimaire de l'an III, folio 131 ; Monnier, Histoire de Vesoul, I, chap. IX. — La municipalité modérée était alors composée des officiers municipaux Constant, Vadot, Doiselet, B. Martin et Jean Coquard, du procureur de la commune Nicolas Chauve et du maire Pierre-Claude Therion, dont l'habitation se trouvait être la maison qu'occupe actuellement un prêtre retraité, l'abbé Déchambenoît, ancien aumônier à Faverney.
11. Registre N° 2, folios 220, 232, 233 et 247 ; Coudriet et Châtelet, Histoire de Jussey, p. 269.
12. L'ancienne cure désaffectée existe encore avec ses deux entrées sur la rue Denfert et la rue Bossuet, anciennement rue Saint-Bénigne ; elle est située en retrait du magasin de bois appartenant à M. Adrien Monnin ébéniste. — Morey, Notice pp. 124 et 125 ; Coudriet et Châtelet, Histoire de Jussey, pp. 222 et 223. — Voici
l'inscription exacte de la grosse cloche des bourgeois de Faverney qui est aujourd'hui la petite cloche de la paroisse : «Je m'appelle Barbe. L'an 1776 je suis été bénie par M. Millerot curé de cette ville, et nommée Barbe par Dom Ambroise Mareschal d'Andreux, dernier abbé de Faverney, représenté par M. Mercier avocat en parlement, maire royal de la ville, et dame Barbe Aumont, épouse de messire Urbain Aubin, chev. de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, capitaine au régiment des cuirassiers du roy. — JURA FORI STREPITO, FATA TIMENDA NOTO. — Dubois et Robert m'ont fait». Il n'est pas exact que les cloches actuelles de l'église Saint-Georges à Vesoul soient celles de Faverney, car le clocher de Vesoul contient quatre cloches qui datent toutes de 1858 (Note communiquée par M. Charles Faitout retraité à Vesoul). — Registre N° 2, folios 232 à 234 et 239.
13. Coudriet et Châtelet, Histoire de Jussey, pp. 222 et 223 ; Registre N° 2, folios 236 et 237 (24 novembre 1793) ; Émile Mantelet, Histoire politique et religieuse de Faverney depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, Paris, chez l'auteur, 1864, p. 497 ; L'abbé Jean-Baptiste Bullet, Histoire manuscrite de l'abbaye de Faverney, p. 259.
14. Livre des délibérations du Conseil général d'Amance, folios 142, 145, 152 et 162 ; Coudriet et Châtelet, Histoire de Jussey, p. 235. Cet hôpital de Faverney fut aménagé en grande partie par le mobilier nombreux et princier du château de Saint-Remy. Les châtelains étaient le duc Victor de Broglie et sa femme Marie-Sophie Rosen. Généreux pour les paysans leurs ci-devant sujets féodaux, généreux même pour subvenir aux besoins de la nation, ils s'étaient crus en sûreté dans leur magnifique résidence ; mais dénoncés comme Suspects par le conseil de surveillance dans la commune dont le nom de Saint-Remy avait été changé en celui de la Côte de l'Égalité, ils
furent arrêtés et incarcérés à Vesoul. Le duc de Broglie fut envoyé au tribunal révolutionnaire de Paris qui, pour s'emparer de son immense fortune, ce que la Convention appelait alors battre monnaie, le condamna à mort, comme criminel d'État en juin 1794. Le même sort attendait à Vesoul la duchesse Sophie Rosen, mais des amis dévoués réussirent à la faire évader. Tous les biens des époux de Broglie et le château de Saint-Remy furent confisqués
et les meubles, lits et draps furent donnés en partie à l'hôpital militaire de Faverney nouvellement fondé.
15. Registre N° 2, folios 248 (9 janvier 1794) et 253 (25 janvier 1794).
16. Morey, Notice, p. 125 ; Monnier, Histoire de Vesoul, I, chap. IX ; Coudriet et Châtelet, Histoire de Jussey, pp. 255 et 256 ; Registre N° 2, folios 255 (28 janvier 1794).
17. Morey, Notice, p. 125 ; George Lenôtre, Le tribunal révolutionnaire (1793-1795), Paris, Perrin, 1908, pp. 83, 265, 276 et 335. — Pendant les 16 mois que fonctionna le tribunal révolutionnaire (6 avril 1793 - 27 juillet 1794) il prononça la mort de 2.600 accusés. — Ancien catalogue de la confrérie aux archives de la cure de Faverney.
18. Monnier, Histoire de Vesoul, I, ch. IX. — Registre N° 2, folio 256. Il existe dans ce registre deux arrêtés signés de Robespierre le 31 janvier 1794 (12 pluviôse an II) et signifiés à la municipalité de Faverney par Boizot, agent national de Vesoul, par lesquels il ordonne de mettre en liberté immédiate le citoyen Lescour «accusé que d'être de la caste annoblie» et le citoyen Gouvard reconnu «qu'il n'était point ennemi de la République».
19. Registre N° 2, folio 276 (6 mars 1794). Jean-Nicolas Bourgeois est élu maire à la place du citoyen Pierre-Claude Therion l'aîné, Cordier est maintenu agent national, Battandier est nommé greffier-secrétaire, et les officiers municipaux sont F. Bisot, Joseph Poinsot, Nicolas Byot l'aîné et Pierre Genout. — Registre N° 2, folios 277, 279 et 281 ; Morey, Notice, p. 125 ; Coudriet et Châtelet, Histoire de Jussey, pp. 267 et 268.
20. Cet acte fort intéressant m'a été communiqué par M. Honoré Dayet, gendarme retraité à Faverney, prisonnier de guerre à Magdebourg en 1870-71 durant neuf mois après le siège de Metz, médaillé de la guerre de 1870 et de l'insurrection d'Algérie en 1871. Il a copié lui-même cet acte aux archives municipales de Faverney, durant ses années de service. — Morey, Notice, p. 125 ; Registre N° 2, folios 252 (8 juin 1794).
21. Morey, Notice, p. 126 ; Registre N° 2, folio 285 (25 juin 1794).
22. Morey, Notice, pp. 37 et 127 ; Monnier, Histoire de Vesoul, I, ch. IX ; Mantelet, Histoire, p. 486. — Voir aux pièces justificatives n° XIII le témoignage motivé de M. l'abbé Molteni.
23. Pour la fermeture spéciale qu'avait placée la municipalité en janvier 1791, voir au chapitre 1 en 4° partie. — Mantelet, Histoire, p. 486. — Pour les objets sacrés déposés dans les deux tabernacles de la Sainte-Chapelle le 1er janvier 1792 par le vicaire Maugras, voir au chapitre 1 en 4° partie. — Le Miracle de la sainte hostie conservée dans les flammes à Faverney, en 1608 : Notes et documents publiés à l'occasion du IIIe centenaire du miracle, Besançon, Jacquin, 1908, p. 216 (Procès-verbal de reconnaissance en 1795).
24. Bullet, Manuscrit, p. 261 ; Morey, Notice, pp. 126 et 127 ; Notes et documents, p. 220 (Déposition de l'ex-frère convers Romain Mignot) ; Mantelet, Histoire, pp. 486 et 487.
25. Morey, Notice, pp. 127 et 130 ; Jules Gauthier, Notes archéologiques et épigraphiques sur l'église abbatiale de Faverney (Haute-Saône), Vesoul, Suchaux, 1894, p. 24 ; Bullet, Manuscrit, p. 262 ; Coudriet et Châtelet, Histoire de Jussey, p. 223.
26. Morey, Notice, p. 127 ; Gauthier, Notes archéologiques, p. 24. — Dans le Registre N° 2, folios 285 et 286, j'ai découvert le détail des pièces d'argenterie contenues dans cette caisse. Elles étaient «consistantes en un encensoir d'argent, une navette avec sa cuillère, un bâton de croix en argent en cinq pièces, deux statues en argent, deux calices et un ciboire en argent et deux patènes, un petit soleil en argent et une petite boête, le grand soleil en vermeil et le petit soleil, la grande croix en argent enrichie de pierreries et couverte de lames d'or, et une autre croix de cuivre blanchie par des lames d'argent». Cette pièce authentique est signée du maire et de ses officiers municipaux, puis de Roussel président de la Société populaire, de Bourgeois le jeune membre du comité de surveillance, et enfin de Therion cadet, Odom Badot, P. Durpoy, Martin, Jean Coquard et Maillard. — Notes et documents, p. 220 (Déposition de l'ex-frère convers Romain Mignot) et pp. 215 et 216 (Procès-verbal de reconnaissance).
27. Pierre-André Pidoux, Histoire de la Confrérie de Saint Yves des avocats, de la Sainte Hostie miraculeuse et de la Confrérie du Saint Sacrement de Dole, Dole, Jacques, 1902, pp. 233, 284 et 289 ; Pierre-André Pidoux, Histoire populaire du Miracle des Saintes Hosties de Faverney et de leur culte à Dole et à Faverney, Dole, 1908, pp. 80 et 81 ; Pierre-André Pidoux, Notice spéciale sur la Sainte-Hostie de Dole publiée dans la revue de l'Eucharistie, n° du 16 décembre 1913, p. 427. — Communication personnelle faite par M. André Pidoux le 28
juin 1913 où il m'affirme que «ce rôle de Machard lui a ete narré par le notaire Guillaume, vieillard de 72 ans, qui le tient de son père médecin et des médecins Bolu, Meynier et Machard fils».
28. Morey, Notice, pp. 127 et 128. — Registre N° 2, folio 287 (7 juillet 1792). Dans l'inventaire détaillé de tous les linges, ornements et objets de la ci-devant abbatiale qui furent alors conduits à Vesoul, il est question de 262,5 livres de cuivre provenant des garnitures des autels et de quatre habillements pour la Vierge et l'Enfant Jésus.
29. Tous ces détails authentiques ont été découverts dans le Registre N° 3, folio 22 (14 juillet 1794), où le comité de surveillance de la Société populaire écrivait ses délibérations. — Monnier, Histoire de Vesoul, I, ch. IX ; Coudriet et Châtelet, Histoire de Jussey, p. 254.
30. Registre N° 2, folio 200.
31. Registre D1 N° 3, folio 12.
32. Registre D4 N° 2, folios 27 et 41. — Actes paroisseaux au presbytère de Faverney, 6 avril 1795. — Selon le témoignage très récent (27 juin 1912) de M. Eugène Camus, vieillard octogénaire et originaire de Faverney, la maison de Marie Barrot qui servit d'église pendant la période de la Terreur, était située en face du portail et formait un côté de la ruelle qui conduisait alors à l'abbatiale. Adossée au bâtiment de la poste actuelle, elle avançait même
sur la chaussée ; elle fut démolie pour élargir cette ruelle trop étroite.
33. Monnier, Histoire de Vesoul, II, ch. X ; Registre D4 N° 2, folios 22 (30 janvier 1795), 37 (29 mars 1795) et 47 (12 mai 1795).
34. Monnier, Histoire de Vesoul, II, ch. X ; Registre D4 N° 2, folio 50 (28 mai 1795).
35. Monnier, Histoire de Vesoul, II, ch. X ; Registre D4 N° 2, folio 51 (3 juin 1795).
36. Selon les renseignements puisés par M. l'abbé Poix dans le Missale Bisuntinum de Mgr de Durfort (Bibliothèque du grand séminaire de philosophie à Faverney), la fête de la Pentecôte tombait le 24 mai en 1795, et le 14 juin était le troisième dimanche après la Pentecôte. — Notes et documents, p. 220 et Ms. 1296 de l'ancienne bibliothèque du chapitre métropolitain de Besançon (Déposition assermentée faite le 30 mars 1840 au presbytère d'Amance par le ci-devant frère Romain Mignot, en présence de Mgr l'archevêque Césaire Mathieu, recto 66). — Notes et documents, pp. 215 et 216, et Manuscrit original du procés-verbal de reconnaissance de la Sainte-Hostie de Faverney le 14 juin 1795, dans les archives curiales.
37. Claude-François Mirlin âgé de 62 ans, ci-devant R. P. Armand, dernier gardien et supérieur du couvent des Récollets de Paris au faubourg Saint-Laurent en septembre 1791, devenu capucin au couvent de Saint-Amour (Jura) sous le nom de R. P. Aimé jusqu'en 1792, puis il était retiré chez ses sœurs à Faverney dès septembre 1792 ; Registre N° 2, folio 119 et Registre D1 N° 2, folio 160 ; L'abbé Joseph Morey, Les capucins en Franche-Comté, Paris, Poussielgue, 1881, p. 320. — Étienne Mirlin, né à Faverney le 12 avril 1740, ci-devant R. P. Alphonse, vicaire de la maison des Récollets de Gondrecourt (Meuse) et ci-devant administrateur de la commune de Saint-Remy ; Archives municipales de Faverney, G.-G. 15 pièce 9 bis ; Registre D4 N° 2, folio 56. — Charles-Gabriel Deroche, âgé de 53 ans, était retiré depuis 4 ans à Faverney chez son beau-frère le citoyen Longchamp homme de loi ; Registre D1 N° 2, folio 160. — Charles Martin, ancien bénédictin qui avait été élu curé de Fleurey-lès-Faverney en mars 1793 ; Registre D1 N° 2, folio 160. — Charles-Joseph Aumont, religieux bernardin, avait été ensuite curé ; Registre de la congrégation des hommes à Faverney, p. 6. — Procés-verbal de reconnaissance ; Morey, Notice, p. 130.
38. Procés-verbal de reconnaissance ; Mantelet, Histoire, p. 406 ; Morey, Notice, p. 129. — Voir aux n° XIV des Notes et pièces justificatives le procès-verbal signé des 72 témoins.
39. Registre D4 N° 2, folios 56, 61 (11 juillet 1795), 84 et 87.
40. Registre D4 N° 2, folios 68 à 72 (20 juillet 1795) ; Coudriet et Châtelet, Histoire de Jussey, p. 286.
41. Registre D4 N° 2, folios 96 (2 novembre 1795), 99 et 100 (8 novembre 1795).
42. Registre D4 N° 2, folio 119.
43. Registre D4 N° 2, folios 119 à 122.
44. Registre D4 N° 2, folios 53 et 139.
45. Registre D4 N° 2, folio 156.
46. Registre D4 N° 2, folio 164 ; Monnier, Histoire de Vesoul, II, ch. XI.
47. Registre D4 N° 2, folios 236.
48. Registre D4 N° 2, folio 261 ; Coudriet et Châtelet, Histoire de Jussey, p. 287.
49. Archives de la Haute-Saône, I.-Q., 5 novembre 1797. — Les assignats étaient du papier-monnaie,
ainsi appelé parce que, à chaque paquet de mille livres, on assignait un lot des biens nationaux. Mais comme on avait lancé, au commencement de la Revolution, pour quarante milliards de ce papier-monnaie, il perdait chaque jour de sa valeur. Ainsi un louis d'or valait à la fin du Directoire 8,000 livres en papier-monnaie ; une paire de sabots, payée en monnaie de billon, valait 30 sous, et en assignats 200 livres ; le reste à l'avenant : Monnier, Histoire de Vesoul, II, ch. X. — Registre N° 2, folio 138 (21 décembre 1792) ; Registre D1 N° 2, folio 168 (21 décembre 1792) ; Registre N° 2, folio 215 (délibérations des 31 juillet et 4 août 1793) ; Registre D4 N° 5, folio 66 (22 juin 1798). — Pour les détails sur l'église paroissiale de Saint-Bénigne, voir au chapitre 1 en 4° partie.
50. Registre D4 N° 5, folios 77 (23 décembre 1797) et 85 (24 décembre 1799). — Monnier, Histoire de Vesoul, II, ch. XII (Paroles dictées par Bonaparte à notre ambassadeur à Berlin).
«Faverney, son abbaye et le miracle des Saintes-Hosties» :
Table des Matières ; Lexique ; Carte ; Cinquième Partie — Chapitre 1
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