«HISTOIRE DE L'ABBAYE ROYALE DE SAINT-PIERRE DE JUMIÈGES» ; 4
CHAPITRE 4. — Jumièges pendant l'invasion normande. — Martin, 22e abbé (930). — Annon, 23e abbé (943). — Roderic, 24e abbé (944). — Robert Ier, 25e abbé (vers 1000). — Thierry II, 26e abbé (1014). — Guillaume Ier, 27e abbé (1028). — Robert II, 28e abbé (1037). — Geoffroy Ier, 29e abbé (1045). — Notes de bas de page.
JUMIÈGES PENDANT L'INVASION NORMANDE.
Dieu, à qui tous les temps sont présents et tous les empires parfaitement soumis, ayant puni les Français par des châtiments proportionnés à leurs crimes, et annoncés par des prodiges dans l'air et sur la terre longtemps avant les incursions des peuples du nord (1), se souvint enfin de n'avoir voulu leur faire sentir le poids de Sa justice et de Son courroux que pour les instruire, et non pour les perdre entièrement. Rou ou Rollo, le dernier chef de ces barbares, mais le plus grand et les plus terrible ennemi de la France, après avoir pillé la Neustrie et la Bourgogne durant seize ans, écouta les exhortations de Francon, archevêque de Rouen, qui nécessitait de le presser de finir la guerre, de songer qu'il était mortel et qu'il y avait un Dieu qui le jugerait après la mort. Comme ce prince ne cherchait qu'un établissement commode et à devenir, de chef de pirates, prince légitime, il accepta les conditions de paix que le roi Charles-le-Simple et les seigneurs du royaume, ennuyés de voir leur pays ruiné de puis plus de soixante-dix ans, lui firent faire par le prélat, de lui donner Giselle, fille du roi, en mariage, et de lui céder en propriété tout le pays
(2) entre la rivière d'Epte et la Bretagne, à condition qu'il se ferait chrétien. La paix ainsi résolue, on convint d'une trêve de trois mois pendant lesquels le roi et Rou devaient avoir une entrevue pour conclure le traité.
L'an 911. — Le lieu de la conférence fut marqué à Saint-Clair-sur-Epte. Charles et Rou s'y rendirent,
chacun à la tête de son monde, la rivière entre les deux. Le traité fut conclu ; tout le pays nommé depuis Normandie fut cédé à Rou, qui en fit hommage au roi, et lui promit fidélité en mettant ses mains entre les siennes, et donnant ordre à un de ses chevaliers de lui baiser le pied, selon l'usage, ne le voulant pas faire lui-même. Ceci se passa sur la fin de l'an 911.
L'an 912. — Après ces cérémonies, ce prince normand revint à Rouen avec le duc Robert, qui lui avait offert d'être son parrain au baptême, et l'archevêque Francon, qui travailla avec tout le zèle d'un vrai pasteur à catéchiser le nouveau duc avec ses soldats, pour les disposer à recevoir la grâce régénérante. Ce pieux archevêque ne tarda pas à se voir au dernier but de ses vœux. Dès le commencement de l'année suivante (912), il le baptisa solennellement avec un grand nombre de ses gens, en présence du duc Robert, qui le leva des fonts sacrés et lui donna son nom. Incontinent après
Rou, que nous n'appellerons plus que Robert de Normandie, demanda à l'archevêque Francon quelles étaient les églises les plus célèbres de ses nouveaux états, et leurs saints patrons les plus dignes de respect. L'archevêque ayant nommé les églises de Rouen, de Bayeux et d'Évreux, dédiées à la Sainte-Vierge, de Saint-Ouen, dans un des faubourgs de Rouen, du Mont-Saint-Michel et de Saint-Pierre de Jumièges, où le duc avait fait sa première station près d'une chapelle dédiée à S. Vaast, dans laquelle il déposa le corps d'une vierge nommée Ameltrude (3), qu'il avait apporté
sur ses vaisseaux avec la châsse dans laquelle le saint corps était renfermé, le duc fit présent d'une terre à chacune de ces églises, pendant les six premiers jours de son candidat ; et le septième, avant de quitter l'habit blanc qu'on portait au baptême, il donna la terre de Berneval (4) à l'abbaye de Saint-Denis, que Francon lui avait dit être le saint le plus renommé et le plus grand en mérites auprès de Dieu dans le pays voisin.
L'an 917. — Le huitième jour, le duc quitta les habits blancs ; et, ayant fait le partage de ses terres, il
épousa solennellement la princesse Giselle, et acheva de serrer par cette alliance les nœuds de la paix. Il mourut cinq ans après (5), sans laisser d'enfants de Giselle ; mais il avait eu, d'un premier mariage avec
Poppe, fille de Bérenger, comte de Bayeux, Guillaume dit Longue-Épée, et une fille nommée Gerloc ou Adèle, qui fut mariée, en 927, à Guillaume, surnommé Tête-d'Etoupes, comte de Poitiers, et depuis duc de Guienne. Il fut universellement regretté, et il semble même encore aujourd'hui que les Normands l'appellent à leur secours par le cri de haro, comme s'ils disaient «ha, Rou, secourez-nous !» et, en effet, la clameur de haro n'a lieu que chez eux.
Guillaume Longue-Épée succéda à Robert dans le duché de Normandie. Il ne parut pas moins zélé que son père pour la réparation des églises, et la religion commença à refleurir dans toute la province. Les religieux, que la crainte des barbares avait dispersés, revinrent dans leurs monastères, et s'y établirent autant qu'ils les trouvèrent en état d'être habités. Ceux de Jumièges étaient presque tous morts, si l'on en excepte deux, dont Guillaume de Jumièges nous a conservé
les noms et le retour dans leur ancienne demeure (6), lorsque, plus de quinze ans après le traité de Saint-Clair, ils ne purent plus douter que leurs persécuteurs ne fussent devenus, non seulement leurs pères, mais les conservateurs de la tranquillité publique dans tout le pays. Baudouin et Gondouin, c'est le nom de ces deux respectables vieillards, restes précieux de tant de serviteurs de Dieu dans l'abbaye de Jumièges avant sa ruine, partirent du monastère de Haspres, où ils s'étaient retirés aux approches des Normands, et vinrent revoir les ruines de leur ancienne habitation. Ils ne purent retenir leurs larmes à la vue des déplorables débris de cette sainte maison, qui n'était plus qu'une retraite de bêtes féroces et d'animaux immondes. Cent fois ils reculèrent d'horreur et délibérèrent sur le parti qu'ils avaient à prendre ; mais Dieu fixa leur irrésolution, et les fit triompher de toutes leurs répugnances. «Pourquoi, se disaient-ils l'un à l'autre, sommes-nous venus icy ? quelle a été notre première pensée en nous proposant d'y venir ? la gloire de Dieu, qui nous y a appelés, ne doit-elle pas nous engager à y demeurer ? Hâtons-nous donc de lui témoigner notre reconnoissance pour ce choix qu'il a fait de nous ; nous sommes les derniers enfants de cette maison de prière ; préparons-nous à relever les marques publiques de la religion que nous y avons professée, en purifiant et en renouvellant le temple du Seigneur».
Ils ne se furent pas plutôt excités par ces paroles, que, se mettant au-dessus de toutes les difficultés, ils
pénétrèrent à travers les ronces et les épines jusqu'au lieu du grand autel, qui était celui du chœur de l'église,
dédiée à la Sainte Vierge ; et, l'ayant raclé et lavé, ils formèrent au-dessus et aux environs un berceau avec les
branches des arbres les plus proches, et s'en firent un oratoire où ils offraient sans cesse à Dieu les vœux et ceux du peuple ; ils bâtirent ensuite pour eux-mêmes une petite cabane auprès de leur chapelle, afin d'y préparer ce qui était nécessaire à la vie, et de n'être incommodes à personne. Leur nourriture était de l'eau, et du pain d'orge, que les paysans les plus affectionnés leur fournissaient et qu'ils apprêtaient eux-mêmes ; car, encore qu'ils eussent été les maîtres du pays et que le duc Robert eût donné une terre à Saint-Pierre de Jumièges, ils ne profitèrent nullement de sa libéralité, soit qu'ils n'en fussent point informés, ou que quelque particulier s'en fût mis en possession en voyant la terre abandonnée.
L'an 928. — Il y avait quelques années qu'ils vivaient dans ce détachement parfait des choses de la terre, lorsque Dieu, voulant récompenser leur zèle et leur désintéressement à Son service, permit que le duc Guillaume vint chasser, en 928 (7), dans la forêt de Jumièges. Les vastes ruines de l'abbaye ne purent échapper à ses yeux. Il s'avança de ce côté, et ayant trouvé les deux moines occupés à arracher les bois exclus sur les débris de leur monastère, il leur demanda d'où ils étaient venus là, ce qu'ils y faisaient, et ce qu'avait été autrefois ce désert, où il voyait encore les restes de tant et de si grands édifices. Ils répondirent à ses questions et lui racontèrent par ordre tout ce qui regardait ce lieu ; après quoi, selon la coutume des moines, ils lui présentèrent du pain d'orge et de l'eau ; c'était tout ce qu'ils avaient. Le duc méprisa leur civilité, et, les quittant brusquement, il s'enfonça dans la
forêt. La Providence voulut qu'il fut aussitôt rencontré par un sanglier furieux qui, poursuivi par ses chiens et blessé d'un trait que le duc décocha contre lui, revint sur l'agresseur, le renversa et déchira ses habits à force de le pousser avec son boutoir. On le croyait mort ou prêt à expirer, mais, ayant repris ses sens, il déclara qu'il ne sentait pas même de douleur, ce qu'il regarda comme un miracle et un signe visible de la protection de Dieu sur lui, par l'intercession des saints titulaires de la péninsule et des deux serviteurs qui l'y louaient jour et nuit. Relevé de sa chute et entièrement revenu à lui-même, Guillaume retourna vers les moines, reçut d'eux le rafraîchissement qu'il avait
refusé, puis leur promit de rebâtir leur monastère et de s'y faire lui-même religieux.
Ce ne fut point une vaine promesse que l'idée d'un danger encore récent lui eût arraché. Ses premiers soins, en arrivant à Rouen, furent d'envoyer à Jumièges une troupe d'ouvriers pour ôter les décombres et tout ce qu'il y avait d'inutile dans l'emplacement où les deux solitaires souhaitaient que le nouvel édifice fut construit. On commença par l'église de Saint-Pierre, dont les murs, comme on l'a dit, étaient encore debout, et le duc fit des dépenses considérables pour son embellissement. Il n'épargna pas davantage l'argent de son trésor pour la réédification du cloître et des lieux réguliers, qu'il rendit habitables en les diminuant de leur première grandeur (8). L'ouvrage achevé, Guillaume ne pensa plus qu'à donner des compagnons aux deux moines qui étaient revenus d'Haspres. Il envoya prier
la comtesse de Poitiers, sa sœur, de lui en envoyer du monastère de Saint-Cyprien (9) qui fussent exercés dans la règle. La comtesse jeta les yeux sur l'abbé, qui, ne cherchant que la gloire de Dieu, se détermina sans
peine à entreprendre le voyage de Normandie pour la procurer.
Vers l'an 930. — Martin, c'est le nom du pieux abbé de Saint-Cyprien de Poitiers, partit aussitôt avec douze de ses religieux, et fut reçu à Rouen avec beaucoup de joie et d'humanité par le duc même, qui le conduisit à
Jumièges et le mit en possession du monastère, le 20 février 930, s'il est vrai que le jour de son arrivée soit le même que celui de la dédicace de S. Pierre, dont on fait la fête tous les ans à pareil jour (10).
MARTIN, VINGT-DEUXIÈME ABBÉ (930).
Après cette cérémonie, le duc Guillaume fit appeler les détenteurs des biens de l'abbaye dans toute l'étendue de la presqu'île, et, leur ayant payé à chacun la valeur de leurs héritages, il en fit don à perpétuité (11) à l'abbé Martin (12), que Dudon qualifie de très saint, et à ses religieux. On compte parmi les donations de ce prince Jumièges avec ses appartenances, prés, vignes, bois, eaux, pêches des deux côtés de la rivière de Seine, depuis Blicquetuit jusqu'au Val-des-Essarts (13), ou, l'Anerie (14), Yainville (15) et le manoir du Trait-d'Avilette, aujourd'hui le hameau de Saint-Paul (16), Duclair avec toutes les dépendances, église, terre, moulins, cours d'eau et pêche jusqu'à Saint-Martin-d'Épinay (17) ; le moulin de Caudebec (18), la seigneurie et terre de Norville (19) ; le port de Touit (20), Quillebeuf (21), Wambourg (22) avec les églises, port, péages et tous autres droits relevants du domaine. Il donna aussi les terres de Jouy (23) et de Gauciel (24), avec le patronage des églises et les dîmes et coutumes de ces lieux. Ces deux baronnies sont aujourd'hui réunies en une.
Le dessein de Guillaume Longue-Épée était, comme on l'a vu, de se donner lui-même à Dieu dans
l'abbaye de Jumièges (25), et de l'y servir sous l'habit de S. Benoît. Saint Maurille, archevêque de Rouen (26), ne nous laisse aucun lieu de douter de cette pieuse disposition ; il en parle jusque dans l'épitaphe qu'il fit graver sur son tombeau, cent ans ou environ après la mort de ce prince :
Cœnobium pulchre reparavit Gemmeticense Et decrevit ibi ferre jugum monachi ; Fervidus invicti coluit normam Benedicti, Cui petiit subdi, plenus amore Dei. |
On dit même qu'il s'était engagé par vœu à se faire moine. Voici ce que Dudon en raconte (27). Un jour que, dans une situation tranquille des affaires, il croyait avoir amené les choses au point de pouvoir satisfaire à la fois à sa promesse et à ses désirs, il alla faire une visite à l'abbé Martin, et dans la conversation il lui dit :
«Pourquoi, mon père, la religion chrétienne a-t-elle des hommes de trois ordres différens ? Distingués qu'ils sont dans leurs offices, auront-ils le même salaire ? — Chacun, lui répondit l'abbé de Jumièges, sera payé suivant son travail; mais, pour vous dire quelque chose de plus précis, ces trois ordres, de laïques, d'ecclésiastiques et de moines, sont dans l'église, qui n'est qu'une, une figure de la foi des trois personnes divines en une même substance ; et tous les trois ensemble marchent à pas égaux au même terme. Ces trois ordres ont dans le même chemin deux voies qui vont au même but : la voie active, dans laquelle est l'ordre ecclésiastique, l'ordre laïque sous la direction de celui-cy ; et la voye contemplative, dans laquelle est l'ordre monastique, qui, plus resserré que les deux premiers, plus séparé du monde et caché dans le secret de la solitude, se porte de toutes ses forces à ce qu'il y a de plus parfait. On l'appelle apostolique, et c'est celle dans laquelle, nous autres pécheurs nous sommes combattans.»
Le duc reprit: «Dès la fleur de mon premier âge, j'ay désiré cette voie serrée dont vous me parlez ; mais mon père et ses princes me firent Duc contre mon inclination. Aujourd'hui, que je suis libre et maître de moi-même, je veux entrer dans cette carrière et, quittant le monde, prendre l'habit de votre profession.» Le saint abbé avait de la prudence, et sentit tout l'inconvénient d'un pareil projet : «Prince, lui dit-il, vous n'y pensez pas, qui serait donc désormais le défenseur de la Patrie, le soutien du clergé, le père du peuple ? quel bras nous protègeroit contre l'invasion des infidèles ? quelle autorité maintiendroit les sages loix de votre père ? enfin, qui contiendroit dans le devoir deux grands peuples, dont il vous a laissé le souverain ? Non, seigneur, la volonté de Dieu n'est pas là ; rien de tel ne se fera jamais de mon avis, et si, par l'autorité qui vous fait maître d'accomplir vos désirs, vous entreprenez de venir icy pour un tel dessein, je vous déclare que vous ne m'y trouverez plus, ni dans aucun lieu de vos états.»
La remontrance était vive, et le duc, dans le fond, ne laissait pas d'en sentir la justice ; mais il fut mortifié, et, sans se départir pour toujours de son dessein, il demanda un habit de moine, qu'il fit porter partout avec lui dans une cassette dont il gardait lui-même la clef (28). Ce présent ne fut point capable de le consoler du chagrin qu'il ressentait intérieurement de se voir éloigné de Jumièges. Son expédition en Picardie ne fut pas plus tôt terminée qu'il vint solliciter de nouveau l'abbé Martin ; et, le trouvant ferme dans sa première résolution, il fit assembler dans Rouen tous les seigneurs de Normandie pour leur communiquer son projet et leur faire reconnaître son fils Richard, qui n'était encore âgé que de dix ans. Il allait dès lors exécuter ce qu'il souhaitait depuis si longtemps, malgré le soulèvement de tous ses sujets contre une telle résolution ; mais, ayant été appelé par Herluin, comte de Ponthieu, au secours du château de Montreuil, qu'Arnoul, comte de Flandres, venait de lui enlever, il crut devoir sacrifier pour quelques temps son inclination au désir qu'il avait toujours eu de défendre les opprimés. Le château fut
pris par les Normands, sons la conduite de leur duc, et rendu au comte de Ponthieu ; mais Arnoul en fut si irrité qu'il ne médita plus que vengeance contré le protecteur de son ennemi. La voie des armes était la plus honnête, mais, la partie n'étant pas égale, il en prit une autre plus digne de son caractère perfide. Il députa vers le duc pour lui demander son amitié et une conférence en quelque lieu neutre qu'il lui plairait de choisir. On convint d'une île de la Somme, auprès de Péquignay. Les deux chefs s'y rendirent, et les difficultés furent bientôt réglées ; on se jura de part et d'autre amitié et l'on se sépara ; mais lorsque le duc de Normandie, qui était seul dans un bateau, fut à peu près au milieu du
trajet, les gens d'Arnoul le rappelèrent à bord, sous prétexte que leur maître avait encore quelque chose à lui dire, le percèrent de coups et le laissèrent sans vie avec tant de promptitude que douze de ses chevaliers, qui étaient dans une autre barqne, n'eurent jamais le temps de repasser l'eau pour le secourir.
L'an 943. — Ainsi finit à la fleur de l'âge un prince qu'un parfait accord des vertus chrétiennes, politiques et guerrières aurait dû faire l'amour et les délices de tous les humains. Sa mort arriva le 16 des calendes de janvier 943 ; son corps fut apporté à Rouen et déposé dans l'église cathédrale (29). On trouva sur lui la clef de la cassette ou étaient les habits religieux qu'il se proposait de prendre à son retour (30), et tout le monde sut son usage.
Sa mort occasionna quelques révolutions dans Jumièges encore naissant. Louis d'Outremer, faisant servir au dessein qu'il avait de se rendre maître de la Normandie le titre de défenseur et de véritable ami de Richard Ier, fils de Guillaume Longue-Épée, enleva ce jeune prince en France, sous prétexte de lui faire donner une éducation convenable à sa naissance, et laissa le gouvernement de la province à Raoul, surnommé Tourte, gentilhomme français, qui étant en tout et plus
impie et plus barbare que les païens mêmes, surchargea le peuple d'impôts, et prit à tâche d'achever la ruine des monastères que les premiers Normands avaient détruits. Il démolit ce qui s'en trouva à portée de la Seine, et en fit apporter les matériaux à Rouen, pour en réparer les murs (31) ou pour d'autres édifices. Jumièges,
quoique réédifié par les libéralités du dernier duc et honoré de son affection, n'échappa point au ravage. Raoul en fit tirer jusqu'aux pierres qui étaient cachées dans les fondements de l'église de Notre-Dame, qu'on avait commencé à relever du temps de Guillaume, et il n'en fut rien resté, si un clerc, nommé Clément, n'eut racheté à prix d'argent les deux grandes tours (32) que nous voyons encore aujourd'hui subsister.
Cependant le bienheureux Martin faisait refleurir dans Jumièges l'étroite observance (33) de la règle de S. Benoît, et voyait avec plaisir les plus grands seigneurs du pays accourir dans son désert, pour être témoins de la vie toute céleste qu'on y menait ; vie austère, intérieure, séparée du monde et dégagée des sens ; mais si édifiante, qu'il suffisait de voir ceux qui l'avaient embrassée pour être animé du même désir. Aussi vit-on en fort peu de temps le nombre des frères considérablement augmenté. Un des premiers disciples du saint abbé fut un gentilhomme du Perche, nommé
Annon. Il avait fait profession de la vie monastique dans l'abbaye de Micy, à 1,5 lieue au-dessous de la ville d'Orléans ; mais le désordre de son monastère l'en avait fait sortir pour se retirer à Haspres, où il avait appris que la clôture était plus religieusement observée. Il y demeura jusqu'en 935, que la réputation de l'abbé Martin, jointe au désir qu'il avait de s'avancer dans la perfection de bon état, lui fit quitter ce monastère pour aller se mettre sous sa discipline, dans la nouvelle communauté de Jumièges (34).
ANNON, VINGT-TROISIÈME ABBÉ (943).
Huit ans après, le comte de Poitiers pria le bienheureux Martin de lui amener de ses religieux pour repeupler l'abbaye de Saint-Jean-d'Angely (35), qu'il venait de réédifier. L'abbé, ne pouvant s'y refuser, pria ses frères de lui donner un successeur, ou du moins de choisir un vicaire pour les gouverner en son absence. Ils avaient remarqué tant de sagesse, de vertu et de capacité dans Annon, qu'ils ne crurent pouvoir faire un meilleur choix. Ils le présentèrent au bienheureux Martin, qui approuva son élection et le fit bénir en sa présence par l'archevêque de Rouen. Pour lui, il alla, avec une peuplade de religieux, au monastère de Saint-Jean-d'Angely, et de là à Saint-Augustin de Limoges,
pour y commencer la réforme.
Annon, ainsi chargé du gouvernement de Jumièges, ne pensa plus qu'à procurer l'avancement spirituel de ses frères, en maintenant avec une vigueur digne des premiers fondateurs la régularité aux offices divins et l'assiduité à la prière et au travail, qu'il avait trouvé établi. Il ne montra pas moins de zèle à introduire et à soutenir les études dans sa maison, et il est facile de prouver que ses moines étaient studieux, par la peine qu'ils se donnèrent de copier dans son temps et par son ordre plusieurs bons livres que l'on conserve encore aujourd'hui dans la bibliothèque (36). On voit aussi, par un poème, de près de deux cents vers héroïques, sur l'origine, la destruction et le rétablissement de l'abbaye de Jumièges, qu'on n'y négligeait pas la poésie, et que l'auteur de ce poème, qui vivait dans le Xe siècle, s'y est même élevé en beaucoup de choses au dessus du génie du plus grand nombre d'écrivains de son temps, quoiqu'à dire vrai il ne soit pas exact dans ses époques (37). Dom Antonio de Yepes a rapporté cette pièce dans ses chroniques de l'ordre de S. Benoît, sur l'année 684, et Arthur du Moustier l'a insérée par extrait dans son Neustria pia. On la lit encore dans des cartouches autour du cloître.
Les religieux de Jumièges ne songeaient qu'à jouir du bonheur d'avoir à leur tête un supérieur du mérite et de la vertu d'Annon, lorsqu'Albert et Azener, ses frères, hommes distingués par leur naissance et leurs emplois dans Orléans, lui procurèrent l'abbaye de Micy (38), pour le rapprocher d'eux. Il en alla prendre possession vers la
fin de l'année 944, et, après l'avoir gouvernée environ trente ans, il y mourut le 27 janvier 973, avec la consolation de voir que tous les religieux de cette maison avaient embrassé la réforme qu'il y avait introduite (39).
RODERIC, VINGT-QUATRIÈME ABBÉ (944).
Ceux de Jumièges, se voyant privés de leur abbé et ne pouvant espérer de le revoir, pensèrent bientôt à lui donner un successeur. Ils jetèrent les yeux sur un de leurs confrères, nommé Roderic, dont l'histoire ne nous a presque rien conservé. Elle nous apprend seulement qu'il avait de belles qualités, et, ce qu'il y a de plus louable, qu'elles n'étaient que la suite des vertus nécessaires au gouvernement, dans lequel il demeura longtemps : Homo valde idoneus, multo vixit tempore (40). Nous voyons en effet qu'il vivait encore au temps d'Odon, évêque de Chartres, et que ce prélat, qui n'avait pas moins d'affection pour lui que pour ses religieux, lui donna la terre du Trel, dans le fief et paroisse de Vaux, près de Meulant, pour un cens annuel payable au jour de Saint-Rémy (41).
L'an 983. — La charte est datée des nones d'avril, la trentième année du règne de Lothaire, fils de Louis
IV, dit d'Outremer, c'est-à-dire du 5 avril 983. Nous ne savons autre chose d'une si longue vie, et l'année qui la termina ne nous est pas plus connue. Le nécrologe en fait mention au 19 février.
Quelques modernes, suivant l'opinion d'Arthur du Moustier, lui donnent pour successeur Ensulbert (42),
qu'ils font en même temps abbé de Fontenelle, mais leur sentiment ne peut être soutenu, après ce qu'en écrit Dom Mabillon et les auteurs de la Gallia christiana (43). Ensulbert fut à la vérité moine et doyen de Jumièges,
puis abbé de Saint-Wandrille, mais il ne gouverna jamais l'abbaye de Jumièges en cette qualité ; il est même vraisemblable qu'il mourut avant Roderic, s'il est vrai que celui-ci n'ait fini ses jours que la dernière année du Xe siècle (44), car il est constant qu'Ensulbert termina sa carrière en 993. Il mourut à
Jumièges et fut enterré dans l'église de Saint-Pierre, où l'on fit graver l'épitaphe suivante :
Hic humatus in tumulo requiescit Devotus Deo, pioque Domine vocatus Eufulbertus. Hic sub normâ almi Benedicti sanctam expetiit ducere vitam in sacri cœnobii gemeticensis loco qui ejusdem cœnobii piissimus extitit Decanus, et pio disponente Deo insignis claruit abbas in cœnobio quod vocatur Fontinella, ubi excellentissima Beati Wandregisili clarescunt
digne merita. Igitur supradictus abbas sacrum nutriens clerum et Basilicas Dei restaurans atque ornans, hospitalitaten que cum eleemosinarum largitione sectans præcipue, je juniis atque orationibus cum sanctarum scripturarum meditatione assidue vacans, feliciter ab hujus ærumnis sæculi migravit ad astra poli, decimo calendas octobri anno ab incarnatione Domini nongentesimo nonagesimo tertio, atque anno sexto Decenovali lunâ existente secundâ. Perfruatur anima ipsius gloriâ sempiternâ in choro angelorum, amen.
ROBERT Ier, VINGT-CINQUIÈME ABBÉ (vers 1000).
Après la mort de Roderic, la crosse de Jumièges passa à Robert Hispaque, religieux de la maison. C'était un homme d'esprit et d'une grande pureté de mœurs, mais si faible et si facile, qu'on vit bientôt son monastère avoir besoin de réforme, ce qui doit d'autant moins étonner que les mœurs des Normands étaient encore barbares. On n'y voyait au reste aucuns de ces vices grossiers et scandaleux trop ordinaires en ces temps-là, et l'on peut dire que Jumièges était encore en plus grande réputation de régularité qu'aucune autre église ou abbaye de la province. Aussi nous voyons de ce temps-là plus de monuments de pieuses libéralités de ceux que la fortune favorisait, que nous ne pourrions en trouver dans plusieurs siècles postérieurs, où les riches se sont autorisés du prétendu relâchement des communautés pour couvrir leur avarice et étouffer ces reproches muets que leur font continuellement les donations de leurs ancêtres. On met au
nombre de celles qui furent faites à l'abbaye de Jumièges sous l'abbé Robert, la moitié du territoire de Heurteauviile, dont Richard Ier lui fit présent. Les religieux achetèrent l'autre moitié d'un officier du duc nomme Geoffroy, et le duc ratifia cette acquisition (45). Un de ses comtes, appelé Bernard, donna aussi, de son consentement, 8 hospices à Anisy (46), 20 autres à Guisinieres (47), et, dans l'une et l'autre de ces deux paroisses, une terre à deux charrues. Ces libéralités furent suivies de la donation de l'église et des dîmes de Guisinieres par un prêtre nommé Marmon ; de la terre de Vimoutiers (48), du patronage de l'église, des dîmes, prairies, eaux, pêches, moulins et bois jusqu'à la forêt dépendante de l'église cathédrale de Saint-Pierre de Lisieux, ou sente aux ânes, par Osmond De Getez et ses copartageants.
Croupte. — Vers le même temps Gautier donna des marques de sa vénération pour l'abbaye de Jumièges
en lui cédant avec l'église de Croupte (49), tout le domaine de la dite paroisse ; la quatrième partie du Mesnil-Renouard en dîmes, prés et bois, avec la forêt entière d'entre Vimoutiers et Croupte, jusqu'au chemin du
Mont-Saint-Michel ou pont de vir, à la réserve de deux vavassories ou petits fiefs, dans le territoire de
Croupte.
Oisy et Vieux-Fumé. — Evrard, Albuin et Trutmer donnèrent la baronnie d'Oisy et Vieux-Fumé (50) avec tout ce qu'il y possédaient en prairies, bois, eaux, pêches et moulins ; et, comme Hugues y avait une portion, les religieux l'achetèrent pour éviter toute dispute dans le partage qu'ils seraient obligés d'en faire. Albuin ajouta à ces premières aumônes, qui lui étaient communes avec Evrard et Trutmer, assez de terre dans Condé, près d'Oisy, pour occuper le labour d'une charrue, en quoi il fut imité par Lambert, qui se démit, en faveur des moines, de tous ses droits sur les terres et sur l'église de la Barbery (51) ; et par Ermenolde et Frédéric,
qui leur cédèrent la quatrième partie de l'église et des terres de Varaville (52).
L'abbaye n'avait aucuns titres de ces possessions, comme il paraît par la charte de Richard II, qui ne l'expédia que pour les mettre à couvert de l'injuste témérité de quelques usurpateurs, qui commençaient à s'élever de son temps contre Jumièges, quoique ce monastère fut alors dans sa plus grande ferveur, par les soins de S. Guillaume, abbé de Dijon (53), que le duc avait fait venir pour rétablir Fécamp, alors occupé par des chanoines séculiers et déréglés. Comme le relâchement dans Jumièges n'avait pu faire de grands progrès dans un espace de douze ou quinze ans qu'il s'était introduit, le saint abbé n'eut pas besoin de tout son zèle pour faire rentrer les religieux dans leur devoir ; ses premières exhortations suffirent, et l'abbé Robert, qui fut conservé dans le gouvernement de la maison, n'eut aucune peine dans la suite à maintenir le bon ordre que l'homme de Dieu avait rétabli.
L'an 1004. — Durant les premières années de ce renouvellement de discipline, dont il faut fixer l'époque
en 1004, deux ans après la réforme de Fécamp, Albert le Riche, de la noble famille de Bellesme, père d'Arnoul,
archevêque de Tours, et neveu d'Annon, vint à Jumièges chercher la voie du Ciel sous l'habit religieux. Robert la lui accorda et reçut ses vœux solennels, après avoir obtenu le consentement de sa femme, comtesse de Chateaudun. Albert, ainsi dégagé des liens du siècle, ne s'appliqua plus qu'à se perfectionner dans l'exercice des vertus qui convenaient à son état. Il parut comme un religieux parfait, dès le commencement, parmi ceux dont il semblait n'être venu observer les actions que pour les imiter. Ils le regardèrent bientôt comme leur modèle, le voyant extrêmement humble, doux et plein
de charité, soumis et obéissant à tout le monde, exact à tous ses devoirs de l'observance, retiré, aimant le silence et toujours en oraison, même au milieu du travail.
Dame-Marie et Boafle. — Non content d'édifier ses frères par la régularité de sa vie, il voulut encore les
aider de ses biens par la donation qu'il leur fit de la terre de Dame-Marie (54), à Bellesme (55), et de Boafle (56), en Poissy, près de Meulan, avec tout ce qui pouvait lui
appartenir dans la dépendance de ces terres, comme il est plus amplement expliqué dans les Preuves, articles 8 et 9 (57). Il voulait donner tous ses biens à l'église de Saint-Pierre, mais Robert et ses religieux l'en détournèrent, à cause de deux filles qui lui restaient dans le monde et qui ne se sentaient pas assez de force pour
suivre la généreuse résolution de leur père. Contents des bons exemples qu'il leur donnait (car sa vie était une louange et une sanctification perpétuelle du nom de Dieu), ils ne voulurent pas même de titres des donations qu'il leur avait faites avant sa profession, et ce ne fut que plus de quinze ans après, lorsqu'il fut abbé de Micy, qu'il expédia la charte de Dame-Marie, et qu'il pria le roi Robert de ratifier la donation de Boafle, située dans ses états.
L'an 1012. — Longueville. — Douze ans auparavant l'abbé de Jumièges, de concert avec sa communauté, fit un échange de la terre de Tourtenay, en Poitou, contre la seigneurie de Lougueville (58), appartenante aux religieux de Bourgueil (59), par la donation de la comtesse Emme, leur fondatrice. L'acte en fut dressé en 1012, et confirmé par Richard II, duc de Normandie, Robert archevêque de Rouen et Mauger ses frères, Guillaume comte d'Arc, fils naturel de Richard Ier, Judith femme de Richard II et Gonnor sa fille, qui fit présent à l'abbé et aux religieux de Jumièges de 30 livres d'or, Guillaume V, comte de Poitou, surnommé le Grand, Prisque sa femme, Gilbert évêque de Poitiers. Rodolfe et Geoffroy son frère donnèrent aussi leur consentement, que l'on crut d'autant plus nécessaire que la terre de Tourtenay relevait en plein fief du comte de Poitou, comme celle de Longueville dépendait pour la mouvance du duc de Normandie. Les parties intéressées signèrent ensuite, au nombre de dix : savoir, pour l'abbaye de Jumièges, Robert, qui en était abbé, Albert, religieux du même monastère, Bernard, Odon et Gilbert, évêque d'Évreux, qui est aussi qualifié moine. Les cinq du côté de Bourgueil furent Bernon, Tedelin, Garnier, Robert et Herloth (60). On y voit aussi les signatures de Lambert, d'Osmont, de Gautier et de plusieurs autres, tant ecclésiastiques que séculiers. C'est à cette époque qu'on fixe la fondation du prieuré de Longueville, et l'on ne voit pas en effet qu'on puisse la reculer.
La même année Albert fut élu abbé de Micy. Les commencements de son gouvernement furent accompagnés de quelques chagrins, que l'extrême pauvreté de son monastère lui occasionna, mais il fit tant par ses soins qu'en peu de temps il y rétablit la paix et l'abondance. Pour conserver l'une et l'autre il obtint du roi Robert, en 1022, la confirmation des privilèges et des biens tant anciens que nouveaux de son abbaye (61), et il écrivit au pape Jean XIX, que quelques
uns qualifient XVIII, et même XVII, pour les mettre sous la protection du Saint-Siège. La bulle est de l'an 1025 (62). L'année suivante, son fils, qui avait succédé depuis trois ans à Hugues, son oncle maternel,
dans l'archevêché de Tours, lui donna l'abbaye de Saint-Julien hors les murs de la ville. La crainte de Dieu, qui
avait accompagné toutes ses actions depuis son entrée à Jumièges, lui fit accepter cette place par l'appréhension de lui déplaire en la refusant ; mais les religieux, le regardant comme intrus, parce qu'ils ne l'avaient pas élu eux-mêmes, selon leur droit, refusèrent de lui obéir, et Albert, craignant d'aller contre la volonté de Dieu, qui semblait se déclarer par le refus général de soumission de la part de ceux à qui il appartenait d'élire leur abbé, renonça aux droits qu'il pouvait avoir, et revint à Micy.
L'an 1014. — L'abbé Robert était mort, avec beaucoup de vraisemblance, dès l'an 1014, accablé d'années
et comblé de bonnes œuvres qu'il avait faites depuis la réforme de S. Guillaume, à laquelle il s'était soumis, et il ne laissa pas son abbaye destituée de sujets capables de lui succéder ; mais le respect les porta tous à déférer au saint réformateur le choix de celui que la Providence divine leur destinait.
THIERRY II, VINGT-SIXIÈME ABBÉ (1014).
Guillaume mit donc à leur tête un de ses disciples, nommé Thierry, qu'il avait amené avec lui de Saint-Bénigne de Dijon, et qui fut un de ses plus zélés coadjuteurs dans les travaux de la réforme. Il l'avait fait prieur de Fécamp (63), après que Richard II en eut chassé les chanoines, qui refusèrent d'embrasser l'état religieux. Thierry était normand, natif du Perche, de l'illustre maison de Montgomery ; il fut donné, étant encore enfant, par ses parents à l'abbaye de Dijon, où il fit profession. Quelque temps après, ayant accompagné son abbé à Fécamp, il y exerça la charge de prieur jusqu'à ce que le bienheureux Guillaume le fit abbé de Jumièges. Après son élection, qui fut universellement approuvée, il fit recevoir et observer dans son abbaye les coutumes de S. Bénigne, qui lui méritèrent le titre de restaurateur de la discipline monastique (64). On ne sut jamais mieux allier la piété avec
l'amour pour les sciences et pour les arts. Aussi sa réputation attira bientôt auprès de lui un si grand nombre d'élèves, qu'il fut en état dans la suite d'en faire part aux monastères voisins, sans trop diminuer sa communauté. Il occupait ses religieux suivant leurs talents. Les uns vaquaient à la prière et assistaient aux offices de jour et de nuit ; les autres travaillaient des mains, ou s'appliquaient à l'étude de l'Écriture sainte des Pères, qu'ils transcrivaient, et dont l'abbé voyait les copies, en quoi il suivait la maxime de ses prédécesseurs, qui avaient toujours entretenu des écoles à
Jumièges. Il y eu avait d'intérieures pour les moines, et d'extérieures pour les séculiers, qui y étaient reçus sans distinction du pauvre ou du riche, comme S. Guillaume l'avait établi dans tous les monastères de sa réforme (65). Souvent même les pauvres étaient nourris des aumônes du monastère. Un établissement de cette nature, aussi louable qu'avantageux, ne peut manquer de conserver la bonne discipline et de faire revivre les siècles d'or de l'ordre de S. Benoît. Jumièges, réformé et appliqué à la culture des lettres, communiquait aux autres monastères, et l'institut qu'on y suivait et les sciences qu'on y enseignait. C'est ce que nous verrons dans la suite, en parlant de quelques religieux particuliers que leur mérite fit élever à des dignités supérieures.
Thierry uniquement occupé du succès des études et du progrès de ses frères dans la discipline monastique, fit trop peu d'attention aux mœurs déréglées de quelques religieux du prieuré d'Haspres, dépendant de son monastère. Gérard, évêque d'Arras, l'avait souvent averti de ce qui se passait, mais le pieux abbé, que la longueur du voyage rebutait, usa de tant de délais que l'évêque perdit patience et résolut de faire par lui-même ce qu'il n'avait pu obtenir par ses remontrances. Il prit avec lui l'abbé de Saint-Vaast et le mena au prieuré d'Haspres, sous prétexte de l'accompagner dans la visite de l'église paroissiale. Ils descendirent au prieuré, et le prélat, y ayant trouvé de nouveaux sujets de mécontentement, il proposa à l'abbé de Saint-Vaast d'accepter cette maison et d'y mettre des religieux dont la vie et les exemples pussent être utiles au public. L'abbé, qui était témoin du peu d'édification que le public recevait de ceux qui y étaient pour lors, promit de se charger de leur conduite et de céder à l'abbaye de Jumièges en contrechange la terre d'Anglicourt en Beauvaisis. L'évêque ne fut pas plus tôt de retour à Arras qu'il écrivit à l'abbé de Jumièges pour lui faire part de son projet, le menaçant de chasser ses moines, s'il ne prenait ce parti, qu'il croyait seul convenable dans ces circonstances.
L'an 1024. — Thierry consentit à tout, quoique l'inégalité fût manifeste, et l'acte en fut passé à Rouen,
le 13 janvier 1024, en présence de Richard II, duc de Normandie, Robert, son frère, Richard et Robert, ses fils, et Warin, évêque de Beauvais (66).
Saint-Pierre-d'Autils et Longueville.— Le Trait et Yainville. — Jouy et Gauciel. — On rapporte aussi à cette même année la permission que Thierry demanda à Richard II de réunir à son abbaye l'église de Saint-Pierre d'Autils (67) dans la seigneurie de Longueville (68). Le duc la lui accorda et voulut même qu'on en fit mention dans la charte qu'il expédia trois ans après pour confirmer les donations de ses prédécesseurs, et assurer au monastère celles qu'il lui faisait de nouveau, en dédommagement de l'échange du prieuré d'Haspres pour la terre d'Anglicourt, et de la cession que le comte d'Évreux avait contraint l'abbé Thierry de lui faire de la terre et des bois du Trait depuis la vallée de Yainville jusqu'à la Croix-au-Comte (69), pour quelques redevances qu'il prétendait en qualité de seigneur suzerain sur les baronnies de Jouy et de Gauciel, dépendantes de l'abbaye. La charte de Richard est du mois d'août 1027 : ce qui suffit pour convaincre d'erreur l'opinion de ceux qui ont placé sa mort en 1026, sur le seul témoignage de Guillaume de Jumièges, que tout homme raisonnable se fera scrupule de préférer à un titre original étayé de deux autres non moins authentiques en faveur des abbayes de Fécamp et de Bernay, donnés le même jour
dans une assemblée publique des seigneurs de la province.
Quoi qu'il en soit de cette diversité de sentiments dans laquelle nous avons l'avantage d'avoir pour nous le savant auteur de l'Histoire ecclésiastique, le Père Rivet et beaucoup d'autres, l'abbaye de Jumièges s'est toujours cru redevable à Richard II des biens qu'elle a possédés et peut encore aujourd'hui posséder au Pont-de-l'Arche, à Dans, à Saint-Pierre-d'Autils, à Saint-Marcel, à Saint-Just, à Tourville, aux Authieux, au Gruchet, à Rouen, à Lillebonne, à Trouville, à Norville, à Goui, à Vimoutiers, à Saint-Pierre-du-Manoir, à Bayeux, à Trun, à Honfleur, à Brocheville, à Dive et à Vieux-Fumé, où il subrogea les religieux en ses droits et privilèges sur toutes les terres de la paroisse, voulant qu'en icelle, et dans tous les lieux où les biens qu'il leur donnait étaient situés, ils les possédassent en toute
liberté, comme il faisait lui-même avant que d'en avoir disposé en leur faveur (70). Ces marques de bienveillance pour l'abbaye de Jumièges, où sa dévotion à S. Pierre et son respect pour Thierry lui faisait faire
deux ou trois voyages toute les ans, ne furent pas les seules dont il voulut hongrer les serviteurs de Dieu dans cette sainte retraite ; il confirma par la même charte les donations des seigneurs particuliers, parmi lesquelles on trouve une place de moulin à Jouy par le comte Rodolphe, 10 acres de pré à Vatteville-sur-Seine (71) par Hugues, évêque d'Évreux, 8 hospices (72) dans le marais de Dive (73) avec 61 mesures de sel, par Odon son maître d'hôtel ; 1 acre de pré dans le marais de Curthulin, et la quatrième partie de Blacqueville (74) par Thetbert ; l'église de la Luzerne (75) avec une terre et un moulin, par Christine ; la dîme d'Imfreville par Turgot ; 1 hospice à Claville (76) par le vicomte Ursion ; et les deux parts de l'église, d'un pré et d'une terre au Pont-Autou (77), avec un moulin et deux îles au même lieu, par Stostring. Après le dénombrement de ces différentes donations, que le duc prend également en sa main et sous sa protection contre quiconque des donateurs ou de leurs héritiers voudraient s'en ressaisir, il les affranchit de toutes redevances et servitudes, dont ces biens pourraient être tenus envers lui, déclarant que son intention est qu'ils demeurent libres et assurés aux donataires, comme si lui-même les avait donnés.
L'an 1027. — Suivant les caractères chronologiques de la trente-huitième année du roi Robert et de la huitième indiction, que portent les chartes de Jumièges, de Fécamp et de Bernay, elles durant précéder d'assez peu de temps la fin du duc Richard. Il mourut à Fécamp le 23 août de l'an 1027, et fut enterré dans l'église abbatiale auprès de son père, ainsi qu'il l'avait désiré. L'abbaye de Jumièges perdit un père et un protecteur en perdant le duc Richard. Ce prince avait
employé son autorité et ses biens à faire éclater sa magnificence et sa piété envers elle ; à peine fut-il mort que Roger de Montgomery, appuie de l'exemple du duc Robert, dont les commencements furent peu favorables à l'Église, parut, comme de concert avec deux seigneurs du royaume, vouloir la dépouiller tout à la fois de ses anciennes possessions. Il supprima le marche de Vimoutiers, dont les religieux de Jumièges tiraient un revenu considérable, et le transféra à Montgomery (78), dont il était seigneur. Albert, seigneur de Creil, s'empara de la seigneurie de Montaterre (79), que l'abbaye venait de recouvrer par la mort d'un gentilhomme du pays, nommé Herman, à qui Vaningue l'avait cédée par un bail à vie à l'insu de son abbé et sans la participation de ses frères. Dreux, comte d'Amiens, surchargeait de nouvelles exactions la terre de Genesville, dont Gautier son père s'était fait le défenseur au moyen de la seigneurie que l'abbé Robert lui avait abandonnée.
Thierry, touché de la misère des fermiers et des vassaux de Genesville, s'efforça par prières et bons offices d'obtenir du comte Dreux l'affranchissement de cette terre. Il lui offrit 62 livres, monnaie de Rouen, et six chevaux de prix, promettant en outre d'envoyer dans le prieuré trois religieux de sa maison, dont les œuvres et prières seraient appliquées au profit des âmes de ceux qu'il lui plairait de choisir. Dreux, en considération de l'homme de Dieu, ou plutôt de Dieu lui-même considéré dans son serviteur, et pour le repos de l'âme de son aïeul et de son aïeule, de son père et de sa mère, de lui-même, d'Emme, sa femme, et de ses enfants, accepta l'offre et accorda la demande de Thierry. Il lui promit de remettre à son monastère la terre de Genesville, libre et déchargée de tel cens ou exaction dont lui ou ses prédécesseurs l'avaient sur chargée. Mais Thierry étant venu à mourir peu de temps après cette convention, l'acte n'en fut dressé que sous l'abbé Guillaume, son successeur, en 1030, la quarante-deuxième année du roi Robert. Ce qui a donné lieu l'auteur de l'Histoire ecclésiastique de Normandie de douter que Thierry ait précédé Guillaume dans le gouvernement de l'abbaye de Jumièges, parce qu'il est fait mention du premier dans la charte dont nous parlons, et que le nom de Guillaume se trouve dans une autre charte qui a dû nécessairement précéder celle du comte Dreux. Le lecteur équitable jugera sans peine que cette difficulté ne mérite pas qu'on s'y arrête. Thierry n'a place dans la charte de Dreux que parce que le comte se laissa gagner à ses prières, et que les conditions du traité avaient été dressées et rédigées par écrit de son vivant, ou du moins avant que la nouvelle de sa mort fût devenue publique. Les abbés de Jumièges destinèrent dès lors trois religieux à Genesville, et les y ont entretenus jusqu'à ce que, les vivres étant devenus plus chers, on fut contraint de réduire ce petit monastère en prieuré simple. Nous verrous dans la suite comment et à quelles conditions il est passé aux Chartreux de Gaillon, pour y être réuni à perpétuité.
L'an 1028. — Thierry, comme on a vu, survécut peu aux conventions faites avec le comte d'Amiens. Dieu
l'enleva de ce monde, pour le récompenser éternellement, vers le milieu de l'année 1028. On enterra son corps dans la chapelle de Saint-Sauveur, qu'il avait fait rebâtir sur les fondements de la grande église, dont il avait fort à cœur de relever les ruines. Mais, quelque raisonnable que fût son zèle pour la gloire de Dieu, et quelque juste que parût le dessein qu'il avait formé de lui bâtir un temple plus auguste que n'était l'église de Saint-Pierre, cette pensée si sainte en elle-même ne se rencontra pas avec la volonté de Dieu, dont les moments ne sont connus que de Lui seul. Après la cérémonie de ses funérailles, qu'on croit avoir été le 17 mai, les religieux s'assemblèrent et réglèrent entr'eux qu'on ferait à perpétuité son anniversaire avec la même solennité qu'il avait voulu qu'on fit de son temps ceux des
ducs de Normandie, Guillaume Longue-Épée et Richard, leurs bienfaiteurs. Dans la même assemblée, ils approuvèrent les règlements qu'il avait faits pour la station des litanies de la Vierge (80), chaque premier jour
du mois, et la lecture d'un point de la règle tous les jours de la semaine qui ne seraient point empêchés par une fête de précepte. Ils confirmèrent ensuite son ordonnance pour la punition des fautes dans la célébration des saints mystères, et son rituel, ou livre des cérémonies qu'on devait observer dans l'administration des sacrements, dans la bénédiction des vases et ornements ecclésiastiques, et dans la réception et profession des novices, tant enfants qu'adultes. Dom Mabillon a puisé dans ce rituel et dans un ordinaire presque de même date plusieurs choses singulières et intéressantes qu'on peut voir dans son traité De Antiquis Ecclesiæ ritibus, des anciens rites de l'Église (81).
GUILLAUME Ier, VINGT-SEPTIÈME ABBÉ (1028).
Huit jours après, le prieur claustral convoqua une nouvelle assemblée pour l'élection d'un abbé ; il fut choisi lui-même d'une commune voix, et installé, après bien des difficultés de sa part, car il était humble et avait un mérite que ses frères savaient estimer comme ceux du dehors ; il se regardait comme le dernier d'entre eux et le moins digne de leur préférence. Le premier soin de Guillaume, c'est le nom du prieur claustral de Jumièges élevé à la charge d'abbé, fut de gouverner ses religieux plus par ses exemples que par ses paroles. Il était le premier aux exercices de jour et de nuit, persuadé que sa régularité particulière, beaucoup plus que sa puissance et son rang, servirait à maintenir la règle et
l'observance de la discipline dans son monastère. La communauté de Jumièges était alors composée d'un grand nombre de vieillards respectables par les exactitude, et d'une jeunesse florissante, sous la conduite de Thierry, que le dernier abbé, dont il était neveu, avait commis à l'éducation de ces jeunes élèves. Guillaume s'appliqua avec lui à les former dans l'amour des sciences, qui faisait son caractère dominant, et dans l'art de copier les livres les plus propres à nourrir la piété et à cultiver l'esprit ; il recommença pour ainsi dire ses études avec eux.
Cette occupation ne l'empêcha pas néanmoins de vaquer aux affaires temporelles de sa maison, qui demandaient sa présence, et ce fut en un de ces cas que, ses officiers se croyant avec raison moins en état que lui de s'opposer à l'injustice d'Albert, il fut contraint de les accompagner à Senlis, où se trouvait alors le roi Robert, pour engager ce prince à lui faire restituer ses biens de Montaterre, dont ce seigneur les avait dépouillés. Son voyage eut tout le succès qu'il en pouvait attendre (82). Le roy le reçut avec bonté, écouta ses plaintes, et rendit en sa faveur le jugement dont nous avons parlé plus haut, en faisant l'énumération des biens que Sainte Bathilde avait aumônés à l'abbaye. Cette charte, ainsi qu'on l'a dit, étant signée de Richard II, duc de Normandie, ne peut être plus tard que 1028.
L'an 1030. — Vimoutiers. — Deux ans après, le duc Robert, surnommé le Magnanime, devenu plus chrétien, rendit à l'abbé Guillaume le marché de Vimoutiers, que Roger de Montgomery avait supprimé pour le transférer à Montgomery. Non content de cette restitution, il priva l'usurpateur du droit de marché dans son propre bourg, et voulut qu'il n'y en fut établi qu'avec l'agrément de l'abbé et des religieux de Jumièges, ce qui fut exécuté la même année après
beaucoup de prières et d'instances de la part de Roger, et aux conditions qu'il augmenterait le revenu de Vimoutiers d'une livre de deniers par an.
Verneuil. — L'abbaye de Micy, au diocèse d'Orléans, avait encore pour abbé le vénérable Albert. Il avait été tiré de Jumièges, ainsi que nous l'avons remarqué, et l'on peut dire que son cœur y était plus souvent qu'à Micy. Il en donna des marques vers la fin de l'année 1031, en cédant à ce monastère la terre de Verneuil (83) avec l'église et la chapelle de Mont-Baudry (84), son annexe, le moulin, les bois, vignes, prés et généralement tous les droits et profits de la dite terre (85), dont Vautier et Gilbert avaient joui jusqu'à ce jour à titre de bénéfice. Ce ne fut pas la dernière grâce que l'abbaye de Jumièges reçut d'Albert. Tedbold avait donné à l'abbaye le patronage et les dîmes de Gauville (86), près du Vieux-Verneuil (87), avec autant de terre que quatre bœufs en pouvaient labourer aux trois saisons de l'année. Foulques, fils de Tedbold, s'en saisit à la mort du donateur, comme d'un bien de patrimoine ; Albert la racheta par 6 livres de deniers, monnaie de Chartres, et la rendit à Jumièges. Nous verrons dans la suite que les héritiers de Foulques ne gardèrent pas plus de mesure ni d'équité que leur père.
Vers l'an 1032. — Boafle. — Valeran, comte de Meulan, donna aussi de l'exercice à la charité d'Albert.
Comme ils avaient toujours été liés d'une amitié très étroite, Albert, après avoir donné la terre de Boafle aux religieux de Jumièges, crut ne pouvoir mieux faire que de la mettre sous la protection de son ami, qui avait lui-même ses biens aux environs ; il lui fit même présent d'une mule de grand prix, pour obtenir que lui, ni ses gens, ne fissent aucun dommage sur cette terre. Le comte observa là dessus la convention, jusqu'à ce que Robert, duc de Normandie, lui ayant enlevé quelques domaines qu'il avait en cette province, lui, par représailles, se jeta sur la terre de Boafle et la réunit
à son domaine (88) ; ce qu'Albert et l'abbé Guillaume ayant appris, ils l'allèrent trouver et firent tant par leurs exhortations, peut-être plus encore par une somme de 10 livres qui lui fut offerte, qu'il se désista de
ses prétentions par une charte qu'il signa avec le comte Hugues, son fils, et la comtesse Adélaïde, sous le règne
du roi Henri, successeur du roi Robert, mort le 20 juillet 1031.
Dame-Marie. — Albert se chargea encore depuis de la construction d'une nouvelle église à Dame-Marie ; mais ce ne fut pas gratuitement. Il fit de trop grandes dépenses pour ses fonds, ce qui l'obligea, de s'adresser aux religieux de Jumièges, qui, étant alors dans le besoin et manquant même du nécessaire, furent contraintes d'engager aux moines de Micy les revenus de leur terre de Dame-Marie, jusqu'au parfait remboursement de 12 livres de deniers, que ceux-ci avancèrent pour eux. Albert survécut peu à l'exécution de son entreprise. Jumièges fut le lieu de sa mort et de sa
sépulture ; mais on ne peut pas dire qu'il ait été inhumé d'abord au côté droit du chœur de la grande église, qui n'était pas encore bâtie, quoiqu'on y voie aujourd'hui son tombeau avec une épitaphe conçue en ces termes :
Hic jacet Albertus, quondam regalia spernens, Prudens atque pius, tantum cælestia cernens : Mundi divitias cum regali ditione Gemeticâ primas sprevit pro religione ; Namque Dei forma monachorum venit amore. Hic post sub normâ pastorum fulsit honore Luceat ante Deum, careat magnoque labore Usque modo per eum Domini sunt dona valore. Obiit die 14 Januarii 1036. |
ROBERT II, VINGT-HUITIÈME ABBÉ (1037).
L'abbé Guillaume mourut aussi l'année suivante, 1037, le 9 avril ; il eut pour successeur Robert II, dit Champart ou le Normand, religieux de Jumièges, homme d'esprit et très habile en toutes sortes de sciences.
Conches. — Herfast, abbé de Saint-Ouen de Rouen, connaissant son mérite, l'avait fait prieur de son monastère en 1034, et ce fut en cette qualité qu'en 1035 il signa la charte de fondation de l'abbaye de Saint-Pierre
de Conches, par Roger de Toni (89). Il exerçait les fonctions de sa charge avec toute la capacité que l'on pouvait attendre d'un si grand maître, lorsque Guillaume, dont il était parent, se voyant prêt de mourir, le proposa à ses religieux pour le remplacer ; en quoi l'on fut persuadé qu'il se conduisait par l'esprit de Dieu plutôt que par aucune considération de la nature et du sang. Aussi la communauté se trouva parfaitement d'accord avec son pasteur dans un choix si sage ; elle y applaudit, et le confirma unanimement dans la première assemblée qui fut tenue pour son élection, protestant qu'elle ne le choisis soit qu'à cause de ses rares vertus et de sa grande piété. L'abbaye de
Jumièges rassemblait alors des hommes très capables d'en juger. On trouve parmi les noms de ces illustres personnages ceux de S. Thierry (90), qui fut premier abbé de Saint-Evroult depuis sa restauration, de Rodolphe,
de Hugues et de beaucoup d'autres dont Orderic Vital a relevé le savoir et la régularité par les plus
magnifiques éloges (91).
Robert fit bientôt connaître au dedans et au dehors qu'on ne s'était pas trompé dans le choix qu'on avait fait de lui pour gouverner l'abbaye de Jumièges. Son esprit, naturellement vif et brillant, le mit au commencement si fort au-dessus des fonctions spirituelles de sa charge et de l'embarras des classes qu'il faisait à ses religieux pour leur expliquer l'Écriture sainte, qu'après avoir rempli toutes ces fonctions, il lui restait toujours du temps au-delà de celui qu'il y employait, pour connaître par lui-même l'état de sa maison et soulager ses officiers dans les administration de leurs emplois. Son loisir ne se borna pas à la simple connaissance du temporel ; cette connaissance fit une autre impression
sur son cœur, et il forma dès lors le projet de rebâtir entièrement l'église de Notre-Dame, que la mort d'un de ses prédécesseurs avait interrompu.
L'an 1038. — Cette pieuse résolution prit de merveilleux accroissements par la donation que Richard,
comte d'Évreux, fils de Robert, archevêque de Rouen, fit à l'abbaye, en 1038, du moulin de Gravigny (92), sur la rivière d'Iton (93). Un gentilhomme, nommé Raoul Havot, offrant son fils pour être religieux, donna aussi 90 arpents de terre, proche de Gournay (94). Enfin, un particulier, nommé Robert, fit présent de sa terre de Cupine (95), dans le comté d'Évreux, près de Gauciel, où les religieux de Jumièges avaient déjà des biens considérables. Mais on a sujet de croire que l'abbé Robert, qui se conduisait en tout avec les précautions d'une prudence éclairée, ne se contenta pas pour commencer son entreprise du revenu de ces fonds, qui venaient de lui être abandonnés. Le succès avec lequel il avança la réédification de l'église montre assez qu'il eut d'autres moyens pour cette œuvre, à moins qu'il n'ait vendu ces fonds, dont on ne trouve plus
aucun signe de propriété dans la suite, comme des préparatifs nécessaires à son dessein.
L'an 1043. — C'est en effet ce que nos manuscrits semblent nous insinuer : omnia quæ ubique acquisivit
ad peragendum opus delegavit ; quoi qu'il en soit, l'édifice fut commencé en 1040 et continué par les soins de Robert jusqu'à la solennité de Pâques de l'année 1043, qu'Edward, fils d'Ethelred II et d'Emma, sœur de Richard, duc de Normandie, ayant été couronné roi d'Angleterre, l'appela auprès de lui pour le récompenser des bienfaits qu'il en avait reçus pendant son séjour en Normandie, où il avait été obligé de fuir après la mort de son père et la trahison de Godwin, comte de Kent, sur Alfred, son frère aîné. Le saint roi les racontait aux grands de sa cour avec une tendre
reconnaissance et prenait plaisir à lui donner devant eux des marques sensibles de son estime et de son affection. L'abbé de Jumièges travailla à les mériter de plus en plus par tous les services qu'il put lui rendre, mais particulièrement par sa fidélité à répondre au choix que ce prince fit de lui pour être son conseil et l'arbitre des grâces qu'on lui demandait.
Il n'y avait pas encore un an que Robert Champart était passé en Angleterre, lorsque le comte Godwin accusa la reine Emma, mère d'Edward, d'un commerce scandaleux avec Aelfwine, évêque de Winchester. La reine voulut prouver son innocence par l'épreuve ordinaire du feu, et, la condition acceptée, on s'assembla dans la cathédrale de Winchester, où cette reine se dépouilla de son manteau royal et marcha les yeux bandés sur douze socs de charrue, sans en souffrir aucun dommage, au grand étonnement du roi, des évêques et d'une multitude de spectateurs. La reine ainsi justifiée, Edward lui demanda pardon, et reçut, suivant l'usage du temps, la discipline de sa main et de celle de l'évêque injustement accusé. Le perfide Godwin fit retomber l'injustice de cette accusation, et l'épreuve faite en conséquence, sur l'abbé Robert, qu'il regardait comme son rival. Le peuple le crut ; les seigneurs, jaloux de son crédit, confirmèrent ces faux bruits, et Robert fut obligé de sortir du royaume pour retourner à Jumièges, laissant au roi le soin de le justifier et de calmer les esprits.
L'an 1045. — Sa cause ne pouvait être en de meilleures mains. Edward n'eut pas plutôt su son départ,
qu'il apaisa la tempête en découvrant le calomniateur. Robert fut rappelé, on courut au-devant de lui, on le reçut avec respect et on s'empressa de lui témoigner la joie que causait son retour. La sienne fut complète lorsqu'il vit la reine et l'évêque de Winchester prendre part à cette teste publique, qui fut suivie, peu de mois après, de sa nomination à l'évêché de Londres, vacant par la mort d'Alvood, qui arriva en 1045 (96).
GEOFFROY Ier, VINGT-NEUVIÈME ABBÉ (1045).
L'abbaye de Jumièges avait été près de deux ans sans pasteur, lorsque le nouvel évêque de Londres persuadé de la nécessité de la résidence pour tous les prélats, crut devoir se démettre de son abbaye pour le soulagement de sa conscience ; ce qu'il fit par une démission pure et simple, dans un voyage qu'il fit à Jumièges vers le mois d'août de la même année 1045 (97). Un religieux de la maison, nommé Geoffroy, fut son successeur, comme le plus propre à l'exécution du projet que Robert avait formé de bâtir la plus belle église de la province. Geoffroy, qui avait un goût décidé pour l'architecture, entra en effet dans les vues de son prédécesseur et pressa l'ouvrage autant que ses fonds et les aumônes qu'il recevait d'Angleterre le lui permirent ; mais il vécut trop peu pour en voir la fin. Comme il était savant et curieux des bons livres, il en fit venir plusieurs des pays étrangers, dont il fit faire des copies, et, par reconnaissance, il ordonna un service à perpétuité, tous les premiers lundis de Carême, où l'on avait coutume de distribuer les livres aux religieux, selon la règle de S. Benoît, pour le repos des âmes de ceux qui en auraient fait présent à l'abbaye, qui en composeraient de nouveaux, ou qui s'occuperaient à les transcrire. Ce qui prouve que, s'il y avait d'habiles copistes à Jumièges, où les bonnes études étaient alors en honneur, il y avait aussi des savants capables d'enrichir la république des lettres. Peut-être avons-nous eu à cette époque des savants à Jumièges sans que nous en soyons instruits, parce qu'ils ont négligé de mettre leurs noms à la tête de plusieurs ouvrages, manuscrits dont les auteurs nous sont inconnus.
Quelques années après l'élection Geoffroy, Roger, comte de Montgomery, confirma la donation qu'un de ses gentilshommes, nommé Goisfrid, fils de Gozelin Stantuin, avait faite de sa terre de Fontaine à l'abbaye de Jumièges, en s'y consacrant à Dieu sous l'habit religieux. La charte porte que la terre de Fontaine sera à l'avenir affranchie de toutes redevances
et servitudes envers le comte de Montgomery, et que l'abbé Geoffroy lui avait donné un cheval du prix de 30 livres, et une cuirasse valant 7 livres. Cette charte n'est point datée, mais il est aisé de voir à quel temps on la doit rapporter (98), s'il est vrai, selon l'ancien nécrologe de l'abbaye, que Geoffroy, dont il y est fait
mention, soit mort le 24 mai 1048.
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[Notes de bas de page : * = originale ; † = par l'abbé Loth.]
1*. François-Eudes de Mézeray, Abrégé chronologique de l'histoire de France, Amsterdam, Mortier, 1740, t. I, p. 163.
2*. Jean Mabillon, Annales ordinis S. Benedicti, Paris, 1706, t. III ; et Orderic Vital, Historia ecclesiastica, t. III.
3†. Le récit de la translation des reliques de Sainte Ameltrude à Jumièges, fait d'abord par Dudon de Saint-Quentin, De moribus et actis primorum Normanniæ ducum, t. II, ad anno 876, a été reproduit par ses imitateurs, inter alia : Guillaume de Jumièges, Gesta Normannorum ducum, t. II, ch. 9 ; Mathieu de Westminster, Flores Historiarum, t. II, ad anno 897 ; Robert Wace, Roman de Rou, vers 1151 ; Benoît de Sainte-Maure, Roman de Troie, Cour d'Eléonore d'Aquitaine, 1160, t. I, p. 189.
Cette question a été controversée ; on consultera avec fruit les savants remarques de : Léopold Delisle, Normanniæ nova chronica, p. 18, dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, t. XVIII, 4e partie ; Jules Lair, Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, Caen, Blanc-Hardel, 1865, t. XXIII, 2e partie, pp. 58 et 152, «Étude historique et critique sur Dudon de Saint-Quentin» ; et Jean-Benoît-Désiré Cochet, Les Églises de l'arrondissement d'Yvetot, Paris, Didron, 1852, t. I, p. 56.
4†. Berneval : Berneval-le-Grand, Berneval-le-Petit, communes, aujourd'hui réunies, du canton de Dieppe (Seine-Inférieure). Ce pays dépendit de l'abbaye de Saint-Denis de Paris jusqu'à la Révolution.
5*. Orderic, op. cit., t. III.
6*. Guillaume de Jumièges, op. cit., t. III, ch. 7.
7*. Ibid.
8*. Ibid. ; Orderic, op. cit., t. III. ; Mabillon, op. cit., t. III, p. 447, etc.
9†. Saint-Cyprien-lès-Poitiers : abbaye fondée en 828, par Pépin Ier, roi d'Aquitaine.
10†. Arthur du Moustier, qui, dans sa Neustria Sancta (Bibliothèque nationale, man. at. 10045, folio 182), parle assez longuement de la dédicace de la basilique de Sainte-Marie de Jumièges, qu'il fixe au 1er juillet, ne parle point de celle de l'église de Saint-Pierre.
Notre auteur, ne citant ici aucune autorité, se fait sans doute l'écho d'une double tradition orale du monastère de Jumièges, rapportant au 20 février la dédicace de l'église de Saint-Pierre, et au jour de celle dédicace l'arrivée de l'abbé Martin.
11*. Guillaume de Jumièges, op. cit., t. III, ch. 8.
12†. Arthur du Moustier, Neustria Pia, Rouen, Berthelin, 1663, p. 306, lui donne le titre de saint, et, dans sa Neustria Sancta, il en indique la fête au 26 octobre, mais il ne justifie en aucune façon de son culte.
13†. Val-des-Essarts : deux communes portent ce nom, ce qui rend assez difficile la délimitation exacte des possessions de Jumiéges dans la presqu'île de Brotonne.
14†. Anerie : hameau de Saint-Pierre-de-Varengeville, commune du canton de Duclair, arrondissement de Rouen.
15†. Yainville : commune du même canton, limitrophe de Jumièges.
16†. Hameau de Saint-Paul : le manoir dont il s'agit ici était sans doute situé sur le mont d'Avilette, aujourd'hui la côte Saint-Paul, sur le territoire de Duclair ; voir Jean-Benoît-Désiré Cochet, Répertoire archéologique du département de la Seine-Inférieure, Paris, Impr. nationale, 1871, col. 312 et 300.
17†. Saint-Martin-d'Épinay : aujourd'hui Épinay-sur-Duclair, au même canton.
18†. Moulin de Caudebec : ce moulin, qui a porté pendant tout le Moyen Âge le nom de Moulin-de-Saint-Pierre (du nom du patron de Jumièges), est celui qui est situé rue de la Cordonnerie, entre la rue de la Boucherie et la place de la Rive.
19†. Norville : canton de Lillebonne, arrondissement du Havre (Seine-Inférieure).
20†. Port de Touit : c'est-à-dire le passage du Tuit ou du Thuit, nommé aussi port de Corval, aujourd'hui le Vieux-Port, canton de Quillebeuf, arrondissement de Pont-Audemer (Eure) ; voir Charles de Beaurepaire, De la Vicomté de l'Eau de Rouen, Évreux, Hérissey, 1856, pp. 189-190.
21†. Quillebeuf : port sur la Basse-Seine, chef-lieu de l'arrondissement Pont-Audemar (Eure).
22†. Wambourg : c'est-à-dire Saint-Aubin-de-Vambourg, aujourd'hui Saint-Aubin-sur-Quillebeuf, canton de Quillebeuf, arrondissement de Pont-Audemer (Eure).
23†. Jouy : Jouy-sur-Eure, canton d'Évreux sud ; cf., Ernest-Poret de Blosseville, Dictionnaire topographique du département de l'Eure, Paris, Impr. nationale, 1877, p. 120, col. 2.
24†. Gauciel : commune du même canton, ibid., p. 96, col. 2.
25*. Orderic, op. cit., t. V.
26†. L'archevêque Maurille ne porte ordinairement que le titre de Bienheureux : cf. Édition des Bollandistes, Acta sanctorum, Februarii, t. III, p. 630 ; Augusti, t. II, p. 401 ; Septembris, t. IV, p. 50, Paris, Palmé, 1866.
27*. Dudon de Saint-Quentin, op. cit., t. III, p. 101, apud André Du Chesne, Historia Normannorum scriptores antiqui, Paris, 1619.
28*. Guillaume de Jumièges, op. cit., t. III, ch. 8.
29†. Son tombeau est actuellement dans la chapelle Sainte-Anne ; pour sa description, voir Achille Deville, Tombeaux de la cathédrale de Rouen,, Rouen, Périaux, 1837, 2e édition, pp. 19 et suiv.
30*. Guillaume de Jumièges, op cit., t. III, ch. 12.
31*. Guillaume de Jumièges, op. cit., t. IV, ch. 6.
32*. Guillaume de Jumièges, op. cit., t. III, ch. 8.
33*. Dudon de Saint-Quentin, op. cit., t. III, p. 101.
34†. Tout ce passage est contredit par Arthur du Moustier, Neustria Pia, p. 307. Les auteurs de la Gallia christiana, Paris, 1759, t. XI, col. 192 et t. VIII col. 1530, pensent qu'Annon fut seulement pro-abbé (ou abbé auxiliaire) de Jumièges en même temps que l'abbe Martin. Charles Trigan, Histoire ecclésiastique de la province de Normandie, Caen, Chalopin, 1759, t. II, pp. 67-70, a consacré une dissertation spéciale à l'examen de ces questions.
35†. Saint-Jean-d'Angely (Charente-Inférieure).
36*. Mabillon, Acta sanctorum ordinis S. Benedicti, Paris, 1677, t. V, p. 362.
37†. Congrégation de Saint-Maur, Histoire Littéraire de la France, t. IV, p. 538.
38*. Mabillon, Acta sanctorum ordinis S. Benedicti, Paris, 1677, t. V, p. 362.
39†. Abbaye de Micy, ou Saint-Mesmin : dans le Loiret.
40*. Anonyme, Ms. Gem., part II, p. 134.
41*. Preuves de Jumièges, art. 11.
42*. Voir Trigan, op. cit., t. II, p. 374.
43*. Mabillon, Annales ordinis S. Benedicti, Paris, 1707, tome IV, p. 303 ; et Congrégation de Saint-Maur, Gallia christiana, Paris, 1759, t. XI, p. 192.
44*. Mabillon, Annales ordinis S. Benedicti ; et Anonyme, Chronique de Fontenelle.
45†. Heurtauville : petite commune du canton de Duclair, sur la rive gauche de la Seine ; elle entoure presque entièrement la presqu'île, dont le fleuve la sépare.
46†. Anisy : commune du canton de Creully, arrondissement de Caen (Calvados).
47†. Guisiniers : commune du canton et arrondissement de Andelys (Eure).
48†. Vimoutiers : chef-lieu de canton de l'arrondissement d'Argentan (Orne).
49†. La Croupte : commune du canton d'Orbec, arrondissement de Lisieux (Calvados).
50†. Vieux-Fumé : commune du canton de Bretteville-sur-Laize, arrondissement de Falaise (Calvados) ; cf., Amédée-Louis Léchaudé d'Anisy, Recherches sur les léproseries et maladreries, Caen, 1847 [extrait des Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, Rouen, 1847, t. XVII].
51†. Barbery : commune du canton de Bretteville-sur-Laize, arrondissement de Falaise (Calvados).
52†. Varaville : commune du canton de Troara, arrondissement de Caen, (Calvados) ; cf., Léchaudé d'Anisy, ibid., p. 210.
53†. Édition des Bollandistes, Acta sanctorum, Januarii, t. I, pp. 57-64 et 746, Paris, Palmé, 1866.
54†. Dame-Marie : commune du canton et arrondissement de Breteuil (Eure).
55*. Mabillon, Vetera analecta, Paris, 1685, t. III, p. 441. ; Preuves, art. 8.
56†. Boafle : aujourd'hui Bouafle, commune du canton de Meulan, arrondissment de Versailles (Seine-et-Oise).
57†. Preuves, art. 8 et 9.
58†. Cf., Du Moustier, Neustria Pia, pp. 666-669 ; Longueville (Seine-Inférieure)
59†. Bourgueil-en-Vallée : abbaye du diocèse d'Angers, fondée en 990.
60*. Mabillon, Annales ordinis S. Benedicti, Paris, 1703, t. I, p. 224 ; et Congrégation de Saint-Maur, Gallia christiana, Paris, 1759, t. XI. p. 283.
61*. Mabillon, ibid., Paris, 1707, t. IV, p. 706.
62*. Mabillon, Vetera analecta, Paris, 1685, t. III, p. 439.
63*. Benigne de Dijon, Chronique de S. Benigne de Dijon, apud Luc d'Archery, Spicilegium, Paris, 1675, t. I, p. 440.
64*. Anonyme, Ms. Gem., part II, p. 135.
65†. Ce passage mérite d'être remarqué. Il confirme l'une des plus belles traditions de l'Église, qui a toujours compris l'enseignement public et gratuit parmi ses devoirs essentiels et l'a répandu, même dans les siècles
réputés barbares, avec une libéralité et un dévouement auxquels on n'a pas assez rendu hommage. Les abbayes, comme les cathédrales, avaient des écoles ouvertes à tous et très fréquentées, et dépensaient pour leur entretien des sommes relativement considérable. Nous avons eu déjà occasion de le constater ; voir Julien Loth, Mémoire sur la musique à l'abbaye de Fécamp, reproduction d'un manuscrit inédit de dom Guillaume Fillastre, avec une introduction, par l'abbé Julien Loth, Rouen, Boissel, 1879. Les monographies consacrées depuis trente ans à nos plus célébrés abbayes offraient toutes les mêmes documents, et permettent de tirer la même conclusion ; cf., Édition des Bollandistes, Acta Santorum, Januarii, Paris, Palmé, 1866, t. I, pp. 60-61. — En 1338, l'abbaye de Jumièges affectait encore une rente considérable à la entretien des écoles ; cf., Charles de Beaurepaire, Recherches sur l'Instruction publique dans le diocèse de Rouen avant 1789, Évreux, Huet, 1872, t. I, p. 18.
66*. Baldéric ou Baudry, Chronicum Camerac, vers 1100, t. II, ch. 29 ; Mabillon, Annales ordinis S. Benedicti, Paris, 1707, t. IV, p. 303. ; Preuves, art. 10.
67†. Saint-Pierre-d'Autils : commune du canton de Vernon, arrondissement d'Évreux (Eure).
68†. Seigneurie de Longueville : il ne s'agit plus ici de Longueville-en-Caux dans la Seine-Inférieure, mais de la grande seigneurie de Longueville qui comprenait une partie de Vernon outre les paroisses de Saint-Just, Saint-Marcel et Saint-Pierre-d'Autils, dont Longueville n'est plus aujourd'hui qu'un simple hameau ; cf., Blosseville, op. cit., p. 127.
69*. Anonyme, Ms. Gem., part II, p. 136.
70*. Preuves, art. 7.
71†. Vatteville-sur-Seine : canton de Caudebec, arrondissement d'Yvetot (Seine-Inférieure).
72†. Hospice : voir l'explication de ce mot dans Léopold Delisle, Études sur la condition de la classe agricole et l'état de l'agriculture en Normandie au moyen âge, Évreux, Hérissey, 1851.
73†. Dive : commune du canton de Dozulé, arrondissement de Pont-l'Éveque (Calvados).
74†. Blacqueville : commune du canton de Pavilly, arrondissement de Rouen (Seine-Inférieure), tout proche de cette paroisse, mais sur le Mesnil-Panneville, est un lieu dit le Marais.
75†. Luzerne : il y a plusieurs fiefs de ce nom en divers lieux et une commune dans le département de la Manche.
76†. Claville : il y a Claville-Motteville et Claville-sur-Cany dans la Seine-Inférieure, et un autre Clavilie ou Clasville dans l'Eure ; il nous paraît plus probable qu'il s'agit de ce dernier qui, comme Jouy et Gauciel, fait partie du canton sud d'Évreux.
77†. Pont-Autou : commune du canton de Montfort, arrondissement de Pout-Audemer (Eure).
78†. Montgomery : forme aujourd'hui deux communes et deux paroisses du Canton de Livarot, arrondissement de Lisieux (Calvados), voisines de Vimoutiers, bien que ce dernier appartienne au département de l'Orne.
79†. Montaterre ou Montataire : commune du canton de Creil, arrondissement de Senlis (Oise).
80†. Ce fait prouve l'antiquité des litanies de la Sainte-Vierge et de l'usage des stations qu'on retrouve dans nombre de cathédrales.
81†. Mabillon cite en effet l'Ordinarium vetus du monastère de Jumièges dans le Syllabus librorum sacramentorum, missarium, etc., qui précède son beau traité De Antiquâ Ecclesiæ disciplinâ in divinis celebrandis officiis et dans ses trois volumes in-4° De Antiquis Ecclesiæ ritibus publiés et composés en grande partie à Rouen ; mais c'est surtout dans De Antiquis Monachorum ritibus qu'il faut chercher les détails indiqués par notre auteur. Le précieux manuscrit dont il s'agit est aujourd'hui conservé à la Bibliothèque municipale de Rouen.
82*. Preuves, art. 11.
83†. Verneuil : chef-lieu de canton de arrondissement d'Évreux (Eure).
84†. Mont-Baudry : fief dépendant de Saint-Martin-du-Vieux-Verneuil ; cf., Blosseville, op. cit., p. 144, col. 1.
85*. Preuves, art. 12.
86†. Gauville : commune réunie à Verneuil, en 1844.
87†. Le Vieux-Verneuil : situé sur la rive droite de l'Avre, forma une paroisse distincte de Verneuil jusqu'en 1791.
88*. Archives de Jumièges.
89*. Mabillon, Annales ordinis S. Benedicti, t. LVII, n°51.
90†. Saint Thierry : plus connu sous le nom du Bieuheureux Thierry de Mathonville, né à Veauville-Lesquelles (Seine-Inférieure) ; il remplit à Jumièges les fonctious d'écolâtre et celles de prieur. Le martyrologe de Saint-Allais affirme que son culte est répandu dans l'île de Chypre. Cf., Congrégation de Saint-Maur, Histoire Littéraire de la France, t. VII, pp. 70, 72, 83 et 84.
91*. Orderic, op. cit., t. III, p. 462.
92†. Gravigny : dans le canton d'Évreux (Eure).
93*. Archives.
94†. Gournay : probablement Gournay-le-Guérin, dans le canton de Verneuil.
95†. Cupine : ce lieu dit ne figure point (du moins sous cette forme) dans l'excellent Dictionnaire topographique du département de l'Eure de Blosseville.
96†. C'est à Robert Champart que Jumièges doit ces splendide manuscrits anglo-saxons dont s'enorgueillit aujourd'hui la Bibliothèque de Rouen, et qui ont été décrits trop de fois pour qu'il nous soit besoin d'insister davantage sur leur haute importance historique et artistique. Cf., Edouard Frère, Manuel de Bibliographes Normands, Rouen, Le Brument, 1858, t. I, p. 91 et t. II, p. 310.
97*. [Voici l'épitaphe de Robert Champart] :
Quem tegit iste lapis fuit Abbas Gemmeticensis Robertus nostro tempore magnus homo. Urbs populosa, tuus, Londonia, denique Præsul Extitit, artæi clarus in orbe soli. Cantua Pontificem tandem suscepit eundem Anglica terra tui quæ caput est populi Ad Domini tandem quam cernis edidit ædem ; Pro merito fidei vivat in æde Dei. Amen. |
«Histoire de l'abbaye royale de Saint-Pierre de Jumièges» :
Table des Chapitres ; Lexique ; Chapitre 5
[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]