«HISTOIRE DE L'ABBAYE ROYALE DE SAINT-PIERRE DE JUMIÈGES» ; 6
CHAPITRE 6. — Tancard, 32e abbé (1097). — Urson, 33e abbé (1101). — Guillaume II, 34e abbé (1127). — Eustache, 35e abbé (1142). — Notes de bas de page.
TANCARD, TRENTE-DEUXIÈME ABBÉ (1097).
L'abbaye de Jumièges vaqua près de dix mois depuis son décès [c'est-à-dire Gontard, le trente et unième abbé, qui mourut le 29 novembre 1095], par la crainte de déplaire au duc Robert et à Guillaume-Le-Roux, roi d'Angleterre, auquel il avait engagé son duché, dès le commencement de l'année 1096, avant son voyage de la Terre-Sainte. L'abbaye de Saint-Pierre-sur-Dive souffrait la même oppression. Beaucoup d'autres églises, en Angleterre et en Normandie, étaient dépourvues de pasteurs et pillées par les officiers du roi, qui les vendait ensuite au plus
offrant, sans avoir égard aux mœurs ni à la capacité des sujets. Cependant quelques religieux, affligés d'une si longue vacance, pressèrent le prince de la faire finir, et obtinrent enfin une promesse que le siège abbatial de Jumièges serait rempli ; il le fut, en effet, vers le commencement de mai de l'an 1097, mais à la volonté du roi, qui se soucia peu de consulter les moines pour leur donner un abbé.
Celui qui leur fut envoyé s'appelait Tancard, et avait été prieur de Fécamp et député au Concile de Clermont deux ans auparavant ; ils consentirent à son élection, mais ce ne fut pas sans quelques plaintes contre le roi, qui, pour leur accorder quelque satisfaction, nomma Etard, un de leurs confrères à l'abbaye de Saint-Pierre-sur-Dive, dont l'abbé Foulques avait été injustement déposé depuis près de cinq ans. Foulques étant revenu de Rome, quelques années après, avec une bulle du pape, qui le rétablissait dans sa charge, Etard lui abandonna la crosse et se retira dans son premier
monastère, où il vécut jusqu'à la vieillesse dans l'héroïsme de toutes les vertus (1).
Dès que le nouvel abbé de Jumièges fut arrivé, il fit paraître une hauteur qui révolta tous les esprits. On crut cependant qu'elle était affectée, et qu'il la jugeait nécessaire pour punir ses moines du mécontentement qu'ils avaient témoigné en apprenant son élection ; ils le pensèrent eux-mêmes, et ils crurent avoir trouvé la raison d'une roideur si déplacée dans l'idée qu'il pouvait avoir qu'ils seraient difficiles à contenir, étant prévenus contre lui. Ainsi ils tâchèrent de le désabuser par une conduite également soumise et régulière ; mais la fierté de Tancard, qu'Orderic appelle un lion furieux (2), n'ayant d'autre principe que son orgueil, augmenta toujours, au lieu de diminuer, et dégénéra insensiblement en une dureté si rebutante et si insupportable, qu'elle scandalisa tout le monde et excita bientôt un soulèvement universel. L'orage fut néanmoins près de quatre ans à éclater, quoique le silence des religieux demandât justice au Ciel des mauvais traitements qu'ils souffraient. D'où l'on peut juger qu'ils
n'étaient pas si ennemis du gouvernement que l'abbé se l'était imaginé, et que la rébellion aux ordres mêmes d'un supérieur leur paraissait un crime. Aussi leur a-t-on souvent entendu dire que l'excès de sa passion, loin de les rebuter, redoublait leur courage, et qu'ils ne rompaient jamais jusqu'à la extrémité les liens sacrés de l'obéissance qu'ils lui avaient jurée et qui les lui assujettissaient.
Tancard ne laissa pas de faire quelques conquêtes à la religion dans cet intervalle ; il gagna à Dieu, dès le
mois de juin de l'an 1097, un jeune chevalier, nommé Odard, qui retournait de Jérusalem ; et le jeune novice, en reconnaissance de la grâce qu'on lui faisait, donna à l'abbaye 4 arpents de vignes et 12 journaux (3) de terre à Longueville, que son frère Richard confirma l'année suivante (1098), par un acte authentique, qu'il déposa sur l'autel de la Vierge le jour de sa profession, 24 juin. Deux ans après, Gilbert, fils de Robert, archidiacre d'Évreux, lui présenta son fils Hugues, encore enfant, et le consacra à Dieu entre ses mains selon la forme prescrite dans la règle de Saint-Benoît (4). Gilbert accompagna cette pieuse cérémonie
de la restitution de l'église et des dîmes de Saint-Martin de Rouvray, que son père avait usurpées. Depuis ce temps, nous ne trouvons rien de l'abbé Tancard, jusqu'en 1101, qu'il fut chassé avec infamie, après la mort de Guillaume-le-Roux, son protecteur, et contraint de retourner à Fécamp, d'où il était parti (5).
URSON, TRENTE-TROISIÈME ABBÉ (1101).
Son départ fut pour les religieux de Jumièges une grâce inestimable de salut et une source de paix et de tranquillité. Le duc Robert, qui n'ignorait pas qu'on rendait le roi Guillaume son frère responsable des troubles qui les avaient agités pendant quatre ans, leur accorda la permission de se choisir un abbé, et ils élurent, d'une voix unanime, Urson, dont ils connaissaient le mérite depuis plus de vingt-trois ans qu'il demeurait avec eux. On dit qu'il était de Rouen
et qu'il n'avait encore que dix-sept ans quand il prononça ses vœux ; il était homme d'esprit, naturellement éloquent, insinuant, persuasif, versé dans la science des Saintes Écritures, et très éclairé sur tout ce qui regardait les pratiques régulières ; il était d'un caractère doux, mais plein de zèle et de courage ; il aimait la communauté, il en était chéri, de sorte que l'on s'accorda d'une voix commune à le nommer pour remplir le siège abbatial ; mais, comme il était sans ambition, il fut au désespoir que les suffrages se fussent réunis sur lui. Effaré du poids de la charge qu'on lui imposait, il mit toute son industrie à le faire retomber sur un autre ; il n'épargna ni les prières, ni les remontrances, et, voyant que tout lui était inutile, il essaya d'intimider les électeurs par la crainte d'un gouvernement sévère, qu'il leur fit entrevoir dans un discours plein de feu sur les obligations d'un supérieur d'être le protecteur et le vengeur de la règle. Son éloquence n'eut pas le succès qu'il en attendait. Ses frères ne furent que plus confirmés dans la résolution de soutenir leur choix et de le faire bénir incessamment. Il le méritait plus que tout autre par l'étendue de sa doctrine et par la ferveur de sa piété. Aussi fut-il contraint de se soumettre, et de
leur donner cette dernière marque de son obéissance. Ainsi finirent le schisme et la division qui avaient régné
près de quatre ans dans l'abbaye de Jumièges, et qui lui avaient fait souffrir l'éclipse dont parle Ives de Chartres dans sa lettre à Urson (6) en faveur d'une brebis égarée, qu'il le prie de recevoir avec indulgence,
sans néanmoins trahir les intérêts de la religion et le salut du déserteur pénitent.
Urson, que quelques auteurs appellent Ursus, pour le distinguer du second abbé de Montebourg, du même nom (7), ne perdit pas un seul des moments dont le calme lui permit de profiter pour gagner et exciter tous ses religieux à la vertu ; il travailla surtout à ranimer, par de fréquentes exhortations, la ferveur dans les divins
offices, l'amour du silence et l'esprit de pauvreté, ce qui ne l'occupa que très peu de temps, parce qu'il trouva
des religieux dociles à sa voix et disposés à tout bien ; il continua cependant ses conférences, et quatre ans se
passèrent de la sorte sans que nous ayons d'autres lumières sur ce qui le regarde, si ce n'est qu'au mois d'août de la quatrième année, il s'adressa à Guillaume de Tancarville, officier de la Chambre de Henry I, roi d'Angleterre, pour lui demander la confirmation du patronage et des dîmes de Mirville en Caux (8), que Foulques de Mirville avait donnés à l'abbaye de Jumièges, en 1079, pour l'entretien des lampes, et que Raoul, père de Guillaume de Tancarville, avait confirmé, la même année, avec Jean de Bayeux, archevêque de Rouen. Guillaume consentit volontiers à la demande d'Urson, et engagea même Adam de Mirville, fils et héritier de Foulques, à confirmer de nouveau la donation de son père ; ce qui fut exécuté, par une charte datée de Tancarville, le 13 des calendes de septembre 1105 (9), mais, dès le milieu du même siècle, l'abbaye de Jumièges ne possédait plus rien à Mirville, dont le patronage appartient au seigneur.
Tandis qu'Urson s'occupait ainsi du spirituel et du temporel de son église, le roi d'Angleterre envoya
Guillaume de Warelwast (10), évêque d'Exeter, au Bec, prier S. Anselme de revenir au plus tôt à Cantorbéry (11), l'assurant qu'il était entièrement disposé à suivre ses conseils et à être toujours d'accord avec l'Église romaine (12). Le prélat était alors malade, mais Guillaume, qui désirait sincèrement son retour à la liberté de l'Église, lui fit sentir le danger qu'il y avait à différer de profiter de la bonne disposition du roi, et le pressa tant, qu'il partit du Bec en cet état, malgré les instances des religieux, qui voulaient le retenir jusqu'à la fin de sa maladie. Ils vinrent l'un et l'autre à Jumièges, ou S. Anselme comptait ne passer que quelques jours avant de s'embarquer, mais son mal augmenta de telle sorte qu'il ne put aller plus loin. C'était environ le commencement du mois de mai de l'an 1106. Saint Anselme dépêcha aussitôt vers le roi Henry, pour lui faire savoir la cause de son retard. L'évêque d'Exeter aurait fort souhaité que le prélat eût chargé quelques religieux de Jumièges de ses lettres ; mais celui-ci s'en excusa, sous prétexte qu'il serait plus facilement agréer ses raisons au roi. Ainsi Guillaume fut forcé de prendre sur lui la commission et de se séparer de S. Aselme après huit jours de séjour à Jumièges. Quant à l'archevêque, il y demeura jusqu'à la mi-juin, et retourna ensuite au Bec, attendre le roi, qui lui avait mandé de prendre du repos, de ménager ses forces et qu'il passerait incessamment en Normandie. Il y vint effectivement, peu de temps après, et passa la fête de l'Assomption de Notre-Dame au Bec, où le prélat célébra solennellement la messe en sa présence, et convint avec lui de tous les articles qui les avaient divisés.
La même année 1106, qui fut aussi celle de l'entière réduction de la Normandie sous l'obéissance du roi Henry, l'abbé du Mont-Saint-Michel fut transféré à l'abbaye de Corneli, en Angleterre, et le roi donna sa place à Roger, prieur de Jumièges, qui la conserva jusqu'en 1123 ; qu'ayant obtenu une pension de 25 marcs d'argent, il revint à Jumièges, où il mourut le 2 avril de l'année suivante. L'auteur anonyme de la Chronique du Mont-Saint-Michel (13) en parle avec honneur, et le décore du titre de sage et religieux personnage (14), éloge qui renferme en peu de mots tout ce que nous pourrions dire de la pureté de sa vie et des connaissances qu'il avait acquises pour la conduite des âmes. Il fit réparer l'église et les recettes, qui avaient été brûlées par le feu du ciel ; il enrichit la sacristie de plusieurs beaux ornements ; il fit bâtir un dortoir, un réfectoire et la salle des chevaliers, et, si l'on en croit l'auteur déjà cité (15), l'abbaye lui est presque redevable
de tous ses édifices et du rétablissement de la discipline, dont son prédécesseur s'était mis peu en peine (16).
Quelque temps après le départ de Roger pour le Mont-Saint-Michel, et dans le même voyage au roi Henry en Normandie, ce prince donna à l'abbaye de Jumièges la terre de Dudelle, dans la forêt de Roumare, à 2 lieues environ de Duclair (17). La charte est datée de l'an 1107 et signée de Guillaume Bonne-âme, archevêque de Rouen. Robert de Chandos, fondateur du prieuré de Beaumont-le-Perreux, fut chargé d'en investir les moines, mais on ignore si l'ordre du roi fut exécuté ; ce qu'il y a de certain, c'est que cette terre est sortie des mains des religieux, et qu'il n'en
est plus fait mention depuis la charte de Henry II, fils et successeur de Henry I, qui l'avait aumônée à l'abbaye.
L'année suivante (1108), Urson, voyant la paix affermie dans la province par la soumission des partisans du duc Robert au roi d'Angleterre, son jeune frère, songea tout de bon à faire restituer à son monastère les biens qu'on lui avait pris pendant les troubles. L'église et dîme de Gauville (18), avec une terre assez considérable dans la même paroisse, étaient de ce nombre ; et il n'y avait sorte de traverses que les religieux n'eussent essuyées à son occasion depuis plus de quatre-vingt-dix ans. Voici comme Urson en parle dans sa notice qu'il nous en a laissée :
«Tedbold avoit donné Gauville à l'abbaïe de Saint-Pierre pour cent sols de deniers, monnoie de Chartres. Foulques, son fils, s'en étant ressaisi par violence, Albert le Riche le retira de ses mains, moiennant 6 livres de deniers, que Gilbert Crespin lui fit accepter ; mais Foulques étant mort, son frère Guérin s'en rendit le maître, et les religieux eurent beau se plaindre, leurs clameurs, quoique justes, furent infructueuses ; ils ne purent rien obtenir de l'usurpateur pendant sa vie. Guilbert, son fils et son héritier, suivant l'exemple de son père, s'empara de Gauville
comme d'un bien de patrimoine, et ferma l'oreille aux remontrances des moines et de ses amis mêmes, jusqu'à ce qu'aiant été blessé d'une flèche dans une embuscade avec ses gens, l'idée d'une mort prochaine le contraignit à le leur rendre, à condition qu'ils lui donneroient l'habit monastique et qu'ils emporteroient son corps à Jumièges, pour y être enterré comme un religieux, ce qui fut exécuté ; mais ses frères, encore plus méchants et plus injustes, regardant ces biens comme un héritage qui leur etoit propre, s'en saisirent de nouveau. Les moines renouvelèrent leurs plaintes et
firent plusieurs poursuites en justice, dont ils ne purent voir la fin durant la guerre. La paix aiant été rendue à la Normandie par la déroute du duc Robert et de son armée, à la bataille de Tinchebrai (19), Urson
envoia un de ses moines au Vieux-Verneuil (20) avec ordre de reprendre l'instance et de citer les usurpateurs au tribunal de Gilbert Crespin, fils de l'ancien Gilbert, seigneur dominant, et juge en cette partie. Les usurpateurs comparurent et plaidèrent leur cause. Le moine député parla ensuite, et Gilbert, ayant reconnu l'injustice des premiers, les condamna à restituer la terre avec ses dépendances et en ressaisit les religieux, par une sentence datée du chateau de Tillières, l'an 1109.»
Vers le même temps mourut Raoul, abbé de Saint-Taurin d'Évreux. Il avait été religieux de Fécamp, dont l'abbaye de Saint-Taurin dépendait alors, par une concession de Robert I, duc de Normandie. Cet assujettissement déplaisait depuis longtemps aux moines de Saint-Taurin ; mais la difficulté était de secouer un joug qu'ils avaient eux-mêmes souffert qu'on leur imposât. Ils l'entreprirent, à la mort de Raoul, en choisissant un de leurs confrères pour lui succéder, sans en donner avis à ceux de Fécamp. Ceux-ci, instruits de la convention, portèrent leurs plaintes au roi Henry, qui voulut bien en être le juge, avec Guillaume Bonne-Âme, archevêque de Rouen, Turold de Bayeux, Gilbert d'Évreux, Hilgot
abbé de S. Ouen, Arnoult de Troarn, Urson de Jumièges et Gautier de la Sainte-Trinité-du-Mont. L'abbé de Fécamp fut maintenu dans le droit de nommer et de déposer les abbés de Saint-Taurin, et de changer les religieux à son gré (21).
L'archevêque Guillaume, dont il est ici parlé, mourut aussi au mois de février 1110 (22), et eut pour successeur, après dix mois de vacance, Geoffroy, doyen de l'Église du Mans, et frère de Judicaël, évêque d'Aleth.
Urson eut le bonheur de lui plaire et de s'en faire un protecteur pour les intérêts de sa maison. Il entra avec
lui dans un détail exact de tout ce qu'elle avait souffert depuis que le duc Robert était revenu de Palestine. En
effet, elle avait été pillée plusieurs fois sous la domination de ce prince par une bande de voleurs et de scélérats,
qu'il protégeait, soit par crainte, soit par indolence. L'usurpation de Baudouin trouva naturellement sa place dans la suite des entretiens d'Urson avec l'archevêque. Mais, pour en donner une juste idée, il faut reprendre la chose de plus loin et l'approcher d'un point capital de l'histoire de Rouen, que nous n'avons pu montrer jusqu'ici.
Du temps de Robert, duc de Normandie et frère de Henry, roi d'Angleterre, il s'éleva dans la ville de Rouen une fâcheuse querelle, dans laquelle plusieurs familles furent engagées par des motifs différents (23). Les chefs se nommaient Pilate et de Caux, d'où l'on appela leurs partisans Pilatins et Cauchos. Un des principaux du parti pilatin, nommé De Claire, que son mérite et son service rendait cher à l'abbé et aux religieux de Jumièges, leur demanda la tour d'Alvérède, qui était très forte, et l'obtint pour quelque temps, avec les maisons voisines, qui étaient elles-mêmes très fortifiées. De Claire s'y retira avec sa famille et devint redoutable au parti cauchois ; il y eut beaucoup de sang répandu de part et d'autre, pendant près de cinq ans que la mésintelligence dura entre les chefs de parti. Mais Henry, dont les Normands avaient imploré le secours, ne pouvant en attendre de leur propre duc, eut pitié du malheur de la Normandie, et y rétablit la paix en lui faisant changer de maître. Il eut été facile à l'abbé de Jumièges de rentrer en possession de la tour d'Alvérède et des maisons voisines, qu'il n'avait
cédées que pour un temps ; mais il lui parut indécent d'en faire sortir un ami, qui lui en payait les loyers avec beaucoup d'exactitude, et qui l'y recevait d'ailleurs avec joie, lui et ses religieux, quand leurs affaires les appelaient à Rouen. Bien lui en eût pris cependant ; car, De Claire étant mort quelques années après, Beaudouin prétendit que ces maisons lui appartenaient, à titre de fils et d'héritier ; et ce fut inutilement qu'Urson eût recours auprès de lui aux chartes de l'abbaye, pour établir une possession de plus de quatre cents ans ; c'est-à-dire depuis S. Filibert, fondateur de Jumièges, auquel S. Ouen les avait données, pour l'y avoir injustement emprisonné.
Geoffroy n'écouta pas ce récit avec indifférence. Son indignation éclata contre l'usurpateur, et il ordonna à Urson de le citer incessamment à son tribunal. L'affaire y ayant été portée, fut jugée en faveur des religieux, en présence de l'évêque de Lisieux, de Robert comte de Meulant, de Gilbert de l'Aigle, de Guillaume de Tancarville, de Guillaume
de Ferrières, et d'un grand nombre d'autres seigneurs (24).
Tandis qu'on plaidait cette affaire à Rouen, Baudry, évêque de Dol (25), ne pouvant remédier aux désordres de ses diocésains, ni souffrir plus longtemps leur méchanceté, abandonna la Bretagne et vint en Normandie, où
il avait une terre et une maison de plaisance sur la rivière de Risle, dans le territoire des trois paroisses de Saint-Sanson, de la Roque et du Marais-Varnier (26), qu'on sait être encore aujourd'hui soumises immédiatement à la jurisdiction spirituelle de l'évêque de Dol. Baudry avait pris résolution, en quittant son diocèse,
de ne travailler qu'à sa propre sanctification ; mais les abbés de la province, connaissant ses talents, voulurent
profiter de sa sagesse et de ses avis. Ils le visitèrent souvent, et ils l'engagèrent quelquefois à sortir de sa
retraite. L'abbaye de Jumièges eut plus de part que toutes les autres au fruit de ses sorties. Il y passait
quelquefois six semaines entières, gardant le silence et la solitude comme les religieux, et vivant dans une
innocence et simplicité admirables (27). On rapporte à l'un de ses séjours à Jumièges l'histoire de la translation du chef de S. Valentin ; il la composa dans l'abbaye même, après le miracle de Bliquetuit, dont il
avait été témoin (28).
Les habitants de Jumièges n'avaient point eu jusque-là d'autre église que l'abbaye ; ils y faisaient l'office,
après celui des religieux, premièrement dans la basilique de Saint-Pierre, et ensuite dans la nef de la grande église, où l'on voyait encore en 1694 un reste de fonts baptismaux, lorsqu'en cette même année on la fit paver à neuf. Mais les bienfaits que ces mêmes habitants recevaient continuellement de Dieu, par l'intercession de S. Valentin, qu'ils avaient choisi pour patron, les portèrent à demander une église sous son nom, avec offre de contribuer de leurs travaux et de
leurs facultés à sa construction. L'abbé ne fut pas obligé de se faire violence pour acquiescer à leurs désirs, quand il vit sa communauté réunie faire les derniers efforts pour appuyer leur demande. L'incommodité d'une troupe de paysans, qu'il fallait souffrir dans la maison, les fêtes et dimanches, jointe à la sollicitation de ses religieux, qui crurent devoir donner à S. Valentin cette marque de reconnaissance et de dévotion, le détermina sans peine. On choisit un fonds de terre à mi-côte, et l'on y bâtit, en fort peu de temps, une église assez belle pour n'être en rien inférieure à toutes celles du pays qui ont quelque réputation, comme on le peut voir par la nef, qui subsiste encore aujourd'hui, et qui montre bien qu'on n'y avait rien épargné (29). L'année de sa dédicace
nous est inconnue, mais le jour en est marqué, dans l'ancien martyrologe de l'abbaye, au 15 novembre.
Les paroisses de Jumièges, du Mesnil et d'Yainville, avec la chapelle de Saint-Nicolas du Trait, renfermées dans la péninsule, étaient alors exemptes de la juridiction de l'archevêque de Rouen et de son archidiacre. L'abbé seul l'exerçait sur les curés et le clergé de ces trois paroisses, avec une autorité presqu'épiscopale, de sorte qu'il ne lui manquait que le pouvoir de conférer les ordres ; encore en était-il dédommagé par le droit d'examiner ceux qui s'y croyaient appelés, et de leur donner des dimissoires pour les faire recevoir de l'évêque qu'il voudrait leur indiquer. Les causes ecclésiastiques étaient portées à son tribunal, et ses jugements réputés canoniques ; on n'en pouvait appeler qu'au pape ou à l'archevêque (30). Il y avait même des cas, comme la destitution d'un prêtre et l'interdit d'une église, où l'appel comme d'abus à l'archevêque était nul. Le prélat n'en pouvait connaître sans une commission du souverain pontife, auquel ces sortes d'appels étaient dévolus ; ses mandements n'obligeaient à rien, et
les curés n'en pouvaient faire la publication qu'après qu'ils leur avaient été envoyés par l'abbé, ou le prieur,
claustral en son absence. Il n'en était pas de même des décrets du Concile provincial ; soit que l'abbé y eût assisté en personne ou par procureur, il fallait en pour suivre l'exécution. Aussi l'abbé de Jumièges était-il obligé de tenir, immédiatement après, un synode extraordinaire, pour en donner connaissance aux prêtres de son exemption, et les faire observer.
Cependant la tranquillité, que le roi Henry avait rétablie dans la province après la bataille de Tinchebrai, qui lui avait assujetti toute la Normandie, donna à peine le temps aux peuples fatigués de reprendre haleine. Dès l'année 1109, Hélie de S. Saëns, auquel il avait remis la garde de son neveu Guillaume, fils encore mineur du duc Robert, se voyant chargé du gouvernement de Falaise, forma un parti en faveur du jeune orphelin, et jugea qu'il pouvait se déclarer ouvertement pour ses intérêts ; il engagea plusieurs seigneurs normands dans sa cause; Robert de Belesmes
devint le plus ardent de ses partisans ; Foulques, comte d'Anjou, et Louis-le-Gros, qui avait succédé à Philippe, roi de France, entreprirent de secourir ce prince, pour lui faire recouvrer l'héritage paternel. Henry, informé de ces préparatifs, repassa en Normandie, et commença la guerre, où il eut différents succès contre les partisans de son neveu.
L'abbaye de Jumièges souffrit de grandes pertes dans cette occasion ; mais elle s'en serait relevée facilement, après le traité conclu la même année, si la guerre n'avait recommencé, cinq ans après, entre les deux rois de France et d'Angleterre, qui brûlèrent et ravagèrent tout le pays. Le roi Henry, pour remédier à ces désordres, fit tenir un Concile à Rouen, le 7 octobre 1118 ; il y traita de la paix, entre lui et le roi de France, avec Raoul, archevêque de Cantorbéry, et les barons de la province de Normandie, qu'il avait convoqués, tandis que Geoffroy, archevêque de Rouën,
traita des affaires de l'Église (31), avec Richard, évêque de Bayeux, Jean de Lisieux, Turgis d'Avranches et Roger de Coutances. L'abbé Urson assista à ce même Concile, avec Roger, abbé de Fécamp, et plusieurs autres abbés, dont Orderic Vital nous a conservé les noms. Conrad, légat du pape Gélase II, présida au Concile, et s'y plaignit fortement de l'empereur et de l'antipape Bourdin, demandant aux évêques et aux abbés le secours de leurs prières et de leur argent pour le pape, que la persécution avait réduit à venir au deçà des Alpes comme en exil (32). On ignore si la harangue eut quelqu'effet.
Gélase mourut le 29 janvier de l'année suivante, et fut enterré à Cluny. Les cardinaux qui étaient présents élurent en sa place Gui, archevêque de Vienne, fils de Guillaume-le-Grand, comte de Bourgogne, parent des empereurs et des rois de France et d'Angleterre, et on lui donna le nom de Calixte II. Il demeura plus d'un an en France et il y tint plusieurs Conciles, entre autres celui de Reims, où l'on traita de la paix entre l'Église et l'Empire (33). Urson, abbé de Jumièges, y assista, avec les évêques et les abbés de Normandie, et quelques prélats d'Angleterre, qui étaient alors à Rouen, auprès du roi Henry, contre lequel Louis-le-Gros porta ses plaintes au sujet de la Normandie, qu'il disait lui avoir été enlevée par ce prince, pour ne lui en avoir pas fait hommage depuis qu'il en avait dépouillé le duc Robert son frère. Geoffroy, archevêque de Rouen, avec les évêques et abbés de la province, voulut répondre à ces plaintes, mais il s'émut un si grand tumulte, que le pape fut obligé de rompre l'assemblée sans avoir pu entendre la réponse des Normands. On fit cinq décrets dans ce Concile, depuis le 20 octobre 1119 jusqu'au
30 du même mois, contre les principaux abus qui régnaient alors ; contre la simonie, les investitures des évêchés et des abbayes, les usurpateurs de biens de l'Église, le trafic des choses saintes, et l'incontinence des clercs.
Urson, étant revenu du Concile de Reims, s'appliqua tout entier au maintien de la discipline et à la réforme de quelques abus qui s'étaient introduits durant son absence, dans la nourriture et le vêtement des frères ; il fit de sages règlements à ce sujet, et afin que le remède fut plus prompt et plus efficace, il se chargea lui-même de l'exécution. Il n'y consacra pas néanmoins son loisir jusqu'à négliger les affaires temporelles de son monastère, quand il trouvait occasion d'y travailler. Ce fut dans cette vue qu'avec le consentement de sa communauté, il céda, sur la fin de la même année 1119, à un nommé Herbert, de Lisieux, le fief et terre de Hauville (34) pour l'espace de trente ans, moyennant une redevance annuelle de 60 francs, monnaie de Rouen, et à condition qu'il y ferait construire autant de bâtiments qu'il serait nécessaire pour loger commodément le maître et le fermier après l'expiration de son bail. Telle est l'origine du manoir seigneurial de Hauville, sur les terres que Guillaume et Osberne de Hotot avaient données à l'abbaye en 1073, dans l'étendue du fief qui lui avait été aumôné, vers l'an 1056, par Gilbert Crespin. On lui a donné le nom de Cour-l'Abbé dans la suite des temps.
Il est triste pour nous que les mémoires de l'abbaye de Jumièges ne nous aient rien conservé, ni le détail, ni le succès des travaux d'Urson, depuis ce dernier acte jusqu'à sa mort. Le peu qui nous en reste est une charte, écrite de sa main, en très beaux caractères, et dans des termes qui ne respirent que la charité, en faveur de Robert de la Haie, qu'il gratifiait d'un arpent de terre à Longueville, pour y bâtir une maison, exempte de toute autre charge que du service de l'Église, quand il en serait requis, et qu'il ne serait pas occupé pour le roi ; mais cette pièce unique ne nous dédommage pas de ce qui nous manque. Il mourut, regretté du peuple et de sa communauté, le 27 octobre 1127, et fut enterré dans la partie supérieure du chapitre, où l'on voit encore sa tombe en petits carreaux qui le représentent (35). Voici son épitaphe, Epitaphium Domni Ursi quondam Abbatis Gemmeticensis quiescentis in Capitulo ante Aquilam se Pulpitum ejusdem loci :
Hic sub mole jacet pius abbas Urso sepultus ; Luctus non modicus fratribus et populo. Hic res ecclesiæ rexit sic intus et extra Ut nullis causam murmuris inde daret. Victum et vestitum præbebat sufficienter Sanis, infirmis, sicuti opus fuerat. Milibus ille fuit mitis, rigidusque superbis, Devius in nullo tramite justitiæ. |
GUILLAUME, TRENTE-QUATRIÈME ABBÉ (1127).
Les religieux de Jumièges, se voyant sans abbé, firent choix de deux députés, qu'ils envoyèrent à Rouen vers le roi Henry, pour avoir permission d'en élire un autre. L'ayant obtenu, ils tinrent chapitre, et résolurent de ne se point séparer que l'élection ne fût faite. Elle ne traîna pas en longueur ; un de leurs confrères avait gagné leur estime et mérita toute leur attention. C'était un vieillard d'environ soixante ans, nommé Guillaume, qui portait sur son
front et dans toutes ses démarches je ne sais quoi de respectable, qui se décalait malgré son humilité. Il fut élu d'une commune voix ; mais on eut bien de la peine à vaincre sa modestie, et ce ne fut qu'après bien des instances qu'on vint à bout de lui persuader d'accepter cette dignité. Le temporel du monastère était alors dans une désolation presque générale, causée par la révolte de plusieurs seigneurs de la province, qui s'étaient réunis en différents temps avec le roi de France, pour rétablir Guillaume, fils du duc Robert, dans le duché de Normandie. D'un autre côté, le roi d'Angleterre avait fait défense aux abbés de prêter le serment aux évêques après leur élection et les évêques, pour
s'en venger, refusaient de les bâtir. Ces considérations, jointes à l'idée que Guillaume avait de son incapacité,
ne servaient qu'à lui inspirer plus d'éloignement pour une charge dont il appréhendait les périls et les inquiétudes, qui ne manquent jamais de l'accompagner.
Nous ne savons sur quel fondement l'éditeur du sixième tome des Annales de l'ordre de S. Benoît (36) et les auteurs de Gallia christiana (37) ont avancé que Guillaume n'avait point encore reçu la bénédiction abbatiale au mois de juillet 1132, lorsque le pape Innocent II écrivit à l'archevêque de Rouen pour l'exhorter à consentir aux volontés du roi et à lever les censures qu'il pourrait avoir prononcé contre les abbés de son diocèse, qui avaient refusé de jurer la soumission à son siège (38). Nous avons de la peine à croire que Geoffroy, qui était encore archevêque de Rouen au temps de l'élection de notre abbé, lui ait refusé ce qu'il avait accordé trois ans auparavant à Boson, abbé du Bec, quoique celui-ci n'eût jamais voulu faire la profession d'obéissance que l'archevêque exigeait. Si Alain, abbé de Saint-Wandrille, ne put obtenir la même faveur, c'est que Geoffroy était mourant, et que Hugues d'Amiens, son successeur, voulut absolument assujettir les abbés à cette formalité. Aussi voyons-nous que le pape ne fait mention que de l'abbé de Saint-Wandrille dans la première lettre qu'il écrivit de Pise à l'archevêque Hugues, pour lui promettre sa protection contre cet abbé, s'il s'opiniâtrait davantage à lui refuser l'obéissance (39). Quel privilège pouvait avoir l'abbé de Jumièges, pour n'être pas compris dans les plaintes de l'archevêque, ni dans la réponse du souverain pontife à ce prélat (40) ; il semble qu'on ne doit point en chercher la cause ailleurs que dans la bénédiction qu'il avait reçue de Geoffroy, qui était certainement son ami, et qui ne croyait pas son droit encore assez affermi pour l'exiger à la rigueur d'un abbé de l'ordre de Saint-Benoît, où l'on pouvait s'autoriser de l'exemple du bienheureux Guillaume de Dijon, qui avait refusé de
prêter serment à l'évêque de Verceil, qui voulait l'ordonner diacre, soutenant que c'était un abus et une espèce de simonie (41).
Quoiqu'il en soit, Guillaume se trouva, l'année d'après son élection (1128), au Concile de Rouen que le cardinal Mathieu, évêque d'Albane et légat du Saint-Siège, tint en cette ville, au mois d'octobre, avec les évêques de Chartres, de Soissons, de Bayeux, d'Avranches, de Lisieux, de Coutances et de Séez (42). Il y avait aussi plusieurs abbés, dont les plus distingués étaient Roger de Fécamp, Guillaume de Jumièges, Rainfroi de Saint-Ouen, Varin de Saint-Evroult, Philippe de Saint-Taurin, et Alain, élu abbé de Saint-Étienne de Caen. On fit plusieurs règlements de discipline en ce Concile, en présence du roi, et du consentement de l'archevêque Geoffroy, qu'on allait consulter à son lit. Un de ces décrets porte que les abbés et les moines ne recevront point de dîmes ecclésiastiques de la main des laïques, mais que les laïques rendront à l'évêque les biens qu'ils auront usurpés, et que l'évêque les restituera aux moines, selon l'intention des donateurs ; de là ce nombre prodigieux de chartes d'évêques et d'archevêques en faveur de l'abbaye de Jumièges, qui leur ont acquis le titre de bienfaiteurs, quoiqu'ils ne lui aient donné que ce qu'ils ne pouvaient justement retenir.
Geoffroy, archevêque de Rouen, mourut le 28 novembre de la même année. L'abbé de Jumièges, ayant appris sa mort, célébra solennellement la messe pour le repos de son âme, et fit insérer son nom dans le nécrologe, avec obligation de lui faire tous les ans un service au jour de son décès. Quelque temps après, un gentilhomme de Mantes, nommé Guidard de Farcis,
donna à l'abbé Guillaume et à ses religieux une petite terre dans la paroisse de Saint-Martin-de-Boafle (43), à condition qu'ils seraient reçus gratuitement, lui et son fils, s'ils voulaient embrasser l'état religieux. L'acte fut déposé sur l'autel de Jumièges, et prouve, ce semble, assez bien qu'on exigeait dès lors des pensions de ceux qui se consacraient à Dieu dans le cloître. Au reste, on ne doit pas s'en étonner, puisque l'abbaye était très pauvre, à cause des guerres sanglantes et dispendieuses dont la Normandie fut presque toujours le théâtre, sous le règne de Henry, jusqu'à la mort de Guillaume, fils de Robert, qui mourut, en 1127, d'une blessure, devant la ville d'Alost.
S'il ne se passa rien de considérable à Jumièges pendant les cinq ou six années qui suivirent, on les employa du moins en partie à réparer les pertes qu'on avait faites durant la guerre, et il paraît qu'on y réussit, puisqu'en 1124, l'abbé Guillaume et ses religieux, voulant obliger le roi et les barons de la province, se trouvèrent en état de disposer, en faveur des abbés et religieux de Saint-Martin de Séez, du patronage utile et des dîmes de Serans (44) et de la Potterie (5), et de ce qui appartenait à ces deux églises ; elles avaient été données à l'abbaye par Richard II (46), au moyen d'une redevance annuelle de 10 sols, payables au jour de Saint-Jean-Baptiste, ainsi qu'il se voit par un contrat du cartulaire de l'abbaye de Séez, qui jouit encore du patronage et des dîmes de ces deux paroisses, sans aucune prétention sur le fief de Serans, que l'abbé et les religieux de Jumièges s'étaient réservé. L'acte de cession est daté de Rouen et souscrit par Durand, prévôt de Saint-Martin, Robert du Bosc, fils de Renaud, et Raoul du Mesnil, tous deux moines de Jumièges, et députés par la communauté pour accompagner l'abbé Guillaume.
L'année suivante (1135) est remarquable par la mort de Henry, roi d'Angleterre et duc de Normandie. Orderic Vital, et quelques auteurs après lui, l'ont placée au 1er décembre, mais le nécrologe de l'abbaye et un manuscrit de ce temps-là n'en font mention que le 2 du même mois, auquel on a fixé son anniversaire (47). Elle fut précédée d'une horrible tempête, qui dura depuis le coucher du soleil jusqu'au lendemain six heures (48).
Les religieux de Jumièges ne profitèrent pas longtemps après son décès de la restitution que l'archevêque Geoffroy leur avait fait faire de la tour d'Alvérède. Étienne III, fils du comte de Blois et d'Adèle, fille de Guillaume-le-Conquérant, ayant succédé à son oncle, tant au duché de Normandie qu'au royaume d'Angleterre, malgré les précautions que ce prince
avait prises pour assurer la couronne à Mathilde, sa fille, veuve de Henry I, se laissa surprendre aux calomnies de De Claire (49), frère de Beaudouin, et le renvoya en possession de la tour et des maisons qui en dépendaient. L'abbé Guillaume, qui ne se croyait point fait pour les biens de la terre, auxquels il avait renoncé, ferma les yeux à l'injustice, et laissa jouir l'usurpateur. Mais le cellérier de la maison, nommé Gilbert de la Mare, n'eut pas la même complaisance ; il porta ses plaintes à divers tribunaux, dont il n'eut pas lieu d'être content, parce qu'on n'osait y juger en sa faveur, dans la crainte d'offenser le roi, protecteur de sa patrie. Voyant que la chose n'allait pas aussi vite qu'il avait sujet de l'espérer, il se pourvut en déni de justice devant Guillaume de Roumare, grand sénéchal de Normandie. Alors les amis de De Claire et de l'abbé de Jumièges résolurent de les accommoder. On choisit
pour cela la ville de Rouen et la maison d'Ouën Postel, où les parties se trouvèrent, le dimanche avant Noël, 18 décembre 1138. Il fut arrêté, pour le bien de la paix, que l'abbé donnerait 4 marcs d'argent à De Claire, qui lui ferait une cession en bonne forme de ce qu'il y avait entr'eux de contentieux, et la ferait ratifier par ses enfants â leur retour d'Angleterre, où ils avaient suivi le roi Étienne. L'acte est du même jour, 18 décembre 1138, et est signé de Louis, abbé de Saint-Georges de Boscherville, de Galeron, comte de Meulant, de Guillaume de Varenne, son frère, de Hugues de Gournay, de Robert de Neubourg, de Jean De La Londe, de Roger de Pavilly, de Raoul de Bos-Robert, et autres seigneurs de la province, qui étaient parvenus par leur médiation à faire cet accommodement.
L'entreprise de De Claire fut suivie d'une beaucoup plus dommageable à l'abbaye de Jumièges, si elle eût réussi au gré de l'agresseur. Henry, évêque de Winchester, se saisit d'une partie de l'île d'Helling (50), en Angleterre, et réduisit les moines qui desservaient le prieuré à une telle indigence, que deux d'entre eux furent contraints de repasser la mer et de rentrer leur premier monastère. On conseilla à l'abbé Guillaume d'aller trouver le roi et lui présenter ses titres de possession, mais il refusa, parce que l'évêque était frère du roi. Cependant, pour ne pas trahir les droits de son abbaye, il s'adressa au pape Innocent II, qu'il avait eu l'honneur de saluer à Rouen en 1130 (51), et en obtint un bref pour la restitution des biens qu'Henry lui avait enlevés (52). L'évêque, l'ayant appris, aima mieux renoncer à ses prétentions que de courir les risques d'une excommunication, dont il était menacé. Il rappela les deux moines, qui s'étaient retirés à Jumièges, et renonça à ses prétentions sur l'île d'Helling, par une charte qu'on croit être de l'an 1140. Et en effet on ne peut guère en avancer ni reculer la date, puisque Théobald, archevêque de Cantorbéry, qui la signe comme primat de la Grande-Bretagne, ne fut sacré qu'en 1139, et qu'Innocent II, auquel l'abbaye est redevable de cette restitution, mourut le 23 septembre 1143.
Pendant ces démêlés avec De Claire et l'évêque de Winchester, un jeune gentilhomme, nommé Robert de Bonnebos, plus traitable que les autres, vint trouver l'abbé de Jumièges et renonça volontairement à une rente de 20 sols que son père avait exigée depuis plusieurs années sur le moulin de Maleville (53) dépendant de l'abbaye. Sa démarche lui fit d'autant plus d'honneur que, n'étant point inquiété par les moines, elle paraissait être le fruit d'une piété tendre envers son père et d'une salutaire componction que la grâce opérait en lui, par la crainte d'être réprouvé s'il persévérait plus longtemps dans son injustice (54). C'est ainsi qu'il s'en explique dans ses lettres, expédiées en 1138, dans le chapitre de Jumièges, en présence des religieux, à qui il promit de donner toute la satisfaction qu'ils voudraient exiger de lui.
Trois ans ou environ après, Hugues d'Amiens, archevêque de Rouen (55), remit à l'abbaye, sur la renonciation de Geoffroy, fils d'Osbert, la terre d'aumône de Hotot-l'Auvray (56) et leurs mines de grain, moitié froment et moitié avoine, que Geoffroy prétendait avoir droit de prendre sur cette église, dont le patronage et les dîmes appartenaient aux religieux de Jumièges. Peu de temps après, l'abbé Guillaume tomba malade et
mourut le 10 août 1142. Il fut enterré dans le chapitre, et l'on ordonna d'un commun consentement que tous les ans on célébrait son anniversaire solennel, en la manière prescrite dans le nécrologe pour les services de seconde classe.
EUSTACHE, TRENTE-CINQUIÈME ABBÉ (1142).
Eustache, prieur et religieux de la maison, fut élu abbé la même année, après une vacance de six semaines. Il était humble, doux et plein de charité, exact à tous les devoirs de l'observance, retiré, aimant le silence, appliqué constamment à l'oraison, même au milieu du travail, et fort intelligent dans les choses divines. C'est presque tout ce qui nous reste de la connaissance que nous devrions avoir des vertus et des actions de ce grand homme. Deux titres seuls nous font connaître son zèle et son application pour la conservation des privilèges et des biens de son abbaye. Le premier est une bulle du pape Eugène III, pour la liberté des élections et la sauvegarde de ces biens, dont il fait
ainsi le détail :
1° Dans l'archevêché de Rouen : la terre de Jumièges, où est située l'abbaye, avec l'église de Saint-Valentin et le hameau de Heurtauville ; le Mesnil, avec l'église de Saint-Filibert ; Yainville, avec l'église de Saint-André et ses dépendances ; Duclair, avec l'église de Saint-Denis ; la moitié de Trubleville, et le droit sur l'église du même lieu (cette église, fondée sous le nom de Saint-Cucuphat, et que l'on appelait la cure du Mouchel, a été détruite par succession de temps et réunie à celle de Saint-Paër-sur-Duclair, parce que le village de Saint-Paër s'était agrandi insensiblement des débris du bourg de Trubleville (57). Mais, depuis cette réunion, la cure a toujours été partagée en deux portions, dont la première, exempte de déport, appartient à l'abbaye) ; Norville (58), qui est une baronnie, avec l'église de Saint-Martin ; Trouville-la-Haule (59), avec l'église de la Sainte-Vierge ; Quillebeuf (60), avec l'église sous l'invocation de la Mère de Dieu ; Wambourg, avec l'église de Saint-Aubin ; Guisiniers, avec l'église de Saint-Denis ; Genesville, avec l'église de Saint-Pierre, les dîmes, et tout ce qui en dépend ; les églises de Saint-Vaast (61), de Hotot-l'Auvray, avec la chapelle de l'Emanville., qu'on dit être depuis longtemps unie à la cure, et qui subsistait avec beaucoup de vraisemblance dans le hameau qu'on appelle aujourd'hui d'Edmonville ; les églises de Saint-Martin de Foleni ou Fouligni (62), de Saint-Martin de Tourville-sur-Seine (63), de Saint-Pierre de Goui, de Saint-Martin à Druelle, de la Sainte-Trinité au Bos-Berenger, de Saint-Georges à Gros-Mesnil (ces trois dernières églises sont dans le territoire de Cotevrard, dont Druelle était le chef-lieu (64). Dans la suite,
le titre de la paroisse a été transféré à Saint-Nicolas de Cotevrard, le Bos-Berenger est devenu paroisse en titre,
et Druelle a dégénéré en simple chapelle, comme était Gros-Mesnil. L'abbaye de Jumièges présente à la cure de Cotevrard, à celle de Bos-Berenger et à la chapelle de Druelle, à cause d'un fief qu'elle possède à Cotevrard. La chapelle de Gros-Mesnil ne subsiste plus) ; la portion de Hauville ; Vieux-Port, avec la seigneurie, qui est un membre dépendant de la baronnie de Trouville-la-Haule ; les églises de Saint-André de Rouen, de Saint-Martin-Du-Parc (65), de Saint-Martin de Maleville, et de Sainte-Croix du Landin (66).
2° Dans l'évêché d'Évreux : les églises et seigneuries du Pont-de-l'Arche, de Jouy, de Gauciel, du Rouvray (67), de Saint-Pierre d'Antiu ou Longueville, de Saint-Marcel (67), de Saint-Étienne de
Canteloup (68), de Gauville et de Puiseux (69).
3° Dans le diocèse de Séez : les seigneuries et églises d'Oisy, Vieux-Fumé, Coulonces et Dame-Marie.
4° Dans le diocèse de Lisieux : les seigneuries et église de Sainte-Marie de Vimoutiers et de Saint-Michel de Crouptes.
5° Dans le diocese de Chartres : Verneuil (70), avec l'église de Saint-Martin de Boafle.
6° Dans l'évêché de Paris : la moitié de Ville-Juive (71), et vingt hôtes ou vassaux à Ivry (72).
7° Dans le diocèse de Beauvais : l'église de Saint-Pierre et de Saint-Léonard, avec ses dépendances, dans le territoire de Montaterre (73).
8° Dans le diocèse de Bayeux : l'église, terre et dîme de Saint-Pierre du Manoir (74), avec la dixième semaine de la coutume, et quelques terres et maisons à Bayeux.
9° En Angleterre : la plus grande partie de l'île d'Helling, avec les églises et dîmes de toute l'île : (le pape ne fait mention que d'une partie de la seigneurie, parce que l'évêque de Winchester était revenu sur la cession qu'il en avait faite sept ans auparavant, prétendant que l'abbé de Jumièges ne lui avait pas payé 100 marcs d'argent qu'il lui
avait promis. L'affaire ne fut consommée que quelques temps après, par la décision de Théobald, archevêque de Cantorbéry, qui avait assisté à l'accord fait entre les parties) (75).
10° Dans l'Église de Salisbury en Wiltonie (76) : les églises de Saint-Pierre de Winterbernestoche et
de la Madeleine de Theutoire, en circonstances et dépendances.
Cette bulle est datée des ides d'avril, indiction dixième, l'an 1147, la troisième année du pontificat d'Eugène III, qui y souscrivit avec trois cardinaux et deux archevêques (77). Tous les biens de l'abbaye n'y sont pas spécifiés, parce qu'elle n'en jouissait pas paisiblement, et qu'on l'avait même dépouillée d'une partie de ses anciennes possessions.
L'année suivante, l'abbé Eustache reprit le procès intenté en 1129 contre les religieux de Saint-Vincent du Mans, au sujet des églises de Saint-Pierre de Courtgains et de Saint-Hilaire de Soonne, qu'il soutenait être de l'ancien domaine de son abbaye, sous les noms de Curtwahan et de Segia, mentionnés dans la charte de Charles-le-Chauve pour les partages des biens de l'abbaye entre l'abbé Rodolfe et les religieux (78). Pour les y faire rentrer, il eut recours à la protection du pape, qui était encore à Reims, avec quelques évêques de France, d'Allemagne et d'Espagne, qu'il y avait assemblés pour la tenue d'un Concile contre les erreurs de Gilbert de la Porée. Mais le souverain pontife ne crut pas devoir s'arrêter à la discussion de cette affaire ; il nomma cependant deux commissaires pour en juger définitivement. Ces commissaires étaient Jules, cardinal-prêtre du titre de Saint-Marcel, et Jean, cardinal-diacre du titre de Saint-Adrien. On en vint donc à un examen juridique, et, le 5 avril 1148, les parties ayant été ouïes contradictoirement dans le chapitre de Reims, leurs titres examinés et les témoins entendus, la contestation fut décidée en faveur des moines de Saint-Vincent, par une sentence (79) dont la justice ne paraît pas à quiconque a entre les mains la charte de Charles-le-Chauve. On a d'ailleurs des preuves que l'abbé de Saint-Vincent se servit de la voie de la prescription (80).
Quoique nous n'ayons pas d'autre connaissance de ce qui regarde l'abbé Eustache en particulier, il est néanmoins à présumer qu'il n'eut pas moins de part dans tout ce qui se passa à Jumièges depuis cette année 1148 jusqu'à l'an 1154, qui fut le dernier de sa vie, qu'il n'avait eu dans ce que nous venons de rapporter. Aussi ne ferons-nous pas difficulté de lui faire honneur de la donation de la chapelle et des dîmes de Saint-Martin du Trait (81), par Simon, comte d'Évreux, et Mathilde, son épouse, à condition de la faire desservir par le chapelain de Saint-Nicolas ; sauf la dignité de l'église d'Yainville, où les habitants des deux hameaux de Saint-Martin et de Saint-Nicolas doivent recevoir les sacrements et assister à l'office les jours de Pâques, Noël, Saint-André (82) et Toussaint, voulant que ces deux chapelles ne formassent qu'un seul titre de bénéfice, sous le nom de succursale ou annexe d'Yainville.
Nous sommes portés à croire que la charte de Simon est de l'an 1150, à l'occasion du présent que Richard de Morville fit cette année à l'abbaye de sa terre du Boishalduc, près de Norville, sous le bon plaisir du comte, dont elle relevait. Au reste nous ne prétendons point faire passer nos conjectures pour des décisions ; nous disons seulement ce que nous pensons, et ce qui nous paraît plus vraisemblable. Quoi qu'il en soit, la chapelle de Saint-Martin, qui, comme nous l'avons remarqué, ne formait alors qu'un seul titre avec celle de Saint-Nicolas, ne subsiste plus, et celle-ci, de succursale d'Yainville, est presque devenue la principale église, depuis que les curés, y faisant leur résidence, obtinrent de l'abbaye, le 23 novembre 1512 (83), la permission d'avoir des fonts baptismaux et
un cimetière, de sorte que, depuis ce temps-là, la cure a toujours porté sur les pouillés de l'archevêché de Rouen le nom du Trait-Yainville, comme si Yainville n'était plus que l'annexe du Trait. Mais ce n'est point ici le lieu d'entrer dans cette discussion.
Voici un autre bienfait d'un de nos rois de France, durant le gouvernement d'Eustache, dont la date est plus certaine. Louis VII, ayant fait casser son mariage avec Eléonore, fille de Guillaume IX, duc d'Acquitaine, sous prétexte de parenté, mais dans le fond à cause de la mauvaise conduite de cette princesse (84), Henry II, duc
de Normandie et depuis roi d'Angleterre, plus avide de biens que d'honneur, épousa Eléonore, et joignit, par ce mariage, les provinces de Guienne, de Poitou et de Saintonge à celles qu'il possédait en France, ce qui le rendit aussi puissant dans le royaume que le roi même. Louis VII en eut de la jalousie, et se brouilla dès lors avec Henry. Il commença ses hostilités par la prise de Neufchâtel-en-Lyons ; puis, tournant ses armes du côté de Vernon, qu'il se proposait de surprendre, il en brûla le faubourg et le village de Longueville, où les moines de Jumièges avaient un prieuré, que les Français réduisirent en cendres.
Le roi en fut affligé et prit la résolution de leur faire du bien dès que l'occasion s'en présenterait. Les religieux la lui fournirent dès la même année ; car, comme ils ne jouissaient pas paisiblement de 40 arpents de bois, que Louis-le-Gros, son père, leur avait donnés à Genesville, ils lui portèrent leurs plaintes, et en obtinrent la confirmation, dans une assemblée tenue à Paris, la seizième année de son règne, 1152 ; et même, pour réparer en quelque sorte le dommage qu'ils avaient souffert à Longueville, le roi leur accorda 20 autres arpents de bois et de terre adjacents (85), dont les paysans de Genesville s'étaient saisis, parce qu'ils n'étaient pas compris dans la donation des quarante premiers, faite par Louis-le-Gros.
Eustache mourut deux ans après, suivant la chronique de Robert du Mont, et fut enterré dans le chapitre (86). Le nécrologe en fait mention au 17 décembre, qui fut sans doute le jour de sa mort.
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[Notes de bas de page : * = originale ; † = par l'abbé Loth.]
1*. Orderic Vital, Histoire ecclésiastique, t. X, 765.
2*. Orderic, op. cit., t. IV, p. 529.
3†. Journal : mesure usitée dans le pays de Brai et aux environs, comme aussi dans une partie de la Picardie, où le journal équivalait à 40 ares de terre.
4†. Saint Benoît (de Nursie), La Règle de saint Benoist. Traduction nouvelle par Maine, avec annotations de Dom Claude Du Vert, Paris, Rusand, 1824, ch. LIX : De Filiis nobilium, vel pauperum, qui offeruntur.
5*. Orderic, op. cit., t. X, p. 765.
6*. Ives de Chartres, épît. 160¹. [¹ Voir Lucien Merlet, Lettres d'Ives de Chartres et d'autres personnages de son temps, 1087-1130, Paris, Didot, 1855.]
7†. Dont il a été parlé un peu plus haut.
8†. Mirville : canton de Goderville, arrondissement du Havre (Seine-Inférieure).
9*. Preuves de Jumièges, art. 20 et 21.
10†. Warelwast : aujourd'hui Véraval, hameau de la commune de Hautot-le-Vatois, canton de Fauville (Seine-Inférieure), dont Guillaume, évêque d'Exeter était originaire, comme nous l'avons dit plus haut.
11†. Anselme : le célèbre archevêque avait été obligé de quitter son siège et de se réfugier à Rome, puis en France, dans son ancienne abbaye du Bec, par suite de ses démêlés avec Guillaume-le-Roux et son successeur (1097-1106).
12*. Eadmer, Historia Novorum et Vita S. Anselmi, vers 1100.
13†. Anonyme, Chronique du Mont-Saint-Michel : c'est-à-dire des Annales du Mont-Saint-Michel ; elles ont été publiées de nos jours par Léopold Delisle, Chronique de Robert de Torigni, abbé du Mont-Saint-Michel, Rouen, Le Brument et Métérie, 1873, t. II, pp. 214-235 (à la suite).
14*. Anonyme, ibid.
15*. Jean Mabillon, éd. Edmond Martène, Annales ordinis S. Benedicti, Paris, 1739, t. VI, p. 101.
16†. Cf., Dom Jean Huynes, Histoire générale de l'abbaye du Mont-St-Michel au péril de la mer, Rouen, Le Brument et Métérie, 1872, t. I, pp. 161-165 et 249.
17*. Cartulaire de Jumièges¹, c. 292. [¹ Cf., Jules-Joseph Vernier, Chartes de l'abbaye de Jumièges (v. 825 à 1204), conservées aux Archives de la Seine-Inférieure, Rouen, Lestringant, 1916.]
18†. Gauville : Gauville-lèz-Verneuil, commune réunie à Verneuil, arrondissement d'Éveraux (Eure), en 1844.
19†. Bataille de Tinchebrai : en 1106.
20†. Vieux-Verneuil : paroisse réunie à Vernseuil en 1791 ; elle était située sur la rive droite de l'Avre et perdit son importance par suite de la construction, en 1120, de la forteresse de Verneuil, sur la rive gauche de cette rivière ; cf., Paul Rateau et Jean Pinet, Histoire et géographie du département de l'Eure, Évreux, Blon, 1870. p. 257.
21*. Mabillon, Annales ordinis S. Benedicti, Paris, 1713, t. V, p. 490.
22†. Archevêque Guillaume : il occupait depuis 1079 le siège de Rouen, où l'avait précédé le célèbre Jean d'Avranches. Jean Dadré, Chronologie historiale des archevesques de Rouen, Rouen, Crevel, 1618, p. 154, fait observer que Guillaume fut «le premier moyne et le second abbé de S. Estienne de Caen,» et que «sous luy et par luy fut tenu un concile provincial à Lisle-bonne» (Lillebonne) en 1080.
23†. Adolphe Chéruel, Histoire de Rouen pendant l'époque communale, 1150-1382, Rouen, Périaux, 1843, raconte différemment ce douloureux épisode. Une conspiration se trama, en 1050, pour livrer la ville au roi d'Angleterre. À la tête du complot étaient deux riches bourgeois, Conan, fils de Gilbert Pilate, et
Guillaume, fils d'Auger. Ils promirent de livrer Rouen et le duc qui s'y trouvait aux partisan de Guillaume-le-Roux, alors campés près de Gournay. Le complot fut éventé, Robert appela ses barons à son aide. Henry Beau-Clerc, son jeune frère, se hâta d'accourir du Cotentin. La lutte s'engagea le 3 novembre 1090. Elle fut terrible ; la ville, dit Orderic, op. cit.,
déchira ses propres entrailles ; bourgeois contre bourgeois, parents contre parents combattaient aux portes, au milieu du tumulte et des cris. Les séditieux furent enfin écrasés. Conan fut précipité du haut de la tour, et son cadavre traîné à la queue d'un cheval. Guillaume, fils d'Auger, le second chef du complot, fut jeté en prison, et les bourgeois
qui avaient pris part à la révolte furent «dépouillés et traités comme des ennemis barbares,» selon l'expression d'Orderic Vital.
24*. Archives de Jumièges.
25*. Mabillon, Annales ordinis S. Benedicti, Paris, 1713, t. V, p. 145.
26†. Le Marais-Varnier : on dit aujourd'hui le Marais-Vernier.
Les deux paroisses de Saint-Samson-sur-Risle et de La Roque-sur-Risle ont été réunies en 1844 sous le nom de Saint-Samson-de-la-Roque. Toutes trois formaient jadis, avec la paroisse de Conteville (qui est également aujourd'hui de l'arrondissement de Pont-Audemer et du canton de Quillebeuf) une exemption relevant de l'évêché de Dol, ainsi que la baronnie de Saint-Samson.
27*. Orderic, op. cit., t. IX, p. 760.
28†. Les œuvres de Baudry de Dol figurent dans l'abbé Jacques-Paul Migne, Patrologiæ [latinæ] cursus completus, Paris, 1854, t. CLXVI, col. 1057-1217 ; il a écrit, entre autres, une vie de S. Hugues, archevêque de Rouen.
29†. La nef de cette église paroissiale offre aujourd'hui encore des particularités intéressantes à étudier ; malheureusement elle a été défiguré dans son ensemble par de maladroites réparations.
30*. Archives et Cartulaire à la fin.
31*. Dom Guillaume Bessin, Concilia Rotomagensis provinciæ, Rouen, Vaultier, 1717, part I, p. 80.
32*. Orderic, op. cit., t. XII, p. 846.
33*. Orderic, op. cit., t. XII, p. 857.
34†. Fief et terre de Hauville : sur le territoire de Saint-Vaast-Dieppedalle (Seine-Inférieure).
35†. La tombe de l'abbé Urson a été dessine par les soins de Gaignières, et ce dessin est conservé dans la Bibliothèque d'Oxford, Collection Gaignières t. V, folio 40 ; voir Michel Hennin, Les Monuments de l'Histoire de France, Paris, Delion, 1857, t. III, p. 78.
L'obituaire de Jumièges s'exprime ainsi à ce sujet: «27 oct. Ursus abbas : jacet in capitulo versus sedem prioris inferius.» ; voir Congrégation de Saint-Maur, Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. XXIII, 422 A.
36*. Mabillon, éd. Edmond Martène, Annales ordinis S. Benedicti, Paris, 1739, t. VI, p. 233.
37*. Congrégation de Saint-Maur, Gallia christiana, Paris, 1770, t. XII, col. 195.
38†. Cette lettre d'Innocent II, adressée à l'archevêque Hugues d'Amiens, et une autre au le même sujet, écrite au roi Henry Ier, le 15 du même mois de juillet 1132, se trouvent dans l'abbé Gian Domenico Mansi, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, Venise, Zatta, 1776, t. XXI, pp. 424 et 426, et dans Migne, op. cit., t. CLXXIX, col. 150.
39*. Jean-François Pommeraye, Histoire des archevêques de Rouen, Rouen, Maurry, 1667, p. 320.
40†. La cause de l'abbé de Saint-Wandrille paraît distincte de celle des autres abbés ; et la lettre d'Innocent II, postérieure aux précédentes, nous semble traiter d'une affaire différente ; voir cette lettre dans Migne, op. cit., t. CLXXIX, col. 304, ou dans Du Moustier, Neustria Pia, Rouen, Berthelin, 1663, p. 174.
41*. Claude Fleury, Histoire ecclésiastique, Bruxelles, Fricx, 1716-1740, t. XII, anno 994.
42*. Bessin, op. cit., part. II, p. 81 ; et Orderic, op. cit., t. XII, p. 888.
43†. Paroisse de Saint-Martin-de Boafle : Bouaffles, canton de Meulan, arrondissement de Versailles (Seine-et-Oise).
44†. Serans : canton d'Ecouché, arrondissement d'Argentan (Orne).
45†. La Poterie : La Porterie-au-Perche, canton de Tourouvre, arrondissement de Mortagne (Orne).
46*. Preuves, art. 27 ; la dernière église est située dans le pays de Caux ; Archives.
47†. Pour la lettre de Hugues d'Amiens au pape Innocent II sur la mort du roi Henry, voir Edmond Martène, Veterum scriptorum et monumentorum historicorum, Paris, 1733, IX, 1286.
48*. Manuscrit, sous la lettre Q, num. 39.
49†. Claire, fils de ce de Claire, dont il a été parlé un peu plus haut. Il faudrait partout De Claire, comme l'auteur lui-même écrit un peu plus loin.
Dans l'obituaire de Jumièges figurent, au 12 janvier : Dionisia de Clara, et au 12 avril : Nicholaus de Clere ; mais il serait téméraire de conclure à une assimilation.
50†. Les Anglais écrivent Hayling Island, près de Portmouth dans le comté de Hampshire.
51†. On sait que le pape Innocent II, vint à Rouen pour conférer avec Henri Beau Clerc, et qu'il fut reçu avec empressement par la population tout entière qui lui offrit de magnifiques présents ; voir Congrégation de Saint-Maur, Scriptores rerum Gallicarum et Francicarum¹, Paris, t. XII, p. 580. [¹ «Recueil des historiens des Gaules et de la France».]
52*. Archives et Cartulaire, c. 505.
53†. Malleville : probablement Malleville-sur-le-Bec, canton de Brionne, arrrondissement de Bernay (Eure).
54*. Archives.
55†. Hugues d'Amiens : ce pieux et savant prélat qui eut, pendant son épiscopat, bien des contestations et des litiges à juger, et qui le fit toujours avec justice et charité, avait reçu de Saint Bernard, à l'occasion de son sacre, une lettre où il lui recommandait la patience avec les Rouennais ; voir Mabillon, Sancti Bernardi Abbatis primi Clarevallensis opera omnia, Paris, édition de 1690.
56†. Hautot-l'Auvray : canton d'Ourville, arrondissement d'Yvetot (Seine-Inférieure).
57†. Trubleville : cf., Albert Tougard, Géographie du département de la Seine-Inférieure, arrondissement de Rouen, s.l., 1879, pp. 309-310.
58†. Norville : canton de Lillebonne, arrondissement du Havre, .
59†. Trouville-la-Haule : canton de Quillebeuf, arrondissement de Pont-Audemar (Eure).
60†. Quillebeuf : port sur la Basse-Seine, chef-lieu de l'arrondissement Pont-Audemar (Eure).
61†. Saint-Vaast : Saint-Vaast-Dieppedalle, canton d'Ourville, arrondissement d'Yvetot (Seine-Inférieure). C'est de cette paroisse, et non de Hautot-l'Auvray, que dépend le hameau d'Emondville ; nous ne croyons pas d'ailleurs jamais l'église de Saint-Waast ait dépendu de Hautot-l'Auvray.
62†. Saint-Martin de Foleni ou Foulegni : cette paroisse, réunie à celle de Fresnoy et de Bailly-en Campagne, forme aujourd'hui Fresnoy-Folny, canton de Londinières, arrondissement de Neufchâtel (Seine-Inférieure).
63†. Saint-Martin de Tourville-sur Seine : aujourd'hui Tourville-la-Rivière, canton d'Elbeuf, arrondissement de Rouen (Seine-Inférieure).
64†. Druelle : cf., Michel-Toussaint-Chrétien Du Plessis, Description géographique et historique de la Haute-Normandie, Paris, Nyon, 1740, t. II, p. 509. Druelle s'appelle Druelles, d'après M. l'abbé Cochet, Répertoire archéologique du département de la Seine-Inférieure, Paris, Impr. nationale, 1871, col. 11, et M. l'abbé Tougard, op. cit., arrondissement de Dieppe, Rouen, Cagniard, 1877, t. IV, p. 85.
65†. Saint-Martin-Du-Parc : commune réunie en 1828 au Bec-Hellouin, canton de Brionne, arrondissement de Bernay (Eure).
66†. Le Landin : canton de Routot, arrondissement de Pont-Audemar (Eure).
67†. Rouvray et Saint-Marcel : canton de Verneuil, arrondissement d'Évereux (Eure).
68†. Saint-Étienne de Canteloup : aujourd'hui Saint-Étienne-sous-Bailleul, canton de Gaillon, arrondissement de Louviers (Eure).
69†. Puiseux : Piseux, canton de Verneuil, arrondissement d'Évreux (Eure).
Le pouillé de l'abbé Saas (1728) défiguré ces deux noms, en attribuant à l'abbaye de Jumièges, dans le «diocèse d'Evreux, les cures, d'Antis ou Longville, Gantiel, Joüy, Rouveray, Pont-de-l'Arche, les Dens, Gavieulle, Piseur.»
70†. Verneuil : non pas Verneuil dans l'Eure, mais Verneuil, canton de Poissy, arrondissement de Versailles, (Seine-et-Oise) ; cf., Louis Merlet, Dictionnaire topographique du département d'Eure et Loir, Société Archéologique d'Eure et Loir, Paris, 1861, Introduction, p. VII.
71†. Ville-Juive : Villejuif, arrondissement de Sceaux (Seine).
72†. Ivry : Ivry-sur-Seine, canton de Villejuif.
73†. Montaterre : Montataire, canton de Creil, arrondissement de Senlis (Oise).
74†. Le Manoir : canton de Ryes, arrondissement de Bayeux (Calvados).
75*. Cartulaire, c. 506.
76†. Wiltonie : c'est-à-dire le comté de Wilt ou Wiltshire, dont Wilton était la capitale, avant la translation de son siège épiscopal à Salisbury ; cf., Antoine-Augustin Bruzen de La Martinière, Le Grand Dictionnaire géographique, historique et critique, Paris, 1726-1739.
77*. Preuves, art. 2.
78*. Preuves, art. 5.
79*. [Source non identifiée ici] Monum. Mart., t. I, pp. 659 et 804.
80*. Jean Bondonnot, Les Vies des évêques du Mans, Paris, Martin, 1651, p. 459.
81*. Cartulaire, c. 309.
82†. Saint André : le patron d'Yainville.
83†. Permission du 23 novembre 1512 : Du Plessis, op. cit., p. 711, dit 1614.
84†. Louis VII ayant déclaré au pape qu'Eléonore était sa parente au degré prohibé, réunit un concile à Beaugency (1152), où les évêques, après avoir pris connaissance des documents de la cause, prononcèrent l'annulation du mariage. Ils se fondèrent sur la parenté, qui fut attestée juridiquement, et non sur le désordres de la reine, qui ne pouvaient être invoqués comme empêchement dirimant.
85*. Cartulaire, c. 55.
86†. La tombe de l'abbé Eustache (Ustacii) a été dessine par les soins de Gaignières, et ce dessin est conservé dans la Bibliothèque d'Oxford, Collection Gaignières, t. V, folio 44.
L'obituaire de Jumièges s'exprime ainsi à ce sujet : «Jacet in capitulo ante sedem prioris superius.» ; voir Congrégation de Saint-Maur, Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. XXXIII, 422 J.
«Histoire de l'abbaye royale de Saint-Pierre de Jumièges» :
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