«UN COUVENT DE RELIGIEUSES ANGLAISES À PARIS DE 1634 À 1884» ; SUPPLÉMENT


ALLOCUTION

PRONONCÉE AU SERVICE FUNÈBRE CÉLÉBRÉ

DANS LA CHAPELLE DES DAMES ANGLAISES DE NEUILLY-SUR-SEINE

POUR LE REPOS DE L'ÂME DE M. L'ABBÉ F. CÉDOZ

AUMÔNIER DE LA COMMUNAUTÉ


Par l'Abbé H. PLANET

AUMÔNIER DE LA RETRAITE SAINTE-ANNE


LE 21 OCTOBRE 1895


Benedictio patris firmat domos filiorum (Eccl. 3:11)

«La bénédiction du père affermit la maison des enfants.»


Mes chères Sœurs,

Mes chères Enfants,

Cette nouvelle année scolaire s'est ouverte pour vous par un grand deuil de famille, la mort de M. l'abbé Cédoz, votre si cher et si digne aumônier.

Vous l'aviez vu partir, il y a quelques semaines, sinon plein de force, au moins plein d'espérance et à peu près certain de pouvoir encore rétablir, dans un repos mérité, la vigueur et l'énergie qu'il avait si libéralement dépensées à votre service.

C'était même, il convient de l'ajouter, cette pensée de vous revenir retrempé et rajeuni, pour la reprise de sa tâche, qui était pour lui la vraie raison et l'attrait supérieur de cette halte dans le travail, qu'il aurait beaucoup moins appréciée, si l'utilité n'en eût été que pour lui.

Vous l'aviez vu s'en aller ; vous comptiez le revoir à l'époque habituelle de son retour ; cette époque fut tristement devancée ; ce n'est que sa dépouille mortelle que vous avez reçue et qui vint prendre possession quelques heures encore de cette modeste et paisible habitation qui avait abrité pendant vingt-six ans, sa pensée, son cœur, toutes ses sollicitudes paternelles. De là ensuite, après de pieuses funérailles célébrées dans cette chapelle, et que des sympathies nombreuses, les larmes de la piété filiale ont remplies d'émotions, elle est allée recevoir la suprême hospitalité des Dames Anglaises dans ce caveau du cimetière de Colombes, qui les attend toutes, les unes après les autres, pour y faire ensemble la dernière veille de la résurrection générale.

Là, mes Sœurs, votre aumônier sera encore parmi vous, et par cette délicate inspiration de votre reconnaissance, le patriarche restera au milieu de ses enfants.

Dès lors la vie terrestre de M. l'abbé Cédoz était achevée, mais celle de son souvenir allait commencer.

Sa disparition faisait, à coup sûr, ressentir à cette maison, à cette communauté, auxquelles il s'était si complètement donné, un ébranlement profond, une secousse redoutable ; mais son souvenir ne périra pas, et avec le souvenir sa bénédiction demeure, pour y garantir la suite et la solidité de son ministère, Benedictio patris firmat domos filiorum.

Sur sa tombe fermée se place et s'élève sa mémoire. Elle sera toujours en vénération dans cette famille religieuse, qui de tout temps s'est honorée en professant le culte le plus fidèle et le plus tendre pour son histoire et pour tout son passé.

À son tour, M. l'abbé Cédoz y tiendra une grande place.

Appelé, au seul titre d'ami, à dire quelques mots des regrets qu'il nous laisse à tous, cette place, à la vérité, il ne m'appartient pas de la définir ; ce sera l'œuvre de la tradition familiale dans ce monastère. Je veux seulement l'indiquer, la saluer d'avance en rappelant quelques-uns des titres qui la lui ont assignée.

Je ne m'étendrai pas cependant sur cette existence, à laquelle Dieu voulut accorder, pour le profit de tous ceux qui la connurent, le privilège d'être longue, et ce n'est pas une biographie de M. l'abbé Cédoz que je viens vous présenter.

Je n'en aurais, du reste, pas le droit. M. l'abbé Cédoz lui-même, malgré sa grande et parfaite modestie, ne pouvant s'empêcher de prévoir que, peut-être, on serait tenté de parler publiquement de lui et même d'écrire quelques pages qui voudraient être le récit de sa vie, s'y est formellement opposé par une déclaration expresse de ses volontés dernières.

Dans les quelques pages intimes qu'il vous a laissées lui-même, mes Sœurs, et qui peuvent être considérées comme son testament spirituel, il consacre une ligne à cette si vraisemblable hypothèse et il l'écarte vivement par l'interdiction absolue de lui donner la moindre suite. Il a ainsi sévèrement désarmé le cœur et la main qui auraient pu si facilement lui créer une survivance officielle. Mais il a bien fait, du reste, de s'en remettre, sur ce point, à la survivance infiniment plus sûre, plus précieuse et plus durable que lui accorderont toutes les âmes qui l'ont aimé.

Je respecterai donc ces fermes et sincères précautions de son humilité, autant du moins que me le permettent le caractère particulier de sa carrière et votre ardente et sympathique curiosité.

En effet, quand M. l'abbé Cédoz, sur la recommandation spéciale et si clairvoyante de M. l'abbé Langénieux, alors curé de Saint-Augustin, devenu aujourd'hui l'illustre et vaillant cardinal-archevêque de Reims, vint ici prendre les fonctions d'aumônier des Dames Augustines Anglaises, il avait un passé. Il était déjà de beaucoup au delà des limites de la vie moyenne, et il avait parcouru une grande partie de sa carrière sacerdotale.

C'était en 1869. Il avait cinquante ans ; Dieu lui en réservait encore vingt-six. Ce dernier quart de siècle, il l'a dépensé ici sans interruption.

Mais cette existence, désormais resserrée et presque cloîtrée, avait été précédée d'une autre longue période où son action et son zèle s'étaient exercés sur un champ plus vaste et s'étaient trouvés mêlés aux origines et aux progrès laborieux d'institutions d'enseignement libre très considérables à présent et dont la gloire actuelle lui doit quelque chose. Oullins, Sorèze, Arcueil, sont les grandes étapes de la première partie de cette vie militante.

Or, ces cinquante premières années de la vie de M. Cédoz qui ne vous appartiennent pas, mes chères Sœurs, appartiennent cependant à la mission qu'il est venu tardivement remplir parmi vous et à la grande efficacité qu'elle a obtenue dans tous vos rangs.

Vous ne pouvez bien vous rendre compte de l'excellence du don que Dieu vous fit, en vous renvoyant pour père et pour mère, qu'en n'oubliant pas ce qu'il fut et ce qu'il avait fait, quand il vous apportait ce qui était encore la plénitude de l'âge et des forces, accru et enrichi de la plénitude de l'expérience, Dieu, qui vous réservait un homme d'élite, avant de vous l'amener l'avait fait toucher à beaucoup de choses et à de grands intérêts, pour qu'il ne lui manquât rien de ce qui est nécessaire à la direction et à la conduite spirituelle d'autres âmes qui sont appelées elles-mêmes à être l'élite et l'exemple dans la grande famille de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Et pour le dire en passant, vous voyez, mes Sœurs, comment Dieu sait prendre, dans sa Providence, un souci lointain et profond de ce qui, aux yeux du monde, paraît petit et dépourvu d'importance. À d'humbles religieuses, à peu près inconnues du siècle, il envoie, au moment propice, à l'heure de sa rayonnante maturité, un de ses serviteurs qui avait parcouru jusque-là avec un grand succès les routes de l'activité extérieure, et qui ne paraissait pas destiné à venir, un jour, leur livrer, avec une parfaite satisfaction du reste, les riches trésors qu'il y avait amassés.

M. l'abbé Cédoz, par sa naissance et par son sacerdoce, appartenait au diocèse de Lyon. Il lui consacra les premières années de son ministère. Ses goûts, non moins que ses aptitudes, le prédestinaient à l'éducation de la jeunesse.

Il l'aimait cette jeunesse, il croyait en elle et se plaisait à tout espérer de son ardeur naturelle et de sa générosité. Des maîtres illustres l'avaient précédé dans cette voie des grandes espérances du siècle et l'y avaient initié. Il fut, sous ce rapport, un disciple et un ami de M. l'abbé Dauphin, qui a laissé un nom dans l'enseignement et dans la chaire. Il connut et seconda le Père Lacordaire, ce grand apôtre et ce grand éducateur, qui avait si profondément remué par son éloquence sa génération incrédule et qui laissait sur tout ce qui vivait à son contact une empreinte originale et durable.

Ces hommes et d'autres que je pourrais nommer encore, ses pères ou ses amis en Dieu, représentaient, je l'ai dit, la foi, les flammes, les ardeurs fiévreuses et grandioses de notre siècle commençant. Nul plus que M. Cédoz n'était prédisposé, par sa nature élevée, simple, pleine d'élan et de chaude imagination, je devrais dire aussi d'esprit chevaleresque, à comprendre et à suivre les initiateurs qui marchaient si résolument, en plein règne du voltairianisme ressuscité pour un temps, à la conquête chrétienne des esprits et à la victoire sociale de l'Église dans le monde moderne. M. Cédoz était par son tempérament, comme par son âge et par sa vibration intérieure, de la race et de l'œuvre des hommes de l'Avenir.

Ah ! c'était une belle époque pour l'Evangile et pour les âmes celle que mon tendre et généreux ami me permet de rappeler en ce moment !

Il est facile de dire aujourd'hui : «Ce fut un rêve,» et de prendre en défaut le sens pratique de ceux qu'il a bercés.

Oui, sans doute, dans une mesure qu'il ne faut pas exagérer cependant, ce fut un rêve, mais un beau rêve, un rêve, en tout cas, fait de dévouement et de tous les plus nobles sentiments de l'âme, et personne n'était plus cruellement préparé à souffrir de la déception que ceux qui l'avaient fait en plein réveil de la foi religieuse, ce rêve qui était, après tout, le rêve et le réveil de tous les catholiques d'alors.

À présent le sommeil a repris et nous enveloppe de nouveau. Hélas ! il n'est point assez traversé de ces songes fortifiants, presque divins, où les blessés, les vaincus d'un temps, d'une idée, d'une religion, entrevoyaient au loin, dans une juvénile confiance, l'aurore de quelque sûre résurrection ! Ce qui nous manque peut-être le plus, dans la torture de notre lourde nuit, c'est quelque audacieux croyant qui l'illumine d'un vif sillon d'espérance. On est inquiet, agité, on songe beaucoup à agir, sans trop savoir dans quel sens ; il faudrait peut-être aussi se préoccuper de penser.

M. l'abbé Cédoz a pensé beaucoup ; il l'a fait autrefois dans l'esprit printanier des espérances communes ; il l'a fait depuis sans découragement, dans la légitime tristesse des espérances sinon évanouies, au moins voilées.

Je n'ai pas à parcourir la longue carrière enseignante de M. l'abbé Cédoz. Je devais seulement en rappeler le point de départ et montrer l'esprit chrétien et libéral auquel elle se rattacha toujours.

De tels antécédents, mes Sœurs, je le répète, étaient précieux pour le ministère que M. Cédoz devait un jour remplir parmi vous et qui embrasse la seconde partie de sa vie.

Ils étaient précieux pour vous qui appartenez aux sublimes immolations du cloître ; précieux aussi pour ces chères Enfants destinées au monde et dont il devait assurer, comme prêtre, et au sens le plus large du mot, la formation intellectuelle et morale, par la formation et le solide établissement en elles de l'esprit chrétien.

Un aumônier de couvent a, en apparence, une tâche très circonscrite dans l'immense champ de l'Église. Elle peut paraître telle en étendue ; en revanche, elle est infinie en profondeur.

Un directeur spirituel a la mission de descendre au fond de ces âmes, qui elles-mêmes plongent en Dieu sans réserve. C'est aussi tout un monde qui est devant lui ; un autre monde, je le veux bien, mais qui n'a nullement l'étroitesse et la monotonie qu'on lui prête gratuitement.

De plus, s'il y a dans les communautés religieuses quelque chose qui est semblable en toutes et qui produit l'impression de l'uniformité, tel que les promesses sacrées, les vœux, les règles générales de la vie ascétique, il y a aussi, en chacune d'elles, le trait particulier, le but spécial, l'esprit distinctif, et encore et surtout, les origines, la première inspiration qui les a fait naître et, en un mot, l'histoire de ce petit peuple élu, telle qu'elle est sortie de l'appel divin.

M. Cédoz, sous ce dernier rapport, était merveilleusement servi par la vocation propre et par tout le passé si caractéristique de cette maison des Dames Augustines Anglaises, dont il devenait, en même temps que le guide spirituel, le confident intime.

Les Dames Anglaises, par leur fondation, se rattachaient à l'une des époques les plus tourmentées de l'histoire d'Angleterre, à l'époque du schisme et des persécutions d'Henri VIII et de la reine Élisabeth. Elles étaient nées, on peut le dire, dans le sang des martyrs et avaient respiré dans leur berceau ce souffle héroïque du catholicisme anglais qui ne voulait pas mourir et qui, dans l'exil, se préparait à reprendre possession, un jour, du sol de la patrie.

De tels commencements donnent une physionomie intéressante et peu banale à une famille religieuse. Celle-ci en garde fidèlement l'héritage avec le vif sentiment des responsabilités qui s'y trouvaient attachées.

M. Cédoz, lui aussi, sentait vivement toutes ces particularités, tous ces traits originaux et bien conservés de la communauté des Augustines.

Ces particularités de la vocation et de l'histoire des Dames Anglaises avaient fait de leurs aumôniers, de quelques-uns surtout, des hommes supérieurs, spéciaux, ne se confondant pas avec leurs confrères établis dans des situations similaires ; des hommes qui, en un grand nombre de circonstances critiques, avaient dû montrer une intelligence, une foi et un courage extraordinaires.

C'étaient les ancêtres de M. Cédoz et il les fit revoir en sa personne et dans l'accomplissement de son ministère.

Mais il fit plus ; s'étant appliqué à en connaître la vie qui étincelait au cœur de cette touchante histoire de la communauté qu'il a si consciencieusement étudiée, il en fit revivre les noms, le souvenir et la gloire dans des pages qui ne périront pas. Grâce à lui, grâce à cette belle monographie, si sérieuse et si documentée d'Un Couvent de Religieuses Anglaises à Paris, et qui restera comme un monument, les noms de Thomas Carre, de Lutton, ses prédécesseurs, sont des noms devenus modernes et des noms auxquels on fait ici, désormais, un culte rajeuni et plus filial que jamais.

Votre dévoué et laborieux aumônier, mes chères Sœurs, savait donc bien qui vous étiez, d'où vous veniez ; il avait fouillé vos annales, il les admirait, il les aimait, et c'est pour cela qu'il les a fait connaître dans un livre qui a été grandement apprécié en France comme en Angleterre et qui vous remet, d'une façon définitive, en possession de tout votre patrimoine monastique.

Par suite, il était admirablement compétent pour vous conduire dans les voies qui sont les vôtres, pour vous maintenir et vous faire avancer dans le sillon que la Providence a tracé pour vous dans l'Église d'Angleterre et dans l'Église Universelle.

Je n'ai pas à redire à cette heure les principes et la méthode de direction qui avaient ses préférences ; ce serait entrer indiscrètement dans un domaine réservé.

Ce qu'il est permis d'en savoir et d'en divulguer, c'est que tous ceux qui l'approchaient ont pu constater qu'il ne se dédoublait pas, selon les lieux et les milieux ; il était partout et toujours lui, et lui, c'était partout et toujours la simplicité, la droiture, le profond sentiment du devoir, la règle absolue de la conscience, et, en toutes choses, la forte empreinte de la volonté de Dieu.

C'est dans cet état d'esprit qui correspondait si bien au vôtre, qu'il vous a enseigné, pendant vingt-six ans en public, dans cette chapelle, dans la salle d'exercices, comme dans les confidences privées de la direction et du confessionnal, la fidélité à vos engagements, l'amour de la règle et des traditions, le dévouement à la jeunesse que vous instruisez, l'amour de votre patrie éloignée, l'Angleterre, et aussi l'amour de votre patrie d'adoption, la France.

Il vous a dit tout cela, dans un langage élevé et plein de paternité et d'onction. Vous n'oublierez rien de ses fortifiantes instructions, et ce ne sera pas le moindre profit des prières que vous lui réservez, de ces prères perpétuelles du monastère, que de le faire revivre au milieu de vous, avec le charme de l'édification et la haute autorité que vous lui avez reconnus.

Et vous, mes chères Enfants, vous aussi vous ne laisserez pas s'effacer, dans votre esprit et votre cœur, le souvenir de votre cher aumônier. À celles d'entre vous qui m'écoutent en ce moment, il n'a guère fait qu'apparaître ; il leur a été seulement montré, pour ainsi dire, et ensuite, il leur a été rapidement enlevé. Mais il y a derrière vous, vos devancières ; il en a élevé de nombreuses générations. Il en a fait pour les différentes conditions sociales auxquelles elles étaient appelées, des femmes chrétiennes, sérieuses, fortes dans l'accomplissement de leurs tâches diverses. Vous lui paierez aussi, par la prière, votre tribut de gratitude. Vous serez reconnaissantes et pour vous et pour toutes celles qui vous ont précédées dans cette sainte maison.

À vous, mes Enfants, de ce prêtre vénéré, si dévoué à tous les intérêts de votre âge, je ne veux rappeler qu'une chose, qui suffit d'ailleurs à faire apprécier tout l'homme, c'est son extrême bonté.

Et la seule preuve que j'en veuille alléguer, c'est celle-ci : non seulement il vous instruisait, mais il vous amusait.

À son âge, avec ses goûts passionnés pour l'étude, son amour des grandes perspectives de la pensée, vous amuser, mes chères Enfants, c'était peut-être plus généreux que de vous instruire. Puis-je, au milieu de ce deuil, rappeler ces séances si intéressantes de projections photographiques, ces voyages que vous avez faits avec lui, en images, ces panoramas si éblouissants, si artistiquement réussis, ces chefs-d'œuvre de la peinture, de la sculpture, de l'architecture, qui ont fait passer devant vous ce que l'art et la nature ont semé de plus beau dans le monde ? Et ces petites notes explicatives que quelqu'une d'entre vous lisait pour toutes, avec quelle correction, quelle clarté et quelle élégance, elles étaient rédigées !

Toutes ces choses, mes chères Enfants, qui étaient des récréations pour vous, c'était du travail pour lui. Il y fallait des recherches considérables, et, dans l'exécution, des essais, des tâtonnements qu'il devait reprendre bien des fois, une persévérance à toute épreuve.

Et la raison, mes Enfants, de cette vie toujours en mouvement, toujours en quête de quelque chose de nouveau pour vous, c'était sa bonté, sa bonté opiniâtre qui l'inspirait et qui lui faisait aborder toutes les entreprises et passer par-dessus toutes les difficultés pour vous être agréable.

Mais, il faut le dire aussi, et je me hâte de le proclamer, ce dévouement complet, cette affection si vraie et si ingénieuse, il les a retrouvés à son tour, dans la reconnaissance universelle et constante de sa communauté.

M. Cédoz vous aimait, vous l'aimiez aussi. Vous l'entouriez toutes de cet attachement fait d'estime et de clairvoyance qui voulait rendre hommage aux grandes qualités d'esprit et de cœur qui étaient en lui. Vous saviez que vous aviez un maître éminent dont la modestie égalait le mérite, et c'est de ces deux supériorités à la fois que vous entendiez le récompenser. M. Cédoz connaissait cet amour filial, et ce fut, en effet, sa plus douce consolation, celle qui lui permit de prolonger au milieu de vous, en domptant parfois avec héroïsme l'âge et la souffrance, un ministère pour lequel, moins soutenu, il n'aurait pas trouvé jusqu'au bout les forces nécessaires.

Tels sont, mes chères Sœurs, et mes chères Enfants, les quelques souvenirs que je voulais évoquer brièvement, sur la tombe à peine fermée de votre vénéré père, pour m'associer aux regrets qu'il vous a laissés.

Dieu vous avait donné en lui un prêtre qui vous appartenait d'autant plus qu'il vivait dans l'entier oubli de lui-même. M. Cédoz aurait pu légitimement nourrir quelque ambition ecclésiastique. Il était savant, savant par la profondeur de ses connaissances et surtout par leur variété ; il avait le don de la parole et avait été autrefois, en face de vastes auditoires, ou dans des auditoires plus restreints de collèges et sous l'œil du P. Lacordaire, un orateur très applaudi. Il était travailleur infatigable ; il aborda successivement les problèmes ardus de la philologie sacrée, de l'exégèse biblique, de la philosophie et de l'histoire. Il n'était étranger ni aux langues vivantes ni aux sciences exactes, ni aux arts, qu'il a cultivés ici même et sous vos yeux, avec un bonheur que vous avez souvent salué de vos sincères félicitations. Il y avait chez lui de l'homme complet.

Si M. Cédoz a négligé les ambitions, en revanche il pouvait avoir la satisfaction de se suffire à lui-même. Il n'avait nul besoin de jeter sa vie au dehors, pour donner une pâture abondante à ces éminentes facultés, ni même pour les reposer ou les distraire ; Dieu, l'étude, la science, le travail, le rayonnement intime de la pensée, l'affranchissaient largement de ce besoin si vif, en d'autres natures, de s'agiter et de se répandre.

Et toutefois, mes chères Sœurs, je me hâte de le dire, quelque chose de considérable lui aurait fait défaut, s'il ne vous avait pas rencontrées. Comme on l'a dit déjà, si justement et si finement de lui, les nombreuses relations ne l'attiraient pas, et il les a évitées ; mais il avait besoin de véritables amitiés. Il lui fallait le commerce de l'esprit et du cœur. Sa chère communauté, fut le champ, je devrais dire le foyer ou le sanctuaire qui lui donnait tout l'espace suffisant pour l'entretenir, ce commerce, et, à sa grande satisfaction, tant on y apportait, de part et d'autre, de plénitude et d'abandon.

Au dehors, cependant, il eut quelques douces affections que je veux saluer aussi et qui furent précisément appelées à suppléer les vôtres, mes Sœurs, quand l'heure suprême et encore si imprévue allait sonner.

M. Cédoz, je l'ai dit en commençant, a succombé loin de son couvent. Il a succombé dans un pays qu'il aimait, comme s'il en eût été l'enfant, en Dauphiné, dans les Alpes, et, par une rencontre singulière, sur un sommet de ces montagnes qu'il avait tant parcourues en voyageur et admirées en artiste. Il était déjà entre ciel et terre, lorsque Dieu l'appelait à lui. Sa soumission fut prompte et entière ; sa reconnaissance ardente pour les prières qui lui venaient de cette maison et pour les soins improvisés qu'il reçut de ses compagnons de route et de ce fidèle serviteur qui partait d'ici à la première nouvelle du danger. Il demanda lui-même, avec autant de calme que de piété et de foi, les secours de là religion, les sacrements, avec lesquels notre mère l'Église nous soutient au dernier pas de la vie, une suprême rencontre, sur la terre, avec son Dieu qu'il avait si loyalement servi, avant de le retrouver au Ciel dans toutes les béatitudes de sa foi satisfaite et couronnée.

Ainsi soit-il.


«Un Couvent de religieuses anglaises à Paris» :
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[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]