«LES BRÛLOTS ANGLAIS EN RADE DE L'ÎLE D'AIX (1809)» DE JULES SILVESTRE ;
CHAPITRE 5
V. LES FLOTTES FRANÇAISE ET ANGLAISE EN PRESÉNCE
Le 11 avril, les vents sont au N. O., le temps est brumeux ; les forces en présence se composent ainsi :
Du côté anglais : | ||
Canons | Vaisseaux-de-ligne : | [Commandant] |
120 | Caledonia | Amiral
James Gambier ; capitaines Harry Neale et William Bedford |
80 | Cæsar | Contre-amiral Robert
Stopford ; capitaine Charles Richardson |
80 | Donegal | Capitaine Pulteney Malcom |
80 | Gibraltar | Cap. Henry Ball |
74 | Bellona | Cap. Stair Douglas |
74 | Hero | Cap. James Newman |
74 | Illustrious | Cap. William Broughton |
74 | Resolution | Cap. George Burlton |
74 | Revenge | Cap. Alexander Kerr |
74 | Theseus | Cap. John Beresford |
74 | Valiant | Cap. John Bligh |
Frégates : | ||
44 | Indefatigable | Cap. John Treymayne Rodd |
38 | Impérieuse | Cap. Lord Cochrane * |
36 | Aigle | Cap. George Wolfe |
36 | Emerald | Cap. Frederick Lewis Maitland |
32 | Unicorn | Cap. Lucius Hardyman |
32 | Pallas | Cap. George Francis Seymour |
32 | Mediator, en flûte | Cap. James Woodridge |
Bricks-Corvettes : | ||
18 | Beagle | Cap. Francis Newcombe |
18 | Dotterel | Cap. Anthony Abdy |
18 | Foxhound | Cap. Pitt Barnaby Greene |
10 | Lyra | Cap. William Bevians |
10 | Redpole | Cap. John Joyce |
Bombardes : | ||
[8] | Thunder | Cap. James Caufield |
[8] | Ætna | Cap. William Godfrey |
Bricks : | ||
14 | Insolent | Lieutenant John Row Morris |
12 | Encounter | Lieut. James Hugh Talbot |
12 | Conflict | Lieut. Joseph B. Batt |
12 | Contest | Lieut. John Gregory |
12 | Fervent | Lieut. John Edward Hare |
12 | Growler | Lieut. Richard Crossman |
Géolette : | ||
[10] | Whiting | [Lieut. Henry Wildey] |
Cotres affrêtes : | ||
[10] | Nimrod | [Enseigne Edward Tapley (1)] |
[10] | King George | [Enseigne Thomas Makeet (1)] | Soit : 11 vaisseaux-de-ligne, 872
canons ; 7 frégates, 250 canons; 3 corvettes, 54 canons; 8 bricks, 84
canons; 2 bombardes, 16 canons; 1 géolette, 10 canons ; 2 cotres, 20
canons : c'est-à-dire 34 unités, 1260 canons. Auxquels il faut ajouter :
40 transports ou brûlots et 3 navires-machines infernales à la Congreve.
Ensemble 77. |
Du côté français (port d'origine : B = Brest ; R = Rochefort ; Lorient n'a pas rejoint.) | ||
Canons | Vaisseaux-de-ligne : | [Commandant] |
118 | Océan (B) | Vice-amiral Zacharie J. T. Allemand ; capitaine Jean-François Lissilour |
80 | Foudroyant (B) | Contre-amiral Antoine-Louis de Gourdon ; capitaine Antoine Henri |
80 | Jemmapes (R) | Cap. Joseph Fauveau |
80 | Ville-de-Varsovie (R) | Cap. Jacques-Philippe Cuvillier * |
74 | Aquilon (B) | Cap. Jacques-Remy Maingon |
74 | Cassard (B) | Cap. Gilbert-Amable Faure |
74 | Patriote (R) | Cap. Jean-Michel Mahé |
74 | Régulus (B) | Cap. Jean-Jacques-Etienne Lucas |
74 | Tonnerre (B) | Cap. Nicolas Clément de la Roncière |
74 | Tourville (B) | Cap. Charles-Nicolas Lacaille |
54 | Calcutta, en flûte (R)† | Cap. Jean-Baptiste Lafon |
Frégates : | ||
46 | Elbe (R) | Cap. Jacques-François Bellenger |
46 | Hortense (B) | Cap. Emmanuel Halgan |
46 | Indienne (B) | Cap. Guillaume-Marcellin Proteau |
46 | Pallas (R) | Cap. Armand-François Le Bigot |
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Nos vaisseaux sont toujours mouillés sur deux lignes d'embossage, endentés et
tellement serrés qu'il à peu près impossible qu'un brûlot passe sans accrocher
l'un ou l'autre.
Les frégates sont en avant-garde (et là elles ne peuvent qu'empêcher les vaisseaux
de tirer sur l'ennemi), en arrière de l'estacade placée à quatre cents toises
en dehors de la première ligne. Elles seules ont la mâture haute.
Nos vaisseaux, affourchés S. E. sur E. et N. O. sur O., ferment exactement l'entrée
de la Charente, de la pointe S. de l'île d'Aix à celle N. O. des Palles ; par conséquent
ils sont en plein travers du flot. S'ils eussent été affourchés N. E. — S. O., c'est-à-dire
parallèlement au courant, par suite au trajet que suivront les brûlots, ils auraient
pu éviter ceux-ci en filant l'un des deux câbles, en tombant à l'appel de l'autre.
On avait malheureusement fait le contraire ; les vaisseaux étaient évités debout
au vent et affourchés dans sa direction, avec une ancre qui venait de l'avant,
et une autre de l'arrière en passant par-dessous le bâtiment. Dans cette situation,
en filant le câble de N. O., on ne faisait que culer sans s'effacer ni se soustraire
aux brûlots qui viendraient à toutes voiles, avec vent et marée ; il ne pourrait
rester d'autre ressource que de couper les câbles, et alors on était porté à la côte. Les ancres de bossoir, empennellées, avaient cent brasses de câble dehors, et la distance entre les vaisseaux était
de cent brasses, d'étrave à étrave.
Le Calcutta, placé en tête de la première ligne, était un vaisseau
armé en flûte et n'avait que deux cent vingt hommes d'équipage. Destiné au rôle
de transport à La Martinique, il était chargé d'approvisionnements (2), parmi lesquels
onze pesants mortiers. L'encombrement était tel qu'on n'avait pu trouver un emplacement
pour un poste de malades, et c'est ce vaisseau qui, mouillé à trois encablures
de l'île d'Aix, était censé devoir, en ferment le passage entre la terre et notre escadre, empêcher les Anglais de renouveler la manœuvre d'Aboukir (1er août 1798).
Le Tonnerre, serre-file, en seconde ligne et à l'autre extrémité, était à deux
encablures et demie des hauts-fonds marqués la bouée des Palles.
En avant était l'estacade (une et non point deux, comme avait si judicieusement
conseillé Martin). Cette estacade, longue de neuf cents toises, était faite
de bois flottants, liés fortement ensemble et tenus au fond par de fortes ancres.
En raison du retard mis par le port de Rochefort à fournir les apparaux demandés,
l'amiral Allemand avait dû y employer ce qui restait d'ancres et de grelins sur
l'escadre ; l'on eut à le regretter amèrement quand les vaisseaux s'en trouvèrent
dépourvus, à l'heure où ils eussent été si nécessaires pour se maintenir en position,
et plus tard, pour se relever de la côte.
C'est le 22 mars, qu'Allemand avait adressé ses demandes à Rochefort. Le 1er avril,
ne recevant rien et pressé par les circonstances, il s'était décidé à consacrer ses propres ressources à la construction de l'estacade. Le 3 avril seulement vinrent les bois et ferrures du port, et nous avons rapporté la lettre comminatoire qu'avait dû écrire le préfet maritime pour vaincre l'inertie du directeur des Mouvements du port.
Dès le 1er avril, l'amiral avait formé une flottille de soixante-treize embarcations
pour veiller à l'estacade. Onze des chaloupes portaient une pièce de 36, canon
ou caronade, et quatre pierriers ; dix-neuf canots avaient également, chacun, une
caronade de 36 et quatre pierriers ; les quarante-huit autres embarcations avaient,
chacune, quatre espingoles.
Cette mesure, qui semble justifiée, à première vue, entraîna des conséquences
funestes, dont nous aurons à parler ; mais dès l'abord on reconnut que cet armement,
au moins pour les chaloupes et les grands canots, leur faisait une surcharge telle
à l'avant qu'ils s'emplissaient d'eau dès que la mer était grosse. L'amiral n'en
tint pas compte : la défense de l'estacade le rendait aveugle et sourd à toute
autre chose et lui suggérait les résolutions les plus extraordinaires, telles
que celle-ci : réclamer du port de Rochefort l'envoi de bombardes. Des bombardes
contre des buts essentiellement mobiles !...
Le 5, après l'alerte causée par l'approche de la frégate anglaise et les expériences
faites dans le courant au moyen de barils de goudron enflammé, on redoubla de
surveillance à l'estacade, que l'on renforça à l'aide des apparaux reçus du port.
Des capitaines de vaisseau durent y faire le service, obligés ainsi d'abandonner
leur bord en présence de l'ennemi.
Le 8, enfin, l'estacade était achevée. Ce jour même, de nouvelles forces arrivaient
à la flotte ennemie, mais l'amiral Allemand n'en prit pas d'inquiétude : il se
jugeait si bien garanti qu'il ordonna à tous les navires de l'escadre de déverguer
les voiles qu'il estimait désormais inutiles, de dépasser les mâts de perroquet
et de caler les mâts de hune, bridés en trois endroits aux bas-mâts. Ainsi, dans
sa confiance insensée en son estacade, l'amiral, qui avait déjà ôté aux vaisseaux
ancres, câbles et embarcations montées, les privait encore du moyen de se soustraire
aux brûlots en mettant à la voile. En effet, le cas échéant, on aurait pu, menacé
par les brûlots, courir une bordée au S. O. et, en revenant à l'autre bord, reprendre
le mouillage sous l'île d'Aix, en passant au vent des brûlots, qui courraient
vent arrière (le vent soufflait du N. O.) et que le courant entraînerait sous le
vent. On voit que pas une faute à commettre n'était omise.
Par surcroît de précautions, ordre était donné encore de retirer les gréements,
de mettre à fond de cale les matières inflammables, afin de laisser au feu le
moins d'aliment possible ; enfin de rentrer tout ce qui, faisant saillie à l'extérieur,
était susceptible d'accrocher une machine incendiaire.
Ces dispositions prises, on attendit les événements.
Du côté anglais, on avait également achevé les préparatifs, et on jugeait venu
le moment d'agir.
Le 11 avril, le vent soufflait grand frais de la partie de N. O. ; le ciel était
couvert, le temps à grains, la mer grosse. Dans la soirée, on signala un mouvement
inaccoutumé dans la flotte ennemie : des frégates s'en détachèrent, se rapprochèrent
et vinrent prendre position à environ quinze cents toises en avant de notre ligne,
au centre et à égale distance de nos deux divisions, mais hors de portée des batteries
de terre. Puis trois frégates, sous les ordres de lord Cochrane (3), vinrent mouiller
sur ce banc de Boyard, dont Napoléon avait si bien compris l'importance, — mais
où nos ingénieurs n'avaient encore à peu près rien fait ; elles s'arrêtèrent sur
la traverse du haut-fond dit «Le Pointeau », et derrière elles se rangèrent des
chasses-marées, mâtés seulement du mât de misaine. Les forts de l'île d'Aix et
des Saumonards les canonnèrent sans effet.
L'amiral Allemand ne pouvait douter de l'imminence de l'attaque : des signes certains
n'avaient pu lui échapper, puisque la veille d'autres barils de goudron enflammé
avaient encore été abandonnés au courant par les Anglais, afin de vérifier une
dernière fois les points de lancement les plus favorables, la direction suivie
et les points d'arrivée. Les longues-vues avaient signalé des matelots installant,
sur les vergues de certains bâtiments à allures de navires de commerce, des grappins
d'abordage, des bombes et autres artifices, etc. Le doute n'était possible pour
personne.
Que fait alors notre Amiral ? Il fait avertir le général Brouard, à l'île d'Aix,
qui répond qu'il a vu, tout comme lui, les dispositions prises par l'ennemi et
qu'il est prêt, bien qu'Allemand n'eût pas pensé à lui remettre un renfort de
419 canonniers destinés à ses batteries. Aux navires de l'escadre, celui-ci fait
le signal de «liberté de manœuvre», en se référent aux instructions déjà dites.
À cinq heures et demie du soir, les frégates anglaises s'avancent, remorquant des
bâtiments de différentes grandeurs : l'une d'elles mouille dans le nord de l'accore
de Boyard ; une frégate et une corvette s'approchent en observation. De notre côté,
on se prépare à tout événement. À six heures, l'amiral signale d'envoyer, à huit
heures, les 4e et 5e divisions des embarcations à l'estacade. Pourquoi ce
délai ?
À six heures on avait la fin du jusant ; à huit heures il fallut ramer contre grand flot.
Parmi les embarcations de deux divisions se trouvaient de mauvais canots de six
et même quatre avirons, et cela pour combattre des péniches de trente à quarante
avirons ! Les embarcations, surchargées ou trop faibles, ne purent gagner contre
le grand vent, le courant de marée et la grosse mer ; elles allèrent en dérive,
et les vaisseaux en furent privés, sans qu'elles servissent à l'estacade. N'est-ce
point le cas d'appliquer ce diction des anciens : Quos vult perdere... (4).
La nuit s'était faite, l'obscurité était profonde et le silence solennel, à part
les bruits du vent et de la mer. L'amiral n'avait pas fait le signal de branle-bas
de combat mais les capitaines y avaient pourvu de leur propre mouvement.
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[Notes de bas de page.]
1. [Note de l'éditeur. À proprement parler, Edward Tapley et Thomas Makeet étaient tous les deux Master's Mates ; et ce ancien grade de Master's Mate dans la marine britannique était en gros équivalent à un enseigne de vaisseau de première classe d'aujourd'hui. Ceci dit, on devrait distinguer le titre (grade) et la fonction (poste) : celui qui commande un navire en est le capitaine («seul maître à bord après Dieu»), quel que soit son grade par ailleurs.]
2. Le Calcutta était chargé de 586 quintaux de lard salé, 388 quintaux de bœuf salé, 120 barriques de vin de campagne, 8 pièces d'eau-de-vie, 20 barriques de vinaigre, 5.940 quintaux de farine, plus de grandes quantités de matériel encombrant, de munitions de guerre et d'armes. Destiné pour La Martinique, il avait pris la mer à la fin de novembre 1808; mais une fois au large il donna si fort de la bande qu'on pensa chavirer. Il fallut revenir au port pour refaire un arrimage absurde. Par exemple, les pièces d'artillerie, mortiers et canons, ainsi que les boulets en chargement, avaient été placés dans l'entrepont, surchargeant ainsi, en dépit du bons sens, la partie haute du navire. Rentré à Rochefort, on commença par mettre à terre huit cents soldats passagers, provenant des dépôts coloniaux, et une partie de l'équipage; puis on travailla à une meilleure répartition du chargement, et cela avec une telle lenteur qu'avant qu'on fût prêt, on apprenait que la Martinique était tombée au pouvoir des Anglais. C'est dans ces conditions, encore en plain travail d'armement, que le Calcutta reçut l'ordre d'entrer au nombre des forces placées sous les ordres de l'Amiral.
Par cet exemple, on peut juger de la prévoyance qui avait présidé à l'organisation de notre flotte.
3. C'est le même Thomas Alexander Cochrane (1775-1860) qu'on vit, plus tard, servir successivement au Chili (1817), au Brésil (1823) et en Grèce (1827).
4. [Note de l'éditeur. Quos vult perdere Jupiter dementat (Euripides c. 480-406 av. J.C.), soit «Quand Jupiter perdre un homme, il lui ôte la raison».]
«Les Brûlots anglais en rade de l'île d'Aix» :
Index et Carte ; Lexique ; Chapitre 6
[Dr R.
Peters : rpeters@wissensdrang.com]