«LES BRÛLOTS ANGLAIS EN RADE DE L'ÎLE D'AIX (1809)» DE JULES SILVESTRE ;
DOCUMENTS JUSTIFICATIFS [2]



DOCUMENTS JUSTIFICATIFS [2].

Version anglaise de l'affaire des brûlots, d'après «W. James, The Naval History of Great Britain,
Londres, tome V, pages 99-130» (traduction de Mlle Andrée Limouzin).

«Le 17 mars 1809, lord Gambier, fit mouiller sa flotte sur la rade des Basques, plaçant ses frégates et navires de moindre tonnage à environ un mille en avant, tant vers l'île d'Aix que vers La Rochelle, suivant la direction du vent. Comme défense complémentaire contre toute tentative sur la flotte par des brûlots, les navires devaient être constamment prêts à l'action, et à filer leurs câbles en y laissant des bouées. Deux embarcations de chaque vaisseau de la ligne de combat, avec des grappins à feu, devaient aussi être envoyées, chaque nuit, après le coucher du soleil, à bord des frégates avancées pour être prêtes à remorquer au large les brûlots français, au moment où ils approcheraient. Quoique ni M. Willaumez, ni M. Allemand, son successeur, n'eussent, autant que nous ayons pu savoir, aucune idée de recourir à un tel système d'attaque contre la flotte anglaise, lord Gambier, presque une semaine avant qu'il commençât ses préparatifs de défense, avait lui-même suggéré à l'amirauté anglaise l'emploi de brûlots contre la flotte française. La lettre de Sa Seigneurie à lord Mulgrave est datée le 11 mars, et voici un paragraphe sur ce sujet: «Les bateaux ennemis sont très exposés à l'action des brûlots. C'est un horrible système de guerre et cette tentative serait très hasardeuse, sinon désespérée; mais nous aurions beaucoup de volontaires pour ce service» (1). (2)

«Cependant, l'Amirauté avait prévu les désirs de lord Gambier, car le 7 mars, le Conseil avait ordonné de préparer un certain nombre de brûlots, étant sans doute guidé par un rapport écrit par le capitaine Richard Goodwin Keats, lequel, dans le mois d'avril 1807, alors que le Majestueux et quatre des vaisseaux à deux-ponts étaient mouillés en rade de l'île d'Aix, avait suggéré à l'Amirauté le succès probable d'une attaque avec bombes, brûlots et fusées, couverte et protégée par un escadre, «laquelle escadre, ajoute cet officier, aussi capable que distingué, serait maintenue aussi près que possible de l'île d'Aix, avec vent d'Est, et de Boyard par vent d'Ouest, de façon qu'elle soit constamment prête à agir d'une façon décisive, si l'occasion se présentait». Ceci résolu, le Conseil d'amirauté, par son secrétaire, informa, le 19, lord Gambier que douze transports sont disposés en brûlots ; que M. Congreve doit se rendre sur un transport avec un approvisionnement de fusées et des hommes habiles à les manier ; que cinq bombardes avaient ordre de se tenir prêtes à prendre la mer, avec toute la promptitude possible, et de se rendre en rade des Basques. La lettre d'instruction continue ainsi : «Tous ces préparatifs sons faits en vue d'aider votre Seigneurie à faire une attaque contre les Français au mouillage de l'île d'Aix, si cela est praticable.

«On me commande, en outre, de vous signifier ces instructions de Leurs Seigneuries : de prendre en considération la possibilité de faire une attaque contre l'ennemi, soit conjointement avec votre ligne de vaisseaux de combat, de frégates et de moindres navires, de brûlots, de bombes et de fusées ; ou séparément par les moyens déjà nommés».

«Le jour même où ces furent écrits, arriva à l'Amirauté la lettre du 11 de lord Gambier, suggérant l'idée d'employer des brûlots, et le même jour arriva aussi à Plymouth, venant de la Méditerranée, la frégate de trente-huit canons l'Impérieuse, capitaine lord Cochrane. Environ une heure après que la frégate eut jeté l'ancre, son capitaine, par une communication télégraphique de l'Amirauté, reçut l'ordre de se rendre au Conseil, Leurs Seigneuries savaient, par les rapports existant dans leurs bureaux, que lord Cochrane connaissait très bien cette partie de la côte de France où les opérations allaient avoir lieu.

«Le 21, lord Cochrane, étant venu de Plymouth par un express, se présenta à lord Mulgrave, qui conféra confidentiellement avec lui sur les moyens de détruire la flotte française au mouillage de l'île d'Aix. Lord Cochrane était absolument convaincu de la réussite de la tentative par des brûlots. Le premier lord de l'Amirauté demanda à lord Cochrane s'il voulait entreprendre l'exécution du plan qu'ils avaient discuté. Tout d'abord lord Cochrane déclina cette offre, donnant raison la jalousie qu'une telle mission pourrait exciter dans le cœur des officiers, ses collèges, servant à cet endroit. Mais à une autre entrevue, le premier lord de l'Amirauté ayant affirmé à lord Cochrane qu'il était le seul officier avec lequel il eût communiqué qu'il jugeait l'entreprise d'exécution facile et de peu de risques, et lui ayant renouvelé son offre de commandement, lord Cochrane consentit, pensant que lord Mulgrave pourrait voir dans un refus définitif des motifs peu dignes d'éloges pour un officier qui avait exprimé une opinion si décidée pour la mise en pratique de l'entreprise. Le 25, le Conseil de l'amirauté adressa à l'amiral anglais, en rade des Basques, une lettre lui faisant savoir qu'il avait pensé convenable de choisir lord Cochrane dans le but de conduire, sous la direction de lord Gambier, les brûlots à employer dans l'attaque projetée contre la flotte ennemie. Cette lettre fut remise à lord Cochrane et dès que cet actif officier put atteindre Plymouth, l'Impérieuse fit voile vers sa destination.

«Le 26, lord Gambier reçut la lettre du Conseil, datée du 19, lui donnant instruction d'essayer de détruire la flotte ennemie de la façon déjà décrite. Le même jour, Sa Seigneurie écrivait deux lettres en réponse. Dans la première, lord Gambier reconnaît que la flotte française est exposée à une attaque par brûlots ; mais dans la seconde, Sa Seigneurie dit : «Les navires ennemis sont mouillés sur deux lignes très près l'une de l'autre, dans une direction droit-sud du fort de l'île d'Aix et les bateaux de chaque ligne n'étant éloignés les unes des autres que de leur propre longueur ; d'après quoi il semble, je pense, que l'espace pour leur mouillage est si restreint, par le peu de profondeur de l'eau, qu'on ne saurait admettre que les navires puissent se mouvoir et mouiller sans se gêner mutuellement. Les vaisseaux les plus éloignés de leurs deux lignes sont à distance de but en blanc du tir des ouvrages de l'île d'Aix : par conséquent, si l'ennemi attaquait ces navires, ceux-ci seraient exposés à être balayés par les projectiles, etc... venant de l'île, et si les vaisseaux étaient désemparés dans leur mâture, ils devraient rester dans la portée du feu de l'ennemi, jusqu'à destruction, car il n'y a pas profondeur d'eau suffisante pour leur permettre de se mouvoir vers le Sud, hors de portée.» L'Amiral termine ainsi sa lettre : «Qu'il me soit permis d'ajouter que si Leurs Seigneuries trouvent exécutable une attaque contre les navires ennemis par ceux de la flotte que je commande, je suis prêt à obéir à tous les ordres dont il leur plairait m'honorer, quelque grand que soit le risque en perte d'hommes et de navires» (3). Il est clair, par la teneur de cette lettre, que lord Gambier était opposé au plan d'une attaque par la ligne des vaisseaux de bataille, la trouvant impraticable pour deux raisons : la force des batteries de l'île d'Aix protégeant le mouillage français et la supposition du peu de profondeur de l'eau, en dedans ou un peu au delà de la portée du but en blanc de ces batteries vers le Sud. C'est pourquoi, le mode de destruction de la flotte française de l'île d'Aix étant laissé à la discrétion de lord Gambier, il choisit la façon qu'il avait lui-même suggérée, l'attaque par les brûlots.

«Quand, du mouillage que lord Gambier occupait en rade des Basques, on s'aperçut que les Français s'efforçaient de fortifier leur position de la rade d'Aix, en établissant des ouvrages sur la pointe sud des bancs de sable de Boyard, la frégate de trente-huit canons Amelia, commandée par l'Honorable Frederick Paul Irby, fut envoyée pour les en chasser. Le premier avril, à neuf heures du matin, la frégate appareilla et se dirigea sur ce point et, à dix heures quinze, virant de bord, elle tira une bordée et chassa les Français. L'Amelia envoya ses embarcations et détruisit complètement les ouvrages. Un ou deux jours plus tard, le capitaine Irby fut envoyé vers une autre partie de la côte française.

«Le 3, lord Cochrane arriva sur l'Impérieuse en rade des Basques et remit à lord Gambier la lettre adressée par le Conseil à l'amiral. Douze des brûlots, qui devaient être employés étaient à ce moment mouillés en rade des Downs (4), attendant un vent favorable, et six transports, qui devaient être transformés en brûlots par la flotte, avaient reçu l'ordre de partir de Plymouth. La direction d'artillerie avait aussi ordre d'envoyer de Woolwich un navire chargé de matières combustibles, comprenant une quantité de composition de Valencienne (5), ainsi que 1000 caronades du calibre de dix-huit livres. Les transports de Plymouth ne devant probablement pas les rejoindre avant quelques jours, lord Gambier commanda que huit des plus grands transports, des trente voiliers qui faisaient partie du même convoi, soient équipés en brûlots à leur place ; et il se présenta très opportunément que deux chasse-marées français, chargés de goudron et de colophane, venaient d'être récemment capturés par la flotte.

«Avec cet approvisionnement de combustibles et de tous autres matériaux que la flotte pouvait fournir, les huit transports, et, sur l'idée de lord Cochrane, la frégate d'approvisionnement le Mediator furent transformés en brûlots, la dernière armée par ses propres officiers et son équipage, et les premiers par les officiers et les équipages de la ligne des vaisseaux de combat. Trois navires explosifs furent aussi équipés sous l'inspection immédiate de lord Cochrane. Le 6, l'Ætna, navire-bombarde, mouilla en rade, et le 10, les douze brûlots des Downs, escortés par les sloops Beagle et Redpole qui avaient également sous leur protection le transport Cleveland chargé de fusées Congreve, dont l'ingénieux inventeur était précisément arrivé sur l'Ætna. Ayant déjà donné la liste de la ligne des vaisseaux de combat, nous présentons ici une nouvelle liste des frégates et navires de moindre tonnage employés dans cette expédition :

  Canons     Frégates :               [Commandant]
     44  Indefatigable  Captaine John Treymayne Rodd
     38  Impérieuse        „      Lord Cochrane
     36  Aigle        „      George Wolfe
     36  Emerald        „      Frederick Lewis Maitland
     32  Unicorn        „      Lucius Hardyman
     32  Pallas        „      George Francis Seymour
     32  Mediator , en flûte        „      James Woodridge
   Bricks-Corvettes :  
     18  Beagle        „      Francis Newcombe
     18  Dotterel        „      Anthony Abdy
     18  Foxhound        „      Pitt Barnaby Greene
     10  Lyra        „      William Bevians
     10  Redpole        „      John Joyce
   Bombardes :  
     [8]  Thunder        „      James Caufield
     [8]  Ætna        „      William Godfrey
   Bricks :  
     14  Insolent  Lieutenant John Row Morris
     12  Encounter          „       James Hugh Talbot
     12  Conflict          „       Joseph B. Batt
     12  Contest          „       John Gregory
     12  Fervent          „       John Edward Hare
     12  Growler          „       Richard Crossman
   Géolette :  
    [10]  Whiting  [Lieutenant Henry Wildey]
   Cotres affrêtes :  
    [10]  Nimrod  [Enseigne Edward Tapley]
    [10]  King George  [Enseigne Thomas Makeet]

«On doit maintenant accorder quelque attention à ceux contre lesquels tous ces préparatifs formidables étaient faits. Parmi les officiers de l'escadre de Brest qui désapprouvaient le retard du contre-amiral Willaumez à attaquer les quatre Soixante-quatorze sous le commandant Beresford, était le capitaine Jacques Bergeret, déjà si bien connu de nous (6).

«Une lettre de ce dernier officier au ministre de la Marine occasionna le rappel du contre-amiral Willaumez. Le 16, celui-ci amena son pavillon à bord de l'Océan et descendit à terre ; et le matin du 17, le vice-amiral Allemand hissa son pavillon à bord du même navire. Le contre-amiral Gourdon resta comme commandant en second, mais deux ou trois des capitaines, y compris M. Bergeret, furent remplacés par d'autres, laissant le tout comme il est indiqué dans la liste déjà donnée.

«Quand l'amiral Allemand joignit la flotte, il la trouva amarrée sur trois lignes à l'entrée du passage et trop loin en dehors. Il ordonna aux bateaux de lever l'ancre et de dériver plus bas ; puis il les fit mouiller en une double «ligne endentée», laquelle peut être expliquée en considérant chaque point dans le chiffre suivant comme un bateau avec sa bordée qui porte contre lui /\/\/\/\/\/ ; la direction était à peu près N. N. E. et S. S. O., et l'avant des navires tournés au N. O. L'avant-garde des vaisseaux de la ligne extérieure pointait droit Sud de la batterie à l'extrémité sud de l'île d'Aix dont ils étaient distants d'environ six cent quarante mètres. Les deux lignes étaient approximativement éloignées, l'une de l'autre, de deux cent cinquante mètres et les navires de chaque ligne, de l'arrière de l'un à l'avant de l'autre, laissaient un intervalle de cent soixante-dix mètres pleins, laissant ainsi une distance de mille cinq cent vingt mètres depuis l'arrière des navires d'arrière-garde sur la ligne extérieure jusqu'au fort (en calculant la longueur de chaque navire sur une moyenne de soixante-dix mètres), ou environ sept-huitièmes de mille réglementaire.

«Chaque vaisseau était amarré sur un câble au N. O. et sur un autre au S. E. Environ à sept cent quarante mètres en avant de la ligne extérieure étaient les trois frégates Pallas, Hortense et Indienne. La quatrième frégate, l'Elbe, était amarrée comme navire de tête dans la deuxième ligne ou ligne intérieure. Le tableau ici donné montrera, sans l'aide d'un diagramme, comment les différents navires étaient placés :

                                Indienne            Hortense               Pallas


Foudroyant      Varsovie      Océan      Régulus      Cassard      Calcutta

             Tonnerre       Patriote  Jemmapes    Aquilon      Tourville            Elbe


«À la distance d'à peu près cent dix mètres en avant de la ligne des frégates, une estacade, longue d'un demi-mille et formée de câbles fixés sur des ancres et soulevés par des bouées, fut jetée en travers du chenal allant de la rade des Basques à la rade d'Aix, ayant son extrémité Nord à un peu moins de mille mètres des rochers qui sont à l'extrémité Sud-Ouest de l'île. Les ancres employées à amarrer l'estacade avaient le poids énorme de cinq tonnes et demie anglaises et les câbles avaient trente et un pouces et demi anglais de diamètre. Pour éclairer ceux qui ne sont pas suffisant instruits sur ce sujet, il est utile d'ajouter que l'ancre de bossoir du Caledonia, le plus grand navire de la marine anglaise, pèse quatre tonnes trois quarts et que son câble de bossoir mesure, ou mesurait avant que ceux en fer soient adoptés, vingt-cinq pouces de diamètre. D'après tout ce que l'on raconte, l'existence de cette formidable estacade n'était pas connue des Anglais jusqu'au commencement de l'attaque que nous allons décrire.

«La force des batteries qui protégeaient le mouillage avait été différemment évaluée de treize à cinquante canons. Il est probable que le nombre des canons ne dépassait pas trente, mais la plus grande partie de ceux-ci était de longs canons de trente-six livres, et il y avait aussi plusieurs mortiers du plus grand calibre en usage. L'île avait une garnison de deux mille soldats, mais tous des conscrits sur lesquels on ne pouvait compter. L'île d'Aix n'avait pas d'autres fortifications, dans ses autres parties, que celles qui protégeaient la flotte. De son côté N. E. ou du côté qui fait face à la baie de La Rochelle il n'y avait que peu de canons montés, ceux-ci en mauvais état et à une grande distance les unes des autres. En plus des batteries de l'île d'Aix, l'île d'Oléron, éloignée de trois milles et demi dans l'Ouest-Sud-Ouest de la citadelle d'Aix, contenait trois ou quatre batteries de canons et de mortiers, dont l'une, nommée Saumonards, pouvait envoyer ses projectiles et ses obus presqu'à portée de la première. À côté de ces défenses artificielles, la rade d'Aix avait un banc à une courte distance de son derrière, et un autre à une distance quelque peu plus éloignée, s'étendant le long de son extrémité Sud. Ce dernier s'appelait Palles et était en plusieurs endroits dur et rocheux. Le premier était un banc ou barre de vase s'étendant à l'embouchure de la rivière la Charente.

«L'arrivée de douze brûlots, dans l'après-midi du 10, ne laissant aucun doute dans l'esprit de l'amiral Allemand sur la nature de l'attaque que l'on méditait, il ordonna aux chaloupes armées et aux navires de la flotte, au nombre de soixante-treize, de s'assembler en cinq divisions pour être prêtes, au déclin du jour, à prendre leurs positions près de l'estacade dans le but d'aborder les brûlots et de les remorquer au large, et d'attaquer tout navire anglais qui pourrait être envoyé pour aider ces derniers dans leurs opérations. Plusieurs excellentes instructions furent données aux vaisseaux pour la marche à suivre, comme il ressort d'une copie de ces instructions tombée plus tard entre les mains des Anglais. L'amiral français ordonna aussi aux navires de chaque ligne de caler leurs mâts de hune, de descendre sur le pont leurs mâts de perroquet et de déverguer toutes les voiles inutiles. Cependant, les frégates avancées devaient garder leurs mâts de hune en place et être prêtes à appareiller au moment même où le signal en serait fait. Les vaisseaux de la ligne de combat reçurent aussi l'ordre de se préparer à mettre à terre les quelques troupes qu'ils avaient à bord, dans le cas où les Anglais essaieraient de s'emparer de l'île d'Aix.

«Le 11, de bonne heure dans l'après-midi, l'amiral anglais ayant terminé ses préparatifs, les différentes frégates et les moindres navires se dirigèrent vers le point qu'on leur avait assigné. L'Impérieuse descendit vers la pointe intérieure de Boyard et prit position, par neuf brasses de fond près du banc, ayant la pointe Nord de l'île d'Aix portant dans l'Est, la pointe Sud dans le S. E. ¼ E. et le centre de la flotte française dans le S. E. ¼ S., cette dernière à une distance de deux milles et demi environ. La position de l'Impérieuse, prise de la frégate l'Indienne, était presque N. O., à la distance d'une portée de canon et demie de l'estacade. Les navires Aigle, Unicorn et Pallas mouillèrent un peu plus au-dessus ou au N. O. de l'Impérieuse, de façon à recevoir les équipages des brûlots à leur retour et à soutenir les embarcations de la flotte qui devaient accompagner les brûlots, et à porter secours, si besoin était, à l'Impérieuse elle-même. La goélette Whiting, avec le lieutenant Henry Wildey, et les côtres affrétés King George et Nimrod (enseignes Thomas Mekeet et Edward Tapley), qui avaient été installés pour lancer des fusées, prirent aussi position près du banc de Boyard. L'Ætna, le seul navire bombarde présent, quoique quatre autres, (Fury, Foxhound, Thunder, Vesuvius) eussent été promis, alors que huit n'auraient pas été de trop, se plaça au N. O. de l'île d'Aix, aussi près que possible du fort dans cette direction, et se couvrit par l'Indefatigable et le Foxhound. Les frégates Emerald, Beagle, Dotterel, Conflict et Growler étaient postées, pour faire diversion, à la pointe E. de l'île. Le Redpole et la Lyra, avec les feux hissés et proprement masqués à la vue des ennemis, étaient placés, l'un près du banc au N. O. de île d'Aix et l'autre près du banc de Boyard, afin de guider les brûlots dans leur route vers l'attaque. Chacun de ces bricks était à une distance plutôt inférieure à deux milles de l'extrémité de la ligne française, de son côté.

«Les onze vaisseaux de la ligne anglaise, qui était à huit ou neuf milles de la flotte française, démarrèrent aussi pour être prêts à coopérer si cela était nécessaire ; mais ayant été obligés de mouiller dans un fort courant, et le vent soufflant fortement du N. O., les navires furent de nouveau amarrés, quand le courant faiblit, afin de les empêcher de tomber les uns sur les autres. M. Edward Fairfaix, navigateur du Caledonia, évaluait la distance de son navire et de ceux autour de lui à seulement six milles du mouillage ennemi ; mais quand les Français télégraphièrent de la citadelle d'Aix, ainsi qu'ils faisaient tous les matins, ils indiquèrent la distance de trois lieues.

«Bien que le vent soufflât dans une direction aussi favorable qu'on pût le désirer pour la marche en avant des brûlots, dont la totalité avait dérivé et était mouillée un mille devant la flotte anglaise, le vent était trop violent pour mettre à exécution une partie du plan, qui était d'enchaîner les navires ensembles par groupes de quatre. Chaque brûlot fut alors laissé libre d'agir indépendamment et, vers huit heures trente du soir, la nuit absolument noire, le vent soufflant encore plus fort qu'il n'avait jamais fait et la marée montant à une vitesse de deux nœuds à l'heure, le Mediator et les autres brûlots mouillés autour de lui coupèrent leurs câbles et mirent à la voile. Des trois bateaux explosifs, un fut balayé de l'arrière de l'Impérieuse par un brûlot abandonné trop tôt et, bien que l'équipage à bord de ce bateau fût prêt à marcher et mit ensuite le feu à la fusée, celle-ci sembla rater. Pendant ce temps, les deux autres, dont l'un était commandé par lord Cochrane, assisté du lieutenant William Bissel et de quatre marins, se dirigèrent vers la rade d'Aix. Ces deux bateaux explosifs semblent avoir été enflammés quand ils étaient à moins de trois quarts de mille de la ligne française. À quelle proximité se produisit l'explosion et quels en furent les effets, les Français eux-mêmes peuvent le mieux dire. Pour s'imaginer quels effets de telles machines pouvaient produire, il faut voir tous les soins apportés à leur préparation. Le navire de lord Cochrane, seul, contenait environ mille cinq cents barils de poudre à canon. Ces barils étaient placés debout, amarrés ensemble par des câbles enroulés autour et serrés les uns contre les autres par des coins, avec du sable humide bourré entre eux de façon à rendre le tout, de l'avant à l'arrière, complètement solide, et à augmenter ainsi la résistance. En plus de cela, par-dessus cette masse de poudre à canon étaient intercalés trois à quatre cents obus chargés de fusées et presqu'autant de milliers de grenades à main.

«Plusieurs des brûlots furent enflammés et abandonnés bien avant d'arriver au large des deux navires placés le plus au nord comme guides. D'autres encore furent admirablement conduits, surtout le Mediator, le plus grand et le plus efficace d'eux tous. Ce navire, par son grand poids et par la force du vent et de la marée, qui, à ce moment-là, avait atteint une vitesse de presque quatre nœuds, brisa l'estacade et fraya ainsi pour le reste des brûlots un passage libre. Le brave commandant du Mediator étaient tellement résolu à voir bien exécuter le service qu'il avait commencé, que lui-même, les officiers et les hommes qui s'étaient engagés à l'accompagner furent sur le point de périr avec leur navire ; un officier-canonnier James Suggs [ou James Seggess] fut tué, et le commandant Wooldridge, les lieutenants Nicholas Brent Clements et James Pearl, ainsi qu'un marin [Michael Gibson] furent enlevés par l'explosion du navire ; ces trois derniers légèrement, mais le commandant plus sérieusement, brûlés à vif. Les pertes subies à bord des autres brûlots semblent avoir été : trois marins [Thomas Maddox, John Nelson et John Ellis] et le lieutenant-commandant William Flintoft du Cæsar, tués par l'éclatement d'un bateau-explosif près du brûlot ; un enseigne, Richard Frances Jewers du Theseus, et un autre, John Conyers du Gibraltar, tous deux brûlés à vif par la poudre.

«Parmi les cinq ou six officiers commandant les brûlots, avec le capitaine Wooldridge, qui eurent la sagesse et la présence d'esprit d'attendre jusqu'au bon moment pour mettre le feu au train de leurs navires, nous pouvons citer les capitaines Newcombe, du Beaver, et Joyce, de la Lyra, et le lieutenant John Cookesley, du Gibraltar, qui furent exposés aux plus grands dangers pendant leurs efforts pour regagner les frégates avancées. Ils eurent à ramer contre un fort courant et contre une mer houleuse qui fit presque couler plusieurs embarcations ; ils furent aussi mis en péril par des volées de fusées dont la plupart avaient été placées dans le gréement des brûlots et prenaient une direction tout à fait différente de celle qu'on avait voulu leur donner.

«Les embarcations de la flotte sous le commandement du contre-amiral Stopford avaient reçu l'ordre de soutenir les brûlots. Elles furent réunies, en conséquence, le long du Cæsar ; mais jugeant, par le grand mauvais temps, qu'on ne pourrait pas s'en servir, le contre-amiral ne fit pas route avec elles. Il poussa les choses si loin que, bien que la 4e et la 5e divisions des navires français eussent été envoyées à l'estacade, il attendit les embarcations jusqu'à deux heures du matin ; mais presque toutes, entravées par la puissance du vent et du courant, furent obligées de se retirer. La nuit était si obscure que le ciel fut bientôt illuminé par l'éclat éblouissant de tant de feux ; et avec les éclairs des canons des forts et des navires en retraite, le vol des obus et des fusées partant des brûlots et la réflexion des rayons de lumière sur les flancs étincelants des navires français dans l'arrière-plan, tout cela formait une scène particulièrement terrible et sublime. Mais le vent était tellement violent au commencement de l'attaque que, dans la flotte anglaise, on ne pouvait même pas entendre les explosions, bien qu'elles fussent très bruyantes. Cependant un de leurs premiers effets fut de calmer considérablement la brise. Quels autres effets les brûlots et les bateaux explosifs produisirent ? Nous allons le raconter aussi bien que possible, en tirant les faits des comptes-rendus publiés et autres.

«À neuf heures trente du soir, suivant l'heure constatée par l'Indienne, un corps flottant à l'estacade, dans la direction des bossoirs de tribord, fit explosion avec un bruit épouvantable ; mais, bien que distant de seulement cent dix à cent vingt mètres de la frégate, il ne lui fit pas, nous dit-on, le moindre mal. Les paroles du commandant Proteau, à ce sujet, dans son journal sont : «J'étais dans cette position, à trois encablures et demie de mon escadre, l'amiral dans mes eaux, lorsque nous distinguâmes, à neuf heures et demie, sous notre bossoir de tribord, un corps flottant à l'estacade. L'explosion s'en fit tout-à-coup et vomit quantité de fusées artificielles, grenades et obus, qui éclatèrent en l'air sans nous faire le moindre mal, et cependant nous n'en étions qu'à une demie-encablure». D'après l'exposé de M. Fairfax, le navigateur supérieur de la flotte de lord Gambier, il ressort que le bateau explosif éclata à «environ un mille» de l'ennemi. Quelle raison eut-il de craindre qu'il aurait pu sauter au lieu de l'ennemi, quand il admet que la Lyra, à bord de laquelle il se trouvait, était placée à deux encablures, au vent du bateau explosif, alors que l'Indienne, qui était à une demi-encablure sous le vent, s'en tira sans aucun mal (7). Dix minutes plus tard, un second bateau explosa aussi contre l'estacade et presque sous le beaupré de l'Indienne. Qu'il nous soit permis d'observer en passant que, bien que sur le temps absolu l'Indienne et l'Impérieuse diffèrent de une heure dix minutes, ils sont exactement d'accord. La dernière explosion est décrite comme ayant été plus forte et plus terrifiante que la première et comme ayant couvert les frégates d'une grêle de feu ; et cependant on ne nous a jamais dit que la frégate ait eu aucune avarie. Il est donc vrai, ainsi que lord Gambier l'affirma, que «l'explosion des bateaux explosifs sous le commandement immédiat de lord Cochrane ne se produisit pas, de toute façon, aussi près des bateaux ennemis que sa Seigneurie l'avait projeté» (8). Mais ce ne fut pas parce que les fusées avaient été allumées trop tôt, comme l'assurèrent les témoins de lord Gambier, ni parce que les fusées avaient brûlé trop rapidement, mais par la résistance de l'estacade, qui avait arrête les bateaux dans leur marche. Quand l'officier de l'Indienne, sur le gaillard d'avant, découvrit le corps flottant, celui-ci n'allait pas vers l'estacade, il y était déjà arrivé. Si cette estacade avait été enlevée, une demi-minute aurait suffi pour porter ce bateau au milieu de la ligne des frégates et alors quels auraient pu être les effets de l'explosion ! Cette explosion fut suivie, en dix minutes, par une deuxième, qui fut encore plus grande et plus terrifiante que la première. À neuf heures quarante-cinq du soir, le Mediator rompit l'estacade en la traversant et, ainsi que tous les navires l'accompagnant, reçut aussitôt le feu des navires français. Les projectiles de la ligne des vaisseaux de combat passaient entre les mâts des frégates avancées et leur causaient certainement des avaries. Ces dernières coupèrent aussitôt leur câbles. L'Hortense, faisant voile, passa au vent de nombreux brûlots et déchargea sur eux plusieurs bordées. Cette frégate et ses deux navires de conserve firent alors retraite vers l'arrière-garde des vaisseaux de la ligne de bataille. De ceux-ci, le premier abordé par un brûlot fut le Régulus, lequel, dit-on, fut saisi pendant un quart d'heure par les grappins d'un grand brick en pleine combustion, et malgré cela le vaisseau français de soixante-quatorze canons s'en tira sans dégâts matériels apparents, excepté quelques légères avaries occasionnées par un abordage avec le Tourville. L'Océan fut également saisi par les grappins d'un brûlot. En voici quelques détails, donnés par l'un de ses officiers et dont les paroles sont extraites de la traduction de plusieurs lettres interceptées, que nous eûmes la chance de voir : «Une frégate-brûlot dirigeait sa marche sur l'Océan. Nous filâmes plusieurs brasses de notre câble N. O., mais le navire s'approchait toujours de nous. Le Régulus venait juste de couper ses câbles et tâchait de s'éloigner d'un navire qui menaçait de le brûler. Ce mouvement du Régulus nous obligea à couper notre câble N. O. Nous hissâmes la voile d'artimon pour aider notre navire ; mais dès que nous vînmes faire tête à notre ancre S. E., trois brûlots fondirent sur nous. Que faillait-il faire ? Nous fûmes obligés aussi de couper ce câble, de hisser le petit foc, le grand hunier, de largeur la misaine et de gouverner de façon à éviter les Palles, banc de rocher sur lequel le Jean-Bart fut perdu. A dix heures nous échouâmes et, aussitôt après, un brûlot, dans toute l'intensité de sa combustion, nous saisit en travers de l'arrière. Pendant les dix minutes qu'il resta dans cette position, nous employâmes tous les moyens en notre pouvoir pour empêcher le feu de prendre à notre navire. Nos pompes jouèrent, inondant complètement la poupe ; avec des espars nous éloignâmes le brûlot et avec des haches nous coupâmes les aiguillettes des grappins attachés à l'extrémité de ses vergues ; mais les chevaux de frise de ses flancs le tenaient solidement à nous. Dans cette situation déplorable nous pensions que nous allions forcément brûler, car les flammes du brûlot couvraient tout notre arrière. Deux vaisseaux de notre ligne de combat, le Tonnerre et le Patriote, tombèrent à ce moment sur nous. Le premier brisa son beaupré dans la gréement du grand mât à tribord, détruisant nos préceintes. La Providence vint à notre secours : — au moment même où le brûlot qui était en travers de notre arrière commençait à dériver le long de notre côté de tribord, le Tonnerre se sépara de nous. Sans ce hasard heureux le brûlot serait tombé dans l'angle formé par les deux navires et les aurait infailliblement brûlés. Le brûlot ayant dérivé assez loin en avant pour arriver sous notre beaupré, nous le maintînmes pendant quelques temps afin de laisser au Tonnerre et au Patriote le temps nécessaire pour échapper à son atteinte. Pendant que ce brûlot était sur nous, nous hissâmes les robinets couler afin de noyer les soutes à poudres, mais l'écoulement d'eau était trop lent pour cela. Nous perdîmes au moins cinquante hommes entraînes par leur zèle à dégager les brûlots ; ils tombèrent à la mer et furent noyés; mais nos embarcations en sauvèrent quantité d'autres. Peu de temps après que nous eûmes si heureusement échappé à l'incendie, un autre brûlot nous arriva à tribord : nous tirâmes une bordée et lui coupâmes son grand mât, ce qui heureusement le fit éviter, et il passa tout près de nous. Tout le reste de la nuit nous fûmes entourés de navires en feu. Nos canons tiraient sur les navires anglais, occupés à remorquer des brûlots. Celui qui nous aborda à l'arrière était remorqué par un bateau monté par quinze or seize hommes : nous tirâmes dessus et l'obligeâmes à larguer la remorque. Dans cette nuite désastreuse le Cassard eut cinq hommes tués et quinze mortellement blessés par un projectile venant d'un de ces brûlots».

«D'après cette peinture fidèle de l'un de ceux qui étaient à bord, le vaisseau-amiral français l'avait échappé belle, et par cette description on peut facilement se faire idée de ce qu'avait dû être la situation de plusieurs autres navires. En fait, la terreur naturellement inspirée par cette flotte de corps enflammés s'approchant, avait été telle que chaque navire français, excepté le Foudroyant, coupa ou fila ses câbles et partit à la dérive. Malgré cela, le Cassard mouilla de nouveau sur la rade, à une distance d'environ cinq cents mètres en avant du Foudroyant, qui avait, croyons-nous, coupé son câble N. O. et se tenait alors sur son câble S. E. À minuit l'ensemble des treize bateaux français restants était échoué. Voici quelles étaient leurs positions, à l'aube du 12, comme les Français eux-mêmes l'on rapporté :

«L'Océan était sur un fond de vase, à la distance d'un demi-mille plein dans l'Est-Sud-Est du mouillage de la rade d'Aix. Ayant à bord, ainsi que les autres navires, une quantité de fournitures pour l'approvisionnement de la colonie où il devait aller, l'Océan était lourdement chargé, ne tirant peut-être pas moins de vingt-huit à vingt-neuf pieds. C'est pour cela qu'il s'échoua alors qu'il était encore sur une partie de la rade d'Aix et non pas sur le banc des Palles, comme on avait cru tout d'abord. Ceci explique que l'amiral Allemand ait daté sa lettre officielle du 12 «à bord du vaisseau l'Océan en rade de l'île d'Aix».

«À environ cinq cents mètres dans le S. O. de l'Océan, sur un lit rocheux qui s'appelle «Charenton», étaient le Varsovie et l'Aquilon, et tout près d'eux, mais sur un terrain un peu meilleur, le Régulus et le Jemmapes. Le Tonnerre, l'avant tourné vers le Sud-Est, sur un fond dur, à deux cents mètres à l'Est du rocher «Pontra», et dans le Nord-Ouest de l'île Madame, située au Sud-Ouest de l'embouchure de la Charente, et au Nord-Est de l'îlot d'Enet, qui forme l'extrémité Nord du rivage opposé de la même rivière. Ce bateau, depuis deux heures du matin, avait jeté tous ses canons par-dessus bord, à l'exception de dix de trente-six livres, et avait coupé son grand mât ; mais rien ne pouvait le sauver, car il était déjà crevé dans son petit fond. À quelque distance dans le Sud-Ouest du Tonnerre, presqu'à l'extrémité des Palles, dans cette direction et près des débris du Jean-Bart, était le Calcutta, ayant l'avant au Sud-Est. Le Calcutta s'échoua d'abord à onze heures et demie du soir, fut remis à flot à une heure du matin, et bientôt après s'échoua une seconde fois sur le fond rocheux où il se trouvait alors. Le Patriote et le Tourville étaient sur la vase au large de l'île Madame et non loin du chenal de la Charente. Quant aux quatre frégates : l'Indienne était à trois quarts de mille dans l'Est de l'Océan, sur la vase, au large de la pointe de l'Aiguille, près de l'îlot d'Enet ; l'Elbe et l'Hortense étaient sur les Fontenelles et la Pallas sur la vase du petit Port-des-Barques, juste à l'entrée de la Charente.

«Tous les navires échoués, principalement les six placés sur la partie dure des Palles, donnaient une bande plus ou moins forte et presque tous, par la nature du fond sur lequel ils gisaient, étaient dans une situation très désespérée. Si bien que, malgré que les brûlots des Anglais n'aient pas causé la destruction immédiate d'un seul bateau de la flotte française, ils avaient laissé presque tous les navires dans un état comparativement sans défense, exposés, si on avait agi promptement, à une attaque de nature différente, attaque plus conforme aux règles d'une guerre régulière et plus en rapport avec l'esprit qui règne généralement à bord d'une flotte anglaise.

«Par sa proximité de la scène du désastre, l'Impérieuse fut le premier navire anglais à observer et le premier à communiquer au commandant en chef l'état d'échouement des navires français. La marée descendante obligea l'Impérieuse à lever l'ancre au petit jour et à se mettre au large. Lord Cochrane fit alors les signaux télégraphiques suivants au Caledonia, qui était mouillé à distance exacte de douze milles des navires échoués : à 5 h 48 du matin, «la moitié de la flotte peut détruire l'ennemi ; sept à la côte» ; à 6 h 40, «onze à la côte» ; à 7 h 40, «seulement deux à flot» ; à 9 h 30, «l'ennemi se prépare à se relever». Dès que la marée le permit, vers dix heures du matin, l'Impérieuse retourna jeter l'ancre près du banc de Boyard, la partie Sud de l'île d'Aix se trouvant dans le Sud-Est quart Est, ce qui était à peu près au même endroit d'où quelques heures plus tôt les frégates avaient levé l'ancre.

«Immédiatement après le dernier signal télégraphique de l'Impérieuse, lord Gambier télégraphia à la flotte : «Préparez les ancres de miséricorde et de rechange aux sabords de l'arrière et que les embossures soient prêtes». À neuf heures trente-cinq du matin, l'amiral anglais signala à la flotte de lever l'ancre, mais il suspendit l'exécution de ce signal et en fit un autre appelant tous les capitaines à bord du Caledonia. Dès que la conférence fut terminée, les capitaines retournèrent à leurs navires, et à dix heures quarante-cinq du matin, suivant le temps moyen noté par les journaux de bord des différents navires, la flotte se mit en route. À onze heures trente du matin, la flotte jeta l'ancre de nouveau par douze à treize brasses d'eau, à la distance de trois milles du sémaphore de l'île d'Aix et, par conséquent, à six milles environ des vaisseaux français échoués. La raison officiellement donnée par l'amiral, pour avoir mouillé à si grande distance, fut que le vent soufflait fort du Nord ; cela, combiné avec la force du flot, rendait hasardeux de naviguer dans les rades d'Aix. Mais, suivant le témoignage du capitaine Broughton, interrogé à la Cour martiale de lord Gambier, Sa Seigneurie fut conduite à mouiller aussi loin parce que : «L'ennemi était à la côte et qu'il ne pensait pas nécessaire de faire courir à la flotte des risques inutiles, quand la destruction de l'ennemi semblait avoir été obtenue» (9).

«Une nouvelle preuve de ce que l'amiral anglais (quelle qu'ait été son intention première) avaient maintenant abandonné l'idée d'employer la flotte à canonner les ouvrages de l'île d'Aix ou bien les navires français échoués sur le banc des Palles résulte de ce qu'il ne fit pas aux bâtiments le signal ordinaire pour mettre les embossures sur les câbles, et se tenir prêts à mouiller par l'arrière, parce que ce signal (nº 14) commençait par avertir les navires de se «préparer au combat». C'est pourquoi il recourut au télégraphe, comme seul moyen de faire la dernière partie du signal, sans la première. Cependant l'amiral envoya la bombarde Ætna, protégée par les bricks-canonnières Insolent, Conflict et Growler, vers la rade de l'île Aix prendre position pour bombarder les navires français échoués ; et le capitaine Bligh reçut l'ordre de prendre sous son commandement le Valiant, le Bellona, le Revenge, ainsi que les frégates et sloops, et d'aller les mouiller aussi près que possible du banc de Boyard, pour être prêt à soutenir la bombarde et les bricks-canonnières. Tandis que ces derniers, comme ils en avaient reçu l'ordre, se tournaient vers la rade d'Aix, le Valiant, avec sa division, vint mouiller à environ une mille plus près des bateaux échoués que l'endroit où se trouvait alors le Caledonia avec le reste des vaisseaux de la ligne de bataille.

«Ce mouvement laissant deviner que la flotte anglaise allait attaquer immédiatement, le Foudroyant et le Cassard, qui depuis le jour avaient remonté leurs mâts de hune, coulèrent leur câbles et firent voile pour la Charente, ce dernier à midi quarante-cinq et le premier quelques minutes après ; mais en essayant de remonter la rivière les deux bateaux s'échouèrent sur un banc à son entrée, tout près du château de Fouras. Pendant ce temps-là, avec la marée montante tous les navires qui s'étaient précédemment échoués commençaient à se relever, leurs équipages s'efforçant encore de les mettre à flot et de les sortir du banc. L'eau et les provisions furent donc sacrifiées, beaucoup de canons et une grande quantité de munitions jetés par-dessus bord, et des ancres placées au large pour se haler. Depuis six heures du matin, l'Océan avait porté une ancre de mouillage, avec six câbles. Vers deux heures de l'après-midi, par des moyens similaires, le Patriote, le Régulus et le Jemmapes réussirent à se remettre à flot, mais ils s'échouèrent de nouveau sur la barre vaseuse, à l'entrée de la Charente. Entre temps, la mer étant presque haute, l'Océan se remit aussi à flot. Il s'approcha de sept cents mètres plus près du chenal de la rivière, où il fut de nouveau arrêté par la vase.

«Voyant ainsi les navires français se mettre graduellement hors de portée d'attaque, ce qui détruisait tout le résultat de l'entreprise, et observant que les trois navires les plus proches, le Calcutta, l'Aquilon et le Varsovie, disposaient des ancres et des aussières, dans l'intention d'effectuer une manœuvre semblable, lord Cochrane, à une heure du tantôt, juste comme l'Ætna et les trois bricks-canonnières passaient près de lui, appareilla avec l'Impérieuse, qui avait préalablement viré de bord, et, sans ordre ou signal à cet effet, il descendit vers l'ennemi. À une heure trente de l'après-midi, la frégate hissa ses huniers et se dirigea directement sur le groupe des bateaux échoués sur les Palles. S'apercevant alors qu'on n'avait aucune intention de faire une attaque sérieuse contre ces navires, qui essayaient de forcer de voiles afin de se déséchouer, lord Cochrane fit le signal (nº 405) : «Les bateaux ennemis font voile» ; et dix minutes après, à une heure quarante, trouvant qu'on n'y donnait aucune attention, il fit hisser le signal (nº 364) : «Le navire est en détresse et requiert de l'aide immédiatement». Ce dernier signal remplissait bien le but qu'il visait ; mais lord Cochrane ne put se faire comprendre sans avoir recours à l'opération ennuyeuse du télégraphe.

«À une heure cinquante du tantôt, l'Impérieuse diminua sa voilure et tira un coup de canon sur le Calcutta, puis, à deux heures de l'après-midi, mouilla sur le banc des Palles par cinq brasses, vira à une demi-encablure et retint ses embossures. La bordée de tribord arrivait ainsi à porter sur la hanche tribord du Calcutta. L'Impérieuse commença à tirer sur ce navire et tira, occasionnellement, avec les canons du gaillard d'avant à tribord et les canons de bossoir sur le Varsovie et l'Aquilon. À deux heures dix trouvant que le feu des caronades de vingt-quatres et dix-huit livres de l'Insolent et du Growler tombait en dehors de l'Impérieuse et que, même, le feu des plus fortes caronades du Beagle (lequel brick avait jeté l'ancre plutôt en dedans de la ligne prise par les bricks-canonnières) ne produisait aucun effet visible, lord Cochrane leur fit ordonner de venir plus près en dedans. Mais le signal ne faisant aucune distinction entre les navires et les bricks, l'Ætna se crut aussi obligé d'y obéir, se trouvant en meilleure position pour lancer ses projectiles. Dans cette circonstance critique, le capitaine de l'Impérieuse adopta un expédient plus décisif que courtois : il commanda de mettre le feu aux pièces du premier pont de la frégate, pour tirer sur les bricks, ou peu s'en fallait, ce qui fut exécuté, et ces derniers saisissant l'allusion dérivèrent dans une position plus effective, mais se tinrent en dehors de l'Impérieuse.

«Quelques minutes après deux heures de l'après-midi, trouvant que l'Impérieuse étaient chaudement engagée avec les navires ennemis, lord Gambier fit à l'Indefatigable, alors mouillée avec l'escadre avancée près du haut-fond de Boyard, le signal de lever l'ancre. Sur cet ordre, la frégate appareilla à deux heures quinze et, obéissant à un signal spécial, se dirigea vers l'Impérieuse. Mais le vent, bien que favorable, étant faible et le jusant commençant, l'Indefatigable n'avançait que très lentement, quoique portant ses bonnettes de cacatois et de perroquet. Peu de temps après que l'Indefatigable eut levé l'ancre, le reste des frégates et les moindres navires firent de même, se plaçant derrière elle. Vers deux heures trente de l'après-midi, le Valiant et le Revenge, sur un signal de l'amiral, appareillèrent aussi et marchèrent au feu.

«Pendant ce temps, l'Impérieuse continuait son engagement avec le Calcutta. À trois heures vingt de l'après-midi, lorsque l'Indefatigable et les autres frégates s'approchèrent, l'équipage de l'Impérieuse les acclama. C'est alors que lord Cochrane, voyant que le Calcutta avait cessé de tirer et que les Français l'abandonnaient, envoya un aspirant avec une embarcation équipée pour en prendre possession. Vers trois heures et demie, l'Indefatigable prit son ancrage en dedans ou à tribord de l'Impérieuse et lorsque lord Cochrane l'eut hélé pour informer que le Calcutta était échoué, il dirigea son feu sur ce dernier. L'Indefatigable tourna ensuite ses canons de l'avant contre le Varsovie, et l'Aigle, L'Emerald et l'Unicorn se postèrent à l'avant de l'Indefatigable. Un moment après, le Valiant, le Revenge et le Pallas arrivèrent et mouillèrent, le dernier en tête des autres frégates, le Valiant tout près de l'arrière de l'Indefatigable et le Revenge à environ six cents à huit cents mètres au N. E. de l'Impérieuse. Ainsi mouillés sur leurs embossures et formant un croissant autour des vaisseaux français, les navires anglais ouvrirent sur eux un feu fourni et destructif. Les coups dirigés sur le Calcutta rendirent nécessaire de retirer l'embarcation de l'Impérieuse et lord Cochrane envoya d'autres embarcations pour informer les frégates que le navire français s'était rendu.

«Déterminé à montrer quel avait été son plan en mouillant où il l'avait fait, le capitaine Newcombe, après avoir levé l'ancre, se jeta bravement entre l'Indefatigable et la coque du Jean-Bart. Filant alors son ancre, le Beagle ouvrit un feu nourri sur les navires français échoués, et un moment après, s'apercevant que son gouvernail touchait presque les débris du Jean-Bart et que le Beagle se trouvait en grand danger, exposé au feu de l'Indefatigable, le capitaine Newcombe se mit en route et fit voile vers l'arrière de l'Aquilon. En arrivant à portée de pistolet du vaisseau français de soixante-quatorze, le Beagle lui envoya un feu bien dirigé et destructif.

«Ayant soutenu la canonnade de nombreux navires qui leur avaient été opposés, sans pouvoir faire usage de leurs canons autres que ceux de chasse ou de l'arrière, le Varsovie et l'Aquilon firent, à cinq heures et demie du soir, le signal de soumission en montrant chacun un «Union Jack» [pavillon britannique] à leur corne d'artimon. Au même instant, le Theseus, ayant quitté la rade des Basques sur un signal à trois heures et demie de l'après midi, mouilla entre le Revenge et le Valiant. À six heures du soir, le Tonnerre, qui se trouvait juste hors de portée du navire anglais le plus proche, le Revenge, fut incendié par ses officiers et son équipage, qui se sauvèrent tous en atterrissant à l'île Madame ; et, à sept heures et demie du soir, le navire sauta. On dit que le Calcutta aurait été incendié par un aspirant de l'Impérieuse et cela sans ordre. Vers huit heures et demie du soir il sauta, produisant une explosion formidable, car ses cales contenaient une énorme quantité de poudre et autres munitions de guerre.

«Les seuls navires anglais qui éprouvèrent quelques pertes dans cette attaque furent le Revenge et l'Impérieuse. Le Revenge eut : un marin et deux fusiliers tués ; un lieutenant, James Garland, cinq marins et neuf fusiliers blessés, dont deux mortellement, et presque tous les autres contusionnés. Le navire avait son beaupré fortement avarié, une grande partie de ses manœuvres courantes et des ses voiles coupées en morceaux, cinq bordés de son gaillard d'arrière brisés et un barreau enlevé. En plus de cela, de nombreux projectiles avaient frappé différentes parties de la coque. On rapporte que ce fut le feu des batteries de l'île d'Aix qui occasionna les avaries de la coque et tua ou blessa les hommes d'équipage, endommageant aussi les gréements de l'Aquilon et du Varsovie.

«Les pertes de l'Impérieuse consistaient en : trois marins tués [Henry Crookman, Peter Darouk et John Marsovick] ; et l'aide-chirurgien Gilbert, le comptable Mark Marsden, sept marins et deux fusiliers blessés. La frégate reçut plusieurs boulets sans sa coque et ses mâts ; son gréement et ses voiles furent fortement endommagés. Les pertes et les avaries furent principalement causées par le feu des trois adversaires échoués sur les Palles, surtout celui du Calcutta. L'Indefatigable et le Beagle, bien que n'ayant perdu aucun homme, reçurent plus ou moins d'avaries dans leurs mâts et leurs vergues, par le tir de l'ennemi. Il est à remarquer que, malgré le tir constant des batteries de l'île d'Aix et des Saumonards dans l'île d'Oléron, les obus et boulets n'atteignirent que l'Indefatigable et le Revenge, parmi les quatorze vaisseaux anglais engagés dans le combat, et encore les dégâts de l'Indefatigable consistaient en un mât de hune à peine écorché.

«Quant aux pertes des Français dans cette bataille, nos renseignements ne sont pas absolument certains : on dit que le Calcutta eut sa coque criblée avant qu'aucune aide ne vînt à l'Impérieuse et que, sur un équipage de deux cent trente hommes, il n'y eut pas un seul tué, mais douze sérieusement blessés. Il paraît que le commandant de l'Aquilon fut tué comme il était assis à côté de lord Cochrane, dans l'embarcation de l'Impérieuse, par un boulet provenant d'un canon du Tonnerre lequel partit accidentellement tandis que le bâtiment brûlait. À bord de l'Aquilon les pertes furent peu importantes parce que, dit-on, lorsque le capitaine Maingon s'aperçut qu'il ne pouvait pas répondre au feu ennemi, il ordonna très prudemment à ses officiers et à ses matelots de se coucher. Le Varsovie eut en tout cent tués et blessés. L'Océan envoya ses embarcations pour sauver l'équipage de ce navire, mais la mitraille des vaisseaux anglais empêcha celles-ci d'accoster.

«Les contradictions existant dans les heures constatées par les navires anglais et notre impuissance à remédier à ce mal, en nous référent aux minutes notées par les navires français, nous empêchent de nous servir utilement des extraits suivants, traduits d'une lettre écrite par un des officiers de l'Océan : «Pendant ce combat (celui contre les navires échoués), nous tirâmes avec quelques-uns de nos canons d'arrière. Le flot ayant relevé notre navire pendant un court instant, nous le mîmes à la côte à quelques encablures plus haut. Un vaisseau anglais de la ligne essaya de venir mouiller sous notre arrière, mais il toucha le fond et s'en tira avec de grandes difficultés. Si cela n'était arrivé, nous aurions été canonnés d'une jolie façon». Nous ne pouvons découvrir qu'aucune navire anglais de la ligne, envoyé sur rade d'Aix, ait eu l'intention de malmener l'Océan ; mais le bâtiment auquel il est fait allusion fut indubitablement le Revenge. Cependant ce navire ne s'échoua pas réellement, il ragua seulement la vase avec sa quille. Un fait est certain : l'Océan, au moment où il était ainsi menacé ou supposé de l'être par le feu d'enfilade des navires de la ligne, s'était retiré à un point situé presqu'à demi-mille plus près de la flotte anglaise. Sur ce point exposé, le bâtiment français à trois-ponts était échoué longtemps avant le jour, et pendant quatre ou cinq heures le bateau s'inclina fortement. En résumé, un couple de frégates bien manœuvrées et placées sur chaque côté aurait pu presque l'anéantir.

«Même après que cette occasion fut perdue, cinq bateaux français de la ligne de combat et une frégate étaient encore attaquables, soit par les brûlots, soit par des frégates, bricks-canonnières et bombardes. Ces vaisseaux étaient : l'Océan, le Cassard, le Régulus, le Jemmapes, le Tourville et l'Indienne, tous échoués à l'embouchure de la rivière. Malheureusement il n'y avait plus de brûlots en réserve, la flotte n'en avait plus du tout et le seul bateau-bombarde présent était l'Ætna. Cependant trois transports furent hâtivement convertis en brûlots, et à cinq heures et demie du soir, le contre-amiral Stopford, avec le Cæsar, accompagné des trois brûlots et des embarcations de la flotte installées pour lancer des fusées, se dirigeait vers la rade d'Aix, recevant un feu bruyant, mais sans effet, des batteries d'Aix et d'Oléron. À sept heures quarante du soir, l'île d'Aix portant du N. au N. N. E., le Cæsar frappa sur ce qu'on supposa être l'extrémité S. E. du banc de Boyard. Comme la marée était presque basse, le Cæsar ne reflotta pas avant dix heures et demie du soir, quand il évita sur l'ancre à jet qu'on avait mouillée. Le Valiant s'était échoué une demi-heure avant le Cæsar et s'était remis à flot quelques minutes plus tard, également sans avaries. Ni le Theseus, ni le Revenge ne s'échouèrent. Comme il manœuvrait pour sortir de son mouillage primitif peu de temps après que le Theseus se fût placé à son arrière, le Revenge, heureusement maintenu à flot, à la grande surprise de son capitaine, atteignit un bon mouillage entre Boyard et les Palles, par cinq brasses et demie d'eau, à la fin du jusant d'une grande marée, hors de portée d'obus et de boulet et où il y avait place pour cinq ou six voiliers de la ligne de combat. Ce fut en essayant d'atteindre ce mouillage que le Valiant s'échoua sur le bord des Palles. L'Indefatigable et l'Impérieuse s'échouèrent aussi mais s'en tirèrent sans dommage, après une heure et demie. Vers huit heures du soir, toutes les autres, frégates et bricks, excepté l'Impérieuse, levèrent l'ancre et mouillèrent avec le Revenge en rade des Trousses (10).

«Il était près de minuit avait que les trois brûlots fussent prêts à se mettre en route. Le vent devint alors variable et le 13, à deux heures du matin, se mit à souffler du S. O., en venant directement du passage conduisant à la rade d'Aix. Profitant de cette circonstance, le contre-amiral Stopford appareilla à deux heures trente du matin et se mit en route. À quatre heures du matin le Cæsar prit son ancrage dans la petite rade des Basques [soit les Trousses]. Comme les brûlots que le contre-amiral avait, à son départ, laissés à la charge du capitaine Bligh, ne pouvaient pas encore agir, on ne fit rien de plus, sinon de mettre le feu à l'Aquilon et au Varsovie, dans lesquels, dit-on, l'eau atteignait les faux-ponts. Quelques personnes ont pensé, cependant, que le Varsovie, qu'on disait être un des plus beaux navires du monde, aurait pu un peu d'effort être sauvé. Mais le Varsovie, aussi bien que l'Aquilon, fut, par ordre du capitaine Bligh, condamné à la destruction.

«Le temps passé à transporter les prisonniers et leurs effets fit qu'il était déjà trois heures et quelques minutes du matin avant qu'on pût mettre le feu à ces navires. À trois heures trente du matin les flammes commencèrent à monter, et comme on ignorait que les soutes des deux vaisseaux avaient été noyées, l'Impérieuse s'éloigna pour éviter les effets de l'explosion attendue. Ainsi firent les trois brûlots qui, par ordre du capitaine Bligh, s'étaient éloignés vers le mouillage de l'Impérieuse, afin d'être utilisés quand il le faudrait sur les ordres de lord Cochrane. Pendant qu'ils manœuvraient pour sortir, l'un d'eux alla s'échouer au large de l'île d'Aix et y resta ; mais il ne sembla pas que les quelques marins se trouvaient à bord aient été perdus ou faits prisonniers.

«L'apparition de deux corps enflammés entraîna des faits extraordinaires du côté des Français. Prenant le Varsovie et l'Aquilon, qui étaient en feu, pour des brûlots anglais, l'Océan, le Tourville, l'Indienne et d'autres navires échoués ouvrirent la canonnade sur eux. Et ce ne fut pas tout. Le commandant et l'équipage du Tourville eurent une telle frayeur, en croyant voir s'approcher ces terribles engins, qu'ils abandonnèrent leur navire, sans même attendre de carguer les voiles qu'on avait hissées pour s'efforcer de le déséchouer, ou même sans voir si le feu qu'on avait mis au navire, en deux emplacements, avaient commencé à prendre. Quand, du Port-des-Barques, où le capitaine et équipage avaient accosté, on s'aperçut, au point du jour que le Tourville n'avait aucunement souffert du feu, soit des brûlots, soit de l'incendie volontaire, et que la ligne de combat des vaisseaux et frégates anglais s'éloignait pour retourner en rade des Basques, le commandant Lacaille se prépara à revenir à son navire. Deux heures après l'avoir quitté il était de retour à son bord, en même temps que l'équipage de trois embarcations revenant de faire du service à bord de l'Océan, soit en tout deux cent trente officiers et matelots sur un équipage d'un moins six cent soixante hommes.

«Le commandant français apprit alors que, pendant son absence, une seule embarcation anglaise aurait pu capturer le Tourville, sans la bravoure d'un ses quartiers-maîtres qui, à l'insu de M. Lacaille, était demeuré à bord. Nous ne saurions dire de quel bâtiment venait l'embarcation qui aurait pu s'emparer si facilement d'un vaisseau français de soixante-quatorze. Assurément, si l'officier avait su que le Tourville était abandonné, une attaque bien décidée eût été couronnée de succès.

«Voici un récit sommaire de l'histoire du quartier-maître français : il s'appelait Eugène-Joseph-Romain Bourgeois, âge de trente et un ans. Étant résolu à rester jusqu'à la fin sur son navire, il s'était glissé inaperçu, de la barque dans laquelle on lui avait donné l'ordre d'aller, puis avait pénétré dans le Tourville par un sabord du premier pont. Dès que toutes les embarcations se furent éloignées, il commença à construire un radeau, prévoyant le cas où les deux brûlots supposés aborderaient le Tourville, ou bien que le feu mis à bord, en deux endroits, viendrait à se développer. Il venait juste de terminer son radeau quand une embarcation anglaise s'approcha du Tourville. Il la héla deux fois et, ne recevant pas de réponse, il tira un coup avec le mousquet, que, dans sa hâte à fuir, la sentinelle avait laissé choir à la coupée. L'embarcation répondit au feu, mais l'intrépide Bourgeois ne s'effraya pas pour si peu ; il courut à la cabine du commandant et, prenant au râtelier une brassée de fusils, il en déchargea rapidement vingt, les uns après les autres. Cela produisit l'effet désiré et la barque rama au large. Il était à bord depuis une heure quand il découvrit, étendus sur le premier pont, trois de ses camarades ivres-morts. Peu de temps après, trois embarcations arrivèrent, venant du bord de l'Océan, et une jeune aspirant de 1er classe, nommé Marinier, prit le commandement des trente hommes présents et prit les dispositions utiles pour la défense du vaisseau. Vraiment, chaque homme de cette petite troupe semblait avoir juré de défendre le Tourville jusqu'à toute extrémité.

«À cinq heures du matin, conformément au signal fait par le contre-amiral Stopford, le capitaine Bligh fit route avec le Valiant, le Theseus, et le Revenge ; suivis par l'Indefatigable, l'Unicorn, l'Aigle, et l'Emerald. Tandis que l'Impérieuse se dirigeait vers le mouillage qu'elle allait prendre et passait à portée de voix de l'Indefatigable, lord Cochrane proposa au capitaine Rodd de faire passer l'Indefatigable d'un côté de l'Océan, l'Impérieuse prendrait l'autre. Le capitaine Rodd refusa d'agir ainsi, prétextant que son grand mât de hune avait été traversé par un boulet, que son tirant d'eau était trop élevé pour le service qu'on voulait de lui et qu'il ne se sentait pas autorité d'agir sans ordre, alors que deux officiers supérieurs, les capitaines Bligh et Beresford étaient présents. À six heures du matin, l'Impérieuse mouilla en rade des Trousses et à six heures trente le Pallas passa faisant voile vers la rade des Basques, après les autres vaisseaux. Le capitaine Seymour héla l'Impérieuse pour savoir si, oui ou non, il devait rester. Lord Cochrane lui ordonna de le faire s'il n'avait pas reçu d'ordres contraires. Le Pallas mouilla immédiatement, et le Beagle et les bricks-canonnières suivirent son exemple. À huit heures du matin, devançant la marée, lord Cochrane envoya les bricks et la bombarde attaquer les navires français les plus près échoués à l'embouchure de la Charente. Il avait l'intention de suivre avec ses deux frégates, si la hauteur de l'eau était suffisante ; mais ce ne fut pas le cas. À onze heures du matin, l'Beagle, l'Ætna, le Conflict, le Contest, l'Encounter, le Fervent, le Growler, la goélette à fusées Whiting, et les deux cotres à fusées Nimrod et King George arrivèrent au mouillage, puis ouvrirent le feu sur l'Océan, le Régulus et l'Indienne qui était échoués. Pendant la nuit précédente, l'Océan avait débarqué tous ses mousses et la plus grande partie de ses soldats ; on avait eu la même faiblesse pour les peureux de l'équipage. Il restait exactement à bord six cents officiers et marins déterminés à défendre leur navire jusqu'à la dernière extrémité. Dès l'aube on avait fait écouler l'eau du troisième plan et le lest mobile ; de plus, cent barils de farine et une grande quantité de provisions salées avaient été jetés par-dessus bord. Mais l'Océan ne bougea pas. Le Beagle prit très hardiment position, par seize pieds d'eau (son tirant d'eau était douze pieds et demi à l'avant et environ quinze à l'arrière), près de la partie arrière du trois-ponts français et le canonna pendant cinq heurs. L'Océan répondit au feu avec ses huit canons de retraite de l'arrière, et bien que ses deux caronades de poupe, surchauffées, eussent été chavirées dès le début du combat, on peut calculer qu'il tira deux cent soixante coups de trente-six livres, trois cent quarante coups de vingt-quatre livres et trois cent quatre-vingts coups de douze livres.

«Le Beagle semble avoir pris très grande part à l'action. En tout cas ce brick souffrit plus que tous les autres, ayant eu sa coque atteinte en plusieurs endroits, sa grande vergue et son grand mât de hune perforés, son gréement fixe et ses manœuvres courantes très abîmés. Cependant le Beagle ne subit aucune perte en hommes, ou du moins aucune ne fut inscrite. La bombarde et les bricks-canonnières semblent s'en être tirés sans perte d'hommes, ni dégâts matériels, excepté que l'Ætna, ainsi que cela se produisit souvent depuis, eut son mortier de treize pouces éclaté. Au moment où la flottille cessa de tirer, l'Océan et le Régulus (la marée était haute) se préparèrent à pousser plus avant dans la Charente. À quatre heures du tantôt, la marée perdant, le Beagle et les bâtiments qui l'accompagnaient levèrent l'ancre et manœuvrèrent pour retourner à leur mouillage primitif, exposés pendant une partie de ce temps au feu nourri des batteries de l'île d'Aix ; mais, néanmoins, cela ne sembla pas avoir occasionné le moindre mal aux navires anglais.

«Les avaries éprouvées par l'Océan pendant ce combat furent les suivantes : un projectile de trente-deux livres venant du Beagle traversa le mât d'artimon jusqu'à la mèche ; son gui de brigantine fut coupé en deux ; six grands haubans et deux d'artimon coupés entièrement ; sa vergue de grand hunier mise à mal ; et deux chaînes de porte-hauban et les trois vergues de perroquet enlevées. La coque avait été atteinte par plusieurs projectiles et éclats d'obus, et les ponts étaient labourés en plusieurs endroits. Mais, malgré ces graves avaries, l'Océan n'eut qu'un seul homme tué, un jeune aspirant qui se tenait auprès de l'amiral au début du combat. L'amiral Allemand commanda immédiatement que tous les hommes disponibles aux canons de chasse sur l'arrière descendissent dans la cale. Grâce à cette sage précaution aucune autre existence ne fut sacrifiée et quelques hommes seulement furent légèrement blessés. Le Régulus était à trop grande distance pour être beaucoup troublé par les boulets, surtout par ceux des caronades. Trois obus cependant tombèrent à son bord et l'un d'eux traversa tous les ponts, éclatant dans la cale. Nous ne savons pas quelles furent ses pertes. L'Indienne eut seulement trois hommes blessés, dont un eut la cuisse emportée. Pourtant on dit que plusieurs boulets frappèrent ses mâts. Le Cassard, le Jemmapes, et la Tourville semblent également avoir pris faible part dans cet engagement, mais ils étaient trop loin pour en souffrir.

«Tandis que ce combat se passait, l'Impérieuse et le Pallas étaient à l'ancre, empêchés par la force et la direction du vent et la rapidité du courant, de s'avancer en sécurité pour attaquer les navires échoués. À midi, le Dotterel, le Foxhound, le Redpole et deux autres bateaux-fusées, venant de la rade des Basques, se rejoignirent à lord Cochrane et s'approchèrent des deux frégates. Par ces navires, lord Cochrane reçut de lord Gambier deux lettres, l'une publique, l'autre privée. La lettre publique ordonnait à lord Cochrane de tâcher d'attaquer l'Océan avec les navires à bombes et à fusées, mais elle exprimait un doute assez fort sur le succès de cette attaque. Lord Cochrane reçut l'ordre d'aller en rade des Basques au changement de marée. La lettre privée était ainsi conçue : «Votre succès a été tellement admirable que je ne voudrais pas voir ternir son éclat par une tentative impossible, et je pense, avec les capitaines qui viennent de vous laisser, qu'il est inutile de faire de nouveaux efforts pour détruire les navires. Vous devez donc rejoindre, dès que vous le pourrez, avec la bombarde, etc..., car je désire vous entendre sur certaines choses auxquelles vous faites allusion, avant de clore mes dépêches». À la première lettre, lord Cochrane répondit : «Je viens d'avoir l'honneur de recevoir la lettre de votre Seigneurie. Nous pouvons détruire les navires qui sont à la côte, et j'espère que vote Seigneurie l'approuvera». Quelques minutes avant ou après la réception de la lettre de lord Gambier, on croyait, à bord de l'Impérieuse, que le signal de rappel avait été fait par le Caledonia. L'Impérieuse répondit au signal supposé (car il est douteux qu'il fût fait) et télégraphia qu'on pouvait détruire l'ennemi. Peu de temps après, le Beagle, l'Ætna et les navires de moindre tonnage mouillèrent près de l'Impérieuse et du Pallas.

«Le 14, à deux heures et demie du matin, en jetant par-dessus bord la plus grande partie de ses canons et d'autres choses lourdes, le Tourville se remit à flot et entra dans la Charente. Mais peu après, par suite d'une prétendue maladresse de son pilote, ce vaisseau se mit à la côte sur la rive opposite de la rivière, au large de Fouras, et tout près des débris d'un des grands brûlots, probablement le Mediator. L'Océan eut aussi peu de succès dans ses efforts pour entrer dans le chenal, car il s'échoua du même côté de la rivière que le Tourville. Mais le Patriote, l'Hortense, l'Elbe, et la Pallas eurent plus de chance et remontèrent la rivière où ils furent hors de danger.

«À neuf heures du matin, l'Impérieuse était rappelée, dit-on, par un signal du Caledonia, lequel signal ordonnait aussi à lord Cochrane de communiquer avec le capitaine Wolfe, de l'Aigle, qui avait ordre de remplacer Sa Seigneurie dans le commandement de la flottille d'Aix. À midi, l'Aigle rejoignit l'Impérieuse et, à quatre heures et demie du soir, ce dernier, conformément aux ordres de l'amiral, leva l'ancre et fit route vers la rade des Basques. Le 15, l'Impérieuse fit voile vers l'Angleterre avec les dépêches de lord Gambier. Environ une heure avant que l'Impérieuse laissât son mouillage en rade des Trousses, l'Ætna et cinq des bricks avaient attaqué le Régulus, l'Indienne et les autres vaisseaux à proximité. Le bombardement et la canonnade continuèrent jusqu'à sept heures du soir et ne cessa qu'après que l'Ætna eut consommé tous ses obus de dix pouces. L'effet de cet engagement semble avoir été peu de chose des deux côtés. Pendant le combat, le Jemmapes s'était dégagé et avait monté la rivière.

«En raison de la forte brise qui soufflait du N. O. les Français pensaient que la marée du 15 atteindrait une hauteur extraordinaire. Pour se préparer, l'Océan jeta par-dessus bord tous ses canons du troisième pont, la moitié de ceux du premier et quatre canons de vingt-quatre livres de son pont intermédiaire. Dès que le navire commença à sentir la marée montante, on fit un grand effort en virant sur les câbles qu'on avait élongés la veille, et la voile d'artimon, ainsi que toutes les voiles de l'arrière furent hissées, pour que le navire vienne faire tête au vent, qui soufflait encore fortement du N. O. À deux heures du matin, l'Océan sentit l'effet de ses voiles et sortit de sa souille. Les voiles de l'avant furent alors établies, les câbles coupés et le trois-ponts français s'avança en coupant la vase. Après avoir ainsi forcé sa route pendant cinq cents mètres, l'Océan atteignit le chenal de la rivière, et à trois heures trente du matin il mouillait au Port-des-Barques, en complète sécurité. À quatre heures du matin, en exécutant les mêmes manœuvres que l'Océan, le Cassard eut le même succès. Si bien que les seuls bâtiments qui restaient échoués à l'embouchure de la Charente étaient : le Foudroyant, le Régulus, l'Indienne et le Tourville, ce dernier le plus avancé de tous. Contre ces navires on ne pouvait tenter aucune attaque efficace, même si le temps l'avait permis, parce qu'il n'y avait plus de bombarde dans la flotte anglaise, car le mortier de treize pouces de l'Ætna avait éclaté et tous les obus de dix pouces étaient épuisés.

«Le 16, à dix heures du matin, après plus de cinq jours d'efforts dont on doit faire gloire à son commandant, M. Proteau, à ses officiers et à son équipage, L'Indienne fut incendiée et sauta une ou deux heures après. Le 17, à quatre heures du matin, la marée étant presque haute, le Foudroyant et le Tourville se dégagèrent et montèrent la rivière, le dernier mouillant devant la pointe du Vergeroux et le premier un peu plus bas le Port-des-Barques. Il ne restait plus maintenant que le Régulus, qui était, comme on l'a déjà noté, sur la rive N. E. de la rivière, juste sous la ville de Fouras.

«Les 18 et 19 passèrent sans qu'on essayât de détruire ce navire. Le premier jour, il n'y avait plus de bombarde ; le deuxième jour, le Thunder arriva, mais le temps était trop mauvais pour que les petits navires pussent coopérer avec lui. L'officier de l'Océan, dont nous avons déjà cité la lettre, dit, à la date du 19 avril : «Nous commençons à désespérer de sortir le Régulus, qui est toujours dans la même position. Les ennemis sont encore en rade, au nombre de vingt navires. Ils n'ont pas fait un seul mouvement pendant ces trois jours, ce que l'on ne conçoit pas très bien, car ils auraient facilement pu attaquer le Régulus et obliger son équipage à l'abandonner».

«Le 20, le Thunder, couvert par les bricks-canonnières, s'avança pour attaqua le Régulus ; mais quelques décharges des mortiers de treize pouces de ce dernier le réduisirent bientôt au même état que l'Ætna. Le 21 et le 22 se passèrent au repos. Le 23, quatre bricks-canonnières prirent chacun à leur bord deux des longs canons de dix-huit livres de l'Aigle, et avec les deux bombardes, l'Ætna s'étant approvisionnée en obus de dix pouces, venant du Thunder, usèrent de tous les moyens, pendant toute la journée du 24, pour chasser les Français hors du Régulus, mais cela sans succès. Ce fut la dernière tentative faite et au point du jour, le 29, le Régulus se remit à flot et rejoignit bientôt ses compagnons à Rochefort. Le même jour, l'amiral lord Gambier, sur le Caledonia, fit voile vers l'Angleterre et la rade des Basques fut bientôt débarrassée de ces navires.

«Quoique ce soit un sujet plutôt délicat à traiter, on ne nous empêchera pas de soumettre quelques réflexions sur les moyens d'action employés dans le but avoué de détruire la flotte française ancrée dans la rade d'Aix. En premier lieu, nous demanderons : Est-il nécessaire qu'une attaque par brûlots ait lieu pendant la nuit ? Il est clair que si les officiers qui commandaient en rade des Basques avaient eu la clarté du jour pour se diriger, bien peu d'entre eux auraient manqué leur but. Pour détruire les vaisseaux français à l'estacade, un ou plusieurs des bateaux explosifs furent admirablement conçus ; mais s'il n'y avait pas eu tant de navires assemblés à l'estacade, l'explosion, quoique violente, n'aurait pu produire que peu ou pas d'effet. Cela fut évidemment démontré par le sort de l'Indienne, qui s'échappa sans mal relatif, bien que placée à cent dix mètres à peine du navire qui fit explosion devant elle. Si on n'avait pas employé accidentellement le Mediator comme brûlot, il est probable que l'estacade n'aurait pas été brisée, et alors tous les navires, aussi bien que les bateaux-explosifs, seraient restés en dehors, sans résultat. L'existence d'une estacade devait être supposée et un lourd brûlot ou un bateau-explosif, si on l'avait jugé préférable, aurait dû être envoyé à grande distance devant les autres bâtiments pour rompre cette estacade et leur ouvrir un passage. Le reste des brûlots, enchaînés par deux ou quatre, aurait pu alors s'avancer avec certitude absolue de produire de l'effet, en admettant, comme nous l'avons suggéré plus haut, que cette opération se serait passée pendant le jour. Une autre question se présente, applicable aussi bien à une attaque de jour que de nuit : supposons que le combat eût été retardé pour laisser la marée monter deux heures de plus. Est-ce que les vaisseaux français ne se seraient pas échoués sur des fonds durs des bancs, aussi bien qu'avec une eau moins profonde, à basse mer ? Par conséquent ils auraient eu moins de chances de se remettre à flot avec la marée suivante.

«Il nous reste à examiner l'attaque des navires échoués. Nous devons dire ici, en toute justice, que lord Gambier n'avait pas de navires de faible tirant d'eau, comme on aurait dû lui en fournir pour le genre de travail qu'il devait exécuter. Dans la plupart des marines on entend par «canonnière» un petit navire portant de un à quatre lourds et longs canons, capables, par la façon dont ils sont montés, d'être utilisés des deux côtés, et par l'étendue de leur portée d'inquiéter l'ennemi à grande distance. Mais, dans la marine anglaise, une canonnière ou brick-canonnière est un navire qui porte, sur chaque côté, cinq ou six caronades de dix-huit livres, dont la portée effective est à peine les deux tiers de celle d'un long canon du même calibre. Lord Gambier avait cinq petits bâtiments de cette condition ; jusqu'au moment où cette affaire se termina, il n'avait qu'une, rien qu'une bombarde. Ce n'était pas le genre de force que le capitaine Keats avait imaginé, lorsqu'en avril 1807 il proposait d'attaquer l'escadre française mouillée dans la même rade. Il demandait des petits navires avec de longs canons et de «cette espèce qui a coutume de lancer des obus de huit pouces, partant de caronades de soixante-huit livres» (11).

«Manquant certainement de petits navires dans ses forces navales, l'amiral aurait dû avoir plus de vigueur et de décision dans l'attaque par ses gros vaisseaux. Après le Caledonia et le Gibraltar, le Cæsar et le Revenge avaient le plus fort tirant d'eau de tous les bâtiments de la flotte de Lord Gambier. Qu'avaient donc alors à faire le Cæsar et le Revenge dans la rade d'Aix, tandis que le Bellona et le Resolution étaient à l'ancre en rade des Basques ? Pourquoi n'avoir pas versé à la mer l'eau des transports que l'on transformait en brûlots, au lieu de la transporter aux navires de la ligne de combat ? Chaque demi-pied supplémentaire que ces derniers tiraient avait grande importance dans le service où ils étaient engagés. Les petits navires même ne furent pas employés à propos. Pourquoi le Dotterel et le Foxhound, avec leurs caronades de trente-deux livres, ne furent-ils pas envoyés en rade d'Aix avant le 13 ? Alors apparurent les effets de l'ignorance de la navigation et des défenses de la côte, et vinrent des discussions sur l'exactitude des cartes marines. On découvrit, à la fin, mas trop tard pour être de quelque utilité, qu'il y avait, en rade d'Aix, place suffisante pour manœuvrer des vaisseaux contre une flotte, en dehors de la portée des batteries des deux côtés (12) ; et on ne sut même pas que le fort de l'île d'Aix aurait pu être réduit au silence par deux ou trois des navires anglais de soixante-quatorze (13). À ce sujet, nous pouvons citer la remarque faite par l'officier de l'Océan : «Les batteries de l'île d'Aix ne nous donnèrent pas la moindre protection, car l'ennemi se fraya très facilement un passage jusqu'à la rade. Deux vaisseaux de notre ligne, le Foudroyant et le Cassard, ne croyant pas pouvoir garder leur position au mouillage, allèrent s'échouer sous Fouras. Je ne pensais pas que même la flottille (allusion à quelques-unes des canonnières qu'on préparait) pût empêcher les navires de traverser jusqu'à la rade, cette rade que l'ennemi connaissait si bien pendant les quinze jours qu'il y resta à l'ancre et avait eu si bien le temps d'étudier, qu'il y entrait et en sortait comme si elle eût été celle d'un de ses ports.»

«À son retour en Angleterre, lord Cochrane, pour sa vaillante conduite lors de cette affaire, fut créé chevalier de l'Ordre du Bain (14). Peu de temps après il signifiait au premier lord de l'Amirauté, que, de son siège au parlement, il ferait opposition à tout vote de remerciements qu'on voudrait adresser à lord Gambier pour sa conduite en rade des Basques. Lord Mulgrave communiqua cet avis à l'amiral, qui, dûment informé, exigea qu'une cour martiale fût tenue sur sa conduite entre le 17 mars et le 29 avril. La cour martial fut accordée et, le 26 juillet, les amiraux Sir Roger Curtis et William Young, les vice-amiraux Sir John Thomas Duckworth, Sir Henry Stanhope, Billy Douglas et George Campbell, le contre-amiral John Sutton et les capitaines John Irwin, Robert Hall, Edward Stirling Dickson et Richard Dalling Dunn se réunirent Portsmouth pour entendre Lord Gambier sur l'accusation suivante : ... «Et attendu que, d'après les journaux de bord et les carnets de signaux du Caledonia, de l'Impérieuse et des autres bâtiments employés dans cette affaire, il appert que le dit amiral lord Gambier, le 12 du dit mois d'avril, alors que les navires ennemis étaient à la côte et qu'on avait fait le signal qu'ils pouvaient êtres détruits, négligea ou tarda, pendant un temps considérable, de prendre les mesures nécessaires pour les détruire...»

«La cour siégea du 26 juillet au 4 août. Les dossiers du procès sont maintenant sous nos yeux et nous ne pouvons nous empêcher d'observer que plusieurs des membres, particulièrement le président Sir Roger Curtis et l'amiral Young se montrèrent très favorables à l'accusé. En deux ou trois occasions, l'amiral Young essaya de rudoyer lord Cochrane, et l'interrogatoire de plusieurs témoins, dont les dépositions appuyèrent l'accusation, aurait été digne d'une habitué du Westminster Hall (15). Nous ne saurions ne pas remarquer cette circonstance singulière que le capitaine Maitland, de l'Emerald, qui n'avait pas caché son opinion sur le caractère des agissements en rade d'Aix, avait été envoyé dans la station d'Irlande avant que la cour martiale fût sur le point de s'installer. Il est vrai que le secrétaire de l'Amirauté informa lord Gambier que le capitaine Maitland, si Sa Seigneurie le désirait, aurait pu recevoir l'ordre de revenir, mais comme on doit le supposer lord Gambier ne désirait pas retarder le procès pour cette raison, et des dix-sept capitaines employés en rade des Basques, à l'exception du capitaine Richardson, du Cæsar, le capitaine Maitland fut le seul qu'on n'interrogea pas comme témoin devant la cour martiale.

«En résumé, nous ne sommes donc pas du tout surpris du jugement que la cour martiale prononça sur lord Gambier. Le jugement fut comme il suit : «Ouï les dispositions produites à l'appui de l'accusation ; ouï le dit Right Honourable lord Gambier dans sa défense et ce que Sa Seigneurie eut à dire à l'appui ; après avoir mûrement pesé et délibéré, considérant l'ensemble, la cour est d'opinion que l'accusation contre le dit Right Honorable lord Gambier n'a pas été prouvés et qu'au contraire sa conduite, à cette condition, aussi bien que sa conduite en toute circonstance et dans ses actes comme commandant en chef de la flotte de la Manche sur rade des Basques, du 17 mars au 29 avril 1809, a été empreinte de zèle, de jugement, de capacité et d'attention appliquée à bien accomplir le service de Sa Majesté ; la cour juge qu'il doit être très honorablement acquitté».

«Lord Gambier, lors de son procès, affirma que les bateaux français les plus éloignés des deux lignes étaient en dedans du but en blanc des ouvrages de l'île d'Aix, ce dont on peut démontrer la fausseté en donnant les distances exactes. Également insoutenables sont les deux derniers des quatre arguments sur lesquels Sa Seigneurie s'appuya, pour sa défense. Un de ces deux arguments était que «trois des sept navires ennemis échoués sur les Palles étaient, à partir du premier moment où ils se mirent à la côte, totalement hors de portée des canons de n'importe quel bateau de la flotte qui aurait pu être envoyé, et qu'en aucun moment, soit plus tôt, soit plus tard, ils n'auraient pu être attaqués». L'autre était que «quatre des onze vaisseaux dont se composait la flotte ennemie ne furent jamais en position d'être attaqués, après que les brûlots eurent manqué leur but principal (16)». Pour détruire le premier de ces arguments de justification, il suffit seulement de remarquer la position, près du Calcutta, du Régulus et du Jemmapes (deux des trois vaisseaux ci-dessus), jusqu'à l'après-midi du 12, à deux heures (17) ; et le deuxième argument s'écroule sous Sa Seigneurie quand le premier coup de canon anglais frappe l'Indienne, que son commandant disait être à une demi-lieue à l'Est de l'Océan et le plus au N. E. de tous les navires échoués de la ligne de combat.

«La négligence ou l'impossibilité d'envoyer les bombardes promises contribua certainement à gâter l'entreprise, mais pas au point qu'on supposa généralement, en raison de l'état d'insuffisance de tous les mortiers de treize pouces alors en usage dans la marine anglaise (principalement par leur trop grande légèreté, mal auquel on a remédié depuis). On allégua que l'Amirauté aurait dû choisir des officiers connaissant la navigation des rades des Basques et d'Aix ; mais on se souviendra qu'au moment où l'attaque fut résolue, une flotte anglaise était déjà à l'ancre dans la première rade. Si on avait substitué d'autres officiers à ceux qui étaient déjà sur les lieux, on aurait pu supposer qu'il y avait eu non seulement manque d'informations, mais aussi manque de zèle. En fait, la nomination de lord Cochrane, le plus jeune parmi tant de capitaines de la même flotte, pour conduire cette entreprise, créa des jalousies, quand l'accord le plus parfait aurait dû dominer. Avec un peu de tact et d'adresse, on aurait pu mener la chose à bien, sans offenser personne, ou il fallait alors l'exécuter hardiment. Et comme lord Gambier avait exprimé un doute sur le succès du plan dressé par l'Amirauté, on aurait dû le faire relever par un autre amiral, qui n'aurait pas vu des difficultés extraordinaires dans cette affaire.

«Interrogé, longtemps après, sur l'attaque de sa flotte dans la rade d'Aix, on dit que Napoléon exprima l'opinion suivante, contenue dans l'extrait d'une publication anglaise bien connue : «... La conversation vint alors sur lord Cochrane et la tentative faite par Sa Seigneurie de capturer ou détruire les navires dans la Charente. Je disais que l'opinion d'un officier de marine très distingué, que je nommai et qu'il connaissait parfaitement, était que si lord Cochrane avait été convenablement soutenu il aurait détruit tous les vaisseaux français. — Non seulement il aurait pu les détruire, répondit Napoléon, mais il aurait pu et aurait dû les prendre, si votre amiral l'avait soutenu comme il aurait dû le faire. Car, dit-il, je crois que la conséquence du signal fait par Allemand aux navires de faire tout leur possible pour se sauver : — «sauve qui peut», — fut que, frappés de panique, ils coupèrent leurs câbles. La terreur des brûlots était si grande qu'ils jetèrent aussitôt leur poudre par-dessus bord, si bien qu'ils n'auraient pu offrir la moindre résistance. L'amiral français fut un imbécile ; mais le vôtre fut tout aussi mauvais. Je vous assure que si lord Cochrane avait été soutenu il aurait pris chaque navire. Ils n'auraient pas dû être effrayés pas vos brûlots, mais la crainte leur fit perdre tout sentiment et ils ne surent plus comment agir pour se défendre». (18)

«La destruction de trois deux-ponts français et d'un navire armé en flûte ne semble pas justifier l'exorde à la façon de Nelson : «La faveur du Tout-Puissant envers Sa Majesté et la Nation s'est clairement dévoilée, etc...» Encore bien moins comprend-on le panégyrique ampoulé contenu dans la lettre du secrétaire de l'Amirauté à lord Gambier : «Leurs Seigneuries m'ordonnent de vous complimenter sur le brillant succès de la flotte sous votre commandement, etc...» La seule partie de l'affaire dans laquelle apparaisse le fait le plus brillant, fut quand les brûlots étaient enflammés et lorsque les bateaux-explosifs sautèrent en l'air, pour donner à ce mot (brillant) la signification métaphorique qu'il contient. Mais ce fut vraiment quand le capitaine Wooldridge, du Mediator, brisa l'estacade, et surtout quand lord Cochrane, avec l'Impérieuse, se lança sans ordres à l'attaque des vaisseaux de ligne échoués.

«À la Chambre des lords, les remerciements furent votés à lord Gambier sur la proposition de lord Mulgrave, malgré quelques dissidents, mais sans opposition réelle. À la Chambre des communes, lord Cochrane demanda copie des minutes du procès de lord Gambier, mais il échoua devant le succès de l'amendement du Chancellor de l'Exchequer (19), qu'on pourrait aussi bien substituer «jugement» à «minutes». Mr. Perceval proposa alors «que les remerciements de la Chambre soient transmis à l'admiral R. Hon. lord Gambier pour le zèle, le jugement et l'attention soutenue à bien servir Sa Majesté, qualités qui distinguèrent la conduite de Sa Seigneurie comme commandant en chef de la flotte en rade des Basques, et qui contribuèrent à ce que la flotte française, réfugiée sous ses propres batteries, fut poussée à la côte, puis abandonnée et détruite en grande partie les 11 et 12 avril 1809». Cet amendement ayant été soumis, un débat s'ensuivit ; mais le vote fut finalement enlevé par un majorité de 161 voix contre 39.

«La deuxième proposition était : «que les remerciements de la Chambre soient transmis au contre-amiral Hon. Robert Stopford, à Sir Harry Neale, capitaine de la flotte, et aux différents officiers et capitaines de la flotte sous le commandement de lord Gambier, pour leur brave et très méritante conduite en cette glorieuse affaire, marquée tout particulièrement par le succès brillant et sans exemple dans la difficile et périlleuse attaque par brûlots, conduite sous le commandement immédiat de lord Cochrane». Une troisième proposition concluait au remerciement des marins et fusiliers de la flotte pour leur brave et méritante conduite. Ces deux propositions furent adoptées à l'unanimité. Pour la dernière, on ne pouvait faire aucune objection ; mais quant à la deuxième, si les mots «glorieuse», «brillant» et «sans exemple» avaient été des expressions moins banales, la proposition n'aurait pas été adoptée, croyons-nous, comme elle le fut. Dans tous les cas, si la Chambre avait su que les officiers qui demeurèrent en rade des Basques avec l'amiral lord Gambier avaient eu aussi peu à faire avec le «péril» ou le déploiement de bravoure qui conduisirent au succès final, les expressions flatteuses employées aurait été, sinon exclusivement, du moins plus directement adressées au capitaine lord Cochrane et aux officiers servant avec lui en rade d'Aix.

«Mais ce ne fut pas seulement du côté anglais qu'un blâme fut infligé au sujet des événements qui se passèrent dans le voisinage des rades des Basques. Les capitaines du Tonnerre, du Tourville, de l'Indienne et du Calcutta passèrent en jugement, accusés de félonie. Le procès dura du 21 juin au 8 septembre et se termina par le jugement suivant :

«Le capitaine Clément de la Roncière, proclamé, par une majorité de huit voix contre une, non coupable de la perte du Tonnerre, fut acquitté. Pour le commandant Lacaille, le Conseil de guerre, prenant en considération qu'il ne perdit pas le Tourville, qu'il revint à son bord deux heures après l'avoir laissé, qu'ensuite il défendit son navire contre l'ennemi et le conduisait au port en sécurité, fut condamné par une majorité de six voix sur neuf à deux ans d'emprisonnement, à être rayé de la liste des officiers et dégradé de la Légion d'honneur. Le commandant Proteau fut acquitté à l'unanimité pour la perte de sa frégate ; mais néanmoins le Conseil, par une majorité de cinq voix contre quatre, le condamna à trois mois d'arrêts dans sa chambre, pour avoir mis le feu à l'Indienne, sans avoir auparavant averti l'amiral de ses intentions. Le commandant Lafon fut reconnu coupable, par une majorité de cinq voix contre quatre, d'avoir honteusement abandonné le Calcutta en présence de l'ennemi, et fut condamné à subir la peine de mort à bord du vaisseau-amiral l'Océan, jugement qui fut exécuté le jour suivant, le 9, à quatre heures de l'après-midi.

«Toutes les remarques que nous croyons nécessaires de faire sur le procès des officiers français peuvent être exprimés en peu de mots : Si les faits divulgués dans ce procès sur la position de plusieurs des navires échoués, et l'impossibilité de se défendre dans laquelle ils se trouvaient alors, si ces faits avaient été connus de la cour martiale qui se tint à propos de cette affaire et acquitta très honorablement lord Gambier, ses membres auraient été certainement plus capables de juger des circonstances soumises à leur examen. Mais nous ne pouvons nous persuader que, même dans ce cas, la cour, composée comme elle l'était, aurait prononcé un jugement plus conforme à la justice et comme il aurait dû être en réalité «pour le bien du service de Sa Majesté».

«Nous avons jeté un regard sur un compte rendu de l'affaire des rades des Basques, dans un ouvrage contemporain (20) : mais la partialité, visible à chaque ligne des quelques pages traitant ce sujet, excite en nous un tel dégoût que nous ne le citerons que pour mentionner que le Jean-Bart, naufragé six semaines avant que les brûlots fussent envoyés en rade d'Aix, y est déclaré avoir été «perdu sur le banc des Palles, quelques jours après, en conséquence de cette attaque», et que, parmi la demi-douzaine de capitaines sur lesquels l'écrivain jette ses critiques, aurait été le capitaine «Prouse» ou «Prowse» qui n'était pas présent et ne commandait même aucun navire.

«Nous allons maintenant examiner rapidement en quel état la flotte de M. Allemand fut laissée au moment où lord Gambier s'éloigna des rades des Basques. L'Océan et le Foudroyant étaient amarrés à une bonne lieue en rivière, où ils étaient échoués. Ce dernier n'avait plus que vingt-six de ses canons à bord, et le premier à peine autant. L'Océan avait de nombreuse voies d'eau et était en mauvais état ; ses coutures s'étaient ouvertes pendant la fatigue qu'il avait éprouvée et dont il souffrait encore. Le Cassard, le Tourville, le Régulus et le Patriote, avec les trois frégates, étaient à l'ancre devant Rochefort et devaient retourner en rade d'Aix dès qu'ils pourraient être approvisionnés en canons et ancres de la fonderie impériale, ou provenant des réserves destinées aux navires en chantier à Rochefort, consistant en deux navires à trois-ponts, l'Iéna et la Ville-de-Vienne, et d'une frégate de quarante canons. Un joli navire de quatre-vingts canons, le Triomphant, avait été récemment lancé et se préparait à prendre la mer.

«Pour protéger le mouillage d'Aix, dès qu'il serait en état d'y retourner, l'amiral Allemand avait ordonné de construire une nouvelle estacade, composée en partie de chaînes prises sur les débris des brûlots. Il devait aussi y avoir une deuxième estacade en dedans de la principale, et toutes les deux devaient être protégées par une nombreuse flottille de navires portant de lourds canons et des mortiers. Pour encourager les marins choisis pour les équiper, le ministre de la Marine promit de hautes récompenses à ceux qui aborderaient un vaisseau ennemi armé. «Mais, ajoute l'officier français dont les excellentes lettres nous ont été si utiles, il est d'abord nécessaire d'inspirer à nos marins l'esprit dont ils étaient animés avant cette malheureuse affaire. En vérité, la plus grande partie des marins est complètement découragée. Chaque jour je les entends se lamenter sur leur situation et se répandre en éloges sur nos ennemis. Ceci, à mon avis, est le plus grand préjudice que les Anglais nous aient causé».

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Un autre document de l'époque nous donnera mieux encore, peut-être, l'impression causée en Angleterre par l'affaire des brûlots. C'est en ces termes que s'exprima, en décembre 1809, une adresse et pétition du lord-maire, des aldermen et de la bourgeoisie de la cité de Londres, assemblés à l'Hôtel-de-Ville, à Sa très-excellente Majesté Royale, en son conseil :

«Très gracieux souverain, attachés à l'illustre maison de Votre Majesté par affection et par devoir, nous montrerions mal la sincérité de notre loyauté si nous cachions à Votre Majesté que nous comptons parmi les plus considérables de nos griefs, les efforts qui ont été faits pour accuser les fidèles sujets de Votre Majesté de manquer d'attachement à sa personne et à son gouvernement, toutes les fois qu'ils ont exercé leur droit indubitable de se plaindre des abus de l'État, ou d'attribuer la honteuse issue d'entreprises coûteuses à l'ignorance ou à l'incapacité de ceux qui les ont projetées ou exécutées : comme si l'infaillibilité était l'apanage du ministère, et appartenait de droit à ceux qui sont appelés aux conseils de Sa Majesté. C'est avec un égal chagrin et une égale indignation que nous avons vu les résultats désastreux des différents expéditions (guerres contre la France) dans lesquelles les armées de Votre Majesté ont été malheureusement engagées et qui marquent évidemment la honteuse imbécillité de ces conseillers insensés, qui ont si scandaleusement prodigué le sang et les trésors d'un peuple patient, fidèle, mais accablé ! Nous ne pouvons nous empêcher de représenter à Votre Majesté que, tandis que les affaires de la nation étaient aussi indignement conduites au dehors, les dilapidations, les malversations et les profusions les plus scandaleuses ont eu lieu dans l'intérieur. Nous ne prenons aucun intérêt aux projets des différents partis, d'après la ferme conviction que nous ne devons pas attendre la réforme des abus de l'État de ceux qui sont intéressés à les maintenir ; mais nous ne pouvons nous empêcher d'exprimer notre ardent désir que Votre Majesté soit à l'avenir plus heureuse dans le choix de ceux à qui elle confiera dorénavant la conduite des affaires.»

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ODE
sur les événements arrivés en rade de l'île d'Aix dans les journées des
11, 12 et 13 avril 1809, par un habitant rochefortais de l'époque.


«Eh ! quoi! je sens trembler la terre !
Quel bruit vient d'ébranler les airs ?
Au loin gronde un affreux tonnerre !
D'où partent ces nombreux éclairs ?
Pareille à l'aube matinale,
Est-ce une aurore boréale,
Qui vient enflammer l'horizon ?
Ou quelque volcan sur les ondes,
Du sein de leurs grottes profondes,
S'élève-t-il en tourbillon ?

J'entends, j'entends des cris d'alarmes,
On s'agite de toutes parts,
On est prêt à courir aux armes,
La foule couvre les remparts.
Voyez, voyez cette lumière !
Ah ! c'est l'Anglais incendiaire
Qui vient de lancer ses brûlots.
Redoutant des forces égales,
De ces machines infernales
Il souille, il fait rougir les flots.
Je vois une forêt flottante,
Qui s'avance rapidement :
De mille feux étincelants
Elle éclaire tout l'occident.
Ella a déjà franchi la rade
Et, se portant sur l'estacade,
Elle la brise avec fracas.
Alors tous les brûlots arrivent,
Devant nos vaisseaux ils dérivent,
S'enflamment, sautent en éclats.

Les vents, la nuit et Neptune,
Semblent, pour servir les Anglais,
Offrir encore à leur fortune
L'espoir du plus honteux succès.
En vain sur eux nos canons tonnent ;
Leurs brûlots embrasés sillonnent
La mer dont ils enflent les eaux.
On veut les fuir ; mais ils s'approchent,
Par leurs mains de fer ils s'accrochent
Aux manoeuvres de nos vaisseaux.
Bientôt, dans ces dangers extrêmes,
Le feu s'attache à l'Océan (21a);
Des braves, s'oubliant eux-mêmes,
A la voix de leur Commandant (21b),
Sur l'épouvantable machine
Volent et trouvent leur ruine.
Dans ce dévouement généreux,
Au moment de perdre la vie,
Leurs bras repoussant l'incendie :
L'Amiral est sauvé par eux.

Chacun, dans cette nuit affreuse,
Que percent d'horribles clartés,
Prévoit l'atteinte périlleuse :
Des brûlots, ils sont écartés.
Si, dans son audace inhumaine,
L'Anglais n'est eût fait qu'une chaîne (21c),
Il eût consommé son forfait.
Mais la main de la Providence,
Trompant sa vaine prévoyance,
De ce crime a détruit l'effet.
Non, de sa cruelle industrie,
Non, non, il ne jouira pas.
Il a couvert d'artillerie
Ses brûlots porteurs du trépas ;
En vain la poudre, la mitraille,
Comme au plus fort d'une bataille,
Eclatant de chaque bord :
Après ces vives canonnades
On les a vus, près de nos rades,
S'abîmer enfin loin du port.
Il avait médité la perte
De la flotte et de l'Arsenal ;
De débris la plage couverte
Prouve ce projet infernal.
Malgré la perfide entreprise
Des vaisseaux brûlés sur l'écueil
Il n'a pu faire aucune prise ;
Les autres ont sur le rivage
Bravé son impuissante rage
Et humilié son orgueil.

Honneur au brave capitaine (21d)
Qui, d'ennemis envrionné,
Par sa défense a rendu vaine
La fin du combat obstiné.
C'est ce navire qu'on vit naguère
Briller dans la sanglante affaire
De nos vaisseaux à Trafalgar :
La mort de Nelson nous rappelle
Qu'il reçut la balle mortelle
Du bord de ce vaisseau Jean-Bart.
De son gouvernement coupable
Sachons distinguer tout Anglais
Qui peut, d'une action louable,
Nous présenter les nobles traits.
Cochrane, rivale magnanime,
Tu t'attendris sur la victime
D'un coup funeste du malheur :
Maingon (21e), blessé, dans tes bras, tombe ;
Tes soins ont honoré sa tombe
Des égards dus à son valeur.

Des crimes de ton Ministère,
Albion, nous serons vengés.
Un jour nous porterons la guerre
Jusque dans tes ports assiégés.
Au favori de la Victoire
Le ciel à réservé la gloire
D'y voir flotter ses étendards :
Là, son aigle armé de la foudre,
Réduira tes vaisseaux en poudre,
Déchira tes léopards.

En vain, pour détourner l'orage
Dont il menace ton pays,
Tu viens livrer à son courage
Tes alliés par toi trahis.
Ah ! de ta fausse politique,
De ton art machiavélique,
Tous les peuples, enfin lassés,
A ton ambition outrée
De leurs ports fermeront l'entrée
D'où tes marchands seront chassés.

Alors, perdant cette énergie
Que ton crédit te donne encor,
Semblable à ce roi de Phrygie
Qui changeait son pain même en or (21f),
Au sein d'une vaine richesse
Tu sentiras, de la détresse,
Et les besoins et les horreurs.
Alors ton Ministère avare,
Du peuple, en ses excès barbares,
Ne pourra calmer les fureurs.

Crains de ce sinistre présage,
Crains pour toi l'accomplissement ;
Moins ambitieux et plus sage,
Éclaire ton gouvernement ;
Partage l'Empire de l'Onde,
Donne ainsi le repos au monde,
Par tes gens bouleversé,
Et l'univers enfin paisible
Les absoudra, s'il est possible,
De tout le sang qu'ils ont versé.

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[Notes de bas de page.]

1.  Minutes du Conseil de guerre de l'honorable lord James Gambier, admiral de la flotte Bleue, page 114.

2.  [Note de l'éditeur.  À proprement parler, en anglais, les expressions «Conseil de guerre» et «Cour martiale» ne sont pas synonymes ; la première est réservée pour une assemblée des officiers avant ou pendant une guerre ou une bataille (où ils discutent des stratégies), alors que la dernière est réservée pour une assemblée des officiers après une guerre ou une bataille (où ils rendent un jugement.)]

3.  Minutes... , page 120.

4.  [Note de l'éditeur.  Les «Downs» sont des collines crayeuses d'Angleterre dans le sud du bassin de Londres.]

5.  [Note de l'éditeur.  La matière combustible de composition «Valencienne» est composée de 50 parties de nitre, 28 de soufre, 18 de antimoine et 6 de colophane.]

6.  [Note de W. James.  «Nous ne pouvons pas constater quel bateau de l'escadron que l'officier a commandé, parce que il est part pour Paris peu après ; et les noms des capitaines ont assigné aux bateaux dans la liste donnée à une page précédente sont comme ils se sont trouvés par la suite au nomination du successeur de capitaine Bergeret.»]

7.  Minutes... , pages 177 et 178.

8.  Minutes... , page 131.

9.  Minutes... , page 122.

10. [Note de l'éditeur.   Ici, la version original de James dit à tort «... mouillèrent avec le Revenge dans le passage de Maumusson.» et, plus bas, «..., l'Impérieuse mouilla dans le pertuis de Maumusson...» et aussi «... l'Impérieuse laissât son mouillage du passage de Maumusson...».]

11. Minutes... , page 18.

12. [Note du traducteur.  Démonstration de la nécessité des fortification du pertuis d'Antioche.]

13. Minutes... , pages 210, 214, 221, etc...

14. [Note de l'éditeur.  L'Ordre du Bain est un ordre de titre de chevalier britannique établi par le roi George en 1725.]

15. [Note de l'éditeur.  Westminster Hall était anciennement le siège de la «Cour des plaids communs».]

16. Minutes... , page 137.

17. Minutes... , page 112.

18. O'Meara, B. E., Napoleon in Exile, Vol. II (page 292), Londres, Simpson & Marshall, 1822.

19. [Note de l'éditeur.  Le «Chancellor de l'Exchequer» est le ministre britannique des finances.]

20. Brenton, E. P., The Naval History of Great Britain from the Year 1783-1822, Vol. IV (page 287), Londres, 1836.

21. [Notes de l'auteur de l'ode.  (a) Nom du vaisseau amiral ; (b) Le vice-amiral Allemand qui, dans cette affaire, eut autant de présence d'esprit que de bravoure. ; (c) On trouva les brûlots munis de chaînes destinées à lier ensemble. ; quelques-uns seulement étaient ainsi unis, peut-être les autres avaient-ils rompu les chaînes et c'est ce fait imprévu qui, peut-être, sauva nos vaisseaux d'une destruction complète. ; (d) Le capitaine Lucas, commandant le vaisseau le Régulus ; (e) Capitaine de vaisseau commandant l'Aquilon. ; (f) Midas, qui reçut de Bacchus irrité le don funeste de convertir en or tout ce qu'il touchait et même ses aliments.]


«Les Brûlots anglais en rade de l'île d'Aix» :
Index et Carte ; Lexique

[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]