«DEUX VICTIMES DES SEPTEMBRISEURS [LES BIENHEUREUX FRÈRES LA ROCHEFOUCAULD]» DE
LOUIS AUDIAT ; CHAPITRE 8


CHAPITRE 8. — États provinciaux de Saintonge, le 20 décembre 1788 et au-delà. — Rôle de l'évêque. — Clergé et Noblesse renoncent à leurs privilèges, — acceptent le doublement du Tiers, — le vote par tête ; — réclament la suppression des intendants et une administration autonome. — Assemblée pour les États généraux. — Pierre-Louis, président. — Cahier des doléances du Clergé. — Son importance. — Ses principales idées, — religieuses, — civiles. — Libéralisme du Clergé. — Pierre-Louis élu député aux États généraux, le 23 mars 1789. — Notes de bas de page.


L'édit de Versailles, qui décidait l'établissement d'États pour chaque province, avait remué partout les esprits. En Saintonge, «les populations calmes et dociles» furent plus lentes à s'émouvoir. Mais quand elles virent le Dauphiné à l'œuvre ; quand le Poitou commença à réaliser l'édit royal ; quand la Guienne eut demandé l'incorporation de la Saintonge et de l'Aunis à la Guienne, les Saintongeais ne voulurent pas rester en arrière, ni se laisser absorber par leurs puissants voisins. Ils savaient leur évêque sympathique à une réforme. De plus, à la place du comte de Puységur, devenu ministre de la Guerre en novembre 1788, le roi avait nommé gouverneur des provinces d'Angoumois, Saintonge et Poitou, le comte de La Tour du Pin, saintongeais par son mariage avec Marguerite de Monconseil, dame de Tesson (1) ; et le comte de La Tour du Pin était tout entier gagné aux idées nouvelles. Fait à noter! l'initiative de ce mouvement décentralisateur est due à la Noblesse et au Clergé (2).

Le 12 décembre 1788, le conseil municipal refuse de s'associer aux villes de Nantes, Nîmes, Quimper, et autres qui demandent l'égale représentation du Tiers et des deux autres aux États généraux. Le 20, un gentilhomme, très probablement le vicomte de Turpin, et un ecclésiastique vont demander au maire la salle de l'hôtel de ville pour s'y réunir et prendre en main la cause de la province abandonnée par l'échevinage.

Le maire n'osa refuser la salle ; et le 20 décembre, on salua avec enthousiasme le jour où la Saintonge serait enfin rendue à elle-même, où elle pourrait s'administrer elle-même, s'imposer elle-même, vivre de sa vie propre et ne plus être soumise aux volontés d'un intendant. Une seconde assemblée plus nombreuse eut lieu le 31 décembre «en la salle de l'hôtel commun de la dite ville». Monseigneur de Saintes y assista, raconte M. Antonin Proust (3).

De plus, présent, il aurait dû présider l'assemblée. Peut-être ne s'y trouva-t-il qu'un instant, comme simple spectateur : car la situation de l'évêque n'était pas sans difficulté. La population entière réclamait. Il ne pouvait, sympathique au fond, montrer de l'indifférence ou de l'opposition. Mais ces assemblées se faisaient illégalement, contre le gré de l'intendant, Guéau de Reverseaux, et sans l'avis du conseil d'État.

Pouvait-il les présider ? Aussi voyons-nous leur grand promoteur, M. de La Tour du Pin, s'abstenir d'y paraître, bien qu'il habitât à 13 kilomètres de là et qu'il fût en ville, le 5 février, jour de la grande séance. Et puis, dès le début, il y eut des rivalités d'intérêts et des querelles de personnes. Peut-être le prélat ne voulait-il pas prendre parti dans ce conflit de passions mesquines.

Mgr de La Rochefoucauld, prié de se rendre aux réunions du 5 février, s'excusa ; il était retenu à Paris par ses affaires. On sait avec quelle unanimité les trois ordres réclamèrent la suppression des intendants, l'érection de la Saintonge en pays d'État, et l'autonomie provinciale ; comment la Noblesse et le Clergé renoncèrent spontanément à leurs privilèges, acceptèrent l'égalité des charges, le doublement du Tiers et finalement le vote par tête. Pas immense fait vers la liberté. On s'arrêta trop tôt. Un despotisme effroyable allait étouffer ces germes heureux.

Ces réunions pacifiques et fécondes furent pour ainsi dire le prologue du drame qui commença par les élections des États généraux et dont la Convention fut le dénouement.

Chaque ordre, en vertu de la lettre royale du 27 janvier et du règlement y annexé, s'occupait en particulier de nommer ses représentants et de rédiger son cahier de plaintes et doléances.

L'assemblée générale des trois ordres fixée au 16 mars par ordonnance du 16 février, du lieutenant général de la sénéchaussée, Le Berthon de Bonnemie, fut présidée par le grand sénéchal de Saintonge, Claude-Arnoul Poute (4), qui pour cela se fit installer en qualité au présidial de Saintes le 9, et puis à Saint-Jean d'Angély le 13 (5).

Dès le 4 mars, le chapitre assemblé extraordinairement après complies, nommait, pour le représenter à l'assemblée du 16, trois de ses membres : Delaage, doyen, Charles-Marc-Antoine d'Aiguières, bachelier de Sorbonne (6), et Dudon (7) ; et le 11, il envoyait à Saint-Jean d'Angély pour le représenter à raison de ses possessions dans cette sénéchaussée, Jean-Louis-André de Luchet de La Motte, qu'on refusa d'admettre.

Le 8 mars, les habitants, réunis à l'hôtel de ville sous la présidence de Guenon, lieutenant du maire (8), entendaient lecture de 24 projets de cahiers de doléances. Le 9, ils nommaient pour en rédiger un seul, Lemercier, Dangibeaud, Chesnier-Duchesne et Bernard ; et le 13, sont désignés pour représenter la ville, Lemercier, Garnier, Chesnier-Duchesne, Bernard, Grégoireau, Gout, Charrier père, Chéty, Arnaud et Suire. Le 16, à 8 heures du matin, les trois ordres se rendent en l'église des Jacobins, aujourd'hui écurie et remise, pour y entendre la messe du Saint-Esprit, le Clergé à droite dans le chœur, la Noblesse à gauche, le Tiers dans la nef. C'est l'évêque qui entonne le Veni Creator, et qui officie. Il n'a voulu laisser à personne l'honneur d'appeler les lumières d'en haut dans cette solennelle occasion (9), et montrer de quelle sympathie il entoure la grande œuvre de régénération sociale qui se prépare (10).

Après la cérémonie, on se rendit au palais royal, disposé pour la circonstance. Le grand sénéchal ouvrit «la séance par un discours qui a excité l'acclamation générale de tous les ordres». Il prit pour texte de son discours, dit M. de La Morinerie, les préoccupations du moment ; «il passe en revue sous toutes les formes la situation fâcheuse du pays ; mais il lui oppose les sentiments tendres et généraux du roi à l'égard de ses peuples ; et il place sa confiance dans l'union de tous les citoyens pour ramener la prospérité, pour concourir à la gloire de l'État (11).»

Vient le duc de La Rochefoucauld, qui, convoqué aux assemblées d'Angoulême, de Poitiers, de Meaux et de Paris, avait voulu comparaître en personne à Saintes pour son fief de Barbezieux, «se faisant honneur avant tout de sa qualité de gentilhomme saintongeais». Le Journal est bref : «Monseigneur le duc de La Rochefoucauld, aussi recommandable par ses titres littéraires que par ceux de sa naissance, a porté la parole après M. le grand sénéchal et a mérité les mêmes applaudissements.» L'impression produite par ces deux harangues fut excellente (12).

L'appel nominal fait, les membres présents jurèrent, les ecclésiastiques les mains ad pectus, les autres la main levée, de bien et fidèlement s'occuper de la rédaction des cahiers et de l'élection de leurs députés. On se sépara pour procéder séparément.

La Noblesse, réunie dans la salle des exercices du collège, du 17 au 26 mars, choisit son président, son secrétaire et ses commissaires (13). Les députés nommés furent Raymond de Richier au troisième tour, et en second lieu le comte de La Tour du Pin, aussi au troisième tour, contre le comte Pierre de Bremond d'Ars, nommé plus tard député suppléant.

Le Clergé, lui, se réunit le soir dans la salle synodale. Mgr de La Rochefoucauld, président, adressa quelques paroles à l'assemblée (14). Il rappela, dit chanoine Legrix, page 19, «à chacun des membres l'objet de l'assemblée ; et après, les a tous exhortés de se prémunir contre tout esprit de corps, d'intérêt particulier, de n'avoir en vue que le bien général de l'État, de la province et de la religion.» Langage vraiment épiscopal.

Dix-sept commissaires furent ensuite désignés pour rédiger le cahier des plaintes et doléances et réunir en un ceux qu'on pouvait avoir apportés. Ce furent Pierre-Léonard Delaage ; Augustin-Alexis Taillet ; Guérin de la Magdeleine ; Dusfresne, chanoine, qui, plus tard prêta serment constitutionnel ; Labrousse de Beauregard, prieur de Champagnolles, chanceladais ; Thomas-Joseph Bonnerot, curé de Saint-Maur ; Laurent Bart, curé de Saint-Vincent de Vassiac, chef-lieu de la paroisse de Montguyon ; Isle de Beauchêne, archiprêtre et prieur de l'hôpital vieux de Pons (15) ; Charbonnel, curé d'Orignolles, etc. (16).

La rédaction de ce cahier ne fut pas besogne facile : car beaucoup avaient apporté leur mémoire particulier et exprimaient des idées différentes. Ce ne fut que le samedi soir 21, après quatre journées, que le cahier fut définitivement réglé et accepté par l'assemblée. Ce document révèle l'esprit le plus large et le plus conciliant. On est étonné de voir avec quelle sagacité le clergé de la sénéchaussée de Saintes signale les abus ; et avec quelle énergie il demande des réformes. S'il tient encore à certaines distinctions, c'est dans ce domaine mal limité où la politique et la religion se touchent, où il craint de porter atteinte aux principes qu'il est chargé de garder inviolables. Pour tout le reste, il tranche résolument. Que de libertés qu'il a réclamées dont nous serions heureux de jouir pleinement ! Que de vices d'administration qu'il a flétris, dont nous ne sommes pas encore complètement débarrassés ! (17)

Les plaintes et doléances peuvent se diviser en deux parties ; les unes ont rapport à la religion, les autres à l'administration civile. On ne blâmera pas le clergé s'il prend vivement en main la cause de la foi. Il supplie sa majesté de la protéger de toute son autorité ; de ne jamais permettre que les jours saints soient profanés par des travaux publics ; de proscrire les ouvrages qui attaquent le catholicisme et les mœurs. Il faut un conseil pour nommer aux bénéfices, et non plus un seul homme, qui, assiégé sans cesse par l'intrigue et les sollicitations, peut difficilement fixer son choix même pour les places les plus importantes. Les abbayes seront données aux plus dignes, et non à des jeunes gens qui commencent leur carrière et sollicitent des grâces qu'ils n'ont point méritées. Les titulaires ne devront point consommer leurs revenus dans la capitale et être dispensés de la résidence. Il serait avantageux que la cour accordât par an plusieurs grâces aux curés dont les services sont inappréciables. Le mérite se trouverait récompensé et la jeunesse ecclésiastique encouragée (18). Création de retraites honnêtes pour ceux que leur âge et leurs infirmités obligent de renoncer à leur place ; les fonds en seraient pris sur les bénéfices simples et les sommes qui sont à la disposition de la chambre du clergé. Dotation suffisante et toutefois modeste des religieux mendiants, qui leur épargne l'humiliation des quêtes sans les dégoûter du travail. Suppression des dévolus. Rétablissement des conciles provinciaux qui se tiendraient tous les trois ans et qui sont le moyen le plus sûr pour régénérer les mœurs ecclésiastiques, rétablir la discipline dans sa vigueur, ranimer les études, déraciner les superstitions, arrêter le progrès de l'incrédulité, rappeler les antiques principes des premiers siècles. Observations au sujet de l'édit de novembre 1787, concernant les non catholiques ; il est vague ; c'est une espèce d'annonce de ce tolérantisme universel que les fougueux déclamateurs décorent du beau nom de philosophie, et qui, dans la réalité, cache une haine profonde pour la vraie religion. Que tout enfant soit porté à l'église pour être baptisé : car sans cela une foule de nouveaux nés sont exposés à être privés de ce nécessaire et indispensable sacrement. Que le prêtre ne soit pas astreint à prêter, comme officier du prince, son ministère à l'union civile des protestants, tandis qu'il bénit comme ministre l'union des catholiques, c'est-à-dire séparation du prêtre et de l'officier civil ; que l'Église ne soit pas forcée, comme elle a lieu de la craindre, de recevoir des mains des non catholiques, ses ministres, ses bénéficiaires et surtout les pasteurs chargés de la conduite des âmes. Pour le reste, animé d'une charité vraiment sacerdotale, le clergé de Saintonge regarde et regardera toujours les protestants comme des frères qu'il faut chérir, comme des brebis égarées après lesquelles il faut courir avec une tendre sollicitude. Il demande donc l'abolition des lois pénales portées sous les deux derniers règnes contre des hommes qui sont plus aveugles que coupables, et que leur naissance a plongés dans les ténèbres de l'hérésie. Quant aux impôts, il supportera toutes les charges avec les autres citoyens dans la plus parfaite égalité ; il renonce à toute distinction pécuniaire (19) ; ce qu'il demande, c'est d'être exempté, comme par le passé, du logement effectif des gens de guerre, du guet et garde des villes, de la milice pour les jeunes clercs, d'une foule de formalités gênantes et inutiles qu'il énumère ; qu'il soit maintenu comme corps et ait son administration particulière ; il paiera sa quotité proportionnelle ; mais il désire garder son assiette et perception d'impôts, beaucoup plus douce et moins coûteuse que celle des officiers fiscaux. Que la dette du clergé contractée pour subvenir aux besoins de l'État soit déclarée dette de l'État. La suppression du casuel est de toute urgence. Ce moyen de subsistance, nécessaire à une partie des ministres de la religion les afflige et les humilie. Il déroge à la dignité des fonctions ecclésiastiques et souvent compromet les pasteurs ; il donne lieu à des plaintes, à des sarcasmes. L'irréligion en profite pour discréditer le saint ministère. La religion serait plus honorée, si sa majesté assurait à tous les pasteurs un sort honnête, indépendant de ces contributions du peuple (20). Suppression des économats dont la régie est le fléau des bénéfices et des bénéficiaires, qui dévore les successions et écrase les familles. Simplification de procédure pour l'union des bénéfices. Enfin augmentation des traitements des curés et des vicaires. La portion congrue de 700 livres est misérable, et ne peut permettre à un pasteur de subsister honnêtement, vu la progression du prix des denrées. Elle devrait être de 1500 livres, y compris les domaines et fondations, ou au moins 1000 à 1200 livres. Les vicaires ont 350 livres, et seulement depuis peu. Ce traitement est peu décent pour un prêtre. Il met un ministre de la religion au-dessous des derniers États de la société. Il faudrait qu'un vicaire n'eût jamais moins de 500 livres, indépendamment des fondations. Voilà les vœux qu'émettait le clergé de Saintonge en ce qui regardait le culte et ses ministres. Certes en examinant de près l'expression de ses désirs on reconnaîtra son amour du bien public, son désintéressement et son esprit de tolérance. Ceux qui nous le représentent comme entaché de préjugés, farci de chimères, plein d'idées rétrogrades, ne rêvant que l'absolutisme et le retour du moyen âge, n'ont jamais lu une de ces lignes. Il était de son époque ; il en connaissait les misères, et en supportait les disgrâces. Il ne se trouvait pas plus à l'aise qu'un autre dans cette société, et sentait fort bien où le bât le blessait. D'énormes abus ont disparu ; il en demandait lui-même la réformation.

Écoutons-le maintenant énonçant ses idées politiques et administratives. La liberté de la presse n'est pas pour lui plaire ; elle doit plutôt être restreinte qu'étendue. Depuis plusieurs années les ouvrages irréligieux ou immoraux ont une libre circulation ; il en est résulté la destruction de tous les principes. S'il y a eu tant d'excès sous le régime de la contrainte, que sera-ce si on ôte toutes les entraves qui contiennent encore auteurs et imprimeurs ? On a déjà assez accordé de liberté ; qu'on s'arrête là et que le roi ne permette pas qu'un auteur, dont les écrits auront blessé la religion ou les mœurs, soit jamais reçu dans aucune compagnie littéraire. Le clergé, sensiblement touché des maux qui affligent la commune patrie, en voit le remède dans la tenue périodique des États généraux, convoqués tous les cinq et même tous les trois ans. Les impôts seront librement votés par la nation, et tout ce qui les concerne sera traité dans ces assemblées, et non ailleurs. Chaque ministre rendra annuellement compte, avec pièces justificatives, des dépenses faites par lui et dont la somme aura été nettement fixée par les États généraux, sans qu'il puisse pour telle cause que ce soit les outrepasser. Les dépenses seront restreintes, dans la maison du roi, de la reine et des princes. Suppression ou réduction des pensions accordées à des gens riches, inutiles ; maintien des retraites données pour services rendus et prouvés, notamment à d'anciens militaires. Publicité annuelle des différentes pensions accordées ; la nation jugera, et ainsi, on arrêtera l'indiscrétion des demandes et la facilité des concessions. Répartition plus régulière et plus égale des impositions : car le pauvre est écrasé, le riche ménagé ; la destination des ateliers de charité ne se fait pas d'une façon plus équitable. Enfin, les habitants de Saintes se plaignent qu'on ait pris à plusieurs leur maison pour logement des gens de guerre, sans indemnité. C'est une atteinte à la propriété qu'il faut réparer. La province devrait faire elle-même la perception de l'impôt qu'elle supporte ; ce serait une économie considérable par la suppression d'une foule d'intermédiaires inutiles et magnifiquement payés. États provinciaux pour la Saintonge qui auraient toute autorité pour la suppression de l'impôt, confection des chemins, ouvrages publics, etc., et amèneraient la suppression des intendants. Liberté pour les villes de choisir leurs officiers municipaux et surtout leurs maires, et pour les campagnes d'élire leurs syndics. Que chaque année les municipalités publient le compte rendu de leurs revenus et de leurs dépenses, et que cet État soit examiné par des commissaires. Abolition des douanes dans l'intérieur de tout le royaume et en particulier de la traite de Charente (21), qui charge de droits excessifs, embarrasse et vexe le commerce de la province. Suppression des droits de contrôle, insinuation, centième denier, ou au moins tarif clair, précis, régulier, uniforme, de ces droits. Suppression et remboursement des offices de jurés-priseurs. Réforme et développement de l'éducation, d'où dépendent la tranquillité des familles, les mœurs publiques et la gloire nationale. Il est urgent de prendre toutes sortes de précautions pour assurer un choix sage et éclairé des instituteurs (22), de leur procurer la considération et l'encouragement dus à de si belles fonctions, de leur fixer un traitement honnête et des retraites convenables. Mais ce désir d'amélioration ne s'applique pas au collège de Saintes, qui a mérité la confiance de la Saintonge et des provinces circonvoisines. La justice, de même que l'instruction, a besoin de grandes réformes. Elle est trop lente, trop chère, trop compliquée. La vénalité des offices doit être anéantie. On devrait exiger des études plus sérieuses pour l'admission. Un juge ne devrait pas opiner dans les causes civiles avant 25 ans, et avant 30 ans dans les affaires criminelles. Que les prisonniers aient une nourriture suffisante, des vêtements, un air sain, des secours dans la maladie : l'humanité réclame contre les rigueurs surajoutées à la peine de la détention. Enfin «la liberté, bien précieux et inaliénable que la nature a donné à l'homme,» étant dans la société sous la sauvegarde des lois, tout français espère que sa majesté, selon sa promesse, évitera tout acte arbitraire et fera cesser l'abus des lettres de cachet, de sorte que tout citoyen, même le plus pauvre et le plus obscur, ne pourra jamais devenir la victime innocente d'un ordre mendié ou surpris.

Ces vœux que nous avons reproduits dans les termes mêmes, sont fort à remarquer. Voilà où en était le Clergé de Saintonge. Si l'on fait réflexion que ses désirs étaient, sauf de légères variantes, ceux du Tiers et de la Noblesse ; que les autres provinces de France exprimaient à peu de chose près les mêmes idées, on se demandera comment un peuple, si prêt pour la liberté, n'a pas su la fonder définitivement. Jamais unanimité aussi parfaite sur les points fondamentaux ne s'était vue, et peut-être ne se verra. Comment ces désirs du bien ont ils abouti au sanglant cataclysme que nous savons ? On était sincère, mais l'expérience manquait. Et des passions ardentes, non contenues dans les limites par une main ferme, devaient bientôt effrayer, troubler, puis dominer. Depuis ce temps, nous oscillons entre la licence et le despotisme. Paysans ivres à cheval, selon la comparaison de Luther, si l'on nous relève d'un côté, nous tombons de l'autre.

Ces cahiers lus et arrêtés, le clergé les envoya porter par quatre de ses membres à la Noblesse. Le chef de la députation, l'abbé Taillet, le vieil ami de l'évêque et son vicaire général, prononce ces paroles remarquables :

«Messieurs, l'ordre du Clergé, qui tient par les liens les plus étroits à l'ordre de la Noblesse, désire resserrer ces liens de plus en plus. Autrefois les deux ordres étaient réunis par la jouissance de presque tous les mêmes privilèges ; ils se trouvent réunis aujourd'hui d'une manière plus flatteuse, j'ose le dire, par le sacrifice commun qu'ils ont fait de ces privilèges à la prospérité nationale. Nous sommes infiniment flattés, messieurs, d'avoir été choisis pour déposer le vœu de notre ordre dans une assemblée aussi auguste, où se trouvent réunis des noms illustres, de grandes dignités avec de grands talents, de longs et brillants services, la raison la plus éclairée et les vertus les plus patriotiques ; dans une assemblée dont tous les membres sont échauffés par le sentiment énergique de l'honneur français, qui est la plus sûre sauvegarde de l'État et sa plus douce espérance.»

Une grosse affaire était le choix des représentants aux États généraux. Même parmi le clergé, il y avait ambition, rivalité, intrigue. Il faut le dire, un certain nombre d'ecclésiastiques n'étaient pas irréprochables. Le système d'admission aux emplois et aux dignités de l'Église favorisait les indignes. Les bénéfices, propriété du titulaire, se transmettaient un peu comme un fonds de terre, et leur grand nombre éveillait bien des convoitises. Que de gens entraient dans les ordres comme dans une carrière quelconque ! Ajoutons-y, comme conséquence, les procès incessants dont retentissaient les tribunaux, querelles intestines dont la foi vive des populations se choquait moins qu'aujourd'hui, mais qui à la fin ne laissaient pas d'affaiblir le respect. L'épiscopat de La Chastaigneraye avait été fertile en incidents de ce genre. On avait vu le chapitre plaider contre l'évêque devant le Parlement de Bordeaux pour un dîner annuel qu'il prétendait lui être dû. Pierre-Louis de La Rochefoucauld avait trouvé des abus à corriger. Une certaine sévérité à l'égard de ses prêtres, peut-être un peu de raideur, en avait indisposé quelques-uns contre lui. Cette hostilité ne tarda pas à se manifester. Dès le 18 mars, l'évêque annonça qu'il avait reçu une lettre anonyme contenant une autre lettre signée de quatre-vingts curés. De quoi y était-il question ? Il demanda qu'elles fussent brûlées. L'assemblée décida qu'elles le seraient, et que le contenu n'en serait point transcrit au procès-verbal. Nous ne savons pas même si elles furent lues. Mais cet anonymat nous fait supposer qu'elles ne devaient pas être favorables à l'évêque.

L'abbé Taillet, dans son mémoire, reconnaît ces faits et ces tendances : «Monseigneur de La Rochefoucauld, dit-il, fut président de l'assemblée primaire ecclésiastique ; c'était une besogne délicate, et dont la difficulté se fit sentir dès les premières séances.» Les électeurs étaient 356, présents ou représentés.

«Il falloit traiter avec des esprits défiants, échauffés, aigris, qui ne voyaient plus dans la chaire épiscopale un signe de ralliement mais l'objet de leur censure et de leurs déclamations, qui se répandirent en plaintes et en reproches lorsqu'il n'eût dû être question que d'égards et de déférences. On reconnut là l'effet des nouvelles maximes que la philosophie avoit semées dans toutes les parties de la France, l'effet de ces brochures séditieuses et incendiaires qu'on accuse avec fondement l'hypocrite Génevois, le calviniste Necker, d'avoir fait circuler avec profusion. Faut-il dire que, dans une assemblée de prêtres, présidée par leur évêque, on entendit plus d'une fois les clameurs de l'indiscipline, le ton de la haine, les cris de l'emportement ? que la cupidité et la jalousie s'y montrèrent à découvert dans les plaintes de ceux qui avoient peu contre ceux qui avoient beaucoup, dans le projet affiché d'entamer les propriétés des gros décimateurs, notamment des chapitres et des communautés religieuses ? Faut-il dire que, pendant cette assemblée légale et solennelle, des prêtres, des curés tinrent souvent des assemblées illégales et clandestines, où l'on se déchaînoit contre l'autorité avec indécence et humeur, où la violence des discours fut souvent regardée comme un mérite ? Faut-il dire que, malgré le serment prononcé de ne faire tomber le choix des députés que sur les plus dignes, ce choix se préparait dans les ténèbres, au milieu des agitations de la cabale et de l'intrigue ?

«Monseigneur l'évêque, au milieu de ces mouvements qui l'affigeoient, tint la contenance qu'il devoit garder. Aux écarts de la passion, il opposa le phlegme de la modération et le langage de la sagesse ; il essaya d'éteindre les préjugés, de faire taire les défiances et de diriger vers le bien général des opinions qui se divisoient et qui tendoient la plupart à des buts particuliers. Ceux qui ont connu particulièrement ce prélat, et qui l'avoient vu quelquefois timide et embarrassé dans des difficultés légères, s'étonnèrent de lui voir prendre, dans ces circonstances critiques, un caractère décidé et une fermeté noble qui le rendirent supérieur à tous les petit orages dont il a été environné.»

Cependant un grande nombre d'électeurs étaient décidés à le nommer. En dépit de quelques jalousies ou de quelques ambitions, ils pensaient que le premier pasteur du diocèse était naturellement désigné par sa position pour défendre les intérêts du clergé et de la religion dans une grande assemblée. Un comité électoral le proposa donc aux élections avec un chanoine, que je crois être Jean-François Dudon, et voulait en outre donner au Tiers pour représentant le duc de La Rochefoucauld. «Le respectable chef du clergé, disait le Mémoire (23) adressé aux électeurs, dans le peu de rapports que nous avons eu avec lui, nous paraît avoir hérité des vertus de ses ancêtres ; il joint à beaucoup de religion et de piété les sentiments de la probité la plus scrupuleuse ; les qualités du cœur semblant innées dans cette illustre famille et les proposants peuvent le nommer avec confiance.»

On ajoutait plus bas : «Nous avons encore un très digne ecclésiastique connu de toute la ville, des grands que sa naissance le met à portée de voir, et des petits dont son affabilité le rapproche. Prêtre vertueux, chanoine édifiant, citoyen éclairé, vrai patriote, il est généralement aimé et estimé de tous les corps. Nous n'osons le nommer, crainte de blesser sa modestie, mais comme l'intérêt public ne nous permet pas de laisser inconnu, nous dirons qu'il est frère d'un des premiers officiers de notre Parlement, d'un des plus grands magistrats du royaume.»

Et plus loin on disait du duc de La Rochefoucauld : «Ce seigneur devrait particulièrement être élu par le Tiers État dont il a défendu hautement la cause dans l'assemblée des notables, quand il ne mériterait pas d'ailleurs de l'être par l'étendue de ses connaissances, par son patriotisme, et ses hautes vertus. M. le vicomte de Turpin nous paraît bien digne de l'accompagner ; il a tout ce qu'exige un emploi de cette importance. — Nous aimons à constater l'estime dont jouissait Mgr de La Rochefoucauld.» Voilà un écrit public qui vante ses vertus, sa religion, sa piété, sa rare probité et les qualités de son cœur. Les suffrages des votants allaient prouver que ces phrases n'étaient que l'expression de la vérité (24).

Le mardi 23, on procéda au vote. Au premier tour, Bernard Labrousse de Beauregard, prieur curé de Champagnolles, de l'ordre de Chancelade, ayant réuni plus de la moitié des suffrages, fut nommé député. C'était un homme influent dans le diocèse, titulaire d'un bénéfice de 4000 livres, et il s'était beaucoup agité pour se faire nommer (25). À la séance du soir, près des trois quarts des voix se réunirent sur l'évêque de Saintes ; et Pierre-Louis de La Rochefoucauld fut élu second député. L'opposition qu'il éprouva ne doit pas étonner. Beaucoup de membres du clergé secondaire étaient alors tout disposés à contester le pouvoir des évêques. Le presbytérianisme avait des adeptes. Le nombre d'adhérents à la Constitution civile le montra. Le chapitre n'avait-il pas lui-même usurpé un pouvoir épiscopal ? Il s'arrogeait sur 33 paroisses un pouvoir absolus, donnait des dispenses de parenté ; connaissait des causes relatives au mariage, fulminait des rescrits en Cour de Rome, accordait des visas, des démissoires, des pouvoirs de prêcher et de confesser, malgré l'exclusion prononcée par l'évêque, et d'absoudre de tous les cas qui ne sont pas expressément réservés au pape, consacrait les calices, bénissait les vases destinés au culte et ornements sacerdotaux, érigeait des églises, chapelles, autels, etc. Il avait fallu une décision de l'assemblée générale du clergé de France en 1775 pour mettre fin à ces abus. Toutefois l'élection de La Rochefoucauld fut accueillie avec joie. Elle a, dit un témoin, «fait la plus vive sensation et le plus grand plaisir à la majeure partie de l'assemblée (26).»

À La Rochelle, le Clergé, présidé par Moreau de Marillet, doyen de la cathédrale, avait élu Charles-Jean-Baptise Pinelière, prêtre, docteur en théologie, curé de la ville et paroisse de Saint-Martin en l'île de Ré (27), et Jean-Denis Deleutre, bachelier en droit, prieur curé d'Aitré, suppléant ; tous deux émigrèrent en Hollande. L'évêque, François-Joseph-Emmanuel de Crussol d'Uzès, retenu chez lui par une maladie dont il mourut le 15 juin suivant, n'assista pas aux séances ; il ne put donc être nommé. Mais à Angoulême le premier élu fut le curé de Saint-Martin-sous-Angoulême, l'abbé Joubert, qui devint évêque constitutionnel d'Angoulême, président de l'administration de la Seine, administrateur général de l'octroi de Paris, préfet et enfin conseiller de préfecture ; l'évêque, Philippe-François d'Albignac de Castelnau, ne vint que le second. À l'assemblée de Poitiers, à laquelle assista François-Louis de La Rochefoucauld du Puy-Rousseau, abbé du Breuil-Herbault au diocèse de Luçon, vicaire général de Beauvais, sur les sept députés du Clergé, l'évêque de Poitiers, Martial-Louis de Beaupoil de Saint-Aulaire, ne fut élu que le quatrième, et l'évêque de Luçon, Marie-Charles-Isidore de Mercy, le futur archevêque de Bourges qui mourut en 1811, l'avant-dernier.

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[Notes de bas de page.]

1.  La terre de Tesson venait de Charlotte de Bremond, dame de Tesson, qui épousa, le 26 février 1623, Gilles Guinot, seigneur de Moragne et de Monconseil.

2.  Nous l'avons montré par des documents authentiques dans Louis Audiat, Les États provinciaux de Saintonge (Niort, Clouzot, 1870).

3.  Antonin Proust, Archives de l'Ouest (II, p. 4). Le nom de Pierre-Louis de La Rochefoucauld pourtant ne figure point au procès-verbal avec ceux de Delaage, doyen ; Pierre-Raphaël Joubert de Douzanville, grand chantre, abbé de Saint-Sauveur de Lodève ; Déguillon, chanoine ; Croizier, vicaire général ; Du Pavillon, Gémit de Luscan, chanoines ; Dufresne, syndic du clergé ; Lacroix de Saint-Cyprien, curé de Saint-Pierre ; Grellet du Peirat, chanoine ; Chassériau du Chiron, curé de Saint-Michel, et Saint-Légier, chanoine syndic, qui signèrent pour le Clergé.

4.  Claude-Arnoul Poute, marquis de Nieul-le-Virouil en Saintonge, comte de Confolens en Angoumois, baron de La Villatte, seigneur de Château-Dompierre, Ville-Favard, Saint-Sornin, Saint-Hilaire du Bois et Rouilly, commandeur de Saint-Louis et de Saint-Lazare, fut chef des escadres de sa majesté, inspecteur général du corps royal de la marine et auteur de la Tactique à l'usage de l'escadre d'évolutions¹ ; né en 1730, il épousa Augustine-Jeanne des Francs en 1762, et mourut en 1806. [¹ Pas en la base de données en ligne de la Bibliothèque nationale de France, sous ce titre, en 2003.]

5.  Voir le procès-verbal de l'installation de Poute à Saint-Jean d'Angély dans la Revue de Saintonge et d'Aunis (IX, p. 326). Il s'était contenté de faire enregistrer ses lettres patentes au Parlement de Bordeaux le 27 août 1753, et ne prévoyant pas que ce titre, purement honorifique, de grand sénéchal pût lui servir un jour, avait négligé de se faire reconnaître au présidial en cette qualité. C'est ce qui a causé l'erreur de l'historien Daniel Massiou, Histoire politique, civile et religieuse de la Saintonge et de l'Aunis (Saintes, Charier, 1846 ; tome VI, p. 15), qui le fait nommer grand sénéchal seulement en 1789, alors qu'il l'était depuis le 3 août 1752.

6.  Charles, abbé d'Aiguières, né à Saintes le 1er janvier 1715, était fils de Louis-François Aiguières, chevalier, seigneur des Rases et de Beauregard, marié, le 5 juillet 1710 ou 1711, et d'Anne de Courbon ; et petit-fils de François d'Aiguières, premier lieutenant colonel du régiment de Flandres, marié à Saintes, le 5 avril 1687, à Marguerite de Meaux. La maison d'Aiguières, qui tire son nom de la terre d'Aiguières en Provence, est l'une des plus distinguées de cette province, et l'une des plus illustres de la ville d'Arles, dont Imbert d'Aiguières fut élu archevêque en 1190 : temps auquel Pierre d'Aiguières, son frère, était podestat de la République d'Arles, dignité qu'il posséda le premier d'entre ses concitoyens. Le chef de la branche de Frignan vint s'établir en Saintonge, vers la fin du XVIIè siècle. L'abbé Aiguières était frère de René-François, lieutenant des maréchaux de France de la sénéchaussée de Saintonge en 1789, époque à laquelle il fut élu président de l'assemblée de la Noblesse.

7.  Jean-François Dudon, chanoine en 1764, déporté en Espagne, neveu probablement de François Dudon, abbé de Fontdouce et de La Frenade, doyen de Saint-Pierre de Saintes, décédé le 11 septembre 1772, âgé de 52 ans, et enterré le 12 devant la porte principale du chœur de la cathédrale.

8.  De la famille encore subsistance des Guenon, seigneurs des Mesnards, de Brives, de La Tour, d'Isle, de Pontbernard, de l'Étang, etc., qui portaient d'argent à deux guenons affrontés de gueules, couronnées de sable, au chef d'azur chargé de trois étoiles d'or.

9.  À Beauvais, Francois-Joseph de La Rochefoucauld, qui en 1788 avait été nommé président de l'assemblée des États, convoquée en sa ville épiscopale, fut écarté en 1789 de la présidence qu'on déféra au doyen d'âge.

10. Là se trouvèrent les gentilshommes de la Saintonge et de l'Aunis, les députés du Tiers État. Parmi le Clergé, nous citerons avec l'évêque le doyen du chapitre et les chanoines d'Aiguières ; Dudon ; de Saint-Légier, prieur de Saujon et Saint-Georges de Didonne ; Delord ; Douzanville, grand chantre ; Taillet, archidiacre d'Aunis ; Déguillon ; Legrix ; de La Magdeleine, abbé de Vaux-sur-Mer ; de La Mothe-Luchet ; Dufresne ; Renaldi ; du Pavillon ; Croizier, théologal et maître-école ; de Rupt et Saboureau, principal et sous-principal du collège.

11. Ce discours, ajoute le Journal de Saintonge et d'Angoumois du 22 mars, «doit être regardé comme un modèle d'éloquence naturelle ; le patriotisme le plus pur y développe des idées profondes et lumineuses».

12. Bourignon qui, quelques mois plus tard... mais alors il dissimulait, Bourignon écrit (p. 101) : «Il ne faut pas confondre les discours de ces deux seigneurs avec les déclamations emphatiques de quelques énergumènes, qui croient en imposer au vulgaire par des convulsions prétendues oratoires ; ce serait comparer le diamant pur des mines de Golconde avec les cailloux des rives du Rhin.»

13. Le président, René-François, marquis d'Aiguières, seigneur de Beauregard en Chaillevette et de La Roche-Breuillet, lieutenant des maréchaux de France, chevalier de Saint-Louis, alors âgé de 78 ans ; les commissaires : Charles de Livenne, comte de Balan, seigneur des Rivière, des Brousses, etc. ; le comte de Bremond d'Ars ; le vicomte de Turpin de Fief-Gallet ; Claude-Jean-Baptise, vicomte de Turpin de Jouhé ; Pierre-Jean, vicomte de Mesnil-Simon, seigneur de Plassay, lieutenant-colonel des grenadiers royaux de Lorraine, chevalier de Saint-Louis ; Charles, comte de Blois de Roussillon, seigneur de Massac, capitaine au régiment de Mailly infanterie, chevalier de Saint-Louis, et pour secrétaire : Jean-Grégoire, vicomte de Saint-Légier. Ils rédigèrent le cahier, qui fut adopté le 24 dans son ensemble. Le 25, après avoir nommé pour scrutateurs : Louis de Rigaud, comte de Vaudreuil, chef d'escadre des armées navales, commandant en chef au port de Rochefort, chevalier de Saint-Louis, et François Béraud du Pérou, seigneur de Montils, de La Ferrière, capitaine de vaisseau, chevalier de Saint-Louis, dont le frère devait périr aux Carmes, on s'occupa des élections.

14. Voici celles que lui prête Antonin Proust, Archives de l'Ouest (II, p. 9.) On remarquera que ce sont exactement les mêmes que M. de La Morinerie attribue au duc de La Rochefoucauld :

«Messieurs et chers coopérateurs,

«Je veux vous exprimer toute ma sensibilité à la confiance que m'a toujours témoignée la province de Saintonge. Vous m'avez prié tout récemment d'appuyer auprès de Sa Majesté votre vœu de posséder les États provinciaux ; je suis heureux de vous apprendre que cette demande a produit une impression avantageuse sur l'esprit du roi. Soyez assurés, messieurs, que je me ferai toujours honneur de ma qualité de gentilhomme saintongeais et que je concourrai avec le zèle le plus vif à ce qui pourra contribuer au bonheur de mon pays.»

Il nous semble qu'un évêque n'a pas dû s'exprimer ainsi. En outre, Mgr de La Rochefoucauld-Bayers, né à Périgord, et ne possédant en Saintonge qu'à titre d'évêque, ne pouvait pas, et devant son clergé, s'intituler «gentilhomme saintongeais».

15. L'hôpital vieux de Pons, dédié à Saint-Sauveur, était à la collation du seigneur de Pons. Il y avait six chapellenies payées aux titulaires par le prieur. C'étaient alors Saint-Légier d'Orignac depuis 1775 ; Guillaume Ferret, 1788 ; Charles Barraud, 1784, curé de Saint-Vivien ; et Joachim-Joseph Lemay, qui avait les autres trois de ces bénéfices, 1788. L'hôpital de Saint-Nicolas, aussi à Pons, était à la collation de l'évêque qui l'avait donné en 1783 à Sigisbert de Rupt, principal du collège de Saintes.

16. Jean-Baptiste Pelluchon, curé de Matha ; Bernard Descordes, curé de Dolus ; Charles Laroche, curé de Chérac, qui jura et fut cependant déporté à l'île de Ré, le 19 octobre 1798 ; François-Guillaume Charlery de l'Epinay, né en 1748, prieur de Biron, intrus d'Echebrune, engagé au 11è régiment de chasseurs, à La Rochelle, puis en 1803 curé d'Echebrune où il est mort en 1821, repentant et vénéré de tous. Jean-Jacques Péronneau, curé de Dompierre ; Charrier, prieur des Jacobins, et Germain Ranson, curé de Saint-Étienne d'Arvert depuis 1750, puis archiprêtre d'Arvet, qui prêta serment constitutionnel, fut nommé officier municipal et présida l'assemblée électorale du 13 décembre 1791. Il reconnut sa faute et se réconcilia avec l'Église en 1796.

17. Admirons une fois de plus la justice et la loyauté du pamphlétaire janséniste : l'abbé Taillet demande l'abolition des lettres de cachet ; c'est «pour faire sa cour aux curés et réunir leurs suffrages en faveur de M. l'évêque.» — Nouvelles ecclésiastiques du 24 avril 1790. Si le prélat s'oppose à lecture d'un cahier par un chanoine, parce que l'assemblée a, pour gagner du temps, décidé de renvoyer aux 17 commissaires les cahiers particuliers, on crie à l'abus de pouvoir, à la tyrannie, et l'on ajoute que, l'auteur du cahier étant Félix Déguillon, procureur des religieuses du couvent de Sainte-Claire, ce furent les Clarisses qui furent persécutées.

18. Le chapitre de Beauvais demandait aussi dans ses cahiers : 1°, la liberté pour le clergé de s'assembler en synode, en conciles provinciaux, et d'élire ses premiers pasteurs conformément aux anciennes lois de l'Église ; 2°, l'abolition du privilège qui accordait à la naissance plutôt qu'au mérite les titres, dignités et bénéfices ecclésiastiques ; 3°, la convocation triennale des États généraux ; 4°, la révision du code civil et du code criminel et la conversion du tirage au sort en un impôt qui pèserait également sur tous.

19. À Beauvais, comme partout ailleurs du reste, le Clergé renonça aussi à toute exemption et à tout privilège, et accepta d'avance la part qui lui écherrait dans la répartition des charges communes.

20. C'est l'idée malheureuse de faire salarier les prêtres par le gouvernement.

21. [Note de l'éditeur.  Établite par le roi Henri III (régné de 1574 à 1589), la traite de Charente concerna les droits «sur le sels et sur les vins».]

22. Il y en avait dans la plupart des paroisses ; nous l'avons montré dans notre travail, Louis Audiat, Note sur l'instruction primaire en Saintonge-Aunis avant 1789 (Paris, Picard, 1891), et dans un volume prêt à paraître cette année¹. [¹ Louis Audiat, L'Instruction primaire en Saintonge-Aunis avant 1789 (Paris, Picard, 1896).]

23. Anon., Mémoire et consultation pour les députés du district de la Saintonge (in-8°, 12 pages ; s. l., n. d.) ; à la fin on lit : «Délibéré à Saintes le 4 mars 1789.  XXXX, citoyen.»

24. Le 23 au soir, on s'occupa des préparatifs de l'élection. Les trois plus anciens ecclésiastiques par l'âge se placèrent au bureau avec le secrétaire, Châteauneuf, curé de Barbezieux ; et chacun, à l'appel de son nom répondant adsum, alla déposer dans l'urne, un, deux ou trois billets selon qu'il représentait un ou deux absents. Mgr de La Rochefoucauld, le chanoine Déguillon, et l'abbé Laroche, curé de Chérac, furent proclamés scrutateurs.

25. Bernard Labrousse de Beauregard, né en 1735 à Montignac (Dordogne), d'une famille bourbonnaise qui a fait souche en Périgord, entra dans la congrégation de Chancelade, où il fut professeur de philosophie. Le 30 août 1760, je le trouve qualifié ainsi : «chanoine régulier, professeur à Sablonceaux.» Professeur de philosophie à l'abbaye de Chancelade en Périgord, il avait publié un poème sur les guerres d'Allemagne, une ode sur les progrès de la philosophie, une ode sur la mort de La Grange-Chancel¹ et réuni des détails biographiques précieux sur lui. Il était prieur de Champagnolles depuis 1778. Il vota à l'Assemblée nationale avec le côté droit, sans se faire beaucoup remarquer ; il signa les protestations des 12 et 15 septembre 1791, et émigra en Espagne. [¹ François-Joseph de Chancel (1677-1758), dit La Grange-Chancel, célèbre dramaturge français.]

26. L'abbé Taillet : «Justice soit rendue à l'assemblée primaire de Saintes ; si elle fut turbulente, elle le fut beaucoup moins que la plupart des assemblées du même genre ; si plusieurs de ses membres montrèrent le goût de l'indépendance et le désir des innovations, le grand nombre fut pour le maintien des principes et l'extirpation des véritables abus ; et dans les cahiers que donna le clergé de Saintes, il écarta l'esprit de système, les idées exagérées, et il est vrai de dire que des délibérations souvent trop vives conduisirent à des résultats sages et conformes aux règles.

«Le choix des députés fut fait avec discernement ; il tomba sur monseigneur l'évêque, dont la vertu dans ce moment triompha des préventions, et sur un curé déjà ancien, M. de Beauregard, chanoine régulier de l'estimable congrégation de Chancelade, distingué parmi ses confrères pour ses talents, considéré comme un des meilleurs pasteurs et dont la conduite ferme et invariable qu'il a tenue durant une très longue et très périlleuse assemblée, est un bel éloge.»

27. Théodore-Eugène Kemmerer, Histoire de l'île de Ré depuis les temps historiques jusqu'à nos jours (La Rochelle, Mareschal, 1868 ; tome II), dit de l'abbé Pinelière : «Homme de science profonde, il a légué à la municipalité les tables de l'État civil depuis 1500 jusqu'à la Révolution. Ce difficile travail mérite les plus grands éloges. Installé en 1766, il fut nommé député. Il fut un des derniers à se rallier au Tiers État. Il ne sut pas se plier aux idées de rénovation qui pesaient sur cette époque de transition, et il émigra en Allemagne. Plus tard, il revint en France et mourut curé de Marans en 1807.»



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[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]