«DEUX VICTIMES DES SEPTEMBRISEURS [LES BIENHEUREUX FRÈRES LA ROCHEFOUCAULD]» DE
LOUIS AUDIAT ; CHAPITRE 9


CHAPITRE 9. — Pierre-Louis à l'Assemblée constituante. — On saisit la correspondance de son frère. — Il le défend à la tribune. — Se réunit au Tiers. — Troubles en Saintonge, le 26 avril 1789, — à Rochefort. — Révolte à Conac. — Notes de bas de page, y compris la pièce justificative n° 1 : «Émeute à Saint-Thomas de Cosnac».


Mgr de Saintes avait donc, outre ceux que nous avons nommés, comme collègues aux États généraux : pour la Noblesse, Jacques-Raymond Richier de La Rochelongchamps et Jean-Frédéric, comte de La Tour du Pin-Gouvernet, lieutenant général et commandant en chef pour le roi dans les provinces de Saintonge, Aunis et Poitou, bientôt après remplacé, quand il devint ministre de la Guerre, par le député suppléant, Pierre de Bremond d'Ars ; et, pour le Tiers, Pierre-Isaac Garesché, propriétaire à Nieulle dans la paroisse de Saint-Sornin, près de Marennes, Jean-Nicolas Lemercier, conseiller du roi et président lieutenant criminel de la sénéchaussée et siège présidial de Saintes, Philippe Augier, négociant à Tonnay-Charente, et Pierre-Léger Ratier, avocat, demeurant à Lussières dans la paroisse de Cercoux, près de Montguyon. Saint-Jean d'Angély envoyait : pour le Clergé, Simon Landreau, curé de Moragne ; pour la Noblesse, Charles-Grégoire, marquis de Beauchamps, mestre de campe de cavalerie, chevalier de Saint-Louis, seigneur de Grand-Fief et de Champfleuri, demeurant à Saint-Jean, et, comme suppléant, François, marquis de La Laurencie de Charras, seigneur de Neuvic, mestre de camp de cavalerie, inspecteur général des maréchaussées de France, ancien capitaine au régiment du roi infanterie, chevalier de Saint-Louis ; et pour le Tiers, Joseph de Bonnegens, conseiller du roi, lieutenant général de la sénéchaussée de Saintonge, séante à Saint-Jean d'Angély, et Michel-Louis-Étienne Regnault, avocat en parlement et en la sénéchaussée de Saintonge à Saint-Jean d'Angély (1).

Les autres députés étaient pour La Rochelle : dans l'ordre de la Noblesse, Ambroise-Eulalie, vicomte de Malartic, lieutenant colonel, commandant du bataillon de garnison de Poitou, chevalier de Saint-Louis, et, comme suppléant, Louis-Gabriel Ancelin de Saint-Quentin, chevalier, seigneur de Chambon et d'Angoute, membre associé de l'académie de La Rochelle ; et dans celui du Tiers, Pierre-Étienne-Lazare Griffon, seigneur de Romagné, des Mothez, Mezeron, Ponthezière et autres lieux, conseiller du roi, maître ordinaire en la chambre des comptes de Paris, lieutenant général de la sénéchaussée et présidial de la ville et gouvernement de La Rochelle, et Charles-Jean-Marie Alquier, premier avocat du roi en la sénéchaussée et siège présidial, procureur du roi au bureau des finances, maire et colonel de la ville de La Rochelle, qui devint plus tard conventionnel, représentant du peuple en mission dans l'Ouest et à l'armée du Nord, consul général à Alger, receveur général de Seine et Oise, ambassadeur à Madrid et à Rome, et baron de l'Empire.

Mgr de La Rochefoucauld dut quitter son diocèse pour aller à Paris. L'ouverture des États généraux se fit le 5 mai. On sait avec quelle joie et quelle impatience. Les événements qui eurent lieu à cette époque, sont connus ; et ils ne sont pas de notre sujet. L'évêque de Saintes assista à la première séance, en rochet, camail, soutane et bonnet carré selon l'étiquette. Il retrouvait à la tête du Clergé son parent et son protecteur, le vénérable archevêque de Rouen, Dominique de La Rochefoucauld, le seul cardinal de l'Assemblée, et plusieurs autres membres de sa famille, y compris La Rochefoucauld du Breuil, abbé depuis 1783 de Notre-Dame de Preuilly au diocèse de Sens, député du bailliage de Provins, et le duc de La Rochefoucauld, député de la Noblesse de la ville de Paris, un des hommes les plus libéraux de l'époque, qui avait essayé d'être député de Saintonge et qui devait périr si misérablement à Gisors le 14 septembre 1792. Surtout il y retrouvait son frère, François-Joseph, évêque-comte de Beauvais, chanoine honoraire de Rouen et de Saintes, député du bailliage de Clermont en Beauvoisis, qu'il ne devait désormais plus quitter.

Pierre-Louis ne chercha pas à briller dans cette Assemblée où retentissaient des voix si éloquentes. Il sentait que la parole était aux grands orateurs qui ont illustré cette époque. N'eût-ce pas été de l'audace et de la présomption que de vouloir s'imposer à des auditeurs habitués à Maury, à Mounier, à Cazalès, à Malouet ? Pourtant il vainquit un jour sa timidité et sa défiance de lui-même. C'est qu'il s'agissait de son frère. Il n'hésita pas. Il aborda cette tribune redoutable et osa parler à une Assemblée qui attendait Mirabeau. Voici ce qui s'était passé.

Une compagnie de la milice bourgeoise de Sèvres, en espérant le moment de pourfendre les ennemis de la nation, avait choisi, pour s'exercer la main, deux charrettes chargées de foin. Ce foin sur ces charrettes lui avait paru suspect. En gens prudents et avisés, les miliciens avaient arrêté les deux voitures et s'étaient donné la peine de les escorter jusqu'à Versailles. La précaution était bonne et la mesure patriotique. En effet, sous le foin dangereux se cachait frauduleusement un paquet de lettres, dûment enveloppé d'une toile cirée. Le conducteur expliqua bien qu'amenant du foin à l'écurie de Mgr de Beauvais, on lui avait, par la même occasion, remis le courrier du prélat, et que pour ne point mouiller les lettres, il les avait tout simplement mises dans le foin. Les miliciens, fiers de leur capture, ne voulaient point renoncer à la gloire d'avoir sauvé l'État. Assurément, le charretier les prenait pour des dupes faciles.

Le paquet est porté au porté au président de l'Assemblée, Chapelier, avocat, député de la sénéchaussée de Rennes. Vite on mande Mgr de Beauvais. En présence de M. le duc de Villiquier, gentilhomme de la chambre du roi, député de Boulogne-sur-Mer, d'un autre député et du président, le prélat ouvre le paquet réactionnaire. On y trouve des imprimés relatifs à une maison de charité qu'avait fondée François de La Rochefoucauld, une lettre à lui adressé, trois pour son grand vicaire, son secrétaire et son valet de chambre. Rien de plus insignifiant. Donc les lettres avaient été remises à leur adresse, et le foin avait été conduit sans escorte aux écuries de l'évêque.

L'incident était vulgaire. Mais la garde nationale tenait sans doute à avoir bien mérité de la patrie. Le bruit se répandait de la découverte d'un grand complot. Les esprits agités déjà s'émurent. Mille rumeurs extravagantes coururent. Aussi à la séance du matin du 13 août, le président Chapelier, raconta à l'Assemblée ce qui s'était passé. Il affirma que les lettres ouvertes «ne contenaient que des affaires relatives à des bureaux de charité (2)».

Immédiatement l'évêque de Saintes se lève. Son frère est en danger ; il vient à son secours. Cet révélation est importante, non pas en elle-même ; mais elle peut donner lieu à d'injustes soupçons et à des bruits calomnieux. Pierre-Louis de La Rochefoucauld demande qu'un procès-verbal, rédigé à cette occasion et signé des personnes présentes à l'ouverture du paquet, soit aussi signé du président de l'Assemblée nationale. Cette pièce publiée mettait ainsi l'évêque de Beauvais à l'abri de toutes les fausses interprétations que la mauvaise foi pourrait donner à ce simple fait. L'Assemblée occupée ailleurs ne prête qu'une médiocre attention à ce discours. Quelques heures après, à la séance du soir, l'évêque de Beauvais lui-même demande instamment ce qu'avait inutilement réclamé son frère.

Des bruits fâcheux commencent à se répandre sur lui à l'occasion de la saisie de ses lettres ; le peuple, qui ne sait pas la vérité, se livre à toutes sortes de suppositions. Bientôt il sera victime de la calomnie. L'Assemblée nationale doit à la justice, doit à un de ses membres méchamment soupçonné, en butte aux propos injustes, d'éclairer le public. Qu'elle autorise donc son président à lui donner une déclaration authentique de la vérité des faits, qu'il fera insérer dans le procès-verbal. Un député de Paris, Martineau, avocat, insiste pour que cette pièce soit rédigée sur-le-champ. L'Assemblée finit par se décider et fit droit à la légitime demande des évêques de Saintes et de Beauvais (3). L'incident n'eut pas de suite ; mais ce fut le commencement des accusations injustes qui pesèrent plus tard sur les deux frères.

On sait comment les États généraux se transformèrent en Assemblée nationale qu'on surnomma Constituante ; comment il y eut, entre les trois ordres, lutte pour la vérification des pouvoirs en commun ; comment, le 19 juin 1789, sur la proposition de l'archevêque de Bordeaux, combattue par l'archevêque de Paris, il fut décidé, après un vote de 149 contre 137, que le Clergé se réunirait au Tiers ; comment la Noblesse, parmi laquelle se trouvait le duc de La Rochefoucauld, se rendit dans la salle du Tiers le 25, et le 27, sur l'invitation du roi, le Clergé ayant à sa tête le cardinal de La Rochefoucauld, qui dit : «Messieurs, nous sommes conduits ici par notre amour et notre respect pour le roi, nos vœux pour la patrie et notre zèle pour le bien public.» L'évêque de Saintes avec son frère suivit l'archevêque de Rouen. Ce qu'on n'ignore pas non plus, ce sont les événements fâcheux qui arrêtèrent tout à coup et compromirent l'œuvre si bien commencée. Après le 27 juin, il n'y a plus ni Noblesse, ni Clergé, ni Tiers ; il n'y a que des évêques, des curés, des nobles, des propriétaires, des artisans, des citoyens. La Révolution est faite, l'égalité est établie. C'était là un point capital. On pouvait facilement, avec les dispositions du ci-devant Clergé et de la ci-devant Noblesse, à abdiquer leurs privilèges et immunités, réaliser ce que demandaient unanimement les cahiers des trois ordres. Il n'en fut pas ainsi. Le Tiers, enivré de sa victoire, fier d'avoir ruiné les vieilles constitutions féodales qui ne se tenaient debout que par la force de l'habitude, s'acharna contre ces débris.

«Que la Noblesse ait hâté sa chute par son entêtement, je l'accorde, a dit Edouard de Laboulaye (Revue des cours littéraires, 12 juin 1869). Sa hauteur, sa morgue, un faux point d'honneur la perdirent. Mais après cet arrêt prononcé contre la Noblesse, il faut dire aussi que la conduite des vainqueurs fut des plus tristes. La Révolution fut cruelle avec la Noblesse qui l'avait combattue ; elle fut impitoyable pour le Clergé qui ne lui avait jamais résisté. Quand une révolution se fait dans un pays, elle ruine toujours d'anciennes positions, de nobles souvenirs, de grandes espérances. C'est bien le moins qu'on respecte ceux qui tombent, et qu'en échange de la puissance et du rang on leur laisse l'honneur d'une obscure fidélité. En France, on eût dit que nos révolutionnaires voulaient noyer dans le sang le passé tout entier. On fit ce qui font les esclaves révoltés, on tua les anciens maîtres pour effacer le souvenir de l'antique infériorité ; on décime l'armée, on ruina la marine ; on dressa l'échafaud, et par l'anarchie on arriva où mène infailliblement l'anarchie, au despotisme.»

Mgr de Saintes, dès les premiers jours, avait été vivement frappé du trouble qui régnait partout. Nul ne savait où l'on allait ; l'inquiétude était générale ; l'exaltation échauffait les têtes. Le peuple français, si maniable et si calme, qui saute avec la même promptitude de l'apathie politique à l'effervescence de la rue, était à un de ces moments d'emportement et de violence où l'on pouvait tout craindre de son irritation. Le frein moral même n'existait plus.

Bien malade était au fond cette société du XVIIIè siècle, si polie et si civilisée ; et chacun pouvait se dire : c'est un peu ma faute. Avec son cœur de citoyen et son âme d'évêque Pierre-Louis gémissait. Le passé était mort, le présent se remuait dans des soubresauts effrayants, et l'horizon lui apparaissait menaçant.

Au malheur des incidents politiques, s'ajoutaient des circonstances climatériques funestes. L'hiver avait été rigoureux ; les pluies avaient compromis ou tout à fait détruit les récoltes. La multitude, toujours prompte à s'effrayer, cria aux accapareurs. Même en Saintonge, la révolte, après avoir terrifié de grandes villes, se dressa menaçante.

À Rochefort, le 26 avril 1789, un rassemblement tumultueux se forme devant les boutiques des boulangers Ayraud et Massé, dénoncés comme accapareurs parce qu'ils venaient de recevoir quelques sacs de farine pour les besoins de leur commerce. Des cris de mort retentissent. Les boutiques sont dévalisées. Les deux malheureux n'échappèrent que grâces à l'énergie d'un brigadier de la maréchaussée. Il arriva à temps pour arracher Ayraud, que l'on allait jeter vivant son four en flammes. D'autres émeutes, çà et là, répandaient en même temps l'épouvante dans les campagnes.

Au premier mot de liberté, la foule court à la licence. On lui parlait de ses droits ; elle oublia ses devoirs. Pour elle l'indépendance, c'est de détruire, d'incendier et de tuer. À Saint-Thomas de Conac, — c'est toujours de ce côté de la Saintonge que commencent les mouvements, — les paysans se soulevèrent dans les derniers jours d'avril à la suite d'un prône violent du vicaire Jacques Roux, de Pranzac, depuis membre de la commune de Paris, qui accompagna Louis XVI à l'échafaud (4). Le 25, la révolte éclate. C'est l'église qui a les honneurs des premiers coups ; on y brise les bancs. Après ce premier exploit, les mutins menacent d'égorger quiconque leur résistera. Le notaire de l'endroit, Jean Martin, veut les apaiser ; il n'échappe qu'avec peine à leur fureur. Bientôt l'insurrection s'étend. Cinq paroisses sont en armes. Deux officiers municipaux de Saint-Thomas, Morisset et Bernard, dirigent la multitude ameutée. Le château de Boisroche (5), paroisse de Saint-Bonnet de Mirambeau, et celui de Saint-Georges des Agouts, appartenant au marquis de Bellegarde, sont pillés et brûles. Lui-même, dans sa fuite, fut, près du pont de Petit-Pérat, atteint par Viauld, du village de Chez-Flandrais, d'une balle qui lui traversa l'épaule. Son cheval est abattu sous lui. Il est garrotté, accablé de mauvais traitements. Viauld conduit 200 forcenés à son château ; on fait ripaille ; c'est l'orgie : on défonce les tonneaux, on boit, on mange, on vole. Les chiens de chasse eux-mêmes sont rôtis. Bignon, maire de Saint-Bonnet, et Giraud, de La Combaudière, voulurent s'opposer. Ils faillirent être jetés dans le feu. Le lendemain Perrochon imite Viauld aux Cheminées, en Saint-Sorlin. Fontreau est menacé de mort uniquement parce-qu'il était lié avec M. de Bellegarde.

De là les furieux vont, avant le jour, le 29 avril, attaquer la maison du notaire Jean Martin. Il peut s'enfuir et venir raconter à Saintes, le jeudi, ce qui se passe dans la contrée depuis dimanche. Pendant ce temps on brûle sa demeure, ses papiers sont dispersés, les effets enlevés, les meubles hachés, les tonneaux vidés et les espèces empochées.

Il fallut se décider à réprimer ces actes de sauvagerie. Nul n'osait dire un mot. Pendant que la municipalité de Saintes, informée par MM. de Turpin et Guiton, commissaires du roi, attend qu'elle soit requise par la municipalité de Pons, la garde nationale de Rochefort vole spontanément au secours de l'ordre troublé et de la propriété menacée. Puis des troupes partent de Saintes. Unies aux forces de Pons, de Saint-Genis, elles parviennent à réprimer le désordre. Le 3 mai, elle ramènent à Saintes 117 prisonniers dont 2 femmes. Pendant qu'on les jugeait, de nouveaux mouvements éclatèrent encore autour de Saint-Genis, et des châteaux furent menacés. Baigne aussi avait eu ses violences. L'effervescence était telle que Bourignon (6) cite ce mot d'un roturier à un gentilhomme d'Angoulême, aussi recommandable par son affabilité que par ses talents : «Je ne mourrai pas content que je n'aie mangé le cœur d'un noble !...» Puis il s'écrie : «Et nous traitons les sauvages de l'Amérique du nom de barbares !» (7)

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[Notes de bas de page et une pièce justificative.]

1.  Daniel Massiou, Histoire politique, civile et religieuse de la Saintonge et de l'Aunis (Saintes, Charier, 1846 ; tome VI, p. 16), a, de son autorité privée, donné «huit députés» à la sénéchaussée de Saint-Jean d'Angély, qui n'en eut jamais que quatre légalement ; et, pour compléter son nombre, il n'a rien trouvé de mieux que d'ajouter aux quatre députes de Saint-Jean d'Angély les quatre de Saint-Pierre-le-Moutier en Nivernais : Vyau de Baudreuille, lieutenant général au bailliage ; Charles Picard de La Pointe, lieutenant de la vénerie du roi ; Dom Abel de Lespinasse, prieur de Saint-Pierre-le-Moutier ; et Pierre-Gilbert Le Roy, baron d'Allarde, capitaine au régiment des chasseurs de Franche-Comté. Et il renvoie pour cela au Journal de Saintonge et d'Angoumois (p. 115), qui ne les nomme même pas. — L'erreur a été répétée par Léopold Delayant, Histoire du département de la Charente-Inférieure (La Rochelle, Petit, 1872 ; p. 313).

2.  Moniteur du 14 août 1789 (I, p. 334).

3.  Mercure de France du 22 août 1789 (p. 283).

4.  Jacques Roux, né le 21 août 1752 à Pranzac (Charente), le second des douze enfants de Gatien Roux, lieutenant d'infanterie en 1748, juge assesseur au marquisat de Pranzac en 1780, et de Marguerite Montsalard, fut tonsuré à 15 ans, chanoine de Pranzac en 1767, et enseigna la philosophie au séminaire d'Angoulême en 1779, comme auxiliaire des Lazaristes, tout en prêtant son concours au curé de Saint-Martial pour son ministère. Prêtre en 1780, vicaire à Cozes en 1787, à Saint-Thomas de Conac en 1788, où, furieux de s'être vu refuser la cure d'Ambleville, en plein église, le 25 avril 1790, il chanta les vainqueurs de la Bastille et la Révolution, prêcha le refus des redevances, le pillage des biens, etc. Suspendu par les vicaires généraux, il se rendit à Paris, où le 16 janvier 1791 il jura. «Interdit de mes fonctions sacrées, dit-il, pour m'être déclaré l'apôtre de la Révolution, forcé de quitter mon diocèse et mes foyers pour échapper à la fureur des méchants qui avaient mis ma tête à prix, cette constitution inappréciable me fait oublier que, depuis seize ans, je n'ai vécu que de mes infortunes et des mes larmes...» Le bon apôtre ! — Vicaire de Sainte-Marguerite, candidat à cette cure, il obtint une voix. En 1792, membre de la Commune de Paris, il mérita par ses violences d'être un des deux municipaux qui accompagnèrent Louis XVI à l'échafaud.

L'abbé Taillet, qui l'avait bien connu, dit de lui, Mémoire concernant l'état de la religion dans le diocèse de Saintes... : «La France a produit beaucoup de monstres depuis 8 ans ; il est un des plus méchants et en même temps des plus dangereux, parce qu'il cache sous les dehors de la douceur une âme infernale. Le refus d'une cure qu'il désiroit en a purgé le diocèse ; il a été à Paris, et s'y est fait l'un des clients et des satellites de Mirabeau. Là transporté dans la grande école du crime, il s'y est perfectionné rapidement. Associé aux travaux des grands factieux, admis à leur confidence, il faut qu'il se soit élevé à une grande hauteur, puisque la municipalité l'a jugé digne d'assister, en son nom, au supplice du plus vertueux des monarques. Les papiers publics ont rapporté qu'au sortit de la prison du Temple, avant de monter en voiture, Louis XVI, l'infortuné Louis XVI, avait présenté à ce prêtre, avec une contenance ferme et noble, un écrit important, pour être remise à la municipalité ; et que dans ce moment, où l'âme de Robespierre eût été attendrie, Jacques Roux, plus dur que le dernier des bourreaux, repoussa l'illustre victime : «Je suis ici, dit-il, pour vous conduire au supplice et non pour recevoir vos billets.» Cet homme n'est point né en Saintonge ; il est du pays de Ravaillac.»

Censuré par la Commune, Roux fut dénoncé par la concubine de Marat, Simonne Evrard, et par Robespierre ; jeté le 2 août à la Concierge, renvoyé devant le tribunal révolutionnaire, il se tua de cinq coups de poignard. Il avait un frère, prêtre, Louis Roux, aussi chanoine de Pranzac en 1780, qui prêta serment et servit en Vendée. Une lettre de lui, datée de Luçon le 19 septembre 1793, montre ses sentiments affectueux : «Vous me demandez si Jacques Roux est mon frère ; oui. Je lis dans un papier qu'il est arrêté comme suspect et renfermé à Sainte-Pélagie. S'il a changé de principes, il mérite la mort ; et si j'étais son juge, je le condamnerais.» Touchante fraternité !

5.  Le 15 juillet 1778, Boisroche, Boisrocher ou Beaurocher, fut vendu pour 105000 livres devant Richard, notaire à Paris, par Barthélemy-Louis Michel, baron de Saint-Dizant, à Michel Paty, seigneur de Bellegarde, conseiller honoraire au parlement de Bordeaux. Le château n'est plus qu'une ruine; il reste tel que l'a fait l'incendie d'avril 1790.

Le logis de Saint-George existe encore, effacé par un tout récent castel qu'a construit le docteur Rigaud, de Pons. Daniel Massiou, Histoire... (tome VI, p. 41), fait ruer les paysans sur les domaines du marquis de Bellegarde, «ancien seigneur de Saint-Thomas de Cosnac». Le seigneur de Conac était le duc de Richelieu, et jamais les Paty n'ont eu ce fief. Les Paty, encore représentés dans la Gironde par M. de Paty de La Parcaud, portaient d'or au lion de sable armé et lampassé de gueules, à la bande aussi de gueules brochant sur le tout. Michel de Paty, seigneur de Bellegarde, baron du Carney et son fils, Jean-Baptiste de Paty de Bellegarde, capitaine au régiment du général infanterie, son procureur, furent convoqués en 1789 à l'Assemblée électorale de la Noblesse de la sénéchaussée de Guienne, ainsi que plusieurs autres membres de la famille, y compris André-Joseph de Paty, chevalier, seigneur de Menviel. La tradition nomme Joseph Paty, le seigneur de Boisroche en 1790.

6.  Journal de Saintonge et d'Angoumois (1789 ; p. 283).

7.  Voir aussi la pièce justificative ci-dessous (Archives municipales. Délibérations du conseil municipal, 1790, p. 27) :

ÉMEUTE À SAINT-THOMAS DE COSNAC.

«Du 29 avril 1790,

«A l'assemblée de la municipalité extraordinairement assemblée, présidée par M. Garnier, maire, Lebouc, Chenier-Duchesne, le chevalier de Luchet, de Fonrémis, C.-A. Gout, Louis Suire, Briault, Godet et Bonneau de Mongaugé ; MM. de Turpin et Guitton, commissaires du roy pour le département de la Charente-inférieure, sont entrés et ont remis sur le bureau une lettre écrite à M. de Turpin par le sieur de Luc fils, membre de la municipalité de Pons, qui lui annonce que les plus grands désordres se commettent dans ses cantons ; qu'il y a déjà deux châteaux de brûlés près Saint-Thomas, et que, par un licence dont on ne peut pénétrer ici le but ni les causes, des particuliers se portent aux excès les plus dangereux et les plus funestes ; qu'ils ont incendié les châteaux de Saint-Georges des Agouts et de Boisroches, appartenant au sieur Paty de Bellegarde, des maisons particulières des habitants de Saint-Thomas ; que dans ce moment-ci ils brûlent la maison du sieur Martin, notaire à Saint-Thomas de Cosnac, porteur de la lettre d'avis du sieur de Luc, et qui a répété et attesté l'incendie de sa propre maison ; que les commissaires du roy, vivement affectés de ces désastres et dans l'impuissance de porter par eux-mêmes aucuns remèdes à des abus qu'ils n'ont pas le pouvoir de réprimer, puisqu'ils ne sont pas de leur compétence, s'empressent d'en prévenir la municipalité, laissant à sa prudence de prendre les moyens les plus efficaces pour arrêter de semblables désordres. TURPIN. GUITON.»

«Au même instant s'est présenté le sieur Jean Martin, notaire royal à Saint-Thomas de Cosnac ; lequel nous a déposé qu'il règne dans sa paroisse un désordre si effréné, que ni les propriétés, ni la vie des citoyens ne sont respectées. Une populace ameutée se répand indistinctement dans les châteaux voisins, dans l'église, dans les maisons des bourgeois, et met tout à feu et à sang. Le premier acte d'hostilité a commencé dimanche matin et s'est commis dans l'église, où on a brisé les bancs. Excités par ce premier succès, ces effrénés menaçaient d'incendier et de sacrifier à leur rage tous ceux qui contrarieraient leurs desseins. Le déclarent ayant voulu leur représenter les dangers auxquels ils s'exposaient en se livrant à de tels excès et la nécessité où on serait de faire sortir le drapeau rouge, ils le menacèrent de mettre le feu dans sa maison, ce qu'ils auraient effectué sur-le-champ sans l'opposition de gens prudents ; qu'hier ils se portèrent dans le château de Boisroche appartenant au sieur de Bellegarde ; ils le pillèrent et l'incendièrent ; qu'ils furent ensuite à celui de Saint-Georges, appartenant au même, et commirent les mêmes ravages. Le sieur Martin a ajouté ensuite que ces mêmes séditieux, au nombre de deux cents, ont investi, ce matin, sa maison avant le jour ; qu'ils ont brisé ses meubles, enfoncé ses portes ; qu'il a couru les plus grands risques et qu'il est persuadé que dans ce moment sa maison est devenue la proye des flammes ; que tout le bourg est dans l'alarme et la consternation, et qu'il y a lieu de craindre que les violences et les désordres n'en restent pas là, si on n'y envoye des forces suffisantes, puisque deux membres mêmes de la municipalité de Saint-Thomas participent à tous ces excès, et que les nommés Morisset et Bernard, officiers municipaux sont eux-même à la tête des révoltés, ajoutant encore que le dit sieur de Bellegarde ayant été par eux poursuivi, le nommé Viauld, de Saint-Georges, l'a atteint d'un coup de fusil, de manière qu'une balle lui a traversé l'épaule. Le dit Sr Martin, après avoir pris lecture de sa déclaration, l'a attestée sincère et véritable et a signé. MARTIN»

«Sur ce délibéré, ouï le procureur de la commune, la municipalité, prenant l'avis en considération, a cru de sa prudence de prendre les précautions convenables pour fournir des secours à cette paroisse ravagée, en prévenant les chefs des différents troupes militaires de se tenir prêts en cas de nécessité et de réquisition ; et néanmoins demeurant avertie qu'elle doit être instruite de cet événement par la municipalité de Pons et requise par elle, elle a décidé qu'elle attendrait les avis et réquisition de cette même municipalité, avant de prendre aucun parti, et qu'elle demeurerait en séance jusques-là.

«Et advenant le trente avril, sur les six heures du matin, est arrivé un courier extraordinaire de la ville de Pons, lequel nous a remis une lettre de la municipalité en datte de ce jour, qui, en nous certiorant les désordres et les délits qui se commettent dans la paroisse de Saint-Thomas de Cosnac, requiert de nous les secours les plus prompts pour voler à la defense des malheureux habitants de ce pays, nous demandant cent hommes de troupes réglées, autant de gardes nationales et un détachement de vingt gendarmes.

«La matière mise en délibération, et ouï le procureur de la commune, la municipalité d'une voix unanime a décidé que, dans ce moment où plusieurs paroisses du département sont livrées au pillage et aux excès de gens mal intentionnés, elle ne saurait leur porter des secours trop prompts ; et faisant droit au réquisitoire de la municipalité de Pons, MM. les commandans du régiment d'Agenois, de la milice bourgeoise, des gardes nationales, de la gendarmerie et de la maréchaussée, ont été requis de fournir des détachements ; savoir, le premier de 112 hommes ; les deux autres, de 50 chacun ; le troisième de 20 gendarmes, et le lieutenant de la maréchaussée, de 4 cavaliers, avec ordre de se rendre auprès de la municipalité de Pons, dont ils attendront la réquisition pour se porter partout où elle le jugera convenable dans l'enceinte du département. Et il a été statué que la lettre de MM. les officiers municipaux de Pons serait transcrite tout au long sur le registre.

«Au même instant, MM. les commandans des différentes troupes sont venus nous annoncer qu'en exécution de nos ordres et réquisition, leurs détachements venaient de se mettre en marche.

«GARNIER, maire. Le BOUC. CHESNIER DUCHESNE. Le chev. de LUCHET. De FONRÉMIS. BRIAULT. C.A. GOUT. LOUIS SUIRE. GODET. BONNAUD DE MONGAUGÉ. DUCHAINE MARTIMONT. SENNÉ, secrétaire

Lettre écrite à la municipalité par MM. les officiers municipaux de Pons en date du 30 avril 1790.

«Messieurs, nous avons cru ne pouvoir refuser main forte à MM. Guyot et Pelletan, habitans de Cosnac, qui nous requièrent à cet effet au défaud des municipalités des cinq paroisses révoltées, qui sont dans la terreur et composées de personnes éloignées qui ne peuvent se correspondre. En conséquence, nous requérons, MM., que vous vouliez nous prêter main forte et secours le plus prompt ; vous nous obligerez, si vous pouvez nous envoyer cent hommes du régiment d'Agénois, cent hommes de la milice nationale et vingt gendarmes. Nous pourvoirons au logement et à l'étape de vos troupes. Les nôtres, prêtés à se réunir aux vôtres, seront composées de cinquante hommes de pied et de vingt à cheval.

«Nous venons encore d'être requis de la part Mme de Baulon qui est en fuite, et qui déclare que M. le curé de Saint-Dizant, maire d'une des cinq paroisses, l'a prié verbalement de nous faire cette réquisition, en l'assurant que les circonstances ne lui permettaient pas de nous écrire. Nous sommes avec respect, MM., vos très humbles et très obéissants serviteurs, les officiers de la ville de Pons.

«RENAUD, maire. POTET. DUMAS. POITEVIN. DE LUC fils. ZIMMERMAN. GOUT, procureur de la commune



«Deux victimes des Septembriseurs» :
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[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]