«DEUX VICTIMES DES SEPTEMBRISEURS [LES BIENHEUREUX FRÈRES LA ROCHEFOUCAULD]» DE
LOUIS AUDIAT ; CHAPITRE 15
CHAPITRE 15. — Pierre-Louis prié d'organiser son clergé. — Défense aux chanoines de dire la messe dans le chœur et de porter leur habit. — Sollicitude pour les enfants de chœur. — Scellés apposés sur le chœur et la chaire. — Rapport de Charles Voidel à l'Assemblée contre François-Joseph, le 26 novembre 1790. — Notes de bas de page.
Il fallait bien payer les chanoines : car, en les proscrivant, on était bien aise de se servir d'eux. Le 6 décembre 1790, eut lieu l'installation des juges du district de Saintes (1). Le doyen, invité la veille par une députation de la municipalité, entonna, au milieu d'une grande foule et de tous les corps constitués, le Veni Creator, et célébra une messe du Saint-Esprit qui se termina par un Te Deum. Cette condescendance ne sauva pas le chapitre. Jusque-là, on avait usé de tolérance. Après leur avoir signifié le décret de leur dissolution, on les avait laissés dire messe et vêpres à leur guise. Qu'importait, en effet, au repos public que des prêtres chantassent matines ou laudes ? Et puis, c'étaient des hommes considérable dans le pays, alliés aux meilleures familles. Ils avaient donné des preuves de patriotisme en maintes occasions, officié quand on avait voulu, prêté leur église pour les Assemblées
électorales. Plusieurs, par leur libéralisme, avaient mérité d'être élus officiers municipaux ou notables. Tout cela fut nul. L'article VII de la loi du 26 décembre 1790 était formel : «Ceux desdits évêques, ci-devant archevêques, curés et autres ecclésiastiques fonctionnaires publics, conservés en fonctions et
refusant de prêter leur serment respectif, ainsi que ceux qui ont été supprimés, ensemble les membres des corps ecclésiastiques séculiers également supprimés qui s'immisceraient dans aucunes de leurs fonctions publiques ou dans celles qu'ils exerçaient en corps, seront poursuivis comme perturbateurs de l'ordre public et punis des mêmes peines que ci-dessus.»
En conséquence, les administrateurs du département arrêtèrent, le 1er février 1791 (2) :
«Que le directoire du district de Saintes serait chargé de faire défense aux ci-devant chanoines de la cathédrale de cette ville de s'immiscer publiquement et en corps dans aucune des fonctions de leur ministère, à compter du jour de l'avertissement qui leur en serait donné, sans que par cette prohibition il soit néantmoins ôte à aucun prêtre la faculté de dire la messe dans la dite église, destinée à être église cathédrale paroissiale.
«Et attendu que, lors de l'organisation du nouveau conseil de l'évêque, il sera vraisemblablement convenable pour la majesté du peuple de conserver des enfans de chœur.
«Nous arrêtons, sur ce ouï le procureur général sindic, que la pension de ceux qui était ci-devant consacrés au service de l'ancienne cathédrale, leur sera continuée jusqu'aux dispositions définitives qui seront prises à cet égard, après avoir consulté le directoire du district.
«RONDEAU, président. RABOTEAU. ESCHASSERIAUX. DUCHESNE. RUAMPS. JOUNEAU. RIQUET. EMOND, secrétaire.»
On y mettait certainement des formes. Ces gens n'étaient point mauvais pour la plupart. Le torrent était plus fort qu'eux. Peut-être auraient-ils voulu résister ; ils n'osaient.
L'arrêté arriva au directoire du district qui, le 2, invita les officiers municipaux à prendre les mesures nécessaires : ordonner aux chanoines de cesser toute
fonction publique, défendre au sacristain de sonner les cloches pour les offices du chœur désormais supprimés, apposer les scellés sur les trois portes du chœur pour interdire la grand' messe est sur la chaire pour empêcher la prédication, avertir les clergeons que leur pension leur est continuée, enfin mettre les troupes sur
pied, doubler les postes et tenir la ligne et la garde prêtes à marcher à la première réquisition (3).
Le 3 février, la municipalité envoya Gout, Lesacques et Boisnard intimer au doyen et à la compagnie l'ordre du directoire. Ils arrivèrent, accompagnés du greffier et précédés de deux gardes de l'hôtel de ville. La grand' messe allait se dire. On dut s'arrêter. Chacun en particulier eut défense de prêcher, célébrer la messe, faire un office quelconque. On permettait cependant des messes basses dans les petites chapelles de la nef. On autorisait le sacristain Berthomé à fournir les ornements et le maître de la
psallette à continuer l'instruction des enfants de chœur jusqu'à nouvel ordre. Les scellés furent apposés sur les trois
portes du chœur et sur celle de la chaire. «Et dès ce moment, ajoute mélancoliquement le chanoine Legrix, l'office public, célébré sans interruption dans cette église depuis près de mille ans, a entièrement cessé.» C'en était fait du chapitre.
Ce premier succès obtenu, on songea à une victoire plus considérable.
L'évêque fut attaqué. On avait cru ou feint de croire que Pierre-Louis de La Rochefoucauld serait docile. Le 18 novembre 1790, le directoire du district, en même temps qu'aux chanoines, lui notifiait la Constitution
civile du clergé et l'engageait à se hâter «de faire choix de ses vicaires, conformément à
l'article 22 du titre 2 du décret du 12 juillet dernier pour parvenir plus promptement à la formation de la paroisse cathédrale.» Le département de son côté écrivait à l'évêque «de se décider, d'ici au 29 de ce mois, sur le choix de ses vicaires.» Le 22, Dubois et Eschassériaux, qui étaient allés au palais épiscopal, rapportent le procès-verbal de signification du décret. Mgr de Saintes laissa dire, écrire et dresser procès-verbaux. Son frère, lui, à
un avis semblable du directoire du district de Beauvais, avait, nous l'avons vu, répondu qu'occupé à Paris, par les travaux de la Constituante, il ne pouvait songer à réorganiser sa cathédrale. La lettre avait paru un peu irrévérencieuse. On s'en plaignit à l'Assemblée nationale ; et à la séance du vendredi soir 26 novembre 1790 (4), Charles Voidel (5), faisant, au nom des comités
d'aliénation ecclésiastique, des rapports et des recherches réunis, un rapport sur l'opposition des évêques à la Constitution civile du clergé, signalait en particulier la conduite de François-Joseph de La Rochefoucauld : «Vous allez voir au surplus, disait-il, que les rebelles, uniformes quant à la résistance, en varient les effets au gré de leurs diverses passions, de leurs craintes ou de leurs espérances... Ainsi M. l'évêque de Beauvais, membre de cette Assemblée, pressé par le directoire du département de l'Oise de donner des ordres pour la prompte exécution dans son diocèse du décret sur la Constitution civile du clergé, la
formation de sa cathédrale en paroisse, la suppression et réunion des cures, la nomination de ses vicaires, a répondu que, ne voyant pas le terme de votre session, il ne pouvait en assigner une à son retour.»
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[Notes de bas de page.]
1. Ces juges étaient André-Antoine Bernard des Jeuzines, René Briaud, René Duchaine-Martimont, Jérôme-René Landreau et Étienne Dangibeaud, remplacé l'année suivante, le 10 décembre, après sa démission, par Joseph Dubois.
2. «Aujourd'hui premier février 1791, il a été dit par monsieur le procureur général sindic, que le décret du 12 juillet, sanctionné le 24 août, ayant supprimé toutes les collégiales, les églises cathédrales et tous chapitres tant séculiers que
réguliers, il devait être défendu à celui de cette ville de s'imisser dans aucunes fonctions canoniales, du jour de la publication du district ; que néantmoins des considérations particulières avaient
déterminé le corps administratif du département à écrire à M. l'évêque avant de prendre aucun parti positif, en le prévenant qu'on lui laissait quinzaine pour procéder à l'organisation de son nouveau
clergé, pendant lequel temps on tolérait que les ci-devant chanoines continuassent à remplir publiquement les fonctions du culte divin dans leur église, pourvu qu'ils ne se décorasent d'aucunes marques distinctives qui annonçassent encore
l'existence d'un corps supprimé ; que depuis cette époque l'Assemblée nationale ayant rendu un nouveau décret, le
27 novembre, sanctionné le 26 décembre suivant, qui prohibe à tous les ecclésiastiques supprimés de continuer aucunes de leurs fonctions publiques, à peine d'être poursuivis comme perturbateurs de l'ordre public, le dit procureur général sindic, chargé de
l'exécution de la loi, se voyait aujourd'hui indispensablement obligé de requérir qu'il fût interdit aux ci-devant chanoines de s'assembler en corps, pour faire aucunes fonctions de leur ministère, et demandait que le directoire voulût bien statuer sur son réquisitoire.»
3. J'ai publié la lettre du directoire du département aux officiers municipaux relative à la suppression du chapitre dans l'ouvrage, Louis Audiat, Saint-Pierre de Saintes,... (Saintes, Mortreuil, 1871 ; p. 124) ; on me permettre d'y renvoyer le lecteur pour ne pas la publier une second fois.
4. Moniteur universel du 28 novembre 1790 (VI, p. 483).
5. [Note de l'éditeur. Charles Voidel fut défenseur de Louis Égalité, cousin du roi Louis XVI et père du roi Louis-Philippe, au tribunal revolutionnaire du 6 novembre 1793 ; le ci-devant duc d'Orléans fut éxecuté le même jour, sur la place de la Révolution.]
«Deux victimes des Septembriseurs» :
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[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]