«DEUX VICTIMES DES SEPTEMBRISEURS [LES BIENHEUREUX FRÈRES LA ROCHEFOUCAULD]» DE
LOUIS AUDIAT ; CHAPITRE 16


CHAPITRE 16. — Le serment à l'Assemblée nationale, le 4 janvier 1791. — Lettre de Pierre-Louis sur cette séance de l'Assemblée. — Son refus de jurer. — Son exemple est imité par la grande majorité du clergé de Saintes. — Les professeurs du collège refusent. — Lettres que l'évêque leur adresse. — Les jureurs. — Lettre de François-Joseph. — Notes de bas de page.


Vint le décret du 27 novembre. Il ordonnait que les évêques et curés seraient tenus de prêter, dans la huitaine, le serment à la Constitution civile du clergé, faute de quoi les récalcitrants seraient censés avoir donné leur démission. S'ils continuaient à s'immiscer dans leurs anciennes fonctions, on les poursuivrait comme perturbateurs du repos public. Louis XVI, après un mois d'hésitation, finit, comme toujours, de guerre lasse, par se rendre aux vœux de l'Assemblée, le 26 décembre 1790. Dès le lendemain, Henri-Baptiste Grégoire, curé d'Emberménil, prêtait le serment — [soit : «Je jure de veiller avec soin aux fidèles dont la direction m'est confiée. Je jure d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi. Je jure de maintenir, de tout mon pouvoir, la Constitution française et notamment les décrets relatifs à la Constitution civile du clergé.»] — Avec lui Dom Christophe-Antoine Gerle, chartreux, qui n'y était point astreint, puis soixante-quatre moines or prêtres séculiers, parmi lesquels quelques-uns voisins de la Saintonge : Pierre-Mathieu Joubert, curé de Saint-Martin d'Angoulême et futur évêque d'Angoulême ; René Lecesve, curé de Saint-Triaize, qui, élu évêque de la Vienne, le 27 février 1791, mourut subitement au moment où il se disposait à lancer l'interdit sur les prêtres fidèles ; Dominique Dillon, curé du Vieux-Pouzauges, diocèse de Luçon ; David-Pierre Ballard, curé de Poiré-sous-Velluire ; Jacques Jallet, curé de Chérigné, quatre députés de Poitiers, sur sept. Le 28 ce fut le tour de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, évêque d'Autun ; puis de Jean-Baptiste Massieu, curé de Sergy, futur évêque de l'Oise, régicide et apostat ; cinq jours après, vint Jean-Baptiste Gobel, évêque de Lydda, suffragant de l'évêque de Bâle. Pierre-Louis de La Rochefoucauld était resté tranquille à son banc, regardant avec affliction défiler devant lui les renégats. Leur nombre était petit ; mais il pouvait s'augmenter.

Le délai de rigueur allait expirer. Le 2 janvier, François de Bonal, évêque de Clermont, monte à la tribune pour protester une dernière fois contre le droit que s'arrogeait l'Assemblée sur les consciences. Le 4 janvier est le terme fatal. Laissons Pierre-Louis raconter, dans la lettre suivante que nous citons tout entière à cause de son intérêt, cette scène mémorable qui fut le triomphe du clergé, et après laquelle Mirabeau put dire avec raison : «Nous avons leur argent, mais ils ont conservé leur honneur.»

«Vous attendez, je m'imagine, avec bien de l'impatience, mon cher abbé, les détails de la séance d'hier : je vais tâcher de vous en donner le précis. Si l'espèce d'acharnement avec lequel on poursuit les ministres du Seigneur et l'on veut forcer leur conscience vous afflige, vous serez un peu consolé par la fermeté et le courage qu'ont montré les évêques et un grand nombre d'ecclésiastiques du second ordre, quoiqu'on n'ait absolument négligé aucun des moyens qu'on a crus propres soit à les intimider, soit à les séduire.

«A une heure et un quart, terme fatal qui était marqué, comme je vous l'ai mandé hier, la majorité de l'Assemblée a montré une grande impatience pour interrompre l'objet qui était à l'ordre du jour. Afin de commencer à travailler le clergé, on a interrompu l'orateur qui était à la tribune, et qui parlait, à la vérité depuis longtemps, et on a demandé que son opinion fût continuée au lendemain. Il s'est élevé quelques débats à cet égard, qui ont fini par nous donner encore jusqu'à deux heures pour faire nos réflexions. Si on nous avait consultés, nous aurions été d'avis que la question qui nous concernait se traitât sur-le-champ. Pendant le peu de temps qu'on nous avait donné une partie de l'Assemblée montrait la plus vive impatience ; et l'on a crié plusieurs fois au président qu'il était deux heures. Il a été obligé de se rendre aux instances du parti qui nous est opposé, avant même que le nouveau délai fût expiré ; il est vrai qu'il n'y avait plus que trois ou quatre minutes ; mais enfin l'heure fatale n'était pas encore arrivée.

«La première personne qui est montée à la tribune est l'abbé Grégoire. Il a voulu nous prouver que l'Assemblée n'avait point entrepris sur le spirituel ; qu'elle l'avait déclaré plusieurs fois, et il a fini par exhorter ses confrères, les curés et les évêques, pour lesquels il a protesté être plein de respect, de se rendre aux vœux de l'Assemblée, et de prêter le serment pour éviter les troubles et les malheurs qui pourraient être la suite de leur résistance (1). Mirabeau a succédé à l'abbé Grégoire, et a commencé par se plaindre avec force, du titre qu'on avait mis à l'affiche du décret concernant le serment. Par ce titre il était dit que ceux qui ne prêteraient pas le serment seraient poursuivis comme perturbateurs du repos public. Était-ce un fait exprès ? était-ce une inadvertance ? Il ne prononce rien à cet égard pour ne pas blesser la charité. Mirabeau a voulu ensuite étendre un peu les raisons de l'abbé Grégoire, et a dit à peu près qu'on ne devait pas, à la vérité, regarder comme perturbateurs du repos public les personnes qui ne prêteraient pas le serment, mais qu'elles le deviendraient, si elles voulaient, après s'y être refusées, continuer leurs fonctions ; il n'a cependant pas conclu, comme on s'y attendait, à ce que tous ceux qui ne prêteraient pas le serment donnassent leur démission.

«Après Mirabeau, Bailly est monté à la tribune pour justifier l'affiche mise par ordre de la municipalité. Il s'est assez mal défendu. Il a prétendu que la loi lui était parvenue telle qu'elle avait été affichée, et a rejeté la faute sur le comité chargé de l'envoi des décrets. Il a ajouté qu'on avait, dès que l'on s'était aperçu de l'erreur, fait placarder les anciennes affiches par de nouvelles où on avait retranché ce qui pouvait égarer le peuple. Le fait n'était pas de la plus grande exactitude : car on en trouva encore une aux portes de l'Assemblée pareille à celles qui avaient excité de justes réclamations (2).

«Malouet fit ensuite sa motion pour qu'on recherchât les auteurs d'une faute si grave et qui pourrait avoir les suites les plus fâcheuses ; cette motion n'a pas été mise aux voix ; elle en valait cependant bien la peine !

«Barnave, à son tour, a demandé qu'on insérât dans le procès-verbal l'explication qu'avait donnée le maire Bailly. Passant à l'objet principal, et après avoir répété ce qu'on avait déjà dit sur le spirituel, et avoir tâché de prouver que l'Assemblée n'avait rien mis dans la Constitution du clergé qui y touchât, il a conclu à ce qu'on interpellât tous les fonctionnaires publics ecclésiastiques qui étaient à l'Assemblée, de faire le serment, et qu'après ces interpellations, s'ils s'y refusaient, il fût ordonné au président de se retirer par devers le roi pour le prier de donner des ordres aux départements de mettre le décret du 27 à exécution. On voulait faire rédiger le procès-verbal de la séance tout de suite, et y faire insérer ce qu'avaient dit l'abbé Grégoire et Mirabeau sur le spirituel. On espérait par là séduire quelques personnes. On s'y est opposé, parce que l'intention réelle de l'Assemblée n'est pas de ne point entreprendre sur le spirituel. L'abbé Mauri a demandé la parole. A peine a-t-il prononcé trois mots qu'on a dit qu'on n'avait plus d'explications à entendre, et on l'a écarté de la tribune par un décret. On a encore disputé pour savoir si on inscrirait le dire de l'abbé Grégoire et de Mirabeau dans le procès-verbal. Despréménil a voulu monter à la tribune pour faire ses observations et démontrer à l'Assemblée qu'elle est de mauvaise foi ; ce sont ses propres paroles, qui ont été entendues avec bien de l'impatience. Décret qui lui interdit la parole. Enfin l'on décrète la première partie de la motion de Barnave. Pendant l'intervalle des interpellations, Mirabeau se tourne et se retourne pour interpréter les intentions de l'Assemblée. Un seul curé se laisse séduire et prête le serment purement et simplement, en faisant observer qu'il avait sa conscience tranquille, d'après les réflexions qui ont été faites.

«Il est enfin décidé qu'on interpellera chacun nominativement. On apporte la liste ; on appelle M. l'évêque d'Agen. Au moment où il allait prendre la parole pour répondre, on entend les cris d'une multitude effrénée qui entoure la salle et vomit des imprécations contre les ministres du Dieu saint. Elle vocifère : «A la lanterne ! A la lanterne !» Beaucoup de voix s'élèvent dans l'Assemblée pour faire remarquer ce bruit au président, et pour lui dire de donner des ordres afin d'écarter cette multitude. Il en donne ; on entend encore de nouvelles menaces. Nouvelles interpellations au président de faire cesser le tumulte et de faire éloigner de l'Assemblée cette multitude, j'oserais dire, de cannibales ; une pluie d'averse secourt fort à propos la garde nationale. La foule se dissipe en partie, et le calme paraît se rétablir au milieu de l'Assemblée. M. l'évêque d'Agen peut se faire entendre ; il répond avec fermeté que, quoiqu'il soit sur le point de perdre sa place et toute ce qu'il a dans le monde pour subsister, cette crainte ne le fera pas manquer à sa conscience, et qu'il ne prêtera point le serment (3). Beaucoup d'applaudissements de notre côté, et un morne silence de l'autre. On appelle ensuite M. de Fournets, curé de Puy-Miquelan ; il répond : «Je me ferai toujours gloire de suivre les traces de mon évêque ; et, quelque chose qui puisse m'arriver, j'espère que Dieu me fera la grâce de le suivre partout comme saint Laurent suivit le pape saint Sixte. Je refuse de prêter le serment.

«Après avoir appelé quelques personnes absentes, se présente encore un curé qui veut motiver son refus avec autant de force que les deux autres. On crie que l'on ne veut pas d'explications, et qu'il faut répondre simplement : «Je jure ou je refuse.» On demande qu'on cesse l'appel nominal et qu'on s'en tienne à une interpellation générale. Grand débat à cet égard. Enfin la proposition est décrétée. Nouvelles explications données par Mirabeau. L'abbé Mauri demande encore la parole ; le président la lui accorde. Il monte à la tribune et en est écarté par un nouveau décret, sans avoir pu proférer une seule parole. Nouvelle dispute sans qu'on puisse s'entendre. Cazalès propose à l'Assemblée d'accepter la formule de M. de Clermont — [soit «Je jure de veiller avec soin sur les fidèles dont la conduite m'a été ou me sera confiée par l'Église, d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir en ce qui est de l'ordre politique la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi, exceptant formellement les objets qui dépendent essentiellement de l'autorité spirituelle.» ] — et observe qu'il ne peut y avoir de difficultés, puisque l'Assemblée prétend n'avoir ni touché ni vouloir toucher au spirituel. Cette proposition est rejetée avec beaucoup de vivacité, pour ne rien dire de plus. Enfin, on fait une interpellation et on décrète la dernière partie de la motion de Barnave. Voilà dans l'exactitude ce qui s'est passé. Les évêques et les curés ont montré courage et fermeté. Nous devons donc rendre grâces à Dieu de nous avoir soutenu dans cette circonstance. J'espère que l'exemple que viennent de donner les membres de l'Assemblée inspirera de l'énergie et la constance aux autres.»

Oui ce fut un jour solennel que celui où le clergé accepta aussi noblement la misère, l'exil, la persécution, la mort, pour ne point faire un serment contraire à sa conscience. Le récit de Mgr de la Rochefoucauld est scrupuleusement exact. On retrouve les mêmes incidents dans le Moniteur, dans les relations du temps, dans une lettre de l'évêque d'Uzès à un de ses vicaires généraux. On y voit cette intolérance de l'Assemblée qui refuse ou coupe la parole aux orateurs qui lui déplaisent ; ce qui faisait dire au marquis de Foucault:

«C'est une tyrannie; les empereurs qui persécutaient les martyrs leur laissaient prononcer le nom de Dieu, et proférer les témoignages de leur fidélité à la religion.» Et pour compléter la ressemblance, on y entend les mêmes clameurs furieuses. On criait : «A la lanterne !» comme sous Néron on criait : «Les chrétiens aux lions !»

Ainsi sur 297 prêtres, composant l'Assemblée, 98 avaient juré, dont deux évêques, Gobel et Talleyrand, auxquels vinrent se joindre plus tard Charles Lafont de Savines, évêque de Viviers, Jean-Baptiste Miroudot du Bourg, évêque de Babylone, suffragant de Gênes, Jarente, évêque d'Orléans, et Étienne-Charles Loménie de Brienne, archevêque de Sens et cardinal, ancien premier ministre de Louis XVI, cet indigne prélat, dit l'historien Thiers, qui, après avoir déchaîné les tempêtes sur son pays, couronna sa vie en se faisant jacobin et apostat; enfin Martial Loménie de Brienne, archevêque de Trajanopolis in partibus, neveu et coadjuteur du cardinal, qui fut condamné à mort le 10 mai 1794 avec toute sa famille. Ajoutons que le lendemain une vingtaine de prêtres rétractèrent leur serment, et sortirent de la salle au milieu des huées et des outrages. On compte que sur 60000 ecclésiastiques, 50000 demeurèrent fidèles.

À Saintes, le magnanime exemple de l'évêque avait encouragé. On voulait l'imiter. Personne n'était pressé de jurer. La municipalité avait, le 15 janvier, reçu du directoire du district le décret relatif au serment, et l'avait fait transcrire sur ses registres; ce qui fit qu'à la suite Pierre, chevalier de Luchet, inscrivit sa démission d'officier municipal. On l'avait crié à son de trompe dans toute la ville. Un registre même était tout prêt à recevoir les noms des curés obéissants. Nul ne venait.

Non seulement on ne jurait pas mais même on protestait de son attachement au véritable pasteur. Il y a une Lettre imprimée De MM. les Curés et Vicaires de la Ville et Fauxbourgs de Saintes, et du Supérieur du Séminaire à M. l'Évêque de Saintes :

«MONSEIGNEUR,

«Si, disent les signataires, la parole de notre divin législateur pouvait manquer à son Église, si les portes de l'enfer pouvaient prévaloir contre elle, le dernier refuge de la religion serait, sans doute, l'âme d'un pasteur ; sa bouche, fidèle à sa mission, ne cesserait qu'à son dernier soupir de la professer et de la défendre. Quelle satisfaction donc pour les hommes vraiment chrétiens, quelle gloire pour l'Église de France de pouvoir encore lui compter autant d'asiles inviolables, qu'elle a de bons et véritables prélats ! Rougissent nos Cranmers (4) du jour en comparant leur indigne faiblesse à la conduite ferme et constante qu'ils leur ont vu tenir ! qu'ils frémissent d'avoir ignominieusement, pour les biens fragiles de la terre, trahi leur conscience et leur ministère (5).

«Nous finissions, Monseigneur, en vous priant de nous soutenir par vos avis et par vos conseils, dans la carrière dure et pénible qui va s'ouvrir devant nous. Tout secours, il est vrai, nous vient d'en haut, mais pourrions-nous ne pas avouer que les moyens de la Providence se trouvent souvent dans la force et l'exemple de ceux qu'elle a donnés pour chefs à son Église [?]

«Tels sont les sentimens vrais, invariables, de ceux qui ont l'honneur d'être très respectueusement,...»

J'ignore si les dix curés de la ville signèrent cette déclaration ; mais tous ne persévérèrent pas dans les bonnes résolutions qu'ils venait de montrer. Dans la Réponse imprimée De M. l'Éveque de Saintes à MM. les Curés et Vicaires de la Ville et Fauxbourgs de Saintes, et du Supérieur du Séminaire, l'évêque répondit :

«Comment pourrai-je vous peindre, Messieurs, combien mon cœur et mon âme ont été sensiblement et tendrement affectés à la lecture de la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire ? Avec quelle joie, avec quelle douce satisfaction n'y ai-je pas reconnu les sentiments qui devraient être ceux de tous les fidèles, et qui animent dans ce moment tous les ministres du Dieu vivant, qui n'ont pas perdu de vue la grandeur du caractère auguste et sacré dont ils sont revêtus ? Je me suis donc réjoui devant le Seigneur ; je me suis même glorifié d'avoir des coopérateurs si dignes de son cœur.

«Votre attachement aux principes et aux vérités que nous enseigne la religion, et dont vous devez instruire les fidèles confiés à vos soins, votre respect pour l'autorité et la discipline de l'Église, dont on ne peut se détacher sans se rendre coupable aux yeux de Dieu, vous mettront dans le cas d'éprouver des persécutions de la part des hommes. Mais vous vous y exposerez sans peine et sans murmure, parce que vous ne perdrez jamais de vue le conseil donné par notre divin législateur à ses disciples : «Craignez, leur dit-il, celui qui peut perdre votre âme, mais ne craignez pas celui qui peut faire périr votre corps (6).» Ne craignons donc pas les hommes, mais ayons continuellement la crainte de Dieu devant les yeux ; remplissons nos devoirs avec fidélité, courage et fermeté. C'est le seul moyen de nous rendre dignes des récompenses dont Jésus-Christ nous a ouvert le trésor par ses humiliations est ses souffrances, et que nous ne pourrons acquérir qu'en imitant son exemple.»

Et il continue à leur tracer les meilleurs et les plus sages mesures de conduite : «Gémissons devant Dieu, qui seul peut bien juger les actions des hommes, de la cruelle nécessité où on nous met de paraître réfractaires à la loi. Ne nous dissimulons pas les couleurs noires sous lesquelles on peindra notre résistance ni les interprétations malignes et mensongères qu'on y donnera. Mais qu'une vaine terreur ne nous empêche pas de remplir notre devoir. Nos intentions sont pures et Dieu nous en est témoin.» Il leur recommande la fermeté dans leurs principes, mais aussi la charité, la commisération pour la faiblesse de ceux qui viendraient à violer leurs devoirs ; ils doivent chercher à les ramener par la douceur. Jamais ils n'abandonneront leur troupeau. Ils instruiront les fidèles «de l'obligation où ils sont de ne pas reconnaître d'autres pasteurs» qu'eux : car tous les successeurs qu'on prétendra leur donner sont intrus, et leurs actes nuls, «puisqu'ils ne teindront leurs pouvoirs que de la puissance civile».

«Je n'ai pas besoin, ajoute-t-il, de vous exhorter à allier, dans vos exhortations et dans les avis particuliers que vous pouvez donner, la prudence et la sagesse avec le courage et la fermeté dignes de la grandeur de notre ministère.

«Ne nous exposons pas, par un zèle inconsidéré, aux reproches ches des personnes qui désirent nous trouver des torts ; mais aussi qu'une pusillanimité, indigne même d'un simple fidèle, ne nous en mérite pas de Celui seul vis-à-vis duquel nous ne trouverions aucune excuse ! Ne cessons de nous montrer fidèles aux engagements que nous avons contractés, et au moment de notre baptême, et à celui où, en recevant l'onction sainte, nous avons été revêtus de grands pouvoirs sur les fidèles dont le salut doit être l'unique objet de nos soins et de notre vigilance. N'oublions jamais que nous ne devons pas vivre pour nous mais pour eux, et que rien ne doit nous coûter lorsqu'il s'agit de leur procurer tous leurs biens spirituels.»

Ce que le pieux prélat craignait arriva. La municipalité, chaque jour, se faisait représenter le registre des prestations de serment ; chaque jour, elle constatait depuis longtemps que rien n'y était encore écrit.

Enfin, le 20 janvier 1791, un ecclésiastique qui, depuis trois ans, habitait Saint-Pallais, malade et infirme, Pierre Marsay, curé de Barzan, se présenta. Thomas-Joseph Bonnerot, curé de Saint-Maur, le note ainsi : «Homo singularis, novitatum amator ac disciplinæ desertor, nil non egit deficiens ab ecclesia, facto functus in sede sua quam deseruerat ac resumpserat.» Vu son état de santé, on décida que, ne pouvant se transporter dans sa paroisse, il prêterait serment, le dimanche 30, à Saint-Pallais ; ce qui eut lieu. Les professeurs du collège de Saintes avaient été invités à se conformer au décret. C'étaient des prêtres séculiers. Ils avaient, en 1766, succédé aux Bénédictins de la congrégation de Saint-Maur qui, depuis 1762, remplaçaient les Jésuites expulsés.

«Ce collège, dit l'abbé Taillet, doit être distingué parmi les nombreux établissements de ce genre qui presque tous avoient honteusement dégénéré depuis le départ des Jésuites. Dans celui-ci il y avoit des talents, de la piété, des mœurs ; aussi jouissoit-il de l'estime générale, et les provinces voisines y envoyoient leurs enfants.»

Comme beaucoup, les maîtres étaient embarrassés ; d'une part leur conscience, de l'autre les intérêts de l'établissement, l'avenir de tant de jeunes gens confiés à leurs soins. Le principal était alors Sigisbert de Rupt (7). Venu à Saintes, en 1767, comme professeur de rhétorique, il avait plus tard succédé à Louis-Augustin Hardy (8), principal pendant 20 ans du collège de Saintes, comme il devait plus tard, en 1805, le remplacer dans la cure de Saint-Pierre (9). De Rupt consulta son évêque ; il en reçut la touchante réponse suivante, dont l'original a été donné par l'abbé Briand à l'évêché de La Rochelle où on ne le retrouve plus :

«Je sens, monsieur, combien votre position est cruelle et votre perspective affligeante. C'est précisément parce qu'elle se présente à moi dans toute son horreur que j'admire davantage votre fermeté et votre courage ! Je n'en ai jamais douté un seul instant ; et je connais trop bien vos sentiments et vos principes en religion pour n'avoir pas prévu le part que vous prendriez, si on voulait exiger de vous un serment que la religion réprouve, et auquel, en conséquence, votre conscience se refuse.

«Faire notre devoir, obéir à Dieu voilà le seul objet qui doit nous occuper. Ne désespérons pas de sa providence, et soyons bien sûrs qu'après avoir mis notre foi à l'épreuve, il trouvera les moyens de nous secourir dans notre malheur. D'ailleurs, s'il a décidé que nous devions périr une si belle cause, réjouissons-nous en lui de ce qu'il nous a jugés dignes de souffrir pour lui. Je désire bien que messieurs les professeurs imitent votre exemple, et conforment leur conduite à ceux que vous me nommez dans votre lettre. S'ils aiment leurs devoirs, et qu'ils aient conservé l'esprit ecclésiastique, ils ne peuvent se conduire autrement.

«Recevez, etc.

«Paris, 31 janvier 1791.

«X PIERRE-LOUIS, évêque de Saintes

Cette lettre n'était pas parvenue à Saintes que déjà le professeur de philosophie, Guillaume-Roch Létourneau (10), prêtre du diocèse d'Angoulême, au collège depuis quatre ans, avait trompé les douces espérances de son évêque. «L'oubli du saint exercice de l'oraison journalière, dit l'abbé Briand (11), le mépris pour l'étude spéciale du prêtre, les goûts frivoles, les visites inutiles, la présomption audacieuse et tranchante comme l'inspire l'ignorance, conduisirent ce jeune ecclésiastique à l'apostasie et au scandale.» Létourneau avait une imagination vive, mais une âme capable de générosité. Nous en aurons une preuve plus tard. Il jura le 27 janvier. Le procès-verbal de cet acte est assez curieux. La municipalité, qui avait attendu longtemps, est toute heureuse enfin d'avoir un assermenté ; et comme elle s'excuse de n'être pas plus nombreuse en cette mémorable occasion (12) !

La municipalité eut pourtant une déception. Un «prêtre de cette ville, employé en qualité de vicaire du chœur au service du ci-devant chapitre», Gilles-Joseph Closse, avait, le 18 janvier, déclaré qu'il jurerait. Mais «il n'avait tenu compte de se présenter dans aucune paroisse... quoiqu'il eût été invité et sollicité de se présenter à l'église paroissiale de Saint-Pierre». Ce n'était que différé. Closse, en effet, le 18 février, annonça que le dimanche suivant, 20, après la messe du prieuré des Arènes, qu'il desservait, il jurerait dans l'église paroissiale de Thenac. Il devint curé intrus de Floirac.

À côté de cette satisfaction de la municipalité qui vient d'assister à «cette auguste cérémonie», il y a la tristesse de l'évêque. La Rochefoucauld écrivit à ce sujet une nouvelle lettre à l'abbé de Rupt ; l'abbé Briand la cite aussi (13). C'est la douleur du prêtre qui s'exhale doucement dans un cœur ami : «Vous ne devez pas douter, monsieur, du plaisir que j'ai eu en apprenant que presque tous les membres du collège s'étaient refusés à prêter le serment. Je suis vivement peiné qu'il y en ait eu un qui, quoique jeune encore, se soit persuadé qu'il était plus éclairé que les évêques de France, le plus grand nombre des pasteurs respectables qui ont cru ne pas devoir le prêter. Il faut avoir un bien grand fond d'amour-propre ou être de bien mauvaise foi pour tenir une pareille conduite ! Plusieurs personnes m'avaient déjà parle de l'ouvrage de M. Létourneau. On m'avait même mandé qu'il m'en avait adressé une copie. Je ne l'ai point reçue, et j'en suis fort aise. Je ne crois pas, d'après l'extrait que vous m'en donnez, qu'il fasse beaucoup de prosélytes. Je pense au contraire qu'un pareil ouvrage ne peut que faire tort à son auteur, qui sera peut-être bien honteux, un jour, de l'avoir fait. Dieu veuille lui faire la grâce de se repentir d'avoir ainsi trahi sa conscience, ses devoirs et sa religion (14).

«Vous-voulez bien témoigner à vos messieurs combien j'admire leur fermeté et leur courage ? Les circonstances où nous nous trouvons en demandent beaucoup ; mais quand on est bien pénétré de la grande, importante vérité qu'une seule chose doit nous occuper sur la terre, et que c'est le soin de notre salut, à quels sacrifices ne se soumettrait-on pas pour pouvoir l'opérer sûrement ? Quelque dure que puisse devenir notre position, nous devons encore remercier Dieu de ce qu'il nous juge dignes de souffrir pour lui. En jetant souvent les yeux sur la croix de notre divin Sauveur, nous y trouverons bien des motifs de nous consoler de tous les maux dont il nous afflige. Puisse-t-il nous faire la grâce de les prendre en expiation de toutes les fautes dont nous nous sommes rendus coupable à ses yeux !

«Recevez les assurances du tendre et inviolable attachement avec lequel, etc.

«Paris, le 8 février 1791.

«X PIERRE-LOUIS, évêque de Saintes

Quels nobles sentiments ! quelle résignation triste et calme ! quelles douloureuses prévisions que l'événement ne devait point tromper ! Cette lettre est vraiment admirable.

Il est touchant de trouver les mêmes idées pieuses et sombres, la même foi vive et affligée, la même douleur soumise et confiante, dans le frère de l'évêque de Saintes, le doux évêque de Beauvais. Lui avait eu plus chagrin. Dans sa ville épiscopale, tous les curés avaient juré, sauf celui de Sainte-Marguerite et celui de la Madeleine. François-Joseph écrivait de Paris, le 18 janvier 1791, au premier (15) :

«Aurés-vous, mon cher pasteur, dans Beauvais des imitateurs de votre foy, de votre courage, du sacrifice généreux que vous faites pour faire respecter le ministère sacré que le saveur du monde vous a confié ? Vos confrères me donneront-ils la consolation de reconnaître enfin la voix de leur chef ? Puis-je me flatter que les dernières paroles que je leur ai adressées ayent fait quelque impression sur leur cœur ? Dieu, dans sa miséricorde, aura-t-il donné à mes expressions cette douceur, cette onction, cette grâce qui éclaire et conduit avec sûreté dans la voye étroit du salut ? Hélas ! que j'attends avec impatience des nouvelles de la journée de dimanche passé ! Je suis dans une grande perplexité. Si je m'en rapporte à la lettre que vous et vos confrères m'avés écrite, je ne dois que verser des larmes bien amères ; mais j'espère le secours du souverain pasteur ; j'espère qu'il ne permettra pas que l'Église de Beauvais se souille d'une tache dont elle ne se laveroit jamais. Votre exemple, vous, ministre des saints autels, celuy que donnent à vos confrères trois vicaires de votre ville, sera sans doute suivi. Si l'on a paru chanceler, on se sera réconforté. Le bon exemple, des avis plus éclairés, des prières adressées au thrône du Dieu vivant par un cœur humble et sincère, n'ayant en vue que la gloire de celuy dont nous sommes les ministres, auront sans doute obtenu les lumières de l'Esprit-Saint. Je l'espère.

«Quant à vous, mon cher pasteur, mon cœur opressé avoit besoin d'être soulagé ; vous le faites, autant qu'il est en vous ; j'en rends grâce à Dieu, et le prie de vous faire ressentir, toute votre vie, la douceur, l'ineffable onction dont votre âme est favorisée, et que vous a méritée votre courage et votre amour pour votre créateur. Comparez la paix, la tranquillité de votre intérieur avec l'état effrayant de ceux qui n'auroient pas suivi votre exemple. On assure que, dans Paris, Dieu a déjà manifesté son improbation sur la lâcheté de ses ministres ; deux de MM. les curés de Paris qui ont fait le serment, sont tombés dans un état bien déplorable et qui a des caractères de désespoir. Je ne vous certifie pas ce fait ; mais on en parle beaucoup.

«Vous aves fait un grand sacrifice ; mais la Providence ne vous abandonnera pas ; contés-y. Des fidelles, que dis-je ? nos frères égarés, même les protestans, s'empressent de réparer l'injustice que l'on comet envers ceux qui restent fidelles à leur devoir. Plusieurs d'entre eux trouvent des secours dans les protestans même. Il se forme à Paris une caisse pour soulager la misère à laquelle on nous a réduits. Je ne doute pas qu'à l'exemple de Paris, les provinces ne se portent à en faire autant ; mais quand ce ne seroit pas, il est bien assuré que si l'Être suprême nous croit utiles en ce monde, il trouvera bien les moyens de nous y faire subsister. Si, au contraire, nous avons rempli la tâche qu'ils nous a imposée, et que le sacrifice que nous lui faisons en ce moment-cy luy est agréable, et que par sa grande bonté, il veuille bien l'accepter en réparation de nos fautes commises contre luy, de notre lâcheté dans son service, s'il daigne lui attacher quelque prix, félicitons-nous s'il nous appelle à luy, et ne nous inquiétons pas du mode qu'il voudra bien choisir dans la séparation qu'il fera de notre âme d'avec le corps. Voilà les pensées, les réflexions dont nous devons aujourd'huy nourrir notre âme. Priés Dieu qu'il veuille bien les graver aussi réellement en mon cœur que je le fais sur le papier.

«J'ai l'honneur d'être, avec un sincère attachement, mon cher pasteur, votre très-humble et très-obéissant serviteur,

«X F. J. évêque de Beauvais

Ainsi, à Saintes, tous les professeurs du collège en exercice, de Rupt, principal, Saboureau, sous-principal, Tarnier, diacre, Coutelin, Tourneur, Duret, Favreau, Tessandier, et Forget (16), avaient, sauf un, refusé le serment ; et aucun autre ecclésiastique ne s'était jusques-là présenté. C'est la joie du chanoine Legrix qui s'écrie : «Grâce à Dieu, ils ont été les seuls. Le dimanche suivant, six février, personne n'a requis la municipalité, ni ne s'est présenté pour prêter le susdit serment.» Mais ce triomphe fut de courte durée.

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[Notes de bas de page.]

1.  Pour obtenir plus de serments, Grégoire prétendait que la loi demandait seulement aux fonctionnaires de jurer d'obéir à la loi et de l'exécuter, et qu'on pouvait intérieurement garder sur elle son opinion, comme on obéit aux lois de police en tant que faits, tout en les désapprouvant dans sa conscience. On y a vu là une restriction mentale ; c'était une simple confusion ; un règlement de voirie que j'exécute n'engage pas ma conscience ; mais une croyance que je viole l'engage. On ne pouvait donc jurer d'observer une loi qu'on était décidé à transgresser.

2.  Une affiche placardée sur les murs de Paris au nom de la municipalité déclarait que les ecclésiastiques étaient condamnés au serment sous peine d'être déclarés perturbateurs du repos public. Le maire de Paris expliqua le faux par une erreur de copiste commise dans les bureaux. Candide Bailly ! et pour réparer la faute, de nouveaux placards où la loi n'était plus falsifiée furent apposés... à côté des anciens qu'on laissa subsister.

3.  «Je ne donne aucun regret à ma place, aucun à ma fortune, mais j'en aurai infiniment de perdre votre estime que je veux mériter en vous témoignant mes regrets de ne pouvoir prêter le serment que vous avez décrété.»

4.  Sans doute allusion accablant à Thomas Cranmer : né à Aslockton, comté de Nottingamshire (Angleterre), le 2 juillet 1489, il fit des études à l'université de Cambridge, épousa une certaine Joan (qui mourut en couches), agit comme apologiste en 1530 du divorce de Henry VIII d'Angleterre avec Catherine d'Aragon, épousa secrètement en 1532 une certaine Margaret (nièce du théologien luthérien Andreas Osiander), et devenu archevêque de Cantorbéry en 1533. Plus tard, il abjura ses erreurs, puis rétracta son abjuration lorqu'il périt sur le bûcher à Oxford, le 21 mars 1556.

5.  Et plus loin : «Placés par l'autorité de l'Église pour veiller et gouverner une portion de votre troupeau, nulle force humaine ne nous ôtera l'intime conviction, qu'aux yeux de Dieu nous en resterons chargés, tant que nous n'aurons pas fait une démission canonique. Inviolablement attachés à cette maxime de foi, que de Jésus-Christ, et par conséquent de l'Église seule, émane tout pouvoir, toute autorité spirituelle, nous ne cesserons de reconnaître et de révérer en vous, et dans tous les évêques catholiques actuels, les seuls premiers pasteurs de l'Église de France». Ils finissaient en ces termes : «Si la persécution vient nous arracher à des fonctions augustes, que nous désirons, que nous voulons remplir toute notre vie, nous adorerons en silence le décret terrible du Tout-Puissant, et nous ne craindrons pas d'exposer nos têtes au glaive du persécuteur, pour la défense et le maintien d'une religion qu'on cherche évidemment à détruire. Eh ! quelle autre vue peut faire présumer un projet que l'impiété philosophique voudrait en vain colorer du prétexte spécieux, mais grossier, de rappeler l'Église à sa perfection primitive.

«Telle a toujours été l'arme favorite des réformateurs ; l'exemple des empires voisins est une leçon vivante pour les amis de la vraie religion. Mais ces réflexions affligeantes nous mèneraient trop loin...».

6.  [Note de l'éditeur.  Cf. Matthieu 10:28, «Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l'âme : craignez plutôt celui qui peut faire périr l'âme et le corps dans la géhenne.»]

7.  Sigisbert de Rupt, né en 1743 à Heudicourt près de Saint-Mihiel (Meuse), mort à Saintes le 19 janvier 1819, âgé de 76 ans, était issu d'une noble et ancienne famille lorraine, qui tire son nom probablement de la commune de Rupt-devant-Saint-Mihiel, et qui portait de sable au lion d'or. C'est lui — [avec Élisabeth Vassal (1795-1883), en religion Mère Saint-Irénée] — qui fonda à Saintes la communauté de Sainte-Marie de la Providence pour l'éducation des jeunes filles, le 29 septembre 1817.]

8.  Louis-Augustin Hardy, né à Taillebourg de Jacques Nicolas, syndic des gens du roi, et de Suzanne Perraudeau, reçut son maître ès-arts à l'université de Paris ; il devint chapelain des Daunis en la paroisse de Saint-Nazaire et fut nommé principal du collège de Saintes, le 7 octobre 1766 — voir aussi note 42 au chapitre 7. Il était frère de Jacques Hardy, bachelier en droit le 30 avril 1746 et licencié le 27 mai 1747, nommé maire de Cognac par le duc de La Vauguyon le 18 décembre 1772, propriétaire des offices municipaux de Cognac, et accepté comme tel pour neuf années par le roi le 7 avril 1773, nommé juge suppléant au tribunal de Saintes le 18 octobre 1795, puis second juge le 13 mai 1800, mort à Saintes le 30 décembre 1811, âgé de 87 ans.

9.  Pour Hardy et de Rupt, voir aussi Louis Audiat, Saint-Pierre de Saintes,... (Saintes, Mortreuil, 1871 ; pp. 86-89) ; on y trouvera des extraits de la correspondance secrète du commissaire du directoire exécutif près l'administration centrale du département relatifs à l'abbé Hardy.

10. Guillaume-Roch Létourneau, né à Angoulême le 7 août 1761, de Guillaume-Roch Létourneau et de Françoise Klotz, était venu au collège en 1787 comme professeur de philosophie ; il fut maintenu dans sa chaire le 16 mars 1791, mais démissionna le 3 novembre et revint dans sa ville natale, où son concitoyen Mathieu Joubert, devenu évêque, lui confia la direction du grand séminaire avec Marchais, ancien génovéfain. Le 24 février 1794, il épousa Jeanne de Labatud, née à Ruelle le 5 octobre 1762, de Pierre de Labatud, seigneur des Pascauds, avocat en la Cour et au présidial, et de Françoise-Marie-Anne de La Charlonnie — Voir Anatole Laverny, Généalogie Biographie. Les La Charlonnie,...(La Rochelle, Texier, 1892 ; p. 87) — mariage réhabilité dans la cathédrale d'Angoulême, le 2 juin 1803, en vertu d'une dispense du légat Caprara¹. Létourneau fut longtemps maître de pension à Angoulême où il mourut le 15 novembre 1839. En 1793, Jean-Baptiste Marchais épousa Marie-Anne Trémeau, qui, après sa mort (1805), tint un pensionnat florissant de jeunes filles et mourut vers 1850 fort âgée ; elle fut grand' mère du littérateur angoumoisin Albéric Second (1816-1887). [¹ Giovanni Battista Caprara Montecuccoli, né à Bologna le 29 mai 1733, reçu son doctorat en théologie de la université de Rome; ordonné en 1766, vice-légat de Romandiola, archevêque titulaire d'Iconio (1776), nonce de Cologne (1776), de Suisse (1775) et d'Autriche, Hongrie et Bohême (de 1785 à 1792), il fut créa cardinal le 18 juin 1792. À la demande de Napoléon, il fut nommé légat a latere auprès la Republique française le 24 août 1801 ; il mourut à Paris le 21 juin 1810.]

11. L'abbé Briand, Histoire de l'Église santone et aunisienne depuis son origine jusqu'à nos jours (La Rochelle, Boutut, 1843 ; tome III, p. 37).

12. «A l'issue de la messe paroissiale, le dit jour, environ les neuf heures du matin, s'est présente le dit sieur Guillaume-Roch Létourneau ; lequel, après avoir mis la main sur le pectus, a juré en notre présence et celle de MM. les officiers municipaux et notables qui nous accompagnaient et plusieurs autres personnes présentes, qu'il était dans la ferme résolution de remplir les fonctions de son état de professeur avec exactitude et toutes autres qui pourraient lui être confiées ; d'être fidelle à la nation, à la loy et au roy ; de maintenir de tout son pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roy. A quoy il a ajouté qu'il répandrait jusqu'à la dernière goutte de son sang, plutôt que de manquer au serment qu'il venait de contracter et pour le soutien de la religion. De quoi nous lui avons octroyé acte pour valoir ce que de raison ; et avons observé de suite au dit sieur Létourneau que, si le collège municipal ne se trouvait pas en plus grand nombre à cette auguste cérémonie, c'est qu'une partie de ceux qui le composent se sont trouvés obligés de se transporter à ce même instant sur le faubourg et paroisse de Saint-Pallais lès Saintes, aux fins d'y recevoir le serment d'un autre ecclésiastique fonctionnaire. Fait, clos et arrêté dans l'église paroissiale dudit Saint-Pierre de Saintes.»

13. L'abbé Briand, Histoire de l'Église... (tome III, p. 36).

14. L'abbé Taillet, L'Église de Saintes depuis 1789 jusqu'à la fin de 1796, parle de lui en ces termes : «M. Létourneau, prêtre angoumois, professeur de philosophie, ne s'est pas contenté de jurer ; il a voulu justifier son serment par un écrit, fort plat et fort pesant, dans lequel il prétendoit prouver que les princes avoient le droit de changer la discipline extérieure de l'Église, qu'ils pouvoient retrancher les habits sacerdotaux, certaines formes de culte extérieur et même la loi du célibat, sans que les prêtres fussent authorisés à réclamer. Il s'appuyoit sur l'autorité d'un publiciste allemand moderne et peu connu, l'un des écrivains à gages dont se servoit Joseph II pour légitimer, aux yeux des peuples, les violentes suppressions qu'il se permettoit dans l'empire et ses perfides innovations. Je n'ai pas besoin de remarquer que cet écrit, vicieux dans la forme, plus vicieux dans le fond, fut fort applaudi par les amis et agents de la révolution qui devoient le faire imprimer et en répandre plusieurs milliers d'exemplaires. Il est pourtant resté manuscrit, et la gloire de l'auteur n'y a rien perdu.»

15. L'abbé Briand, Histoire de l'Église..., tronque un peu cette lettre ; je la donne en entier et avec son orthographe.

16. Pour ces noms et tout ce qui regarde le collège, voir Pierre-Stanislas Moufflet, Notice sur le collège de Saintes (1571-1851), avec notes et appendices par Louis Audiat (Saintes, Mortreuil, 1886).

La Rochefoucauld était président du bureau d'administration du collège. Un jeton frappé en 1786 montre d'un côté la face de Louis XVI : LUDOVICUS XVI REX CHRISTIANISSIMUS, et de l'autre, une femme assise tenant de la main droite un sceptre, de la gauche une balance ; à ses pieds est une branche de laurier [Laurus nobilis] ; près d'elle une lampe antique. On lit en légende : ADMINISTRATIO REG. COLLEGII SANTONENSIS, et en exergue : P. L. LA ROCHEFOUCAULD, EPIS. PRÆSES 1786. Chaque administrateur recevait à chaque séance un de ces jetons, de la valeur de 50 sous, et le président deux : car les revenus du collège étaient de 30000 à 35000 livres, qui furent réduits à zéro, quand on eut supprimé les dîmes et vendu les fonds. Le collège laïcisé décrut rapidement. Un contemporain qui a tenu un journal des événements, raconte que les choix des professeurs furent déplorables et «prouvent le peu de soins que les corps administratifs prennent pour former de bons sujets et de braves gens. Une grande partie des pensionnaires sont partis ; beaucoup de pères ont retiré leurs enfants. Les braves gens de la ville gémissent d'une pareille conduite et disent qu'ils préfèrent avoir des enfants ignorants et leur conserver des mœurs. J'en avois deux : je les ai retirés.» Des 55 à 60 pensionnaires, il n'est demeuré que 15 et trois seulement des 18 élèves de rhétorique. «Il n'est guère possible qu'il en soit autrement avec un principal et des professeurs sans mœurs, sans religion et sans science, à moins qu'ils n'en montrent à enseigner les principes de la Constitution, ce que c'est qu'un aristocrate, un démocrate, un démagogue ; alors ils sont savants... Il n'est point de mauvais traitements qu'on n'ait fait éprouver aux braves professeurs, qu'on a comme chassés, particulièrement à M. le principal, par MM. Bréard, vice-président du département, Bernard et Héard... Tous les professeurs remplacés sont sortis du collège et se sont retirés dans différentes maisons. M. de Rupt, principal, demeure chez M. le doyen ; M. Coutelin, professeur de rhétorique, est aumônier des Sainte-Claire ; M. Saboureau, sous-principal, chez Mme du Brueil ; M. Tarnier, professeur de physique et mathématiques, est précepteur des enfants de madame de....... parent de madame d'Escoyeux ; M. Tourneur, professeur de 3e, est allé demeurer dans sa famille à Saint-Jean d'Angély ; M. Duret, professeur de 4e, est en pension chez M. Lamoureux, et est dans l'intention de monter un pensionnat avec une de ses sœurs ; M. Favreau, professeur de 5e, chez M. Fonrémis Lamothe, en attendant son départ pour le Médoc.»



«Deux victimes des Septembriseurs» :
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[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]