«DEUX VICTIMES DES SEPTEMBRISEURS [LES BIENHEUREUX FRÈRES LA ROCHEFOUCAULD]» DE
LOUIS AUDIAT ; CHAPITRE 24


CHAPITRE 24. — Les chapelles interdites au public. — Il n'y sera dit qu'une messe par jour. — Robinet approuve l'arrêté du département. — Le district ferme les couvents de filles «foyers de fanatisme». — Le département punit les religieuses d'avoir mal reçu les vicaires épiscopaux. — Notes de bas de page, y compris la pièce justificative n° 6 : «Arrêté du département contre les religieuses».


Jacques Cazalès avait prévu l'avenir quand il s'écriait à l'Assemblée constituante : «Croyez-vous, en chassent ces évêques de leurs sièges, ces curés de leurs presbytères, vaincre la résistance que leur conscience vous oppose ? Non ; vous êtes au premier pas de la persécution qui s'ouvre devant vous. Doutez-vous qu'une partie des fidèles ne demeure attachée à ses anciens pasteurs et aux principes éternels de l'Église ? Alors le schisme est introduit ; les querelles de religion commencent ; le royaume sera divisé. Vous verrez les catholiques, errant sur la surface de l'empire, suivre dans les cavernes, dans les déserts les ministres persécutés, afin de recevoir d'eux des sacrements valides.»

Les prophétiques paroles de l'éminent orateur se réalisaient à Saintes. Les églises qu'on avait supprimées et fermées demeuraient désertes ; mais celles qu'on avait laissés aux assermentés ne s'emplissaient pas. Comment faire ? S'abstenir d'aller au prône officiel, c'était acte d'opposition à la loi ; ne pas se confesser à l'«élu du peuple» était forfaire à la Constitution.

Les maisons religieuses avaient conservé leurs oratoires. On avait bien ouvert les portes du cloître ; trois seulement étaient sorties, et le seul monastère de l'abbaye comptait 82 religieuses (1). On continuait chez soi à prier Dieu à sa façon, à recevoir qui l'on voulait, prêtre ou laïque, et à ne confier ses fautes qu'à ceux en qui l'on avait confiance. C'était trop audace. On leur défendra de célébrer aucune messe, de faire aucun exercice religieux, autres que ceux qui sont nécessaires pour leurs maisons. Le directoire du district, le 28 avril, prit un arrêté pour obliger, sous trois jours, les aumôniers et chapelains des hôpitaux et prisons à jurer, et fixer à une le nombre des messes qui pourraient y être dites, parce que «ce trop grand nombre de messes et le concours trop multiplié des citoyens peut entretenir des inconvénients réels pour la tranquillité des malades des dits hôpitaux». «La chapelle des sœurs grises demeurait supprimée, et on leur défendait d'y recevoir aucun prêtre (2).» On tombe en admiration devant cette administration d'un grand département, où il y avait tout à organiser, poussant la sollicitude jusqu'à fixer le nombre des messes à dire dans les chapelles (3).

Cet arrêté transmis aussitôt au district fut immédiatement envoyé à la municipalité. Le collège municipal nomma, le 29 avril, Gout et Canolle pour le notifier aux intéressés (4).

Et l'évêque constitutionel laissait faire.

Un mois après pourtant, il s'avisa que le département s'arrogeait un pouvoir qu'il n'avait peut-être pas et que c'était bien un peu attenter à l'autorité spirituelle. Aussi, le 24 mai, il publia une ordonnance par laquelle il approuvait tout ce qui avait été fait et défendait aux communautés religieuses de faire donner aucunes bénédictions, à tous les ecclésiastiques non fonctionnaires d'y confesser, prêcher, administrer aucun sacrement, à tout prêtre de célébrer le saint sacrifice dans aucune chapelle privée, sans sa permission (5).

Ce mandement (6) et l'arrêté du département furent signifiés aux personnes qu'ils intéressaient. À Pons on les communiqua aux religieuses de la Foi ; et on leur enjoignait par une délibération du 8 juin «de faire cesser toutes fonctions publiques dans leur église et d'en faire fermer les portes extérieures, et cela à compter du moment que M. le maire leur aura donné connaissance par écrit de la présente délibération, qui les somme en outre de donner à la municipalité, dans le délai de trois jours, le nom de famille et patronimique du prêtre qui dessert leur église.» Après cette mesure prise, pour que le contraste fût piquant, on prescrivit aux habitants de Pons de tendre les rues pour la fête-Dieu.

Les arrêtés succèdent aux arrêtés, de plus en plus restrictifs. C'est au nom de la liberté qu'on interdit ce qu'il y a de moins facile à proscrire, l'élan de l'âme et les aspirations du cœur. On est vraiment stupéfait de voir tout le tracas que, de gaieté de cœur, des administrateurs, aussi intelligents que quiconque, et qui devraient avoir des soucis plus pressants, se donnent pour prohiber l'exercice pacifique d'un culte qu'ils professent, et la célébration dans des oratoires privés d'offices ou de messes qui ne les regardaient en rien. Est-ce haine ? Ne serait-ce pas plutôt manie de réglementation, zèle de gens qui goûtent pour la première fois les douceurs du commandement, ignorance des vrais principes libéraux ou peur d'être taxés de modérantisme et d'aristocratie, frayeur d'être accusés de ne point assez montrer de dévouement aux institutions nouvelles ?

Le directoire du district, le 26 mai, prit la détermination suivante, destinée à «arrêter le funeste progrès du fanatisme» en fermant les couvents de filles, «foyers de fanatisme qu'entretiennent continuellement les prêtres réfractaires... hommes criminels et ennemis de la Constitution».

«Le directoire assemblé qui a pris lecture des trois procès-verbaux, relatifs aux difficultés et aux procédés qu'ont éprouvés quelques-uns de MM. les vicaires de l'église cathédral de la part des supérieurs des quatre couvents de la ville, lorsqu'ils se sont transportés dans les églises de ces couvents pour y célébrer la messe ; ensemble d'une lettre écrite à l'administration par l'évêque du département et son conseil, le 24 de ce mois ; après avoir entendu les conclusions du procureur syndic ; 

«Considérant qu'il importe essentiellement à la tranquillité publique, à l'établissement de la Constitution, d'arrêter le funeste progrès du fanatisme qui paraît s'étendre de plus en plus dans cette ville, et dont les effets ne seraient rien moins que le scandale de la religion, le mépris de ses ministres les plus respectables par leur double caractère de prêtre et de citoyen, des officiers civils que la loi a investis du pouvoir de promulguer et faire exécuter les lois ;

«Considérant que les couvents de filles sont des foyers de fanatisme, qu'entretiennent continuellement les prêtres réfractaires, en abusant de la crédulité de ces filles trop peu éclairées pour discerner les véritables motifs de la conduite de ces hommes criminels et ennemis de la Constitution (7) ;

«Que la preuve de leurs perfides conseils se tire de la conduite coupable des supérieures de ces maison religieuses, à l'égard des vicaires de M. l'évêque et des officiers municipaux qui les accompagnaient, dont elles ont insulté le caractère par les réponses, les expressions les plus ironiques et le refus constant de leur faciliter le moyen de célébrer la messe dans leurs églises ;

«Considérant que la publicité du culte dans ces églises, dont on refuse avec tant d'indécence l'entrée aux prêtres conformistes, expose le temple de la religion à des scandales journaliers, qui peuvent à la fois prévenir les citoyens faibles et faussement agités contre le nouveau clergé, et détruire les véritables principes religieux que l'Assemblée nationale a consacrés par tous ses décrets ;

«Considérant que l'exercice du culte dans les couvents ne doit servir qu'à l'usage particulier de la maison, et que les maisons religieuses sont toutes d'une étendue assez vaste pour y former une chapelle intérieure ; que l'église paroissiale de cette ville est suffisante pour les fidèles qui veulent assister aux cérémonies, et que la loi l'a ouverte aux prêtres non conformistes comme aux autres afin de ne pas contrarier les opinions religieuses ;

«Considérant que l'administration pour prévenir le désordre qu'on vient de rappeler, doit particulièrement se fixer sur la conduite des religieuses carmélites, Notre-Dame et clarisses ; que le procès-verbal exprime, outre le refus opiniâtre de délivrer des ornements, les actes de la malhonnêteté et de la dérision de la part des deux supérieures des deux premières communautés à l'égard d'un officier municipal en fonction et d'un des vicaires de M. l'évêque ; que ce procédé coupable auquel s'est livré la supérieure des carmélites est une récidive, puisqu'elle eut l'indécence de faire fermer les grilles du chœur, lorsque M. l'évêque entra dans l'église de ce couvent le jour du jeudi saint avec une affectation qui étonna et scandalisa les partisans mêmes de la aristocratie réunis en nombre dans la dite église ;

«Considérant que le salut de la chose publique est dans le respect dû à la loi, à ses organes et aux véritables ministres de la religion ;

«Considérant enfin que le directoire doit prendre toutes les mesures administratives qui peuvent assurer la pleine exécution des lois, et que les circonstances exigent impérieusement qu'on emploie des moyens prompts et efficaces pour maintenir l'ordre public ;

«Est d'avis qu'attendu l'inutilité des églises des carmélites, clarisses et Notre-Dame pour le public, et que l'Assemblée nationale en conservant ces églises n'a envisagé que l'exercice particulier du culte pour les religieuses ; attendu encore les scènes scandaleuses qui s'y sont commises et qui pourraient s'y récidiver, M. l'évêque et son conseil, auquel sera adressée copie de l'arrêté du département, soient invités et requis d'interdire sans retard les dites églises ; et que, cette interdiction prononcée, les portes principales des dites églises soient fermées ; que les grilles et les portes extérieures qui y communiquent soient maçonnées ; et que l'autel et les tableaux soient transportés dans l'intérieur du monastère, et établis par les religieuses de la manière qu'elles croiront convenable, pour la célébration de l'office divin ; que la municipalité soit, en conséquence, invitée de nommer deux commissaires pour l'exécution de l'arrêté du département ; lesquels requéreront à cet effet la force publique dans le cas où ils la croiront utile ; que la supérieure des carmélites, et la religieuse sacriste de Notre-Dame, qui sont convaincues, par le procès-verbal, signé de témoins irréprochables, d'avoir insulté, par des expressions malhonnêtes et des accens de la dérision, au caractère du sieur Gout, officier municipal, et du sieur Dalidet, supérieur du séminaire, qui s'étaient préalablement fait connaître, soient tenues de réparer cet outrage fait aux organes de la loi et de la religion, par une lettre d'excuses qu'elles écriront aux dits sieurs Gout et Dalidet, et qui sera signée de tous les membres de la communauté dont elles portaient le vœu ; que jusques à cette réparation le traitement des dites religieuses sera suspendu ; que l'Assemblée nationale sera incessamment instruite des dispositions de l'arrêté du département que l'ordre public a rendu nécessaire et qu'il sera imprimé et envoyé aux districts des municipalités pour y être publié et affiché.

«DUBOIS. ARDOUIN. ESCHASSERIAUX. DUGUÉ. GODET, secrétaire

Le lendemain même, le directoire du département réalisait le désir du directoire du district. L'arrêté qui suit était imprimé à Saintes par Toussaint et affiché partout. Plus modéré dans la forme parce qu'il allait être rendu public, il était plus rigoureux au fond puisqu'il fermait aux personnes de l'extérieur les chapelles des Carmélites, des Clarisses et des Bénédictines. Quant à l'amende honorable, que sous peine de privation de traitement réclamait le district, il n'en est pas question. L'incident n'eut pas laissé, même en ce temps, de paraître grotesque dans un document officiel (8).

Le 31 mai, la municipalité reçoit vingt exemplaires de cet arrêté. Gout, Canolle et Crugy se rendent immédiatement aux Carmélites (9), aux Notre-Dame, aux Saint-Claire et aux Bénédictines, pour leur enjoindre de s'y conformer. Mme de Parabère était malade. On répondit en son nom qu'on obéirait. Les supérieurs des Carmélites, des Clarisses et des Notre-Dame firent ainsi.

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[Notes de bas de page, y compris la pièce justificative n° 5.]

1.  Aux Abbaye-des-Dames, les Bénédictines de Sainte-Marie comptaient 56 dames de chœur et 26 converses ; le prieuré des Carmélites, 15 et 3 ; les Notre-Dame, 21 et 9 ; le couvent de Sainte-Claire, soit les Clarisses, 19 et 9 ; les Hospitalières de Saint-Joseph, 9 et 2 ; les Sœurs de Saint Vincent de Paul, 6 ; il y en avait en outre 3 à Saujon, 3 à Tesson, etc. Les communautés d'hommes étaient les Clunistes de Saint-Eutrope, les Jacobins, les Charitains, les Cordeliers, les Récollets et les Lazaristes. Il y avait vingt-quatre édifices consacrés au culte, églises ou chapelles ; voir Louis Audiat, Le Diocèse de Saintes au XVIIIè siècle (Paris, 1894)¹, ou les Archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis (tome XXIV). [¹ La Bibliothèque nationale de France, Notice n° FRBNF31740118.]

2.  Voir la pièce justificative ci-dessous :

ARRÊTÉ DU DÉPARTEMENT CONTRE LES RELIGIEUSES.

«Du vingt-huit avril 1791 le directoire du département de la Charente-Inférieure,

«Considérant que l'Assemblé nationale a statué, par son décret du quinze du présent mois : 1° que tous les chapelains ou desservans d'hôpitaux et prisons sont assujettis à loi du serment prescrit pour les fonctionnaires publics, et que la non prestation de ce serment rend leurs places vacantes ;

«2° Qu'en cas de vacance par non prestation ou autrement, les places doivent être supprimées, si elles sont superflues, ou remplies provisoirement, si le service public l'exige, par les directoires de département sur la présentation des municipalités et administrateurs du dit établissement ;

«Considérant que les circonstances et l'ordre public exigent la plus prompte exécution de cette loi ;

«Considérant que l'exercice du culte divin doit être réduit aux lieux nécessaires ;

«Après avoir entendu le procureur général sindic et messieurs les administrateurs du directoire du district de cette ville réunis à la délibération au lieu ordinaire de nos séances ;

«Nous avons arrêté ce qui suit :

«1° Les aumôniers ou chapelains de l'hôpital général de cette ville et des prisons seront conservés, mais à la charge de prêter le serment prescrit par la loi du 27 novembre dernier pour tous les fonctionnaires publics ; la municipalité sera en conséquence chargée de requérir d'eux ce serment dans le délai de trois jours et en cas de refus de leur part de nous en instruire par la voye du directoire pour qu'il y soit par nous pourvu.

«Au surplus, attendu que le trop grand nombre de messes et le concours trop multiplié des citoyens peut entraîner des inconvénients réels pour la tranquillité et le rétablissement des malades des dits hôpitaux, il ne pourra être dit ou célébré dans chacune des chapelles ci-dessus indiquées qu'une seule messe par l'aumônier ordinaire ou à son défaut, pour cause d'absence, maladie ou autre légitime empêchement, par tout autre prêtre ayant mission expresse de M. l'évêque de ce département. Faisons défense aux supérieurs des dittes maisons et tous autres d'y laisser célébrer aucune autre messe, et par aucun autre prêtre que celui qui sera spécialement attaché à cette fonction.

«2° Il ne sera célébré aucun office ni aucune messe dans la chapelle des sœurs grises ; leur faisons défenses en conséquence d'en permettre l'entrée à aucuns prêtres, cette chapelle demeurant supprimée attendu son inutilité reconnue.

«3° Arrêtons que les chefs supérieurs ou tous autres chargés de l'administration des ci-devant carmélites, clarisses, sœurs de Notre-Dame et bénédictines, et encore de la confrérie des pénitens, seront tenus de remettre à MM. les officiers municipaux les noms patronimiques et de famille de l'aumônier ordinaire de leurs églises ou chapelles respectives.

«Sera notre présent arrêté transmis à messieurs les administrateurs du directoire du district de cette ville, pour qu'ils le fassent passer le plus tôt possible à la municipalité avec invitation de le ramener sans délai à exécution ; et il sera en outre envoyé à tous les autres districts pour qu'ils puissent le faire exécuter et s'y conformer chacun en ce qui peut les intéresser.

«BRÉARD. RABOTEAU. DUCHESNE. RUAMPS. GARNIER, procureur général sindic. ESCHASSERIAUX. RIQUET. DURET. Par le directoire : EMOND, secrétaire.»

3.  À rapprocher cette sommation de l'huissier Roché envoyée, le 6 septembre 1790, par un curé de Saintes à un des ses confrères, «lui faisant défense de pénétrer, sans la permission du requérant, dans l'oratoire de la maison curiale¹, pour y exercer le culte catholique.» [¹ Maison des religieuses de Saint-Vincent de Paul]

4.  «Nous commissaires susdits, sommes transportés chez les filles de Notre-Dame, hospitalières, sœurs grises, carmélites, la charité, Saint-Claire, pénitens, abbaye royale, aux fins de la notification susdite, qui a été faite aux supérieurs des dites communautés.

«Fait à l'hôtel commun de la ville de Saintes, les jour et an susdits, sur l'heure de sept heures et demie du soir.

«C.-A. GOUT, officier municipal commissaire. CANOLLE, officier municipal commissaire

5.  «Isaac-Étienne Robinet, par la miséricorde divine et dans la communion du Saint-Siège apostolique constitutionnellement élu évêque du département de la Charente-Inférieure.

«A nos vénérables coopérateurs dans le saint ministère, et à tous les fidèles de notre diocèse, salut et bénédiction en Notre-Seigneur Jésus-Christ.

«Obligé de veiller à ce que le troupeau, dont la conduite spirituelle nous est confiée, soit écarté des fausses maximes qu'on cherche journellement à lui suggérer, étant d'ailleurs assuré soit par la connaissance personnelle que nous en avons, soit par la notoriété publique, que plusieurs communautés religieuses affectent, au mépris de la loi et du respect dû à l'autorité municipale, de multiplier dans leurs églises ou chapelles des pratiques de dévotion, sans en avoir obtenu la permission, ce qui éloigne les fidèles d'assister à leur paroisse ; à ces causes, pour maintenir le bon ordre, et de l'avis de notre conseil, défendons à toutes communautés religieuses, de faire donner aucunes bénédictions du Saint-Sacrement dans leurs églises ou chapelles, et à tous prêtres non fonctionnaires d'y confesser, prêcher et administrer aucun sacrement sans en avoir obtenu de nous la permission par écrit ; comme aussi défendons à tous prêtres de célébrer le saint sacrifice dans aucune chapelle privée qu'il n'ait été par nous nommé des commissaires pour constater la décence des lieux et des ornements, et sur leur rapport être statué par nous ce qu'il appartiendra.

«Sera notre présente ordonnance envoyée à toutes les communautés ainsi que dans toutes les paroisses de notre diocèse, pour y être lue au prône de la messe paroissiale qui suivra sa réception et affichée partout où besoin sera.

«Donné à Saintes le vingt-quatre mai 1791.

«X J. E. ROBINET, évêque du département de la Charente-Inférieure. CHASSÉRIAU, premier vicaire. DELATASTE. MARTINEAU. CHAUDON. HUON, vic. sup. du sém., BIGOT, vic. direct. du séminaire. Par M. l'évêque et son conseil : ARNOUT, secrétaire.»

6.  Robinet scellait ses actes officiels d'un cachet ovale portant en légende : ÉVÊCHÉ DU DÉPARTEMENT DE LA CHARENTE-INFÉRIEURE. Sur un autel d'où sortent deux tiges d'arbres sont deux livres ouverts surmontés d'un croix rayonnante, sans doute l'Évangile et les «Droits de l'Homme».

7.  On comparera ces deux textes ; c'est une étude intéressante. Ainsi quand le district appelle les couvents de filles «des foyers de fanatisme qu'entretiennent continuellement les prêtres réfractaires, en abusant de ces filles trop peu éclairées pour discerner les véritables motifs de la conduite de ces hommes criminels», le département, adoucissant la brutalité de l'expression, écrit : «Les couvents de cette ville sont particulièrement des lieux où les prêtres réfractaires, ces ennemis de la religion, viennent entretenir sans cesse et alimenter ces sentiments pervers, en abusant de la crédulité faible et nécessairement peu éclairée». Les sens est le même ; mais les variantes sont à noter.

8.  «Vu les quatre procès-verbaux relatifs aux difficultés et aux procédés qu'ont éprouvés quelques-uns des vicaires de l'église cathédrale, de la part des supérieures des quatre couvents de filles de cette ville, lorsqu'ils s'y sont présentés, accompagnés de quelques officiers municipaux, pour y célébrer la sainte messe, et particulièrement des sœurs de Notre-Dame, Saint-Claire et carmélites, les dits procès-verbaux en date des 23, 24 et 25 mai présent mois, la lettre écrite à l'administration par M. l'évêque de ce département et son conseil, le 24 du dit mois, ensemble l'avis du district ;

«Sur ce ouï le procureur général syndic ;

«Considérant qu'il importe essentiellement à la tranquillité publique et à l'affermissement de la Constitution d'arrêter les funestes progrès du fanatisme qui semble de plus en plus étendre son empire sur cette ville ;

«Considérant que les couvents de cette ville sont particulièrement les lieux où les prêtres réfractaires, ces ennemis de la religion, viennent entretenir sans cesse et alimenter ce sentiment pervers, en abusant de la crédulité faible et nécessairement peu éclairée ;

«Que la preuve de leurs sinistres conseils et de leurs insinuations perfides résulte assez de la conduite coupable des supérieures de ces maisons religieuses à l'égard des vicaires de M. l'évêque et des officiers municipaux qui les accompagnaient, dont elles ont non seulement méconnu, mais encore outragé le caractère par les réponses, les expressions les plus déplacées, et le refus constant de faciliter les moyens de célébrer la messe dans leur église ;

«Considérant que le procédé des supérieures et sacristes des maisons et couvents ci-dessus indiqués est un véritable attentant à l'ordre public et à l'autorité légitime ;

«Qu'on ne peut concevoir sans indignation que des personnes, à la sûreté et à la liberté desquelles la loi de l'état veille sans cesse, entreprennent de refuser aux ministres de la religion sainte que professe l'état, l'exercice de son culte dans un temple qui lui appartient spécialement ;

«Que ce refus est plus coupable encore dans la circonstance où, par une suite des principes sacrés de la liberté des opinions même religieuses, la main bienfaisante des représentants de la nation vient d'ouvrir ses temples à tous les ministres de la religion indistinctement ;

«Considérant au surplus que l'exercice du culte dans les couvents ne doit servir qu'à l'usage particulier de la maison, et que les maisons religieuses ci-dessus indiquées sont toutes disposées de manière à ce qu'on puisse réduire leur culte à une chapelle intérieure en fermant toute espèce d'entrée et communication extérieure ;

«Que déjà par un salutaire exemple le département de Paris avait établi de pareilles dispositions pour son territoire, par son arrêté du 11 avril dernier, dont l'Assemblée nationale a consacré les principes par son décret du 7 du présent mois ;

«Considérant en outre que les églises paroissiales de cette ville sont suffisantes pour les fidèles qui veulent assister aux cérémonies, et que la loi les a ouvertes aux prêtres même non conformistes pour assurer pleinement la liberté des opinions religieuses ;

«Considérant enfin que le directoire doit prendre toutes les mesures administratives propres à assure la pleine exécution des lois, et que les circonstances exigent impérieusement qu'on emploie des moyens prompts et efficaces pour maintenir l'ordre public ;

«Nous arrêtons qu'attendu l'inutilité des églises des filles de Notre-Dame, Sainte-Claire, carmélites et bénédictines pour l'exercice du culte public ; attendu encore la résistance opiniâtre et scandaleuse à ce que les vrais ministres de la religion y exerçassent leur culte, les portes extérieures des dites églises seront fermées de manière à former et devenir des oratoires privés et particuliers, dont l'entrée ne sera ouverte et permise qu'aux seules personnes du couvent, sans que, sous quelque prétexte que ce soit, les dites religieuses puissent y faire célébrer aucun office public, l'administration se réservant en ce cas de prendre les mesure convenables pour maintenir l'exécution du présent arrêté.

«Arrêtons en outre que les dites religieuses, ayant par ce moyen la faculté de régler seules ce qu'elles jugeront convenables à l'exercice de leur culte, elles ne pourront néanmoins avoir qu'un seul prêtre ou aumônier pour chaque maison, sauf à l'égard des bénédictines auxquelles, attendu leur grande nombre, il sera permis d'en avoir trois, mais à la charge par les supérieures des dites maisons de déclarer à la municipalités les noms patronimiques et de famille des prêtres dont elles entendent employer le ministère, et ce dans le délai de trois jours à compter de celui où le présent arrêté leur sera notifié.

«Et pour l'exécution des présentes sera la municipalité invitée de nommer des commissaires qui seront autorisés à ces fins à employer tous les moyens indiqués par la loi, même la force publique dans le cas où ils la croiront utile. Réservons au surplus à la municipalité, à qui la connaissance des faits de police appartient, à statuer ainsi qu'il conviendra à raison de l'outrage fait particulièrement par les sœurs de Notre-Dame, Saint-Claire et carmélites au caractère et à la personne des sieurs Gout, Boisnard et Dalidet, ainsi qu'il résulte des procès-verbaux ci-dessous énoncés, et ne perdant pas de vue que le salut de la chose publique est dans le respect dû à la loi, à ses organes et aux véritables ministres de la religion.

«Sera notre présent arrêté imprimé, publié et affiché dans les districts et dans toutes les municipalités du département.

«A Saintes, le 27 mai 1791.

«BRÉARD, vice-président. RABOTEAU. RIQUET. ESCHASSERIAUX. DURET. JOUNEAU. DUCHESNE. GARNIER, procureur général sindic. EMOND, secrétaire.»

9.  Le prieuré des Carmélites se composait de 15 religieuses de chœur et de 3 sœurs converses ; le district de Saintes accorda à chacune des premières 300 livres de pension, et 150 seulement aux secondes. Le couvent des Clarisses, comme des filles de Notre-Dame, eurent 475 livres et 237 livres par tête suivant ces catégories. On allouait par trimestre à l'abbesse des Bénédictines 12575 livres pour elle et ses religieuses.



«Deux victimes des Septembriseurs» :
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[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]