«DEUX VICTIMES DES SEPTEMBRISEURS [LES BIENHEUREUX FRÈRES LA ROCHEFOUCAULD]» DE
LOUIS AUDIAT ; CHAPITRE 25
CHAPITRE 25. — Persécution contre les prêtres insermentés. — Ils sont maltraités. — Arrêtés du corps municipal. — Procès-verbal des violences commises. — Elles indignent un prêtre
jureur. — Lettre de Guillaume-Roch Létourneau. — Nouveau tumulte. — Maisons forcées. — Arrêté de la municipalité. — Arrêté du département sur les Filles de la charité. — Notes de bas de page, y compris les pièces justificatives n° 7 et 8 : «Délibération du conseil municipal relative aux troubles» et «Arrêté du Directoire du département de la Charente-Inférieure concernant les Filles de Charité».
On peut juger quel trouble apportaient ces arrêtés multipliés et vexatoires dans une ville paisible, attachée à des
ecclésiastiques qu'elle estimait depuis longtemps. On n'épargnait personne. Les prêtres de la mission avaient donné des
preuves de condescendance : ils avaient prêté leur maison pour des banquets patriotiques. Le supérieur avait chanté la messe à la Fête de la Fédération du 14 juillet. Qu'importe ! Le 30 avril 1791, on «leur défend de célébrer dans leur église aucune messe que celle qu'ils voudront y dire eux-mêmes, et d'ouvrir la porte à aucun citoyen pour les entendre, cette église devant être absolument fermée au public, attendu son
inutilité.» Peu à peu la persécution s'étendait.
Ces inhibitions portèrent leurs fruits. Des individus, tirant les conséquences de l'arrêté du directoire et s'inspirant de son esprit, injurièrent les prêtres fidèles. Le 29 mai, le procureur de la commune, qui avait requis ces mesures oppressives et appelé la haine sur les ecclésiastiques qui allaient dire leur messe dans les chapelles, pour ne pas reconnaître l'intrus Robinet, s'en vint tout effaré à la municipalité raconter que des gens conséquents ont exécuté un peu brutalement son réquisitoire et «que certains mouvements ont excité ce matin dans cette ville des alarmes qu'il paraît intéressant de faire cesser». Il demandait donc un ordre pour «tous les citoyens soumis à l'administration de cette municipalité de se comporter à l'avenir avec toute la modération et les égards dont peuvent être susceptibles des hommes raisonnables les uns envers les autres, en conséquence d'observer chacun en droit soi tout ce qui est prescrit
par les décrets de l'Assemblée nationale, sans qu'il soit permis à qui que ce soit de s'en écarter, médire, mal faire à aucun de ses concitoyens, et ce sous telle peine que de droit.»
C'était une menace contre les insulteurs ; mais il fallait bien aussi requérir contre les
insultés. La municipalité prendrait donc sous sa protection les prêtres insermentés, s'ils se conformaient exactement aux décrets de l'Assemblée nationale ; sinon elle leur infligera «les peines que leur désobéissance pourrait leur faire encourir». De plus, les chanoines ont obtenu la permission de se réunir pour s'occuper de leurs affaires temporelles ; cette autorisation doit leur être retirée sur-le-champ (1).
Cet arrêté suppose des faits dont il ne nous rend pas compte. Pourquoi ces menaces et ces ordres rigoureux et ces
avis très doux ? C'est qu'il y avait eu tapage, injures, violation de domicile, arrestation arbitraire ; des soldats du régiment national commandés par Bernard des Jeuzines étaient allés chez Thomas-Joseph Bonnerot, chez Lacroix de Saint-Cyprien (2) et quelques autres ecclésiastiques, leur signifier de sortir de la ville dans les
vingt-quatre heures, sous peine de mort. De plus l'abbé Bardeau (3) avait failli être massacré. Laissons la parole au maire Robert de Rochecouste et à Claude-Antoine Gout, officier municipal, qui montrèrent un vrai courage en cette circonstance :
«A messieurs les maire et officiers municipaux.
«Ce jour, trente du mois de may, plusieurs personnes de cette ville étant accourues, environ une heure après midy, chez M. le maire, dans le moment qu'il étoit à table, lui déclarer que plusieurs soldats du régiment national de cette ville
s'étoient permis d'entrer dans la maison de la veuve Duchaine, marchande, domiciliée sur la paroisse et rue de
Saint-Pierre, et vouloient de leur propre authorité enlever le sieur abbé Bardeau, prêtre, y demeurant en qualité de pensionnaire ; le dit sieur maire, étonné de pareilles entreprises, ayant à l'instant sorti de sa table et s'étant transporté chez M. Gout, officier municipal, il lui auroit proposé d'aller ensemble chez la dite veuve Duchaine ; où s'étant transportés ensemble, ils y auroient trouvé une affluence de peuple considérable et environ quinze à seize soldats nationaux armés de leurs sabres ; parmi lesquels étoient les sieurs Baille, Moreau, Brousset, Blanchard, auxquels M. le maire, adressant la parole, auroit dit : «Messieurs, estes-vous commandés par un officier de votre régiment dans cette démarche ?» A quoi ayant répondu que non, il auroit repris ainsi : «Le plus ancien d'entre vous est sans doute porteur des ordres que vous paraissez déterminés à
exécuter ?» A quoi ayant répondu : «Nous agissons au nom de la nation», M. Gout, présent, leur auroit représenté que la nation règle sa conduite sur la teneur des décrets de l'Assemblée nationale, et que n'en existant pas qui permît de troubler le repos public, il requéroit, en qualité d'officier municipal, tant en son nom que celui de M. le maire présent, qu'ils eussent à se retirer de suite et à obéir à l'ordre qu'on leur en donnoit. Sur quoi les dits Baille, Moreau (4), ayant élevé la voix, ont déclaré qu'ils ne reconnaissoient point les officiers municipaux, et qu'ils vouloient enlever le dit sieur Bardeau. Ils auroient appelé leurs camarades à leurs secours, qui s'étant approchés avec eux du dit sieur Bardeau, après avoir tiré leurs sabres, s'en seroient saisis et mis à même de l'entraîner malgré lui ; ce qu'ayant vu M. Gout, il auroit saisi le dit abbé Bardeau au travers du corps et dit aux soldats que, puisqu'ils méconnaissoient la subordination, ils l'emmèneroient ensemble. Ce propos n'ayant rien opéré, les dits sieurs abbé
Bardeau et Gout ont été entraînes par force hors de la maison et conduits jusque sur la rue. Ce qu'ayant vu le dit sieur maire, il a imploré le secours d'un détachement de la garde du régiment d'Agenois en garnison dans cette ville ; lequel est à l'instant accouru avec plusieurs officiers, qui sont parvenus à en imposer à cette troupe indocile, qui a constamment persisté à méconnoître l'autorité municipale.
«Comme de pareilles entreprises et voies de fait de cette espèce pourroient avoir les suites les plus
fâcheuses, s'il n'y étoit incessamment remédié, MM. le maire et Gout se sont retirés à
l'hôtel commun, après avoir requis des patrouilles pour assurer le bon ordre, la tranquilité et la paix qu'ils sont chargés de maintenir et de protéger, où ayant fait appeler leurs confrères, ils les ont priés de délibérer sur l'exposé sus établi ; de sorte que la matière mise en délibération, il a
été unanimement reconnu que la démarché des soldats nationaux vis-à-vis l'abbé Bardeau (qu'ils ont taxé de les avoir traités de drôles et insolens, ce qu'il a dénié, quoique, selon lui, il eût été fondé à leur dire quelque chose de désagréable, puisqu'ils se sont permis ce matin de lui faire laisser dans la sacristie des religieuses carmélites, l'aube, le manipule et l'étole dont il était revêtu pour dire la messe, sans lui représenter aucun ordre qui pût autoriser leurs prétentions), étoit totalement inconstitutionnel et contraire aux dispositions des décrets, en quoi ils sont blâmables, ainsi que pour avoir méconnu l'autorité des officiers
municipaux qui les ont plusieurs fois rappelés à l'ordre, et par là encouru les peines portées contre ceux qui méconnoissent les décrets ; il a été ordonné qu'ils seroient mandés et
blâmés de la conduite par eux tenue, invités de se comporter dorénavant conformément à ce qui est prescrit par les décrets et
blâmés pour ne l'avoir pas fait.
«ROBERT DE ROCHECOUTE. C. A. GOUT.»
Il faut le dire : même parmi les transfuges du sanctuaire, il s'en trouvait qui blâmaient ces vexations. C'étaient ceux qui, par entraînement, peut-être animés d'un faux amour du bien, avaient cru éviter des malheurs en cédant aux circonstances. En voici un. Guillaume-Roch Létourneau avait vivement contristé son évêque en donnant, le premier, l'exemple du parjure ; et La Rochefoucauld l'avait blâmé dans une lettre que nous avons citée. Il rachète un peu pour nous cette faute grave par la lettre qu'il écrivait, le 29 mai, au conseil municipal de Saintes (5). Il y a de l'emphase et de l'ineptie, mais on y peut admirer le sentiment qui l'inspira ; la démarche valait mieux que le style :
«Messieurs, plusieurs particuliers sont allés ensemble aujourd'hui chez monsieur Bonnerot, chez M. Lacroix de Saint-Cyprien, et chez quelques autres ecclésiastiques pour leur dire de sortir de la ville sous vingt-quatre heures, autrement qu'ils ne répondent pas de leur vie. Voilà le fait que je vous dénoncé ; de quelque
côté qu'on l'envisage il ne peut paroître indifférent.
«Si ces particuliers donnent eux-mêmes des ordres arbitraires, sous la terrible sanction d'une peine capitale, ah ! messieurs, où en sommes-nous ? Parmy de pareils
attentats, ozerions-nous croire que nous sommes si libres ? Non, messieurs, on n'est libre que lorsqu'on dépend de la loy seule, c'est-à-dire lorsque, après
avoir obéi à la loy, on peut sur le reste faire ce que l'on veut, sans être forcé à faire ce qu'on ne veut pas. La liberté exclut la violence et l'arbitraire. Quoi cependant de plus arbitraire que l'ordre donné aux ecclésiastiques que j'ay nommés ! Il n'aimane que de la volonté capricieuse de huit ou dix individus, qui sans fonctions, sans pouvoir, sans parler au nom de la loy, que d'ailleurs ils ne sont pas chargés de faire exécuter, s'arrogent une toute puissance, une vraye dictature, la souverayneté toute entière ! Quoy de plus violent ! Ils arrachent sans aucune façon des cytoyens à leurs habitudes, à leurs amis, à leurs
familles, ou du moins ils les mettent dans l'alternative cruelle d'un exille malheureux ou d'une mort déplorable. C'est une proscription odieuse.
«Quand je n'aurois, messieurs, que l'intérêt d'humanité qui me lie aux citoyens qu'on persécute, j'éleverois la voye pour leur défense, pour invoquer votre protextion en leur faveur ; mais à ce motif s'en joignent d'autres, celuy d'abord de ma sûreté personnelle, de la vôtre, messieurs, de celle de tous nos concitoyens. Oui, messieurs, la hache que l'on balance aujourd'huy sur la tête de nos frères, demain, quand elle aura frappé, sera levée et sera suspendue sur la nôtre. Il s'y joint encore mon amour pour la liberté et l'effroy que m'inspire le despotisme, je n'ésite pas à le dire. S'il faut cependant que je tremble sous les fureurs de mes concitoyens, âtez vous de rendre à nos tirans leurs lettres de cachet, leur Bastille, leurs sombres cachots et les chaines dont ils nous y surchargeoient. Cet état seroit moins affreux, moins redoutable pour moy. Dans l'éloignement où je suis du despote, j'espérerois lui échapper ; toute ma vie je pourrois lui rester inconnu. Mais quel moyen de me soustraire aux jalousies, aux
haines, aux vengeances, aux atrocités de mes cruels ennemis, si, quand ils se permettent tout à mon égard, l'impunité leur est assurée ? Douce liberté, je renoncerois à ton empire pour aller m'ensevelir dans le tombeau de la servitude ! Quel est donc l'excès de nos maux ? Et ne croyez pas, messieurs, qu'il y ait rien d'exagéré dans mes craintes ? C'est une vérité reconnue que le despotisme d'un seul est préférable au despotisme de tous. Les dangers, dit Mirabeau, ralient à la domination absolue. Et dans le feu de l'anarchie un
despote même paraît un saveur.
«Je demande donc, messieurs, au nom de la patrie et de la liberté en danger, au nom de l'humanité qu'on outrage, au nom des loix qu'on méprise, au nom des
magistrats que l'on brave, que vous assuriez liberté, protection et sûreté aux ecclésiastiques qu'on a menacés, et que vous déployiez toute la sévérité de la loy contre les auteurs d'une pareille violence.
«Mais sy ces particuliers ne sont réunis et n'ont été mus que par un sentiment de pitié et de compassion, sy, instruits d'un complot tramé contre les ecclésiastiques qu'ils ont avertis, ils ne cherchent qu'à les soustraire au fair des assassins, s'yls viennent les inviter à fuire pour arracher par là des victimes à des féroces conspirateurs !
«J'aime à croire, et pour l'honneur de mes concitoyens je voudrois encore que le complot ne fût qu'une chimère capable au plus d'inspirer une terreur panique à des esprits faibles ; mais dans ce cas là même, il est important, messieurs, que vous parveniez à connoître ces particuliers pour les louer de leur bonne intention ; en même temps, vous les éclaircirez sur leurs devoirs. Vous leur direz, messieurs, que leur conduite est au moins équivoque : car ils ont semé l'alarme. On ne sait s'ils avertissent ou s'ils commandent ; vous leur apprendriez qu'ils ne peuvent pas recéler dans leur âme le secret d'une conspiration qui menace des cytoyens ; ils en doivent à
l'autorité protectrice de tous une manifestation courageuse ; vous les inviterez à vous la faire. L'estime publique sera le prix de leurs vertus ; une couronne civique en sera le glorieux monument.
«Saintes, le 29 may 1791.
«ROCH LÉTOURNEAU.»
Quel vivace optimisme ! Après avoir réclamé la sévérité des lois contre les
assassins, les amnistier, et chercher si l'on ne pourrait pas leur voter «une couronne civique» ! Dans ces forcenés armés de fusils, qui violent un domicile, menacent d'une mort sommaire des citoyens inoffensifs, méconnaissent et violentent maire et officiers
municipaux, vouloir admirer d'honnêtes gens qui cherchent à dévoiler d'horribles complots et à sauver la patrie, ce n'est pas même de la sottise, ce n'est que de la lâcheté. La peur règne déjà ; la terreur approche.
La proclamation de la municipalité bénévole et tremblante, pas plus que la lettre équivoque du professeur de philosophie, n'était de nature à réprimer l'audace des malfaiteurs. Ils y virent ce qui s'y
trouvait, un encouragement. Ce qu'on blâmait en effet, c'était plutôt les victimes. Pourquoi ne cédaient-elles pas à la force ? on le leur demandait que peu de chose, un petit serment en quelques lignes, formule anodine qui ne sacrifiait que leur conscience et ne les rendait coupables que d'un parjure. Certes elles avaient tort : on le leur fait bien voir.
Trois jours après, nouveau tumulte, nouvelles avanies aux prêtres. On s'introduit dans les maisons de vive force ; on profère les dernières menaces, on outrage les citoyens. Le
délit est flagrant. L'encre du dernier arrêté qui ordonne le respect des propriétés et des individus n'a pas encore eu le temps de sécher. C'est une bravade à l'autorité, un défi publiquement jeté. Certainement elle le relèvera ; elle va punir, elle va appliquer la loi, empêcher le retour de pareils scandales. La municipalité s'assemble en hâte. Boisnard requiert : la loi est foulée aux pieds ; il est temps de sévir. Donc, ce soir, à six heures, la garde nationale s'assemblera sur la place Blair. On lui lira le précédent arrêté et on l'exhortera de nouveau à «respecter à l'avenir et exécuter ce qui est prescrit par les décrets». Les récidivistes s'exposeraient à être «punis comme perturbateurs du repos public». On n'est pas plus débonnaire et plus patient. Mais faut-il s'étonner que les gens, ainsi impunément menacés de mort, exposés à chaque instant à être devant l'autorité impuissante, sinon complice, massacrés par la populace en délire ou les gardes nationaux chargés de maintenir l'ordre, aient essayé de sauver leur tête en s'éloignant d'une terre qui les repoussait et où leur vie n'était plus en sûreté (6) ?
Jamais on n'avait pas tante parlé de liberté qu'en ces temps où sévissait le plus abominable despotisme ; liberté de conscience, liberté de culte, nobles mots dont chaque arrêté vexatoire et oppressif était orné. Le
directoire du département publie, le 30 juin 1791, un arrêté où il affirme que «la liberté des opinions religieuses est indéfinie : que les gêner chez quelques individus que ce soit, ce serait donner naissance à un fanatisme nouveau, quand la Constitution en a détruit jusqu'au moindre germe ; ce serait donner l'exemple d'une odieuse intolérance, quand la religion de nos pères nous prescrit la charité.»
En conséquence, on enlève la direction des écoles aux filles de la charité, parce qu'elles refusent un serment qui blesse leur conscience. Et, deuxième inconséquence, on leur
permettra de continuer à se dévouer au service des malades dans les hôpitaux, «actes de bienfaisance et de charité qui n'appartiennent
vraiment qu'a des âmes pures». En retour de ce dévouement authentiquement constaté, lorsque, le 8 juillet 1791, elles demandent la permission au directoire du district de faire dire une messe dans leur chapelle, le 19, fête de saint Vincent-de-Paul, on passe dédaigneusement à l'ordre du jour : «Il n'y a pas lieu à délibérer (7)».
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[Notes de bas de page, y compris deux pièces justificatives.]
1. «Sur quoi le collège municipal ayant délibéré, il a été unanimement convenu et arrêté que, pour faire cesser les bruits et allarme qui ont eu lieu ce matin dans la présent ville, il seroit ordonné à chaque citoyen de vivre en paix et tranquilité en observant régulièrement tout ce qui est prescrit par les décrets de l'Assemblée nationale, en obéissant purement et simplement à la nation et au roi, et se conformant dorénavant aux
ordonnances de M. l'évêque de ce département. En outre, le collège municipal ordonne à tous les prêtres et ecclésiastiques non conformistes de vivre dans la paix et la tranquilité, se conformant scrupuleusement à ce qui leur est prescrit par les décrets de l'Assemblée nationale et les ordonnances de M. Robinet, évêque de ce département. Auquel cas, la municipalité déclare les prendre sous sa sauvegarde et sous sa protection, et s'il en était autrement de leur part, elle prendra les moyens de leur faire
infliger les peines encourues par leur désobéissance. Fait aussi le collège municipal inhibitions et défenses au ecclésiastiques qui composoient le ci-devant chapitre de cette ville de s'assembler à l'avenir, en conséquence de la permission qu'ils en avoient obtenue pour leurs affaires temporelles, laquelle demeure révocquée de plein droit et dès cet instant. Sera la présente ordonnance
exécutée provisoirement non obstant appel et sans y préjudicier, en outre lue, publiée et affichée aux lieux ordinaires de la présente ville.
«Fait à l'hôtel commun de la ville de Saintes, les jours, mois et an susdits, environ les deux heures du soir.
«ROBERT DE ROCHECOUTE, maire, etc.»
2. À la mort de Godreau (16 mai 1786), curé de Saint-Pierre de Saintes et ancien curé de Migron, le chapitre nomma Louis-François Lacroix de Saint-Cyprien, «jeune gentilhomme de Chalais en Saintonge», comme son remplaçant, «à la demande que M. l'évêque en a faite au chapitre». Le 1er juin, il prit possession et fut installé au bas-chœur comme premier vicaire [voir aussi le paragraphe dernier de la note 21 au chapitre 14]. Il fut député du clergé aux États provinciaux de Saintonge. Il émigra en Espagne. De la famille des Lacroix du Repaire, de Besne et de Saint-Cyprien, seule branche aujourd'hui
subsistante en la personne des enfants de Jacques-Marie-Marc de Lacroix de Saint-Cyprien et de Marie-Marguerite Masson de La Sauzaye.
3. En 1776, un François Bardeau avait été nommé curé de Chambon par le doyen-prieur de Soubise. Il s'agit ici de l'abbé Claude-Louis Bardeau, religieux cluniste d'Anduse dans le diocèse d'Alais,
mensionnaire au prieuré de Saint-Eutrope à Saintes.
4. C'est de Baille et Moreau que parle la comtesse de Bremond d'Ars à son mari dans une lettre de Saintes, le 19 décembre 1791. «La garde nationale soldée que nous avons ici inquiète beaucoup les honnêtes gens. Ils font toutes les nuits un tapage effroyable ; on a peine à fermer la paupière. Le club a décidé, jeudi dernier, de faire mettre sur la porte de chaque habitant, la liberté ou la mort, en lettres bleues et rouges, et de faire donner cinq sols aux peintres Moreau et Baille qu'ils ont envoyés à toutes les portes. On s'est prêté à cette nouvelle inquisition de la meilleure grâce du monde ; déjà toutes les maisons sont barbouillées de cette
liberté que tant de gens transformer en licence. La nôtre est du très petit nombre de celles qu'on n'a pas encore osé
griffonner. On cherche à m'effrayer pour les suites de cette distinction ; mais je t'avoue que
je ne saurais jamais me décider par faiblesse, comme beaucoup d'autres personnes que je connais, à envoyer chercher un des agents de cette canaille... On a aussitôt fait afficher hier une défense de la part de la municipalité à tous prêtres non assermentés de confesser et de donner la communion ; enfin,
hors la messe, toute autre espèce de fonction leur est interdite. Le département, qui voudraient le bien, dit-on, a blâmé la municipalité ; mais le club le menace. La crainte s'est emparée des esprits, et on n'a pas le courage de faire exécuter ce que le devoir et la raison prescrivent»...
Jean Moreau, qualifié peintre, qui était un peintre d'enseignes, barbouillait aussi d'horribles croûtes. Il a eu, le 6 décembre 1780, d'Élizabeth Gouin, un fils Nicolas, auteur de quelques mémoires d'histoire locale et bibliothécaire de Saintes de 1816 jusqu'à son son mort, le 21 septembre 1867.
5. Archives municipales de Saintes (Registre des délibérations du conseil municipal, 1791, II, p. 53) ; l'orthographe de cette lettre est assurément celle du copiste municipal.
6. Voir la pièce justificative ci-dessous :
DÉLIBÉRATION DU CONSEIL MUNCIPAL RELATIVE AUX TROUBLES.
«Ce jour, deux du mois de juin 1791, la municipalité assemblée sur les neuf heures du matin, le procureur de la commune est entré et a dit :
«Messieurs, c'est avec la plus vive surprise que je me vois forcé de vous dénoncer différentes plaintes qui m'ont été portées, ce matin, par plusieurs particuliers de cette ville.
«Vous savez, MM., que l'insurrection de huit à dix particuliers, vêtus de la garde nationale de cette ville, excita, le 29 du mois dernier, des inquiétudes et des alarmes que la municipalité crut dissiper par son arrêté du dit jour.
«Mais loin, messieurs, de parvenir à son but, des nouveaux mouvements qu'on s'est permis ce matin, en s'introduisant dans différentes maisons et y faisant les menaces les plus
caractérisées, démontrent que les esprits se sont échauffés, au lieu de se calmer. Il devient donc indispensable, messieurs, pour dissiper l'orage qui nous menace, de faire parler la loy et intimer à ceux qui la méconnaissent, que c'est courir les plus grands risques que de s'en éloigner.
«Partant requiert le procureur de la commune que M. le commandant de la garde national sera invité d'assembler, ce soir, à six heures, sa troupe sur la place de Belle-air, pour y entendre lecture du précédent arrêté, du présent
réquisitoire et de l'arrêté que vous allez rendre ; que chaque individu qui se trouvera coupable des insultes et voies de fait qu'on leur reproche, sera exhorté à reconnoître la loy, à s'y conformer, et à la maintenir, et à avertir que, s'ils s'en éloignent, on lui infligera la peine prononcée contre ceux qui l'enfreignent.
«BOISNARD, procureur de la commune.
«Sur quoy la municipalité, ayant mûrement délibéré, a arrêté que les huit ou dix particuliers désignés par les différentes plaintes seront blâmés des insultes et voies de fait par eux commises ; qu'il leur sera enjoint de respecter à l'avenir et exécuter ce qui est prescrit par les décrets de l'Assemblée nationale avec déclaration que, s'ils viennent à rescidiver dans leurs insultes, menaces et voies de fait, ils seront poursuivis extraordinairement et punis comme perturbateurs du repos public, la municipalité voulant faire jouir tous les citoyens du droit de la liberté, sûreté et tranquilité qui leur est promise par loi.
«Fait à l'hôtel commun les jours et an susdits.
«Ont signé : ROBERT DE ROCHECOUTE, maire ; C.-A. GOUT, LOUIS SUIRE, CRUGY, APERT, NÉRON, MARESCHAL, LESACQUE, BUISSON, CANOLLE, METAYER, MARTAIN, officiers municipaux.
7. Cette pièce est importante; voir la pièce justificative ci-dessous. Comme on y voit les fluctuations de l'administration. Ces religieuses étaient six à Saintes ; il y a en avait trois à Saujon.
ARRÊTÉ DU DIRECTOIRE DU DÉPARTEMENT DE LA CHARENTE-INFÉRIEURE
CONCERNANT LES FILLES DE CHARITÉ.
«Le directoire du département de la Charente-Inférieure, qui a vu l'extrait du procès-verbal de l'Assemblée nationale du 14 mai dernier, ensemble la lettre de M. Delessart, ministre de l'intérieur, en date du 31 du même mois, après avoir ouï le procureur général sindic ;
«Considérant que les fonctions des filles de la charité doivent être vues dans différents districts de ce département sous deux rapports particuliers ; l'un est relatif à l'instruction de la jeunesse, l'autre au service des pauvres malades,
auxquels elles se sont essentiellement dévouées ; que sous le premier on doit les regarder comme inhabiles à tenir des écoles publiques, dès qu'elles se sont refusées à prêter le serment qui leur avait été prescrit par la loi ;
«Considérant que jusqu'à ce moment on ne peut leur faire un crime d'avoir continué à tenir leurs écoles à la manière accoutumée, dès qu'il leur en a pas été fait des défenses légales de la part des
administrateurs chargés de l'exécution des loix ; qu'il n'a pas encore été possible de suppléer jusqu'à ce moment au défaut d'établissement de cette nature dans les différents lieux où elles en remplissent les fonctions ;
«Considérant que sous le second rapport, c'est-à-dire sous le rapport de filles dévouées au service des
hôpitaux et au soulagement des pauvres malades, elles méritent la reconnoissance de tous les citoyens et ont un droit spécial à la protection de la loi, puisqu'elles exercent librement et volontairement des actes de bienfaisance et de charité qui n'appartiennent vraiment qu'à des âmes pures ;
«Considérant que la liberté des opinions religieuses est indéfinie ; que les gêner chez quelque individu que ce soit, ce seroit donner naissance à un fanatisme nouveau, quand la Constitution en a détruit jusqu'au moindre germe ; ce seroit donner l'exemple d'une odieuse intolérance, quand la religion de nos pères nous prescrit la charité ; que violer ces principes sacrés, c'est se rendre coupable aux yeux de Dieu et de la loi ;
«Considérant enfin que si, par une erreur ou par un faux zèle, les filles de la charité s'étoient rendues coupables de quelques délits, c'est à la loi seule à les punis, et que se faire justice hors de la loi, c'est violer les principes de la Constitution que tout bon citoyen a juré de maintenir :
«Nous arrêtons qu'à la diligence des administrateurs des directoires de district, les municipalités des lieux où il y a des écoles publiques tenues par les filles de la charité, qui ne se seroient pas soumises au serment prescrit par la loi à tous les fonctionnaires publics, seront chargés de pourvoir à l'établissement d'écoles publiques en remplacement de celles
ci-dessus mentionnées.
«Rappelons aux citoyens que la loi accorde tant aux filles de charité qu'à tout autre individu la liberté de leurs opinions religieuses ; qu'en conséquence elles peuvent régler comme elles jugeront à propos le service intérieur de leur oratoire particulier, sans qu'on puisse les troubler dans l'exercice de leur religion. Chargeons expressément les municipalités et invitons tous les bons citoyens à dénoncer à l'accusateur public, pour être poursuivie et punie suivant la rigueur des loix, toute personne qui troubleroit, soit par des injures, soit par des voies de fait, les filles de la charité et tous autres dans l'exercice de leur religion dont la liberté est garantie par la Constitution.
«Et néantmoins si les soeurs de charité et tous autres individus troubloient la tranquilité publique par des discours ou par des actions contraires aux loix, invitons tous les citoyens à les dénoncer à l'accusateur public, afin qu'il leur fasse infliger les peines qu'elles aurons encourues.
«Invitons les soeurs de charité à mériter de plus en plus notre estime, en continuant auprès des pauvres malades les soins qu'elles ont donnés jusqu'à ce moment avec tant de zèle et tant de courage, leur recommandons expressément de se borner à ces soins, sans chercher à propager leur opinion en matière de religion, à en accréditer les principes auprès des esprits faibles et troubler par là, l'ordre public.
«A Saintes, le trente juin 1791.
«RUAMPS. BRÉARD, vice-président. RONDEAU, président. DUPUY. RIQUET. ESCHASSERIAUX. DUCHESNE. DURET. RABOTEAU. EMOND, secrétaire.»
«Deux victimes des Septembriseurs» :
Table des Chapitres ; Lexique ; Chapitre 26
[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]