«DEUX VICTIMES DES SEPTEMBRISEURS [LES BIENHEUREUX FRÈRES LA ROCHEFOUCAULD]» DE
LOUIS AUDIAT ; CHAPITRE 26
CHAPITRE 26. — Arrêté relatif au libre exercice du culte. — Réquisitoire contre les insermentés qui disent publiquement la messe. — Menaces de la municipalité. — Les gardes nationaux pourchassent ces prêtres. — Troisième arrêté qui défend la violence. — Municipalité blâmée par le département. — Nouveaux troubles. — Notes de bas de page, y compris la pièce justificative n° 9 : «Lettre écrite au département par la municipalité le 14 janvier 1792 à propos des troubles».
Ce n'est pas la seule pièce où la liberté religieuse est solennellement proclamée. Le 27 octobre 1791, un nouvel arrêté
du directoire du département annonce encoure que chacun a le droit d'exercer le culte auquel il est
attaché. Quand on voit tant de proclamations sur la liberté, on peut affirmer sans se tromper que la tyrannie
règne. Les citoyens vraiment libres n'ont pas besoin que, tous les huit jours, on vienne leur répéter qu'ils sont libres.
«Le directoire du département de la Charente-Inférieure, considérant que la
différence des opinions religieuses chez un peuple libre et dégagé de préjugés, ne doit inspirer que des sentiments de support et d'indulgence, et que tous les citoyens de l'Empire français ne doivent plus se reconnoître que sous les douces relations de frères et d'amis ;
«Considérant que la liberté des opinions religieuses, ce droit l'un des plus naturels et des plus inviolables du pacte social, a été formellement consacré par
le titre premier de la Constitution, qui laisse la liberté à tout homme d'exercer le culte religieux auquel il est attaché ;
«Considérant que le roi des François, en acceptant la Constitution de l'État, de la manière la plus franche, la plus loyale, a témoigné n'avoir rien plus à cœur que de voir écarter à jamais toute idée d'intolérance, et que chacun en observant les loix puisse à son gré pratiquer le culte qui lui
convient ;
«Considérant enfin que la liberté ne sera jamais mieux affermie, que les bases de la Constitution ne seront jamais
plus inébranlables, et les François vraiment heureux que lorsqu'ils se réuniront tous sous l'étendard de la loi, pour concourir unanimement au parfait établissement de l'ordre ;
«Sur ce ouï le procureur général sindic ;
«Nous arrêtons que tous citoyens, toutes sociétés, agrégations et communautés religieuses ou séculières, pourront ouvrir leurs églises, chapelles, temples et autre lieux qu'ils entendent destiner à l'exercice d'un culte religieux quelconque, sans être soumis à autre surveillance qu'à celle des officiers de police, auxquels il est enjoint de veiller à ce qu'il ne se fasse dans ces lieux aucune exhortation, prédication ou enseignement contre la Constitution du royaume, et à ce qu'il ne s'y passe rien de contraire à l'ordre public. Faisons défense à qui que ce soit d'apporter aucun trouble ni empêchement à l'exercice d'aucun culte, ni d'insulter en aucune manière les personnes qui les professeront, à peine d'être poursuivis et
punis suivant la rigueur des loix ; chargeons spécialement les procureurs des communes de tenir la main à l'exécution du présent arrêté, et de dénoncer et poursuivre toutes personnes qui, par voyes de fait, injures ou menaces,
tenteroient de porter atteinte à la liberté la plus entière ; et sera notre présent arrêté imprimé, publié et affiché dans toutes les municipalités du département et lu à la diligence des procureurs des communes, à issue de messes paroissiales, le premier dimanche après sa réception.
«Fait à Saintes, en directoire, le 27 octobre 1791.
«RABOTEAU. DUPUY. DUCHESNE. GARNIER. EMOND.»
Le département copiait mot pour mot le dispositif d'un arrêté du directoire du département de Paris en date du 19 octobre, inséré au Moniteur du 23. Un citoyen envoya de La Rochelle, le 11 novembre, au Moniteur du 25 novembre 1791, cette pièce qui, dit-il, «deviendra bientôt sans doute l'arrêté général de toutes les assemblées administratives, qui voudront marcher sur la ligne de la Constitution et de la loi, faire jouir les citoyens de la liberté, de l'ordre et de la paix qu'elles leur doivent, et ne pas épuiser elles-mêmes toute leur force d'administration en mesures de police, fausses, puériles, contradictoires et anarchiques.»
Quand cette pièce, imprimée à Saintes chez Vincent Cappon et Mareschal, toute parsemée de fleurs de lys, eut été apposée sur tous les murs et lue dans toutes les municipalités, quelques naïfs y crurent de bonne foi, les ecclésiastiques surtout. Ils ne tardèrent pas à être désabusés. Qu'est-ce que la liberté inscrite sur un chiffon de papier quand elle n'est pas dans les mœurs ? Bientôt le procureur de la commune de Saintes vint représenter avec indignation à la municipalité que «les prêtres non conformistes se permettoient journellement de faire des fonctions publiques qui leur sont interdites par cette même loy qui les astreint à ne pouvoir dire, dans les églises paroissiales, succursales et oratoires nationalles, que la messe seulement. Au mépris d'une loy
aussi précise les prêtres dissidents se permettent journellement de confesser, donner la communion, faire des exhortations et des fonctions publiques en tout genre. Pour faire cesser un tel abus et maintenir la loy du 13 may, je requiers qu'à l'avenir, et à dater de ce jour, il soit hinibé et défandu à ces prêtres non conformistes de s'imisser dans aucunes fonctions publiques et de ne pouvoir y dire que la messe seulement. En conséquence je requiers de plus la publication et exécution de la dite loy.»
Que devenait l'arrêté du directoire du département ? Que devenait la liberté indéfinie du culte ?
La municipalité donc, le 14 décembre 1791 :
«Considérant que plus les ennemis de la chose publique font d'efforts pour renverser l'édifice de notre bonheur, plus il est de son devoir de redoubler de zèle et de courage pour rappeller l'exécution des loix oubliées ou méconnues ;
«Considérant que le salut du peuple est la suprême loy ; que la liberté des opinions religieuses a pour bornes l'intérêt de la société et la tranquilité générale ; que la manifestation en doit être interdite toutes les fois qu'elle trouble l'ordre public ; que ces principes sacrés seront toujours la règle invariable et constante de sa conduite ;
«Considérant que les prêtres non conformistes s'immisent journellement dans les fonctions publiques et ministérielles, au mépris de la loy du
13 may dernier qui leur permet seulement de dire la messe ; que l'étendue illimitée qu'ils ont donnée à l'arrêté du département de la Charente-Inférieure du 27 octobre dernier, est contraire à l'esprit de ce même arrêté, qui ne peut leur
avoir conféré une faculté que la loy leur interdit ;
«Considérant que la conduite de ces ecclésiastiques est d'autant plus dangereuse qu'il est impossible d'acquérir des preuves légales de leur prévarication, parce que ce n'est que sous le secret de la confession qu'ils propagent leurs funestes principes, secouent partout les torches du fanatisme et de la discorde ;
«Considérant que la loy du 13 may subsiste encore dans toute sa force puisqu'elle n'a été abrogée par aucune
postérité ; qu'elle est une modification au principe consacré dans l'article
10 de la Déclaration des droits de l'homme et qu'il n'appartient qu'au pouvoir législatif d'étendre ou de limiter le sens d'une loi...
«Arrête à l'unanimité qu'elle s'en tiendra à l'exécution stricte et rigoureuse de la loy du 13 may dernier ; ordonne qu'elle sera de nouveau publiée, affichée et lue aux messes paroissiales pour être exécutée suivant leur forme et teneur ; fait défense à tout prêtre non conformiste de s'imiscer dans les fonctions publiques, leur enjoint de se borner à dire la messe dans les différents églises, sous peine d'être poursuivis et punis suivant la rigueur des loix ; charge spécialement son procureur de la commune de veiller à l'exécution du présent
arrêté et de luy dénoncer toutes les infractions qui pourroient y être commises.
«La municipalité représente en outre aux vrais amis de la Constitution que tous les citoyens, quelque soient leurs opinions religieuses, sont sous la sauvegarde des loix et des corps
administratifs ; que tous les actes d'autorité arbitraire sont attentatoires au
respect dû aux autorités constituées ; que nul n'a le droit de se faire justice soi-même ; qu'une conduite qui s'écarteroit de ces principes seroit d'autant plus criminelle que la voie de la dénonciation est ouverte à tous les citoyens, et que le zèle et
le patriotisme des corps
administratifs et judiciaires doit assez les rassurer sur la vengeance de la loi, quant il y aura été commis quelque infraction. En conséquence la
municipalité invite tous les bons citoyens à se pénétrer de ces principes qu'elle saura faire respecter par tous les moyens que la loi a mis en son pouvoir.
«Fait et arrêté à l'hôtel commun les jour, mois et an que dessus.
«C.-A. GOUT, maire ; MARECHAL, GAUDIN, MULLIER, GILLET, SAVARY, CORNILLON, CANOLLE, DROUERS et NOUVION,
c. greffier.»
La municipalité semait des orages ; elle s'étonnait de recueillir des tempêtes. Après une telle proclamation les avanies pleuvent de plus belle. Bientôt on vient lui apprendre que des volontaires, «tant du bataillon du département de la Charente-Inférieure que de la garde nationale, égarés sans doute par un faux zèle ou un patriotisme trop exalté se permettoient journellement de troubler la tranquilité publique et d'attenter à la liberté des citoyens, en se transportant dans leur maison pour les insulter sous prétexte qu'ils ne sont pas partisans de la Révolution.» Le 8 janvier 1792, le collège municipal, «considérant qu'il est étonnant que des citoyens, dont les mains ne sont armées que pour veiller aux propriétés et à la sûreté des individus, soient les premiers à violer ces principes sacrés sur lesquels repose le bonheur de la société», arrête «qu'il est temps enfin de faire cesser des désordres aussi scandaleux et aussi contraires aux vrais principes de la Constitution», et que les commandants prendront des mesures pour en découvrir et punir les auteurs, et aussi pour en prévenir le retour. C'était le troisième de ce genre.
Mais voici qui se complique. Le département, le 12 janvier, mande la municipalité dans la personne du maire, Claude-Antoine Gout, et du procureur de la commune, Étienne Boisnard, et la semonce vertement comme coupable de tout le mal, comme négligente, inactive, incapable. La réponse de la municipalité fut vigoureuse : «Considérant qu'une administration ne doit point se prévaloir de sa supériorité et de sa
hiérarchie du pouvoir pour appesantir un joug de fer sur un corps qui n'a jamais été guidé dans toutes ses démarches que par son zèle et son dévouement entier à la chose publique», elle lui adressa, le 14 janvier 1792, une lettre où elle repousse
énergiquement le blâme jeté sur elle : car, dit-elle, «les désordres que vous imputez à notre négligence ont une autre source que vous ne devriez pas ignorer (1).»
Et ce ne sera pas tout. Le 28 avril suivant, les désordres se renouvellent. Des gardes nationaux armés abandonnent leurs bataillons assemblés sur la place publique, vont chercher dans leur domicile quelques prêtres insermentés et les
entraînent hors de la ville. C'est ce que raconte sous le coup de l'émotion Mme de Bremond, dans une lettre à son mari, le 1er mai 1792. Elle commence aussi ainsi :
«On est, depuis hier matin, à faire l'inventaire de tes meubles de campagne, mon cher ami ; ta sœur (la chanoinesse) s'était rendue caution sous la garde de ton régisseur ; mais on a refusé cette caution, parce que, dans notre usage, les femmes ne peuvent en servir, et que la personne qui me conseille ne connaissait pas cet usage-là... Ton frère vient de se rendre notre caution pour la maison de Dompierre et celle de la ville. Les commissaires chargés de cette besogne dans le premier de ces endroits sont : Ardouin, de Chérac, et un nommé Cousin, de la même paroisse. On ignore encore quels seront ceux d'ici ; il faudra bien que ce soit quelques coquins, puisque tous les honnêtes gens refusent cette désagréable commission... Je n'ai pas besoin de te dire combien cette loi barbare est odieuse et cause d'inquiétudes !...
«Il y a eu ici, dimanche, une insurrection dirigée contre les malheureux prêtres fidèles à leur devoir. Les brigands, d'accord sans doute avec la municipalité, profitèrent du moment où l'on avait rassemblé toutes les troupes sur la place pour entendre lire la proclamation de guerre, pour chasser tous les
ecclésiastiques hors de la ville, qu'ils furent inhumainement prendre dans toutes les maisons, non seulement qu'ils habitent, mais celles où ils ont l'habitude d'aller en société... La gendarmerie à cheval, informée à temps de cette violence, se précipite sur les pas des misérables fugitifs et les ramène en triomphe en les mettant sous sa protection spéciale.
«On peut dire que cette compagnie, la maréchaussée et la troupe de ligne se sont fait
beaucoup d'honneur ce jour-là et ont bien rassuré les honnêtes gens par leur contenance ferme et décidée... Cette espèce de guerre, qui fut bientôt terminée, a fait connaître aux coquins que leur parti n'était pas le plus fort ; et à moins qu'ils ne mettent les paysans de leur côté, on ne croit pas à présent qu'ils soient envieux de tenter quelque autre expédition... Je te fais tous ces détails, mon cher ami, afin que tu ne les apprennes pas par quelques étrangers d'une manière exagérée et qui pourrait te causer de l'inquiétude. Ces scélérats, à peu près au nombre de vingt, tous armés, vinrent à la maison chercher le pauvre abbé de Saint-Légier, qui, heureusement, était parti de la veille pour Orignac. Tu sens combien il aurait été effrayé ! il serait mort sur place... Je fus fort contente de son absence. Je m'applaudis bien aussi, dans ce moment, de n'être pas naturellement peureuse : car des scènes aussi imprévues pourraient être fort dangereuses dans mon état (2). La présence de ton frère contribua aussi à me rassurer. C'est lui qui parla à cette canaille, qui se retira tout de suite et avec l'air assez confus. Je reconnus à la tête de cette troupe un drôle de Boguier (3), Ransard et d'autres du même calibre... ce qu'il y a de fâcheux dans cette aventure, c'est que les corps administratifs qui paraissent pourtant être dans d'assez bons principes, n'ont pas cherché à punir les coupables.»
La municipalité s'empresse de prendre des mesures, et parvient à dissiper les rassemblements. La liberté est rendue aux prêtres. Mais pour combien de temps ?
Le 29 avril, le directoire du département, informé des désordres de la veille, mande bien le district et les officiers municipaux «pour aviser aux moyens de rétablir l'ordre et de prévenir de nouveaux troubles pour l'avenir». Les autorités étaient impuissantes parce qu'elles n'avaient pas d'énergie, et qu'ayant l'air de «veiller avec la plus grande exactitude à la sûreté des personnes et des propriétés», elles font tout pour les compromettre. Quand elles ont mis le feu au bûcher, elles crient pour qu'on éteigne l'incendie.
Ainsi les chanoines n'existaient plus : ils ne se peuvent réunir dans la salle capitulaire, seul lieu d'existence légale. Mais on les voit encore dans la «salle littéraire». On fermera donc la salle littéraire. De plus, le 8 février, le procureur de la commune annonce que «des plaintes réitérées viennent journellement à la municipalité de ce que se permettent les sœurs de la charité de cette ville de souffrir un concours nombreux de prêtres non conformistes pour aller célébrer dans leur oratoire ; cette conduite affectée de leur part, après différents avis qui leur ont été donnés d'en faire cesser le cours, excite parmy les citoyens de cette ville des murmures et des mécontentemens qui troublent l'ordre et le repos public.» Or, «voulant faire cesser les désordres de tout genre que cette conduite occasionne», il demande «qu'il soit pris par la municipalité un arrêté tendant à ce que l'église des filles de la charité soit fermée et sur icelle les scellés apposés, et que les vases sacrés, servant au culte de cette chapelle, soient saisis et envoyés à l'hôtel des monnoyes, ainsy que la cloche d'icelle et les ornements également mis sous les scellés».
Le département fit plus. Par un arrêté du 13 août 1792, tout en proclamant la liberté du culte pour les prêtres insermentés, il n'en ordonnait pas moins la
fermeture des églises des communautés religieuses (4).
Ainsi la persécution, déclarée depuis deux ans au clergé, devenait de jour en jour plus violente. Nulle trêve à quiconque portait l'habit religieux et avait refusé de le souiller dans la fange du parjure. Quand les clubs se taisaient, les administrateurs sévissaient ; quand les autorités se reposaient un peu de leurs arrêtés despotiques, les gardes nationaux se mettaient en marche et leurs sabres se chargeaient
d'exécuter les réquisitoires, ou
plutôt c'étaient les sociétés populaires, dirigées par deux ou trois
fanatiques féroces, quelques ambitieux avides et aigris, quelques déclassés haineux et impuissants, qui à leur tour menaient en laisse directoires et municipalités. Les hommes placés à la tête des corps constitués n'étaient pas dépourvus de talent et étaient honnêtes pour la plupart. L'énergie leur manquait. Qu'une motion partît de la tribune démocratique, ils tremblaient. Ils ne se sentaient plus que la force d'obéir. Dans la sanglante période qui commence et où, grâce à Dieu, nous n'avons pas à pénétrer bien avant, il est une chose qui révolte plus peut-être que les noyades de Nantes [à partir de octobre 1793] et les fusillades de Lyon [décembre 1794], les massacres en grand et les boucheries gigantesques ; c'est la couardise, c'est la lâcheté, c'est la peur. Elle est partout ; dans ceux qui aiguisent le couteau de la guillotine et dans ceux qui le subissent. Une demi-douzaine de scélérats suffits à terroriser un grand peuple, qui s'appelle le peuple français.
Au milieu de ces troubles et de ces compétitions, de ce désordre administratif et de ces persécutions qui s'aggravent chaque jour, que devient l'évêque acclamé, il n'y a pas encore un an, ce prélat évangélique dont les vertus exaltées
officiellement devaient ramener la paix dans les consciences, l'amour dans les cœurs, l'âge d'or dans son diocèse usurpé ? Il s'était prêté à tout ;
avoit anathématisé les dissidents, lutté contre de pauvres religieuses, terrorisé des cloîtres, vexé des filles de la charité ; il avait figuré pontificalement à toutes les fêtes patriotiques, à toutes les cérémonies laïques ; en dernier lieu il avait officié à l'anniversaire de la prise de la Bastille et à la Confédération, le 18 juillet 1791 ; il y avait même prononcé un discours pour engager ses «frères et amis» à prononcer le serment civique (5).
Malgré ces démonstrations solennelles, sa présence aux pompes théâtrales de la procession de Mirabeau, malgré son obséquiosité, on s'était lassé de cette docilité qui n'était pas une force ; l'instrument était usé ; on méprisait cette autorité morale sans effet, ce pouvoir spirituel sans croyances ; on consentait encore à payer les frais d'impression de son mandement parce qu'il y recommandait de bien payer les impôts ; encore lui faisait-on entendre qu'il ne faudrait pas
recommencer. On n'avait plus besoin de ses services. Honni des fidèles, dédaigné des constitutionnels, abandonné du gouvernement, il voit qu'on s'est servi de lui et qu'il n'a plus rien à faire, pasteur sans troupeau, évêque sans églises, prêtre au milieu de
collaborateurs mariés. «Le 6 décembre 1793, raconte un contemporain, Robinet, qui avait abdiqué honteusement son évêché, après avoir remis au département tous ses titres le concernant, même, dit-on, ses lettres de prêtrise, a laissé son palais épiscopal, a abandonné la ville et est allé cacher sa honte et sa turpitude dans une petite maison de campagne de M. Robinet, son frère, près de Saint-Jean d'Angély. Son règne, qui a passé dans le mépris, n'a pas été long ; il a été détruit par les mêmes mains qui l'avaient élevé. Tous ses indignes coopérateurs se sont aussi séparés ; ils ont abandonné l'évêché, et ils sont errants dans des maisons ou chambres de la ville.» J'ai raconté la fin de ce pontife éphémère (6). Il a tenu si peu de place, il disparaît si obscurément, que l'historien de la Saintonge, celui-là même qui a vanté ses guêtres de laine, salué cet apôtre de la primitive Église, et suivi pieusement son cortège démocratique, ne s'inquiète plus en suite de son sort : «Nous ignorons, avoue-t-il sans façon au dernier volume de son Histoire de la Saintonge (7), ce qu'était devenu ce prélat au milieu des orages de la
Révolution.» Hélas ! il était devenu qu'il était mort, délaissé de ceux qui l'avaient porté aux honneurs, abandonné de ceux qui l'avaient acclamé, oublié de ceux qui avaient
décrit son humble costume et ses vertus constitutionnelles.
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[Notes de bas de page, y compris la pièce justificative n° 8.]
1. Voir la pièce justificative ci-dessous (Archives municipales de Saintes ; Registre des délibérations du conseil municipal, 1792, p. 110) :
LETTRE ÉCRITE AU DÉPARTEMENT PAR LA MUNICIPALITÉ,
LE 14 JANVIER 1792 À PROPOS DES TROUBLES.
«Messieurs,
«La municipalité a ressenti avec la plus vive énotion les reproches amers que vous lui avez adressés dans la personne de son procureur de la commune. Douloureusement affectée d'un procédé qui compromet aussi injustement son honneur et son patriotisme, elle va y répondre avec ce courage et cette franchise qui convient à des hommes libres qui ont pour eux le témoignage de leur conscience.
«Nous connaissons, messieurs, la hyérarchie des pouvoirs, nous saurons toujours respecter la ligne de démarcation qui sépare votre administration de la nôtre ; nous savons que vous avez le droit de mander la municipalité pour la rappeler à ses devoirs, toutes les fois qu'elle s'en écarte. Mais ce droit, dont la Constitution ne vous a armez que pour l'avantage de tous, deviendroit une arme trop terrible si elle pouvait frapper également sur l'innocent comme sur le coupable.
«Il est bien douloureux pour des citoyens qui sacrifient journellement leurs affaires personnelles pour se dévouer généreusement et gratuitement à la chose publique, qui, la plupart du temps, ne retirent d'autre récompense de leur zèle pour l'exécution rigoureuse de la loi que la haine et le ressentiment de leurs concitoyens, de se voir encore réprimandés sans l'avoir mérité avec ce ton d'aigreur qui ne devroit pas caractériser des
administrateurs dans un siècle d'égalité et fraternité. Oui, messieurs, nous ne craindrons pas de le dire, parce que la preuve en est consignée sur nos registres, que les reproches que vous nous adressez sont autant de calomnies, calomnies d'autant plus outrageantes pour la municipalité que les désordres, que vous imputez à la négligence, ont une autre source, que vous ne devriez pas ignorer.
«La municipalité, messieurs, a gémi la première de tous ces désordres. Elle a employé tous les moyens que la loi a mis en son pouvoir pour les faire cesser, pour en découvrir les auteurs. Elle a pris toutes les mesures générales de sûreté qui pouvoient assurer à ses concitoyens le bonheur et la tranquilité : et c'est dans un moment où elle a été exposée elle-même à la fureur d'une troupe indisciplinée, qu'une administration, qui devroit la protéger du poids de toute son autorité, cherche à répandre de l'amertume sur ses opérations, en calomniant ses motifs et en inculpant son
patriotisme !
«Il ne suffit pas à un corps constitué d'être exempt de tous reproches : il
faut encore qu'il détruise jusqu'au soupçon qu'on pourroit élever sur son administration. Nous vous faisons passer copie de tous les arrêtés que nous avons cru devoir prendre dans l'espace d'un mois pour maintenir une bonne police dans l'étendue de notre territoire, et pour rappeler à leurs devoirs tous les citoyens que de faux principes de patriotisme avoient égarés. Si nous n'avons pas eu le bonheur de réussir, au moins, messieurs, vous y verrez que les motifs qui nous ont déterminés sont purs ; nous en attendons avec confiance notre justification ; nous attendons de votre loyauté et de votre justice, la rétraction des soupçons injurieux que vous avez élevés sur notre zèle et notre patriotisme. Vous la devez à des fonctionnaires injustement calomniés qui n'ont d'autre désir que l'intérêt et le bonheur de leurs concitoyens ; vous la devez enfin à vous-mêmes parce qu'il n'appartient qu'à de grands cœurs de connoître leur erreur et de la réparer.
«Les membres composant la municipalité : C.-A. GOUT, maire. CANOLLE. SAVARY. GAUDIN. PROUTIÈRE. CORNILLON. MULLIER, officiers municipaux. BOISNARD, procureur de la commune.»
2. Mme de Bremond était alors grosse d'un enfant qui naquit le 31 mai 1792 et mourut en prison, où sa mère était enfermée.
3. Ce Boguier était avec Moreau et Goguet, secrétaire de la société populaire¹. Le 5 décembre, tous trois signent avec Pierre-Hector Savary, ex-président, une adresse à tous les maires et officiers municipaux du district de Saintes pour les engager à envoyer au directoire les vases sacrés des autels, «où les prêtres de la superstition buvaient tous les jours à la santé des ignorants et des esclaves». [¹ Le «club»]
4. «Le département de la Charente-Inférieure assemblé en conseil général, après avoir pris l'avis du conseil général du district et de celui de la commune de Saintes, invités à la séance, et ce requérant le procureur général syndic ;
«Considérant que, depuis la Révolution, les germes les plus violentes de haine et de discorde ont pris leur origine dans les opinions religieuses ;
«Que les inquiétudes des citoyens se manifestent à cet égard d'une manière plus vive dans les circonstances actuelles, et qu'il importe à la tranquillité publique d'en prévenir les effets ; a arrêté ce qui suit :
«Article I. — Toutes les églises des communautés religieuses sont dès ce moment interdites au public ; elles seront fermées à l'extérieur, et les clefs remises à la municipalité.
«Article II. — Chaque communauté pourra avoir un ou deux aumôniers à la charge par la supérieure d'en déclarer le nom à la municipalité.
«Article III. — Tout autres prêtres que ceux désignés par l'article précédent, qui s'introduiroient dans une maison religieuse, pour y dire la messe, ou pour y faire toute autre fonction relative au culte, seront poursuivis, comme perturbateurs du repos public.
«Article IV. — Toutes les églises conservées comme paroisses succursales ou oratoires nationaux continuent d'être ouvertes aux prêtres inassermentés pour y dire la messe seulement, toutes autres fonctions étant interdites par la loi du 31 mai 1791.
«Article V. — Les autres églises ou chapelles, desservies par un ecclésiastique sermenté, salarié par la nation, seront réputées oratoires nationaux ; en conséquence les prêtres inassermentés pourront s'y présenter pour y dire la messe, sauf à modifier cette disposition d'après l'avis des directoires de district, sur les représentations des municipalités.
«Article VI. — Les prêtres inassermentés et leurs sectateurs auront la faculté, conformément à la loi ci-dessus citée, d'acheter ou de louer un édifice, pour y célébrer leur culte librement, et tranquillement sous la
surveillance de la municipalité, en se soumettant à l'inscription qui sera déterminée par le directoire du département.
«Article VII. — Tout citoyen qui outragera les d'un culte quelconque et en troublera l'exercice, sera dénoncé pour être puni suivant la rigueur des lois.
«Article VIII. — Le procureur général syndic, les procureur syndics et ceux des communes sont spécialement chargés de tenir la main à l'exécution du présent arrêté, et de dénoncer toutes les infractions qui pourroient y être commises.
«Fait à Saintes en directoire, le treize août mil sept cents quatre-vingt-douze, l'an quatre de la liberté.
«DUCHESNE, vice-président. ESCHASSERIAUX. DUPUY. RENOULLEAU.»
5. Voici cette allocution qui nous donnera une idée de l'éloquence de l'orateur [Robinet] :
«Citoyens militaires, frères et amis, c'est en ce moment, devenu si intéressant pour tout l'empire, que le peuple français, porté par un même mouvement de zèle et de l'amour de la patrie, au pied des autels du Dieu vivant, va lui rendre de publiques et de solennelles actions de grâces, en reconnaissance du bienfait signalé qui l'a rétabli dans ses droits primitifs, que l'esprit de domination, l'insatiable cupidité, l'ambition, l'idée mal conçue d'une grandeur imaginaire, avaient tellement
défigurés, qu'à peine pouvait-on se persuader qu'ils eussent existé. Oui, frères et amis, ces droits sacrés que la nature avait gravés dans tous les cœurs, en caractères ineffaçables, viennent enfin d'être connus ; l'homme né libre n'a pu plus longtemps se courber sous le poids énorme qui l'accablait ; il a senti que la loi seule qu'il s'est imposée dans l'ordre social doit le commander, mais il doit sentir aussi, qu'il faut que cette nécessité d'obéir à la loi, en respectant l'autorité de ceux à qui l'exécution en est confiée, tempère et modifie ce sentiment de liberté qui, mal entendue, ne pourrait que l'égarer et le perdre. S'il est libre, il faut que les autres le soient aussi ; il doit ménager leur liberté, respecter leurs propriétés, les secourir dans leurs besoins, les protéger contre l'oppression et l'injustice ; enfin il ne doit jamais oublier que si le bien et l'intérêt général l'emportement sur l'intérêt personnel, ces droits que la loi accorde à chacun en particulier, doivent être sacrés et inviolables ; prenons donc garde de ne nous pas laisser aller à une fausse idée de liberté, et évitons par une entière adhésion aux vues bienfaisantes de nos
sages législateurs, le malheur de ceux qui ont osé porter atteinte à la propriété, à la sûreté des hommes que les lois ont rendues sacrées. C'est avec de tels sentiments, frères et amis, que vous devez approcher de l'autel pour y faire, sous les auspices de la religion et en présence du Dieu qui sonde les cœurs et les consciences, votre serment civique ; c'est-à-dire, promettre d'être inviolable fidèles à la nation, dont chacun de nous fait une partie intégrante, à la loi que vous vous êtes vous-mêmes imposée et de maintenir de toutes vos forces et de tout votre pouvoir, la nouvelle Constitution, dont l'ensemble doit faire le contentement, la satisfaction et le bonheur de tous.»
6. Pour l'acte officiel du décès de Isaac-Étienne Robinet, voir note 2 au chapitre 21.
7. Daniel Massiou, Histoire politique, civile et religieuse de la Saintonge et de l'Aunis (Saintes, Charier, 1846 ; tome VI, p. 390).
«Deux victimes des Septembriseurs» :
Table des Chapitres ; Lexique ; Chapitre 27
[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]