«DEUX VICTIMES DES SEPTEMBRISEURS [LES BIENHEUREUX DE LA ROCHEFOUCAULD]» DE
LOUIS AUDIAT ; CHAPITRE 29


CHAPITRE 29. — Mutilation du cadavre de l'évêque de Saintes. — Ecclésiastiques du diocèse de Saintes aux Carmes. — Ceux qui ont échappé : François de Meschinet, — Charles-Abraham Richard, — André Auzuret, — Le député Jean-Joseph Jouneau. — Victimes : Charles Béraud de Pérou, — Pierre-Michel Guérin. — Le puits des Carmes. — Sépulture. — Le cimetière de Vaugirard. — La crypte des Carmes. — Notes de bas de page.


Ce n'était pas assez d'assassiner, il faillait que le corps sans vie fût encore outragé avant d'être dépouillé et volé. Le sang ne suffisait pas aux scélérats ; et leur rage poursuivit jusqu'après le trépas. Martin Froment, garçon chez Marchand, traiteur au Luxembourg, coupa les oreilles à Mgr de Saintes et à Mgr de Beauvais (1). Et fier de son exploit, il le vanta partout. Plus de trois ans après, quand on songea à punir les auteurs des massacres de septembre, alors dispersés, morts, perdus, oubliés, Froment fut dénoncé comme s'étant glorifié d'avoir coupé le nez et les oreilles à deux évêques. Interrogé, il prétendit que ce fait lui avait été assuré par des passants, le soir du 2 septembre, qu'il avait répété le propos, mais que lui n'était pas sorti de la maison de son patron. Des cinquante accusés, deux seulement furent condamnés. Froment, un des quatre poursuivis pour les égorgements des Carmes, avec le cordonnier Nicolas Paris, qui avait affirmé avoir tué quinze prêtres pour sa part, avec l'ébéniste Louis Juchereau, qui avouait avoir dépouillé les cadavres, mais ajoutait qu'il avait remis au commissaire de la section les objets trouvés, avec Joachim Ceyrat, qui avait présidé le comité du Luxembourg et poussé au massacre, Froment fut déclaré non coupable par le jury du jugement du 14 mai 1796. — Or, cette absolution des scélérats subalternes, qui s'explique et par le long temps écoulé qui faisait une espèce de prescription, et par la difficulté d'avoir alors toutes les preuves nécessaires, et par la disparition des chefs, Danton, Robespierre, Marat, Maillard, et par des amnisties qui pouvaient aux yeux de certains jurés comprendre les assassinats de septembre, cette absolution ne détruit pas les pièces officielles et authentiques qui montrent dans Ceyrat l'un des instigateurs du crime. Les trois autres inculpés peuvent être innocents comme lui.

Avec l'évêque de Saintes avaient été immolés quelques ecclésiastiques de son diocèse. Tous les Saintongeais incarcérés aux Carmes n'avait pas eu le bonheur d'échapper.

Nous avons vu que François-Alexis de Meschinet avait été arrêté le 15 août (2).

Or, le 15 août 1792, racontent Meschinet et Gaston de Forcade (3), dans deux narrations presque identiques, qui se complètent, les élèves de Saint-Sulpice à Issy se promenaient dans le parc. Deux cents jeunes gens se présentent, commandés par un ouvrier du faubourg. C'étaient des volontaires bretons, étudiants de l'université de Rennes, qu'on avait envoyés, sans le leur dire, contre des prêtres et des enfants, eux qui croyaient marcher contre les Prussiens. «Nous sommes assez forts pour vous y contraindre, si vous résistez.» Ils ne songeaient guère à opposer la violence à la violence. Aussitôt directeur, élèves, et cinq prêtres étrangers qui se trouvaient à la maison, sont conduits, entre deux haies de soldats, à l'extrémité du faubourg Issy-les-Paris, et enfermés dans une salle aussi spacieuse, chez un boulanger ou épicier, Jean-Baptiste Gogue, maire de la commune, et fournisseur de la maison. Ce brave homme fit tous ses efforts pour qu'on laissât aller tout le monde, répondant de chacun. Il ne put obtenir que la liberté de M. Duclaux et d'un vieillard.

«Le commandant pose des gardes à la porte et à chaque angle de la salle, leur défend toute conversation avec leurs prisonniers, consigne qui ne fut point gardée ; puis avec le reste de sa troupe, il revient au séminaire, se fait ouvrir les chambres, fouille les secrétaires, les armories, les malles dans l'espoir de trouver des lettres ou des écrits qui pussent compromettre les maîtres ou les élèves ; mais toutes les recherches furent vaines. Dans l'appréhension de quelques visites de ce genre, on avait eu soin de soustraire tout ce qui aurait pu être suspect. Le commandant, après avoir inutilement fouillé tout le séminaire pour y trouver quelque chose de compromettant, se rend sans délai dans une maison de retraite peu distante du séminaire et dans laquelle des prêtres à qui l'âge ou les infirmités ne permettaient plus l'exercice du ministère, passaient leurs derniers jours dans la solitude et la prière. Le supérieur, qui était aussi chargé du temporel, et le seul prêtre valide, intercéda vainement pour ces vénérables vieillards qui furent conduits, aussi bien que lui dans la salle du boulanger.»

Cette razzia faite, «on vit paraître un personnage assez bien vêtu tenant à la main une épée nue ; deux hommes du peuple armés de haches et de pistolets, paraissaient être ses satellites. Tout à coup, il agite son épée, d'un air furieux, en s'écriant à diverses fois : «Vengeons nos frères.»

«Les deux hommes de sa suite brandissaient leurs haches et paraissaient disposés à frapper. Alors un des vénérables prêtres de la maison de Saint-François de Sales tombe à genoux, fait le sacrifice de sa vie, et tend le cou à la hache qui le menaçait ; mais le moment n'était point arrivé ; la couronne lui fut différée de quelques jours. On ne voulait, sans doute, qu'effrayer pour le moment. On ne réussit point (4).

«Sur les six heures du soir, le commandant donne l'ordre du départ. On lui représente qu'il y a des vieillards et des infirmes pour qui le voyage sera bien pénible. «Je vais, dit-il, dépêcher quelques soldats pour faire rendre quelques carrosses de place que l'on prendra sur la route.» On part avec promesse qui ne se réalisa pas. Où nous conduisait-on ? Les uns pensaient que c'était à la section du Luxembourg, d'autres à l'hôtel de ville ; et dans ce dernier cas, quelle fatigue pour les infirmes, quel danger pour tous ! Le peuple déchaîné contre ceux qu'il vénérait encore il y a quelque mois, ne viendrait-il pas les arracher à la faible escorte qui les protège, les immoler à sa fureur, avant qu'ils aient pu atteindre l'hôtel de ville ? On se communiquait ces tristes réflexions et l'on attendait l'événement. Les habitants d'Issy ne firent éclater à notre départ aucun sentiment de joie ou de tristesse ; la politique leur interdisait cette dernière démonstration.

«Les jeunes gens qui vinrent nous arrêter, reprend Gaston de Forcade, étaient des jeunes gens de l'université de Rennes. Nous fîmes connaissance avec eux. Nous les avions calmés ; aussi ils nous protégeaient contre la populace de Paris qui nous aurait égorgés sans pitié. On nous fit partir à l'entrée de la nuit au nombre de quarante ; plus de la moitié des personnes arrêtées étaient étrangères au séminaire. Arrivés à la Croix-Rouge, notre escorte avait toutes les peines du monde à nous préserver de la fureur du peuple ; prévenue que si elle nous conduisait à l'hôtel de ville, comme c'était son projet, nous serions massacrés, elle nous mena à la section la plus voisine qui se réunissait dans une des salles du séminaire. La section délibéra que nous serions conduits aux Carmes.» Ce qui fut fait, nous l'avons vu.

«Le souper était à peine achevé que des commissaires envoyés par la section du Luxembourg, enjoignent aux ecclésiastiques qui ne sont point dans les ordres de le déclarer avec serment. Cet ordre exécuté, on leur assigna une salle haute où les Carmes tenaient ordinairement leur chapitre ; deux paillasses envoyées par les frères furent attribuées aux quatre plus faibles, les autres se placèrent sur les bancs qui régnaient autour de la salle ou sur le plancher. De tristes réflexions éloignèrent le sommeil. Pourquoi cette séparation ? On veut sans doute nous rendre la liberté ; mais sera-t-elle pour nous un bien ?... Désormais nous serons environnés de ces ennemis de Dieu qui ne poursuivent avec tant d'acharnement ses ministres, que pour anéantir son culte, si cela était en leur pouvoir. Ils s'efforceront d'ébranler notre foi ; saurons-nous résister constamment ? Qu'il nous serait avantageux de partager le sort de nos guides, de nos pères qui s'attendent à mourir pour la foi ! Un sort si glorieux ne nous est point réservé ; nos infidélités nous en rendent indignes.

«La nuit parut fort longue : le lendemain vers les huit heures arrivent deux commissaires chargés d'interroger chacun de nous en particulier, et de dresser procès-verbal de nos réponses. Il est à croire que des personnes bien intentionnées se glissaient parmi les révolutionnaires et parvenaient à gagner leur confiance pour rendre des services et même sauver des victimes ; la conduite de nos deux commissaires nous autorise à le penser. Ils se montrèrent doux, honnêtes, et laissèrent même échapper quelques marques d'intérêt ; il fut aisé de voir qu'ils cherchaient plutôt à favoriser qu'à nuire. Toutefois ils se trouvaient dans l'obligation d'adresser quelques demandes propres à embarrasser le répondant, ou à obtenir des aveux qui l'auraient compromis. Ils faisaient alors deux questions de suite, et la dernière n'était jamais embarrassante : il suffisait d'y répondre. En voici un exemple : Un des élèves eut à répondre à cette double question : «Étiez-vous en correspondance avec quelque émigré ?» et de suite avant toute réponse : «Avez-vous écrit contre le gouvernement actuel ?» L'élève ne répondit qu'à la dernière question. On eut toute facilité de revoir ses dires, de les expliquer. Un jeune Parisien, nommé Nézel (5), fut retenu d'après ses dires. Il était professeur dans un établissement nouveau connu sous le nom de communauté des clercs de Saint-Sulpice. Le commissaire lui adressa cette question obligée : «Avez-vous enseigné les droits de l'homme ?» Il aurait pu répondre que l'âge de ses élèves ne leur permettait pas de saisir une telle instruction ; mais comme il ne redoutait rien tant que de retourner dans sa famille, qui l'avait souvent sollicité de communiquer avec l'intrus de sa paroisse, il répondit que, loin d'avoir enseigné les droits de l'homme, il n'avait pas même cherché à les connaître. On lui représenta que cette réponse le ferait demeurer aux Carmes. C'était son désir. Il ne voulut rien changer à ses dires, et fut, quelques heures après, réuni à ceux qui se trouvaient dans les ordres. Il partagea leur sort et leur gloire.

«Sur les quatre heures du soir, un commissaire vint annoncer aux élèves qu'ils étaient libres, et pouvaient sortir des Carmes à l'instant même. M. Nézel était seul excepté. Il fut de suite réintégré dans l'église des Carmes avec ceux qu'on ne voulait point élargir. En quittant cette maison, il ne nous fut point permis de faire nos adieux aux prêtres détenus.

«Nous sortions, et l'un des élèves, le seul qui fut en soutane, allait franchir le seuil de la porte sans songer au danger auquel il s'exposerait en sortant dans les rues avec un costume proscrit depuis deux mois. Le commissaire pria un officier de la garde nationale d'escorter ce jeune homme et de lui donner le bras. Sous cette égide, l'élève¹ se rendit au séminaire sans éprouver le moindre désagrément [¹ c'est-à-dire le futur Abbé de Meschinet].

«Quoique la persécution ne s'étendît encore que sur le clergé, un grand nombre de personnes se hâtaient de sortir de Paris. Toutes les places se trouvaient arrêtées aux diligences pour plusieurs jours ; les élèves furent donc obligés de se réfugier au séminaire ; un petit nombre seulement chez des parents ou des amis bien dévoués, et tous, à peu près, se trouvaient dans la capitale au 2 septembre, époque du massacre (6).

«A la difficulté de trouver des places dans les diligences, se joignait celle des passeports qui devaient être revêtus de différentes formalités. Ce fut vers le milieu de septembre que, dispersés par la tempête, nous quittâmes avec regret un asile qui nous était bien cher.»

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Charles-Abraham Richard, saintongeais, comme Meschinet, fut, comme lui, logé à Saint-Sulpice. Le 2 septembre s'y passa dans les angoisses les plus vives. Le 3, on vint prévenir Émery qu'à la section du Luxembourg, tout près de lui, s'agitait la question de faire prêter le serment à tous les prêtres enfermés au séminaire et de procéder comme aux Carmes, s'ils refusaient. Le supérieur frémit à la pensée du péril qui menaçait les directeurs et les séminaristes. Il les assembla : «Messieurs, leur dit-il, nous n'avons que quelques moments à vivre. Que ceux qui auraient besoin de se confesser le fassent sans délai. Après, cela mettons-nous en prière, et faisons à Dieu le sacrifice de notre vie.» Au bout de deux heures d'angoisses inexprimables, on frappe ; c'était l'annonce de la délivrance. Le comité, eu égard au patriotisme d'Émery, qui l'avait logé, chauffé, éclairé, rafraîchi, avait résolu de le laisser provisoirement tranquille, lui et les ecclésiastiques du séminaire.

Richard put enfin trouver une place à la diligence. Il arriva à Senlis, chez son grand-oncle, Louis Baudoin de Dournon, receveur des fermes du roi ; puis il revint à Saintes, où, le 18 novembre 1801, il épousa Marthe Dières de Monplaisir, fille de Georges et de Françoise-Perpétue de Bonnegens des Hermitans. Il y mourut, le 26 octobre 1844 (7).

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Un autre prêtre, curé dans le diocèse de Saintes, qui échappa aux massacres, est l'abbé André Auzuret, que trois biographes — les abbés Augustin Barruel (8), Aimé Guillon (9) et Isidore-Bernabé Manseau (10) — font victime des Septembriseurs. André Auzuret, né à Niort le 17 novembre 1755, prêtre en 1780, vicaire à Niort, s'était acquis une telle réputation qu'en 1789, il fut appelé à prononcer les panégyrique de saint Pierre dans la cathédrale de Saintes. Pierre-Louis de La Rochefoucauld fut si frappé de ses qualités, qu'il le nomma curé d'Usseau, archiprêtré de Mauzé, où il refusa le serment. «Jeune encore, dit l'abbé Guillon, il avait toute la fermeté évangélique des prêtres consommés dans le sacerdoce. Dans cet état de proscription, il jugea convenable de venir se réfugier à Paris, près de son évêque qui lui avait donné l'exemple d'une semblable constance dans la foi.» Il partit avec Jean Goizet, curé de Notre-Dame de Niort, Jean-Philippe Marchand et Pierre Landry, vicaires de Notre-Dame de Niort, qui tous trois périrent aux Carmes (11). Dénoncés par le charpentier Nigot, leur guide, qui mourut fou de douleur et de remords, il fut avec ses compagnons arrêté dans les jours qui suivirent la catastrophe horrible du 10 août 1792 (12) ; il fut conduit au comité de la section du Luxembourg pour y voir encore éprouver sa foi au milieu des plus imminents dangers, par la proposition de faire le serment civique, lequel comprenait celui qu'il avait déjà refusé. Un nouveau refus de sa part, fait avec plus de courage encore que le précédent, lui valut d'être condamné à être emprisonné avec d'autres généreux confesseurs de Jésus-Christ, dans l'église des Carmes. Il s'y fit remarquer surtout par l'empressement qu'il mettait à venir au devant de ceux qui arrivaient après lui et à leur rendre tous les soins de la plus touchante charité. Agile et jeune, le 2 septembre, il put escalader un mur de clôture et tomba dans le jardin d'une habitation occupée par d'honnêtes et vertueuses femmes. S'exposant elle-mêmes à la mort, elles cachèrent le fugitif, et à la faveur d'un déguisement il put s'échapper (13). «La ville de Saint-Maixent, dit le vicomte de Lastic Saint-Jal, se souvient encore avec attendrissement et respect de ce pieux et vénérable vieillard qui y exerça avec amour et ferveur son ministère depuis sa rentrée jusqu'à son décès.»

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Aux Nouillers, commune du canton de Saint-Savinien, voisine de celle de Torxé, où mourut l'évêque constitutionnel de Saintes, et sur le territoire de laquelle s'élève le château de Bois-Charmant que faillit habiter Pierre-Louis de La Rochefoucauld, j'ai foulé dans le cimetière une modeste tombe sur laquelle on lit :

«Jean-Joseph Jouneau, ancien député, chevalier de Saint-Louis et maire de cette commune, décédé le 25 janvier 1837 âgé de 81 ans» (14).

Or, Jean-Joseph Jouneau, né aux Dauvres, commune de Barret près de Barbezieux, en 1756, mort sur son domaine des Razes, en la paroisse des Nouillers (1837), lieutenant de gendarmerie dans l'île de Ré, administrateur du département de la Charente-Inférieure (1790), député à l'Assemblée législative le 20 août 1791, fut presque une victime des Septembriseurs. Le 14 juin 1792, à propos de l'amnistie de Jourdan-Coupe-tête, Jouneau, qui siégeait au côté droit, eut avec Grangeneuve, son collègue, une altercation suivie d'une provocation en duel refusée par le député de la Gironde, et terminée par des coups de canne. Pour ces voies de fait Jouneau fut poursuivi devant les tribunaux. Mais il faillait l'autorisation de l'Assemblée, qui fut accordée le 10 août. Jouneau fut incarcéré à l'abbaye de Saint-Germain. Ce fut miracle s'il échappa. Il put faire passer à son collègue, Jean-Aimé Delacoste, de La Rochelle, député de la Charente-Inférieure, ce billet daté du Lundi midi : Mon cher collègue, ce brave canonnier qui vous remettra cette lette m'a dit que, si j'étais réclamé de l'Assemblée nationale, je ne courrais pas le moindre risque dans le moment actuel. Faites tout de suite ce que votre prudence et votre amitié vous engageront. J'attends tout de votre zèle et de la sagesse de l'Assemblée nationale (15).» Et l'Assemblée porta le décret demandé. Elle n'ignorait donc pas le danger que couraient les prisonniers et ce qui se passait ! Fauchet, du reste, lui annonçait au même moment «que 200 prêtres viennent d'être égorgés dans l'église des Carmes». Jouneau, délivré, arrive à la barre, accompagné d'une douzaine de citoyens : «Avec votre décret sur la poitrine, dit-il, je suis sorti de ma prison au milieu des acclamations du peuple. Ces braves citoyens m'ont accompagné avec le plus grand empressement. Leur zèle atteste le respect qu'on a partout pour vos décrets.» Le député flattait un peu l'Assemblée ; mais il lui indiquait son devoir.

Il n'avait, semble-t-il, évité les piques de la bande de Maillard que pour tomber sous les coups des habitants de Rochefort, qui le dénoncèrent comme incivique. Ils ne purent toutefois que le faire destituer par le ministre de la Guerre de son grade de lieutenant-colonel de la gendarmerie (16).

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Un qui périt certainement c'est Charles-Jérémie Béraud du Pérou, dont tous les écrivains, sauf l'abbé Barruel, ont fait Duperron. Convoqué à l'assemblée de Saintes pour les États généraux de 1789 pour son fief d'Auvignac en la paroisse de Montils, il se fit représenter par son frère, François Béraud, seigneur de Montils, de La Ferrière et en partie du Pérou, dit le chevalier Béraud du Pérou (17), qui était aussi fondé de pouvoirs de sa sœur Marie-Catherine, décédée à Versailles en 1794, et de son frère aîné, Joseph-Ignace Béraud du Pérou, seigneur en partie du Pérou, d'Orville, d'Auvignac et de Jarlac, sous-aide major des armées navales à Rochefort, enseigne de vaisseau.

Charles-Jérémie Béraud du Pérou, fils de Joseph Béraud, écuyer, seigneur du Pérou en la paroisse de Meursac et de Catherine Huon (18), était, à ce qu'on croit, prêtre de la congrégation des Eudistes à Paris (19), dont le supérieur alors François-Louis Hébert, coadjuteur du supérieur général, et confesseur de Louis XVI, depuis que le curé de Saint-Eustache, Jean-Jacques Poupart, avait prête le serment constitutionnel ; c'est du moins chez eux et avec eux qu'il fut arrêté et conduit à la section du Luxembourg après le 10 août ; «Digne coopérateur du vénérable supérieur de cette communauté, dit l'abbé Guillon (20), par sa vie exemplaire et par son zèle pour la foi, il méritait comme lui d'en être récompensé par la gloire du martyre.»

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Aux Carmes tomba aussi Pierre-Michel Guérin, sulpicien, né à La Rochelle, le 8 mars 1759. Sa mère était une marchande de fruits. Veuve, elle trouva moyen, par son activité et son économie, d'élever son fils. Doux, sage, modeste, l'enfant fixa l'attention de Legrix, vicaire de Saint-Sauveur de La Rochelle, à qu'il servait la messe (21). Legrix lui donna les premières leçons de latin, puis lui fit achever ses études. Il entra au séminaire d'Angers le 3 novembre 1779. Il fut ensuite professeur, puis économe à Nantes jusqu'en 1791, époque à laquelle il quitta le séminaire de cette ville et vint à La Rochelle. Après quelques mois, il partit pour Paris et se cacha à Issy (22). C'est de là qu'il fut amené aux Carmes, le 15 août 1792, avec Charles-Abraham Richard et François de Meschinet. Il fut la première victime, comme l'affirme cette inscription gravée sur une petite colonne élevé dans le jardin où il tomba disant son bréviaire :

ICI
A ÉTÉ TUÉ
L. GUÉRIN
PRÊTRE
Ière VICTIME
DU MASSACRE
DES CARMES
LE DIMANCHE
2 SEPTEMBRE
1792

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Le lendemain du jour où avait eu lieu la boucherie des Carmes et pendant que le 3, le 4, le 5 et même le 6, on massacrait encore à l'Abbaye, à la Force, au Châtelet, à la Conciergerie ; pendant qu'à la tour Saint-Bernard, près du pont de la Tournelle, on égorgeait froidement soixante-douze individus condamnés aux galères ; qu'à Bicêtre on assommait à coups de bûches quarante-trois jeunes enfants du peuple, dont le plus âgé avait 17 ans, «plus difficile à achever que les hommes faits», dit un témoin oculaire : «Vous comprenez, à cet âge la vie tient si bien» ; qu'à la Salpêtrière on violait et on tuait trente-cinq malheureuses femmes ou filles ; que l'autorité restait inerte et laissait faire la commune ; que l'Assemblée législative détournait ses regards et ne s'occupait de rien, sauf de porter pour l'abbé Sicard un décret qui fut retenu longtemps par la commune ; la Commune de Paris, elle, «se hâte d'informer ses frères de tous les départements qu'une partie des conspirateurs féroces détenus dans les prisons a été mise à mort par le peuple au moment où il allait marcher à l'ennemi, et sans doute la nation entière, après la longue suite de trahisons qui l'ont conduite aux bords de l'abîme, s'empressera d'adopter ce moyen si nécessaire de salut public... »

C'est le ministre de la Justice, Danton, qui envoyait partout cette approbation au crime, et qui excitait les provinces à imiter Paris. On sait si Reims, les 2 et 3 ; Meaux, le 4, eurent besoin de cet ordre, et comment Lyon, le 9, Versailles, les 8 et 9, Caen le 12, Gisors le 14, Orléans les 16 et 17, fêtèrent la glorieuse octave du 2 septembre.

Mais les cadavres accumulés ne pouvaient demeurer là. Les morts, en viciant l'air, auraient promptement eu raison des vivants. D'ailleurs, il n'était pas bon de laisser exposés ces corps mutilés. La pitié pouvait se réveiller et amener une réaction dangereuse. On songea à les enterrer. D'abord on les dépouilla. Les 3, dès le matin, sur l'ordre de la section du Luxembourg, Daubanel, son secrétaire, se transporta aux Carmes. Les corps gisant près de la chapelle furent rassemblés sous un if qui s'élevait près du bâtiment. Les ouvriers voulurent s'approprier les vêtements et ce qu'ils contenaient. Il fallut un arrêté de la section pour les empêcher de s'attribuer plus d'un habit à chacun. Le reste devait être distribué aux pauvres. Dans l'après-midi le comité décida que les dépouilles, attendu l'état de délabrement où elles se trouvaient, ne pouvant être que d'un rapport très modique, seraient données aux personnes qui avaient déshabillé les défunts. Quant aux objets qui leur avaient appartenu, les commissaires chargés de les recueillir apportèrent, le 10, dix-sept paquets estimés 30846 livres, 6 sols, 6 deniers. De plus Daubanel déclara avoir 2884 livres dont 31 louis d'or trouvés dans le dos de la soutane d'un ecclésiastiques et le reste en assignats. Parmi les objets étaient quarante montres en or, dont quatre à répétition et une enrichie de diamants, quatorze en argent et une en galuchat. On ignore ce que devinrent ces valeurs. Furent-elles rendues aux familles ? Passèrent-elles dans les caisses de l'État et servirent-elles à payer les Marseillais ? Des faits postérieurs il résulterait que Daubanel en resta nanti, de connivence avec Ceyrat. Tous deux furent plusieurs fois sommés d'en rendre compte, jamais on ne le put obtenir d'eux.

Les cadavres dépouillés, on amena deux grands chariots dans le jardin du couvent ; on les y jeta ; mais ils ne purent contenir les 120 cadavres ; aussi ne chargea-t-on que les plus près des bâtiments, la moitié environ. Quant aux autres, quant à ceux qui étaient épars dans le jardin, on les précipita tout simplement au fond d'un puits qui se trouvait dans un grand carré. La tradition avait conservé le souvenir de cet ensevelissement. Cependant des recherches faites dans les allées avait constaté l'absence de tout puits, et l'on en était venu à regarder la légende comme fabuleuse. Le procès-verbal même du commissaire attestant l'inhumation à Vaugirard de cent vingt prêtres semblait en prouver authentiquement la fausseté. Mais la découverte récente du fameux puits a montré qu'elle était vraie et les objets trouvés avec une soixantaine de corps, plaques civiques, armes, boutons d'uniformes n'ont plus laissé le moindre doute. Daubanel, pour ne pas raconter cette sépulture dans un puits, s'était contenté de dire tous les martyrs inhumés au même endroit.

Ainsi s'en alla une partie des victimes. Mgr de La Rochefoucauld était du nombre : car il avait été massacré près de la chapelle, un des derniers, et son corps devait se trouver très rapproché des bâtiments. «Le 3, écrit Maton de La Varenne, on voyait déjà Paris traversé en tous sens par des charrettes chargées de cadavres. Angélique Voyer et d'autres bacchantes, montées sur ces voitures, comme des blanchisseuses sur du linge sale, dansaient sur les corps mutilés, en criant : Vive la nation ! battaient la mesure sur les parties dont la nudité était la plus apparente, et portaient attachés à leur sein des lambeaux que la pudeur ne permet pas de nommer (23).»

Les chariotes funèbres des Carmes se dirigèrent vers le cimetière de Vaugirard, en dehors de l'ancienne carrière, à droite, et touchant au chemin de ronde. L'emplacement, dit M. Alexandre Sorel, à qui l'on doit la découverte du lieu où furent ensevelis les massacrés des Carmes, et à qui nous empruntons ces détails, l'emplacement enclos de murs existe encore, et ce n'est que depuis quelques mois seulement qu'on a enlevé les débris funéraires qui y étaient restés. En face de la petite porte du milieu qui donnait sur un marais voisin, une large fosse ouverte attendait. On y jeta les cadavres, qu'on recouvrit d'un peu de chaux. «Daubanel, secrétaire nommé pour procéder à l'inhumation des personnes qui ont subi hier la juste vengeance du peuple,» alla à la section faire «rapport de sa mission et annonça que cent vingt personnes avaient été enterrées, ce matin, dans le cimetière de Vaugirard.»

Tout était dit. L'évêque de Saintes reposait dans la fosse commune ; mais il y avait en compagnie des ses co-martyrs et de son frère. Une inscription fut placée dans la chapelle du fond du jardin, à gauche de l'autel. La plaque de marbre unissait dans la même épitaphe les deux frères qui n'avaient pu être séparés par la mort. Elle est maintenant dans l'escalier qui conduit au jardin :

D.O.M.
ILLUSTRISSIMIS ET REVERENDISSIMUS
PETRO-LUDOVICO DE LA ROCHEFOUCAULD
EPISCOPO SANTONNENSI
ET
FRANCISO-JOSEPHO DE LA ROCHEFOUCAULD
EPISCO BELLOVACENSI
HIC PRO FIDE CATHOLICA NECATIS
DIE SECUNDA SEPTEMBRIS
AN. MDCCXCII.

La chapelle est tombée sous la pioche des démolisseurs pour laisser passer la rue de Rennes. Sous la Terreur, ce jardin, teint du sang des martyrs, était devenu un bal champêtre. C'est maintenant une voie publique.

La crypte de l'église des Carmes qui conserve pieusement toutes les reliques de ces martyrs, y compris les taches de sang qui ont marqué les murs et le pavé, rappelle les noms des deux frères et de l'archevêque d'Arles.

ILLUSTRISSIMIS ET REVERENDISSIMUS
D. D.
JOANNES-MARIA
DU LAU
ARCHIEPISCOPO ARELANTENSIS
NATUS IN DIŒCESI PETROCORENSI XXXI OCTOBRIS
MDCCXXXV
INUNCTUS I OCTOBRIS MDCCLXXV

La second contient quelques erreurs de date qu'il serait à propos de rectifier (24) :

ILLUSTRISSIMIS ET REVERENDISSIMUS
D. D.
FRANCISCUS JOSEPHUS
DE LA ROCHEFOUCAULD MAUMONT
EPISCUS BELLOVACENSIS
NATUS ENGOLISMÆ VII AUGUSTI MDCCXXXV
INUNCTUS XXII JUNI MDCCLXXII.

L'extrait suivant du registre des baptêmes de la paroisse Saint-Jean d'Angoulême ne laisse aucun doute sur la date de la naissance :

«Le 29 février 1736, a été baptisé messire François-Joseph de La Rochefoucauld, né du jour précédent, fils légitime de messire Jean de La Rochefoucauld, chevalier, seigneur de Maumont, Maignac, Barrot, etc, et de dame Marie-Marguerite Decescaud. Ont été parrains Mre François-Anne de La Rochefoucauld, frère du dit baptisé, et demoiselle Marie de Clairevaud, marraine ; le dit baptême fait par les soussignés.

JEAN DE LA ROCHEFOUCAULD. F. VERGNAUD. SAUVO, chanoine et archiprêtre.»

L'acte de baptême de Pierre-Louis, publié vers la fin du chapitre 1, prouve aussi que la naissance est du 12 octobre.

ILLUSTRISSIMIS ET REVERENDISSIMUS
D. D.
PETRUS-LUDOVICUS
DE LA ROCHEFOUCAULD BAYERS
EPISCOPUS SANCTONENSIS
NATUS IN DIŒCESI PETROCORENSI XIII OCTOBRIS
MDCCXLIV
INUNCTUS VI JANUARII MDCCLXXXII

Dans le diocèse que Pierre-Louis évangélisa on trouve quelques traces de son passage. Nous avons cité l'inscription de Crazannes (25).

Au mois de juillet 1869, le Bulletin religieux de La Rochelle du 31 annonçait la formation à Saintes, sous la présidence honoraire de l'évêque, la présidence de l'archiprêtre, la vice-présidence du maire, d'un comité chargé d'ériger, dans la cathédrale de Saint-Pierre, un monument à Mgr Pierre-Louis de La Rochefoucauld «cette douce victime de l'amitié fraternelle et de la charité du Christ (26)». Le projet n'a pas eu de suite.

Le 25 juin 1892, l'archiprêtre de Saintes, M. Henri Valleau, aujourd'hui évêque de Quimper, a fait encastrer dans un mur de la cathédrale, un médaillon de marbre, œuvre de M. Morat, sculpteur à Bordeaux, représentant l'évêque-martyr en buste ; au-dessous est cette inscription que j'ai reproduite photographiquement plus haut (27).

En 1886, M. l'abbé Boursaud, curé d'Ecurat, grâce à la libéralité de quelques-uns de ses paroissiens et du maire de la commune, M. le baron Amédée Oudet, a fait placer dans l'église un vitrail, peint par M. Dagrand, verrier à Bordeaux, et représentant la Vierge de Lourdes. Au bas est en médaillon le portrait de La Rochefoucauld, d'après le tableau du château de Verteuil.

Et c'est tout.

_____________________________________

[Notes de bas de page.]

1.  Le même fait avait lieu à la Force pour la princesse de Lamballe avec un raffinement encore plus grand de barbarie et d'obscénité ; [on dit que sa tête, détachée sur une pique, fut montrée à la fenêtre de son amie intime, la reine Marie Antoinette, alors prisonnière au Temple].

2.  François-Alexis de Meschinet, né à Saint-Jean d'Angély le 10 mai 1742, fils d'un lieutenant au régiment de Beaujolais, après ses premières études chez les Bénédictines de sa ville natale, était allé les achever au collège de Navarre à Paris. Dès 1787, il était titulaire de la chapelle des Aubert à Marennes. En 1790, il entrait au séminaire de Saint-Sulpice, temps singulièrement choisi pour se préparer au ministère sacerdotal. Il a écrit une Relation de ce qui s'est passé à la campagne du séminaire de Saint-Sulpice et dans la prison des Carmes pendant les journées des 15 et 16 août 1792, manuscrit dont l'abbé Briand a donné des extraits, Histoire de l'Église santone et aunisienne depuis son origine jusqu'à nos jours (La Rochelle, Boutut, 1843 ; tome III, p. 45). Pierre-Damien Rainguet, Biographie saintongeaise (Saintes, Niox, 1851), dit de lui : «Homme d'esprit et de science, profond théologien, poète distingué, rempli de cette sensibilité touchante qui s'épure au contact de la charité chrétienne, cet ecclésiastique est mort regretté de ses concitoyens, surtout des pauvres qu'il avait tant de fois aidés et consolés. Il a laissé plusieurs pièces de vers latins et français, quelques chansons populaires écrites en patois et où brillent une finesse et une originalité de pensées et d'expressions singulières.» On connaît celle du conscrit,

«J'avais nesseut en mon village ;
«De mon père j'étis le fils ;
«O m'était bien encore avis
«Que j'étis quasiment dans l'âge...

presque aussi répandue que celle de son neveu, l'abbé de Meschinet, sur la visite d'un paysan saintongeais au petit séminaire de Montlieu :

«Pusque je ne sons pas malade,
«Demain matin, si o fait bias,
«Mon feil, tu prendras ton chapias,
«Thieu que tu mets pre la ballade...»

Ordonné prêtre en 1806, par Gabriel-Laurent Paillou, évêque de La Rochelle (1804-1826), François de Meschinet, débile, ne pouvant marcher qu'avec peine, se consacra aux pauvres, raconte Hippolyte d'Aussy, Chroniques saintongeaises et aunisiennes,... (Saintes, Pathouot, 1857 ; p. 580), avec des appointements de 72 francs par an, la nourriture et le logement. Il mourut dans sa ville natale le 24 janvier 1848.

3.  Alexandre Sorel, Le couvent des Carmes pendant la Terreur (Paris, Didien, 1863 ; p. 63).

4.  «Une douce sérénité se faisait remarquer sur les visages des prêtres et des élèves ; tous éprouvaient de la satisfaction à souffrir quelque chose pour la foi ; tous s'étaient nourris le matin du pain des forts, et ils en ressentaient dans le moment les merveilleux effets. Tous comptaient sur la protection de la sainte Vierge qu'ils avaient priée avec ferveur. Animés d'une foi vive, la perspective d'une mort prochaine n'avait rien d'effrayant pour eux. Après leur inutile démonstration de fureur, les terroristes se retirent. Le commandant, qui avait vu son autorité méconnue par ces trois hommes et qui dans les recherches faites au séminaire n'avaient rien trouvé qu'il pût déférer aux frères et amis, devint tout à coup modéré et complaisant, au point de promettre que le supérieur et un vieillard de soixante-treize ans demeurassent au séminaire ; il nous y reconduit à la tête de sa troupe. Chacun obtient la permission d'aller prendre dans la chambre ce qu'il juge à propos. Ceux qui avaient fait provision d'habits laïques, ont soin de s'en revêtir.»

5.  Auguste Nézel, clerc tonsuré, était professeur d'humanités à Issy ; un sous-diacre selon M. Octave Boistel d'Exauvillez, Vie de Mgr de Quélen, archevêque de Paris (Paris, Bureau de la Société de Saint-Nicolas, 1840). L'abbé Guillon, Les Martyrs de la foi pendant la révolution française,... (Paris, Mathiot, 1821 ; tome IV, 138), dit : «qu'il avait fait ses études au célèbre collège de Sainte-Barbe, et qu'il était nouvellement élevé à la prêtrise.» Nézel n'était point dans les ordres.

6.  Voici les noms de quelques-uns de ces élèves : De Houdet d'Auzers ; Blanquet de Rouville ; de Forcade, de Marmande¹ ; de La Gardiole, de Nimes ; du Teste, d'Avignon ; de Montant, de Nérac ; Courtade, de Saint-Chély ; Martin, de Castelnaudary ; Fauché, de Bordeaux² ; de Montfleury, de Caen, prêtre du séminaire de Saint-Sulpice, qui se sauva pendant le massacre ; de Ravinelli, de Bellac ; Louis de Muret, de Limoges ; Antoine-Jean Clémenceau, âgé de 23 ans, né à Vannes, étudiant en droit, rue de Paon ; Henri de Solminihac, de Bordeaux, âgé de 17 ans, demeurant en hôtel garni. [¹ Gaston-Jean-Baptise de Forcade, né à Marmande le 8 avril 1773 ; ² Jean Fouché, né à Bordeaux le 10 février 1770.]

7.  Charles-Abraham Richard, né à Saintes le 16 mars 1772, avait entre autres sœurs ou frères : François, né le 9 juin 1765 ; Jean-Baptiste, né le 11 juin 1766 ; Gabriel, né à Saintes le 15 octobre 1767 ; Élizabeth-Catherine, née le 23 novembre 1768, qui épousa M. de Meschinet ; Marie-Geneviève, née le 2 novembre 1770, morte la même année. Son père François Richard, qui avait été écrivain de la marine au port de Rochefort, avait épousé à Saintes, Marie-Élizabeth-Geneviève Bossuet. Gabriel Richard, élève du collège de Saintes, du séminaire d'Angers en 1784, maître ès arts en 1786, sulpicien en 1790, prêtre en 1791, missionnaire chez les Illinois en 1792, supérieur de la mission au Michigan en 1798, vicaire général de l'évêque de Cincinnati, curé de Sainte-Anne au Detroit (États-Unis), est mort le 13 septembre 1832, victime de sa charité en soignant les cholériques. Sa vie a été écrite par Pierre Guérin, vicaire à Saint-Jean d'Angély, décédé curé de Surgères. C'est lui qui, à l'époque où les professeurs du collège de Saintes furent dépossédés pour refus de serment, avait appelé d'Issy et confié à l'abbé Dubourg, qui venait d'y établir une pension, son plus jeune frère Charles-Abraham, que ses parents ne voulaient pas laisser aux assermentés. Un fils de Charles-Abraham, Joseph Richard, embrassa la carrière ecclésiastique, fut professeur au séminaire de Saint-Jean d'Angély, et décéda prématurément le 18 mai 1846, aumônier des dames de Chavagnes.

8.  L'abbé Barruel, Histoire du clergé français pendant la révolution française (Londres, Debrett, 1793).

9.  L'abbé Guillon, Les Martyrs de la foi... (tome II, p. 102).

10. L'abbé Isidore-Bernabé Manseau, Les prêtres et religieux déportés sur les côtes et dans les îles de la Charente-Inférieure (Bruges, Desclée de Brouwer, 1886).

11. Voir Alexandre Sorel, Le couvent des Carmes pendant la Terreur (Paris, Didien, 1863), p. 147, déclaration de Jacques Hennechart, tenant l'hôtel garni de Provence, rue des Fossoyeurs, n° 1072, qui constate que, «la nuit du 2 au 3 septembre, six particuliers, se disant commissaires de la section, ont forcé une commode dans la chambre occupée par l'abbé Landy et autres, et y ont pris 366 fr.» Le vol après l'assassinat.

12. Vicomte de Lastic Saint-Jal, L'Église et la Révolution à Niort et dans les Deux-Sèvres (Niort, Clouzot, 1850 ; p. 97).

13. L'abbé Jarlit, Bulletin de la société des Archives historiques de Saintonge (VIII, 461), a raconté les péripéties émouvantes de cette existence. Grâce à un sauf-conduit du général Dumouriez, André Auzuret put passer en Hollande. Il vint à Paris où il travaille dans une imprimerie, fut arrêté plusieurs fois, exerça secrètement le culte à Saint-Maixent, dont il fut curé jusqu'à sa mort, le 27 janvier 1834.

14. À côté deux autres tombes : «Jules-Pascal Jouneau, sous-officier, décédé le 8 janvier à 28 ans», et «Henri-Adam Jouneau, ancien officier de l'administration de la marine, chevalier de la Légion d'honneur, décédé le 17 novembre 1840, âgé de 61 ans». Pour les Jouneau, voir Revue de Saintonge (XIV, 106), où il est dit qu'il eut quatre enfants de son mariage avec Mlle Franquiny de Feu. Il épousa à Saintes, le 8 juillet 1793, Marie-Anne-Henriette d'Abbadie, âgée de 30 ans, née à La Rochelle le 9 janvier 1763, de Joseph-Blaise-Pascal d'Abbadie et de Marie-Madeleine-Arrangée Dusmesnil Roland, divorcée d'avec Paul-Charles Dubreuil de Théon de Chateaubardon, comte de Guitaut, ancien officier au régiment de Jarnac dragons, dont elle avait trois enfants.

15. Louis Mortimer-Ternaux, Histoire de la Terreur (Paris, Calamann-Lévy, 1862-1886 ; tome III, p. 260).

16. Eugène Eschassériaux, Les Assemblées électorales de la Charente-Inférieure, 1790-1799 (Niort, Clouzot, 1868 ; p. 322).

17. François Béraud épousa, le 5 octobre 1767, en l'église de Saint-Vivien de Saintes, Jeanne-Victoire d'Aulnis de Chézac, née le 29 mai 1739, fille de feu Louis d'Aulnis, écuyer, seigneur du Vignaud, et de dame Marie-Jeanne-Berthomée Pissonnet de Bellefons. Jeanne-Victoire avait pour sœurs : 1°, Anne-Madeleine, née le 26 juillet 1735, mariée le 29 novembre 1763 à Joseph-Ignace Béraud du Pérou, son beau-frère ; 2°, Marie, qui épousa, le 19 novembre 1768, Jean Bernard de Montsanson ; 3°, Marie-Jeanne, femme en premières noces de Claude Béraud du Pérou et puis, le 21 février 1764, de Charles-Honoré d'Hérisson, écuyer, capitaine au régiment de Navarre.

18. Voici un essai de filiation de Charles-Jérémie Béraud du Pérou. Je n'ai pu la faire complète.

I. Nicolas Béraud, frère d'Alexandre Béraud de La Bellerie eut :

II. Nicolas Béraud, conseiller du roi et garde des sceaux en la cour des aides de Guienne, et lieutenant particulier au siège présidial de Saintes, qui est mort en 1692. Il épousa, le 15 avril 1633, Marguerite Aymar, fille de Jacques Aymar, écuyer, sieur du Pérou et du Grand-Lauron, conseiller du roi en ses conseils d'état et privé, et de Renée Urvoy, cousine de Michel Raoul, évêque de Saintes. Elle lui apportait en dot la propriété du Pérou en la paroisse de Meursac, celle de Beaulieu en Saint-Pallais et une maison sise dans la grande rue à Saintes. Ils eurent dix-sept enfants dont six étaient au décès du père. Les autres sont :

1° Marie, femme de N. Huon ; 2°, Angélique, mariée au sieur de Girac ; 3°, Marie-Anne, qui épousa, le 8 janvier 1682, le sieur de la Brégement en Poitou ; 4°, Jeanne, religieuse ; 5°, Marguerite, entrée à l'abbaye de Saintes en mars 1677 ; 6°, N. Béraud de La Bellerie, fils aîné ; 7°, François-Ignace, conseiller en la cour des aides de Guienne, né le 25 septembre 1662 ; 8°, François, religieux jacobin, qui fit profession en 1686 ; 9°, Nicolas, mort le 11 juin 1672 ; 10° Jacques, mort le 9 mai 1674 ; 11°, Joseph, capitaine au régiment de Normandie, tué en Italie l'an 1701, époux de Marie-Madeleine Dejean, dont postérité François-Ignace eut : 1°, Jeanne-François, morte fille ; 2°, Alexandre Béraud, chanoine de Saintes ; et 3°, Joseph Béraud, écuyer, seigneur du Pérou, capitaine d'infanterie dans le régiment de Beauce, mort brigadier des armées du roi, chevalier de Saint-Louis ; il épousa, le 25 septembre 1725, Catherine, fille de Jérémie Huon.

C'est de ce Joseph qu'était fils Charles-Jérémie Béraud, massacré aux Carmes, qui avait pour frères et sœurs :

1° Charles-Alexandre, né le 13 août 1729 ; 2° Jeanne-Françoise, née le 4 octobre 1730 ; 3° Marie-Anne, née le 28 février 1732 ; 4° Jeanne-Sophie, née le 2 juin 1733, morte le 29 septembre 1739 ; 5° Louis, né le 22 octobre 1735 ; 6° Joseph-Ignace qui épousa d'abord Madeleine d'Aulnis, fille de feu Louis d'Aulnis, écuyer, seigneur du Vignaud, Chatelars et Chézac, puis Victoire Beaupoil de Saint-Aulaire ; 7° François, époux de Jeanne-Victoire d'Aulnis ; 8° Marie-Cathérine, décédée à Versailles en 1794 ; 9° Autre Marie-Catherine, mariée à Étienne-Simon de Cursay de Villers, écuyer, seigneur de Saint-André et Boisroche. François Béraud, chevalier, seigneur du Pérou, de Jarlac et Montils, Orville, Auvignac, La Ferrière, garde de la marine le 9 août 1756, capitaine de vaisseau, chevalier de Saint-Louis, mort émigré à Montjoie, duché de Juliers, le 17 décembre 1792, avait, dit Nicolas Viton de Saint-Allais, Nobiliaire universel de France... (Paris, Bachelin-Deflorenne, 1873; tome II), épousé Marie-Justine Bidé de Maurville, fille de Bernard-Hippolyte, vice-amiral.

19. [Note de l'éditeur.  Bien qu'une soixante prêtres se réfugiassent dans la maison des Eudistes, seulement trois furent Eudistes et victimes des Septembriseurs : François-Louis Hébert, coadjuteur du supérior général ; François Lefranc, supérieur du séminaire de Coutances ; et Claude Pottier, supérieur du séminaire de Rouen. Le voue du roi Louis XVI, lorsque il confia au abbé Hébert le 21 juin 1792, inclut le suivant : «Si, par un effet de la bonté infinie de Dieu, je recouvre ma liberté, ma couronne et ma puissance royale, je promets solennellement : 1° De révoquer le plus tôt possible toutes les lois qui me seront indiquées, soit par le pape, soit par quatre évêques choisis parmi les plus vertueux de mon royaume, comme contraires à la pureté et à l'intégrité de la foi, à la discipline et à la juridiction spirituelle de la sainte Église catholique, apostolique, romaine, et notamment la Constitution civile du clergé ; 2° De rétablir sans délai tous les pasteurs légitimes et tous les bénéficiers institués par l'Église, dans les bénéfices dont ils ont été injustement dépouillés par les décrets d'une puissance incompétente, sauf à prendre les moyens canoniques pour supprimer les titres de bénéfices qui sont moins nécessaires, et pour en appliquer les biens et revenus aux besoins de l'Etat...».]

20. L'abbé Guillon, Les Martyrs de la foi... (tome II, p. 186).

21. Claude-Furcy-André Legrix, né dans la paroisse de Saint du Perrot à La Rochelle, le 29 septembre 1745, fut vicaire de Saint-Sauveur en cette ville. En 1781, il fut nommé chanoine de Saint-Pierre de Saintes ; en 1789, titulaire de la chapelle d'Étienne Huré et de celle de Notre-Dame des Seize ou des Guenons en l'église Saint-Michel de Saintes. Après la suppression du chapitre, en 1791, il fut contraint de s'exiler. Pendant dix ans, il souffrit en Espagne, en Allemagne, en Angleterre. De retour en France, il fut nommé doyen du chapitre de La Rochelle et vicaire général du diocèse. Il mourut dans sa ville natale en mai 1818. Son Journal, de janvier 1781 à mars 1791, fut publié en 1867.

22. L'abbé Briand, Histoire de l'Église santone et aunisienne depuis son origine jusqu'à nos jours (La Rochelle, Boutut, 1840-1846), a une autre version qu'il tient de Meschinet : «Guérin, fait prêtre au commencement de la Révolution, exerça quelque temps le saint ministère dans sa ville natale et fut le directeur de sa vertueuse mère. L'abbé Legrix, chanoine de La Rochelle, se proposant de passer en Angleterre, se rendit d'abord à Paris avec l'abbé Guérin, à qui le séjour du séminaire plut tellement, qu'il pria son protecteur de vouloir bien lui permettre de n'aller pas plus loin. Ce qui lui fut accordé. Après environ trois mois d'une vie paisible, il fut appelé au combat du 2 septembre.» Pierre-Damien Rainguet, Biographie saintongeaise, a répété cette légende à laquelle nous avons préféré les dates de Alexandre Sorel, Le couvent des Carmes... (p. 141) ; d'autant que Legrix n'était pas chanoine de La Rochelle, mais de Saintes ; que Guérin n'était pas prêtre à La Rochelle en 1791, et qu'on ne voit pas comment cet ecclésiastique passant par Paris est reçu à Saint-Sulpice où il reste trois mois. Enfin «cette vie paisible» pendant les mois qui virent les journées du 20 juin et du 10 août, est une phrase de fantaisie qui va bien avec le petit roman du fils «directeur de sa vertueuse mère».

23. Maton de La Varenne, Histoire particulière des événements qui ont eu lieu en France, pendant les mois de juin, juillet, d'août et de septembre 1792 et qui ont opéré la chute du trône royal... (Paris, Périsse et Compère, 1806 ; p. 402).

24. [Note de l'éditeur.  Malheureusement, le mot latin inunctus — le participe passé du infinitif inungo - a plusieurs sens corrects, y compris béni, consacré, oint, sacré et solennisé : mais, dans le contexte de l'élévation au épiscopat, ces mots ne sont point synonymes. En France, pendant l'Ancien Régime : d'abord, le roi proposa un ecclésiastique au pape pour un évêché (grosso modo, le roi «nomma») ; puis, si Sa Sainteté bénit (ou solennisa) la proposition, il fit les bulles ; enfin, l'ecclésiastique fut sacré. Or, l'inscription pour Francois-Joseph lit «INUNCTUS XXII JUNI MDCCLXXII» : il fut proposé le 1er juin, béni le 22 juin et sacré le 12 juillet 1772. Et, l'inscription pour Pierre-Louis lit «INUNCTUS VI JANUARII MDCCLXXXII» : il fut proposa le 14 octobre 1781, béni le 10 décembre 1781 et sacré le 6 janvier 1782.]

25. Voir note 21 au chapitre 7.

26. Léon-Benoît-Charles Thomas, évêque de La Rochelle (1867-1883), plus tard archevêque de Rouen et cardinal, Discours prononcé à la bénédiction du pont de Saintes (26 juillet 1879), dans les Œuvres choisies (tome II, p. 465)¹. [¹ Pas en la base de données en ligne de la Bibliothèque nationale de France, sous ce titre, en 2003.]

27. Voir note 32 au chapitre 7.


[Fin du texte de Louis Audiat.]

Photographie du vitrail par Jean Barillet figurant le bienheureux René Nativelle qui porte la maquette de l'ancienne église de Saint-Denis d'Argenteuil, où il fut vicaire de 1778 à 1792 ; au registre inférieur, la scène rappelle son martyre survenu à la prison du couvent des Carmes, à Paris, le 2 septembre 1792. Comme tous les autres martyrs aux Carmes - y compris Jean-Baptiste Nativelle, son frère, Pierre-Louis de La Rochefoucauld et François-Joseph de La Rochefoucauld - il fut béatifié par Sa Sainteté le pape Pie XI le 17 octobre 1926.

Photographie du vitrail de Jean Barille... ; permission de Pierre Nguyen, webmaster du site www.catholique95.com/basilargenteuil



«Deux victimes des Septembriseurs» :
Table des Chapitres ; Lexique

[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]