«HISTOIRE DE L'ABBAYE ROYALE DE SAINT-PIERRE DE JUMIÈGES» ; 3


CHAPITRE 3. — Landric, 7e abbé (vers 787). — Adam, 8e abbé (vers 814). — Hélisacar, 9e abbé (vers 820). — Angilbert, Angésise et Foulques, 10e, 11e et 12e abbés (vers 830). — Ricbodon et Baudri, 13e et 14e abbés (833-836). — Héribert, 15e abbé (vers 837). — Thierry Ier, 16e abbé (vers 840). — Rodolphe, 17e abbé (vers 848). — Gauzlin, 18e abbé (vers 860). — Codine, Louis et Welpon, 19e, 20e et 21e abbés (après 886). — Notes de bas de page.


LANDRIC, SEPTIÈME ABBÉ (787).

Après sa mort [Droctegand, le sixième abbé], dont le temps et le lieu ne nous sont pas connus, les religieux s'assemblèrent pour lui donner un successeur, et choisirent d'une voix unanime Landric, que Charlemagne en 787 nomma commissaire avec le comte Richard, pour dresser un état des biens de l'abbaye de Saint-Wandrille (1), dont il voulait pourvoir son chapelain.

L'an 788. — L'année suivante, 788, le roi Charles convoqua une assemblée en son palais d'Ingelheim, où il manda Tassillon, duc de Bavière. Ce prince était fils d'Odilon et de Cheltrude, sœur du roi Pépin. Griffon, son oncle maternel, l'avait chassé de la Bavière. Pépin l'y avait rétabli, et Tassillon, en reconnaissance, lui en avait fait hommage ainsi qu'à Charles et Carloman, ses fils, et leur avait prêté serment de fidélité sur les châsses de S. Denis, de S. Martin et de S. Germain de Paris ; mais trop complaisant pour sa femme, qui était ennemie de la France, et trop ambitieux lui-même pour être fidèle, il avait plusieurs fois violé ses serments, et, autant de fois révolté que soumis, il avait fatigué le roi et ses propres sujets. Ceux-ci, las des guerres que leur attirait sans cesse sur les bras ce prince trop inquiet, avaient averti le roi des nouvelles menées que le duc pratiquait contre son service avec les Huns, les Bavarois et les Slaves, au mépris des serments qu'il lui avait tant de fois réitérés. Ce fut la raison pour laquelle il le manda à l'assemblée d'Ingelheim. Tassillon, croyant ses pratiques secrètes, s'y rendit sans difficulté ; il y fut arrêté et convaincu par témoins, et les opinions allèrent à la mort ; mais Charles ne put se résoudre à verser le sang d'un prince qui était son proche parent ; il lui accorda la vie en considération de la parenté et lui permit de se retirer dans un monastère. Il fut rasé à Saint-Goar, et transféré à Saint-Nazaire de Lauresheim, où l'on envoya bientôt après son fils Théodon, qu'on avait renfermé dans le monastère de Saint-Maximin de Trèves. Liutberge sa femme (2) et Theotberg son second fils avec ses deux filles eurent le même sort.

L'orage des afflictions poussa Tassillon dans le port du salut. Il s'accoutuma peu à peu au dépouillement involontaire de ses états, et ayant enfin effacé de son esprit dans une espace de six ans l'idée trompeuse des grandeurs de la terre qui lui avait fait faire tant d'écarts, il vint se présenter en 794 dans la posture d'un pénitent au milieu de l'assemblée de Francfort (3) et demander humblement pardon de sa perfidie contre les rois Pépin et Charles, remettant de sa part tout ressentiment du passé et tout le droit que lui ou ses enfants pouvaient prétendre au duché de Bavière. Le roi lui pardonna, et le reçut en ses bonnes grâces, après quoi le pieux infortuné passa à Jumièges, et s'y consacra à Dieu par le vœu d'une perpétuelle solitude (4).

Théodon ne put se résoudre à abandonner son père. Il fit demander à Charlemagne la permission de le suivre ; et le roi, qui avait intérêt de l'éloigner de la Bavière (5), la lui accorda. Leur vie fut très pieuse dans cette nouvelle retraite. Quelques auteurs modernes ont même donné le titre de saint à Tassillon (6), mais nous ne voyons pas que les raisons qui les ont porté à le croire soient suffisantes pour nous décider ; ils moururent l'un et l'autre à Jumièges durant le gouvernment de Landric, et furent enterrés avec honneur dans le chapitre, s'il est vrai, comme l'a cru Dom Mabillon (7), que le fameux tombeau des Énervés qu'on transféra du premier lieu de leur sépulture dans l'église de Saint-Pierre, après la restauration de l'abbaye, ne soit autre que celui de ces deux illustres bannis, qu'on aurait depuis métamorphosés en deux fils de Clovis II et de Sainte Bathilde. (8)

Un manuscrit de la fin du Xe siècle ou du commencement du suivant a donné naissance à cette nouvelle histoire. L'auteur y fait premièrement l'éloge de Clovis et de Sainte Bathilde, à qui il donne deux fils, qu'il ne nomme pas, parce que leur nom lui est échappé, et dont les historiens qui l'ont précédé et suivi ne font aucune mention. Parlant ensuite des œuvres de piété, auxquelles il suppose que le roi s'exerçait, il lui fait concevoir le désir de visiter les lieux saints de Jérusalem et d'y passer le reste de ses jours. La reine y consent quoiqu'avec peine, et se charge avec l'aîné de ses enfants de la conduite du royaume, mais à peine le monarque arrivé en Palestine a satisfait aux premiers mouvements de sa dévotion, que ses deux fils, jaloux de l'autorité de leur mère, profitent de son absence pour la maltraiter et s'ériger en souverains.

Bathilde, outragée, donne avis à son mari de ce qui se fait au mépris de ses ordres. Le roy repasse les mers, et ses enfants rebelles vont au devant lui défendre l'entrée de son royaume. Cependant ils laissent la reine en liberté dans son palais au milieu de ses états. Elle en profite pour ordonner des prières par toutes les églises, et le ciel protecteur de l'innocence se déclare en sa faveur. Le roi présente la bataille, on l'accepte. Les Français révoltés, quoique supérieurs en nombre, ne peuvent soutenir le premier choc. Les princes sont abandonnés, pris et emmenés à Paris, pour y être jugés par les Barons, selon toute la rigueur des lois. Le Conseil assemblé, la sainte et vertueuse reine leur mère, voyant que personne ne voulait prononcer contre les enfants de son roi, les condamne elle-même, au grand étonnement des assistants, à avoir les jarrets brûlés. Après une opération si douloureuse, on les renferme dans une chambre du palais ; mais Clovis, touché de leur état, prie la reine de les éloigner de sa présence. On les expose donc, par ordre de leur mère, dans un bateau sur la Seine, avec toutes les provisions nécessaires à la vie et un domestique pour les servir et en rapporter des nouvelles sûres au roi et à la reine. En partant de Paris le bateau est emporté par le courant de la rivière jusqu'à Jumièges, où S. Filibert, qui en était abbé, les reçut avec beaucoup de douceur, et les revêtit même de l'habit religieux, qu'ils lui demandèrent avec instance. Ils persévérèrent jusqu'à la mort dans son monastère, expiant par de continuelles souffrances l'énormité de leur crime.

Voilà l'histoire quant au fond, mais débarrassée d'un fatras d'entretiens spirituels, où l'on suppose l'Écriture sainte aussi familière aux divers personnages qui ont quelque rôle à y jouer qu'elle le pourrait être à ceux qui en auraient fait toute leur vie une étude particulière. On la trouve dans Belleforest (9), dans les chroniques de l'ordre de S. Benoît, par Dom Antonio de Yepes, abbé de Valladolid (10), et dans une apologie des Énervés, par Dom Adrien Langlois, premier prieur de Jumièges depuis la réforme de Saint-Maur. Longtemps auparavant un moine de la même abbaye en avait fait l'abrégé en quatre vers qui furent mis autour du tombeau, lorsque, vers le XIIe siècle, on y fit jeter une couleur d'azur, et semer quelques fleurs de lis d'or, qui n'avaient jamais entré dans les armoiries de nos rois avant ce XIIe siècle.

Hic in honore Dei requiescit stirps Clodovœi :
Patris bellica gens, bella salutis agens.
Ad votum matris Bathildis pœnituere
Scelere pro proprio, proque labore patris.

Il y a dans le second tome de la description de la Haute-Normandie (11) une ample dissertation sur le tombeau de ces Énervés. Elle est d'un bénédictin de nos jours, qui, en frayant une route différente des trois premiers écrivains, n'a fait qu'embarrasser le chemin pour parvenir plus facilement à la connaissance de ce point d'histoire. Si l'on veut supposer, dit cet auteur, à la suite de l'extrait qu'il a fait du manuscrit déjà cité, que les Énervés de Jumièges avaient réellement outragé leur mère, rien n'empêche de s'en tenir simplement à quelques paroles injurieuses et diffamantes ; on peut les soupçonner encore d'avoir poussé l'audace et l'insolence jusqu'à lever la main sur elle ; et tout cela joint à une révolte ouverte contre leur père, a dû les rendre suffisamment criminels pour mériter le châtiment dont ils ont été punis. Mais qui sont ces deux coupables ? ils ne peuvent avoir été fils de Clovis II : cela est hors de toute contestation. Clovis II, mort en 662, à l'âge de 25 ou 26 ans (il aurait pu dire en 656 à l'âge de 22 ans), n'a laissé que trois fils (12) qui lui ont succédé. Ni ceux-ci ni quelqu'autre de leurs frères qu'on veuille leur supposer, contre la foi de l'histoire, n'a pu être assez âgé pour se noircir d'aucun crime pendant son règne, Sainte Bathilde n'ayant épousé Clovis qu'en 649, selon Mézeray et le Père Bouquet (13).

Cette observation est juste, ainsi que l'inscription en faux contre le voyage de Clovis outre mer, puisqu'il est sans doute que ce prince n'a jamais mis les pieds hors de son royaume. L'auteur n'a pas moins bien réussi en nous représentant comme une chose impossible que le bateau sur lequel on mit les deux Énervés ait pu être emporté au fil de l'eau depuis le port de Paris jusqu'à l'abbaye de Jumièges, c'est-à-dire pendant plus de 60 lieues de course, sans être arrêté ni par les ponts, ni par les îles, ni par les diverses sinuosités de la rivière de Seine, ni enfin par les habitants des villes et des bourgades qui se trouvèrent sur son passage. Mais il ne devait pas, en parlant du sentiment de Dom Mabillon sur l'ancienne maison de Bavière, faire paraître ce savant homme comme ayant douté que Tassillon I, qui en a été le dernier duc, soit mort à Jumièges. Ce n'est pas pour lui-même que Dom Mabillon dit, au second tome des Annales de l'ordre de S. Benoît (14), qu'il est vraisemblable que Taseillon et Théodon, son fils, moururent à Jumièges ; c'est pour ses lecteurs, qu'il suppose avoir lu l'éloge qu'il avait fait de ce prince plusieurs années auparavant, et dans lequel il assure sans hésiter qu'il mourut en cette abbaye : Gemetici eum obiisse ex superioribus satis colligitur (15). Il est vraisemblable que l'auteur en produisant ce texte appréhendait de rencontrer quelques obstacles à la nouvelle opinion qu'il voulait établi ; il a néanmoins respecté le prétendu doute de son confrère, et feignant d'admettre avec lui que Tassillon et Théodon seraient morts à Jumièges comme religieux, il s'est rejeté sur l'habillement des Énervés, qui ne fut jamais celui dont on se couvre dans le cloître, et sur la tradition qui les honore du titre de fils d'un de nos rois ; d'où il conclut que l'ancienne maison de Bavière n'étant ni de la première, ni de la seconde race, le tombeau des Énervés ne peut être celui des derniers ducs de cette famille.

Il continue et propose ainsi ses conjectures. Ne serait-ce pas plutôt les enfants de Carloman, fils aîné de Charles Martel et frère de Pépin-le-Bref ? Ce Carloman était un grand guerrier ; il a eu bien des guerres à soutenir contre Odilon, duc de Bavière, contre les Saxons, contre les Allemands. Dégoûté du théâtre du monde et de la corruption du siècle, il abdiqua la puissance mondaine pour se dérober aux yeux des hommes à la faveur de l'obscurité du cloître ; son dessein était même d'y ensevelir jusqu'à son nom s'il l'avait pu. On rapporte plusieurs causes de sa retraite, en même temps qu'on avoue que celle qui y influa le plus est ignorée. Quelques chagrins domestiques ne pourraient-ils pas y avoir eu bonne part ? Il avait plusieurs enfants selon deux anciennes chroniques (16). Ces enfants ont été tondus, c'est-à-dire dégradés et inhabiles à monter jamais sur le trône. Pourquoi tondus ? Peut-être pour satisfaire à l'ambition démesurée de Pépin ; peut-être aussi pour les punir de quelqu'attentat réel dont ils se seraient trouvés coupables. N'auraient-ils pas en effet levé l'étendard contre leur père, pendant que celui-ci était occupé au-delà du Rhin à soumettre ou les Bavarois, ou les Saxons, ou les Allemands ? Grippon, autre frère de ce prince, se déclara contre lui ; il en fut puni de mort. Or, Grippon pourrait bien avoir entraîné dans sa révolte quelques-uns de ses neveux qui seraient les fils de Carloman, ou les Énervés dont nous cherchons à éclaircir l'histoire. La princesse leur mère se sera attiré pour ce sujet-là même quelqu'outrage sanglant de leur part ; ils auront été punis sévèrement, et de cette insulte et de leur révolte, d'abord par le supplice de la brûlure des nerfs, ensuite par la dégradation. Tout cela paraît assez vraisemblable, et je ne vois en effet dans toute notre histoire que les fils de Carloman, frère de Pépin-le-Bref, à qui celle des Énervés puisse convenir. Le nom de leur mère est demeuré inconnu, mais leur épitaphe ne nous l'aurait-elle pas conservée ? On lui donne là le nom de Bathilde, et ce pourrait bien être celui de la femme de Carloman. Si cela est, il ne serait pas surprenant que dans les siècles postérieurs on eût fait les Énervés fils de Clovis II, parce que la femme de ce prince, plus connue et plus célèbre que l'autre, s'appelait Bathilde.

Nous estimons et respectons l'auteur de cette conjecture, et celui des observations sur les écrits modernes, à qui elle paraît assez heureuse ; mais qu'il ne leur en déplaise, nous la trouvons trop légère pour y souscrire. Que signifient en effet toutes ces expressions de peut-être, ne serait-ce pas, ce pourrait bien être et autres semblables dont ce récit est plein ? De quel secours une pareille découverte peut-elle être pour la vérité de l'histoire des Énervés ? Doit-on jamais faire quelque cas d'un jugement qui ne se fait que par conjecture ? Quoi ! parce que la chronique de Fontenelle nous apprend que Carloman, après sa retraite au mont Cassin, vint en France et que ses enfants furent tondus, il sera permis de supposer que ce fut en punition d'une révolte contre leur père, à laquelle ils se seront laissés entraîner, dix ans auparavant, par Grippon leur oncle ; que leur mère, par sa fermeté à demeurer fidèle à son mari, se sera attirée pour ce sujet-là même quelqu'outrage sanglant de leur part ; et qu'enfin après la brûlure des nerfs, ils auront été relégués à Jumièges, où l'on verrait encore aujourd'hui leur tombeau sous le nom de deux enfants de Sainte Bathilde, parce que la femme de Carloman pouvait s'appeler de ce nom ? Il faut avouer que ce peu de mots : Carloman vint en France en 753 et ses enfants furent tondus ; il faut, dis-je, avouer que ce peu de mots est bien fécond, pour y avoir trouvé tant de choses, ou que le microscope dont on s'est servi pour les découvrir a extraordinairement grossi les objets.

Mais pourquoi, si les enfants de Carloman avec leur oncle Grippon étaient coupables de révolte contre leur père, avoir attendu dix ans à les punir ? Pourquoi plutôt après que Carloman fut religieux, que lorsqu'il était plein des idées du monde, et possédé de la passion de régner ? Grippon, mécontent des partages que Charles Martel avait faits de l'État, comme s'il en eût été le véritable maître, se révolta contre Carloman et Pépin ; ses deux frères le firent enfermer dans Châteauneuf, en Ardenne. Pourquoi laisser libres ses complices, s'il en avait ? Après la retraite de Carloman, Pépin mit Grippon en liberté et lui donna même quelques comtés pour son entretien. Si l'ambition de ce jeune mécontent le porta ensuite à fuir en Saxe, pour émouvoir ces peuples et les obliger de prendre son parti, il n'était plus question de Carloman, qui avait déjà pris le Ciel pour son partage, et ce fut Pépin seul qui, ayant réduit les partisans de son jeune frère, l'emmena lui-même en France et lui donna la ville du Mans et douze comtés en Neustrie. Enfin, lorsque, s'étant dérobé une troisième fois, Grippon se retira près de Gaiffre, duc d'Acquitaine, et qu'allant en Italie, en 753, il fut assassiné ; par ordre de ce duc ou de Pépin, dans la vallée de Maurienne, il n'avait aucun de ses neveux avec lui et il y a beaucoup d'apparence que Pépin ne fit tondre ces jeunes seigneurs que pour s'assurer davantage la couronne que le pape Étienne venait de lui mettre sur la tête. Quand à leur destination, nous n'osons la déterminer après le silence du chroniqueur de Fontenelle qui, étant tout proche de Jumièges, et écrivant sous le règne de Pépin, c'est-à-dire dans le temps que les neveux de ce prince furent tondus, n'aurait point ignoré leur retraite à Jumièges si véritablement ils y eussent été relégués. Au reste, s'il y a de l'heureux et du vrai dans la conjecture de l'auteur de cette dissertation, le lecteur en jugera ; c'est dans ce dessein qu'on l'a rapportée.

Revenons à Tassillon et à son fils. L'histoire des Énervés leur convient mieux qu'à tout autre, en la débarrassant de certaines fictions et de quelques termes pris trop à la rigueur. Ces deux princes sont constamment (17) venus à Jumièges et ils y ont été religieux, ils y sont morts. Ce qu'on ne peut prouver ni des enfants de Clovis et de Sainte Bathilde pour les raisons qu'en a donné l'auteur même de la dissertation, ni de ceux de Carloman pour les motifs que nous en avons allégués nous-mêmes. Pourquoi donc ne seraient-ils pas ceux que nous cherchons ? Dom Mabillon dit qu'il est permis de le présumer, suspicari licet (18) ; qu'il est porté lui-même à le croire, facile inducor. C'est aussi le sentiment de Dom Bouquet (19), et la présomption est pour nous jusqu'à ce que le contraire nous ait été démontré. Que leur manque-t-il en eftet pour être presque tout ce que l'on veut que les Énervés aient été? Ils sont fils de Clovis, puisqu'ils en sont descendus à cause de Chiltrude, mère de Tassillon, fille de Charles Martel et sœur de Pépin-le-Bref, qui, selon Adhémar de Chabanais, moine de Saint-Cybard d'Angoulême (20), tirait son origine des rois de France. On sait d'ailleurs que sous les rois Pépin et Charlemagne on n'eût jamais osé dire ni écrire publiquement qu'ils ne descendaient pas du grand Clovis. Ainsi l'on a pu mettre autour du tombeau de Tassillon et de son fils ; hic in honore Dei requiescit stirps Clodovii, comme on dit de Jésus-Christ qu'il est fils de David, parce qu'il tient Sa naissance temporelle d'une vierge qui était de la famille de ce saint roi.

On veut que les deux princes enterrés dans l'église de Saint-Pierre ou transportés depuis dans cette chapelle aient été énervés en punition de leur révolte. Nous le disons aussi de Tassillon pour le même sujet, et nous le prouvons. Ce prince fut condamné dans l'assemblée d'Ingelheim à perdre la vie, et ce ne fut que par commisération que Charlemagne se contenta de le faire tondre avec son fils Théodon, et de les renfermer dans le cloître, après les avoir privés de tout droit sur la Bavière et déclarés inhabiles à jamais rien y posséder. Mais, dira-t-on, l'énervation ne consiste pas dans une simple condamnation. On applique le feu sur les jarrets et les genoux du coupable ; c'est ainsi que l'auteur du manuscrit de Jumièges et Yepes s'en sont expliqués, et jamais les ducs de Bavière n'ont été punis de ce supplice. Nous avouons que l'énervation prise à la rigueur signifie ce que l'on vient de dire, mais on doit aussi nous accorder qu'elle ne signifie quelquefois qu'affaiblir et comme ôter les nerfs, debilitare quasi nervos auferre (21). Or, Tassillon et Théodon ont été punis de la sorte quand on les a tondus. La souveraineté dont ils jouissaient dans leurs états faisait toute leur force. L'incision des cheveux suivie de la dégradation les affaiblit et les énerva en les réduisant à la condition de sujet, selon l'usage de ces temps-là, où la chevelure était tellement une marque et une prérogative de la royauté, que quand il s'agissait de déposer un roi, ou d'empêcher un prince de succéder à la couronne, on commençait par lui couper les cheveux, afin de le mettre au niveau du peuple et de ruiner ainsi sa puissance temporelle (22). L'incision des cheveux a donc été à l'égard de Tassillon et de son fils une espèce d'énervation, et l'on peut dire d'eux qu'ils ont été énervés quand ils ont été tondus ; d'où nous concluons qu'étant impossible de trouver aucun autre prince du sang dans lequel les circonstances se trouvent plus favorablement réunies, ils doivent être regardés à l'avenir comme les seuls à qui la vérité de l'histoire puisse convenir.

Si les figures en plein relief élevées de deux pieds au-dessus du pavé, et distinguées par des ornements royaux, comme le bandeau, l'agrafe, la ceinture semée de pierres précieuses, et les brodequins, ne représentent pas deux religieux, c'est qu'on a mieux aimé conserver au public, par ces signes extérieurs qu'ils avaient peut-être apportés avec eux, la mémoire de leur illustre naissance, que le souvenir du monachisme dont ils avaient fait profession, et dans lequel le lieu de leur sépulture faisait assez foi qu'ils étaient morts. Qu'on ouvre leur tombeau, nous sommes persuadé qu'on y trouvera la vérité qu'on cherche depuis si longtemps (23).

Landric vécut encore cinq ou six ans et plus depuis la mort des ducs de Bavière.


ADAM, HUITIÈME ABBÉ (vers 814).

Adam lui succéda et gouvernait encore l'abbaye de Jumièges au commencement du règne de Louis-le-Débonnaire, qui monta sur le trône en 814. La preuve que nous en avons, et qui met la chose hors de doute, est une charte de ce prince où Adam est qualifié abbé de Jumièges, et par laquelle le monarque, à la prière de cet abbé, confirme pour son monastère l'exemption générale accordée par Charlemagne, son père, Pépin et autres rois, ses prédécesseurs de ne payer aucun droit de péage, ni entrées dans tout le royaume pour quelque provision que ce soit, et de quelque manière qu'elles soient apportées, soit par voitures, chariots, bateaux ou bêtes de charge (24). Comme c'était la coutume en ces temps-là de faire ratifier sous chaque nouveau monarque les immunités qu'on tenait de la libéralité des rois pour se mettre à couvert des tracasseries des officiers du domaine, on ne peut guère reculer la date de ce privilège au-delà de 815, pendant la première année de Louis-le-Débonnaire.


HÉLISACAR, NEUVIÈME ABBÉ (vers 820).

C'est le seul acte que nous ayons pu trouver où il soit fait mention de l'abbé Adam, si l'on en excepte le catalogue des abbés et le nécrologe où sa mort est marquée au 13 décembre. Il eut pour successeur Hélisacar qui était déjà abbé de Saint-Riquier. Ce qui a fait dire à Hariulfe, auteur de la chronique de Centule (25), que l'union étroite qui régnait entre les religieux de Jumièges et de Saint-Riquier depuis que Cochin avait gouverné les deux monastères à la fois, avait eu toute la part dans son élection. Quoi qu'il en soit, Héliscar était homme de lettres, et en avait instruit Fréculfe, évêque de Lisieux, et beaucoup d'autres ; ce qui a fait dire à quelques auteurs que Fréculfe avait été moine de Jumièges, mais c'est une conjecture purement hasardée et destituée de toute vraisemblance, qui ne peut tromper que ceux qui seront capables de vouloir tromper les autres. Fréculfe, en reconnaissance, lui dédia la première partie de sa chronique, et la lui envoya même toute entière pour la corriger avant de la rendre publique. Amalaire, prêtre de l'Église de Metz, dans la préface de son traité intitulé De l'Ordre de l'Antiphonaire, relève par de grands éloges (26) le mérite d'Hélisacar, qu'il qualifie d'homme savant, studieux et zélé pour le culte divin ; il reconnaît en même temps qu'il l'a beaucoup aidé dans son travail.

Hélisacar était prêtre et chanoine ; il entra fort avant dans la confiance de Louis-le-Débonnaire, qui, n'étant encore que roi d'Aquitaine, le fit son chancelier, comme il paraît par un diplôme que ce prince accorda en 807 à l'abbaye de Cormery (27), où Albon signe comme secrétaire d'Hélisacar (28). Il fut continué dans cette charge à l'avènement de Louis à l'Empire, et souscrivit en cette qualité, comme il fit et fit faire en une infinité d'autres rencontres, à une charte de l'empereur en 814 en faveur du monastère de Donzère (29), que le Père Chifflet nous a conservée dans ses preuves (30) des abbés de Tournus (31). Il était cher au roi, dit Ernol de Nigelle, et dans toutes les cérémonies publiques il marchait à sa gauche (32), aussi lui donna-t-il plusieurs abbayes, notamment celles de Saint-Aubin d'Angers et de Saint-Maximin de Trèves, peut-être même celles de Saint-Riquier et de Jumièges, dont en ce cas la nomination n'aurait pas été si libre qu'Ariulfe semble l'insinuer. Saint Benoît d'Aniane avait pour lui une amitié particulière et le regarda toujours comme son plus fidèle ami et le plus affectionné à son ordre. C'est ainsi qu'il en écrivait la veille de sa mort, dans le monastère d'Inde, à ses frères d'Aniane, les exhortant d'avoir recours à lui dans tous leurs besoins (33). Hélisacar n'avait pas moins d'affection pour le saint abbé ; il le visita dans sa dernière maladie, et nonobstant ses grandes occupations à la Cour, il ne le quitta qu'à sa mort qui arriva le 11 février 821.

L'an 822. — L'année suivante 822, Louis tint un parlement à Attigny, où, par le conseil d'Hélisacar, des évêques et des seigneurs du royaume, il se réconcilia avec ses trois jeunes frères, Drogon, Hugues et Thierry (34), qu'il avait fait tondre en 818 et renfermer dans des monastères. Agobard, archevêque de Lyon, parla fortement dans cette assemblée contre les laïques qui usurpaient les biens ecclésiastiques, et dit dans une lettre à un ami, qui est la quatrième parmi ses œuvres (35), que, ayant aussi parlé pour corriger ce qui avait été mal fait par l'empereur et par son père, Adalar et Hélisacar répondirent avec beaucoup de piété et conformément à ses vues. Dans un autre endroit, il les qualifie de très saints personnages et fort zélés pour le service de Dieu. Deux ans après cette assemblée, il leur écrivit pour les consulter touchant le baptême des esclaves païens achetés par les Juifs, qui, comptant que la Cour leur était favorable, ne voulaient point les rendre, lorsque l'évêque, pour les tirer de servitude, leur en offrait le prix. Nous ne savons quelle fut leur réponse, mais une lettre de l'empereur portant défense de baptiser ces esclaves contre la volonté de leur maître ; et une lettre de Dagobert à l'empereur même sur ce sujet, nous font bien voir que s'ils entrèrent dans les sentiments de l'archevêque, le crédit des Juifs prévalut auprès du prince.

L'an 827. — Louis ne laissait pas néanmoins d'avoir toujours de la confiance dans Hélisacar ; il l'envoya même en 827 avec les comtes Hildebrant et Donat pour évêques et des seigneurs du royaume, il se réconcilia arrêter les mouvements de la marche d'Espagne, et le venger d'Aizon, seigneur goth, qui, s'étant retiré mécontent de sa cour l'année précédente, s'était saisi de la ville d'Ossone, en Catalogne, et ligué avec le roi des Sarrasins ; mais Hélisacar ne fit point assez de diligence, et Pépin, à qui l'empereur avait envoyé une armée capable d'écraser Aizon et tous ses alliés, différa trop longtemps son départ, en sorte qu'Aizon ravagea les comtés de Barcelone et de Girone, avant que les troupes françaises pussent s'y opposer.

Ces pertes, quoique sensibles à l'empereur et à Hèlisacar, qui en était en quelque sorte la cause, ne furent pas les plus grands sujets de chagrin qu'ils eurent à essuyer l'un et l'autre. Louis fut enfermé à Saint-Médard de Soissons par ses enfants du premier lit, et Hélisacar condamné au bannissement par son bienfaiteur et son roi, après avoir travaillé avec les seigneurs de Germanie à son rétablissement dans l'assemblée de Nimègue, tenue au mois d'octobre de la même année. Il avait accusé l'impératrice Judith d'un commerce scandaleux avec le comte Bernard, qu'elle avait fait venir de Barcelone pour se fortifier contre ses beaux-fils, et auxquels son mariage avait déplu (36). Ce fut son crime et la cause de sa disgrâce, qui ne finit qu'en 833, à l'occasion des nouvelles divisions de Louis-le-Débonnaire avec ses enfants. Ce prince s'en servit encore depuis dans quelques rencontres. Il l'envoya en 835 avec le comte Vidon pour connaître la vérité des plaintes d'Aldric, évêque du Mans, dont on avait réuni quelques terres au domaine, qui lui furent restituées sur le rapport des deux commissaires (37). La piété d'Hélisacar, son mérite et ses vertus sont amplement rapportées dans les histoires de Saint-Riquier et de Saint-Maximin de Trèves, dont il mourut l'an abbé 837. C'était le seul bénéfice qu'il possédât alors, ayant été dépouillé des autres au temps de sa disgrâce.


ANGILBERT, ANGÉSISE ET FOULQUES, DIXIÈME,
ONZIÈME ET DOUZIÈME ABBÉS (vers 830).

Les manuscrits de Jumièges suivis par Messieurs de Sainte-Marthe lui donnent pour successeurs Angilbert et Angésise (38), sur lesquels l'histoire ne nous a rien laissé (39) ; il nous paraît même assez probable que ni l'un ni l'autre n'ont jamais gouverné l'abbaye et que Foulques succéda immédiatement à Hélisacar, il était prêtre et d'une famille distinguée. En 830, lorsqu'il était abbé de Jumièges, l'empereur le pourvut de la charge d'archichapelain ou grand aumônier de France, qui vaquait par l'exil de Hilduin, abbé de Saint-Denis, qu'un zèle imprudent avait jeté dans le parti de Lothaire (40). Son gouvernement fut de peu de durée. Elbon, archevêque de Reims, le choisit peu de temps après pour corévêque, et afin de le mettre plus à portée de le soulager dans ses fonctions, il lui fit avoir l'abbaye de Saint-Rémy, dans la même ville.

De son temps un moine de Jumièges écrivit la vie de S. Aycadre, mort en 687. C'est la plus ancienne et la plus exacte que nous ayons, L'ouvrage n'est cependant pas sans défaut : il y a trop de merveilleux et plus de crédulité qu'une juste défiance ne permet. Les prières et les harangues dont il est chargé nous ont aussi paru hors d'œuvre. Au reste, les actions du saint y sont si bien circonstanciées, que l'auteur paraît avoir travaillé sur de bons mémoires, et mériter plus de créance que ne lui en accorde M. Baillet, qui s'est contenté de dire que cette vie est la plus supportable de celles qu'on a publiées, mais qu'elle n'a point grande autorité (41). Pour lui en donner encore moins, il en a reculé l'époque d'un siècle entier, ne faisant pas assez de réflexion sur ce que l'auteur dit que les reliques du saint abbé reposaient encore dans son monastère avec celles de S. Hugues, lorsqu'il écrivait son histoire, car on sait que ces deux saints corps ne furent transférés qu'au temps des Normands, et immédiatement avant la destruction de l'abbaye.

Cent ans auparavant un autre anonyme, aussi religieux de Jumièges (42), composa la vie de Sainte Austreberte, première abbesse de Pavilly, à 4 lieues de Rouen, fondée par S. Filibert. Il la dédia à Julie, qu'on croit être la même que Julienne, troisième abbesse de Pavilly après Saint Austreberte. Tout ce qu'il rapporte, il l'avait appris de témoins dignes de foi, entre lesquels il cite une compagne de la sainte, qui vivait encore lorsqu'il écrivit sa vie. Le style en est quelque fois majestueux et fait voir que fauteur avait du talent avec beaucoup d'humilité et de piété.

L'an 833. — Foulques était encore abbé de Jumièges, lorsque Angésise, abbé de Fontenelle, de Luxeu et de Saint-Germer, mourut à Fontenelle en 838. Il avait gouverne cette abbaye pendant dix ans, cinq mois et huit jours. Étant tombé en paralysie l'année qui précéda sa mort, il appela ses plus intimes amis, et fit en leur présence une distribution générale de tout ce qu'il avait de biens entre leurs mains aux pauvres et aux lieux de piété. Ce fut Hildeman, évêque de Beauvais, qui dressa l'acte de ses dernières dispositions. On trouve dans l'extrait de cet acte le détail des lieux et des personnes qui eurent part à ses largesses. Le premier objet de son attention fut sa propre maison. Il laissa 90 livres à ses religieux, 10 livres à ses domestiques, 10 sols aux vieillards qui étaient dans l'hôpital du monastère et à cinquante-trois églises et abbayes, au moins 1 livre chacune. Il légua en particulier à l'abbaye de Jumièges 5 livres d'argent. Ces livres étaient de douze onces, poids de marc, valant 20 sols de ce temps-là, ce qui revient environ à 300 livres de notre monnaie.


RICBODON ET BAUDRI, TREIZIÈME ET QUATORZIÈME ABBÉS (833-836).

Depuis cette même année 833 jusqu'en 836, l'abbaye de Jumièges eut successivement deux abbés, Ricbodon et Baudri, dont nos tables chronologiques et autres monuments ne nous ont conservé que les noms.


HÉRIBERT, QUINZIÈME ABBÉ (vers 837).

Au dernier de ces deux abbés succéda Héribert, homme sage, aimant le bien et fidèle observateur de la règle. Il s'appliqua dès le commencement à en maintenir la pratique, et ne se porta pas avec moins d'ardeur à éloigner tout ce qui pouvait l'affaiblir, ou à procurer ce qui pouvait lui donner quelqu'accroissement. Sa communauté avait souffert depuis plusieurs années une diminution notable dans ses revenus, par la soustraction de plusieurs terres qu'elle avait été obligée d'abandonner pour les besoins de l'État. Il craignit que la disette, quoique supportée avec joie, n'introduisit peu à peu le murmure et le relâchement, il prévint l'un et l'autre en sollicitant la restitution de ces biens, et le succès fut heureux. Il est vrai que Pépin, roi d'Aquitaine, qui les avait usurpés et donnés en récompense à quelques seigneurs de son royaume, avait été ébranlé, dès l'an 834, par les ordres de son père, et par les exhortations d'Aldric, évêque du Mans, et d'Erchanrad, évêque de Paris, que le concile d'Aix-la-Chapelle avait députés vers lui, en 836, pour le même sujet ; mais comme on ne rendait qu'à ceux qui se plaignaient, il est probable que sans les soins et le crédit d'Héribert à la Cour, Pépin n'eût expédié de longtemps les lettres qu'il lui accorda enfin le 9 des calendes de mai, indiction première, c'est-à-dire le 23 avril 838, pour la restitution de la terre, fief et seigneurie de Tourtenay, dans le comté de Thouars en Poitou, et de six fermes et métairies dans le comté d'Anjou. On ne sait comment ni en quel temps ces six terres que nous n'avons connues que par la charte de Pépin, ont passé depuis en d'autres mains. Tourtenay presqu'aussi ancien que S. Aycadre dans l'abbaye de Jumièges, fut échangé, en 1012, avec les Bénédictins de Bourgueil (43) pour leurs droits et possessions dans la terre de Longueville au diocèse d'Évreux.


THIERRY Ier, SEIZIÈME ABBÉ (vers 840).

Héribert ne survécut que peu de temps à la restitution, que Pépin venait de faire à son abbaye, des possessions dont elle avait été injustement dépouillée sous les abbés précédents. Il eut pour successeur Thierry, qui assista en 843 à l'assemblée de Germigny, près d'Orléans, où se trouvèrent trente-trois évêques et dix abbés.

L'an 843. — Les religieux de Saint-Lomer-le-Moutier s'y présentèrent par députés et obtinrent d'eux un privilège pour la liberté de se choisir un abbé. L'acte en fut dressé au commencement d'octobre et confirmé par Charles-le-Chauve, le jour de devant les ides d'octobre de la même année 843. La signature d'Héribert se trouve avec celle des évêques sans aucun égard au rang ni à la dignité. C'est tout ce que nous savons de lui. Il vécut cependant jusqu'en 847, peut-être même jusqu'en 848 ; car nous ne prétendons pas sans mémoires nous rendre garants de ces époques, à quelques années près. Elles sont enveloppées dans une telle obscurité, que si la succession n'était certaine, nous aurions mieux aimé nous arrêter tout court, et témoigner par un religieux silence notre respect pour la vérité que d'aller ainsi à tâtons et ne proposer que des conjectures.


RODOLPHE, DIX-SEPTIÈME ABBÉ (VERS 848).

L'abbaye de Jumièges fut donnée à Rodolphe, fils de Guelfe ou Welf, comte d'Altdorf, en Bavière, frère de l'impératrice Judith et oncle de Charles-le-Chauve. Il vint en France avec sa sœur (44) que l'empereur Louis-le-Débonnaire avait épousée à Francfort en 819. Il se fit aimer du prince et entra si avant dans ses bonnes grâces, qu'il se reposait uniquement sur lui du soin de toutes les affaires. Cette confiance sans bornes donna de la jalousie aux trois fils aînés de l'empereur, qui étaient déjà fort mécontents du mariage de leur père avec Judith. Ils en conçurent du chagrin, et ce chagrin les porta jusqu'à la révolte, surtout quand ils virent démembrer leurs états pour faire un partage à Charles-le-Chauve, leur cadet. Dans ce soulèvement général, Rodolphe et Conrad son frère furent pris et relégués en Aquitaine sous la garde de Pépin, qui les fit tondre aussitôt et renfermer dans des monastères (45). Hariulphe en parle comme ayant pris alors l'habit de religion, et dit expressément qu'ils firent profession de la vie monastique (46) ; ce qui n'empêcha pas l'empereur, après avoir repris son autorité, d'agir en maître et de le retirer des mains de son fils. Rodolphe ainsi délivré fut rétabli dans son emploi de premier ministre, mais après la mort de Louis-le-Débonnaire, il se dégoûta des grandeurs du siècle et se retira à Saint-Riquier, dont il fut abbé en 844.

Les religieux de Jumièges ayant perdu le leur le choisirent aussi pour le remplacer. Il accepta la dignité et les revenus qui y étaient attachés ; mais il ne put résider avec eux, tant à cause de ses engagements à Saint-Riquier, qu'à cause des commissions fréquentes que sa profonde intelligence dans les affaires séculières et ecclésiastiques lui attirait. Les religieux s'en plaignirent, parce qu'ils craignaient que son absence ne fit tort à la régularité, et que son prévôt, qui était un homme dur et intéressé, ne les laissât manquer du nécessaire. Il écouta leurs plaintes avec bonté, et pourvut à leur subsistance par des partages qu'ils firent eux-mêmes, et qu'il fit ratifier par Charles-le-Chauve, son oncle maternel, afin qu'aucun abbé à l'avenir ne pût les troubler dans la jouissance de la portion qu'ils s'étaient faite eux-mêmes.

L'an 849. — La charte est du 22 février 849, indiction douzième, la neuvième année du règne de Charles-le-Chauve. On voit par cette pièce, ce que nous n'avions pu connaître auparavant, les grands biens dont l'abbaye de Jumièges jouissait alors, puisqu'on y trouve jusqu'à trente-sept seigneuries et terres destinées uniquement pour les nécessités des religieux, sans que l'abbé puisse dans la suite rien prendre ni changer en d'autres usages, ayant lui-même ses revenus assignés sur d'autres objets (47). C'est le premier partage que nous ayons trouvé entre l'abbé et les moines de Jumièges, où l'on n'avait point encore connu, comme en plusieurs autres monastères, les noms de mense abbatiale et conventuelle. Aussi doit-on croire, quoi qu'en dise l'auteur de la chronique de Saint-Riquier, que Rodolphe était abbé séculier, et que les religieux de Jumièges ne l'avaient choisi que par honneur.

Cependant les Normands, sous la conduite de différents chefs, également cruels et barbares, ravageaient nos provinces depuis dix ans. Ogier, en 841, pilla la ville de Rouen, mit le feu à l'abbaye de Jumièges, rançonna celle de Fontenelle et se rembarqua après avoir pillé ou brûlé toutes les églises et les villages le long de la Seine. Regnier débarqua à Rouen, en 845, avec une flotte de vingt-six vaisseaux, mais cette ville et le pays des environs tout récemment ravagés ne lui offrant pas un aussi riche butin qu'il aurait souhaité, il tenta de s'étendre plus au loin et ne trouvant point de résistance il monta jusqu'à Paris, qu'il fut obligé d'abandonner à cause d'une dysenterie meurtrière qui se mit parmi ses troupes.

L'an 850. — Ogier revint une seconde fois en 850 et recommença ses pillages et ses incendies à Rouen, d'où il les porta au monastère de Saint-Germer et à Beauvais, qui n'en est éloigné que de 5 lieues. Il serait allé plus loin ; mais un parti de Français l'ayant attaqué au retour de cette ville et lui ayant tué beaucoup de monde, il regagna ses vaisseaux avec le reste de son armée, et quitta la Seine pour retourner à Bordeaux, dont il s'était rendu maître trois ans auparavant.

L'an 851. — À peine sa flotte en était-elle sortie que, le 9 octobre de l'année suivante, 851, une nouvelle y rentra et vint camper devant Rouen. Le prieur de Jumièges, informé de l'arrivée de ces barbares et de la cruauté de leur chef, assembla sa communauté, qui était encore alors de près de 900 religieux ; parmi lesquels, si nous en croyons Guillaume de Jumièges, il y avait plusieurs évêques et autres ecclésiastiques de distinction, et un grand nombre de gentilshommes qui avaient préféré le service de Jésus-Christ dans le cloître à la milice temporelle et aux vanités du siècle. Comme il n'y avait dans la maison ni or ni argent pour se racheter, il leur proposa la mort ou la fuite. Plusieurs historiens sont d'avis qu'ils préférèrent la mort (48) ; mais Guillaume de Jumièges nous assure qu'ils choisirent tous le dernier parti, aimant mieux sans doute souffrir plus longtemps le martyre de la pénitence, que de s'exposer à perdre la foi, ou à céder à la violence des tourments. Le Père Mabillon et tous les modernes ont suivi ce sentiment (49). Dom Hugues Ménard en particulier (50) a fait voir que Wion, qui paraît être auteur de l'opinion contraire, n'a pas fait assez de réflexion au texte de Mathieu de Westminster (51), dont il s'autorise, ou qu'il ne l'a lu qu'en dormant. Nous rapporterons dans la suite ce fameux passage, afin qu'on juge si c'est la même chose de dire qu'un monastère de 900 religieux fut réduit en cendres par les Danois, ou que les 900 religieux furent brûlés avec leur monastère.

Avant de quitter le pays, les religieux de Jumièges pourvurent à la sûreté de ce qu'ils avaient de plus précieux. Ils creusèrent la terre dans une chapelle de Saint-Clément, et y cachèrent deux châsses plein de saintes reliques ; ils en déposèrent deux autres dans la chapelle de Saint-Jean-Baptiste, et l'on prouve sans réplique qu'ils enterrèrent de même les corps de S. Filleul, archevêque de Rouen, de S. Constantin et de S. Pérégrin, le premier dans la chapelle de Saint-Filibert et les deux autres entre l'église de Saint-Pierre et la chapelle de Saint-Sauveur (52). Ils auraient pu par une semblable précaution mettre à couvert de la fureur des barbares les reliques de S. Aycadre et de S. Hugues, qui reposaient dans leur église, mais ils aimèrent mieux les en tirer et les emporter avec eux à Haspres, qui était un prieuré de leur dépendance, fondé par Pépin, maire du Palais en 701 (53), entre Valencienne et Cambrai.

Après ces soins dignes de la piété de nos pères et de notre plus vive reconnaissance, les religieux de Jumièges se partagèrent chacun de leur côté. Le plus grand nombre fut à Haspres où ils se bâtirent de nouvelles cellules (54), quelques-uns à Saint-Denis, en France, et les autres en divers monastères, selon que la divine Providence leur procura une retraite. Un d'entre eux se réfugia à Saint-Gal, en Suisse, portant avec lui son antiphonaire, dont Notker-le-Bègue, pour lors religieux de ce monastère, témoigne avoir fait usage dans son traité des lettres de l'alphabet, qui servent au chant rapporté par Canisius (55).

Les Normands ayant quitté Rouen vinrent à Jumièges. L'abbaye fut investie dès le même jour, et remplie de barbares qui ne cherchèrent qu'à assouvir leur fureur et leur avarice. Les chambres désertes furent pillées (56), les greniers et les caves enfoncés. L'ennemi se porta d'abord à prendre tout ce qui put lui tomber sous la main ; puis se laissant aller à la rage qui l'animait, il parut avec des torches ardentes et des charbons allumés qu'il lança sur les temples, sur les dortoirs et dans tous les lieux de ces appartements augustes, dont il ne resta rien d'entier que les principaux murs, de l'église de Saint-Pierre : exinde apud Gemeticum classem dirigentes, dit Matthieu de Westminster, Cœnobium adurunt nongentorum monachorum, où il est bon de remarquer que l'auteur ne dit pas qu'il y eut 900 religieux massacrés ou brûlés dans cet incendie, mais que le monastère de Jumièges, qui était de 900 religieux, fut réduit en cendres par les mêmes ennemis qui avaient saccagé et pillé la ville de Rouen.

Le chef de ces brigands ayant passé neuf mois à faire des courses en Neustrie, se remit en mer et arriva à Bordeaux, d'où il se proposait d'aller en Italie et de surprendre Rome, pour y terminer ses voyages et se reposer de ses fatigues (57). Les habitants de Jumièges, qui avaient pris la fuite à son arrivée, ayant appris son départ, se rétablirent dans le pays ; mais les religieux, informés de la faiblesse du gouvernement, qui avait attiré les barbares et mis le royaume à deux doigts de sa perte par la facilité que ces étrangers avaient trouvée à ravager ces provinces, n'osèrent courir les risques d'une nouvelle désolation, s'ils entreprenaient de rebâtir leur monastère avant le grand ouvrage d'une paix générale et solide dans toutes les parties du royaume. De nouveaux ravages justifièrent leur prudence.

L'an 856. — Les Normands rentrèrent dans la Seine à la mi-août de l'an 856, pillèrent les villes et villages des deux côtés, attaquèrent Paris et brûlèrent presque toutes les églises (58). En 861, Paris fut brûlé de nouveau par ces brigands, sous la conduite de Weland ; mais ayant imprudemment remonté la Marne avec leurs barques pour saccager la ville de Meaux, ils furent enfermés à leur retour par les troupes de Charles-le-Chauve et obligés de capituler à cette condition qu'ils s'embarqueraient au plus tôt avec les autres Normands qui étaient sur la Seine, et qu'ils sortiraient du royaume en laissant dix otages.

L'an 862. — Du lieu de la capitulation, Weland retourna à sa flotte avec sa femme et ses enfants (59) et fit embarquer ses troupes qui descendirent la Seine jusqu'à Jumièges, où il y avait alors un port assez considérable et fort commode. Ils s'y arrêtèrent pour radouber leurs vaisseaux et n'en partirent qu'au printemps de l'année suivante. Rodolphe n'était plus abbé de Jumièges, quoiqu'il vécut encore ; après plusieurs services rendus à l'Etat et au roi, son oncle, il s'était démis de ses deux abbayes vers l'an 859 et fixé pour toujours à Saint-Riquier où il mourut d'une colique le 29 janvier 866 (60).


GAUZLIN, DIX-HUITIÈME ABBÉ (vers 860).

Gauzlin, qui pourrait bien être le même que l'abbé de Saint-Germain-des-Prés, frère de Louis, abbé de Saint-Denis en France, obtint du roi l'abbaye de Jumièges et des lettres pour confirmer un échange entre lui et un seigneur nommé Vamaire, de plusieurs pièces de terre dans le Véxin, où l'un et l'autre avaient des biens. Cette charte est datée du 31 janvier 862 (61), et nous fait voir que l'embrasement de l'abbaye de Jumièges, qui depuis onze ans était réduite en un désert affreux, et devenue la retraite des bêtes sauvages (62), n'empêcha pas les successeurs de Rodolphe de prendre le titre d'abbés de cette illustre maison, soit qu'ils en aient gouverné les religieux qui s'étaient établis à Haspres, soit qu'ils l'aient cru nécessaire pour toucher les revenus qui en dépendaient. Nous sommes redevables de ce diplôme aux soins du Père Mabillon, qui le fit imprimer en 1681, sur l'original même qu'il avait trouvé à Saint-Denis, où Gauzlin, qui y avait une partie de ses religieux, pouvait l'avoir déposé pour le mettre en lieu sûr.

Si ce Gauzlin, dont nous n'avons rien de plus particulier pour notre histoire, est le même que celui de Saint-Germain-des-Prés, il était oncle du roi Charles-le-Chauve, et il remplit plusieurs postes honorables dans l'Église et dans l'État. Car outre les deux abbayes de Jumièges et de Saint-Germain, il eut encore celles de Saint-Amand et de Saint-Denis, près Paris.

Il fut fait chancelier de France en 867 et évêque de Paris en 884. La même année il signala son zèle au siège de cette ville, que les Normands attaquaient pour la quatrième fois.

Il y mourut le 16 avril 886, universellement regretté, tant à cause de son affection pour son peuple qu'à cause de sa valeur et des périls qu'il avait essuyés pour la défense de sa religion et de sa ville.


CODINE, LOUIS ET WELPON, DIX-NEUVIÈME, VINGTIÈME
ET VINGT ET UNIÈME ABBÉS (APRÈS 886).

Il eut trois successeurs jusqu'à la restauration de Jumièges : Codine, Louis et Welpon ou Guelfe, qu'on a dit mal à propos avoir été tué avec les 900 religieux qui composaient sa communauté au temps du sac de l'abbaye par les Normands. La fausseté de ce sentiment est manifestée par ses auteurs mêmes, qui n'ont placé ces trois abbés qu'après Rodolphe, sous lequel il est constant que Jumièges fut détruit, et même après Gauzlin, en faveur duquel Charles-le-Chauve expédia en 862 la charte dont nous avons parlé. Cette pièce, seule capable de les redresser, n'étant pas venue en leur connaissance, il n'est pas surprenant que dans l'opinion où ils étaient qu'il ne devait point y avoir d'abbé où il n'y avait plus d'abbaye, ils se soient pressés de faire vivre ceux-ci, tandis qu'elle subsistait, pour avoir un prétexte de leur donner place dans le catalogue des abbés de Jumièges, dont ils ne pouvaient raisonnablement les retrancher.

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[Notes de bas de page : * = originale ; † = par l'abbé Loth.]

1*.  Anonyme, Gesta Abbatum Fontanellensium¹, apud Luc d'Archery, Spicilegium, Paris, 1675, t. III, p. 227. [¹ «Chronique de Fontenelle».]

2*.  André Du Chesne, Historia Normannorum scriptores antiqui, Paris, 1619, t. II, p. 23.

3*.  Jean Hardouin, Acta conciliorum et epistolæ decretales ac constitutiones summorum pontificum, Paris, 1715.

4*.  Philippe Labbe, Chronologiæ historicæ, Paris, 1670 ; Anonyme, Annales Nazariani ; Anonyme, Chronique de Fontenelle ; François-Eudes de Mézeray, Abrégé chronologique de l'histoire de France, Amsterdam, Mortier, 1740 ; Louis Moreri, Le Grand dictionnaire historique, Paris, Coignard, 1718, 15e édition de Louis-Ellies Du Pin et de l'Abbé Le Cointe.

5*.  Jean Mabillon, Annales ordinis S. Benedicti, Paris, 1704, t. II, p. 290 ; Paolo Emili, De Rebus gestis Francorum, Vascosani, 1539, p. 43 ; Gabriel Daniel, Histoire de France... Nouvelle édition, Paris, rue Saint-Jacques, 1721, t. II, p. 89 ; et alii.

6*.  Matthæus Raderus, Bavaria Sancta, München, 1627, t. II, p. 848.

7*.  Mabillon, op. cit., t. II, p. 313.

8*.  Mabillon, op. cit.

9*.  François de Belleforest, Histoire universelle du monde, Paris, Mallot, 1570, t. I, pp. 105 et 106.

10*. Antonio de Yepes, Coronica general de la Orden de San Benito, Valladolid, 1617, t. II, p. 784 et suiv.

11*. Michel-Toussaint-Chrétien Du Plessis, Description géographique et historique de la haute Normandie, Paris, Nyon, 1740, t. II.

12*. Martin Bouquet, Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. II, p. 669.

13*. François-Eudes de Mézeray, Abrégé chronologique de l'histoire de France, Amsterdam, Mortier, 1740, t. I, p. 79 ; Bouquet, op. cit., t. III, p. 572.

14*. Mabillon, op. cit., t. II, p. 313.

15*. Anonyme, Chronique de Fontenelle, ch. 14, p. 226 ; et Du Chesne, op. cit., t. II.

16*. Jean Mabillon, Acta sanctorum ordinis S. Benedicti, Paris, 1672, t. III, part II, p. 446.

17†. Constamment : c'est-à-dire certainement.

18*. Jean Mabillon, Acta sanctorum ordinis S. Benedicti, Paris, 1672, t. III, part II, p. 446.

19*. Bouquet, op. cit., t. V, p. 650.

20*. [Source non identifiée ici] L'Abb. Biblioth., Nov., t. II, p. 156.

21*. Furetière.

22*. [Source non identifiée ici] Greg. Furon., l. III, c. 18.

23†. M. Hyacinthe Langlois, Essai sur les Énervés de Jumièges, Rouen, Frère, 1838, a publié une dissertation dont nous croyons devoir rappeler ici les conclusions. Il regarde la légende des Énervés comme une action imaginée par les moines, pour ajouter à la célébrité de leur abbaye, postérieurement à la conquête de Philippe-Auguste en 1204. Il s'appuie, entre autres raisons, sur le silence de Guillaume de Jumièges, qui, en parlant de la fondation de Jumièges dans sa chronique, ne fait aucune mention de l'aventure des Énervés. Le tombeau des Énervés, qu'il a étudié avec soin au pont de vue archéologique, ne peut remonter au-delà de la moitié du XIIIe siècle, surtout si l'on considère le type des figures et l'art de leur sculpture. Selon lui, c'est la légende qui a donné naissance au monument. M. Déville ajoute : «Les observations de M. H.-E. Langlois, sur l'âge et le style des figures des Enervés, si judicieuses et si sûres, se sont trouvées parfaitement confirmées par la découverts des débris de leur tombeau.» Cette découverte a été faits par M. Casimir Caumont. Il reste toutefois à savoir si le tombeau du XIIIe siècle n'a pas été fait pour remplacer un tombeau précédant ruiné par l'invasion des Normands. On ne voit pas trop comment les moines auraient pu accréditer une tradition purement imaginaire, et comment des hommes graves, de saints abbés, auraient consenti à sanctionner pendant de longs siècles une supercherie, au point même de fonder et de célébrer chaque année un obit solennel pour les Énervés, comme le prouve le nécrologe de Jumièges. Nous préférons penser, quant à nous, qu'il y a là un point d'histoire qui, comme beaucoup d'autres, demeure obscur et parviendra à être éclairci par les recherches des érudits de l'avenir.

M. l'abbé Cochet, pour lequel nous professons le plus tendre respect, s'est trop hâté en qualifiant de «fable» la légende des Énervés. M. l'abbé Émile Savalle, La Chronique des énervés, Rouen, Cagniard, 1868, soutient la légende monastique et réfute l'opinion de M. H. Langlois à l'aide d'arguments qui méritent l'attention.

24*. Preuves de Jumièges, art. 3.

25*. D'Archery, op. cit., t. IV, p. 488.

26*. Amalaire de Metz, Liber de ordine antiphonarii, vers 825.

27†. Cormery : abbaye fondée en 1780, par Ither, abbé de Saint-Martin de Tours. Elle est située dans le département d'Indre-et-Loire.

28*. Cartulaire de Saint-Martin de Tours.

29†. Donzère, en latin Diescra : était autrefois dans l'ancien diocèse de Saint-Paul-des-Trois Château, aujourd'hui dans le diocèse de Valence (Drôme)

30*. Pierre-François Chifflet, Histoire de l'abbaye royale et de la ville de Tournus, Dijon, Chavance, 1664, p. 260.

31†. Tournus : abbaye située dans l'ancien diocèse de Châlon-sur-Saône (Saône-de-Loire).

32*. Ernol de Nigelle, apud Bouquet, op. cit., t. V, p. 58.

33*. Mabillon, Acta sanctorum ordinis S. Benedicti, Paris, 1672, t. IV, part I, p. 217.

34*. Eginhard ou Einhard ou Einhardus, Vita Karoli magni, vers 820.

35*. Agobard de Lyon, Œuvres, t. I, p. 268.

36*. Anonyme, Vita S. Frederic, apud Société des Bollandistes, Acta sanctorum, 18 Julii, Antwerp, 1725, p. 461.

37*. Stephen Baluze, Vitæ Paparum Avenionensium, Paris, 1693, t. III.

38†. Angésise : on trouve plus communément Anségise.

39†. Une grande obscurité s'étend en effet sur toute la période depuis Charlemagne jusque la restauration du monastère, après les invasions normandes. La Neustria pia ne donne que quelques noms et les doctes auteurs de la Gallia christiana, Paris, 1759, t. Xl, pp. 190-191, n'osent rien affirmer ; ils nomment à peine Héliscar.

40*. Hincmar, De ordine palatii, Reims, vers 882 ; Bouquet, op. cit., t. VI, p. 216 ; apud Mabillon, Annales ordinis S. Benedicti, Paris, 1704, t. II, p. 532.

41*. Adrien Baillet, Chronologie des saints, Paris, Roulland, 1703, «5 sept».

42*. Société des Bollandistes, Acta sanctorum, Februarii, t. II, p. 418.

43†. Bourgueil : dans le département d'Indre-et-Loire.

44*. Gabriel Bucelin, Germaniæ topo-chrono-stemmatographia sacra et profana, 1672, Frankfurt, Kühnen, t. II, p. 372.

45*. Nithard, De Dissensionibus filiorum Ludovici Pii, t. I.

46*. Hariulf d'Oudenbourg, Chronicon centulense, t. IV ; D'Archery, op. cit., p. 497. [¹ «Chronique de l'abbaye de Saint-Riquier».]

47*. Preuves, art. 5 ; et Mabillon, Annales ordinis S. Benedicti, Paris, 1704, t. II, p. 754.

48*. Arnold de Wion, Lignum Vitæ, Venise, 1595, t. III ; Yepes, op. cit., t. II.

49*. Mabillon, Annales ordinis S. Benedicti, Paris, 1706, t. III, p. 13.

50*. Nicolas-Hugues Ménard, Martyrologium sanctorum ordinis S. Benedicti, duobus observationum libris illustratum, Paris, 1629, t. I, p. 3.

51†. Mathieu de Westminster, surnommé Florilège, moine bénédictin, a écrit une chronique latine¹ des événements qui se sont passés de 1066 à 1300, réputée généralement fidèle. [¹ Flores Historiarum.]

52*. Ex. Ms. Codex Bibliotheca Catharinæ reginæ Sueciæ apud Du Chesne, op. cit. t. I, p. 618.

53*. Jacobus Guisius dans Guilielmus Surenhusius, Mishna, Amsterdam, 1698-1703.

54*. Mabillon, Annales ordinis S. Benedicti, Paris, 1704, t. II, p. 620.

55*. Petrus Canisius de Nijmegen, Epist. Notkeri balbuli ad Lintvard, apud Mabillon, Acta sanctorum ordinis S. Benedicti, Paris, 1677, t. V, p. 18.

56*. Guillaume de Jumièges, Gesta Normannorum ducum, t. I, ch. 6.

57*. Albert Krantz, Chronica regnorum aquilonarium, Strasbourg, 1546, p. 633.

58*. Anonyme, Annales de Saint-Bertin, apud Du Chesne, op. cit., t. III.

59*. Ibid.

60*. Anonyme, Annales de Saint-Bertin, apud Du Chesne, op. cit., t. III, p. 93.

61*. Preuves, art. 6.

62*. Guillaume de Jumièges, Ibid.


«Histoire de l'abbaye royale de Saint-Pierre de Jumièges» :
Table des Chapitres ; Lexique ; Chapitre 4

[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]