«HISTOIRE DE L'ABBAYE ROYALE DE SAINT-PIERRE DE JUMIÈGES» ; 14


CHAPITRE 14. — Jean V, dit de la Chaussée, 60e abbé (1431). — Antoine Crespin, 61e abbé (1464). — Notes de bas de page.


JEAN V, DIT DE LA CHAUSSÉ, SOIXANTIÈME ABBÉ (1431).

Les religieux de Jumièges, après les funérailles de leur abbé [Nicolas Le Roux, le cinquante-neuvième abbé, qui mourut le 17 juin 1431], crurent n'avoir rien de mieux à faire que de remplir incessamment le siège abbatial d'un sujet qui leur fit oublier la perte qu'ils venaient de faire d'un supérieur qui n'avait cherché qu'à les rendre vertueux. Dès le 23 juin, ils tinrent leur première assemblée sur cette affaire. On commença par la lecture des lettres du roi et du chapitre de Rouen, qui permettaient l'élection ; après quoi l'on délibéra sur le lieu et le jour d'une nouvelle assemblée, sur la convocation des absents et sur la manière dont on procéderait (1). Il fut arrêté que l'assemblée se tiendrait le jeudi, 5 juillet, à Rouen, au manoir de la Poterne ; qu'on écrirait aux prieurs titulaires et aux autres religieux absents, et qu'on procéderait par la voix du scrutin, sans se mettre en peine de savoir si les absents seraient arrivés ou non. Les prieurs de Genesville, de Longueville et de Croutes se rendirent à Jumièges dès le lundi, 2 juillet ; ceux de Montaterre, de Dame-Marie et de Bû, avec frère Martin Dubois, diacre étudiant, à Paris, et quelques autres se contentèrent d'envoyer leur procuration (2). Le terme de l'assemblée étant proche, quinze religieux, députés de la communauté, et munis de la procuration de ceux qui demeuraient pour faire l'office divin en leur absence, partirent pour Rouen, et le 5 juillet, après la messe du Saint-Esprit, qui fut célébrée solennellement dans la chapelle de Saint-Filibert de la Poterne, par le prieur claustral, ils élurent pour abbé Jean de la Chaussée, procureur de l'abbaye et bachelier en théologie de la Faculté de Paris (3). Il n'avait alors que 46 ans, étant né en 1385. Mais outre qu'il paraît avoir été le plus ancien de profession à la réserve de Dom Guy de Vatetot, parce qu'il en était mort jusqu'à trente-sept, depuis l'an 1414 jusqu'en 1418, on eut moins d'égard à son âge qu'à son attachement à la justice, à son bon cœur et à son économie dans tout ce qui le regardait, en même temps qu'il était très charitable envers ses frères et toujours attentif à leurs besoins.

Il donna ce jour-là un grand et magnifique dîner à tous les électeurs, qui retournèrent ensuite à Jumièges, après l'avoir autorisé par un acte devant notaire à poursuivre son élection auprès du pape Eugène IV et des grands vicaires de l'archevêché (4) ; mais il se déchargea de ce soin par une procuration du 16 juillet sur Guy de Vatetot, qu'il continua dans la charge de prieur claustral, et sur Guillaume-le-Bas, qui firent confirmer son élection le lendemain par le chapitre de Rouen et les vicaires généraux (5). Le pape la confirma lui-même par une bulle du 26 septembre, adressée à l'archevêque de Rouen, et par une seconde du même jour, adressée aux religieux pour leur recommander l'obéissance. Jean de la Chaussée était alors à Rouen, où il attendait ses bulles, qu'il reçut le 14 octobre, et dès le lendemain, il donna procuration aux prieurs de Croutes et de Longueville pour prendre possession de l'abbaye en son nom ; ce qu'ils firent en effet le 17 du même mois, pendant que l'évêque d'Avranches donnait la bénédiction au nouvel abbé, dans la chapelle de Saint-Filibert, où il célébrait la messe pontificalement, assisté de Thomas, abbé du Bec, et de Guillaume, abbé de Saint-Georges de Bocherville, revêtus de leurs habits pontificaux, en présence de Nicolas de Venderès et de Jean Pinson, vicaires généraux de l'archevêché, de Robert Le Barbier, grand chantre de l'église cathédrale, de plusieurs ecclésiastiques, de la principale noblesse de la ville, et d'une multitude de peuple (6).

L'abbé de Jumièges n'eut recours à l'évêque d'Avranches pour être béni, que parce que l'archevêque de Rouen, Hugues d'Orges, n'était point encore entré dans son diocèse depuis sa nomination. Il paraît même qu'il avait agi auprès du pape pour avoir la permission d'en user de la sorte, et l'on voit en effet qu'Eugène IV le lui permit par une bulle du 15 octobre 1431 (7). Mais il prévint ce bref, ainsi que nous l'avons remarqué, soit qu'il ne le crut pas nécessaire, ou que, plus vraisemblablement, l'archevêque de Rouen eût consenti en lui envoyant ses bulles à laisser faire la cérémonie par l'évêque d'Avranches, qui reçut aussi son serment d'obéissance au Saint-Siège, selon les ordres du souverain pontife.

Par une autre bulle du 16 octobre de la même année, le pape excommunia tous ceux qui, durant la guerre, avaient usurpé les biens de l'abbaye, soit en fond de terre, soit en argent, ou en ornements, vases sacrés et saintes reliques, s'ils ne les restituaient pas après la publication de sa bulle, dont il chargea l'abbé de Saint-Wandrille, qui fut assez heureux pour réussir dans plusieurs paroisses, où il la fulmina au mois de mars 1432, que l'on comptait encore en France 1431, parce que l'année n'y commençait qu'à Pâques (8). Ces bons succès ne remplissant pas les espérances que les religieux de Jumièges avaient conçues de retrouver les 32000 livres qu'on leur avait enlevées à la mort de Nicolas Le Roux, Jean de la Chaussée présenta requête au roi Henry, qui l'écouta favorablement et donna commission, le 6 juin de l'an 1433, à un conseiller du Châtelet, de se transporter sur les lieux pour informer de nouveau sur cette affaire et punir selon les lois les auteurs de cette soustraction, qu'il lui ordonne de faire conduire dans les prisons de Paris sur le seul soupçon (9). Le commissaire, s'étant rendu à Jumièges, fit publier que tous ceux qui auraient connaissance de l'enlèvement du trésor de l'abbé Nicolas Le Roux, se rendissent à Rouen pour être ouïs sur ce qu'ils en savaient. Plusieurs personnes déposèrent «qu'elles avoient entendu dire au défunt abbé pendant sa maladie qu'il ménageoit une somme de 32,000 livres pour les réparations de son monastère, quand la guerre seroit finie, et que c'étoit la commune opinion que ses parents l'avoient soustraite» ; mais on ne voit pas qu'après ces instructions l'argent ait été rendu, ni qu'il y ait eu de punition, si ce n'est de la part de Dieu, qui a permis que cette famille ait péri misérablement, suivant les mémoires de l'abbaye.

Les lettres du Concile de Bâle n'eurent pas plus d'effet, quoique l'official de Rouen, auquel elles étaient adressées, en eût ordonné l'exécution dans les termes les plus propres à intimider les auteurs du larcin, et ce fut peut-être le mépris des censures de l'Église, autant que le vol même, qui attira sur les coupables la malédiction dont on vient de parler (10). Quoi qu'il en soit de cette conjoncture, l'abbé de Jumièges ne jugea pas à propos de continuer ses poursuites contre les parents de son prédécesseur, de crainte d'attirer sur eux une plus grande condamnation ou de voir piller ses biens à leur instigation par les paysans du pays de Caux, qui, se voyant entièrement ruinés par les Anglais, s'assemblèrent en 1434, au nombre de vingt mille, et firent beaucoup plus de mal à leur patrie qu'à leurs ennemis. Au reste, cette précaution ne lui fut pas plus utile que la protection de l'Université de Paris, sous laquelle il s'était mis en qualité d'étudiant, dès le mois de juin de l'année précédente. Ses biens furent pillés sans aucun respect pour les pennonceaux et bâtons royaux que les huissiers étaient venus planter sur les maisons, granges, terres, prés, bois et vignes dépendant de Jumièges, dans l'étendue du royaume et de la Normandie (11). Ces troupes sans discipline commirent de si grands désordres, que tout le monde déserta, et l'on ne vit plus dans tout le pays de Caux ni hommes, ni femmes, excepté dans les forteresses (12).

Jean de la Chaussée était alors à Rouen, où, par commission du Concile de Bâle, il avait indiqué une assemblée de tous les abbés et prieurs de la province pour le jeudi de Quasimodo de l'année courante 1434 (13). L'élection de dix députés au concile général était le motif de cette assemblée, mais il paraît qu'elle n'eut point lieu, parce que les chemins n'étaient point sûrs en Basse-Normandie, à cause de la révolte de plus de cinquante mille paysans, qui s'y étaient attroupés pour chasser les Anglais. Les pères du Concile, informés par lettres de ce qui se passait en Normandie, invitèrent l'abbé de Jumièges à se rendre au Concile, selon, disent-ils, qu'il est de droit que les abbés de Jumièges y assistent ; et pour lui procurer toute sûreté dans les lieux où il passerait, ils lui expédièrent un sauf-conduit le 1er août 1434. Mais comme la lettre du Concile n'était qu'une invitation, il aima mieux demeurer à Rouen dans son hôtel de la Poterne que de courir les risques d'un voyage à Bâle, dont il prévoyait d'ailleurs qu'il serait obligé de faire les frais, n'étant pas député de la province.

Ce fut de là que, de concert avec ses religieux qui s'étaient retirés avec lui à la Poterne, jusqu'à ce que le danger de la sédition fût passé, il appela au pape et au Concile pour se mettre à l'abri des entreprises de l'évêque d'Évreux sur le temporel de son abbaye et de l'excommunication qu'il avait lancée et affichée contre lui dans sa ville épiscopale, pour ne s'être pas trouvé à l'assemblée que ce prélat avait tenue au sujet d'un décime que le concile lui avait accordé sur le clergé de son diocèse, pour fournir à sa subsistance dans le concile. L'appel est du 31 juillet 1434. Il expose : 1° qu'il n'est pas de l'évêché d'Évreux, et que, par conséquent, il a pu ignorer le temps de l'assemblée diocésaine ; 2° qu'il était alors occupé aux affaires du Concile ; il parle sans doute de l'assemblée des abbés et des prieurs qu'il avait convoqués pour le jeudi de Quasimodo (14) ; 3° que l'évêque avait agi pour son propre mouvement et contre l'avis des abbés de Saint-Taurin et de Lyre; 4° qu'il avait assez de biens pour faire le voyage de Bâle à ses dépens et que le Concile n'avait recommandé ce décime que comme une charité ; 5° que son monastère de Jumièges est ruiné et même abandonné à cause des guerres qui désolent l'État depuis dix-huit ans, et qu'il doit encore l'argent de ses bulles ; 6° qu'il n'est tenu à aucun subside hors de son diocèse ; qu'il avait contribué, à proportion du revenu de son abbaye, à la subsistance de l'archevêque de Rouen et même des docteurs de l'Université actuellement au Concile, et, qu'ainsi, il devait être exempt de payer à l'évêque d'Évreux. Nous ne voyons point, en effet, que les religieux de Jumièges aient contribué à cette imposition commune que le prélat avait paru exiger avec tant de violence, soit qu'il ait reconnu qu'ils en étaient exempts, soit que le pape ou le Concile ait eu égard à leurs remontrances et aux dommages qu'ils souffraient à cause des guerres.

Mais reprenons le récit de leur départ de Jumièges, ou plutôt de leur retraite à la Poterne, où ils avaient apporté les saintes reliques et ce qu'il y avait de plus considérable dans le trésor de leur église, tant pour veiller à leur sûreté contre les Anglais, que pour les préserver de la fureur des vingt mille Cauchois qui couraient le pays et y commettaient une infinité de brigandages encore plus à craindre, et plus grands que n'en commettaient les ennemis. De longtemps ils n'avaient été si tranquilles qu'ils furent d'abord. Le duc de Bedford, qui les aimait toujours depuis la condamnation de la Pucelle d'Orléans, à laquelle l'abbé Nicolas avait assisté (15), leur procura dans Rouen le repos et l'assurance qu'ils ne pouvaient trouver à Jumièges. Ils ne sortaient jamais en ville et ne recevaient aucune visite inutile de passe-temps. Ils faisaient régulièrement l'office de jour et de nuit ; leur chapelle était fréquentée et leurs saintes reliques en si grande vénération, que le curé de Saint-Lô, sur la paroisse duquel l'hôtel de la Poterne est bâti, voyant son église déserte, leur intenta procès pour les obliger à fermer leur chapelle ou à lui remettre les offrandes qu'on faisait en ce lieu, prétendant qu'elles lui appartenaient. L'affaire traîna en longueur, et les moines jouissaient encore de toutes les offrandes au commencement de février 1435, lorsque, pour le bien de la paix et par amitié, ils consentirent par transaction, devant Guillaume Evrard, docteur en théologie, chantre et chanoine de l'église cathédrale, que les oblations en cire appartiendraient au curé de Saint-Lô jusqu'au dimanche de Quasimodo suivant, et qu'il mettrait un clerc dans la chapelle pour les recevoir (16). Cependant ils percevaient toutes les offrandes en argent, et il semble que Dieu jugea en leur faveur, en permettant que le plus grand avantage fût toujours de leur côté.

On pourrait, ce semble, conclure de ce terme de Quasimodo employé dans la transaction, que les religieux de Jumièges avaient fixé à ce temps leur départ de Rouen pour retourner en leur monastère ; mais comme il n'en est rien dit dans un autre monument, nous ne croyons pas devoir avancer comme quelque chose de certain ce qui ne nous paraît à nous-même que vraisemblable. Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'on ne peut reculer l'époque de leur retour au-delà du mois septembre. Une lettre datée de Jumièges, le jeudi 22 du même mois, met cette vérité dans tout son jour. Elle est de l'abbé Jean de la Chaussée à l'archevêque de Rouen, pour le prier d'ordonner deux de ses religieux qu'il avait examinés et trouvés suffisamment instruits, ce qui prouve la confiance du prélat dans l'abbé de Jumièges et l'amour de ses religieux pour l'étude. Aussi voyons-nous qu'outre les leçons qu'on leur faisait dans l'abbaye les cinq ou six premières années de leur profession, on les envoyait tous à Paris pour prendre leurs degrés.

Tout allait bien à Jumièges, à la cherté des vivres près et quelques disputes assez vives entre l'abbé Jean et les abbés de Fécamp, de Saint-Wandrille et du Bec au sujet de la préséance dans les Échiquiers et dans les synodes auxquels ils avaient droit d'assister (17). Nous dirons dans la suite leurs raisons de part et d'autres.

Nous observerons seulement ici que l'abbé du Bec, par diverses menées, ayant fait débouter l'abbé de Jumièges, en 1436, de la place qu'il avait au-dessus de lui dans les synodes, Jean de la Chaussée appela de cette sentence au Concile de Bâle, et obtint pour juges, le 1er mai 1437, l'abbé de Fécamp et le doyen de la cathédrale. L'abbé de Fécamp remit sa commission, et ainsi elle demeura sans effet ; mais les deux abbés ayant compromis de leur différend entre les mains du doyen, il se chargea de les juger, sans que, néanmoins, nous ayons pu découvrir quel fut le succès de ce compromis. Nous savons seulement que le commissaire mourut au mois de novembre de l'année suivante, et que, s'il avait eu égard à l'ordonnance du Concile de Bâle, dans le jugement qu'il aurait pu porter, la préséance était due à l'abbaye de Jumièges, à cause de son antiquité.

Au milieu de ces traverses et des calamités publiques qui affligeaient la province, l'abbé donnait les meilleurs ordres qu'il lui était possible pour avoir au moins le nécessaire dans l'abbaye, et les officiers secondaient si bien ses vœux, que personne n'eut lieu de se plaindre d'une trop grande misère. Mais pendant que, contents de leur état, les religieux de Jumièges s'entretenaient dans une honnête médiocrité, quelques malfaiteurs mirent le feu à leurs bois et en brûlèrent 48 arpents dans une nuit. L'abbé ayant, fait faire des informations inutiles, prétendit réparer cette perte par une nouvelle bulle d'Eugène IV adressé le 8 octobre 1442 à l'abbé de Saint-Étienne de Caen et à l'official de Rouen, pour la restitution des biens usurpés sur son monastère (18) ; mais cette bulle eut encore moins d'effet que celle du 16 octobre 1431, les usurpateurs se trouvant plus d'humeur que jamais de conserver ce qu'ils avaient pris, pour se dédommager eux-mêmes des pertes qu'ils faisaient tous les jours.

La chose étant devenue ainsi impossible, les religieux ne songèrent plus qu'à ménager ce qui leur restait, jusqu'à ce que la bonne fortune de Charles VII, qui semblait leur promettre une révolution prochaine, leur fournît une occasion de travailler plus sûrement à rentrer dans leurs anciennes possessions. Leur espérance ne fut pas vaine, mais elle ne fut pas sitôt remplie, et ils eurent encore beaucoup à souffrir jusqu'en 1450, que les Anglais furent entièrement chassés de la Normandie.

Il se passa peu de choses dans cet intervalle qui mérite avoir place dans notre histoire. Nous remarquerons cependant que Guillaume Le Bas, dont nous avons parlé ailleurs (19), fut fait abbé de Notre-Dame de Lyre par le pape Eugène ; que l'extrême disette, qui fut toujours la plus grande épreuve des religieux de Jumièges, jointe à la mortalité qui la suivit durant ces dernières années de la domination anglaise, loin d'affaiblir en eux l'esprit de régularité, ne les rendit que plus fidèles observateurs de leur règle, plus patients dans les afflictions et plus résignés à la mort, qu'ils voyaient devant leurs yeux et qu'ils subirent tous à l'exception de quatre. La bonne odeur d'une si sainte vie s'étant répandue dans la province et même au-delà (20), les abbés de Saini-Sauveur-le-Vicomte et de Saint-Martin d'Autun recherchèrent leur amitié par des lettres d'association, auxquelles l'abbé et les religieux de Jumièges répondirent par d'autres lettres dont on peut voir la formule dans ce que nous avons rapporté de leur société avec les abbayes de Saint-Ouen, de Saint-Wandrille et de Saint-Evroult (21).

Enfin le temps arriva où la Normandie devait rentrer une seconde fois sous la domination de son légitime souverain. Charles VII commença la conquête de cette province en 1449 par la prise de Verneuil, de Lisieux, de Pont-Audemer, de Mantes, de Vernon, de Conches, de Gournay, de Neufchâtel, de Coutances, d'Alençon, de Château-Gaillard et de quelques autres places qui furent emportées d'assaut ou par composition. Rouen se rendit le 17 octobre (22), et le duc de Somerset, qui commandait la garnison anglaise, eut permission d'en sortir le 4 novembre avec toutes ses troupes, armes et bagages, à condition qu'il remettrait entre les mains du roi les villes de Honfleur, d'Arques, de Caudebec et toutes les autres que les Anglais occupaient encore au pays de Caux, excepté Harfleur, que le duc de Somerset ne voulut point comprendre dans la capitulation, comme étant la première conquête de Henry V. Tous les articles de la capitulation furent exécutés, à la exception de Honfleur, que le gouverneur ne voulut jamais rendre.

Comme cette place, ainsi qu'Harfleur, était de la dernière importance, Charles VII résolut de faire siège de l'une et de l'autre.

Il partit de Rouen sur la fin de novembre, après avoir réglé le gouvernement de la police, et vint se reposer à Jumièges, où il demeura jusqu'au 8 décembre, que Harfleur fut investi avec 12000 ou 15000 mille hommes. Le roi y arriva deux jours après, et anima tellement le soldat par sa présence jusque dans la tranchée et dans les mines, que, le 24 du même mois, les assiégés capitulèrent et livrèrent la ville le 1er janvier. Le roi en donna le gouvernement au comte de Dunois, bâtard d'Orléans, et revint à Jumièges, où sa plus chère maîtresse, Agnès Sorel, l'était venu trouver, sous prétexte de l'avertir que quelques-uns de ses gens voulaient le trahir et le livrer aux Anglais ; mais, en effet, pour lui faire quitter ce pays-là et l'attirer à Paris, afin de l'avoir toujours auprès d'elle ; quoiqu'elle lui eût autrefois reproché de préférer l'amour à la gloire, elle ne réussit pas dans ce qu'elle s'était proposé. Le roi demeura à Jumièges avec ses courtisans et ses gardes pendant le siège d'Honfleur, qui fut de trente-neuf jours, à compter depuis le 10 janvier jusqu'au 18 février. C'est tout ce que l'histoire écrite nous a conservé de ce séjour de Charles VII dans l'abbaye de Jumièges ; mais nous en savons davantage par les mémoires de l'abbaye. Le roi, suivant ces mémoires, allant de Rouen à Harfleur, qu'il voulait assiéger, passa par Jumièges, comme nous l'avons remarqué, et trouva tant de commodités dans le superbe palais que les religieux avaient fait bâtir pour ses prédécesseurs lorsque le plaisir de la chasse ou le besoin de l'État les appelait en Normandie, qu'il résolut d'y demeurer jusqu'à l'entière défaite des Anglais dans la province. En partant, il donna ses ordres pour le meubler, et il y revint, en effet, après la prise d'Harfleur, tandis que ses généraux étaient occupés de chasser les Anglais de toutes les places qui tenaient encore pour eux en Basse-Normandie. Les moines le reçurent en chapes, au son de toutes les cloches et sous un riche dais. L'abbé le harangua sur l'heureux succès de ses armes, et, après la harangue, il lui présenta les clefs de l'abbaye ; mais le roi les refusa honnêtement et entra dans l'église où, après une courte prière, il se retira à son appartement, suivi de ses courtisans et précédé de tous les religieux, qui chantèrent le lendemain une messe d'actions de grâces à laquelle le roi voulut assister. Il écouta favorablement leur demande touchant la restitution de leurs biens aliénés ou usurpés pendant la guerre ; mais l'auteur du mémoire ne nous dit point s'ils furent restitués. Ce qu'il y a de certain, c'est que l'abbé Jean, trois ans après, lui rendit un aveu des biens de l'abbaye, dans lequel il est fait mention de tous ceux que Henry avait confirmés par sa charte de 1421 (23).

Il y avait près de six semaines que le roi Charles VII était à Jumièges, lorsqu'Agnès Sorel fut attaquée d'une dysenterie mortelle, dont elle mourut à la ferme du Mesnil (24), dépendante de l'abbaye le 9 février (25) de cette année 1450, sur les six heures du soir, âgée seulement de quarante ans, Elle mourut dans de grands sentiments de pénitence, et laissa aux religieux de Jumièges 800 saluts d'or fin, de 62 au marc, pour lui dire une messe basse tous les jours et faire son service solennel chaque année. Ils s'y engagèrent par lettres patentes du 14 mars suivant, à la réquisition de Jacques Cœur, Robert Poitevin et Étienne Chevalier, qu'elle avait fait exécuteurs de son testament (26).

Le roi confirma la donation de sa maîtresse et permit aux religieux d'en acheter un fond de terre, qu'il exempta dès lors du droit d'amortissement. Le cœur et les entrailles de cette demoiselle furent enterrés, suivant sa dernière volonté, dans la chapelle de la Vierge, où l'on voit encore aujourd'hui son mausolée en marbre noir, élevé de trois pieds ou environ au-dessus du pavé (27). Elle y était représentée en posture de suppliante, à deux genoux, tenant entre ses mains un cœur qu'elle offrait à la Sainte Vierge, comme pour la supplier de la réconcilier avec Dieu, qu'elle avait tant offensé pendant sa vie (28). Aux pieds du tombeau était un autre cœur en marbre blanc ; mais ce second cœur et la statue entière, qui était aussi de marbre blanc et fermé de grilles de fer, ont été enlevés par les Huguenots du XVIe siècle, avec deux tables de cuivre sur lesquelles on avait gravé plusieurs vers à sa louange. Belleforest, pour se venger des moines de Jumièges qui ne lui avaient pas voulu confier leurs manuscrits, ni payer son voyage, n'oublie pas de remarquer que la belle Agnès est enterrée à Loches, en Touraine, et que mal à propos aucuns auteurs la tiennent avoir été inhumée à Jumièges (29). Il nous donne la description de son mausolée dans l'église collégiale de Notre-Dame de Loches ; et c'est précisément la même chose que celui de Jumièges qu'il avait vu. Il ajoute qu'on lui a communiqué le premier vers de son épitaphe, et c'est encore le premier vers d'une des quatre épitaphes qu'on avait gravées sur des tables de cuivre, incrustées dans la muraille de la chapelle de la Vierge, à Jumièges. Celle même dont il cite le premier vers, hic jacet in tumbâ mitis simplesque columba, et qui porte la condamnation de sa mauvaise foi, subsiste encore tout entière autour du tombeau de Jumièges, où elle fut gravée en 1525 ; on ne dit point pourquoi. Elle est composée de vingt-deux vers, que nous rapporterons ici, afin qu'on voie clairement, par le seizième, que le corps d' Agnès Sorel est à la vérité à Loches, mais que son cœur et ses entrailles sont à Jumièges :

Hic jacet in tumbâ mitis simplexque columba,
Candidior cycnis, flammâ rubicundior ignis,
Agnes pulchra nimis, terræ latitatur in imis,
Et flores veris facies hujus mulieris ;
Belaltæque domum nemus astans Vinceniarum
Rexit, et a specie nomen suscepit utrumque,
Ferreriamque Roquam, Vernonis et utiqûe gentem
Ac Issodunum, regimen dedit omnibus unum.
Alloquiis mitis, compescens scandala litis,
Ecclesiisque dabat, et egenos sponte fovebat.
Illi Seurellæ cognomen erat domicillæ.
Et non miretur quis si species decoretur ;
Ipsius, est ipsa quoniam depicta ducissa
Hoc factum sponte, certâ ratione movente,
Pro laudum titulis, meritorum sive libellis.
Ilia Gemiticis latitantur, cœtera Lochis ;
Mille quadringentis quadraginta novem tulit annis,
Illam cum sanctia in tronum, vita perennis,
Nona dies mensis hanc abstulit inde secundi,
Palmis extensis migravit ab ordine mundi.

_____________

Bella fui quondam Agnes nomine, regia pellex.
Nunc tumulo vermes turpe cadaver alit
Mallarius faciebat 1525.

Voici l'épitaphe française qu'on lit encore sur le même tombeau :

«Cy git Agnès Surelles, noble demoiselle, en son vivant Dame de Roqueferriere, de Beauté, d'Issouldun et de Vermon sur Seine; piteuse entre toutes gens, qui de ses biens donnoit largement aux églises et aux pauvres ; qui trépassa le 9e jour de février l'an de grâce 1449. Priez Dieu pour elle.»

L'usage était en France de ne commencer l'année qu'après Pâques, et c'est pour cette raison qu'on a marqué sa mort en 1449 au lieu de 1450 (30).

Le roi fut touché de la perte de sa maîtresse et partit peu de jours après sans avoir pu rien exécuter de ce qu'il se proposait de faire en faveur des religieux de Jumièges, pour lesquels il avait une singulière affection, dit le comte de Dunois, dans un acte public du 31 janvier 1451. Mais ayant continué son voyage dans la province, il ne fut pas plutôt arrivé à Alençon, qu'il sentit toute sa tendresse pour eux se réveiller, à mesure que sa douleur se calmait. Plein de ses sentiments de bonté, que la vertu des moines dont il avait été témoin, et le souvenir de leurs malheurs passés faisaient naître dans son cœur, il fit mander à l'abbé de se rendre auprès de lui avec le procureur de ses religieux, et leur donna dans la seigneurie d'Anneville 13,5 acres de pré, en trois pièces, une motte, un fossé courant et la pêche dans la rivière de Seine, jusqu'au fil de l'eau (31). Non content de cette donation, il voulut encore que les fonds qu'il cédait fussent exempts du droit d'amortissement et réunis à perpétuité à la baronnie de Jumièges, ce qu'il déclara par une charte donnée à Alençon au mois de mars 1450, et enregistrée à la Chambre des comptes de Paris le 30 du même mois. En conséquence de ce bienfait, le roi exigea trois choses de l'abbé et des religieux : 1° que tous les ans, après sa mort, ils célébreraient, à certains jours marqués, quatre anniversaires solennels avec office à neuf leçons, pour le repos de son âme et de ses successeurs ; 2° que tous les samedis de l'année, les veilles et jours de fêtes de Notre-Dame, ils chanteraient après vêpres, dans leur chapelle fondée sous l'invocation de la Vierge, le répons Sancta et immaculata avec le verset du temps et l'oraison Omnipotens sempiterne Deus, qui gloriosæ virginis matris Mariæ ; 3° que cette même oraison finie, ils réciteraient le psaume De profundis et les trois oraisons des défunts. L'abbé en ayant conféré à son retour avec ses religieux, on résolut unanimement d'accepter la donation du roi aux conditions stipulées dans ses lettres ; ce qui fut exécuté le 22 mars de la même année, par un acte capitulaire scellé de deux sceaux en cire verte, dont le notaire d'Alençon fit une copie, qui fut déposée dans la suite à la Chambre des comptes de Paris (32).

L'affaire était entièrement consommée entre le donateur et les donataires ; le roi avait même déjà mandé au bailli de Rouen de les mettre en possession de la pêche d'Anneville et de tout ce qu'il leur avait cédé au même lieu ; mais comme ce prince, pendant son séjour à Jumièges, avait donné absolument sans réserve la terre et seigneurie d'Anneville à Jean, bâtard d'Orléans et comte de Dunois, les religieux crurent qu'il était nécessaire d'avoir son consentement avant de prendre possession d'une partie de son domaine (33). Le roi étant encore à Alençon, en parla au comte, qui consentit à cette donation et la ratifia le 15 avril de l'année courante (34). Ainsi l'affaire fut consommée, et l'abbé Jean, accompagné de Dom Thierry Davy, chambrier et procureur de religieux de Jumièges, mis en possession le 22 du même mois par Guillaume de la Fontaine, lieutenant général du bailli de Rouen, sans aucune contradiction ni empêchement de la part des officiers du comte (35). Mais bientôt après ces mêmes officiers troublèrent les religieux dans leur jouissance et dans l'exercice de leur justice sur les pêcheurs, ce qui engagea l'abbé pour pacifier cette querelle et éviter toute dispute à l'avenir, à proposer au comte de Dunois de vendre à l'abbaye de Jumièges sa portion dans Anneville avec la seigneurie, si le roi le voulait permettre. Le comte de Dunois avait besoin de cette permission, parce que la terre et seigneurie d'Anneville étaient réversibles à la couronne, au défaut d'hoirs mâles légitimement procréés de son corps. L'abbé se chargea de lever cette difficulté et il en vint à bout, comme il paraît, par les lettres de Charles VII données à Montils-les-Tours le 29 janvier 1451, par lesquelles il permet au comte de Dunois de vendre la portion qu'il a cédée à Anneville, et aux religieux de Jumièges de l'acheter.

Jean de la Chaussée, muni de ces lettres, alla trouver le comte à Tours, «qui lui quitta, céda et transporta tout le droit et action qu'il avoit et pouvoit avoir et prétendre sur la terre et seigneurie d'Anneville, pour en jouir de maintenant et emploier les revenus au profit de l'abbaïe de Jumièges, d'héritages à elle appartenants, moiennant 1,000 écus d'or paiables en trois termes dans l'année courante» (36). Le contrat d'acquisition est du 31 janvier de la même année 1451. Il fut confirmé par le roi le 3 février suivant, et les religieux de Jumièges déclarés exempts du droit d'amortissement pour ce nouvel acquêt (37). Ce n'était pas la première faveur que le prince leur accordait depuis le commencement de cette année. Il avait confirmé dans Tours, le 23 janvier précédent, le privilège que Philippe-Auguste leur avait donné en 1210 de faire descendre tous les vins de leur cru par la Seine jusqu'à Jumièges, et d'en vendre pour leurs besoins sans payer aucun droit.

Le fief de Serans, dont nous avons parlé ailleurs, était alors disputé par deux contendants. Pour bien entendre le sujet de leur contestation et la part que les religieux avaient, il faut rependre l'affaire de plus haut. Les religieux de Jumièges, à cause de leur baronnie de Coulonces, donnée par Richard II, étaient anciennement seigneurs directs, patrons présentateurs et décimateurs de la paroisse de Saint-Sulpice-de-Serans, près d'Ecouché, et seigneurs suzerains de plusieurs fiefs et vavassories nobles situés tant à Serans qu'au Mênilglaise et aux environs. Ces fiefs et et vavassories étaient tenus à foi et hommage des religieux de Jumièges à cause de leur fief de Serans, par Richard de Gibouri, écuyer et Robert de Prulay, chevalier, moyennant certaines redevances coutumières qu'ils leur en faisaient, ainsi qu'il est référé dans l'acte du samedi avant la Trinité de l'an 1338. L'existence de la seigneurie directe des religieux de Jumiàges dans Serans est prouvée par les difficultés qui survinrent entre eux comme seigneurs suzerains et Richard de Gibouri comme seigneur servant. Richard de Gibouri, au droit de fiefs qu'il tenait de l'abbé et des religieux dans Serans et Mênilglaise, prétendait des droits de treizième sur quelques pièces de terre, comme d'héritages tenus de ses fiefs ; l'abbé et les religieux prétendaient au contraire que ces droits de treizième leur appartenaient comme d'héritages immédiatement tenus d'eux, à cause de leur seigneurie de Serans. On plaida ; mais le désir de finir toutes ces difficultés et de conserver la paix détermina l'abbé et les religieux de Jumièges à céder à fief à Richard de Gibouri tout ce qu'ils avaient et pouvaient avoir à Serans et au Mênilglaise, même la foi et hommage que leur devait, comme seigneur de Serans, Robert de Prulay, pour vavassorie noble de Lalande, à condition que le dit de Gibouri tiendrait le tout par une seule féauté, et leur en payerait 30 livres de rente aux termes marqués dans le contrat d'inféodation du samedi avant la Trinité.

Dès l'an 1334, l'abbé et les religieux de Jumièges, de l'agrément de Henry Ier, roi d'Angleterre et duc de Normandie, et du consentement de l'archevêque de Rouen, avaient disposé, en faveur de l'abbé et des religieux de Saint-Martin de Séez, du patronage utile et des dîmes de la paroisse de Serans et de ce qui appartenait à l'église, au moyen d'une redevance annuelle de 10 sols, qu'ils n'ont jamais refusé de payer. Mais il n'en fut pas de même du traité d'inféodation faite par l'abbé et les religieux de Jumièges de leur fief et seigneurie de Serans, à Richard de Gibouri n'accepta volontiers toutes les conditions et s'y obligea même, par la religion du serment, tant pour lui que pour ses successeurs ; mais il ne fut pas scrupuleux observateur des obligations qu'il avait contractées, car, sous prétexte de guerres et mortalités arrivées dans le pays, il poursuivit, peu de temps après et tant qu'il vécut, la résiliation du contrat de fief, afin de demeurer déchargé de la rente de 30 livres, ainsi qu'on le voit dans une reconnaissance passée devant les tabellions d'Exme en 1374, par Jean de Verger et sa femme, fille et héritière de Richard de Gibouri (38), par laquelle ils reconnussent qu'anciennement le même Richard de Gibouri avait pris en fief et héritage, des religieux et abbé de Jumièges, toutes les «terres, rentes, noblesse, justice, seigneurie et appartenances quelconques, qu'ils avoient en la ville et paroisse de Serans, près Ecouché, par le prix et somme de 30 livres tournois d'annuelle rente, comme il est plus à plein contenu ès-lettres sur ce faites par ledit Richard» ; lesquelles lettres, Duverger et sa femme reconnurent et approuvèrent sans aller en contre, etc. Reconnurent de plus que «Richard de Gibouri et ses héritiers avoient mal procédé, et qu'ils en auroient pu être repris comme de leur mauvaise administration, pourquoi ils déchargent l'abbé et les religieux de Jumièges de tous les frais de procédure qu'ils auroient ci-devant faits contre Richard de Gibouri et ses héritiers ; et attendu le mauvais état dans lequel les guerres et les maladies contagieuses avoient réduit le pays, ils s'obligent de payer pour tenir lieu de tous arrérages 20 livres, et de ne payer par an, pendant neuf ans, que 10 livres au terme de Saint-Michel ; et les neuf ans passés, l'abbé et les religieux pourront exiger les 80 livres créées par le premier contrat.»

Ce nouvel arrangement, qui ne paraît accepté par l'abbé et les religieux de Jumièges que par leur silence, ne subsista point encore longtemps. Le pays continuant d'être désolé et demeurant comme inculte, Jean du Verger et Jeanne de Gibouri, sa femme, avec une marquise, veuve de Robert de La Boulaie, passèrent un autre acte devant le notaire d'Ecouché, le 23 août 1395, par lequel ils reconnaissent qu'encore qu'ils fussent obligés depuis dix ans envers les religieux de Jumièges, à 30 livres de rentes, à cause du fief et terre de Serans, qu'ils tenaient des dits religieux, néanmoins, parce que les dits fiefs et terres sont à non valeur, à cause de pestilence, guerre et mortalité, les dits religieux ont consenti de leur relâcher 18 livres tournois sur les 30 livres, et pour les 12 livres restant ils s'obligent, tant pour eux que pour leurs héritiers, à les faire et payer aux religieux et à leurs successeurs par, chacun an, au terme de Noël. Cette promesse, si authentique qu'elle fût de la part des héritiers de Gibouri, ne fut pas plus religieusement observée que les obligations précédentes. On voit, dans un acte émané du Bailliage d'Exme, le 19 février 1405, que l'abbé et les religieux de Jumièges, faute de paiement, furent obligés de saisir et de faire décréter la terre et seigneurie de Serans, sur Richard de La Boulaie, qui n'arrêta le décret qu'au moyen d'une somme de 69 livres qu'il s'obligea de leur payer. Que cette somme ait été payée en effet ou qu'il soit échu d'autres arrérages depuis, il paraît que les religieux furent obligés quelques années après d'user de saisie féodale, et que faute d'aveu et de paiement des rentes seigneuriales, ils réunirent le fief de Serans à leur baronnie de Coulonces ; mais un nommé Guillaume Lequeu, écuyer, à qui il était dû par Richard de La Boulaie une rente de 8 livres, fit saisir réellement le fief et le fit décréter.

L'abbé et les religieux de Jumièges s'opposèrent au décret, soutenant qu'il ne pouvait être passé qu'aux charges des droits qui leur étaient dus, et qu'au refus de ce faire, ils devaient être préférés à Lequeu à charge de lui payer sa rente au fond et arrérages. Le juge ne leur ayant accordé aucune de leur demandes, et ayant envoyé Lequeu purement et simplement en possession, un pareil jugement occasionna une prise à partie. L'abbé et les religieux de Jumièges se pourvurent vers le roi, qui leur accorda commission pour intimer le juge au prochain Échiquier de Normandie, et ordonna que les choses saisies seraient en séquestre et administrées par commissaires établis par justice, ainsi qu'il est plus amplement détaillé dans la plainte du 23 août 1446. Quatre ans après le séquestre et régie ordonnés et exécutés, Jean de La Boulaie, fils de Richard, s'adressa au duc d'Alençon, et lui ayant représenté ses services militaires et l'indigence à laquelle il était réduit par la détention et régie de son bien, il en obtint des ordres au bailli d'Alençon ou à son lieutenant, à Exme, qui lui donna main levée et le remit en possession de son fief et seigneurie de Serans. Lequeu s'opposa, et soutint qu'au préjudice des lettres royales, qui avaient ordonné le séquestre, et de l'adjudication qui lui avait été faite, les lettres du duc d'Alençon, ni la main levée accordée en conséquence ne devaient prévaloir à sa possession ; que si cependant Jean de La Boulaie voulait entrer en conciliation et s'en rapporter à la décision de son conseil, il y déférerait volontiers, et que La Boulaie aurait lieu d'être content.

Ce qui ayant été accepté, la question du possessoire, demeura indécise ; mais l'abbé et les religieux de Jumièges, par leur procureur Dom Jean Bournal, se présentèrent et demandèrent que quelqu'appointement ou traité qui fût fait entré Lequeu et La Boulaie, ils fussent payés des arrérages de 12 livres de rente avant tout, dont acte fut accordé par le siège d'Exme le 20 mars 1450. Le 16 décembre de la même année, la question de la possession du fief respectivement prétendue par Jean de La Boulaie et Guillaume Lequeu, ayant été de nouveau portée à l'audience, et les parties ayant déduit chacune leurs raisons, Dom Jean Bournal se présenta et demanda le séquestre ordonné par les lettres du roi, pour être payé des arrérages qui lui étaient dûs ; à quoi il fut reçu, comme il paraît par la sentence du Bailliage d'Exme, datée du même jour. Le droit de l'abbé et des religieux de Jumièges sur le fief, terre et seigneurie de Serans, était connu de Lequeu et de La Boulaie, sur lequel ledit Lequeu l'avait fait décréter. Cependant Lequeu voulut soutenir son adjudication, mais ne l'ayant pu représenter et voyant que les religieux se disposaient à en prouver l'irrégularité et même la nullité, attendu qu'avant le décret le fief de Serans avaient été réuni à la baronnie de Coulonces, il se désista de toutes poursuites en faveur de Jean de La Boulaie, qui prit le partit de céder son droit à Roger d'Alençon, à condition qu'il lui donnerait l'argent nécessaire pour payer les religieux de Jumièges et Guillaume Lequeu.

Roger d'Alençon ayant accepté la proposition, se transporta à Jumièges avec Jean de la Boulaie, et étant convenu de leurs faits, les religieux consentirent au transport qui lui fut fait du fief, terre et seigneurie de Serans, au moyen d'une somme de 120 livres pour les arrérages et de 12 livres de rente annuelle avec la foi et hommage, ainsi qu'il est plus au long détaillé dans l'acte passé devant le tabellion de Saint-Georges, le 14 juin 1451. Ce fief est resté longtemps dans la famille des d'Alençon, sans qu'il paraisse pendant près de deux siècles qu'il y ait eu entre eux et les religieux de Jumiéges aucune contestation pour le paiement de la rente de 12 livres ; mais ce qu'il y a de surprenant, c'est que ces mêmes d'Alençon, par une négligence affectée de leurs droits et par un oubli qu'on ne peut qualifier de leurs devoirs envers l'abbé et les religieux de Jumièges, auxquels ils payaient et avaient toujours payé la rente de 12 livres, se soient oubliés au point de soutenir dans des temps qu'ils ne jouissaient point du fief et seigneurie de Serans, et dans d'autres temps soutenir qu'ils en jouissaient, mais au droit de la donation que le roi leur en avait faite en récompense de leurs services militaires, et que pour ce ils payaient au roi ou à son engagiste une somme de 10 livres, en conséquence de laquelle ils contestèrent aux religieux de Jumièges en 1612 et 1666 le paiement de la rente de 12 livres, soutenant qu'il ne serait ni juste, ni raisonnable qu'ils payassent deux rentes seigneuriales pour le même fief ; mais comme ils ne purent méconnaître d'avoir toujours payé, ils y furent condamnés par sentences du Bailliage d'Exme, sans égard a leurs mauvais soutiens, qui furent regardés par les juges comme de vaines refuites.

En effet, d'Alençon se croyait si bien seigneur et patron honoraire de Serans en conséquence du contrat de 1451, qu'étant mort quatre ans après, son héritier le fit enterrer dans le chœur et fit graver sur son tombeau, qui s'y voit encore : «Cy gist Robert d'Alençon vivant écuier, seigneur et patron honoraire de Serans, qui trépassa l'an 1455». Jean d'Alençon étant mort en 1582, Hector d'Alençon, son fils, le fit inhumer le chœur de la même église avec cette inscription sur son tombeau: «Cy gist le corps de Jean d'Alençon vivant écuier sieur et patron honoraire de Serans qui décéda le 17 avril 1582.»

Ces instructions étaient des témoignages toujours parlant de la qualité et des droits des sieurs d'Alençon pour la seigneurie et le patronage honoraire de Saint-Sulpice de Serans ; ils ne les avaient qu'au droit de l'abbé et des religieux de Jumièges. C'était vraisemblablement Hector d'Alençon qui avait fait graver sur le tombeau de Jean d'Alençon, son père, que, vivant, il avait été seigneur et patron honoraire de Serans ; et l'on voit, en 1612, ce même Hector soutenir judiciairement qu'il ne possède point le fief de Serans, qu'il a longtemps que le roi s'en est mis en possession ; pourquoi il déclare ne pouvoir donner aveu et dénombrement à l'abbé et aux religieux de Jumièges, s'ils ne le rendent paisible possesseur du fief.

Un pareil procédé dans Hector d'Alençon aurait mérité que l'abbé et les religieux de Jumièges eussent usé à son égard de la rigueur de la loi ; mais il avait à faire alors à un agent peu zélé pour les droits de ceux qu'il servait, et Hector d'Alençon en profita pour ne pas s'acquitter de ses devoirs envers ses seigneurs, en leur faisant la foi et hommage et leur rendant aveu. Mauvaise foi ; mais elle était méditée dès ce temps-là, et le fils la découvrit entièrement. Hector d'Alençon soutenait, le 26 mars 1612, qu'il ne jouissait point du fief et seigneurie de Serans, et que de temps immémorial le roi s'était emparé de cette seigneurie, quoiqu'en 1582 il eût fait enterrer Jean d'Alençon son père dans le chœur de Serans, comme nous l'avons remarqué, ce qui est une preuve la plus complète de la jouissance de la seigneurie et du patronage honoraire de cette église. Bien plus, le 17 avril de cette même année 1612, Anne Douzi, veuve de Jean d'Alençon et mère d'Hector, meurt et est enterrée dans le chœur de l'église de Serans à côté de son mari ; Hector fait graver sur son tombeau cette inscription : «Cy gist le corps de demoiselle Anne Douzi, veuve de feu Jean d'Alençon, vivant écuier sieur et patron honaire de Serans, laquelle décéda le 17 avril 1612.»

Qu'on juge après cela de ses déclarations judiciaires. Si le roi eût été en possession de la seigneurie de Serans, s'il y avait eu seulement des prétentions, la vigilance du procureur public n'aurait pas souffert ces entreprises au préjudice des droits du roi. Hector d'Alençon continua néanmoins jusqu'à sa mort, arrivée en 1635, à payer exactement la rente de 12 livres aux religieux. Son fils Charles d'Alençon se montra également exact à la payer jusqu'en 1664, quoique dix ans auparavant il eût obtenu des lettres patentes d'érection en fief du fief de Serans ; mais comme il est ordinaire au vice de se cacher, il ne se vanta pas de son opération et continua de payer à l'abbé et aux religieux sa rente de 12 livres et celle de 10 livres au roi. Il ne commença à se dévoiler qu'en 1666, déclarant que, de temps immémorial, le fief de Serans était en la main du roi, et que Sa Majesté lui en avait fait don, sans oser parler des lettres patentes d'érection, craignant avec raison une opposition.

L'abbé et les religieux n'ont jamais eu connaissance de ces lettres d'érection en fief que par un mémoire que le propriétaire actuel de la terre et seigneurie de Serans a fait imprimer pour sa défense dans un procès qu'il avait avec les sieurs Clistins de Belzais, de Beaumenil et de Tiremois, qui lui disputaient ses droits et qualités. Ce mémoire est parvenu jusqu'aux religieux de Jumièges et les a fait sortir de leur silence. Le roi, en érigeant en fief un bien qui ne dépendait pas de lui, a été visiblement surpris ; on lui a caché que ce que possédait Jean d'Alençon avait appartenu et relevait de l'abbé et des religieux de Jumièges, qui ne l'avaient inféodé qu'à cette condition de continuer à en relever et d'en rendre hommage. On lui a caché également que pour cette cession on payait anciennement 30 livres de rente qui, dans la suite des temps, avaient été réduites à 12 livres, et que ces 12 livres de rente se payaient dans le temps même qu'on sollicitait l'érection en fief et qu'elles continuent encore de se payer. Ces lettres, obtenues sur un faux énoncé et en cachant des faits essentiels, sont obreptices et subreptices, mais accordées sauf le droit du roi et celui d'autrui ; l'abbé et les religieux, dont la tenure est imprescriptible, sont toujours en droit de réclamer contre la surprise faite au roi, et ils réclamèrent en effet, et furent reçus au bureau de la Chambre des comptes opposants à l'arrêt du 15 juin 1657 portant enregistrement des lettres patentes du mois d'avril 1654, pour l'érection du fief de Serans en plein fief de haubert, relevant du roi sous la vicomté d'Exme, obtenues par Charles d'Alençon, aux actes de foi et hommage, aveux qui ont été rendus du dit fief en 1661 et 1744, et à tous autres qui auraient pu être également rendus en la Cour, et aux autres arrêts de dernière main levée qui peuvent être intervenus en conséquence. Le présent arrêt de réception en opposition daté du 7 mars 1760.

Quelques temps après la confirmation du privilège accordé par Philippe-Auguste aux religieux de Jumièges, pour le libre passage de leurs vins par la Seine, le roi Charles VII donna ordre au bailli de Rouen, sur les plaintes qu'ils lui avaient adressés, d'informer contre Michel Dubusc, fermier de la vicomté de l'Eau, qui leur disputait le droit qu'ils avaient coutume de percevoir sur les marchandises qui entraient ou sortaient de la péninsule de Jumièges par la rivière de Seine, où ils avaient port et passage. L'information fut conforme à leurs désirs et à la justice de leurs plaintes. Le juge décida en leur faveur, et sa sentence fut confirmée en 1455 par arrêt de l'Échiquier ; par un autre arrêt du 26 juillet 1457, le même Échiquier débouta l'évêque d'Évreux de son prétendu droit de gîte au manoir de Longuville, dépendant de l'abbaye, et ce fut encore Charles VII qui leur fit avoir ce jugement (39).

Mais quelque désir qu'eut ce prince de favoriser les religieux de Jumièges, il ne voulut pas néanmoins prendre parti pour eux dans le différend qu'ils avaient avec les abbés de Saint-Wandrille et de Fécamp, touchant la préséance dans les Échiquiers de Normandie et dans les synodes de l'archevêque de Rouen. Nous avons dit ailleurs qu'ils avaient eu souvent des disputes fort vives à ce sujet, et nous avons promis de déduire dans la suite les raisons qu'ils avaient de part et d'autre pour appuyer un droit dont ils étaient également jaloux. La sentence de l'archevêque de Rouen, datée de l'an 1456, et les règlements des Échiquiers de Pâques 1453 et 1456, en faveur des abbés de Saint-Wandrille et de Fécamp, nous donnent lieu de nous acquitter de nos engagements. La dispute avait commença dès le 15 novembre 1432 par Jean de la Chaussée, qui ne put souffrir d'être précédé par l'abbé de Saint-Wandrille dans le synode d'hiver, auquel l'archevêque Hugues d'Orges les avait appelés selon la coutume. L'abbé de Jumièges fit ses représentations à l'archevêque, et n'ayant pu rien obtenir il protesta contre la séance de l'abbé de Saint-Wandrille au-dessus de lui. L'archevêque reçut sa protestation et promit de décider la querelle après l'assemblée ; mais il n'en fit rien, et comme Jean de la Chaussée renouvelait ses plaintes à tous les synodes, on se contentait de lui répondre que ce n'était pas le temps d'examiner leurs titres, et qu'en attendant l'abbé de Saint-Wandrille aurait le rang au-dessus de lui pour cette fois, et sans conséquence on différa de la sorte à leur faire droit jusqu'en 1456, que la prééminence fut adjugée à l'abbé de Saint-Wandrille par l'archevêque de Rouen, dont on le disait ami et compatriote (40).

Jean de la Chaussée se trouva fort embarrassé sur le parti qu'il prendrait, ou d'encourir l'indignation du prélat en appelant de sa sentence, ou de renoncer à ses prétentions en se soumettant à son jugement. Pour se tirer d'embarras il assembla sa communauté le 1er juin 1457, et la porta à donner sa procuration générale à trois religieux prêtres et docteurs de l'Université de Paris, pour poursuivre et terminer, au nom des autres, toutes les affaires où l'abbaye serait intéressée (41). Les nouveaux procuceurs, ainsi autorisés, appelèrent l'abbé de Saint-Wandrille devant le légat du pape en France, promettant de s'en rapporter à son arbitrage ; mais celui-ci ne voulut point se charger de l'examen de cette affaire, et il se contenta de donner des lettres d'attribution à l'abbé de Saint-George et à l'archidiacre de Rouen, qui, sans attendre la production des titres en faveur de l'abbé de Jumièges, déclarèrent le jugement de l'archevêque justement prononcé. Ces titres n'étaient, à proprement parler, que des mémoires extraits de quelques pièces fabuleuses, sur lesquelles on se fondait à Jumièges pour croire cette abbaye plus ancienne que celle de Saint-Wandrille. Il est marqué entre autres choses dans ces mémoires que l'abbaye de Jumièges avait été fondée par Dagobert en 638 ; que ce prince avait fait bâtir l'église de Saint-Pierre, et que Clovis II, à qui l'on donne cinq fils de Sainte Bathilde, avait fait construire la basilique de Notre-Dame. On ajoute que Jumièges ayant été détruit par les Danois, avait été rebâti avant Saint-Wandrille, et qu'il était de plus noble fondation, d'où l'on conclut que la préséance appartient à l'abbé de Jumièges au-dessus de l'abbé de Saint-Wandrille, et que, par conséquent, l'archevêque de Rouen a jugé avec trop de précipitation, et que son jugement doit être réformé.

Le sentiment des auteurs de ce mémoire sur l'époque de la fondation de Jumièges par Dagobert et le nombre des enfants de Clovis II, demanderait que nous en fissions voir ici la fausseté, si nous ne l'avions déjà fait dans la préface et le premier livre de cette histoire par des preuves qu'il serait d'autant plus inutile de rapporter, qu'elles détruisent entièrement l'autorité des légendes même sur lesquelles se sont appuyés les derniers partisans de cette opinion. Le lecteur peut y recourir, s'il n'aime mieux se contenter du témoignage de l'abbé de Saint-Wandrllle, qui assure positivement que son abbaye, ayant été fondée en 645, est plus ancienne que celle de Jumièges, et qu'en conséquence lui et ses successeurs ont joui paisiblement jusqu'en 1432 du droit de prééminence dans les Échiquiers, dans les synodes et dans les conciles provinciaux, non seulement avant la commune désolation de leurs abbayes par les Normands, mais encore depuis leur restauration, comme il paraît par les anciennes écritures ou registres et par les appels des abbés de la province dans lesquels il est toujours fait mention de l'abbé de Saint-Wandrille immédiatement après celui de Saint-Ouen et avant celui de Jumièges. Il ne manquait à cette preuve que la réfutation de la fable des Énervés, mais elle n'était pas de son sujet, et nous croyons l'avoir nous-même réfutée de manière à ne rien laisser désirer. On voit par les motifs de défense de l'abbé de Saint-Wandrille qui appartiennent à l'année 1459, que la préséance lui était due depuis un temps immémorial ; cependant les procureurs généraux de la communauté de Jumièges, qui étaient à la tête de cette affaire, prétendant que l'abbé de Saint-George et l'archidiacre de Rouen ne s'étaient pas donné le temps de l'examiner, appelèrent de leur sentence au pape Pie II, qui leur donna des lettres de relief le 13 août 1459, par lesquelles il casse tout ce qui avait été fait et remet les choses au même état qu'elles étaient avant la sentence de l'archevêque de Rouen. L'abbé de Saint-Wandrille fut assigné de nouveau et produisit le mémoire dont nous venons de parler. L'affaire fut suivie et peut-être terminée par une sentence, quoique nous n'ayons pu la découvrir.

Quant à la dispute de Jean de la Chaussée avec l'abbé de Fécamp, nos mémoires n'ajoutent rien à ce que nous en avons dit en parlant des règlements des Échiquiers de Pâques 1453 et 1456, en faveur du dernier. Nous observerons néanmoins que ces règlements n'étaient que pour l'année et toujours sans préjudice des droits de l'abbé de Jumièges quant au pétitoire. Nous remarquerons encore que cette clause se trouve aussi dans une lettre de l'abbé de Fécamp à Jean de la Chaussée, qui lui avait cédé la préséance à l'Échiquier de 1452, ce qui nous fait conjecturer, avec assez de fondement, qu'il ne regardait pas son droit comme certain. Nous avons même lieu de croire qu'ils se précédaient à l'alternative, en attendant jugement de l'Échiquier, où ils avaient porté leur différend.

On doit rapporter à cette même année 1459, et aux deux suivantes, les tentatives que les religieux firent de nouveau pour rentrer dans leur prieuré d'Helling, que Henry V avait donné en 1414 aux Chartreux de Jésus-de-Bethléem, à condition qu'ils fourniraient aux religieux de Jumièges un fond de terre de pareille valeur en France ou qu'ils leur payeraient une somme d'argent, suivant l'estimation des fonds qui leur étaient abandonnés (42). Les Chartreux qui prévoyaient ce qui devait arriver en conséquence de la demande du Parlement de Leicester, dont nous avons parlé, n'ayant voulu donner ni fond, ni argent, quoique le pape Martin V eut approuvé la réunion du prieuré d'Helling à leur monastère, l'abbé Simon s'en plaignit au roi par Dom Robert de Getteville, qu'il fit passer en Angleterre avec le titre de prieur, mais pour toute reponse le prince lui ordonna de repasser la mer et donna les revenus du prieuré à son maître d'hôtel, qui en jouit sans aucune pension jusqu'en 1429, que Thomas de Montagu, comte de Salisbury, ancien protecteur des prieurs d'Helling, le fit avoir avec les deux terres et seigneuries de Chewton et de Wynterbournestoch à un chevalier anglais nommé Rotenalle, moyennant une pension de 40 marcs, ou 120 écus, monnaie de France, pour le titulaire.

C'était là l'état où le prieuré d'Helling se trouvait lorsque les procureurs généraux de l'abbaye de Jumièges présentèrent une requête à Pierré de Brézé, sénéchal de Normandie, pour l'engager à prendre leurs intérêts dans cette affaire auprès de Henry VI et de Marguerite d'Anjou, sa femme (43). Comme le sénéchal aimait les religieux de Jumièges, et qu'il était en grande considération auprès de la reine, depuis sa descente à Sandwich, il se joignit volontiers à eux pour négocier leur rétablissement en Angleterre, et il le demanda en effet avec beaucoup d'instance ; mais quelqu'envie que la reine eût de reconnaître les services qu'il lui avait rendus, elle ne put se résoudre à dépouiller un des sujets, qu'elle serait obligé de récompenser en lui donnant autre chose. Le sénéchal, qui avait occasion d'être souvent à la Cour, parce que Charles VII l'avait mis au nombre de ses conseillers, en porta ses plaintes à ce prince pour l'engager à écrire au roi d'Apgleterre en faveur des religieux de Jumièges. Charles le promit ; mais étant mort peu de temps après, ses promesses n'eurent aucun effet, et Brézé n'osa en parler à Louis XI son successeur, dont il n'etait pas aimé. Les religieux furent plus hardis, parce qu'ils n'avaient rien à craindre. Il présentèrent leur requête au roi, et le prince y eut égard, comme il paraît par ses lettres à Marguerite d'Anjou, femme de Henry VI, et la réponse de la reine aux très humbles remontrances des religieux de Jumièges en date du 1er octobre 1462, dans laquelle elle déclare qu'à la sollicitation du roi de France, elle a ordonné à Rotenalle de sortir du prieuré d'Helling, et que son intention est qu'on le leur rende avec toutes ses appartenances (44). Ce prieuré valait alors, charges faites, 1,200 écus monnaie de France, y compris les terres de Chewton et de Wynterbournestoch. Dom Renaud Buquet en prit possession la même année, et il y demeura huit ans. Il eut pour successeur en 1470 Dom Valentin Le Masson, qui fut remplacé en 1475 par un autre religieux de Jumièges, sur la nomination de Jacques d'Amboise (45).

Pendant qu'on travaillait à rentrer dans le prieuré d'Helling, Jean de la Chaussée fut insulté par deux chanoines de la cathédrale de Rouen, Philippe de La Rose et Pierre Sureau, qui faisaient difficulté de se dessaisir d'une terre de l'abbaye, dont ils s'étaient emparés durant la guerre. Leur témérité fut punie par le pape Pie II, qui les excommunia. La sentence est du 23 décembre 1460 (46). Elle était adressée au doyen de la cathédrale, avec ordre d'obliger les coupables à faire réparation à l'abbé de Jumièges, et de publier l'excommunication si les menaces n'étaient pas capables d'arrêter leurs entreprises. Ils les continuèrent en effet sans se mettre en peine des remontrances de leur doyen, qui publia la sentence d'excommunication le 20 février 1461. Ce coup d'éclat, auquel Philippe de la Rose et Pierre Sureau ne s'étaient point attendus de la part de leur confrère, rompit toutes leurs mesures. Ils firent satisfaction à l'abbé de Jumièges et restituèrent la terre qu'ils avaient usurpée.

Nous avons déjà observé que quelques officiers du monastère et particulièrement le cellérier, prétendaient disposer des revenus de leur office, et ne dépendre ni de l'abbé ni de la communauté. Nous avons aussi remarqué que les religieux s'étaient adressés au pape pour faire décider la question, et que le souverain pontife avait déclaré que la cellèrerie n'était qu'une simple administration ; que l'abbé pouvait donner pour autant de temps qu'il le jugerait à propos et aux conditions que les fruits en seraient employés aux besoins de la communauté. Le cellérier n'ayant plus d'occasion de sortir du monastère depuis qu'on avait nommé des procureurs généraux, renouvela ses prétentions en 1462. Jean de la Chaussée, prévoyant les suites de cette action, assembla tous les religieux, et leur ayant demandé leur avis, on convint d'une commune voix de déposer le cellérier et tous les officiers, quoiqu'ils ne fussent point tous également coupables ; mais comme on leur signifia la bulle de Benoît XII avant de procéder à leur déposition, ils demandèrent grâce et promirent par serment de s'y soumettre et de remplir toutes les charges auxquelles ils étaient tenus de droit ou de coutume ; ce qui détermina l'abbé à les conserver dans leur office, en leur enjoignant seulement de faire leur résidence dans l'abbaye, s'ils n'avaient permission de sortir.

Peu de temps après, les religieux de Jumièges eurent la consolation de voir arriver chez eux Marguerite d'Anjou, reine d'Angleterre, leur bienfaitrice (47). Elle fut reçue sous le dais au son de toutes les cloches, et complimentée par l'abbé, qui lui témoigna sa reconnaissance de la bonté qu'elle avait eue de faire rendre le prieuré d'Helling à son monastère. Elle passa quelques jours à Jumièges dans l'appartement de Charles VII, pendant lesquels Antoine Crespin, archevêque de Narbonne, qui l'accompagnait, et dont les désirs étaient vastes comme l'enfer, prit occasion de la restitution du prieuré d'Helling pour s'informer des revenus du monastère à quelques moines vains et indiscrets, qui les exagérèrent si fort, qu'il résolut dès lors d'avoir l'abbaye par quelque moyen que ce pût être. La voie de la démission lui parut la plus courte et la plus sûre. Il la tenta premièrement par le prieur des chanoines réguliers de Bourgachard, qui avait beaucoup de pouvoir sur l'esprit de l'abbé de Jumièges. Mais ayant appris que ses efforts avaient été par deux fois inutiles, et que l'abbé avait fait chasser de Jumièges un prêtre que cet artificieux et perfide prieur avait envoyé pour tâcher de l'ébranler, il eut recours aux grands vicaires de Rouen, qui n'eurent pas honte de lui promettre leur services. Leurs promesses n'eurent que trop d'effet. L'un d'eux, autorisé par l'archevêque de faire la visite des monastères du diocèse, vint à Jumièges pour cela ; et dans le dessein qu'il avait d'intimider l'abbé par un ton de supérieur qui ne lui convenait guère vis-à-vis d'un vieillard respectable, savant, sage et de bonnes mœurs, il lui reprocha en présence de ses religieux de mener une vie noble et d'avoir abandonné le spirituel pour ne penser qu'au temporel. L'abbé s'inscrivit en faux, et comme le grand vicaire n'avait pas de preuves contre lui, il sortit brusquement et avec menaces qu'on le reverrait bientôt reparaître pour punir les coupables. On le vit reparaître, en effet, au bout de huit jours avec quelques ecclésiastiques qu'il avait amenés avec lui pour soutenir son parti. Il indiqua l'assemblée au lendemain et y lut un long mémoire de griefs contre l'abbé, voulant obliger les religieux à le souscrire ; mais quelques artifices dont il usa pour surprendre leur religion, ils lui résistèrent avec courage ; ce qui l'irrita tellement qu'il se jeta sur un religieux, et le traita avec tant d'outrages, que les autres, honteux de cet excès, le retirèrent de ses mains et rompirent l'assemblée.

Une conduite si ferme mit le grand vicaire au désespoir. Il reprit la route de Rouen, et les religieux se croyant quittes de ses violences, glorifiaient Dieu de leur zèle pour la justice et du départ de leur persécuteur ; mais le lendemain on vit entrer dans l'abbaye une troupe de gens armés qui se saisirent du prieur et de trois religieux que le grand vicaire leur avait désignés, et les conduisirent à Rouen, où ils furent jetés dans un cachot et traités durant six semaines en criminels et en rebelles, malgré les plaintes des bourgeois, qui auraient forcé la prison pour les en tirer, si elle n'eût été environnée de soldats, de prêtres et de satellites de l'archevêque de Narbonne, qui espérait les vaincre par l'ennui de leur captivité. Mais rien ne put les gagner, non plus que ceux qu'on avait ménagés et qu'on avait laissés à Jumièges, parce qu'on les croyait plus faciles à surprendre. Ils parurent même plus zélés et plus attachés que jamais à leur abbé, qui gémissait sur les maux qu'on leur faisait souffrir, et qui souffrait lui-même les siens avec une égalité et une douceur d'esprit qui ne lui permit pas de dire une parole qui pût marquer la moindre altération ni aucune inquiétude.

Cependant, le grand vicaire, emporté par sa passion et par le désir de satisfaire à sa promesse, voyant, qu'il n'avançait rien, dressa un procès-verbal de sa visite, dans lequel il n'oublia pas de donner un mauvais tour à la fermeté des religieux qui avaient si généreusement refusé de souscrire à la déposition de leur abbé. On y vit avec étonnement de saints religieux accusés de rébellion et de désordres, un prieur vigilant traduit comme fauteur du crime ; un abbé judicieux, prudent et ferme, représenté comme un imbécile qui a besoin d'être conduit et qui ne vit que de la vie des sens, sans se mettre en peine ni de son âme, ni de celles qui ont été confiées à ses soins. Au reste, il n'en fallait pas moins pour surprendre le roi, dont la protection était nécessaire à Antoine Crespin pour l'exécution de son dessein. Lorsque le prélat fut muni de ce procès-verbal, il alla trouver Louis XI et décria si fort la conduite de Jean de la Chaussée et de ses religieux, que ce prince écrivit à Rome pour lui faire avoir la coadjutorerie de Jumièges, afin de remédier incessamment aux désordres que le vieillard était incapable d'empêcher. Le pape ainsi trompé souscrivit à la requête du roi le 1er novembre 1463, et l'insatiable coadjuteur fit partir dès le 14 du même mois un de ses domestiques, nommé Jean Senot, pour prendre possession de l'abbaye. Mais il en trouva les portes fermées, et il eut la honte de ne remporter d'autre fruit de son voyage qu'un appel de Jean de la Chaussée au pape mieux informé. L'acte est du 16 novembre (48). L'archevêque de Narbonne, irrité de ce refus, obtint des lettre du roi pour confirmer ses bulles ; mais l'abbé de Jumièges en prévint l'exécution en faisant connaître au prince les pièges de cet archevêque et les motifs d'intérêt qui l'avaient porté à solliciter avec tant d'instances la coadjutorerie de Jumièges. Le roi profita durant quelque temps de ces salutaires avis ; mais il céda enftn aux poursuites réitérées de l'ambitieux prélat, qui lui arracha de nouvelles lettres patentes le 6 mars 1464.

L'abbaye fut livrée dès lors à son avarice, et les religieux à son ressentiment et à la tyrannie de ses émissaires, qui employaient toutes sortes de violences pour les obliger à souscrire un mémoire contre leur abbé, dont on voulait avoir la démission. Mais ces excès, quoiqu'inouïs, ne servirent encore qu'à les rendre plus fermes dans l'obéissance qu'ils devaient à leur légitime pasteur, qu'ils eurent bientôt le chagrin de voir enlever à Paris par ordre du roi, qui s'était proposé lui-même de le déterminer à faire ce qu'on lui demandait. Louis XI n'était plus à Paris lorsque l'abbé y arriva, après vingt-quatre heures de marche sans arrêter, et bien des injures de la part de Jean Senot, qui l'était venu joindre en route pour donner avis de son arrivée à l'archevêque de Narbonne, qui le fit conduire chez le bailli de Sens, à qui le roi avait donné commission avant son départ d'employer tous ses soins pour faire consentir l'abbé de Jumièges à ce qu'il désirait de lui. Le commissaire l'ayant trouvé également insensible aux menaces et aux promesses, lui permit de s'en retourner et lui facilita même les moyens de le faire secrètement. Mais à peine était-il de retour qu'on lui signifia de nouveaux ordres de se rendre auprès du roi en quelque lieu qu'il fût. L'humble persécuté ne répondit rien à celui qu'on lui avait envoyé, et le suivit néanmoins à Arques, puis à Dieppe et de là à Rouen, où le roi lui manda de le venir trouver à l'hôtel Picart (49).

On ne saurait trop admirer la conduite de Louis XI en toute cette affaire. Ce prince prétendait avoir de la religion, et cependant on le voit ici favoriser ouvertement l'intrusion d'un mercenaire qui ne cherche qu'à ravir le bien de l'Église par des injustices, des violences et des fourberies. Quoi qu'il en soit, l'abbé, accompagné du prieur claustral et de son chapelain, se rendit à l'hôtel Picart, où il fut introduit et mis entre les mains de quatre commissaires députés par le roi pour l'examen de sa cause. Ces commissaires, livrés à l'archevêque de Narbonne, étaient le grand vicaire qui l'avait déjà si bien servi, le doyen de Grenoble, le bailli de Rouen et Guillaume Picart, celui-là même vraisemblablement chez qui le roi était logé.

Le prétendu examen se réduisit à demander à Jean de la Chaussée une démission pure et simple de l'abbaye de Jumièges, en faveur d'Antoine Crespin, son coadjuteur ; ce qui leur ayant été refusé, ils le menacèrent d'exil de la part du roi, qui d'une chambre voisine où il entendait tout ce qui se passait, entra subitement et lui fit les mêmes menaces, s'il ne se rendait aussitôt. L'abbé répondit avec beaucoup de tranquillité et d'humilité qu'il était prêt à tout souffrir plutôt que de faire ce qu'on lui demandait ; qu'il ne se sentait coupable d'aucun crime, qu'il est mérité la disgrâce de son seigneur et de son roi, auquel il se croyait obligé de faire cet aveu pour ne le pas engager par son silence à commettre une injustice, dont il savait qu'il était fort éloigné. Il le priait ensuite de se souvenir des avis qu'il lui avait donnés six mois auparavant pour l'empêcher de tomber dans les pièges de l'archevêque de Narbonne, qui ne cessait encore d'épier toutes les occasions de le discréditer auprès de ses religieux, dont l'estime et l'affection lui paraissaient de trop forts obstacles à ses desseins. Il ajouta enfin que le procès-verbal dressé par le grand vicaire et rempli d'accusations vagues, était une pièce calomnieuse, plus digne du feu que de l'attention d'un monarque uniquement appliqué à défendre l'innocence. Le grand vicaire fut troublé de ce discours, et demeura tout interdit. Le roi s'en aperçut, et comprenant que le récit de l'abbé de Jumièges était vrai, il lui permit de faire ce qu'il voudrait et se retira. L'abbé en allait faire autant de son côté avec les deux religieux qui l'accompagnaient, lorsque le grand vicaire parut être dans la disposition de lui donner des preuves effectives de son repentir et de son affection. Il l'invita à manger avec lui, l'assurant qu'il n'y aurait personne, et que dans la suite il ferait tous ses efforts auprès de l'archevêque de Narbonne pour arrêter l'effet de ses prétentions.

Jean de la Chaussée était du caractère de ces hommes de probité, qui, se sentant incapables de mauvaise foi, le sont aussi de défiance. Il ne crut pas qu'un prêtre pût donner une parole qu'il ne voudrait pas exécuter ; et comptant que le grand vicaire garderait la sienne avec d'autant plus de religion qu'il lui témoignerait plus de confiance, il se rendit à la logis à l'heure de dîner. Mais le grand vicaire viola effrontément toutes les paroles qu'il lui avait données. Les commissaires dont nous venons de parler furent conviés à ce repas et s'y trouvèrent ; les deux religieux qui accompagnaient l'abbé et qui y avaient été invités en furent exclus, et leur abbé, qu'il ne pouvaient se résoudre à laisser seul entre les mains de tant d'ennemies, retenu malgré eux et traité avec tant de rigueur, après beaucoup de politesse durant le repas, qu'il fut contraint, pour avoir sa liberté, de signer un acte par lequel il s'obligeait à faire le lendemain ce que le roi voudrait exiger de lui au sujet de sa démission.

Le vénérable vieillard, ainsi échappé, crut qu'il ne lui serait pas difficile de revenir contre engagement prie dans un état de violence et de contrainte. Il espéra surtout de la bonté du roi, que les très humbles remontrances qu'il avait pris la liberté de lui faire le veille semblaient avoir rendu moins ardent. Mais le grand vicaire, qui présenta l'acte, n'exposa pas à Sa Majesté le véritable état des choses, Il l'assura au contraire qu'il avait été fait avec une entière liberté et de l'avis des deux religieux que l'abbé avait choisis pour son conseil. Sur ces assurances le roi fit mander à l'abbé de se rendre à l'hôtel Picart ; en quoi il fut obéi sans délai ; mais comme l'abbé arriva plus tôt que le roi ne l'avait dit, il fut obligé de revenir à la Poterne, où le grand vicaire de Rouen et les neveux de l'archevêque de Narbonne le vinrent chercher de nouveau et le présentèrent au roi, qui, le croyant disposé à faire ce que l'on désirait de lui, régla sa pension à 800 écus d'or, dont il se fit lui-même caution. L'abbé voulut faire connaître au roi, par le récit de ce qui s'était passé le jour précédent, qu'on l'avait trompé ; mais le prince, loin de déférer à ses remontrances, ne voulut pas même l'écouter, et s'emporta avec tant de chaleur qu'il le fit chasser du palais, en le menaçant d'exil ou de prison.

Jean de la Chaussée alla se cacher dans l'hôtel du Bec, où il croyait que personne ne le découvrirait ; mais l'archevêque de Narbonne avait partout des émissaires, qui ne le perdaient jamais de vue. Le grand vicaire fut instruit du lieu de sa retraite, vint l'y attaquer, non plus avec cette modération apparente que la crainte lui avait quelquefois rendue nécessaire, mais à force ouverte. Nous n'entreprendrons pas de rapporter ici toutes les violences qui furent exercées dans cette occasion sur l'abbé de Jumièges par le grand vicaire et les partisans de l'archevêque de Narbonne ; nous remarquerons seulement qu'il n'eut pas le courage d'y résister, et qu'enfin il signa l'acte de sa démission, qu'on avait fait dresser quatre notaires de la ville pendant qu'on l'outrageait pour le forcer d'y souscrire. Ses persécuteurs étaient d'avis de l'éloigner de Jumièges à l'heure même, en le faisant partir pour Paris, où il avait demandé à se retirer à cause des franchises, libertés, exemptions et immunités de l'Université, dont il pouvait jouir comme bachelier ; mais les commissaires dont nous ayons déjà parlé s'opposèrent au nom du roi à un départ si subit et lui accordèrent trois jours pour retourner à son abbaye prendre ses meubles et voir encore une fois ses confrères. Les témoignages d'estime et d'affection qu'il en reçut, et les larmes qu'il leur vit répandre pendant qu'il se préparait à les quitter le pénétrèrent de la plus vive douleur. Il partit au bout des trois jours qu'on lui avaient accordés ; mais son départ eut plus l'air d'un triomphe que d'une fuite. À peine fut-il sorti de l'abbaye qu'on le suivit de tous côtés pour lui faire honneur. La noblesse l'accompagna à cheval jusqu'aux portes de Rouen, et le peuple en foule publiait ses bienfaits et ses vertus. De Rouen, il prit la route de Paris et y passa le reste de ses jours jusqu'à sa mort, qui arriva en 1470.


ANTOINE CRESPIN, SOIXANTE ET UNIÈME ABBÉ (1464).

Antoine Crespin, qui lui succéda, était de la noble et ancienne famille du Bec, qu'on prétend être sortie de celle des Grimaldi, princes de Monaco. Cette branche a produit un cardinal, des archevêques, des évêques, un chevalier des ordres du roi et d'autres grands personnages. Antoine du Bec Crespin, dont il s'agit ici, avait de grandes qualités, mais il les déshonora par une avarice insatiable, qui le fit passer successivement de l'évêché de Paris à celui de Laon, et ensuite à l'archevêché de Narbonne, dont il occupait le siège, lorsqu'en 1464 il entra comme un larron dans la bergerie de Jumièges. Le troupeau qui la composait se soumit à lui avec une obéissance pleine de respect, pour ne pas causer de désordre par sa division avec le pasteur. Mais quelques soins que ses religieux prissent de lui rendre tous les honneurs dus à sa dignité, il ne leur pardonna jamais le refus qu'ils avaient fait de souscrire le mémoire qui leur avait été présente par le grand vicaire de Rouen contre leur abbé, qu'il voulut dépouiller de sa charge avec quelqu'apparence de justice. Il leur ôta l'administration des biens et des offices claustraux dont ils avaient été en possession sous les abbés réguliers, et la donna à ses domestiques, qui, non contents de la laine des brebis, leur arrachaient encore la peau et les laissaient mourir de faim pour engraisser l'archevêque (50). Un historien plus moderne ajoute que, pour augmenter ses revenus, il retrancha l'aumône des pauvres et que dans cette même vue il pressa le pape de lui donner une nouvelle bulle pour la restitution de l'or, de l'argent et des autres effets qu'on avait enlevés pendant la maladie de l'abbé Nicolas Le Roux ; mais ces circonstances sont incertaines. Ce qu'il y a de vrai, c'est que Pie II adressa une bulle au doyen de Rouen, le 1er avril 1466, contre les usurpateurs des biens de l'abbaye en général, et qu'il n'y est fait aucune mention de l'enlèvement du trésor de Nicolas Le Roux (51).

Dès l'année précédente, 1465, le prieur de Montaterre s'était adressé à l'abbé Antoine Crespin, pour avoir les réparations de son prieuré, et celui-ci y avait consenti ; mais ayant fait dresser un procès-verbal de ces réparations et voyant qu'il lui en coûterait trop, il prit une résolution plus conforme à ses intérêts. Ce fut de proposer au prieur de parcourir le royaume avec les saintes reliques qu'on avait apportées de Montaterre à Jumièges, et d'intéresser la piété des fidèles par la vue de ces gages précieux et par des lettres d'association aux prières de l'abbaye, à contribuer au rétablissement, tant de l'Église que des bâtiments du prieuré. Quelque dure que fut cette proposition, elle fut néanmoins acceptée par le prieur, comme il paraît par une lettre circulaire écrite par l'archevêque de Narbonne le 17 janvier de cette année 1466, aux évêques du royaume, pour les prier de permettre à son religieux de quêter dans leurs diocèses (52) ; par une permission de l'archevêque de Sens, de Thibaud, évêque d'Orléans, et des grands vicaires de Rouen, en 1468 et 1470 ; enfin par une reconnaissance des religieux de Jumièges, comme le prieur de Montaterre leur a remis, après ses courses, un bras de S. Léonard, patron du prieuré ; la tête et un bras de S. Léger, une portion de la vraie Croix, une partie de la tête et plusieurs ossements de Sainte Agnès, quelques petits os des corps de S. Pierre et de S. André, de S. Barthélemi, et de S. Marc, une petite fiole d'huile, sortie du corps de S. Nicolas, un os de S. Laurent et la tête d'un des Innocents massacrés par Hérode. Nous avons un autre acte de ce temps-là, par lequel le sacristain reconnaît avoir à sa garde le chef en argent de S. Valentin, le chef et un bras de S. Aycadre, deux châsses de S. Constantin et de S. Pérégrin, une relique de Notre-Dame, une de Sainte Agathe, un bras de S. Sébastien, un bras de S. Hugues, le menton de S. Quentin, un reliquaire de Simon du Bosc, et une chape de S. Filibert. Telles étaient les reliques exposées à la vénération des peuples dans l'abbaye de Jumièges, si l'on en excepte celle de S. Léonard, de S. André, de S. Barthélemi, de S. Marc, de S. Nicolas et de Sainte Agnès, qu'on rendit au prieur de Montaterre après la reconstruction du prieuré (53).

À quelque temps de là, et vraisemblablement après la mort de Jean de la Chaussée, dont l'official de Paris avait déclaré la démission nulle par une sentence du 20 octobre 1470, le roi donna commission à l'Échiquier de Normandie de recevoir le serment de fidélité de l'archevêque de Narbonne pour le temporel de l'abbaye de Jumièges (54) ; ce qui fut exécuté le 19 mai 1471. Ce jour là même Antoine Crespin vint à Jumièges avec le comte d'Harcourt et le sieur de Bussy, et y séjourna près de quinze jours, pendant lesquels il fit beaucoup de caresses aux religieux tant en public qu'en particulier. Il leur fit même présent de deux magnifiques chapes de drap d'or figurées et de deux garnitures d'aubes pour les rites solennelles. M. de Bussy donna une chape et une garniture d'aube de même espèce, et le comte d'Harcourt un devant d'autel avec une chasuble et deux tuniques, qui furent déposées dans la chapelle de Saint-Jean, où était alors le chapier. Il paraît que l'archevêque de Narbonne était disposé à leur donner, dans la suite de nouvelles marques de sa bienveillance. Le soin qu'il prit d'acquitter les dettes de son prédécesseur nous donne au moins lieu de le conjecturer mais la mort l'enleva avant l'exécution. Il fut atteint de maladie, à Rouen, peu de temps après avoir payé les créanciers de Jean de la Chaussée, et il mourut le 15 octobre 1472 ; il fut enterré le lendemain dans l'église des religieux de Saint-Dominique, où il avait choisi sa sépulture (55).

La première année de son gouvernement ou plutôt de son intrusion dans l'abbaye de Jumièges, Thierry Davy, qui en était moine et prieur de Croutes, fut élu abbé de Saint-Georges de Bocherville. Il prêta serment d'obéissance à l'archevêque de Rouen le 17 juin 1466 et mourut le 8 août 1495. Il fut inhumé dans son église, où l'on voit encore son tombeau au côté droit du grand autel. Cette même année 1464 mourut à Jumièges Dom Jean Guels, neveu de Maître Jean Justice, chanoine de Bayeux et grand chantre de l'église cathédrale de Paris. Il avait fait profession de la vie religieuse en 1426, en présence de son oncle (56), qui lui donna pour son usage le traité manuscrit des vertus et des vices, à condition qu'il demeurerait à l'abbaye après sa mort. Quant à Maître Jean Justice, un ancien pouillé lui attribue la fondation de deux chapelles dans la seigneurie de Jumièges, et les place l'une à Saint-André d'Yainville et l'autre à Saint-Nicolas du Trait, son annexe, où elles existent encore aujourd'hui (57). Cette pièce a sans doute échappé aux recherches de l'auteur de la description de la Haute-Normandie, qui ne parle que d'une chapelle de Maître Jean Justice, sans savoir même où la placer, ni fixer l'époque de sa fondation. Les religieux de Jumièges ayant appris par le bruit public la mort d'Antoine Crespin, leur abbé, donnèrent commission à l'un d'entre eux de saisir incessamment et de faire garder en leur nom la cave où il avait mis ses vins (58). La commission est du 18 octobre 1472. Pour entendre de quoi il s'agissait dans cette saisie, il faut savoir que l'archevêque de Narbonne, depuis huit ans, faisait descendre à Rouen tous les vins de Longueville et des autres vignobles dépendant de l'abbaye, et qu'il n'en donnait aux religieux qu'autant qu'il le jugeait à propos et dans des temps prescrits. Ainsi leur provision étant avec celle de l'abbé, ils avaient intérêt qu'elle ne fut point dissipée, avant qu'on eût réglé ce qui pouvait leur en revenir. Mais Jacques de Brézé, comte de Maulévrier, chambellan du roi Louis XI et héritier d'Antoine Crespin, par bénéfice d'inventaire, n'avait pas attendu jusque-là à faire enlever les vins du défunt. À peine avait-il fait faire ses obsèques, qu'il n'avait eu rien de plus pressé que de s'assurer d'une si bonne proie. On travaillait encore à la transporter dans un autre quartier de la ville, lorsque le religieux de Jumièges arriva pour exécuter sa commission. Il fit mettre le scellé sur les portes de l'ancienne et de la nouvelle cave et cita Jacques de Brézé devant le bailli de Rouen, qui, ayant été obligé de s'absenter, laissa le soin de cette affaire à son lieutenant (59). Elle fut plaidée devant lui et jugée en faveur des religieux de Jumièges le 30 novembre de la même année ; ce qui excita un grand procès entre le lieutenant et Jacques de Brézé, qui prétendait à la moitié de ces vins, n'ayant pu les avoir seul.

_____________________________________

[Notes de bas de page : * = originale ; † = par l'abbé Loth.]

1*.  Archives de Jumièges.

2*.  Archives.

3*.  Archives.

4*.  Archives.

5*.  Archives.

6*.  Archives.

7*.  Archives.

8*.  Archives.

9*.  Archives.

10*. Archives.

11*. Archives.

12†. Nos annales ont conservé le souvenir des grands désordres qui affligèrent en 1434 tous le pays de Caux. L'hiver fut par malheur très long et très rigoureux ; la gelée, qu'avaient précédée des pluies abondantes, avait commencé en novembre et ne cessa qu'à Pâques. Les semences furent perdues. Il en résulta une grande famine. La mine de blé, mesure de Rouen, valut jusqu'à quatre saluts d'or. Un grand nombre d'individus moururent de misères et de maladies. Ce fut la période la plus lugubre de notre histoire depuis les invasions normandes ; d'ailleurs, tout le temps de la domination anglaise fut pour la Normandie une longue suite de souffrances. Les paysans exaspérés prirent à la fin les armes et ajoutèrent encore par leurs révoltes aux calamités précédents. Aux États généraux de 1484, dit M. Charles de Robillard de Beaurepaire, Recherches sur la population de la généralité et du diocèse de Rouen avant 1789, Évreux, Huet, 1872 (extrait des Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, t. XXVIII), Jean Masselin ne se rappelait pas, sans une vive émotion, les souffrances que la Normandie avait endurées pendant la domination anglaise. «La population, dit-il, était réduite à si peu, qu'on pensé que le pays de Caux n'avait conservé qu'à peine la centième partie de ses habitants... ... on rencontre une infinité de villages qui renfermaient autrefois cent feux ou familles et qui n'en ont aujourd'hui que quatre.» Entre 1460 et 1470, la population de 107 paroisses, portée à 6893 paroissiens au XIIIe siècle, n'était évaluée qu'à 2257 paroissiens.

13*. Archives.

14*. Archives.

15†. Voilà des lignes que nous voudrions pouvoir effacer de cet ouvrage ; nous les déplorons amèrement et nous renouvelons ici notre protestation précédente [voir notes 46 et 50 au chapitre 13].

16*. Archives.

17*. Archives.

18*. Archives.

19*. Congrégation de Saint-Maur, Gallia christiana, Paris, 1759, t. XI, p. 549.

20*. Enquête du XVIe siècle.

21*. Archives.

22†. D'autres auteurs disent le 19.

23*. Ibid.

24†. Le manoir d'Agnès Sorel est situé dans la commune de Mesnil-sous-Jumièges, à 4 kilomètres de Jumièges. C'est une construction en pierre du XIIIe siècle aujourd'hui bien défigurée. On y remarque des portes ogivales, des fenêtres en pierre, une magnifique charpente sur l'ancienne chapelle dont on reconnaît encore la piscine. Ce manoir est connu dans le pays sous le nom de la Vigne, à cause de vignobles qui, selon la tradition, y ont existé.

25†. D'autres auteurs disent le 14.

26*. Archives.

27†. Une fosse a demi comblée, dans le transept nord de l'église abbatiale, est le seul vestige qui reste aujourd'hui de cette belle sépulture, détruite, comme toutes les autres, pendant la Révolution. La dalle tumulaire en marbre qui recouvrait le sarcophage et supportait l'image d'Agnès est conservée aujourd'hui dans le musée lapidaire formé par M. Lepel-Cointet dans les deux travées de l'entrée de l'abbaye. Cette dalle est longue de 2m 36 et large de 1m 10. On lit sur trois côtés de la tranche l'inscription française, parfaitement gravée, citée plus loin.

28*. Mémoires de Jumièges.

29*. François de Belleforest, La Cosmographie universelle, Paris, Sonnius, 1575, t. I, part. II, p. 32.

30*. Voici les deux autres épitaphes qui se trouvent gravées sur le tombeau en marbre noir d'Agnès De Sorel ou de Surelle, dans la chapelle de la Vierge :

Fulgor Apollinus rutilantis Luxque Dianæ
Quam jubaris radiis clarificare solent,
Nunc tegit ops et opem negat atrox Iridis arcus
Dum Furiæ primœ tela superveniunt.
Nunc Eleglis dictare decet planctuque sonoro
Letitiam pellat turtureus gemitus.
Libera dum quondam quæ subveniebat egenis
Ecclesiiaque modo cogitur ægra mori.
0 Mors sæva nimis quæ jam juvenilibus annis
Abstulit a terris membra serena suis.
Manibus ad tumulum cuncti celebretis honores
Effundendo preces quas nisi parca sinit.
Quæ titulis decorata fuit decoratur amictu :
In laudis titulum picta duocissa jacet.
Occubuere simul sensus species et honestas,
Dum decor Agnetis occubuisse datur.
Solas virtutes, meritum, famamque relinquens
Corpus cum specie mors miseranda rapit.
Præmia sunt mortis luctus, querimonia, tellus
Huic ergo celebres fundite, quæso, preces.

«Elle n'est plus cette beauté ravissante que les deux astres brillants du jour et de la nuit prenoient plaisir à éclairer tour à tour. Alecto cette furie aveugle l'a percée de ses traits. Iris l'a vue succomber, Iris lui a refusé le tribut de ses larmes. La terre jalouse de posséder ce riche dépôt nous le ravit pour toujours. Prétez-nous vos accens lugubres, plaintive Elégie ! loin d'ici tout ce qui ressent la joie ! Que nos gémissemens, nos soupirs servent à exprimer la vivacité de nos regrets. Le destin soumet à sa loi rigoureuse celle qui enrichissoit de ses libéralités les pauvres et les églises. Mort cruelle ! tu l'as enlevée dans le printemps de son âge cette rose naissant trop tôt hélas ! s'est évanouie. Pleurez terres enchantées, pleurez bosquets fleuris ; en perdant la maîtresse de vos bocages vous perdez votre plu bel ornement ; accourons tous à son tombeau, venons honorer ses mânes, ne lui refusons pas le secours de nos prières, unique ressource que lui a laissé la Parque en l'immolant à sa fureur. Un drap mortuaire qui couvre ses cendres, une tombe érigée en son honneur ou l'on aperçoit encore quelque faible image de ce qu'elle étoit, voilà ce qui lui reste de tant de titres pompeux, marques périssables de sa grandeur. Agnès a perdu toutes les grâces ; avec elles se sont éclipsés le sentiment, la beauté, la vertu, la réputation, le mérite et l'honneur de notre duchesse sont les livres qui la rendent immortelle ; les agréments du corps sont passés avec lui ; la mort se paye de nos sanglots, nos larmes, de cette terre qui ouvre se entrailles pour recevoir sa victime. A la vue de ce monument, passans, priez pour celle que nous y cherchons en vain.»

31*. Archives.

32*. Archives.

33*. Archives.

34*. Archives.

35*. Archives.

36*. Archives.

37*. Archives.

38*. Archives.

39*. Archives.

40*. Archives.

41*. Archives.

42*. Archives.

43*. Archives.

44*. Archives.

45*. Archives.

46*. Archives.

47*. Mémoires.

48*. Archives.

49†. Le roi à l'hôtel Picart¹ : le roi Louis XI fit de fréquents séjours à Rouen. Celui dont il est question ici doit avoir eu lieu du 13 octobre au 7 novembre 1464. Il a fourni M. Amable-Pierre Floquet, Louis XI et la Normandie, Rouen, Baudry, 1832, le sujet d'une des ses plus jolies anecdotes, tiré des archives municipales. Le roi voulut récompenser Pierre de Lisle, son valet de chambre, en lui faisant épouser la fille de quelque riche bourgeois de Rouen ; son choix tomba sur la fille de Jehan Letellier ; mais la mère de cette jeune fille résista, et le conseil de la cité s'opposa si formellement à l'atteinte portée à la liberté des familles, que le roi dut céder. Il fut plus plus heureux, comme on va le voir, avec l'abbé de Jumièges. [¹ Guillaume Picart, le patron de l'hôtel Picart, fut bailli de Rouen du 5 octobre 1479 au 4 octobre 1483 ; il succéda à Jean de Montespedon (25 août 1461 - 7 août 1479).]

50*. Mémoires.

51*. Archives.

52*. Archives.

53*. Archives.

54*. Archives.

55†. La sépulture de Antoine Crespin : elle est ainsi mentionnée par François Farin, Histoire de la ville de Rouen, Rouen, Du Souillet, 1731, t. II, p. 46 : Antonius Crespin Narbonensis Archiepiscopus, obiit 15 octob. 1472 et sepultus est apud Dominicanos Rothom. celebrantibus inhumationen Canonicis regularibus.

56*. Manuscrit de Jumièges, sous la lettre C, num. 62.

57*. Archives.

58*. Archives.

59*. Archives.


«Histoire de l'abbaye royale de Saint-Pierre de Jumièges» :
Table des Chapitres ; Lexique ; Chapitre 15

[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]