«UN COUVENT DE RELIGIEUSES ANGLAISES À PARIS DE 1634 À 1884» ; CHAPITRE 5
CHAPITRE 5 : GOUVERNEMENT DE MME EUGENIA PERKINS, 1694-1698.
Les rênes du gouvernement du monastère passèrent des mains de Mme Dorothy Eyre à celles de Mme Eugenia Perkins.
Les quatre Perkins. — Quatre religieuses portent ce dernier nom dans la liste des Dames Anglaises : Eugenia, Mary-Anne, Mary et Mary-Bernard. Les deux premières étaient sœurs, les deux autres, filles de sir Edmund Perkins, sous-gouverneur du prince de Galles.
Sir Edmund avait suivi Jacques II en exil. Il mourut en 1697 et fut enterré le 16 août dans l'église du monastère. «Il fut, dit l'épitaphe de son tombeau, aussi illustre par sa sagesse et sa piété que par la longue suite de ses ancêtres».
Eugenia fit ses vœux en 1654. À partir de ce moment, nous la perdons de vue pendant quarante ans.
Ces existences de recluses s'évanouissent dans les ombres du cloître comme certains cours d'eau sous les rochers. Qu'elles descendent de haut ou qu'elles viennent de bas, pour toutes l'ensevelissement est presque le même. La plupart du temps leur histoire au couvent se résume en trois dates : la prise d'habit, la profession et la mort. Les supérieures et les officières
ont à peu près seules le privilège de sortir de cette nuit de tombeau, au moins à leur élection.
Celle d'Eugenia à la supériorité eut lieu le 28 juillet 1694. Cette Dame avait alors cinquante-six ans. Comme Mme Mollyns, elle ne gouverna la maison que quatre ans ; mais, pour avoir pesé peu de temps sur ses épaules, le fardeau ne lui en parut pas moins lourd. Arrivée au terme de son administration, elle conjura ses sœurs de ne pas la réélire, de ne songer qu'au bien et à la paix du monastère, et de mettre à sa place une religieuse plus digne qu'elle de l'occuper. Elle exprima même l'ardent désir de voir le nom de Mme Tyldesley sortir de l'urne des suffrages.
Cette humble et pieuse femme vit ses vœux s'accomplir et rentra dans les rangs des simples religieuses, comme si elle n'en fût jamais sortie. Le chapitre l'appela, peu de temps après, à remplir la place que la mort de Mme Dorothy Clifton avait laissée vide au conseil.
Eugenia vécut encore quatre ans et rendit son âme à Dieu le 8 novembre 1699.
Les reliques de saint Justin. — Pendant son gouvernement, la fête de saint Justin martyr fut instituée au monastère.
Il ne s'agit ici ni de saint Justin, l'illustre apologiste du deuxième siècle, regardé à juste titre, par son rang d'ancienneté, comme le premier des Pères de l'Église, ni d'aucun autre saint de ce nom dont l'histoire ecclésiastique fasse une mention quelconque ; la vie et les supplices du martyr dont nous parlons ne sont connus que du Ciel. Il ne dut même s'appeler Justin qu'à partir du jour où ses ossements furent tirés des catacombes de Saint-Calixte.
Sa Sainteté Clément X les en fit extraire, le 20 avril 1675, pour les donner à Sébastien-Antoine Tanner, abbé de Sainte-Marie, internonce apostolique à Bruxelles. Celui-ci les garda environ dix ans, et en fit hommage, le 3 novembre 1685, à la reine d'Angleterre, Marie de Modène, seconde femme de Jacques II.
Chassée du royaume par la révolution qui détrôna son mari, la pieuse femme les emporta dans sa fuite comme l'un des trésors les plus précieux qu'elle eût jamais possédés. Elle en fit faire la vérification en 1694 par l'archevêque de Nice, nonce du pape à Paris. Puis, comme elle le dit elle-même, désireuse de donner un témoignage de son estime pour la piété de ses chères et bien-aimées religieuses, les chanoinesses de l'Ordre de Saint-Augustin, elle légua ces reliques à leur couvent, le 8 octobre de la même année, par un acte authentique signé de sa main (1).
Doute. — La vénération des Dames Anglaises pour les restes sacrés d'un martyr, et leur reconnaissance envers leur reine pour un don de si haute valeur, se sont exprimées et perpétuées, dans la maison, par un culte vraiment solennel rendu pendant près de deux siècles aux reliques de saint Justin.
Dans le mois qui suivit leur réception, elles furent exposées avec de grandes cérémonies, sur un autel élevé à cet effet au milieu de l'église, dans la partie de la nef réservée aux fidèles.
Cependant des doutes s'élevèrent bientôt sur leur authenticité, et tous les titres qui paraissaient l'établir furent envoyés à Rome au docteur George Witham, agent du clergé anglais, pour qu'il les fît examiner.
La réponse, datée du 12 juillet 1695, leva toutes les incertitudes.
La Fête. — Comme le siège de Paris était vacant par la mort de Mgr de Harlay, Mme Perkins demanda au doyen du chapitre de Notre-Dame la permission d'exposer de nouveau ces reliques pendant huit jours, du 23 au 30 octobre inclusivement, et de donner la bénédiction du Très Saint-Sacrement le premier et le dernier jour de l'exposition. L'autorisation fut accordée.
Le samedi, 22 du même mois, la solennité commença avant les vêpres. On porta les reliques processionnellement du chœur des religieuses dans la nef, où elles furent déposées sur le petit autel qui les avait reçues la première fois. Un diacre marchait en tête avec la croix ; quatre autres diacres portaient la châsse sur leurs épaules ; des prêtres en surplis et un cierge à la main l'entouraient ; l'aumônier revêtu de la chape fermait le cortège ; le chœur, accompagné des
orgues, chantait l'hymne et l'antienne d'un martyr. L'oraison dite, la procession se retira et les reliques restèrent exposées à la vénération des fidèles.
Le dernier jour, le dimanche 30 octobre, la messe et les vêpres furent chantées en musique et, après la bénédiction du Saint-Sacrement, on rentra les saintes reliques. Mais cette fois la procession est plus solennelle ; le cortège des prêtres, plus nombreux ; les religieuses, les dames pensionnaires, les élèves s'y joignent. On parcourt le jardin ; on stationne un instant
au pied de la statue de la sainte Vierge et on rentre par les cloîtres, en chantant les litanies des saints. Puis, de retour à l'église, l'officiant entonne le Te Deum, et les reliques sont reportées dans le chœur de ces Dames.
L'année suivante, Mgr de Noailles accorda au monastère, le 13 avril, la permission définitive de les exposer chaque année pendant huit jours, et d'en solenniser la translation le second ou le troisième dimanche après Pâques.
Les cérémonies que nous venons de décrire se reproduisirent régulièrement jusqu'au 21 avril 1793 ; mais depuis la Révolution la procession a été retranchée du programme de la fête.
Relations avec la petite Cour de Saint-Germain. — Les relations de la famille royale d'Angleterre avec le monastère remontent certainement plus haut que le moment où la reine fit présent des reliques du saint martyr ; mais les documents que nous avons sous les yeux ne nous en disent rien avant cette époque. Ces relations ne furent jamais aussi fréquentes avec le monastère de Notre-Dame-de-Sion qu'avec celui de la Visitation de Chaillot. Et cela se comprend. Cette dernière maison était regardée comme la fondation d'Henriette-Marie de France, mère de Jacques II, et le cœur de cette reine infortunée y était conservé à la tribune de la chapelle. Et puis, Marie-Béatrix était liée d'une étroite et sainte amitié avec la supérieure, la Révérende Mère Claire-Angélique de Beauvais, et la sœur Angélique Pisolo. Elle avait avec la princesse Louise-Marie, sa fille, des appartements réservés dans
la maison, et l'une et l'autre pouvaient y faire et y faisaient parfois d'assez longs séjours.
Aussi les Visitandines ont-elles écrit, sur la famille royale d'Angleterre, divers mémoires pleins d'intérêt (2), tandis que le Journal des Dames chanoinesses ne nous fournit guère que des notes rapides sur les visites des princes et des princesses à leur couvent.
Visite des princes. — Ils y étaient toujours reçus avec toute la pompe que la pauvreté permettait d'y déployer. La supérieure les attendait à la porte du chœur ; les religieuses se tenaient debout à leurs stalles ; les orgues jouaient à leur entrée, et, pendant qu'ils étaient agenouillés sur des prie-Dieu surmontés de baldaquins, on chantait le Domine, salvum fac regem et des motets de circonstance.
La Supérieure les conduisait ensuite dans sa chambre ou à l'infirmerie que l'on avait eu soin de tendre de tapisseries. Ils y trouvaient un repas ou une collation dont une excellente amie du couvent, Mme de Fontenais, faisait ordinairement les frais. Puis ils se rendaient au jardin, causant avec une bonté, une amabilité, une simplicité qui enchantaient tout le monde.
Le lendemain, Edward Lutton ne manquait jamais d'aller remercier les princes de leur visite. Il y allait également le jour de leur naissance, de leur fête, et au renouvellement de l'année pour leur présenter les vœux de la communauté.
Espérances déçues. — Un jour la reine d'Angleterre fit demander des prières au couvent. Marie, issue du mariage de Jacques avec Anne Hyde, venait de mourir, et avec elle Guillaume d'Orange perdait ce vernis de légitimité qui recouvrait son usurpation. D'autre part, les mécontentements accumulés contre le gouvernement de ce prince ne se contenaient plus. On se plaignait hautement de la continuité de la guerre, de la lourdeur des impôts, de la refonte des monnaies, de l'emploi des flottes britanniques à des entreprises hasardeuses et inutiles, au lieu de les faire servir à la protection des navires du commerce contre le pillage des corsaires français. Un orage terrible menaçait Guillaume. Les Jacobites s'agitèrent pour le faire éclater. À leur avis une descente de Jacques dans l'Île, avec un corps de troupes françaises, suffirait pour soulever la noblesse
des provinces restée fidèle aux Stuarts, pour renverser l'usurpateur et rétablir le monarque sur son trône.
Louis XIV lui-même jugea le moment favorable, et il mit à la disposition de Jacques un corps d'élite de seize mille hommes, destiné à franchir la Manche sous la protection d'une escadre commandée par l'intrépide Jean Bart.
Le 2 mars, on commença au monastère les prières des «Quarante Heures» pour le succès des armes du roi.
Hélas ! le 3 juillet suivant, Edward Lutton se rendait dès le matin au collège Lombard (3). Il allait assister au lever de Jacques II de retour à Paris. La troisième entreprise de l'infortuné monarque pour reconquérir son royaume avait échoué.
Le soir même de ce jour, le roi, sans se faire annoncer, vint faire une visite au monastère.
L'abbé Innes et le R. P. Nelson. — Depuis 1693, on y avait pour supérieur ecclésiastique l'abbé Lewis Innes (4), principal du collège des Écossais à Paris, aumônier de Jacques II et secrétaire d'État pour les affaires de l'Écosse. Avant lui, la communauté n'avait pas eu d'autre supérieur immédiat que l'archevêque.
Dans le courant de janvier 1696, Innes donna sa démission à Mgr de Noailles, successeur de Mgr de
Harlay.
Le nouvel archevêque, sollicité par Mme Perkins de rétablir les choses sur le pied où elles étaient avant 1693, fit attendre sa réponse environ deux ans. On pouvait croire qu'il n'y songeait plus, lorsqu'il fit appeler Edward Lutton. Puisque les Dames Anglaises, lui dit-il, ne voulaient pas d'autre supérieur que leur archevêque, il y consentait volontiers, mais il ne
pouvait pas se dispenser de leur donner un visiteur.
Toutefois, il leur laissait la liberté de choisir qui bon leur semblerait. Le conseil du monastère demanda le R. P. Bénédict Nelson, ancien supérieur des bénédictines de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés.
Visite ecclésiastique. — Le 10 décembre suivant, le R. P. Nelson commença une visite dans les formes prescrites par les
Constitutions. Quatre jours durant, il interrogea les religieuses, chacune en particulier, depuis la dernière des converses jusqu'à la supérieure.
Dans les communautés, cet interrogatoire, où chaque membre a le droit et le devoir de faire entendre ses réclamations et ses observations, est la partie la plus essentielle de ce qu'on y nomme une visite. C'est le moyen le plus sûr, pour les supérieurs ecclésiastiques, de se rendre compte de l'esprit qui règne dans une maison, de la manière dont elle est gouvernée, des abus qui peuvent s'être glissés dans les observances religieuses, et de prévenir cette maladie de langueur, toujours mortelle, qui se nomme le relâchement. Mais ce moyen doit être employé avec une extrême prudence. Sans doute le Visiteur est assuré de se trouver en face d'intentions droites, de consciences pénétrées de leur devoir ; mais il rencontrera également des imaginations montées, des jugements faux, de petites passions qui s'ignorent elles-mêmes ; et, dans les renseignements qui lui seront fournis, il aura un triage des plus attentifs et des plus précautionneux à faire. Une visite est toujours chose très grave : elle peut maintenir ou rétablir l'ordre, mais aussi elle peut profondément le troubler.
Elle se termine, lorsqu'il y a lieu, par des ordonnances. Le R. P. Nelson donna les siennes, le 28 janvier 1698.
D'après leur contenu, il est facile de voir que certaines irrégularités tendaient à s'introduire dans la maison, et que la paix y avait subi quelques atteintes.
Troubles. — Quel était l'objet sur lequel se divisaient les esprits? Le R. P. Nelson n'en parle qu'en termes généraux qui ne nous permettent pas de le préciser. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que la visite précédente, faite par l'abbé Innes, paraît avoir donné occasion à ces troubles dont l'autorité de la supérieure eut très probablement à souffrir.
Mais d'autres causes durent y contribuer.
Depuis dix ans, la petite Cour de Jacques II était établie à Saint-Germain-en-Laye. Maintes religieuses y avaient leur famille ou des connaissances et des amis. De fréquentes visites étaient faites au monastère, sinon par les princes qui n'y venaient pas trop souvent, du moins par des personnes de leur entourage. Or, quiconque a un peu d'expérience des communautés cloîtrées sait combien les relations extérieures, quand elles sont multipliées, peuvent être nuisibles à l'esprit religieux par la dissipation qu'elles amènent souvent avec elles.
La surabondance des sujets, dans le même cloître, peut être également dangereuse. Beaucoup alors sont insuffisamment occupés, et finissent par trop s'occuper d'eux-mêmes ou des autres. Dès ce moment la porte est ouverte à deux battants aux abus, aux critiques, aux petites ambitions, aux petites intrigues même, à tout ce qui, peut amener la division, le relâchement et finalement la ruine. Or, à l'époque où nous sommes de l'histoire du monastère, on y comptait de soixante-dix à quatre-vingts religieuses. C'était beaucoup plus qu'il n'en fallait pour les besoins du pensionnat et de la communauté, et celle-ci dut souffrir de cet état pléthorique. Heureusement, Edward Lutton était là pour empêcher le mal d'aller trop loin, et les ordonnances du R. P.
Nelson, par leur vigueur, y apportèrent un remède efficace.
Le Journal — La plupart des détails que nous avons donnés dans ce chapitre sont extraits d'un journal ouvert le 1er janvier 1695 par Edward Lutton.
Les dames pensionnaires. — Grâce à ce document, nous avons pu dresser des listes assez exactes, au moins jusqu'en 1738, de la population séculière du couvent, c'est-à-dire des dames pensionnaires et des élèves. Nous citerons, à l'occasion, les noms qui pourraient intéresser nos lecteurs français ou anglais.
Parmi les dames françaises pensionnaires pendant le gouvernement de Mme Perkins, nous remarquons la marquise de Monsalez. C'était la fille du malheureux surintendant des finances, Nicolas Fouquet. Il l'avait eue de sa seconde femme, Marie-Madeleine de Villemareuil. La marquise avait épousé Crussol, duc d'Uzès, marquis de Monsalez, dont le nom est fort connu dans nos guerres de religion.
Nous ne saurions dire depuis combien de temps elle habitait la maison, mais elle la quitta le 21 septembre 1697, pour aller s'établir chez son oncle, l'évêque d'Agde, frère de l'ex-ministre.
Le 17 novembre 1695, nous trouvons Mme de la Rogue, qui vécut soixante-trois ans au couvent, et y
mourut le 1er décembre 1758. C'était la fille d'un avocat fort renommé de Paris, et la sœur de Gabriel Nicolas, prieur commendataire de Saint-Géréon, qui passa quatre mois à la Bastille, en 1730, pour son opposition à la bulle Unigenitus.
Viennent ensuite : la marquise de Marconnay, pensionnaire durant quatorze ans, de 1695 à 1709. Jusqu'en 1707, elle y fut connue seulement sous le nom de Mlle de la Potherie ; puis Mme de Testu, la chevalière du Guet, qui fut vingt-deux ans pensionnaire, et mourut en 1697. Elle fut enterrée en grande pompe chez les Capucins. Cette année 1697 fut vraiment meurtrière : sept personnes, y compris cinq religieuses, succombèrent en quelques mois.
Nous fermerons la liste française par Mme de Longchesne, sœur de Henri-François, duc de la Ferté (5).
Les Anglaises sont moins nombreuses. Les principales sont :
Lady Browne, femme d'Henry Browne, Esquire de Cowdray (Sussex), frère de lord vicomte Montagu. Cette
lady (6) vint à la grande pension le 25 mars 1693, avec sa petite-fille, Arabella Fermor, dont nous parlerons dans un instant, et lady William Waldegrave, fille
naturelle de Jacques II.
Lady Labadie, qui jouissait de toute la confiance de la reine d'Angleterre. Mise dans le secret de la fuite de la famille royale, lorsque Jacques II dut sortir de son royaume, lady Labadie fut chargée d'amener en France le jeune prince de Galles.
Mrs Frances Hales, fille du knight et baronnet sir Edward Hales, de Tenterden (Kent). Elle avait deux sœurs à la maison : l'aînée, Anne-Justine, y était religieuse ; la plus jeune, Mary, y était élève.
Mrs Yate, femme de sir John Yate, de Buckland (Berkshire), était au couvent depuis 1692. Elle avait la consolation d'y vivre avec ses trois filles, Élisabeth-Joseph, Anne-Mary et Mary, qui s'y étaient consacrées à Dieu.
Si nous ajoutons à ces noms celui de Mrs Apollonia Widrington, petite-fille de lord Fairfax, laquelle finit par entrer au couvent et y fit ses vœux en 1701, et trois ou quatre autres personnes, croyons-nous, peu connues, nous aurons toute la liste des dames pensionnaires anglaises.
Les élèves. — Quant au pensionnat, il est alors peu nombreux. Il se compose également d'Anglaises et de Françaises ; mais nous ne comptons pas plus de deux élèves de cette dernière nationalité. Leur nom du reste ne nous rappelle rien de leurs familles.
Les noms des jeunes Anglaises sont plus significatifs.
Barbara, Nanny et Elisabeth Browne sont les trois filles de lady Browne de Cowdray dont nous avons parlé plus haut.
Mary et Frances Molyneux sont les filles de lord Molyneux, de Sefton (Lancashire). Elles partent
toutes les deux pour l'Angleterre le 6 mai 1695 ; mais Frances revient au couvent et s'y fait religieuse le 15 octobre 1698.
Elisabeth, Philadelphia et Winifred Roper, cousines des Browne dont nous venons de parler, sont les filles de lord Teynham. Elles avaient une sœur, Mary, religieuse depuis le 22 juillet 1695. Philadelphia vint la rejoindre et fit sa profession en 1700.
Miss Aurelia Hunt est une jeune orpheline de Chawson (Bedfordshire). Elle se fixe au couvent et, après trois ans et demi de noviciat, elle fait ses vœux en 1700.
Miss Mary Arthur est la plus jeune des filles de sir Daniel Arthur, un excellent ami de la maison.
Miss Anne Howard, de Corby Castle (Cumberland), a trois tantes religieuses : une sœur de son père, Mme Alatheia Howard, et deux sœurs de sa mère, Mmes Margaret et Justina Towneley.
Belinda. — Nous avons nommé plus haut Arabella Fermor, petite-fille de lady Browne. Cette Arabella est celle-là, même qui, sous le nom de Belinda, est célébrée par Pope dans son petit poème héroï-comique, The Rape of the Lock (La Boucle de cheveux enlevée)».
Une assez vulgaire aventure donna occasion au poète de produire ce petit chef-d'œuvre de grâce, de finesse, de malice même, où l'originalité de son génie se montre dans tout son éclat.
L'un des admirateurs d'Arabella, le jeune lord Petre, s'avisa un jour de lui enlever une boucle de ses cheveux. Ce procédé par trop leste prit aux yeux de Miss Fermor toutes les proportions d'un véritable outrage. Elle réclama impérieusement la restitution du larcin. Instances inutiles : le coupable aggrava sa faute par l'obstination de son refus. Les Fermor et les Petre se brouillèrent.
Un ami commun, John Caryll, secrétaire de la reine d'Angleterre, entreprit de les réconcilier.
L'amour-propre est un excellent auxiliaire quand il s'agit de faire le siège d'une volonté qui résiste : il nous ménage des intelligences dans la place et nous y introduit par des portes secrètes dont il possède lui seul la clef.
Caryll se proposa de faire tomber la colère d'Arabella en flattant son amour-propre, et il suggéra son idée à Pope, déjà placé par la renommée au rang des plus célèbres poètes anglais. Celui-ci composa alors le poème dont nous avons parlé.
Nous n'avons pas à donner ici une analyse de cette espèce de poème, dont la machine n'a rien de commun avec celles qui sont mises ordinairement en jeu ; il nous suffira de dire que, sous la plume de l'auteur, la boucle de Belinda se métamorphose en une splendide étoile entraînant dans l'espace une chevelure radieuse. Celle de Bérénice pâlit auprès d'elle. Les sylphes, protecteurs de la belle et chaste Belinda, contemplent éblouis l'astre merveilleux, et lui font cortège, en suivant ses traces lumineuses, dans les sentiers du firmament. Puis le poète termine son dernier chant par une apostrophe où se mêlent de graves pensées, qui semblent placées là comme une
sorte de correctif aux éloges étourdissants donnés à la beauté de son héroïne dans le cours de son œuvre :
«Belle Nymphe, cesse de regretter ta boucle ravie, elle ajoute un nouvel éclat à la gloire des sphères célestes. Aucune des tresses brillantes, ornement de ta tête, n'inspirera jamais autant d'envie que ta boucle perdue. Après avoir blessé mortellement mille cœurs de ton regard, tu mourras toi-même. Ton beau soleil aura son coucher ; c'est la loi inévitable. Ces tresses se mêleront un jour à la poussière ; mais pour ta boucle, ma muse l'a immortalisée en même temps qu'elle a inscrit parmi les astres le beau nom de Belinda».
L'effet prévu par Caryll sur les sentiments d'Arabella fut obtenu : nous dirons même qu'il paraît avoir dépassé les espérances du secrétaire de la reine. «Je reste convaincue, disait un jour une religieuse du monastère, Mme Agnès Fermor, nièce d'Arabella, qu'on trouve peu de confort dans une maison où l'on reçoit des poètes. Je me rappelle que les caprices de Pope étaient si nombreux, qu'il eût fallu dix domestiques pour le satisfaire, et que ses éloges à ma tante l'avaient infatuée d'elle-même et rendue extrêmement ennuyeuse (7)».
Arabella était fille de Henry Fermor, Esquire de Tusmore (Oxfordshire), qui épousa Ellen, seconde fille de sir
George Browne, de Wickham (Kent). Elle passa environ neuf ans à Paris, au couvent des Dames Anglaises, d'où nous la voyons s'absenter parfois assez longtemps, pour aller se perfectionner en français dans d'autres maisons. Elle retourna en Angleterre en 1704 avec lady Browne, sa grand'mère.
Arabella épousa Frances Perkins, Esquire d'Ufton Court (Berkshire), où il mourut le 9 avril 1736. Onze mois après, sa veuve le suivit au tombeau.
Le journal d'Edward Lutton signale quelques noms de personnes qui s'intéressèrent au monastère à cette époque.
C'est, avant toutes les autres, Mme de Fontenais, dont nous aurons à parler plus tard. Puis la duchesse douairière de Noailles, mère de l'archevêque ; Mme Le Tellier, femme du chancelier, et la chancelière Boucherat, Françoise de Loménie.
Et puisque nous en sommes à inscrire ici des noms que la reconnaissance a gravés dans les Annales de la maison, pourquoi passerions-nous sous silence celui de cette charmante et laborieuse petite communauté, associée depuis longtemps peut-être à celle des Dames Anglaises, et qu'Edward Lutton n'oublie jamais?
Quand brillent les beaux jours, vers la fin de mai et dans les mois de juin et de juillet, nous lisons régulièrement dans le Journal, pendant au moins quinze années consécutives, souvent à la suite des événements les plus graves : «We had to-day a swarm of bees» (Nous avons eu aujourd'hui un essaim d'abeilles). Quelquefois on en a deux, trois, quatre dans le même mois, et l'on indique ensuite la quantité du produit de leur travail.
On nous pardonnera de relever dans les pages d'Edward ce détail en apparence insignifiant. Ces
pourvoyeuses désintéressées des Dames Anglaises ne leur ont pas seulement donné, aux jours de l'indigence, le doux fruit de leur travail, elles leur ont donné également une leçon encore profitable aujourd'hui. Si le poète latin a dit vrai : «Mens omnibus una est», c'est la grande leçon de la Règle de saint Augustin qu'elles enseignaient par leur exemple : «Cor unum et anima una» (vous n'aurez toutes qu'un cœur et qu'une âme).
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[Notes de bas de page.]
1. Archives du Monastère.
2. Archives Nationales, cartons cotés K, 1301-03.
3. Le collège Lombard appartenait aux Irlandais.
4. [Lewis Innes (1651-1738) était frère de Thomas (1662-1744), qui était prêtre missionnaire, historien et archiviste du collège des Écossais à Paris ; aujourd'hui, The Innes Review (ISSN: 0020-157X) reconnaît l'œuvre inestimable de ces deux frères au sujet de Jacques II. À propos, dans la partie de la vie de ce roi transcrite par le chevalier de Ramsay, — Histoire du vicomte de Turenne, Paris, Mazières, 1735 — il y a un acte des supérieurs du collège des Écossais, en date du 24 décembre 1734, signé par «Louis Inesse, ancien principal, Alexander Whiteford, principal, and Thomas Inesse, sous-principal».]
5. Nous aurions pu ajouter à cette liste la comtesse de la Barge,
la marquise de Faultray, Mme de Roquelaure, la marquise de Bresse, Mme Baudoin, Mme de Ravaune, Mme de Fontenelle, Mme de Launay, Mme de la Planche, Mme de Condé. Toutes ces dames se trouvaient en même temps au couvent.
6. Deux religieuses, Winifred et Élisabeth, portent le nom de Browne dans la liste de la communauté. C'étaient sans doute les belles-sœurs de lady Browne. Elles étaient de Stafford dans le Berkshire, et leur famille était alliée à celle des Blount. Cette dernière
famille donna également deux religieuses à la maison, en 1642. L'une se nommait Cecily, et l'autre, Mary.
7. Continental Tour (Mme Piozzi), 1784, page 7. [Cf., Piozzi, H. L., Observations and reflections made in the course of a Journey through France, Italy and Germany, Londres, Cadell et Strahan, 1789 ; et aussi l'édition moderne d'Herbert Barrows, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1967.]
«Un Couvent de religieuses anglaises à Paris» :
Index ; Chapitre 6
[Dr R. Peters : rpeters@wissensdrang.com]